Document généré le 2 oct. 2021 07:33

Séquences La revue de cinéma

Entre la glace et le feu (Coeur de métisse) Johanne Larue

Numéro 164, mai 1993

URI : https://id.erudit.org/iderudit/50090ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (imprimé) 1923-5100 (numérique)

Découvrir la revue

Citer ce compte rendu Larue, J. (1993). Compte rendu de [Entre la glace et le feu / Map of the Human heart (Coeur de métisse)]. Séquences, (164), 46–47.

Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 1993 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ CRITIQUE MAP OF THE HUMAN HEART entre la glace et le feu

inéaste des antipodes, le Néo- qu'à un fil, celui de notre imaginaire. machiavélique ennemi Walter Russell, Zélandais Vincent Ward réalise des C'est du moins comment je me qui aime la même femme que lui, films étranges et envoûtants qui ont représente l'oeuvre du cinéaste Albertine, une métisse Crée. goût de fin du monde. Le créateur de tellement il est plus facile de la décrire L'originalité du film réside cependant C Vigil (1984), The Navigator (1988) et avec un vocabulaire emprunté au dans son traitement. Telle une formule du scénario de Aliens 3 est bien médiévisme qu'à celui qui nous est d'alchimie, Map of the Human Heart connu pour ses évocations de sociétés coutumier. Map of the Human Heart se pose entre le réel et la fantaisie, la marginales aux prises avec la fluidité ne fait pas exception. vie des Inuit et la réalité de la du temps et les pièges surréalistes de Au premier coup d'oeil, le tout Deuxième Guerre mondiale se voyant l'inconscient. Ésotériques et fabuleux, dernier film de Vincent Ward peut transformées par l'imagination dans tous les sens du terme, les paraître un peu démagogue; son récit poétique du cinéaste. Vincent Ward mondes que Ward s'invente sont tissés se faisant l'écho d'une préoccupation laisse parler ses images. Un peu à la de mythes et de légendes. Sur une noble mais à la mode, soit la défense façon de Nicholas Roeg ou même de carte représentant le monde à plat, des droits des peuples autochtones. Le Stanley Kubrick, Ward expérimente Warland se balancerait dans le vide drame du film couvre quatre avec le pouvoir qu'ont certaines aux extrémités de la croûte terrestre: décennies et oppose le jeune Inuit images confondantes de nous les récits de Vincent Ward ne tenant Avik à son bienfaiteur puis impressionner par delà les mots. C'est

46 Séquences le cas des plans d'ouverture où la le dernier fantasme d'Avik qui se femme chaste injustement accusée Terre vue du ciel pourrait bien meurt sur un glacier. Enfants déjà, ils d'infidélité (qui préfigure Othello) et s'avérer un coeur meurtri. C'est le cas se rencontraient la nuit, sous le forcée de simuler sa mort (comme des visions qui obsèdent Avik et de la clocher de leur sanatorium. Dans ces dans A Winter's Tale). réalité qui dépasse les horreurs qu'il moments de haute voltige, Map of the Branagh a choisi de minimiser le peut imaginer: des marins allemands Human Heart rappelle un peu côté tragique et de faire de son Much morts gelés mais se tenant debout, Mauvais Sang et Les Ailes du désir. Ado une belle aquarelle, une fête presqu'à l'attention, tels des totems Il n'est pas fréquent que les champêtre légère et enlevée, où les annonciateurs sur fond de paysage coproductions internationales donnent choses les plus blessantes sont arctique ou, encore, Dresden balayé des films aussi cohérents et aisément pardonnées. On croirait voir par les flammes de l'Apocalypse. Dans harmonieux. Si c'est le cas de cette une joyeuse bande de saltimbanques Map of the Human Heart, les entreprise australienne, française, débarquer le temps d'un week-end matériaux du cinéaste alchimiste sont canadienne et britannique, le mérite dans les jardins d'une riche propriété d'ailleurs la glace et le feu; des revient sans nul doute au créateur campagnarde. Après une entrée en étendues de lumière bleue traversée phare qu'est Vincent Ward. Le film matière poético-bucolique, la d'éclairs orangés. Cela donne au film s'intègre parfaitement à la suite de son séquence-générique, exubérante et l'allure d'une fresque enluminée; oeuvre qui, elle, de toute évidence, ne musclée, s'ouvre sur une chevauchée l'immortalité d'une histoire racontée connaît plus de frontières. On dit des endiablée digne de Sam Peckinpah où depuis des temps immémoriaux. cinéastes visionnaires qu'ils nous chaque accord de la musique du L'autre grande qualité du film réapprennent à voir. C'est ce que fidèle Patrick Doyle annonce un réside dans son habilité à conférer réussit Vincent Ward, jusque dans son nouveau personnage. simultanément une dimension choix d'acteurs. La transfiguration de Aussitôt la poussière retombée, cosmique au drame qui oppose les et ne commencent les chasses-croisés trois individus du récit et une peut qu'émouvoir. Tout comme la amoureux. L'action se déroulera dimension humaine à l'Histoire qui simple présence de et fait rage autour d'eux. Le la découverte d'un nouveau talent bombardement de Dresden en février québécois, Annie Galipeau qui, dans 1945 par les Forces Alliées est sans le rôle d'Albertine jeune, possède le doute attribué à Winston Churchill charme et l'espièglerie d'une dans maintes encyclopédies mais, Geneviève Bujold en herbe. dans la version de Ward, l'hécatombe Johanne Larue est causée par une crise de jalousie, le cartographe Russell ne pouvant se MAP OF THE HUMAN HEART (Coeur de résoudre à perdre la femme qu'il veut métisse) — Réal. et scén.: Vincent Ward — Phot.: — Mont.: |ohn Scott — posséder. La dimension wagnérienne Mus.: Gabriel Yared — Dec: lohn Beard — du personnage qu'interprète le beau Cost.: Renée April — Int.: Jason Scott Lee mais implacable Patrick Bergin n'a (Avik), Robert Joamie (Avik jeune), Anne Parillaud (Albertine), Annie Galipeau (Albertine d'égal que Yangélisme à peine voilé jeune), Patrick Bergin (Walter Russell), Jeanne Moreau (Soeur Banville) — Prod.: — du couple d'amants métis. Comme Emma Thompson précisément dans les jardins et en Australie/France/Canada/Grande-Bretagne — Tristan et Iseult ou Lancelot et et Kenneth 1992 — 110 min. — Distribution: C/FP. plein soleil (il faut voir les acteurs Guenièvre, Avik et Albertine s'aiment Branagh dans plisser abondamment les yeux et Much Ado About d'un amour pur mais interdit; un Nothing arborer les plus rutilants coups de amour dont ils ne soupçonnent même Much Ado About soleil) et à quelques exceptions près, pas les ramifications et le tragique Nothing les scènes intérieures seront réservées destin. Leur relation reste longtemps aux sombres manigances de Don John chaste mais, quand ils la consomment, Much Ado About Nothing forme, et sa clique. Ward imagine leur rencontre avec Twelfth Night et As You Like It, Comme une image vaut mille charnelle entre ciel et terre. Tels des une trilogie de comédies romantiques mots, Branagh remplace avanta­ amants célestes, Avik et Albertine qui marquent un tournant dans geusement des paragraphes s'enlacent sur le dôme du Albert Hall, l'oeuvre de Shakespeare, en ce d'explications par quelques plans en équilibre sur la voûte d'acier; ils qu'elles annoncent la venue des éloquents et enlève au texte original font l'amour sur le dos même d'un grandes tragédies. On y voit déjà l'équivalent d'une bonne heure. En dirigeable qui flotte au-dessus de la l'émergence des thèmes plus sombres, serrant ainsi l'action, on risquait de campagne anglaise et s'évadent en comme celui, souvent abordé par la rendre encore moins plausible la montgolfière, vieux et heureux, dans suite, du déshonneur infligé à une volte-face des personnages, et surtout

