Thesis

Parlement européen et société civile : vers de nouveaux aménagements institutionnels

DUTOIT, Laurent

Abstract

Est-ce que la représentation assure au niveau européen la garantie de démocratie représentative ? Cette question renvoie à la problématique de la crise politique marquée, entre autres, par l'abstentionnisme et le manque de confiance des citoyens envers leurs représentants. Au coeur de ce questionnement se trouve le Parlement européen, seule institution directement élue par les citoyens européens. Le débat autour de la remise en cause de la notion classique de la représentation, notamment au niveau européen, permet de repenser le système politique à la lumière de nouvelles percées théoriques et, aussi, de nouvelles pratiques politiques. La présence de la société civile organisée au niveau de l'UE force la réflexion vers une nouvelle ingénierie de la démocratie. Ainsi, cette thèse propose l'étude d'un nouveau rapport au sein de la représentation avec la participation de la société civile au sein de commissions parlementaires "associatives".

Reference

DUTOIT, Laurent. Parlement européen et société civile : vers de nouveaux aménagements institutionnels. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2008, no. SES 659

URN : urn:nbn:ch:unige-5298 DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:529

Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:529

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Parlement européen et société civile : Vers de nouveaux aménagements institutionnels

Thèse présentée à la Faculté des sciences économiques et sociales de l’Université de Genève

par

Laurent Dutoit

pour l’obtention du grade de

Docteur ès sciences économiques et sociales mention : science politique

Membres du jury de thèse :

M. Philippe Braillard, professeur, Genève, directeur de thèse Mme Christine Mironesco, professeure, Genève, présidente du jury M. Christian Franck, professeur, président de l’Institut d’études européennes de l’Unversité catholique de Louvain

Thèse no 659

Genève, 2008

La Faculté des sciences économiques et sociales, sur préavis du jury, a autorisé l’impression de la présente thèse, sans entendre, par là, émettre aucune opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteur.

Genève, le 29 janvier 2008

Le doyen Bernard MORARD

Impression d’après le manuscrit de l’auteur

À Melvina

À Quentin

Remerciements

L’écriture d’une thèse a beau être une aventure individuelle, sa réalisation en est impossible seul. C’est pour cela que mes premiers remerciements vont à mon directeur de thèse, le professeur Philippe Braillard qui, durant toutes ces années, m’a encouragé et soutenu dans ce long cheminement intellectuel. Son appui sans faille m’a permis de développer plus qu’une thèse, une vraie découverte du monde scientifique.

L’approfondissement d’une thèse est aussi dû à la possibilité de faire des expériences enrichissantes à l’étranger. Ici, je profite de l’occasion pour remercier le Fonds national suisse de la recherche scientifique qui m’a octroyé une bourse de jeune chercheur d’une année à l’Université du Québec à Montréal en 2004-2005. De l’autre côté de l’Atlantique, je tiens en premier lieu à rendre hommage à la mémoire du professeur Thierry Hentsch, sans qui cette année nord-américaine n’aurait pas pu avoir lieu. Également, la professeure Josiane Boulad-Ayoub, titulaire de la Chaire UNESCO d’études des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique, l’ensemble de la Chaire de recherche du Canada ‘Mondialisation, Citoyenneté et Démocratie’ et le département de science politique de l’Université de Montréal qui ont toutes et tous par leur soutien une part importante dans le développement de mon raisonnement et sur l’aboutissement de cette thèse.

Deux fondations m’ont également soutenues afin que je puisse terminer ce travail de doctorat dans de bonnes conditions. Ainsi, je remercie chaleureusement la fondation Ernst & Lucie Schmidheiny et la Société Académique de Genève.

Le soutien de mes collègues, et, notamment de mes relecteurs, Maximos Aligisakis, Frédéric Esposito, Sylvie Ramel et Marc Roissard de Bellet, a été déterminant dans l’aboutissement de cette thèse. Il serait aussi injuste de ne pas remercier le travail précieux de l’équipe de la bibliothèque de l’Institut européen, Jean-Marc Membrez et Maria Zamora, qui pense toujours au bien des doctorants. À toutes et tous, je leur exprime ma gratitude.

Également, bien que souvent incompréhensible, une thèse est impossible sans un soutien de la famille, en particulier de ma mère, de mon frère, et, de celle plus lointaine au Canada.

Finalement, je veux exprimer toute ma reconnaissance à ma compagne, Melvina, pour le temps passé à me supporter, à me relire et à m’entendre parler de sujets abscons. Pour tout cela et encore plus, je ne pourrai jamais pleinement la remercier, et c’est tout naturellement que je lui dédie cette thèse de doctorat.

Enfin que tous ceux et celles qui de près ou de loin m’ont soutenu dans ce travail en soient remerciés ici.

Table des matières

Liste des acronymes et abréviations ...... xv Liste des tableaux...... xix

Introduction générale ...... 21

1. Représentation et légitimité : De l’inclusion de l’associationnisme...... 23 2. De la gouvernance européenne et du rôle du Parlement européen ...... 27 3. Hypothèses de travail...... 33 4. Articulation de l’analyse...... 37

1ère Partie : La représentation politique : Des principes généraux au cas de l’Union européenne ...... 41

Chapitre 1 – La représentation en question ...... 44

1. Introduction à la problématique...... 44 2. De la représentation : une première définition...... 46 1. De la démocratie représentative...... 46 2. Les termes de la représentation...... 47 3. Rendre représentable la société...... 49 3. Le représentation, une conception dynamique...... 51 1. Les méthodes de sélection ...... 52 2. Adéquation et distinction au sein de la représentation...... 54 1. Le principe de distinction...... 54 2. L’émergence des partis ...... 55 3. L’expression de la différence au sein de la démocratie représentative ...... 57 3. La société complexe ou l’émergence du pluralisme ...... 59 1. Du pluralisme… ...... 59 2. … à la recherche de l’équilibre...... 61 4. Une application de la représentation : le losange de la représentation politique ...... 64 1. L’identification du représentant...... 64 2. Le losange de la représentation politique...... 65 5. Une représentation imparfaite...... 68 1. Une représentation confisquée ? ...... 68 2. Les paradoxes des institutions de l’organisation ...... 69 3. La représentation ou la recherche d’un difficile équilibre...... 72

ix Table des matières

Chapitre 2 – De la représentation à la démocratie associative ...... 74

1. Introduction aux auteurs ...... 74 2. Associationnisme : Entre pluralisme et représentation...... 76 1. La puissance publique et les groupes...... 76 2. Cadre théorique...... 77 3. Les sources de l’associationnisme : les pluralistes anglais...... 79 1. Le rôle de l’État ...... 80 2. La représentation...... 82 4. Pluralisme et [néo-]corporatisme...... 85 1. L’axe pluraliste : les écrits de Paul Hirst ...... 85 1. La place de la puissance publique...... 86 2. La proposition associationniste de Paul Hirst...... 88 2. L’émergence des groupes et le débat néo-corporatiste...... 90 1. La vision semi-étatique de Cohen et Rogers...... 90 2. Les private interest governments de Philippe Schmitter ...... 92 5. Analyse critique de la théorie associationniste ...... 96 1. Démocratie et association ...... 96 2. Association et État ...... 98 3. Faisabilité de la démocratie associative...... 99 4. Démocratie associative et Union européenne...... 100

Chapitre 3 – La représentation au sein de l’Union européenne : un régime semi-parlementaire...... 104

1. Introduction...... 104 2. La représentation de l’Union européenne...... 105 1. Le déficit de l’information...... 105 2. Le consociationnalisme appliqué à l’Union européenne ...... 106 3. L’avènement de la parlementarisation au sein de la construction européenne...... 110 1. Un exécutif bicaméral...... 111 2. La voie du parlementarisme ou les compétences progressives du Parlement européen...... 113 1. De l’Assemblée au Parlement européen ...... 113 2. Les moyens du contrôle parlementaire ...... 117 4. La volonté complexe des États : le cas de la ‘parlementarisation’ de l’UE..123 1. L’intergouvernementalisme ...... 124 2. L’institutionnalisme ...... 125 3. Le constructivisme...... 126 5. Vers une solution semi-parlementaire ...... 129

x Table des matières

2ème Partie : La représentation au Parlement européen : Entre apories et perspectives ...... 133

Chapitre 4 – L’organisation de la représentation au Parlement européen ...... 137

1. Représentation, légitimité et taux d’abstention...... 137 2. Élection et légitimation : Mise en perspective du taux d’abstention ...... 140 1. Le chemin vers une procédure électorale commune...... 141 2. Analyse de la participation à l’élection de 2004...... 145 3. L’élection européenne, une élection intermédiaire ? ...... 149 3. Input Representativity : La détermination du mandat européen ...... 157 1. Du demos européen...... 157 2. Le mandat européen...... 161 1. Généralités et contradictions du mandat européen ...... 162 2. L’interdiction du mandat impératif...... 165 4. Les conditions de l’ output Representativity : le double enjeu de la compétence et de la crédibilité...... 167 1. Les usages du mandat européen...... 168 1. Prise de décision : élément constitutif de la représentation ..168 2. Vers une approche spécialisée ...... 170 3. Les différents canaux d’information...... 171 4. Vers une carrière politique européenne ?...... 173 2. Les procédures législatives ...... 174 3. Conclusion ...... 176

Chapitre 5 – Partis politique européens et agrégation des demandes ...... 177

1. De l’agrégation par les partis politiques ...... 177 2. Les partis parlementaires européens ...... 180 1. Le groupe, élément structurant du Parlement européen...... 180 2. La difficile émergence d’un statut du parti politique européen ...... 185 3. Conséquences du statut du parti européen...... 189 3. Les option pour les partis politiques européens...... 192 1. Des fédérations de partis...... 192 2. Vers un système de parti à deux niveaux...... 196 1. Du parti politique européen « classique »… ...... 196 2. … à l’implication des intérêts pluralistes...... 197 3. Un système de partis mixtes avec de nouveaux clivages...... 198

xi Table des matières

Chapitre 6 – La difficile émergence des intergroupes parlementaires européens ...... 200

