34 RÉGIONS oreina n° 4 - janvier 2009 Redécouverte de minos ([Denis & Schiffermüller],1775) dans le Maine-et-Loire (Lep. Zygaenoidea) ●

BRUNO LAMBERT et MARC NICOLLE

Résumé : Les auteurs relatent les circonstances de la redécouverte en 2002, puis 2006, de Zygaena (Mesembrynus) minos (Denis & Schif- fermüller) dans la région de Saumur (Maine-et- Loire) après près d’un siècle d’oubli. Des informa- tions complémentaires sont apportées à partir de recherches dans la littérature et les collections anciennes.

Summary : The authors relate the circumstances of the re-discovery in 2002 and then 2006 of Zygaena (Mesembrynus) minos (Denis & Schif- fermüller) in the area of Saumur (Maine-et-Loire) after nearly one century of oversight. Additional information from examination of litterature and old collections is brought.

Mots-clés : , Zygaena (M.) minos, Maine-et-Loire, France, distribution.

Biotope de Souzay-Champigny (Maine-et- histoire commence (ou plutôt Loire) où Zygaena minos a été redécouvert recommence) le 14 juillet 2002 où, Bref, au cas où …, la « loque » fut conservée. en 2002 et 2006. Photo © Bruno Lambert. à l’issue d’une sortie commune Bien entendu, dans l’immédiat, ce furent les exem- dans divers biotopes du Saumu- plaires « présentables » des récoltes du jour qui rois, les deux auteurs parcouraient passèrent sur l’étaloir et le tour de la zygène 1775) et de Z. cynarae (Esper, 1789) définitive- un site de la commune de Souzay- « emmaillotée » ne vint qu’après. La préparation ment éliminées après préparation de l’armature Champigny (Maine-et-Loire). Au tint d’ailleurs davantage du rafistolage et du col- génitale par Éric Drouet. Subsistait également un Lmoment de remonter dans la voiture, l’un de nous ’ lage que de l’étalage standard et le résultat réel doute sur l’origine géographique exacte de (M. N.) remarqua, adhérant à son pantalon, un s’avéra fort médiocre. l’échantillon, étant données les circonstances de amas ligoté dans une toile d’araignée qui, après Ce n’est que quelques semaines plus tard, à l’oc- son recueil, qui aurait tout aussi bien pu provenir examen sommaire, fut identifié comme les restes casion d’une nouvelle rencontre entre les deux des autres sites visités le jour-même. Un indice d’une zygène. Depuis fort longtemps, divers bio- auteurs que l’exemplaire fut examiné un peu plus important toutefois était lié à la relative souplesse topes de la région, de par leur caractère calcicole, en détail et que la réflexion « cette bête-là est encore de l’exemplaire lors de sa capture, ce qui sont bien connus pour leur richesse en zygènes quand même bien bizarre ! » fit sa première donnait poids à la probabilité que c’était bien et ont été abondamment prospectés par nombre apparition. l’une des diverses stations parcourues ce 14 juil- d’amateurs éclairés. D’ailleurs, en cette fin de let qui était la bonne, en particulier justement journée, Z. loti failliei, Z. transalpina centralis et Z. Premières pistes celle de la découverte. filipendulae pulcherrima (Lepidoptera Zygaeni- Au cours de réunions suivantes avec le GIRAZ, En fait, la préparation de genitalia bien que de dae) n’étaient pas rares sur ce site. Alors, l’atti- l’exemplaire circula entre les mains de divers col- très bonne qualité, n’avait pas apporté d’élément tude normale eut été de se débarrasser au plus lègues sans conclusion vraiment assurée sur son décisif : la documentation iconographique en vite de cette « loque » informe et poisseuse. appartenance spécifique. Les diagnoses des notre possession et l’expérience de nos col- Pas cette fois-ci, pourtant ! La surface occupée espèces locales classiques, Z. filipendulae (Lin- lègues étaient en effet singulièrement plus limi- par les zones rouges apparaissait quelque peu naeus, 1758), Z. transalpina (Esper, 1780), Z. tri- tées pour les femelles que pour les mâles. étendue et pouvait évoquer une aberration ne folii (Esper, 1783) avaient été rapidement écar- Toutefois, c’est vers le groupe Zygaena minos laissant pas indifférent un adhérent du GIRAZ. tées ; celles de Z. loti ([Denis & Schiffermüller], ([Denis & Schiffermüller], 1775) / Z. purpuralis oreina n° 4 - janvier 2009 RÉGIONS 35