No 164 Mai 1993 47 celle de Claudio qui, d'amoureux Incarnés par le couple Branagh- Des émotions servies sur canapés. Des transi, en vient à honnir celle qu'il Thompson dans une forme superbe, hésitations mijotées dans l'air du adorait. Il revient donc ici aux acteurs les amants rebelles semblent plus temps. Au dessert, on nous propose un de bien faire passer ces enclins que jamais à renouer. Si ce éclair au chocolat flambé au coup de comportements pour le moins Benedick dissimule son insécurité foudre. Johanne Prégent assume le excessifs. sous une avalanche de protestations scénario et la réalisation. Si son film Les rôles de Don Pedro et Don claironnées haut et fort, la brillante est raté, il ne faudra s'en prendre qu'à John sont ordinairement dévolus, tout Béatrice d'Emma Thompson cache, la pauvre Johanne, Prégent comme comme celui de Leonato, à des sous ses réparties cinglantes, une devant. Heureusement pour nous, la acteurs d'âge mûr, ce qui a pour effet blessure encore sensible. Elle sait scénariste a eu la main heureuse et la d'accentuer le fossé des générations. donner une étonnante complexité à la réalisatrice l'oeil à l'avenant. En opposant ainsi les manigances des phrase «I know you of old» (Je vous uns à la naïveté des autres, les jeunes connais depuis longtemps) qui laisse amants font figure de pions entre les poindre en un instant tout un drame mains de leurs aînés. En optant pour intérieur étouffé à grand-peine. Cette une distribution plus jeune, Branagh Béatrice, dont on dit à juste titre déplace le rapport de forces et rend qu'elle aurait voulu naître homme, se les personnages moins unidimen- trouve bien à l'étroit dans le rôle sionnels. qu'on lui assigne et revendique fort les Denzel Washington campe avec prérogatives de l'autre sexe. grâce et autorité un Don Pedro très Lorsque tous les drames, petits et masculin qui domine l'ensemble. La grands, sont résolus, il reste le soleil présence de Don John a été réduite et d'Italie et l'impression qu'il a peut-être ses dialogues coupés de moitié. taper un peu fort ce jour-là. Branagh a choisi de miser davantage Dominique Benjamin Kenneth Welsh et Johanne Prégent nous présente le sur la présence physique et la mine Louise Portai couple David-Léa, vieux de dix ans. dans Les MUCH ADO ABOUT NOTHING (Beaucoup de sombre de Keanu Reeves et c'est un Amoureuses Rien ne va plus comme avant. La bruit pour rien) — Réal.: Kenneth Branagh — bon choix, car on sait, depuis Scén.: Kenneth Branagh d'après la pièce de petite cellule amoureuse se sent Dracula, qu'il vaut mieux le voir sans Shakespeare — Phot.: Roger Lanser — Mont.: attaquée de front. Un petit grain de trop l'entendre. Andrew Marcus — Mus.: Patrick Doyle — Son: sable s'est introduit dans l'huître David Crozier — Dec: Tim Harvey, Martin Sous les traits de Robert Sean Childs — Cost.: Phyllis Dalton — Int.: Denzel pourtant blindée par un désir Leonard, Claudio est un vrai Washington (Don Pedro, prince d'Aragon), amoureux de longue durée. David, un romantique dont les grands yeux Kenneth Branagh (Benedick, un Lord de romancier qui enseigne dans une Padoue), Robert Sean Leonard (Claudio, un Lord humides traduisent bien la sensibilité de Florence), Keanu Reeves (Don |ohn, demi- université, a eu une aventure avec une blessée. Le personnage pourrait frère de Don Pedro), Gerard Horan (Borachio), de ses étudiantes. Et voilà que la facilement paraître odieux s'il n'était Richard Clifford (Conrade), Richard Briers jalousie, cette petite bête increvable (Leonato, gouverneur de Messine), Brian qui a survécu à toutes les déclarations victime de son propre manque Blessed (Antonio, son frère), Patrick Doyle d'expérience en la matière. Le choix (Balthasar, un chanteur), limmy Yuill (Frère de l'amour libre, vient élire domicile de Michael Keaton se voulait Francis) Kate Beckinsale (Hero, fille de dans le coeur de Léa, dessinatrice de Leonato), Emma Thompson (Béatrice, nièce de costumes au théâtre. La belle union en prometteur, mais se révèle en fait plus Leonato), Imelda Staunton (Margaret, suivante ou moins heureux. En substituant son de Hero), Phyllida Law (Ursula, suivante de prendra pour son cancer. Jusqu'ici, type d'humour assez excentrique et Hero), Michael Keaton (Dogberry, constable de rien d'original à l'horizon. D'autant la garde), Ben Elton (Verges, son subalterne), plus que le triangle amoureux maniéré — ici doublé d'une variante Edward lewesbury (le sacristain), Andy Hockley pythonesque —, à celui, très verbeux, (George Seacole), Chris Barnes (Francis s'affirme aussi âgé que le plus vieux de Dogberry, Keaton nous prive du Seacole), Conrad Nelson (Hugh Oatcake), Alex métier du monde. Scott (serviteur de Benedick), Alex Lowe (le plaisir de goûter un texte parfaitement messager) — Prod.: Kenneth Branagh, David Voyons voir! Un tantinet de hilarant en le passant au hachoir Parfit et Stephen Evans — Grande-Bretagne — patience nous mènera à un abordage comme pour s'en débarrasser. Les 1993 — 110 minutes — Dist.: nouveau. Johanne Prégent a été AllianceA^ivafilm. spectateurs qui feront connaissance l'heureuse victime d'une idée fortiche. avec la pièce de Shakespeare par le Les Amoureuses En parallèle, elle nous décrit la biais du film de Branagh seront naissance d'un couple sous la médusés par cet étalage de tics sans Les Amoureuses de Johanne mouvance d'un coup de foudre bien véritable lien avec le reste. Prégent, c'est l'amour à la carte du orchestré. Il s'agit de Marianne et Mais Much Ado, c'est avant tout Tendre, version moderne. Avec, au Nino. Ce qu'il y a de plus astucieux l'histoire de Benedick et Béatrice. menu, un consommé à la séparation. dans toute cette entreprise, c'est le fait

48 Séquences de constater que ces deux histoires ne faut pas oublier le couple Camille- LES AMOUREUSES - Réal.: lohanne Prégent s'imbriquent l'une dans l'autre jusqu'à Perdican d'Alfred de Musset et les — Scén.: lohanne Prégent — Phot.: François s'influencer mutuellement. Et cette comédiens qui les incarnent. Certains Protat — Mont.: Dominique Fortin — Mus.: construction originale vient de ce que ont vu dans le couple formé par Pierre Desrochers — Son: Richard Besse — Dec: Louise |obin — Cost.: Louise Jobin — Int.: notre Prégent a fait de Léa et Marianne Louise Portai et Kenneth Welsh une Louise Porlal (Léa), Léa-Marie Cantin des complices de toujours sous la allusion politique aux deux solitudes (Marianne), Kenneth Welsh (David), Tony Nardi bannière de l'amitié. C'est ce qu'on qui cohabitent difficilement dans notre (Nino), Sophie Lorrain (la costumière), David LaHaye (l'acteur), Mâcha Limonchik (l'actrice) appelle avoir le compas dans l'oeil et pays sans bon sens. Mais l'ensemble — Prod.: Louise Gendron — Canada (Québec) l'originalité à la boutonnière. du film n'incline pas vers une — 1992 — 99 minutes — Dist.: Ciné 360. Une fois le manège bien en selle, quelconque interprétation de ce le spectateur se rend compte que cette genre. Ici, il n'est question que Automne... octobre à construction originale donne d'amour et tout le reste n'est Alger naissance à des jeux de contrastes qu'extrapolation littéraire. aussi intimistes que jubilatoires. Il faut Comme pour bien nous signifier C'est bien dans la nature des savoir que nos deux couples que son film se veut intimiste, Johanne choses que tout auteur ait droit à naviguent dans la quarantaine plus ou Prégent collectionne les intérieurs revendiquer l'originalité de son moins avancée. En s'amourachant avec peu de personnages. Des oeuvre. Mais la profession de critique d'une jeune admiratrice, David a peur séquences plutôt courtes donnent une étant ce quelle est, il nous est souvent de mourir idiot, tandis que Nino craint vitalité certaine à des dialogues qui permis, ne serait-ce que par de mourir sans une progéniture qui auraient pu nous enquiquiner. On sent déformation professionnelle, de mettre témoignerait d'un amour aussi fidèle que la réalisatrice n'a conservé dans l'objet que nous analysons en regard qu'incandescent. Léa a investi dans la son montage que des conversations de celui d'un autre. Dans le cas de durabilité d'une union tout en étant susceptibles de faire évoluer ses Malik Lakhdar-Hamina, ce libre choix heureuse dans sa profession. Et voilà personnages. Et c'est très bien ainsi. Je apparaît comme un impératif si l'on que l'investissement semble donner m'en voudrais de ne pas souligner que considère qu'il est le fils d'un des dans la faillite. Marianne, une la montre de notre réalisatrice est à dignes pionniers du cinéma algérien, acupunctrice chevronnée, a toujours l'heure du Québec d'aujourd'hui. Son pour ne pas dire simplement cru qu'il fallait se méfier des mélodies Montréal est cosmopolite. Nos maghrébin. amoureuses aux lendemains qui amoureuses ont des conjoints d'une À l'instar de Mohammed Lakhdar- déchantent. Et voilà qu'elle en pince origine étrangère qui semblent avoir Automne., Hamina, l'auteur de Automne... pour un Italien rencontré à l'occasion adopté la laine du pays sans renier octobre à Alger octobre à Alger croit fermement au d'une banale massothérapie. Nos leur passé. La petite musique de amoureuses s'expriment sous la chambre de Pierre Desrochers fait gouverne d'une économie quasi chambre commune avec l'atmosphère constante dans les gestes et dans la de ce film. D'ailleurs, la facture du voix. Par contraste, Nino déploie force film m'a fait penser à une sonate pour gestes et s'abandonne à des deux claviers. Une sonate en amour déclarations fracassantes: «Pour être mineur pour le couple David-Léa. heureux, il faut faire l'amour 87 fois Une sonate en amour majeur pour le par jour!» Et Nino qui est un manuel couple Nino-Marianne. Et tous les fait bande à part dans ce milieu acteurs donnent dans la note juste. intellectuel. En somme, tous ces Pourquoi, en amour, perd-on si contrastes étonnants viennent du fait facilement la tête? C'est pour que le que Johanne Préjent a su observer coeur prenne toute la place. Devant le avec finesse deux couples dont l'un couple Nino-Marianne, c'est la seule pouvoir qu'exerce le cinéma sur le arrive à son déclin, tandis que l'autre explication que je me suis donnée. Les public, tout en l'informant et le faisant prend son envol sur le sommet d'un Amoureuses, c'est un film qui pose réagir. Ce public, c'est d'abord celui volcan radieux. Une telle habileté des questions pertinentes sur la peur du pays qu'il représente, même si, au dans l'art de raconter deux histoires de de l'engagement, le beau risque fond, le film dont il est question se couple mérite une couple d'aimer et l'avenir du couple. Pour ne doit d'émettre un message à portée d'applaudissements. rien vous cacher, je vous dirai que j'ai universelle. Comme son père- Dans Les Amoureuses, tout eu un coup de coeur pour Les réalisateur, Malik Lakhdar-Hamina se fonctionne par couple. On dirait une Amoureuses, l'en suis tombé veut cinéaste-historien, témoin de la petite arche de Noé. En sus des deux amoureux. mémoire. Et c'est là que s'arrêtent les couples dont nous venons de parler, il Janick Beaulieu dénominateurs communs qui unissent