1. La structure de l’intergroupe...... 200 2. Historique de la réglementation...... 203 1. 1979-1991 : Politique du laissez-faire ...... 203 2. 1991-95 : les dispositions du Bureau élargi...... 203 3. La Conférence des présidents de 1995...... 204 3. La commission du règlement, de la vérification des pouvoirs et des immunités...... 206 1. Actions sur les groupes d’intérêt...... 206 2. Les avants-projets du rapport de Mark S. Spiers ...... 207 1. Les travaux préparatoires...... 207 2. Premier avant-projet (PE221.685/1997) ...... 209 3. Deuxième avant-projet (PE221.685/rév./1998) ...... 211 4. Troisième avant-projet (PE221.685/rév.II/1998)...... 212 4. Situation actuelle...... 213 1. Les intergroupes depuis la V e législature...... 213 2. Décision de décembre 1999...... 214 3. Conséquences de l’espace juridique mis en place ...... 216

3ème Partie : La société civile ou la représentation en question ...... 219

Chapitre 7 – La place de la société civile dans les discours institutionnels ...... 222

1. La société civile dans l’environnement européen...... 222 2. L’émergence du rôle de la société civile vue par les travaux des institutions...... 226 1. De l’économie sociale… ...... 227 2. … à la société civile organisée...... 231 1. La société civile dans les avis du Comité économique et social européen ...... 231 2. Le Livre Blanc sur la gouvernance de la Commission européenne...... 235 3. Les Conventions et les impacts des ‘non’ français et néerlandais ....238 3. Le Parlement européen face à la société civile ...... 242 1. Des relations ambiguës et la recherche de légitimation...... 242 2. De la stratégie de lobbying à l’intérêt général ...... 244 3. Effets du lobbying sur la représentation ...... 250

xii Table des matières

Chapitre 8 – Gouvernance européenne, société civile et représentativité ...... 254

1. Société civile : histoire d’un retour...... 254 2. L’identification de la société civile...... 258 1. Définitions et paradoxes de la société civile contemporaine...... 260 2. Le monde syndical et la société civile ...... 265 3. Le monde associatif et la société civile...... 267 1. Les associations et Alexis de Tocqueville ...... 267 2. Les associations dans l’Union européenne ...... 269 4. Critères d’identification : une première proposition...... 271 3. Légitimité et représentativité de la société civile...... 273 4. Gouvernance européenne et société civile...... 277

4ème Partie : Une alternative pour la représentation au sein du Parlement européen : Vers des commissions parlementaires ‘associatives’ ...... 281

Chapitre 9 – Démocratie participative et associative dans l’Union européenne ...... 284

1. Le mandat européen entre participation et représentation ...... 284 1. Le renouveau de la démocratie participative ...... 284 2. L’indétermination de la représentation et son impact...... 285 2. Vers une démocratie associative ? ...... 290 1. L’inclusion de la société civile dans la gouvernance européenne ....290 2. De l’associationnisme au post-parlementarisme...... 292 3. Le Parlement européen, lieu de meta-souveraineté ...... 292

Chapitre 10 – L’espace politique des intergroupes parlementaires européens ...... 296

1. Introduction aux intergroupes : un espace concurrentiel ...... 296 2. La place des intergroupes au Parlement européen...... 298 1. Les intergroupes et groupes politiques européens ...... 298 2. Les intergroupes et les commissions parlementaires...... 299 3. Les relations entre les intergroupes et les groupes de pressions...... 300 3. Caractérisation des intergroupes...... 302 4. Vers une ‘idéal-type’ des intergroupes ...... 304 1. Proposition de typologies...... 304 2. Analyse de situation des intergroupes...... 306 3. La pratique des intergroupes : Quatre études de cas...... 309

xiii Table des matières

1. Intergroupe ‘Bien-être et protection des animaux’ ...... 310 2. ‘Constitution européenne’...... 312 3. ‘Santé et médecine complémentaire, population, développement durable et démographie’/ ’Santé et consommateurs’ depuis avril 2005...... 314 4. Groupe ‘Kangourou’...... 315 5. Synthèse et éléments sur l’efficacité des intergroupes ...... 317 5. Contextualisation : Société civile et risques politiques des intergroupes .....320 1. Points principaux et perspectives d’analyse des intergroupes ...... 320 2. Une nouvelle place pour la société civile ...... 321 3. Vers une réorganisation de la représentation ...... 323

Chapitre 11 – Des commissions ‘associatives’ ?...... 325

1. Fondements des commissions ‘associatives’...... 325 2. La représentativité comme méthode de sélection ...... 328 1. Identification des critères de représentativité ...... 328 2. Procédure de sélection des organisations représentatives...... 330 3. Problématique et thématique des commissions parlementaires ‘associatives’...... 332 1. Identification des thématiques applicables ...... 332 2. L’implication des thématiques au sein du Parlement européen...... 336 4. Mode de fonctionnement des commissions ‘associatives’ ...... 339 1. De l’élection…...... 340 2. … au mode de fonctionnement...... 341 5. Analyse critiques et mise en perspective des commissions associatives...... 344 1. Représentation (et représentativité) ...... 344 2. Agrégation...... 346 3. Associationnisme ...... 347 4. Société civile, démocratie et intérêt général ...... 347

Conclusion générale ...... 351

1. Rappel de la démarche méthodologique et des hypothèses introductives ....352 2. Une nouvelle approche de la société civile – ‘ New times for old ideas ’ ...... 357 3. Développements potentiels et perspectives de la recherche ...... 360

Bibliographie générale ...... 363

Annexe 1 Intergroup : Constitutional Agreement ...... 398 Annexe 2 Liste complète des intergroupes...... 399 Annexe 3 Formulaire d’étude des intergroupes au Parlement européen...... 404 Questionnaire envoyé à tous les présidents d’intergroupe entre février et mars 2000

xiv

Liste des acronymes et abréviations

Aff. : Affaire AISBL : Association internationale sans but lucratif AOC : Appellation d’origine contrôlée

BverfGE : Bundesverfassungsgerichts

C2D : Centre d’études et de documentation sur la démocratie directe CDU-CSU : Christlich-Demokratische Union/Christlich-Soziale Union (Allemagne) CE : Communauté européenne CECA : Communauté européenne du charbon et de l’acier CES : Confédération européenne des syndicats CESE : Comité économique et social européen CIA : Central Intelligence Agency CIG : Conférence Intergouvernementale CJCE : Cour de Justice des Communautés européennes CONNECS : Consultation, la Commission européenne et la société civile COREPER : Comité des représentants permanents

DG : Direction générale DUDH : Déclaration universelle des droits de l’Homme

EB : Eurobaromètre EC : European Community EP : ERT : European Round Table of Industrialists ESB : Encéphalopathie Spongiforme Bovine (maladie de la vache folle) EU :

FIA/AIT : Fédération internationale du automobile/Alliance internationale du tourisme

GATT : Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce GONGO : Government oriented non-governmental organisation

JOCE : Journal officiel des Communautés européennes

KKE: Parti communiste de Grèce

MEP : Member of the European Parliament MSF: Médecins sans frontières NEM : Nouveaux États membres NGO : Non-Governmental Organisation

ODS : Parti civique démocrate (République tchèque) OMC : Organisation mondiale du commerce ONG : Organisation non gouvernementale ONU : Organisation des nations unies

xv Liste des acronymes et abréviations

PAC : Politique agricole commune PCF : Parti communiste français PCP : Parti communiste portugais PE : Parlement européen PECO : Pays d’Europe centrale et orientale PTCE : Projet de traité établissant une Constitution européenne

Rec. : Recueil de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communauté européenne RFA : République fédérale d’Allemagne RI : Règlement interne du Parlement européen RSF : Reporters sans frontières RUDH : Revue universelle des droits de l’Homme

SPA : Société protectrice des animaux

TCE : Traité instituant la Communauté européenne TPI : Tribunal de première instance TUC : Trade Union Coordination TUE : Traité sur l’Union européenne

UDF : Union pour la démocratie française (France) UE : Union européenne UEF : Union européenne des fédéralistes UEM : Union économique et monétaire UMP : Union pour un mouvement populaire (France) UN United Nations UNICE : Union des Industries de la Communauté européenne

Les pays membres

BE : Belgique BG : Bulgarie CZ : République tchèque DK : Danemark DE : Allemagne EE : Estonie EL : Grèce ES : Espagne FR : France IE: Irlande IT : Italie CY: Chypre LV : Lettonie LT : Lituanie LU : Luxembourg HU : Hongrie

xvi Liste des acronymes et abréviations

MT : Malte NL : Pays-Bas AT : Autriche PL : Pologne PT : Portugal RO : Roumanie SI : Slovènie SK : Slovaquie FI : Finlande SE : Suède UK : Royaume-Uni

Les partis et groupes parlementaires européens

ADLE : Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe ARC : Arc-en-ciel ARE : Alliance radicale européenne CDI : Groupe de coordination technique et de défense des groupes et des parlementaires indépendants CG : Coalition des gauches COM : Groupe des communistes et apparentés DE : Démocrates européens DEP : Groupe des démocrates européens de progrès DR : Droites européennes EDD : Europe des démocraties et des différences EDN : Europe des Nations ELDR : Parti européen des Libéraux démocrates et réformateurs FE : Forza europa GUE : Gauche unitaire européenne GUE/NGL : Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique IND/DEM : Groupe de l’indépendance et de la Démocratie ITS : Groupe Identité, Tradition, Souveraineté L : Groupe libéral et démocratique NI : Non-inscrits PDE : Parti démocrate européen PPE : Parti populaire européen PPE-DE : Parti populaire européen et démocrates européens PPDE : Parti démocratique des peuples d’Europe – Alliance libre européenne PSE : Parti socialiste européen RDE : Rassemblement des démocrates européens TDI : Groupe technique des députés indépendants UEN : Union pour l’Europe des Nations V : Verts V/ALE : Verts/Alliance Libre européenne