(Brünnich, 1763) que s’orientaient maintenant les - enfin la collection de l’un de nous (B. L.) a hypothèses les plus sérieuses. recueilli, par don de Mademoiselle Simone À l’appui de ces hypothèses, les vieilles collec- Lemoyne (ancienne enseignante à l’UCO d’An- tions angevines apportaient, en effet, un certain gers), une femelle avec une étiquette Dampierre- nombre d’éléments : 12.8.1910 et, par don de M. Lainé (fils du docteur - le Muséum d’histoire naturelle d’Angers ren- Lainé, lépidoptériste normand bien connu et petit- ferme dans la collection Abot, classé en tête fils du probable récolteur), une autre femelle éti- d’une colonne de plusieurs exemplaires de quetée Bois de Quenard M[aine] et L[oire]-1912. de provenances variées, un Toutes ces localités se situent à proximité de couple étiqueté « Fontevrault, 17-VII-[18]96 » Saumur. probablement pris par Gustave Abot lui-même et que l’on peut rattacher maintenant à Z. minos. Les indices arrivent - la collection Bonneville conservée elle au sein Il y a plusieurs années, le premier auteur (B. L.), de l’Université catholique de l’Ouest, à Angers en compagnie de Claude Dutreix, avait préparé aussi, contient pour sa part cinq spécimens sans les armatures génitales de plusieurs exemplaires étiquette individuelle mais rangés avec la men- des collections Bonneville et Delahaye (dont tion « Minos-Avril-Saumur ». seule semble subsister actuellement la prépara- - une autre collection, elle aussi présente dans le tion d’un mâle de la collection Bonneville) qui fonds de l’Université catholique de l’Ouest, celle avaient bien été rattachés à Zygaena minos, mais de F. Delahaye, héberge parmi quelques indivi- tous deux avaient conclu à une erreur d’étiquette, dus non étiquetés (appartenant probablement à tant la présence de cette espèce en Anjou appa- Z. purpuralis) cinq spécimens attribués à Z. raissait peu probable. minos : un mâle étiqueté Forêt Font[evraud]- La littérature ancienne fournissait, de son côté 16.8.1910, un mâle étiqueté Saumur-13.8.1909, également, son lot d’indices : un mâle et une femelle avec une étiquette - le tome second de l’Indicateur de Maine et Loire M[aine] et L[oire]-1911 ainsi qu’une femelle sans (1865) de P. A. Millet de la Turtaudière cite le étiquette dans la même rangée. taxon Zygaena cynarae Ochs. sous cette ortho- graphe de Dampierre (maintenant commune rat- tachée à Saumur), page 315, et sous celle de Zygaena minos de Souzay-Champigny (Maine- Zygaena cynara (sic) de Fontevrault, page 334 ; et-Loire). De haut en bas : femelle morte du - sous la dénomination de Zygaena cinarae (sic) 14-VII-2002 ; mâles du 16-VII-2006. encore, la Faune des Invertébrés du Maine-et- Photo © Bruno Lambert. Loire (1872) de P. A. Millet de la Turtaudière, en Zygaena minos, Mézières-en-Drouais (Eure- page 120 du tome 2, cite (probablement) cette et-Loir). Photo © Bruno Lambert. espèce : juillet, terrains calcaires, « devant habi- ter la forêt de Fontevrault, Champigny-le-Sec » ; - c’est sous le nom de Zygaena purpuralis que le tions inédites ; mais sans succès pour Zygaena Catalogue Descriptif des Lépidoptères de Maine- minos. Alors que des sorties régulières dans la et-Loire de F. Delahaye, ou plus exactement le région de Dreux (Eure-et-Loir) nous permettaient supplément (paru en janvier 1909) à ce cata- d’observer de magnifiques biotopes en coteau où logue, apporte des informations avec la mention cette espèce abonde vers le 14 juillet, notre « Plusieurs exemplaires pris à Fontevrault, 17 zygène continuait de jouer la grande discrète juillet (Abot) ». On peut relever au passage la dans la région. concordance existant avec l’étiquetage du couple Jusqu’à ce jour du 16 juillet 2006, exactement à conservé au Muséum. l’endroit où des pantalons avaient « attrapé » Nous pensons que sous ces dénominations, il l’énigmatique exemplaire, deux femelles et deux s’agit bel et bien de l’espèce dénommée actuelle- mâles furent observés butinant des scabieuses, ment Zygaena minos (Denis & Schiffermüller), la alors que deux autres exemplaires mâles étaient mise au point de la nomenclature dans ce groupe découverts immobilisés dans des toiles d’arai- n’étant intervenue qu’assez récemment (fin du gnées. XXe siècle). La propension de Zygaena minos à se faire pié- Une confirmation décisive fut apportée au cours ger dans les toiles d’araignées semble d’ailleurs du 9e Symposium international sur les Zygae- être un trait de cette espèce comme nous l’avions nidae à Simferopol (Ukraine) en octobre 2004. remarqué fréquemment sur les coteaux de la val- L’exemplaire examiné avec sa préparation de lée de l’Eure, alors que les autres espèces de genitalia fut déterminé sans hésitation comme zygènes volant sur ces sites semblaient plus Zygaena minos par le professeur K. Efetov et W. épargnées. G. Tremewan. Une semaine plus tard, le 22 juillet, une femelle (peut-être l’une des deux présentes six jours Confirmation sur le terrain auparavant) était toujours visible sur le même Restait à retrouver l’espèce sur le terrain. Au pied de scabieuse. Ainsi, aucun des exemplaires cours des mois de juillet, à partir de l’année 2003, observés sur le site (en fait un territoire extraordi- divers biotopes du Saumurois reçurent nos nairement restreint) ne l’avait été en vol. Cela visites à la recherche des zygènes. Avec contrastait fortement avec le comportement des quelques bonnes surprises concernant la réparti- autres zygènes présentes ce jour-là, Z. loti et Z. tion d’autres espèces ou l’observation d’aberra- transalpina, plus actives, mais aussi plus com- 36 RÉGIONS oreina n° 4 - janvier 2009 munes et réparties sur une étendue beaucoup plus vaste. Pour l’instant, sur ces seules indica- tions, la population apparaît extrêmement locali- sée et les imagos de mœurs fort casanières. Projet “Sur les pas de Lhomme” Ainsi donc, Zygaena minos a-t-elle réussi à se maintenir dans le Saumurois jusqu’à nos jours, en dépit de tous les doutes qui pouvaient exister. Inventaire Il n’est pas interdit d’imaginer (les données biblio- graphiques vont dans ce sens) qu’elle puisse exister sur d’autres sites, ainsi que dans l’Indre- et-Loire toute proche. Le fait qu’elle soit passée des lépidoptères du Lot inaperçue pendant tant d’années prouve à l’évi- dence sa rareté, en tout cas son extrême locali- sation. De plus, tant , plante- MARC ESSLINGER hôte de la chenille que les Scabiosa et Knautia sp., plantes nectarifères préférentielles de l’adul- te apparaissent peu abondantes sur son biotope ● de Champigny. Ces observations, couplées avec le fait que l’optimum de sa période de vol dans la e projet de dresser un inventaire des peu épluchée. À ce jour, j’ai collecté 3189 région devrait se situer autour du 10 juillet, date lépidoptères du Lot est arrivé au stade données sur 875 espèces, mais je n’ai saisi ne correspondant pas exactement aux émergen- Lde la déclaration publique ! que la moitié de mes données personnelles et ces des zygènes classiques du Saumurois pour- Ma passion naturaliste a commencé