No 164 Mai 1993 10 le cinéma du géniteur à celui de son plus dur, qu'il tente de poursuivre une À l'heure où de nombreux fils. Car si l'on en juge par le résultat, carrière de musicien dans un pays où cinéastes occidentaux se tournent vers nous concédons qu'Automne... le taux de chômage atteint des des produits de pure évasion, un octobre à Alger est l'oeuvre d'un proportions démesurées. Ilya aussi réalisateur maghérien, à peine âgé de réalisateur dont l'originalité et la Hakim, son frère, l'autre homme du trente ans, nous présente, avec pugnacité dans la démarche nous groupe, islamiste et intégriste. Entre la courage et maîtrise, la réalité actuelle laissent aussi bien enflammés mosquée et la maison, il exerce un de son pays. qu'émus. pouvoir de tyran, imposant à son Élie Castiel Dans l'Alger de 1988, l'histoire de entourage des interdits. Djihad et de sa famille est celle de Le drame qui se joue autour de AUTOMNE... OCTOBRE A ALGER - Réal.: Malik Lakhdar-Hamina — Scén.: Lakhdar- toutes les familles algériennes qui cette famille est celui qui se trame Hamina et Arezki Bouaziz — Phot.: Youcef vivent dans l'incertitude sociale et dans tout le pays, une nation enfermée Sahraoui — Mont.: Youcel Tobni — Mus.: Saty politique et le plus banal des dans des rituels mystiques et religieux Boutella — Son: Dominique Vieillard — Dec: Mohammed Boudjemaa — Cost.: Habel quotidiens. L'intrusion dans cet et bafouée par un pouvoir politique Boukhari — Int.: Malik Lakhdar-Hamina univers clos est tout d'abord ponctuée étatique et corrompu, dont le (Djihad Bensoltane), Nina Koriz (Amel d'anecdotes journalières: conflits entre népotisme institutionalise souligne Bensoltane), Merwan L-H (Momo), Mustapha El- Anka (Zombretto), Doudja (mère Djihad), certains membres de la même famille, toutes les injustices. Sans oublier le Rachid Fares (Ramses), Halima Hanetite magouilles, relation privilégiée entre machisme environnant. (Belinda) — Prod.: Tarek Lakhdar-Hamina — Djihad et sa jeune femme Amel, Mais par une journée d'octobre, Algérie/France — 1992 — 93 minutes — Dist.: Prima Film. solidarité du groupe. des jeunes algériens descendent dans Cette première partie sert de la rue, occupant et détruisant les L.627 mouvement stratégique pour annoncer symboles du pouvoir. C'est le le dénouement, véritable thématique marasme total, le chaos total mais, en La drogue a souvent servi de du film. À mesure que le récit avance, même temps, les premiers signes prétexte à des sujets de films, pour la tension monte de plus en plus d'espoir, même si, par la suite, les glorifier des représentants de l'ordre jusqu'à la percée finale. Mais chaque événements n'augurent rien de bon. purs et durs, menant une lutte sans épisode est significatif d'un sous- Évitant de fonctionner comme pur merci contre les trafiquants et les caïds thème bien particulier. Existe-t-il alors spectacle, le cinéma de Malik de ce milieu. On romance leur vie, un lien entre le drame familial et celui Lakhdar-Hamina éclaire l'Histoire leurs exploits, et aux yeux du qui se joue dans le pays? bien plus qu'il ne l'illustre. Cette spectateur ils deviennent des héros, Lala Kheira, la mère, assure la «chronique des années de plomb» quand on ne renverse pas les rôles continuité et la force intérieure du introduit un personnage populaire, pour faire l'apologie de truands. En noyau familial. Soumise, elle Zombretto, clochard, mais sage, pour fait, rarement s'est-on attardé à abandonne tout combat. Ne qui le rêve de l'indépendance a tourné critiquer les forces de l'ordre et les représente-t-elle pas la condition de la à la désillusion et à la tragédie. Ses pouvoirs en place qui sont confrontés femme algérienne? La seule femme du paroles résonnent comme un à ce fléau. groupe qui semble libérée est Amel, la commentaire en voix-off qui, en compagne de Djihad. Et c'est bien juxtaposition avec des documents parce qu'elle est animatrice à la radio d'archives, permettent au film et qu'elle se bat pour une meilleure d'accéder au rang du documentaire, la condition de celles de son sexe. Elle fiction n'étant qu'un accessoire. finit elle-même par abandonner Si l'indépendance a mis fin à la temporairement le combat, quand elle colonisation, l'Histoire a démontré décide d'aller se réfugier à la que l'ordre colonial, avec tous ses campagne. On soulignera que son codes répressifs, a été remplacé par la compagnon la soutient dans sa quête dictature d'un parti unique où le de liberté, même si son attitude est pouvoir, le favoritisme et la corruption plus militante. Après tout, n'est-ce pas ont tout simplement paralysé la nation le cinéaste lui même qui tient ce rôle? allant jusqu'à la stagnation morale. Didier Bezaceet À la suite de la prise de conscience Cet effet miroir en dit long sur la vraie Dès la première image, métaphore compagnie dans que son propre fils, Nils'", avait nature du film, véritable introspection biblique sur une des plaies d'Egypte, L.627 développé un sérieux problème de de la conscience d'un peuple. le cinéaste marque bien son propos. Et drogue, Bertrand Tavernier s'est Plutôt que d'exploiter sa femme, tout le long du film, nous aurons attaqué à ce sujet en se concentrant Djihad préfère lutter pour la survie du appris que l'Histoire souvent se sur la chasse aux gros trafiquants. groupe, et cet engagement est d'autant répète. Avec l'aide d'un ancien enquêteur de