xvii Liste des acronymes et abréviations

Les réseaux associatifs européens

ACN: Active Citizenship Network AIM : Association internationale de la Mutualité BEUC : Bureau européen des Unions de consommateurs CAN : Climate Action network Europe CECODHAS :Comité européen de coordination de l’habitat social CEDAG : Comité européen des associations d’intérêt général CEP-CMAF : Conférence européenne permanente des coopératives, mutualités, associations et fondations CEV : Centre européen de Volontariat COFACE : Confédération des organisations familiales de l’Union européenne CONCORD : Confédération européenne des ONG d’urgence et de développement EAPN : Réseau européen de lutte contre la pauvreté EASPD : Association européenne des promoteurs de services pour les personnes handicapées EBU : Union européenne des aveugles ECAS: European-Citizen-Action-Service EDF : Forum européen des personnes handicapées EEB : Bureau européen de l’environnement ENAR : Réseau européen contre le racisme EPHA : Alliance européenne pour la santé publique ESAN : Réseau européen d’action sociale FACE : Fédération des associations de chasse et conservation de la faune sauvage de l’UE FEANTSA : Fédération européenne des associations travaillant avec les sans-abri FEAP : Forum européen pour les arts et le patrimoine FIDH: Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme IAN : Internationale des Amis de la Nature LEF : Lobby européen des femmes OMCT: Organisation mondiale contre la torture T&E : Fédération européenne pour le Transport et l’environnement WWF : Fonds mondial pour la Nature (WWF)

xviii

Liste des tableaux

0.1. Évolution et conditions du parlementarisme occidental 0.2. Tableau des hypothèses 1.1. Définitions des termes de la représentation 1.2. Losange des formes de la représentation politique 2.1. Règles générales pour un statut des associations dépendant des voucher 2.2. Fonctions des associations dans les différentes versions de la théorie associationniste 3.1. Les réseaux représentationnels dans l’UE 3.2. Les démocraties réelles : les deux voies 3.3. Ratio des commissaires issus du Parlement européen 3.4. Motions de censure 3.5. Les options du parlementarisme européen 4.1. Taux de représentativité au Parlement européen par États-membres 4.2. Taux de participation aux six élections européennes (en %) 4.3. Nombre d’États dans les tranches de participation aux élections européennes 4.4. Résumé des vecteurs politiques et socio-économiques favorisant la participation 4.5. Les députés européens et la conception de leur rôle 4.6. Ratio des députés par nombre de commissions 5.1. Évolution des groupes politiques européens et par famille/alliance politique 5.2. Nombre d’États par tranche au sein du PPE-DE et du PSE 5.3. Parti européen et groupe parlementaire 5.4. Adéquation entre les systèmes politiques 6.1. État de la situation des intergroupes dans les États membres en 1996 6.2. Évolution de la clef de répartition 8.1. Cartographie des associations de transformation sociale 8.2. Critères d’identification de la société civile 8.3. Associations représentatives par secteur d’activité 8.4. Les voies pour la gouvernance européenne et la société civile 9.1. Les défaillances multidimensionnelles du Parlement européen 9.2. Les raisons pour améliorer la participation des organisations de la société civile dans le processus décisionnel de l’UE. 10.1. Évolution des intergroupes officiellement enregistrés entre la Vème et la VIème 11.1. Critères de représentativité au niveau européen 11.2. Organisation des associations européennes 11.3. Les différents domaines d’intérêts et leur classement selon les institution 11.4. Thématiques retenues et liens avec les intergroupes 11.5. Schéma sommaire de l’organisation des commissions associatives 11.6. Les différents modes d’association à la société civile 11.7. Nouveau trio agrégatif 11.8. Le nouveau modèle démocratique 12.1. Tableau des hypothèses et références principales de l’analyse 12.2. Les modèles démocratiques comparés 12.3. Schéma de la décision d’attribution n.1. Élections européennes en Grande-Bretagne depuis 1979 : progression des partis

xix

Introduction générale

21

Introduction générale

Entreprendre une analyse de la représentation et de la légitimité de l’Union européenne paraît superflu en raison de la production scientifique en la matière, ainsi que des aspects normatifs que cela entraîne. En effet, la construction intellectuelle sur ce sujet va souvent de pair avec un objectif de modélisation pour proposer une solution originale. Ainsi, l’argumentaire a une part de normativité indéniable. Cela est d’autant plus vrai en raison des sujets souvent débattus dans les études européennes, comme ceux relatifs au demos européen, au déficit démocratique ou, encore, au rôle des institutions européennes.

Nous appréhenderons ces débats en nous appuyant sur le cadre d’analyse général de la démocratie avec ces deux composantes majeures que sont la représentation et la légitimité. Ces deux notions sont par nature polysémiques. Par conséquent, nous devrons tenir compte des multiples significations données en fonction des acteurs analysés. Par exemple, l’élection est un facteur de légitimité pour un Parlement, alors que dans le cadre de la société civile, il s’agit de la représentativité et de l’efficacité.

Pour placer notre recherche sur l’Union européenne sous un angle original, notre analyse s’articule autour de deux axes. Le premier se fonde sur une étude de la démocratie représentative au sein de l’Union européenne, et au premier chef du Parlement européen. Le second axe intègre le concept de société civile européenne, et en quelque sorte la démocratie participative, au sein du modèle représentatif parlementaire. Ainsi, on peut formuler notre question générale de la manière suivante :

La société civile européenne n’est-elle qu’un rassemblement de groupes d’intérêts ou porte-elle un renouveau du modèle représentatif capable d’engendrer des intérêts généraux et participant à des décisions législatives ?

Pour répondre à cette interrogation, nous devons construire un cadre théorique sur la société civile qui reposera sur deux approches, celle de la démocratie associative et le pluralisme. Ces dernières permettront de développer une perspective originale du rôle de la société civile dans la gouvernance européenne. L’étude de la gouvernance s’inscrit aussi dans un cadre institutionnel particulier où l’on voit l’intervention de divers acteurs comme la Commission européenne ou le Parlement européen. Leurs travaux seront donc notre point d’appui pour comprendre le rôle de la société civile au niveau européen. Finalement, entre société civile et institutions, notre objet d’étude est une meilleure compréhension de la gouvernance européenne, notamment au sein du Parlement européen, institution paradigmatique de la démocratie européenne.

22 Introduction générale

1. Représentation et légitimité : De l’inclusion de l’associationnisme

La représentation est un mode de fonctionnement de la démocratie. Ainsi, la question générale de notre travail sous-tend un vaste ensemble qui va de la théorie démocratique à celle de la représentation. D’un point vue étymologique, la démocratie signifie l’exercice du pouvoir par le peuple. Toutefois, le terme ‘peuple’ n’est pas aussi simple à définir, comme le démontre Sartori (1987, 21-28) en relevant les différentes acceptions qui pourraient être utilisées 1. La seconde partie du terme démocratie, soit kratos (pouvoir/autorité), est aussi très importante (1987, 28-38). En effet, il s’agit de s’interroger sur la manière dont peut s’exercer ce pouvoir. L’histoire de la démocratie démontre une multitude de méthodes d’application allant de la démocratie athénienne à la démocratie représentative contemporaine en passant par les principes contenus dans le Contrat social , ce qui nous interpelle quant à la nature et à l’exercice de la démocratie.

Cet aspect essentiel rappelle que la démocratie est une méthode politique qui s’appuie sur des principes. Carole Pateman (1970, 14) en résume les aspects essentiels :

« In the theory, ‘democracy’ refers to a political method or set of institutional arrangements at the national level. The characteristically democratic elements in the method is the competition of leaders (élites) for the votes of the people at periodic, free election. Elections are crucial to the democratic method for its primarily through elections that the majority can exercise control over their leaders. Responsiveness of leaders to non-élite demands, or ‘control’ over leaders, is ensured primarily through the sanction of loss of office at elections; the decisions of leaders can also be influenced by active groups bringing pressure to bear during inter-election periods. ‘Political equality’ in the theory refers to universal suffrage and to the existence of equality of opportunity of access to channels of influence over leaders. Finally, ‘participation’, so far as the majority is concerned, is participation in the choice of decision makers. Therefore, the function of participation in the theory is solely a protective one; the protection of the individual from arbitrary decisions by elected leaders and the protection of his private interests. It is in its achievement of this aim that the justification for the democratic method lies ».

Du fait du rôle de la participation, l’élection devient un élément central de la démocratie car elle est un outil de la légitimité. Cette dernière est produite seulement si elle provient de la base, c’est-à-dire qu’elle est l’émanation du vœu populaire (Sartori, 1987, 34). En bref, l’élection est une garantie de fonctionnement de la démocratie car elle permet de sélectionner et de sanctionner. Néanmoins, la période actuelle est plutôt marquée par une crise de confiance politique, comme le révèle l’augmentation de l’abstentionnisme, surtout dans les élections secondaires, et du manque de ‘confiance’ des citoyens envers leurs dirigeants et représentants. Il existe également une remise en cause de leur légitimité par le fait même que l’instrument électoral semble ‘en panne’. De facto , la qualité de la représentation se trouve altérée.

Pour comprendre la crise de confiance, nous devons revenir sur la signification de la représentation. Bien que la définition soit controversée, nous pouvons relever des éléments communs à toutes les théories. Il s’agit de la règle de la majorité et, par

1 Il existe le peuple comme tout le monde, le peuple comme une grande partie, le peuple comme les classes ouvrières, le peuple comme un tout organique, le peuple comme l’expression du principe de majorité absolue ou comme l’expression du principe de majorité limitée (Sartori, 1987, 22).

23 Introduction générale corollaire, du fait que les représentants agissent dans l’intérêt des représentés (Manin et al. , 1999, 2). D’un point de vue moral, la représentation se caractérise, pour Pitkin (1967, 209-240), comme une action pour le meilleur intérêt général. Afin d’œuvrer dans ce sens, des institutions ont été mises en place avec des gardes-fous. Ainsi, la structure est établie autour de trois principes directeurs : élections, liberté de discussion des citoyens sans instructions contraignantes aux gouvernants (mandat non impératif) et des gouvernants soumis à des élections périodiques.

On peut aussi s’interroger sur les raisons pour lesquelles les gouvernements représentent les intérêts du peuple. À la lecture de Manin, Przeworski et Stokes (1999), on peut en dénombrer quatre. La première est du domaine de l’éthique, et n’est pas propre à la démocratie, c’est l’esprit du service public (don de soi). La deuxième et la troisième reprennent les conditionnalités du vote et de l’élection, soit le choix des citoyens en fonction des intérêts et motivations et, en cas de divergence avec la plus grande partie des citoyens, l’acceptation de la sanction du vote. Quatrièmement et finalement, la règle de la séparation des pouvoirs ( check and balance ) permet à une société démocratique de vivre pleinement (Manin et al. , 1999, 3-4). Ainsi, les termes directement associés à la démocratie et à la représentation sont : capacité de réaction ( responsiveness), responsabilité ( responsibility) et imputabilité ( accountability )2 (Manin et al. , 1999, 5-16).