très tôt, les contacts avec différents lépidoptéristes raient apporter une explication à un oubli de près et c’est à 8 ans que je collectais mon premier (certains se reconnaîtront ici) laissent présager d’un siècle. insecte, un papillon très courant, Melanargia qu’elles avoisineront très rapidement les 2000 galathea… Depuis lors, je me suis progressi- taxons ! Addendum vement ouvert à tous les champs (locaux) du Les finalités de ce travail sont nombreuses, Au cours des maussades mois de juillet 2007 et naturalisme : entomologie, bien sûr, mais éga- mais elles se résument toutes à la volonté de juillet 2008, six visites (quatre en 2007 avec les lement botanique, phytosociologie, ornitholo- faire connaître, pour mieux la préserver, la conditions météorologiques les moins favorables gie, géologie, malacologie, etc. ; ce qui m’a diversité lépidoptérique de ce petit coin de et deux en 2008 dans des conditions moyennes), permis d’obtenir un poste de chargé de mis- France. ont été rendues sur le site sans le moindre indice sion « Patrimoine naturel » à Lot Nature puis Que toutes celles et ceux qui souhaitent parti- de la présence de Z. minos. Si Z. loti et Z. trans- au Parc naturel régional des Causses du ciper à cette entreprise inscrite dans le long alpina ont pu être observées à plusieurs reprises, Quercy. terme n’hésitent pas à me contacter pour il convient de signaler que leur abondance était C’est aussi au sein de Lot Nature que j’ai ren- obtenir plus de renseignements ou pour se bien plus faible que les années précédentes. Il contré la plupart de ceux qui m’ont encouragé lancer dans ce travail de recherche passion- n’en reste pas moins que notre zygène diaphane dans cette voie : François Burle, Vincent nant. ■ confirme bien son caractère discret et quelque Heaulmé, Tristan Lafranchis, Serge Lorsignol, peu mystérieux dans la région. ■ HubertTussacet biend’autres encore. Chacun dans son domaine a su me transmettre le goût de collecter de l’information sur la formi- Place du Calvaire 46240 Beaumat dable biodiversité lotoise. Tél. : 05 65 35 49 05 Bibliographie À l’instar d’un trio de coléoptéristes lotois qui [email protected] DELAHAYE (F.),1909. – Supplément au Catalogue a accumulé des données sur environ 3000 des Lépidoptères de Maine-et-Loire, p. 19. Angers. taxons, je souhaite réaliser un inventaire simi- DROUET (É.) & FAILLIE (L.), 1997. – Atlas des laire sur les papillons. Comme Léon Lhomme Ptilophora plumigera D. & S. espèces françaises du genre Zygaena Fabricius, aussi, qui vécut à Douelle et qui a Photo © Marc Esslinger. 74 p., 32 cartes. Éd. J.-M. Desse, Angers. publié le remarquable ouvrage FAILLIE (L.), 1994. – Guide pour l’identification des que nous connaissons tous, je espèces françaises du genre Zygaena Fabricius, souhaiterais collecter, échanger 52 p., text-figs, 3 planches. Éd. J.-M. Desse, et porter à connaissance les don- Angers. nées concernant les lépidoptères MILLET DE LA TURTAUDIÈRE (P. A.), 1865. – et leur répartition départementale. Indicateur de Maine-et-Loire, tome 2, p. 315 et Je lance donc ici un appel à 334. Angers. toutes les bonnes volontés qui MILLET DE LA TURTAUDIÈRE (P. A.), 1872. – Faune souhaiteraient m’aider ou m’ac- des Invertébrés du Maine-et-Loire, tome 2, p.120. compagner dans cette entreprise. Angers. Toutes les données m’intéressent, y compris celles sur les taxons communs, celles qui sont géogra- phiquement peu précises – je peux me contenter d’une com- B. L. : La Planche, 5 route des Grandes-Beausses mune, voire de la simple présence 49630 Mazé lotoise d’une espèce –, ou encore [email protected] des données anciennes qui dormi- M. N. : Résidence Schubert, 2 rue Paul-Pousset raient dans une littérature encore 49100 Angers