50 Séquences police travaillant depuis quinze ans Pourtant, le manichéisme ne colore L.627 — Réal.: Bertrand Tavernier — Scén.: dans un «Groupe Stup», Michel pas cette oeuvre. Les personnages Michel Alexandre, Bertrand Tavernier — Phot.: Alexandre, il a écrit le scénario de sont crédibles: les policiers ne sont Alain Choquart — Mont.: Ariane Boeglin — L.627. pas des héros, en faisant plus ou Mus.: Philippe Sarde — Son: Michel Desrois, Gérard Lamps — Dec: Guy-Claude François — Ce numéro désigne l'article du moins bien leur travail selon leur Cost.: Jacqueline Moreau — Int.: Didier Bezace Code de la Santé Publique française propre personnalité. Malheu­ (Lulu), Jean-Paul Comart (Dodo), Charlotte Kady qui réprime toutes les infractions liées reusement, on n'aurait pas dû (Marie), lean-Roger Milo (Manuel), Nils Tavernier (Vincent), Philippe Torrenton à la détention, au trafic et à la cantonner les rôles des «dealers» à des (Antoine), Lara Guirao (Cécile), Cécile Garcia- consommation des stupéfiants. gens de race noire ou nord-africaine. Fogel (Kathy), Claude Brosset (Adore) — Prod.: Lucien Marguet, dit Lulu, Lulu est particulièrement attachant, Alain Sarde — France — 1992 — 145 minutes — Dist.: Aska Film. enquêteur de police, croit dur comme surtout dans ses échanges avec Cécile, fer à la lutte contre les trafiquants de une jeune prostituée toxicomane et drogue et les heures ne comptent pas séropositive. Tout en lui reprochant pour mener à bien une affaire. Sa sa continuelle dépendance à la La Florida tâche n'est simplifiée, ni par certains drogue, il lui sert d'ange gardien et on de ses collègues qui aiment se se doute qu'il a dû autrefois l'aimer. Peut-être parce qu'il n'aura cantonner dans le laisser-faire et leurs Maintenant, il vit avec une autre nécessité qu'un temps record de petites habitudes, ni par femme. Cela est plus esquissé que quatre mois de préparation, le dernier l'administration dont la lourdeur et la décrit; dommage que Tavernier n'ait film de Georges Mihalka, La Florida, sclérose laissent rêveur. Après avoir pas davantage insisté sur la vie s'avère d'une incroyable, mais criante vu L.627, on comprend mieux la personnelle de Lulu, cela aurait actualité. L'ouverture se fait sur une frustration des forces de l'ordre qui humanisé encore plus ce personnage. tempête de neige à Montréal avant de tentent presque comme des Don Didier Bezace, qui le joue, n'a rien se déplacer vers Hollywood, Floride, Quichotte de réduire le trafic de la d'un : on n'ira pas le voir drogue, mais sans moyens adéquats. pour ses beaux yeux. Mais sa Tavernier dresse un constat, présence à l'écran et la crédibilité terriblement triste en définitive, de qu'il donne à son rôle, par sa cette situation; il démontre la bêtise multitude de facettes, valent administrative qui fait qu'au lieu absolument le déplacement. d'allouer un nouveau véhicule à une Tavernier a tourné ce film plus brigade, on la dote d'une ligne de comme un documentaire qu'une télécopieur, alors qu'elle ne possède oeuvre dramatique. Il montre même pas l'appareil. La magouille et rarement une opération du début à la les pots de vin déguisés sont illustrés fin; il ne s'attarde qu'aux moments par l'échange d'un bon repas contre cruciaux sans nuire à la l'annulation des contraventions du compréhension. Le montage, très tenancier. Certains fonctionnaires dynamique, procède par ellipses; la tatillons ne s'intéressent qu'aux caméra par sa mobilité et ses grands la ville qui déteste les bedaines Pauline Lapointe, statistiques: ce qui compte n'est pas angulaires contribue à l'atmosphère québécoises. De plus, ce tournage Rémy Girard et l'importance des saisies ou des «vécue»: le spectateur a vraiment ultrarapide qui a englouti, tel un compagnie dans La Florida opérations, mais plutôt leur nombre. l'impression de participer à une ouragan floridien, près de quatre Plus grave encore, certains policiers opération avec les policiers. millions de dollars, permettra sans nuisent au travail de leurs collègues Peut-être un peu long (2h 25 min.), doute à son réalisateur de rejoindre le en dénonçant leurs indicateurs à ceux L.627 n'atteint pas le poli et la finesse peloton de tête des accoucheurs des qu'ils ont «donnés»: généralement, de certains autres films de Tavernier, derniers grands succès de notre cela ne pardonne pas. mais son impact vient de sa volonté cinématographie. Comme recette de On sent la colère de Tavernier tout de vouloir remettre certaines horloges fast-food, c'est réussi! au long de ce film de dénonciation à l'heure. En outre, au-delà de la Là où la digestion bloque, c'est dont l'impact à sa sortie s'est dénonciation, ce film respire aussi la qu'au lieu d'un repas complet, on répercuté jusqu'au bureau de Paul sensibilité, l'humour et, parfois, la très nous refile de la saucisse insipide et Quilès, le ministre français de grande tendresse que Tavernier porte inodore. Après Le Chemin de Damas, l'Intérieur, qui a d'abord crié à la à ses personnages. une comédie rondement menée et caricature avant d'allouer une somme Martin Delisle autrement plus originale, George de quatre millions de francs pour Mihalka est allé à l'école de l'amélioration de locaux de police! (1) C6Z7 lui est d'ailleurs dédié. l'efficacité télévisuelle avec Scoop.

No 164- Mai 1993 51 On pouvait donc s'attendre à le voir photographie s'avère plus Peter's Friends nous revenir au grand écran avec un qu'adéquate. Mais, aux prises avec un certain bagage. Or, le réalisateur mauvais scénario, le cinéaste ne Soyons clair dès le départ: débarque sans crier gare avec un réussit jamais à faire vraiment j'adore le travail de Kenneth Branagh. morceau de cinéma bâclé, un bel os démarrer l'intrigue, à lui faire prendre Ayant pu apprécier son interprétation auquel on aurait enlevé toute sa son envol. Chaque bon coup ou gag originale d'Henry V sur scène en viande. La Florida est un film sans bien amené retombe aussitôt dans la 1984, je suis de ces scénario, une comédie sans éclats de banalité de l'ensemble, hésitant entre inconditionnel(le)s qui considèrent sa rire, dont le plus grand mérite la grosse farce grasse qui laisse des version cinématographique de 1989 demeure celui d'amener au cinéma taches et la comédie dramatique qui comme un chef-d'oeuvre des gens qui n'y mettent jamais les veut faire réfléchir. incontournable. Je dois en outre pieds. confesser une affection particulière Aucun cliché n'a en fait arrêté les Quelques bons gags visuels pour le brio de Dead Again. Aussi ai- scénaristes, Suzette Couture et Pierre viennent parfois tromper l'ennui, je été consternée et stupéfaite de Sarrazin. Fatigué de conduire les comme celui des cicatrices de devoir chercher en vain quelque autres, Léo Lespérance quitte son bedaines québécoises, mais le marque indélébile de ce cinéaste emploi de chauffeur d'autobus pour souvenir récent de l'actualité imprévisible dans Peter's Friends. En aller se chauffer la couenne en transforme rapidement notre rire en ayant ainsi acquis la réputation de Floride. Il achète un motel qu'il a tôt malaise. Voilà des proéminences qui transformer en or tout ce qu'il touche, fait de baptiser du nom de sa plus que feraient bien trop plaisir à tous les Branagh aurait-il créé trop d'attentes? ronde moitié, Ginette. Esquivant entre journaux jaunes de Floride. De plus, Sur le mode désormais familier de les obstacles aménagés par les les rares moments de rires soutenus The Big Chill, Peter's Friends met en méchants de service — un Québécois surviennent encore lors de blagues présence six copains qui se sont maffieux et un promoteur retors —, grivoises ou religieuses. Arrivera-t-on connus à l'université au début des Léo fait de son commerce une un jour enfin à sortir l'humour années 80 et qui se sont plus ou moins réussite, mais aussi de ses enfants ses québécois du sexe et de l'église? perdus de vue au fil des ans. esclaves et de sa femme une frustrée Rassemblés dix ans plus tard chez l'un sexuelle. Heureusement, Pépère veille Si La Florida avait au moins le des leurs pour célébrer la nouvelle au grain et raffermit les liens familiaux mérite de gratter un tant soit peu sous année, ils vont partager leurs en frôlant la mort. Tout finira bien le bronzage des Floribécois, Mihalka frustrations, leurs ambitions déçues, avec la beauté de Lespérance-fille qui aurait pu s'en sortir avec une dévoiler leurs problèmes et exposer l'emportera au paradis floridien. intéressante étude de moeurs. Mais Du même acabit, les personnages cette histoire à l'américaine semble caricaturaux sont dessinés à gros traits, concoctée pour attirer le plus large pendant que les dialogues célèbrent public possible, ne laissant guère de certaines grandes vérités du moment prise à l'originalité: plans gratuits de comme: «En Floride, les rêves ne sont corps de femmes bien huilés, pas taxés» ou «Mordechai Richler personnages grotesques, intrigues s'appellerait Richelieu...». Les secondaires de style policier, musique situations se suivent et s'entremêlent, rock où Marjo et Plume prennent la cousues de fil blanc et mettant en place des habituels succès de trame scène des personnages revus sans être sonore... Certes, la recette marche, corrigés. Gildor Roy nous refait un mais où est le cinéma québécois? Régis Savoie en mode mineur, Combien de vrais films ne se feront Raymond Bouchard un malfrat frais pas avec les deniers qu'a décroché ce émoulu de Ding et Dong, le film,... sous-produit hollywoodien? La Kenneth Branagh leurs drames les plus secrets. Au seul Rémy Girard, comme toujours, question est plus que jamais justifiée. et Emma milieu de ces retrouvailles, deux tire son épingle du jeu en un Tit-Coq Thompson dans Peter's Friends «rapportés» plutôt tapageurs — la des années 90, fier et fonceur, mais Mario Cloutier femme de l'un (Carol), le nouveau guère plus original pour autant. «chum» d'une autre (Brian) — Toutefois, c'est indéniable, George LA FLORIDA — Réal.: Georges Mihalka - viennent témoigner de la tangente Mihalka sait filmer. Ça et là, le Scén.: Suzette Couture, Pierre Sarazin — Int.: qu'a pu prendre leur vie et jettent un Rémi Girard — Pauline Lapointe, Gildor Roy, sentiment d'inconfort sur cette réunion montage s'emballe ou se montre Martin Drainville, Denis Bouchard, Yvan efficace par son savoir-faire de Canuel, Raymond Bouchard — Canada que d'aucuns auraient souhaitée plus l'ellipse et du raccord ingénieux. La (Québec) 1993 — 110 minutes. intime.