Comme nous l’avons vu, le fonctionnement de ce mécanisme est actuellement remis en question. D’ailleurs, on assiste à l’émergence de nouveaux acteurs, souvent regroupés sous le terme de société civile, qui agissent sur la scène politique. Il est aussi frappant de constater le développement récent des outils de la démocratie participative. On peut qualifier la phase actuelle de confrontation entre les modernes et les anciens. Les premiers s’appuient sur la volonté populaire dans le cadre d’une participation directe, avec une légitimité importante, et les deuxièmes sont les tenants de l’approche historique de la démocratie représentative et recherchent les moyens institutionnels d’améliorer la participation en préservant le système.

La question de la participation directe n’est pas nouvelle. Rousseau est une des références en la matière, même si les données du débat contemporain sont très éloignées du Contrat social 3. Il s’agit pour de nombreux auteurs de faire état du pluralisme social dont la représentation ne peut pas pleinement rendre compte. En effet, en termes d’information, de formation et d’origine, le décalage entre les élus et la population est extrêmement important. Ainsi, le pluralisme doit trouver une voie d’expression en dehors des canaux classiques de la démocratie, comme dans le cadre associatif.

Depuis le XIXème siècle, de nombreux écrivains politiques se sont penchés sur le cas du pluralisme politique en tentant d’inclure une participation plus large des corporations. Ce débat prit notamment forme en Angleterre, autour d’esprits comme Laski, Cole ou Figgis, où l’on retrouve cette phrase significative : Railways is as real

2 Lors de ce travail, nous utiliserons généralement le terme anglais d’ accountability . La traduction par imputabilité est insatisfaisante, car il y manque la nuance de la ‘remise des comptes’ présente dans le terme original. 3 Nous pouvons citer en exemple cette citation sur le question de la représentation : « […] Le souverain, qui n’est qu’un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même […] » (Rousseau, (1977) [1762], 192).

24 Introduction générale as Lancashire . De cette époque, il reste des projets de ‘Chambre des corporations’ en complément des ‘Chambres territoriales élues’. Les contributions de l’associationnisme (Hirst, 1993 : Saward, 2000), comme théorie normative de la société, définissent la liberté et le bien-être de l’Homme possibles par une prise en main des affaires de la société par des associations qui s’autodéterminent ( self- governed ) démocratiquement (Hirst, 1993, 112). Cette théorie considère comme acteur principal la société civile. Néanmoins, c’est un acteur dépendant. En effet, il faut également une puissance publique en charge de la définition du cadre général et qui assume des fonctions de pacificateur des relations sociales et d’arbitre. Ainsi, il devient un gardien plus qu’un prestataire de services. Ce dernier rôle devient l’apanage de la société civile. Toutefois, l’objectif n’est pas de réduire les politiques publiques, bien que sur la forme, elles cessent d’être directement administrées par l’État. Par ailleurs, le modèle de private interest government , proposé par Wolfgang Streeck et Philippe Schmitter (1985, 25-6), va aussi dans le sens où l’État est plus que jamais nécessaire et doit être renforcé dans ses structures d’encadrement. Philippe Schmitter fait également une proposition forte, en vue d’une certaine inclusion associative au sein du jeu politique avec le voucherisme , option qui propose une redistribution financière de la manne étatique en fonction des choix des citoyens.

Le rapport au pluralisme et la préservation des droits des minorités ont fait l’objet de nombreux débats. On peut observer deux approches, celle dite Directly Deliberative Polyarchy ( DDP ) de Cohen et Sabel (1997) 4. Cette dernière consiste à développer l’engagement participatif des citoyens, sous la forme de comités de citoyens locaux avec un système réticulaire national. Le risque principal est la confiscation de la démocratie par les associations. En d’autres termes, on remplacerait un système oligarchique (des partis) par un autre (des associations) (Magnette, 2006b, 32-36).

L’autre approche, que nous privilégierons dans notre travail, est l’analyse de Arend Lijphart (1977 ; 1999) quant à la démocratie consociationnelle. Le principe ici est de proposer l’opposé du système majoritaire tel que représenté par le modèle de Westminster 5. En cherchant à démontrer la ‘démocratie non majoritaire’, Arend Lijphart analyse les gouvernements de coalition, la mise en place des élections proportionnelles et l’autonomie des acteurs. En d’autres termes, il s’agit d’encadrer l’expression du pluralisme de la société dans un cadre démocratique classique.

4 On peut noter cette définition donnée par les auteurs : « In directly-deliberative polyarchy, collective decisions are made through public deliberation in arenas open to citizens who use public services, or who are otherwise regulated by public decision. But in deciding, those citizens must examine their own choices in the light of the relevant deliberations and experiences of others facing similar problems in comparable jurisdictions or subdivisions or government. Ideally, then, directly-deliberative polyarchy combines the advantages of local learning and self-government with the advantages (and discipline) of wider social learning and heightened political accountability that result when the outcomes of many concurrent experiments are pooled to permit public scrutiny of the effectiveness of strategies and leaders. […]. The arrangements are not conventionally public because, in solving problems, they operate autonomously from the dictates of legislatures or public agencies; they are a bit conventionally private in that they do exercise problem-solving powers, and their governance works through discussion among citizens rather than the assignment of ownership rights. At the same time, they do not presuppose a successful, densely-organised, trust-inspiring network of associations » (Cohen et Sabel, 1997, 314-316). 5 Le parlement de Westminster est, comme nous le verrons plus tard, l’archétype même du système parlementaire majoritaire.

25 Introduction générale

Ces éléments se placent différemment sur l’échelle théorique de la démocratie et de son rapport avec la représentation, mais cherchent tous à assurer une certaine expression du pluralisme. Comme nous le verrons, l’école associationniste a un point de départ conflictuel avec la démocratie représentative classique, mais les études plus contemporaines, comme celles de Hirst, ont développé un modèle de complémentarité. Dans notre analyse, nous nous appuierons principalement sur cette approche, car elle s’inscrit dans un cadre institutionnel précis en proposant des modes coopératifs avec la démocratie représentative territoriale. Ce dernier point est essentiel, attendu que nous partons du présupposé que le parlement, en raison de l’élection au suffrage universel, est le principal lieu du pouvoir représentatif. En effet, il s’agit de l’ultime responsable étatique envers le peuple des lois et réglementations qu’il promulgue.

Un des éléments principaux repose sur le constat que la légitimité démocratique n’est pas acquise automatiquement par la représentation. En effet, différentes conditions doivent être prises en compte afin de garantir le pacte social entre les citoyens, et, que ces derniers reconnaissent les décisions prises en leur nom, comme le rappelle le début de nombreuses constitutions d’États démocratiques. Par conséquent, la mise en œuvre d’un pacte social dépend, entre autre, de l’intégration du pluralisme qui compose la société, ce qui est d’autant plus vrai dans le cas de l’Union européenne. Ainsi, l’étude de la gouvernance européenne en dépend en large partie.

26 Introduction générale

2. De la gouvernance européenne et du rôle du Parlement européen

L’évolution de la gouvernance européenne 6 se caractérise actuellement par de multiples initiatives en direction du citoyen et de la société civile. Le débat sur le ‘déficit démocratique’ a rendu nécessaire une nouvelle réflexion sur la manière de ‘faire l’Europe’. Au débouché de celle-ci, nous distinguons deux démarches. La première est la voie institutionnelle 7 avec la réforme de l’Union et la mise en place de partis politiques européens. La seconde est celle de l’inclusion de la ‘société civile organisée’ dans les grands débats. Cette dernière évolution emprunte différents canaux de représentation plus ou moins institutionnalisés (Convention, lobbying 8, intergroupes, etc.). C’est dans ce cadre analytique particulier que l’on peut appliquer les approches pluralistes et démocratiques.

En voie de construction, tant au sens politique et institutionnel qu’identitaire, l’Union offre un véritable laboratoire d’expérimentation. C’est à ce titre qu’on va pouvoir analyser la question de la représentation, à l’instar d’Edgar Grande qui perçoit aussi (2000, 117) l’UE comme un bon cas d’étude pour expérimenter les nouvelles formes de la démocratie. Premièrement, l’UE n’est pas un État, mais détient certaines compétences quasi étatiques. Ainsi, sans être un État, elle est plus qu’une organisation internationale classique. Deuxièmement, les États membres sont tous démocratiques et respectent donc certaines règles de fonctionnement. Cet élément revêt beaucoup d’importance dans la dynamique institutionnelle européenne en raison de sa direction générale tournée vers les respects des principes démocratiques (notamment avec un Parlement élu).

Du fait de son particularisme institutionnel, l’évaluation de la démocratie dans l’UE dépend en grande partie des critères utilisés (basés sur la démocratie nationale ou sur des principes communs aux organisations internationales). Edgar Grande (2000, 118- 119) rappelle que si l’on utilise les critères minimaux de la démocratie, soit la tenue d’élections concurrentielles régulières au suffrage universel sans fraude avec les garanties des libertés civiles, alors l’UE est une démocratie pleine et entière. Par contre, si l’on ajoute un critère comme le monopole du pouvoir au sein d’un gouvernement élu, nous arrivons à une première limite de l’UE démocratique. En effet, le pouvoir exécutif est fragmenté entre le Conseil et la Commission, ayant chacune des légitimités différentes, ce qui implique un partage des tâches oscillant entre coopération et compétition.

Il existe également une série d’arguments opposés à la capacité même de l’UE à devenir démocratique, notamment celui considérant que le déficit démocratique n’est pas un problème institutionnel mais structurel de l’UE. Pour Grande, il s’agit le plus souvent de constater que le modèle de la démocratie représentative majoritaire n’est pas transposable en tant que tel à l’UE (2000, 120). Si l’on prend les principes phares de la démocratie (décision à la majorité, adhésion à la représentation), on constate que

6 Lire l’avis du CESE 535/2001, 3-6, pour une définition du terme gouvernance, et de son emploi dans le cadre de la gouvernance européenne en particulier. 7 Il s’agit entre autres des différents rapports émis par la Commission (comme le Livre Blanc sur la Gouvernance) ou par le Parlement européen. 8 Au sein du lobbying, nous trouvons des pratiques quasi institutionnelles considérées comme corporatistes et d’autres peu institutionnelles considérées comme pluralistes.

27 Introduction générale son acceptation dépend de pré-conditions comme celle, cruciale, sur l’existence d’un demos européen.

A contrario , Andrew Moravcsik (2002) observe que le déficit démocratique est le plus souvent exagéré. En s’appuyant sur une étude empirique, il défend la thèse que trop souvent l’interprétation des politiques européennes est déplacée, car les critères d’analyse sont biaisés. Pour lui, l’UE doit principalement améliorer son efficacité à délivrer des politiques publiques, car il s’agit du seul moyen d’impliquer les citoyens dans les questions européennes. En quelque sorte, c’est la poursuite de la politique de maximiser l’ output legitimacy 9 qui permet de lancer l’ input legitimacy 10 . Sur ce dernier point, Andrew Moravcsik n’analyse pas la question du ‘peuple européen’. Cela s’explique pour Paul Magnette par le fait que Moravcsik résume le problème de l’UE à son incapacité à délivrer les politiques attendues par les citoyens, et, par conséquent, en considérant le déficit démocratique comme un leurre (2006b, 24). Cette approche est l’intergouvernementalisme libéral. En effet, de ce point de vue, le déficit démocratique n’existe pas et l’UE est légitime car les États membres restent en charge du contrôle et de l’attribution de compétences. Ainsi, la face input de la démocratie est assurée au niveau national, et l’ output s’effectue au meilleur niveau par l’application du principe de subsidiarité.

La spécificité de la démocratie dans l’UE a forcément des impacts sur l’organisation de représentation. Edgar Grande reprend les points principaux des problèmes que rencontre l’UE en raison de ses particularités structurelles, entre supranationalisme et intergouvernementalisme. Ainsi, Edgar Grande décrit trois éléments qui engendrent des conséquences sur l’application de la démocratie européenne :

« First and most obvious is the lack of responsiveness of the elected members of the European parliament to the preferences and interests of their constituents. This is a common problem in parliamentary democracies, but in the case of the EU it has a unique cause. In the ideal model of representative democracy, it is mainly the function of intermediary organizations (especially political parties) to link representatives and their constituents by identifying and aggregating citizens’ preferences and interests. We may doubt whether political parties actually perform this function properly in national democracy, but, in the EU, comparable intermediary organizations do not yet exist.[…] The second and more basic difficulty is that applying the principle of representation to the multilevel system of European decision making leads to structural gaps of accountability and deficits of individual control. Difficulties of control and accountability are inherent in any complex organization. They are far more acute in the case of the EU, however, because the multilevel structure of the decision-making system greatly increases the complexity of the policy process.[…] Another problem arises from the multilevel structure of the decision-making process. If the decision-making process is not organized hierarchically and controlled from the top, and in the EU it is not, then the parliament of the respective level is able to control only part of the decision-making chain. Hence, irrespective of the scope of the legal competencies of a European parliament, it will

9 L’output legitimacy est respectée quand l’Union prend une décision correspondant à l’attente des citoyens de façon conforme à son cadre ‘constitutionnel’ (Scharpf, 1999). Il y a ici évidemment un rapport avec l’efficacité de la politique pour autant qu’elle respecte le cadre institutionnel. Une décision européenne, même efficace, en-dehors de ce cadre ne pourrait pas être considérée comme légitime. 10 L’ input legitimacy se définit par le respect des processus démocratiques qui conduisent aux décisions politiques (Scharpf, 1999). En effet, cela permet de légitimer la décision. Comme cela comprend le cadre représentatif, on peut considérer aussi comme faisant partie de ce versant de la légitimité les conditions de l’existence d’une population (identification d’un demos ) ainsi que de procédures librement acceptées par tous.

28 Introduction générale not be able to control the entire policy process in a multilevel decision-making system. The consequences are obvious. If the democratic legitimacy of the policy process were to be based exclusively on the accountability of parliament, representatives would be held responsible for decisions over which they did not have complete control. In brief, one of the major premises of the principle or representation would not be fulfilled.[…] The problem is that demands for transparency and openness are incompatible with the functional requirements of consensus democracy, which, as I contend, is the appropriate model for the EU.[…] In sum, transferring the model of representative democracy from the nation-state to the multilevel system of European decision making produces two structural deficits. First, the system’s lack of responsiveness to the preferences and interests of the citizens hampers the democratic process; second, the system’s lack of control and accountability weakens democratic legitimacy » (Grande, 2000, 125-127).

Plus tôt, nous avons défini les termes entourant la démocratie, et comme le démontre Grande, il existe actuellement des problèmes avec deux des trois, l’ accountability et la responsabilité. Dès lors, on retrouve un décalage au sein du système politique de l’UE. Afin de remédier en partie à ces aspects et pour remettre le citoyen au cœur du système européen, l’UE a développé diverses stratégies. La plus connue est celle de la gouvernance et de l’implication de la société civile. Pour Adrienne Héritier (1999), l’UE, notamment la Commission, utilise deux modèles alternatifs de légitimation 11 , l’usage de la transparence et le recours aux réseaux organisés. Dans ce dernier cas, la Commission a souvent encouragé ce type de développement. Il s’agit d’une participation à l’élaboration de politiques publiques. En effet, au contraire de l’approche de Moravcsik, pour l’UE le problème démocratique principal se situe au niveau de l’ input . Sudbery perçoit trois raisons à ce problème. Il s’agit d’un manque d’un espace public de discussion, de réseaux de représentation et d’un demos (2003, 83). Dès lors, une solution institutionnelle ne peut suffire, et la reprise des institutions de l’État-nation ne permettra pas de dépasser la barrière de l’ input legitimacy . Par conséquent, nous devons rechercher des solutions originales qui ne sont pas basées sur les expériences nationales.

Ainsi, pour synthétiser, l’Union européenne comporte de multiples intérêts pour l’étude de la démocratie, en raison même de ses difficultés à régler les questions de l’identification d’’un peuple européen’ et, paradoxalement, par le développement continu de ses compétences. En effet, cet élément est en perpétuelle amélioration avec les différents moyens donnés à l’UE en termes de politiques publiques. Néanmoins, cette croissance de compétences va de pair avec l’émergence des problèmes politiques que posent l’UE. Sur ce sujet, l’analyse de Grande et celle de Greenwood (2004, 145) donnent trois raisons aux problèmes structurels rencontrés par l’UE. Premièrement, on doit relever l’absence de partis politiques européens de masse. Cet élément engendre plusieurs conséquences, le débat européen se déroule au niveau national et donc les enjeux sont ‘dé-européanisés’. De plus, il n’existe pas de parti majoritaire gouvernemental. Ainsi, le consensus entre les groupes parlementaires et les négociations avec les États rendent difficile la lisibilité du scrutin. Dès lors, un changement de gouvernement dans l’UE ne passe pas par les élections européennes. Deuxièmement, il n’existe pas un grand média européen qui permettrait de rendre compte des décisions, mais également d’être un espace de débat ‘identificateur’. Troisièmement, le système de décision n’est pas clair pour l’ensemble des citoyens.

11 On peut les considérer alternatifs, car la légitimation principale de la Commission européenne est inscrite dans les traités européens. L’usage d’autres moyens n’est pas prévu dans le cadre ‘constitutionnel’ au sens strict.

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Dans ce cas, la complexité institutionnelle nuit au processus d’identification et de compréhension.

Ce manque de lisibilité entraîne une situation inédite où on doit analyser le sens d’un Parlement élu au suffrage universel, mais sans peuple, d’où la nécessité scientifique de rechercher d’autres voies d’interprétation de la démocratie européenne. Néanmoins, alors que cette institution ne ménage pas ses efforts pour se faire connaître du public 12 , on constate une baisse d’intérêt des votants caractérisée par un déclin de la participation aux élections (Delwit, 2000). Par ailleurs, on peut observer un phénomène de mécontement européen exprimé dans les urnes et dans la rue. Ainsi, la situation actuelle peut aussi être interprétée par une remise en cause du système basé sur le principe d’une représentation classique par les partis, et l’émergence du souhait d’une meilleure prise en compte des pratiques sociales. Par conséquent, on doit s’interroger sur un nouveau rapport à la politique et à la démocratie.

Dans ce contexte général, au sein de l’UE, l’étude du Parlement européen se justifie pour plusieurs raisons. Premièrement, il s’agit d’un endroit investi uniquement par des groupes politiques sans organisations partisanes les soutenant. En effet, il existe des groupes politiques parlementaires européens avec des élus dépendant de partis politiques des États membres. Deuxièmement, ce lieu est un point de rencontre des traditions politiques, un lieu d’expérimentation politique unique. Troisièmement, c’est une institution jeune qui est encore en train de gagner des compétences dans le triangle institutionnel. Finalement, comme le rappelle Corbett, le Parlement européen n’est pas un parlement comme les autres : « Il ne s’agit pas de la place de rencontre, le centre des débats et le lieu de la vie publique comme dans les États membres. Il est perçu comme distant et son caractère multilingue réduit les possibilités de déchirement et de drame dans les débats. De plus, il s’inscrit dans un système institutionnel très complexe à appréhender » (Corbett et al. , 2000, 293 [trad. par l’auteur]).

Le particularisme du Parlement européen se retrouve dans la dynamique générale de l’histoire des parlements. En observant le tableau 0.1, on constate que le Parlement européen rejoint une histoire importante ‘en cours de route’. Ainsi, il se retrouve directement propulsé dans la période d’adaptation et de survivance des parlements. De surcroît, son action est à contre-courant vu qu’il est toujours dans une dynamique de gain de compétence, et, en quelque sorte de crédibilité, alors que les parlements nationaux sont dans une optique de contrôle de l’exécutif aux dépens de leurs compétences législatives. Malgré cela, on retrouve au sein du parlementarisme européen, comme dans les autres, les mêmes raisons de la pérennité, alors que l’imperfection de son fonctionnement et la continuité du déficit démocratique pourraient amener une inflexion institutionnelle dans une autre direction comme vers un affaiblissement au profit des parlements nationaux par exemple. Néanmoins, la place symbolique du Parlement européen et son évolution démontrent qu’il se situe bien dans une logique parlementaire classique tout en devant développer de nouveaux moyens de délibération et de légitimation.

12 Nous citerons en exemple les bureaux d’information dans les États membres, une politique de transparence développée, le large accès aux documents, et la possibilité d’adresser une pétition.