52 Séquences Dans un mouvement de colère, montage d'événements qui ont Max et Jérémie Carol, l'actrice américaine mariée à marqué les dix dernières années et qui Andrew, laisse libre cours à sa se lit comme un Who's Who de Dès le générique, Max et Jérémie frustration en claironnant que ce l'actualité mondiale récente, sera la joue au montage ex abrupto avec une groupe de gens trop sombres à son seule référence au monde extérieur. voiture qui explose devant nos yeux goût semble sortir tout droit de Peter's Friends est un film hors peu habitués à cette rambotique dans Masterpiece Theatre. Une phrase en contexte. un film français. Erreur sur la salle? apparence anodine qui résume un peu Les personnages semblent avoir Nenni. Nous sommes bel et bien en le problème de Peter's Friends. Car le vécu leur petit drame en vase clos, sol français. Et Claire Devers nous malaise surgit, à mon sens, du fait que l'un vivant mal son exil à l'étranger, invite à voir un peu clair par-devers le regard qui est posé dans le film sur qui devant assumer la mort d'un ses obsessions. Max a pris sa retraite. ce groupe d'amis vient de l'extérieur. enfant, qui sa solitude, qui sa Il a fait carrière dans la justice Écrit par l'humoriste américaine Rita séropositivité. Enfin, on ne peut expéditive. Notre tueur à gages Rudner (en collaboration avec son s'empêcher de voir chez les amis de professionnel a commencé son boulot mari Martin Bergman), Peter's Friends Peter un échantillon un peu trop d'héroïque façon. Il a abattu un se révèle un excellent véhicule pour représentatif et une vision très Allemand durant la Deuxième Guerre Mme Rudner elle-même qui s'est convenue de tous les maux qui mondiale. Et ce, dans une église réservé le rôle le plus juteux pour ses affligent notre époque. Ce ne serait pleine comme un oeuf. On l'a décoré débuts au grand écran. Les autres pas si mal en soi si le scénario ne se pour ce geste patriotique. L'héroïsme, personnages sont dessinés à grands contentait pas seulement d'effleurer ça peut devenir une drogue capable traits et des comédiens de talents n'ont les sujets, sans jamais les approfondir. de développer une dépendance ainsi rien de potable à se mettre sous La mise en scène ne pouvait certaine. Surtout quand cette la dent. En effet, on est moins intéressé compenser le peu de consistance des accoutumance à saveur criminelle est à détailler ce personnage caricatural personnages et la faiblesse du fortement rémunérée. Il vit en dont on saisit l'essentiel dès les scénario. Peter's Friends est de toute solitaire. Son appartement affiche premières scènes qu'à bien connaître évidence un matériau emprunté pour luxe, ordre et propreté. Quand on cette bande d'amis qui ne se livrent Branagh. Cela se reflète à la fois dans pratique un métier comme le sien, il jamais vraiment. sa mise en scène qui se cherche et faut garder froid son corps et son Il existe une disparité bien tangible dans son jeu qui s'éparpille. coeur. Pas de place pour des relations entre les visées des scénaristes et la Finalement, une seule personne réussit amoureuses ou amicales. Ça risquerait nature des comédiens. Rudner et à se hisser au-dessus de tout ce de trop compliquer une chose aussi Bergman n'ont de toute évidence brouhaha. Dans un plan très simple, la simple que le fait d'effacer quelqu'un aucune affinité pour un certain cuisinière de Peter (jouée par Phyllida Philippe Noirel du tableau noir de notre triste dans Max et existence. Mais comment composer humour anglais servant à affadir à ce Law, dont la fille, Emma Thompson, a Jérémie point la présence d'Emma Thompson, épousé Kenneth Branagh) sirote un Stephen Fry et Hugh Laurie. Il manque verre de vin, son travail terminé. Cette à l'ensemble une cohésion et une image empreinte de mélancolie, de authenticité qui nous auraient fait force et d'acceptation vient nous goûter la relation qui unit ce groupe chercher tout de suite et laisse d'amis. Entre les années d'université et entrevoir ce qu'aurait pu être Peter's cette veillée du Nouvel An, il s'est Friends. écoulé une dizaine d'années, les Dominique Benjamin années 80, les années Thatcher. Pourtant, on ne sent pas vraiment le passage du temps, l'usure qui nous les PETER'S FRIENDS (Les Amis de Peter) Réal.: aurait rendus plus émouvants. Dix ans Kenneth Branagh — Scén.: Rita Rudner, Martin plus tard, les six compères ont Bergman — Phot.: Roger Lauser — Mont.: pratiquement rejoint l'establishment Andrew Marcus — Son: David Crozier — Dec: Tim Harvey — Cost.: Susan Coates, Stephanie auquel s'adressaient leurs petites Collie — Int.: Kenneth Branagh (Andrew), Hugh représentations d'antan. Mais là Laurie (Roger), Imelda Staunton (Mary), Stephen avec sa conscience? En se disant, pour s'arrête toute réflexion. Pas d'allusion Fry (Peter), Emma Thompson (Maggie), Rita Rudner (Carol), Alphonsia Emmanuel (Sarah), lui clore les yeux, que c'est rendre aux effets dévastateurs du long règne Phyllida Law (Vera), Alex Low (Paul), Tony service à un jardin que de le tory, à l'érosion du tissu social, au Slattery (Brian), Richard Briers (le père de Peter) débarrasser de son ivraie. lourd climat d'incertitude. La — Prod.: Kenneth Branagh — Grande-Bretagne 1992 — 100 minutes — Dist.: Dans la façon dérisoire de décrire séquence générique du début, un Alliance/Vivafilm. la carrière de Max, j'y ai déposé un