30 Introduction générale

Tableau 0.1. Évolution et conditions du parlementarisme occidental

Les quatre phases du Montée en puissance des parlements face aux souverains ; parlementarisme Toute-puissance des chambres dont la plus forte incarnation est Westminster ; Déclin des parlements ; Adaptation et survivance. Les sources de la Montée en puissance des exécutifs avec pour corollaire, maîtrise de mutation des la compétence de l’expertise par la bureaucratie ; parlements Soumission du jeu politique aux partis, partitocratie ; Recours généralisé à l’expertise ; Tournant néo-libéral (dérégulation et réduction des champs de compétences) ; Retour du corporatisme ; Remise en cause du monopole de la représentation (perte du rôle d’animateur de l’espace public, dimension plébiscitaire et charismatique ( leader ), démocratie directe, judiciarisation du systme (juge constitutionnel)) ; Globalisation, régionalisation,… ; Décentralisation (perte de compétences au profit des régions). Adaptation (type de Nostalgique ; réaction) Laissez-faire ; Composer avec la nouvelle gouvernance ; Médiatisation et arbitrage ; Associer les nouveaux acteurs. Adaptation Contrôle des exécutifs et moins rôle de législateurs ; Partitocratie ; Haute technicité ; Néolibéralisme à modérer ; Ultra présence du corporatisme, pacifier dans les parlements ; Groupes d’intérêts s’orientent vers les parlements. Raisons de la Légitimité dont jouissent les parlements ; pérennité Importance du pouvoir symbolique ; Efficacité intrinsèque à la logique délibérative ; Implication croissante des parlementaires dans leur mandat. Perspectives Améliorer les capacités de contrôle des parlements ; Améliorer les capacités d’expertises et d’analyses ; Améliorer le rapport avec la société civile. Source : Costa et al. , 2004, 9-29.

À ces éléments, il faut ajouter au niveau européen la position du Conseil économique et social européen (CESE), qui cherche toujours une reconnaissance forte de la société civile et qui a surtout repris à son profit le concept de société civile organisée. Le CESE se place dans la logique où le Parlement représente une légitimité territoriale tandis que le Conseil représente la légitimité organique avec la participation des syndicats et du patronat 13 .

La réflexion du CESE et de la gouvernance en général amène de nombreuses questions. En effet, la représentation démocratique doit-elle être partagée ? Est-ce possible de vouloir priver le parlement de l’exercice de la démocratie organique ? Ces interrogations doivent être encadrées par l’avertissement que donne Magnette. Il

13 Entre autres CESE 851/99, CESE 811/2000, CESE 535/2001.

31 Introduction générale rappelle que si l’approche parlementaire classique ignore souvent le rôle des acteurs non-institutionnels dans l’UE, il ne faut pas tomber dans l’autre biais qui consiste à les surestimer au point de négliger les mécanismes classiques de la représentation (2006b, 23). Il s’agira dans cette thèse de tenir compte de ces nombreux éléments pour affiner la place des associations sans sous-estimer le rôle d’acteurs classiques, comme les partis politiques.

32 Introduction générale

3. Hypothèses de travail

Pour répondre à notre question générale, nous allons fonder cinq hypothèses. La première d’entre elles est relative au présupposé que l’Union européenne est de nature sui generis (H1). Ainsi, l’analyse de la représentation, et en particulier du parlementarisme, devra se faire sur d’autres outils que ceux classiquement utilisés pour comprendre les systèmes politiques étatiques. À cette fin, nous emploierons l’approche du semi-parlementarisme, en dégageant les principales caractéristiques de la représentation de l’UE. En la matière, il s’agit d’utiliser comme indicateurs les principes applicables à un parlement, notamment la participation à l’exécutif et la capacité de sanction.

L’environnement européen est spécifique à plus d’un titre. Ainsi, on trouve un système institutionnel très complexe avec un Parlement élu, mais pas de partis politiques européens, et un espace public européen minimal. Par conséquent, la question de l’agrégation des demandes et de la dissémination de l’information entre les institutions et les citoyens deviennent des problèmes d’importance. C’est en partie le débat sur le déficit démocratique. Par contre, nous trouvons une société civile européenne organisée au niveau européen et très adaptée aux demandes des institutions. Ce n’est pas un hasard si les textes sur la gouvernance rappellent souvent la place que devrait prendre la société civile au sein de l’Union. Mais, cette place reste mal définie. Pour l’essentiel, les institutions proposent un rôle consultatif au sein de la ‘comitologie’ tout en demandant un engagement plus fondamental pour autant que les associations respectent dans leur fonctionnement des principes démocratiques. Dès lors, il semble important de clarifier d’une part le débat sur la représentation au sein de l’Union européenne, notamment au cœur du système parlementaire, et, d’autre part, le rôle que la société civile pourrait être amenée à jouer.

Il faudra aussi se pencher sur la question de savoir quel modèle démocratique est en discussion. En effet, la démocratie représentative implique un rapport vertical, alors qu’un autre aspect de la démocratie, l’aspect fonctionnel ou organique, implique un rapport horizontal. Ce dernier point se complique avec une démultiplication des allégeances du citoyen (Andersen et Burns, 1998, 228). D’ailleurs, divers intervenants de la vie publique, notamment les institutions européennes ou les médias, se tournent plus vers des groupements, comme le milieu associatif, que vers les partis politiques traditionnels. Ces nouveaux acteurs deviennent aussi des agents de souveraineté (Andersen et Burns, 1998). Il en ressort une tension accrue entre particularisme et intérêt général, qui conduit à une focalisation sur des sujets ciblés plus que sur des questions générales sur la société. Ainsi, comme le soulignent Bernard Manin (1996) et Peter Mair (1995, 42), la démocratie va vers une personnalisation des débats qui engendre des attitudes différentes face aux acteurs classiques de la représentation.

La quasi-absence de partis politiques européens ainsi que le processus dynamique de l’Union européenne laissent une porte d’opportunité pour une réflexion d’ensemble qui joindrait le discours de et sur la société civile avec les questions de la démocratie représentative. Nous pouvons développer deux hypothèses sur ce constat. La première (H2) repose sur le fait que les partis politiques européens ne trouveront pas leur place dans l’espace politique européen de la même manière que dans l’espace national. En effet, la concurrence défavorise inévitablement les partis européens au profit des

33 Introduction générale partis nationaux, très implantés et détenant toutes les compétences pour les élections. Il faudra par conséquent envisager d’autres alternatives pour les fonctions de proposition et d’agrégation des demandes dans la démocratie européenne. En fonction de cette dernière assertion et du Livre blanc sur la Gouvernance de la Commission européenne, on peut proposer l’hypothèse suivante (H3) qui reconnaît la société civile comme un futur intermédiaire crédible dans la gouvernance européenne entre le citoyen et les institutions. Ainsi, pour démontrer cette hypothèse, il faudra analyser si la société civile peut être partie prenante d’un processus démocratique et avec quelle légitimité. Il nous appartiendra ainsi de définir des critères de représentativité admissibles pour intervenir dans l’espace politique européen.

Cette démarche s’appuiera également sur une étude empirique. Il s’agit des intergroupes au Parlement européen. Nous proposons ce mécanisme comme la structure-type de ce nouveau dialogue en raison de la présence d’élus et d’associations. C’est aussi un bon reflet de la manière dont fonctionne le Parlement européen avec ses députés venant de vingt-sept États différents. En effet, la façon d’aborder et d’appréhender le lobbying, les interventions extérieures et la fonction même des intergroupes sont inhérentes à la culture politique. Traditionnellement, les pays nordiques 14 et anglo-saxons sont coutumiers de ce mode de fonctionnement, alors que l’on constate une certaine défiance de la part des députés provenant de la France et du Sud de l’Europe (Costa, 2001, 350 ; Dutoit, 2001, 31-32).

La place des intergroupes et leur importance au sein du Parlement sont relatives au positionnement de l’analyse. Nous pouvons adopter deux points de vue. Ainsi, pour les instances régulatrices du Parlement européen, le but est de mettre l’intergroupe le plus possible dans une position d’instance officieuse, qui doit éviter de provoquer une publicité autour de ses débats au risque de créer une confusion avec les instances officielles. De même, on peut considérer qu’il est perçu comme « au mieux un ‘exutoire’ sans utilité, et, au pire, comme une formalisation des lobbies ou l’instrument des ambitions politiques de leurs créateurs » (Costa, 2001, 350). Au-delà de la nécessité organisationnelle d’un parlement de plus de 700 députés, le débat porte aussi sur le principe de proscription du mandat impératif, comme le relève l’article 2 du règlement interne. Au contraire, les partisans des intergroupes au sein du Parlement voient l’utilité de cette structure en termes électoraux, mais aussi comme un moyen de représenter des intérêts peu pris en compte. Toute interdiction ou réglementation est perçue comme une restriction de leur liberté. Dans une certaine mesure, les intergroupes reflètent le problème que rencontrent les tentatives de mêler la société civile et le monde politique. En d’autres termes, comment chercher l’intérêt général en introduisant des méthodes de réflexion liées à un groupement en particulier.

14 À ce propos, il est particulièrement intéressant de relever l’entretien donné par le député d’origine finlandaise Alexander Stubb (PPE-DE) en charge du futur rapport sur le lobbying au Parlement européen sur le site www.europarl.europa.eu (http :www.europarl.europa.eu/news/public/story_page/008-12642-309-11-45-901- 20071105STO12638-2007-05-11-2007/default_fr.htm) ayant pour titre « Oui aux lobbys mais dans la transparence ». Dans cet entretien, il relève la nécessité des lobbies en termes d’information et d’expertise. Néanmoins, il faut, à son sens, plus de transparence sur les activités des groupes extérieures.

34 Introduction générale

La question de l’utilité et de l’influence des intergroupes peut être résumée en trois points. Premièrement, de nature relativement souple, cette structure permet d’exprimer des opinions souvent minoritaires au sein du Parlement européen. Dès les années quatre-vingt, des intergroupes ont évoqué la question de certaines politiques publiques et, grâce à leur travail, ces enjeux sont pour une part devenus prioritaire au sein de l’Union. Deuxièmement, l’intergroupe est non partisan. Cette particularité permet d’entreprendre un travail plus efficace, en rassemblant les députés partageant les mêmes intérêts, bien que n’étant pas du même parti ou de la même tendance politique. Sur ce point, les intergroupes fonctionnent comme les commissions parlementaires du Parlement européen, à la nuance près qu’un député devra défendre une position de groupe en commission, ce qui n’est pas le cas dans un intergroupe. Troisièmement, il est spécialisé, ce qui permet à des eurodéputés, cherchant des informations ou déçus de leur commission parlementaire attribuée, de faire un travail visible qui ait des répercussions compréhensibles aux yeux des citoyens, notamment par le biais d’une association (Costa, 2001, 346). Ainsi, l’étude des intergroupes s’apparente souvent à une étude d’un théâtre d’ombres et parfois de lumières. Fort de cette analyse, nous construirons principalement sur cette base un nouveau modèle structurant de la représentation applicable pour le Parlement européen.

En effet, notre idée est d’étudier les moyens de redonner aux parlements une place centrale dans la vie démocratique, alors que la représentation est remise en question. Le modèle post-parlementaire proposé par Andersen et Burns (1998) s’inscrit dans cette logique. Ainsi, nous disposons d’une nouvelle hypothèse (H4), qui consiste à énoncer que la représentation européenne aboutie n’est actuellement pas atteinte. Ainsi, il faudra employer les approches pluralistes qui permettront une prise en compte plus globale de la complexité de l’UE. On peut compléter H4 par une hypothèse finale (H5), qui postule que la démocratie participative et la démocratie représentative sont conciliables. Il est même d’ailleurs souhaitable de les rapprocher plutôt que de les opposer.

Dans le cadre spécifique de l’Union européenne et de par sa dynamique, nous prendrons l’hypothèse selon laquelle le Parlement est un lieu dit de ‘méta- souveraineté’ (Burns, 2000 ; Thuot, 1998 ; Andersen et Burns, 1998, 248-9), soit un endroit où les agents de souveraineté peuvent s’exprimer. Le parlement est le lieu du pouvoir, notamment en raison du fait qu’il s’agit de l’ultime responsable envers le peuple des lois et réglementations qu’il promulgue. Les réflexions liées à la gouvernance mettent particulièrement en exergue le terme anglais d’ accountability . Par contre, la société civile organisée n’est actuellement pas responsable face à un ‘souverain’. Par ailleurs, il faut constater que la société civile ne peut être que sectorielle, souvent synonyme d’efficacité, et ne peut pas être la dépositaire autonome de la légitimation démocratique. C’est donc en l’associant avec les élus ‘des territoires’ dans l’endroit réservé à la ‘représentation des peuples’ que nous pensons apporter une réponse au problème de la société civile. Ainsi, le Parlement pourra redevenir le lieu où se rejoignent le pouvoir et la société. Ceci permettra, selon nos hypothèses (H4 et H5), d’aboutir à un nouveau type de légitimation et, de par l’efficacité retrouvée, à une meilleure participation citoyenne dans la sphère politique.

Sur la base de ces hypothèses, nous pourrons entreprendre de répondre à une double question : comment la représentation, vecteur de légitimité, assure-t-elle la légitimité du Parlement européen, et quel serait le rôle de la société civile au sein du Parlement

35 Introduction générale européen dans un cadre représentatif. Autrement dit, pourquoi la représentation européenne ne s’identifie pas aux structures fondamentales (partis, institutions) mais aux structures informelles (société civile) ?

0.2. Tableau des hypothèses

Hypothèse 1 Le processus parlementaire européen est de nature différente que le processus parlementaire national. Hypothèse 2 Les partis politiques européens ne trouveront pas leur place dans l’espace politique européen de la même manière que dans l’espace national. Hypothèse 3 La société civile peut être perçue comme un futur intermédiaire crédible dans la gouvernance européenne entre le citoyen et les institutions. Hypothèse 4 La représentation européenne aboutie se concrétise dans l’approche pluraliste et post-parlementaire. Hypothèse 5 La démocratie participative et la démocratie représentative sont conciliables.

Pour répondre à cette double interrogation, nous proposerons dans la dernière partie de notre recherche la création de commissions parlementaires associatives. Cette nouvelle structure s’appuiera principalement sur les intergroupes et sur le projet ‘Agora citoyenne’ du vice-président de Parlement européen Gérard Onesta (FR, V/ALE). Il s’agit en quelque sorte d’officialiser le travail conjoint entre députés et société civile qui a déjà lieu sous différentes formes. Au lieu de rechercher un renforcement du CESE, ou de créer une ‘Chambre des intérêts’, nous affirmerons la place du Parlement européen au centre de ce dialogue sur la base de la théorie associative et post-parlementaire.

Le modèle de rencontre démocratique entre participatif et représentatif s’inscrit ainsi dans cette perspective. Les questions de l’organisation de la représentation et de l’efficacité, conduisant à plus de légitimité, seront également envisagées à l’orée de cette proposition. Nous l’avons dit, la recherche d’un nouveau modèle démocratique au niveau de l’UE est devenue une question d’actualité, notamment en confrontant la démocratie représentative et la démocratie participative. Si les partis politiques et les groupes ont pu émerger au XIXème siècle, il n’est pas impossible que, 150 ans plus tard, la démocratie doive se renouveler autour de nouveaux canaux représentatifs.

36 Introduction générale

4. Articulation de l’analyse

Notre démarche s’articulera en quatre parties qui renverront chacune à une des grandes thématiques définies plus tôt. Le processus historique a aussi évolué vers la démocratie représentative ainsi perçue comme la meilleure méthode pour garantir l’intérêt général. Dès lors, nous nous concentrerons, en premier lieu, sur la théorie classique de la représentation et son évolution jusqu’aux formes contemporaines que nous connaissons. Par la suite, il sera nécessaire de préciser le nouvel espace à représenter, soit l’Union européenne. Ce défi s’inscrit dans un cadre encore en pleine évolution et qui nous interdit la profondeur historique nécessaire pour fonder un jugement. En un deuxième temps, nous réfléchirons sur la pertinence des institutions mises en place face au problème de la représentation, et comment l’évolution actuelle du parlementarisme pousse d’autres institutions à émerger publiquement, comme les intergroupes. Troisièmement, nous entamerons une critique générale de la société civile. Il s’agira d’analyser les documents officiels l’instituant comme acteur de la gouvernance et, également, de relever le rôle plus global que peut avoir la société civile. Enfin, nous rechercherons sur ces bases une définition opérationnelle de cette dernière. Dans un dernier temps, nous reprendrons le thème de la représentation et esquisserons une définition de la représentativité telle qu’elle est pratiquée actuellement en rapport avec l’efficacité parlementaire. Nous verrons aussi dans ce cadre l’arrivée de nouvelles formes de représentation.

Ainsi, la première partie consiste à développer le cadre théorique et institutionnel de la représentation dans l’Union européenne. Nous mettrons en avant les éléments historiques du concept qui permettent de mieux comprendre le choix représentatif contemporain. De plus, l’introduction du pluralisme sera nécessaire afin d’appréhender la société dans son entier, et en particulier dans le cas de l’Union européenne. Ensuite, forts de ces considérations sur la représentation, nous observerons le développement du pluralisme et, notamment, de la théorie associative durant le XXème siècle. L’inscription de ce parcours des idées place le rôle de la puissance publique face à un élément récurrent de notre étude, la société civile. Le troisième chapitre analysera le débat sur le parlementarisme dans l’Union européenne et en particulier la thèse de Paul Magnette (1999 ; 2005) sur le semi-parlementarisme. La spécificité de l’UE sera également étudiée sous l’angle du choix des États membres pour le parlementarisme. En effet, le développement institutionnel du Parlement européen en est largement dépendant.

Dès lors, la seconde partie abordera la question de la représentation au sein du Parlement européen. Pour analyser cette partie, nous proposons donc de revenir d’abord sur l'étude électorale du Parlement européen, en particulier sur les élections de 2004 et les conditions cadres de la loi électorale. Ensuite, nous nous pencherons sur le rôle du député en fonction de l’existence ou non d’un demos européen. Nous nous appuierons sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande en la matière. Nous essaierons ainsi d’établir l’ input representativity . Par la suite, nous analyserons le produit normatif du Parlement et s’il peut amener à ce que nous appelons l’ output representativity . Sur la base des travaux parlementaires, nous évaluerons la part interne et organisationnelle de la représentation parlementaire et la part externe par le biais de l’agrégation des demandes. Dans le chapitre suivant, nous analyserons le rôle des partis européens sous l’angle juridique et politique. Cela sera

37 Introduction générale suivi d’une analyse sur le modèle de partis envisageable dans le cadre de l’intégration européenne, où nous introduirons le rôle des groupements. Finalement, le dernier chapitre démontrera les conditions règlementaires relatives à la mise en place d’intergroupes parlementaires. Cette première intrusion de la société civile dans la question institutionnelle européenne permettra le développement de la troisième partie.

Celle-ci abordera la société civile européenne sous deux angles. Premièrement, il faudra se pencher sur la place de celle-ci dans le discours institutionnel. En effet, les institutions européennes ont aussi tenté de définir la société civile. La Commission, le Parlement et le CESE ont construit un espace pour la société civile à des fins de légitimation. La création d’une certaine attente et d’un mode de fonctionnement doit obligatoirement déboucher sur une action. Le Comité économique et social européen donne comme principe que « la société civile est un concept global désignant toutes les formes d’action sociale d’individus ou de groupes qui n’émanent pas de l’État et qui ne sont pas dirigées par lui. » (CES851/99, 5). À cette conception se trouvent accolés des mots-clefs : pluralisme, autonomie, solidarité, visibilité, participation, éducation, responsabilité et subsidiarité. On retrouve aussi la volonté d’expliquer la société civile comme un médiateur entre la puissance publique et les citoyens. D’ailleurs le dialogue structuré de la Commission européenne va dans ce sens. Issu de cette institution, on peut aussi mettre en avant le Livre Blanc sur la gouvernance qui développe et donne un rôle à la société civile (COM (2001) 428). En termes institutionnels, la société civile n’est pas perçue comme un contre-pouvoir, mais au contraire comme un médiateur, voire un filtre. Jürgen Habermas traduit cette idée en qualifiant la société civile comme étant composée des associations, organisations et mouvements « qui à la fois accueillent, condensent et répercutent en les amplifiant dans l’espace public politique, la résonance que les problèmes sociaux trouvent dans les sphères de la vie privée » (2003 [1997], 35).