No 164 Mai 1993 51 peu de mon interprétation suspense peut saliver avec des gueules un mince plaisir que de voir évoluer personnelle, tout en tenant compte de ensanglantées. ce duo de choc et d'amitié. l'univers de notre réalisatrice. Elle La première partie est menée semble aimer les âmes en proie au montage battant avec une énergie Janick Beaulieu vertige. Son Noir et blanc logeait à aussi visuelle que sonore. On se l'enseigne d'une douleur exquise demande où la caméra prend le temps MAX ET JEREMIE — Réal.: Claire Devers — Scén.: Bernard Stora, Claire Devers, d'après le couvant un oeuf de vipère masochiste. de respirer entre deux séquences roman Les Lamentations de leremiah de Teri Ici, Devers nous offre une version d'apprivoisement face au vieux pro à White — Phot.: Bruno de Keyser — Mont.: grand public de son Noir et blanc la retraite dorée sur tranche d'argent et Marie Castro — Mus.: Philippe Sarde — Son: avec couleurs et vedettes. Et son polar Jean-Paul Mugel — Dec: Carlos Conti — Cost.: au novice ringard en mal Catherine Leterrier — Int.: Philippe Noiret se targue d'amitié. d'avancement. La deuxième partie (Robert «Max» Maxendre), Christophe Lambert En bon petit voyou, Jérémie mène s'étire au soleil du Midi et des (lérémie Kolachowsky), |ean-Pierre Marielle longueurs. La caméra semble tourner (inspecteur Almeida), Christophe Odent (Jacky une vie terne entre télé et TGV Cohen), Feodor Chaliapin Jr. (Sam Marberg), imaginaire. Fauché comme les blés, en rond. Claire Devers qui se montre Thierry Gimenez (Richard), lean-Pierre Miquel ses explosions d'automobiles très à l'aise dans un univers masculin (Maubuisson), |osé Quaglio (Eugène Agopian) semble avoir raté quelques occasions — Prod.: Alain Sarde — France — 1992 — 115 n'arrivent même plus à payer son minutes — Dist.: Malofilm. minable loyer. Il est aussi naïf de nous laisser sur une fin ouverte. qu'imprudent et il souffre d'une Une fin ouverte, ce n'est pas une fin logorrhée agaçante. Sans oublier le qu'on regarde la bouche ouverte. Passion Fish fait qu'il n'a jamais su déguster un bon C'est une fin qui laisse au spectateur Le cinéma américain a toujours cognac. Il l'ingurgite au lieu de le le loisir d'imaginer des avenues privilégié la moralité des humer. Malgré tout cela, il rêve de suggérées par un film. Ici, il y en avait comportements et des oeuvres au sujet devenir un Crésus comme dans les plusieurs. des représentations collectives et de la feuilletons télés. Pour ce faire, il est Dans ce polar de facture inégale, mythologie nationale. Mais comment prêt à tout. Jusqu'à faire clamser à ce sont les acteurs qui m'ont le plus transmettre subrepticement à un droite, à gauche et dans le milieu. fasciné. lean-Pierre Marielle en flic qui public cultivé, sous couleur de Tuer un vieux parrain de la mafia, ça n'a pas encore réussi à coincer Max divertissement, des messages rapporte gros et ça vous fait devenir fait merveille. Almeida n'a pas idéologiques à la fois politiques et important. Dans le milieu concerné, la l'humanité en odeur de philanthropie. moraux ? John Sayles a su le faire chose semble urger. D'autant plus C'est lui qui nous assène les répliques depuis le début de sa carrière. Il a qu'un peu de sang jeune à la tête des les plus tordantes. Dire que Philippe toujours voulu amener le spectateur à mafieux paraît être plus que Noiret joue bien, c'est devenu avec accepter un autre système de valeurs souhaitable. Et voilà qu'un hasard plus les années une sorte de pléonasme. La que celui que Hollywood a mission de ou moins organisé met Jérémie en richesse de son timbre qui affectionne diffuser. Si, par tradition, le cinéma contact avec Max. Ils sont très le ton d'une psalmodie est différents, mais ils ont en commun un irremplaçable. Il a une façon de jouer goût certain pour la marginalité. avec des bémols et des dièses qui Commence alors un jeu n'appartient qu'à lui. On pourrait d'apprivoisement entre notre colibri et même le surprendre en train le sédentaire crocodile. Un colibri qui d'interrompre une période lyrique sur devient un olibrius à force de un bécarre. Noiret doublé par un autre s'imposer à la manière d'un importun. que lui dans une langue étrangère, D'une part, le trouble s'installera à c'est plus qu'une trahison, c'est une demeure quand on comprendra que contre-performance. Dans Max et lérémie a pour mission d'effacer Max Jérémie, il ne joue pas à être Max. Il en pleine jouissance de sa plantureuse est Max. C'est à prendre ou à laisser. retraite. D'autre part, Max, emmuré Et on se laisse prendre avec allégresse. Quant à Christophe Lambert, des Alfre Woodard, dans une solitude aussi complaisante David Strathairn qu'ennuyeuse, peut se payer le luxe petites bouches avaient susurré qu'il et Mary d'un suicide par Jérémie interposé. On jouait à côté de ses baskets et qu'il McDonnell dans Passion Fish voit d'ici le jeu cruel des épées qui se faisait un pois chiche devant un Noiret croisent tout en invoquant une virile d'une autorité écrasante. Il n'en est américain s'adresse à l'illustre « classe tendresse entre marginaux apprivoisés. rien. Lambert donne l'impression de moyenne », les films de John Sayles Au royaume des grandes amitiés, ce se délecter dans le rôle d'un pierrot ont essayé de conquérir le plus grand genre de relation risque des ratés. Et le solaire de la gâchette. Et ce n'est pas nombre de spectateurs, en accréditant

54 Séquences l'idée qu'il n'y a qu'une seule société, Cependant, malgré ses longueurs, sans classe, presque homogène. Passion Fish se laisse voir sans ennui, Avec Passion Fish, le sujet abordé parce que sous le simple conteur lorgne dangereusement vers (Sayles est aussi le monteur et le Hollywood. Mais dans la confusion scénariste de son film) perce le fin qui règne actuellement dans le créateur. La direction d'acteurs est domaine du cinéma américain, d'une rare précision, tout comme la l'arrivée de ce film a quelque chose qualité de la photographie et la de salutaire. En effet, après avoir concision des dialogues, nombreux réalisé des portraits plus ou moins sans doute, mais jamais pompeux. réalistes de gens qui vivent leur siècle Contrairement à ses films précédents, à leur manière (Return of the celui-ci a la particularité de ne pas Secaucus Seven, The Brother from s'écarter des normes, et bien qu'à cinéaste s'arrange pour que nous nous Vincent Lindon Another Planet, Matewan et le plus l'abri des facilités, il semble proche dans La Crise identifions à des personnages qui récent City of Hope), Sayles s'attaque d'une souterraine intimité. À partir paradoxalement devaient rester loin au récit d'une paraplégique face à sa d'une fiction mélodramatique banale, de nous. Quel dilemme! destinée. Sans doute le film le plus Sayles a réussi à mettre de l'avant des Coline Serreau a réglé cette intimiste de son auteur (mis à part thèmes sous-jacents intelligents et question en imaginant un protagoniste Lianna), Passion Fish se lit comme une subtils. Sans doute le film est-il plus qui n'agit presque pas. La plupart du étude psychologique certes, mais intéressant que réussi et peut-être un temps, il est un témoin. Il assiste possédant des relents d'analyse peu trop habile pour être tout à fait impuissant à la vie décousue de ses sociale, grâce à la présence d'Alfre sincère, mais les symboles de semblables. Au début, il ne voit rien, Woodard (l'excellente comédienne l'angoisse permanente et d'une vie à et, petit à petit, il se rend compte qu'il noire qui fut déjà d'ailleurs la continuer en dépit des obstacles sont n'est pas différent des autres. Comme partenaire de Mary McDonnell dans présents dans presque toutes les la femme du médecin, il court après Grand Canyon). C'est son personnage séquences. une réussite sociale qui ruine sa vie qui replace le film dans la tradition personnelle. Il critique une famille des études sociales de )ohn Sayles. Par Maurice Elia reconstituée à laquelle lui et les siens opposition à May-Alice, la star des risquent de ressembler, car sa femme mélodrames télévisés qui se morfond PASSION FISH - Réal.: |ohn Sayles - Scén.: l'a peut-être quitté pour de bon. Il dans son immobilisme forcé, Shantelle |ohn Sayles — Phot.: Roger Deakins — Mont.: reproche à la meilleure amie de sa |ohn Sayles — Mus.: Masson Daring — Son: est la prolétaire qui a déjà vu sa vie |ohn Sutton — Dec: Dan Bishop, Dianna Freas femme, qui a cassé son violon à traversée de soubresauts (problèmes — Cost.: Cynthia Flynt — Int.: Mary McDonnell quelques jours d'un concert, de ne pas de drogues, abandon de l'éducation (May-Alice), AI f re Woodard (Chantelle), David vouloir l'écouter. Donc, dans un Strathairn (Rennie), Vondie Curtis-Hall (Sugar de sa fille). Cependant, leur face à LeDoux), Nora Dunn (Ti-Marie), Sheila Kelley premier temps, le protagoniste, qui, face voudrait ressembler à celui qui (Kim), Angela Bassett (Dawn/Rhonda), Leo soit dit en passant, se nomme Victor, mettait en conflit les personnages de Burmester (Reeves) — Prod.: Sarah Green, ne voit même pas qu'il est comme Maggie Renzi — Étals-Unis — 1992 — 134 Persona de Bergman, mais il y minutes —Dist.: C/FP. ceux qu'il critique. Il est trop près manque une intériorité, un dosage d'eux. Mais nous, nous les voyons. Ils plus adroit des moments de chaleur et sont les uns aux côtés des autres, ces de froideur. Et des silences. La Crise pauvres petits aveugles qui se En effet, Passion Fish a le défaut Après nous avoir bien fait rire en déchirent à belles dents parce qu'ils des autres films de Sayles: on y parle nous montrant comment trois hommes ne savent plus aimer les leurs, sans arrêt et les moments de réflexion peuvent être transformés par la venue tellement ils sont occupés à courir que s'accordent les personnages ne d'un bébé, Coline Serreau choisit cette après leur réussite professionnelle. résonnent pas comme des silences fois-ci de rire de nous, avec nous. En Dans un deuxième temps, Victor se nécessaires. Ces moments, perçus du effet, elle tourne vers nous un miroir calme un peu en assistant au départ point de vue de l'héroïne, puis de son grossissant et humain. Elle nous de sa mère avec un professeur de yoga infirmière/assistante, sont effacés par montre nos défauts sans nous juger, et qui a dix ans de moins qu'elle. Voilà des flots de paroles qui jaillissent nous offre en prime l'explication, enfin des gens qui ne lui ressemblent surtout, admettons-le quand même, de voire la solution à tous nos problèmes. pas du tout. Eux, ils savent vivre et personnages secondaires Chacun sait que, pour faire rire, il aimer. Ils connaissent leurs limites et apparemment indispensables à faut créer une distance entre le sujet leurs besoins. Certains ont dit qu'ils l'évolution psychologique du qui rit et l'objet qui fait rire de lui. En sont égoïstes. Moi, je dis qu'ils sont personnage central. l'occurrence, il a donc fallu que la très sains. La preuve en est que c'est à

No 164 Mai 1993 S5 partir de ce moment-là que Victor une bonne comédie. Il faut aussi que Sommersby cesse ses crises d'hystérie. Et je trouve le rythme soit là. Toutes les répliques génial que la réalisatrice ait songé à ce doivent être dites sur le bon ton et au Vous connaissez l'histoire: après retour vers la mère quand le grand bon moment. Il faut aussi savoir une absence de plusieurs années, un garçon d'environ trente ans se articuler, car le rythme est très rapide. homme revient dans son village natal. retrouve seul. Lorsqu'il voit que le Il est intéressant de noter que le retour Accueilli chaleureusement, reconnu monde s'écroule autour de lui, il veut cyclique de certaines phrases ponctue de tous et accepté par son épouse, il retourner dans le sein maternel. Mais harmonieusement le scénario. reprend, à la fois, sa place dans la c'est impossible parce que la mère Ce qui est amusant, quoique déjà famille et le travail sur ses terres. Tout tranche définitivement le cordon vu, c'est l'opposition du personnage va bien ou plutôt, tout va mieux car ombilical. Victor est donc obligé de straight, Victor, au personnage l'homme a changé durant ses voyages; devenir un être autonome. Fini la comique, Michou. Ils sont les clowns des changements agréables qui font fusion avec l'autre et les cris. C'est le blancs et noirs qui nous font voir les particulièrement la différence dans temps d'articuler. Il doit apprendre à deux côtés des choses. Donc rien de une vie de couple. Mais ces sentir ses besoins réels et à les dire. La neuf sous le soleil, mais ça fonctionne changements, peu à peu, sèment le mère n'est plus responsable de son toujours. Les comédiens sont très doute dans l'entourage: ce survenant fils. Ce dernier doit aller chercher lui- convaincants. Sauf erreur, à part la est-il le bon homme? même de par le monde ce qui le scène du concert, il n'y a pas de nourrira. musique dans ce film. S'il y en a, je ne Pendant qu'il se calme, Michou, l'ai pas remarquée. La parole prend un type plutôt benêt, mais pas toute la place. Quoi de plus normal méchant explique très concrètement quand on met en scène des gens en pourquoi il n'aime pas les immigrants pleine crise de nerfs. Parler, ça aide à qui habitent près de chez lui. Puis ce faire sortir la vapeur. sont les enfants d'un député qui jettent Bref, Coline Serreau a su, à partir le foie gras et le vin à la poubelle d'une réalité dramatique parce que la Dr Kousmine y voit la contemporaine faire une comédie cause de toutes les maladies bien ciselée. Elle a exagéré dégénératives comme le cancer et la suffisamment nos défauts pour qu'ils sclérose en plaques. Et il y a aussi Isa, soient bien visibles aux aveugles que la soeur de Victor, qui ne parvient pas nous sommes. Et tout ça, elle l'a fait Richard Gere On se souvient du Retour de à faire comprendre à son ami qu'elle avec une tendresse qui rend tous ses dans Sommersby Martin Guerre, un brillant exercice l'aime même si elle ne veut pas personnages attachants. Puisqu'ils narratif tourné en 1982 par le l'épouser. Qui peut dire qu'il ou elle nous ressemblent, nous apprenons réalisateur français Daniel Vigne, et ne s'est jamais retrouvé(e) dans l'une donc qu'il ne nous sert à rien d'adorer dans lequel Bertrande, personnage- ou l'autre, sinon toutes ces situations? le veau d'or. Comme Victor et son clé, raconte au conseiller du Personne. Alors nous nous entourage, nous comprenons qu'il faut parlement les circonstances du retour reconnaissons et nous rions jaune lâcher prise et cesser de jouer des de Martin, son mari. Exploitant une parce que Victor auquel nous nous rôles en croyant faussement qu'ainsi atmosphère et des perspectives qui étions déjà identifié ne ressemble ni à nous serons aimés de tous. La Crise rappellent le peintre flamand Bruegel, Michou ni aux enfants du député, et le est donc une excellente comédie où sur une musique qui halète et enfle salaud, il rit ouvertement de Michou l'humour et la tendresse sont bien comme une rumeur, le film pose en et plus discrètement des enfants. dosés. filigrane les questions de l'identité et Quant à la petite mésaventure d'Isa, de la légitimité: où se trouve la vérité elle aide Victor à s'ouvrir les yeux, à Sylvie Beaupré et comment décider qu'elle s'y trouve? voir comment une femme perçoit la Quel est le poids d'un témoignage et vie de couple. Il commence alors à LA CRISE — Réal.: Coline Serreau — Scén.: lequel retenir lorsque deux opinions comprendre pourquoi sa femme l'a Coline Serreau — Phot.: Robert Alazraki — contraires s'opposent avec la même Mont.: Catherine Renault — Mus.: Sonia quitté. D'autres rencontres amèneront Wieder-Atherton — Son: Guillaume Sciama, force? A quoi reconnaît-on qu'une Victor à voir de plus en plus clair en Dominique Dalmasso — Dec: Guy-Claude personne est vraiment celle qu'elle dit lui, à se retrouver. Ainsi, il apprend à François — Cost.: Karen Mûller — Int.: Vincent être? Lindon (Victor Barel), Patrick Timsit (Michou), s'accepter, à être plus ouvert, plus Zabou (Isa), Maria Pacôme (Mme Barel), Yves Onze ans plus tard, c'est au tour vivant, plus aimant. Robert (M. Barel), Catherine Wilkening (Marie du cinéma américain et du réalisateur Barel), Annick Alane (la grand-mère), Gilles Même si l'effet de distanciation est Privât (Laurent) — Prod.: Alain Sarde — France- Jon Amiel de donner leur version du réussi, ce n'est pas suffisant pour faire Italie — 1992 — 95 minutes — Dist.: Malofilm. retour-de-l'homme-parti-au-loin. Si,

56 Séquences dans un premier réflexe, on peut être mauvais souvenirs et qui, alors qu'elle Carrière — Phot.: Philippe Rousselol — Mont.: Peter Boyle — Mus.: Danny Elfman — Son: tenté de s'interroger sur l'intérêt qu'a le croyait mort, a accepté les avances Chris Newman — Dec: Bruno Rubeo, Michael pu soulever chez nos voisins d'un rival. Au centre de l'éternel trio Johnston — Cost.: Marilyn Vance-Straker — producteurs cette histoire subtile et qui se constitue, Laurel se refuse Int.: Richard Gere (Jack), |odie Foster (Laurel), d'abord au mari qu'elle a connu... et Lanny Flaherty (Buck), Wendell Wellman troublante, on comprend ensuite (Travia), Bill Pullman (Orin), Bretty Kelley (Little rapidement qu'Hollywood ne s'est pas cède ensuite chaleureusement au Rob), William Windom (Rév. Powell), Clarice seulement contenté de transposer le nouvel amant qui s'installe chez elle. Taylor (Esther), lames Earl lones (le juge Isaacs) récit dans un contexte qui lui Le film se donne alors pour ce qu'il — Prod.: Arnon Milchan, Steven Reulher — États-Unis — 1993 — 112 minutes — Dist.: convient, mais l'a aussi adapté à ses est, une histoire d'amour construite, Warner Bros. incontournables canons. comme tant d'autres, sur le jeu de la C'est ainsi que Martin Guerre, ce vérité et du mensonge. Ici encore, les tout jeune homme ombrageux parti à questions de légitimité et d'identité l'aventure sous le règne de François sont posées, non plus face à la Utz 1er, devient Jack Sommersby, un collectivité et au droit, comme dans À plusieurs égards un fermier sudiste, dur et violent, qui Martin Guerre, mais face à l'amour et collectionneur ressemble à un rentre chez lui au lendemain de la à tout ce qui est permis de faire en son toxicomane incurable. Accumuler, guerre de Sécession. Au retour, tous nom. Lorsque Laurel demande à cet grouper, cataloguer, voilà le lot d'un deux ont beau être beaucoup plus homme qu'elle sait être un imposteur collectionneur invétéré qui tel un sympathiques et se chausser plus de quitter sa maison, Jack répond: drogué agit par compulsion et est petitement — pour la plus grande «Peu importe qui tu crois que je suis, souvent prêt à payer très cher un objet confusion de leurs cordonniers m'aimes-tu?». Devant l'hésitation de convoité. Collectionner devient respectifs —, bien des choses, et la jeune femme, il reprend: «Je suis parfois une servitude qui peut pousser notamment le scénario, les chez moi maintenant.» un individu à l'isolement jusque dans différencient et les éloignent. Plus encore, malgré les tentatives le tréfonds de sa personnalité, En effet, dès le générique, la du rival éconduit de nuire à l'engageant à la contemplation de ses comparaison entre les deux films Sommersby, c'est à un duel entre Jack trésors et le contraignant à s'abstraire devient malaisée, et rapidement, et Laurel que nous assistons, un duel radicalement de la société qui Sommersby s'impose comme une d'amour qui aurait pu donner au film l'entoure. C'est le cas précisément du histoire remarquablement américaine. un titre du genre «Sommersby contre baron Kaspar Joachim von Utz, le Sur le chemin qui le ramène chez lui, Sommersby». Dans le tribunal où Jack personnage principal du dernier film Jack Sommersby enterre le cadavre Sommersby est accusé de meurtre, la de George Sluizer (The Vanishing). d'un homme sous un amas de pierres, plus grande adversaire que l'homme Adapté d'un roman de Bruce Chatwin, Armin Mueller- Utz nous fait suivre d'une façon puis continue sa route. Le jour de son rencontre est Laurel, prête à tout, Stahl et Peter arrivée, c'est beaucoup plus que le même à la vérité et au déshonneur, Riegert dans Utz troublante l'itinéraire d'un revenant d'un passé englouti qui est pour le sauver de la mort. Il faut voir accueilli par le village encore ravagé cette confrontation devant juge par la guerre. Au contraire, confondu et assistance attendrie pour Sommersby représente une aube mesurer l'audace des Américains nouvelle, il apporte avec lui les quand il s'agit de mettre en scène des valeurs que le public américain bien- situations invraisemblables. Mais à pensant d'aujourd'hui aimerait voir force de larmes retenues et de chez les Sudistes d'alors. Débordant musique puissamment étalée, que ne de charme et d'altruisme, Sommersby peut-on pas faire accepter? Enfin, il séduit tout le monde, convainc les faut bien le dire, Sommersby a comme fermiers désemparés de risquer leur atouts d'allier la sobriété de ses avoir dans une nouvelle sorte de comédiens à la candeur d'un scénario récolte, celle du tabac, établit une bâti sur les valeurs yankees. Un léger culture communautaire, réussit à faire divertissement, en somme, qui a su accepter la participation des Noirs sur éviter le piège de n'être qu'une collectionneur de porcelaines de une base égalitaire et affronte mauvaise copie. Meissen qui avant de mourir aura bravement les attaques du Ku Klux Jocelyne Hébert amassé un millier de figurines dont la Klan. Comment lui résister? valeur marchande atteindra les C'est ce que, d'ailleurs, ne saura SOMMERSBY - Réal.: Jon Amiel - Scén.: 3 000 000 de dollars. Nicholas Meyer, Sarah Kernochan, Anthony pas faire Laurel, l'épouse délaissée qui Shaffer, d'après le film Le Retour de Martin Héritier d'une grosse fortune a conservé de Sommersby de fort Guerre, écrit par Daniel Vigne et lean-Claude prudemment mise à l'abri en Suisse, le

No 164- Mai 199.3 57 baron de Utz aura profité des guerres, son seul ami. Il aura aussi une Fricker joue avec tact le rôle de la des pogroms et des changements de obsession pour les chanteuses d'opéra servante-épouse. Seul Peter Riegert régime pour acquérir sa collection, bien en chair, qu'il aimera autant m'a paru terne dans celui du tout en vivant d'une façon obscure écouter que caresser. Rien cependant marchand d'art. dans un appartement exigu, en plein n'aura vraiment eu d'importance pour Construit sous forme de flash-backs coeur d'un pays communiste terne et lui, en dehors de sa passion pour les continuels, le film peut surprendre et désolant, la Tchécoslovaquie. A part figurines de Meissen. dérouter les amateurs de récits quelques séjours dans des villes d'eau L'intrigue de Utz est certes mince. linéaires. J'ai, quant à moi, trouvé tout européennes et la fréquentation des A la mort du baron, sa collection qui à fait approprié l'usage systématique ventes aux enchères dans le but de devait revenir à l'État tchécoslovaque de cette technique de narration qui réunir d'autres figurines, Utz vivra à disparaît mystérieusement. Marius ajoute fort habilement une dimension Prague, une ville qu'il déteste, mais Fischer, un marchand d'art américain de mystère au climat obsessionnel de dont la mélancolie lui rappelle (un personnage qui n'existe pas dans l'histoire. Utz est un film remarquable. constamment l'origine de sa passion: le roman de Chatwin), essaie de la c'est là, après la mort de son père, retrouver. Il part à la recherche de Pierre Forœtin qu'il a commencé sa collection et Martha, la fidèle bonne devenue c'est là qu'il a l'intention de terminer épouse. Mais ses efforts resteront ses jours, au milieu de ses Arlequins et vains. Le spectateur, lui, saura UTZ — Réal.: George Sluizer — Scén.: Hugh Colombines, de ses petits animaux de toutefois ce qui est advenu de la Whitemore, d'après le roman de Bruce Chatwin céramique fine, de ses innombrables fameuse collection. — Phot.: Gérard Vandenberg — Mont.: Lin Friedman — Mus.: Nicola Piovani — Dec: statuettes auxquelles, comme à des Le rôle du baron est brillamment Karel Vacek — Cost.: Marie Frankova — Int.: marionnettes, il donne vie en écoutant tenu par l'acteur allemand Armin Armin Mueller-Stahl (Baron Von Utz), Brenda ses opéras préférés. Utz partagera Fricker (Marta), Peter Riegert (Marius Fisher), Mueller-Stahl qu'on a vu récemment Paul Scofield (le docteur Vaclav Orlik), Miriam cette existence de marginal avec sa dans le Kafka de Soderberg. Paul Karlin (la grand-mère), Christian Mueller-Stahl domestique, qui deviendra son Scofield incarne pour sa part un (Utz à 18 ans), Caroline Guthrie (Marta jeune) épouse, et avec un savant anarchiste, collectionneur de mouches fort — Prod.: )ohn Goldschmidt — Grande- collectionneur de mouches, qui sera Bretagne/ltalie/Allemagne — 1991 — 98 original et l'actrice irlandaise Brenda minutes — Dist.: Buenna Vista.

(o/t&z, IALÙl > RESTAURANT

Le jury du Festival des films du monde 1991 et ses invités CHEZ VITO, C'EST UN FESTIVAL! 5412, Côte-des-Neiges, Montréal (Québec) H3T 1Y7 Tél.: (514) 735-3623