Il n’en demeure pas moins que la société civile ne peut voir le jour que dans des sociétés démocratiques (Kumar, 2003 [1993], 41-42), et qu’elle agit aussi bien comme médiateur communicationnel que comme contre-pouvoir. En effet, la démarche associative et, en général, la société civile, posent une question essentielle, « celle de savoir si nous devons organiser les rapports sociaux en tablant uniquement sur le marché et l’État » (Caillé et Laville, 2001, 8). Pour Philippe Schmitter et Wolfgang Streeck, la société civile, en tant qu’idéal-type ‘association’, représente un quatrième pilier organisationnel de la société avec l’État, le marché, la communauté (au sens de la famille) (1985, 2). On peut relever également que la société civile est un médiateur entre la sphère publique et privée, un acteur en tant qu’initiateur de nouvelles politiques publiques, et, aussi, un agent d’agrégation du tissu associatif. Ce dernier recoupe des intérêts sectoriels et privés qui ensemble peuvent représenter un intérêt public. Pour rendre la société civile plus concrète, il est nécessaire d’identifier et d’analyser quels en sont les acteurs.

Finalement, la quatrième partie de cette thèse cherchera à construire un modèle d’interaction entre la société civile et la gouvernance européenne, en particulier au sein du Parlement européen. En reprenant les différents éléments de notre réflexion sur le système spécifique parlementaire européen ainsi que sur la société civile, nous ébaucherons une nouvelle construction de représentation démocratique. Comme nous l’avons déjà vu, c’est bien l’absence de partis politiques et la présence de réseaux

38 Introduction générale associatifs qui déterminent l’analyse. La canalisation de la représentation est une étape vers une amélioration de la démocratie européenne. À cette fin, nous proposons de réunir la démocratie associative et la démocratie participative au sein de commissions parlementaires ‘associatives’.

Pour aboutir sur ce point, nous devrons reprendre les points principaux de notre analyse. En premier lieu, nous aborderons la question de la représentation et des limites du mandat européen. En effet, nous ré-introduirons ce débat en raison des éléments clefs qui rappellent la position du Parlement dans le système institutionnel. Ensuite, nous reprendrons le questionnement associatif. Il s’agira de discuter des facteurs permettant ou limitant l’inclusion de la société civile dans la gouvernance européenne. Troisièmement, nous aborderons les intergroupes en nous basant sur des études de cas qui permettent de mettre en avant les points communs et de dessiner une modélisation des relations entre la société politique élue et la société civile.

Dès lors, l’étude se fera d’abord sur un plan institutionnel pour se conclure sur une reprise des principes démocratiques revus à l’orée de cette nouvelle structure. En effet, les remarques conclusives seront principalement consacrées à analyser notre proposition avec les principes du respect de la démocratie, notamment la légitimité et l’ accountability . Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra construire un modèle crédible et donner du sens à notre démarche en encadrant le risque normatif.

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Première partie

La représentation politique : Des principes généraux au cas de l’Union européenne

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Première Partie – La représentation politique : Des principes généraux au cas de l’Union européenne

L’histoire de la démocratie et de la représentation est pour le moins complexe. Pour l’appréhender, nous nous appuierons sur un éclairage historique. La perspective de Bernard Manin (1996) et de David Held (1993 ; 1996) sur la dynamique historique de la démocratie, et en particulier de la représentation, nous permet d’appréhender le lien représentatif sous un autre angle, celui de la ‘continuité dynamique’. Ainsi, le mode de sélection – l’élection – n’a pas toujours été perçu comme le plus démocratique, et l’avènement du représentant élu est selon les conceptions une perte de démocratie 15 . En quelque sorte, la profondeur historique permet de brosser un tableau de l’évolution de la naissance du citoyen à la démocratie de masse, du représentant individualisé au parti de masse, de l’intérêt général indivisible à la place des groupes dans les assemblées.

La théorie politique contemporaine est fortement empreinte de l’ouvrage de Hanna F. Pitkin (1972). En nous appuyant sur son analyse, nous proposons une lecture de théories de la représentation permettant de reconstruire les rôles des différents acteurs de la démocratie représentative, parmi lesquels nous utiliserons les propositions de Andrew Rehfeld (2006), Paul Hirst (1990) ou encore de Pascale Dufour (2004) sur la recomposition du lien représentatif. De manière prospective pour notre étude, on peut poser les bases d’une rediscussion du lien représentatif au niveau européen. Comme le propose Thuot (1998), arrive-t-on à une époque de la fin de la représentation ? La société civile émerge-t-elle pour la première fois dans le débat ? Quelles sont les existences possibles de représentation non élective ?

Un des aspects de ce questionnement sur la représentation intervient par une meilleure prise en compte du pluralisme dans la société. Dans l’Union européenne, la représentation de vingt-sept États avec autant d’identités et de cultures politiques nationales et vingt-trois langues relève de la gageure. Il en devient essentiel de pouvoir permettre au pluralisme de s’exprimer tout en appuyant la dimension supranationale. Cela accentue de nombreuses questions sur le type de ‘représentation- similarité’ ou représentation exacte. En effet, quel est notre représentant ? Doit-il être notre authentique égal (copie conforme) ? Peut-il être différent ? Est-il contraint et soumis aux demandes ou a-t-il une latitude d’action ?

Pour répondre à ces questions, il est nécessaire d’introduire le pluralisme qui permet a priori une meilleure prise en compte des multiples facettes de la société. Sur cette base, nous reprendrons le débat des pluralistes anglais qui adopte l’angle original de la démocratie associative. En effet, il s’agit de voir comment intégrer les associations dans la gouvernance en tant que représentantes des différents ‘intérêts’ présents dans la société. Hormis l’école anglaise actualisée par Paul Hirst, les propositions américaines de Joshua Cohen et Joël Rogers seront également étudiées. L’intégration de la vision néo-corporatiste de Philippe Schmitter entre aussi dans ce débat, notamment avec sa proposition dite des vouchers . Tous ces éléments vont ensuite s’inscrire dans le cadre de la gouvernance de l’Union européenne. En effet, la

15 Citons pour rappel, la célèbre phrase de Rousseau sur les relations entre les représentants et le peuple : « À l’instant qu’un peuple se donne des Représentants, il n’est plus libre ; il n’est plus » (Rousseau, (1977) [1762], 268).

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représentation est un élément central de la réflexion sur le développement démocratique de l’Union. Dans cette partie, nous l’aborderons sous l’angle du parlementarisme et de son développement. L’analyse de ces points est nécessaire avant de conduire une étude du Parlement européen actuel. Pour comprendre ce sujet, nous retiendrons en particulier parmi les différents auteurs sur les questions européennes deux ouvrages, celui de Philippe Schmitter, How to Democratize the european union…And Why Bother? , et celui de Christopher Lord, A democratic Audit of the European Union . La problématique sera de voir comment fonctionne la représentation au niveau européen et d’en extraire les conséquences.

À cette fin, l’analyse de Paul Magnette (1999 ; 2006) sur la question du parlementarisme européen s’avérera précieuse afin de définir le but du projet parlementaire européen. Le débat du semi-parlementarisme, soit entre le parlementarisme de Westminster et le consociationnalisme de Lijphart (1977 ; 1999), correspond à l’idée d’une création sui generis difficile à classer. Il s’agit également à travers cette partie de poser les conditions structurantes de l’existence du Parlement européen.

L’objectif de cette partie sera de partir des principes fondateurs de la représentation, en développant les aspects relatifs aux groupes et au pluralisme pour analyser la question du parlementarisme européen. Également, l’analyse sur le parlementarisme permettra d’évoluer vers une analyse plus fournie sur le rôle du Parlement européen dans la deuxième partie consacrée à la représentation du Parlement européen.

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Chapitre 1 – La représentation en question

1. Introduction à la problématique

La définition de la représentation recoupe de multiples définitions et conditionnalités. Le cas de l’Union européenne ajoute une difficulté majeure. En effet, comment organiser un ensemble représentable alors que sa finalité et ses frontières sont évolutives, voire non définies, dimension renforcée depuis l’adhésion de Chypre ? En raison de ce rapport à l’entité à représenter, nous avons affaire à une véritable diversification de la représentation et de la représentativité des acteurs. Les peuples sont représentés au sein du Parlement européen, les gouvernements au sein du Conseil et l’intérêt général européen par la Commission. De plus, chacun de ses acteurs agit selon des dynamiques institutionnelles propres qui ne permettent pas un lien représentatif organique, car ni la Commission, ni le Conseil ne dépendent de la majorité du Parlement européen.

Pour répondre à ces différentes interrogations, nous procéderons à l’analyse du concept de représentation. À cette fin, nous commencerons par identifier les termes entourant le concept. Il faudra également poser des éléments de réflexion sur représentation et représentativité. Un des points centraux sera de comprendre ce que signifie rendre ‘représentable’ une société, des citoyens.

Pour compléter ce questionnement général, on regardera la dynamique politique qui a conduit à la représentation actuelle en s’appuyant essentiellement sur Bernard Manin (1996) et David Held (1993 ; 1996). Pour cela, nous devrons nous pencher sur deux aspects clefs, soit l’évolution du tirage au sort à l’élection comme méthode de sélection. Comme nous le verrons plus tard, le choix de la méthode élective est important dans le cadre du débat de la légitimité. Le deuxième aspect est celui du principe de distinction qui veut que les gouvernants soient différents des gouvernés. Cet élément est actuellement très discuté dans le cadre de la démocratie participative ainsi que dans le débat de l’implication de la société civile au sein de la gouvernance. Cela appelle également à l’étude du pluralisme dans la démocratie afin de comprendre comment la représentation peut fonctionner dans une société complexe.

Notre analyse du pluralisme se basera sur des auteurs comme Robert Dahl (1956), David Nicholls (1975), Paul Hirst (1989 ; 1997). Leurs approches se basent sur la complexité de la société qui voit de nombreux réseaux s’entrecroiser où participent des groupes sociaux et des individus. Afin de donner une première définition, Sabine Saurugger explique l’approche pluraliste par le fait qu’elle :

« montre que le nombre des participants à la vie politique dans les démocraties modernes est plus élevé que le nombre d’élites politiques de l’analyse schumpéterienne et que ces participants représentent des groupes sociaux. Ainsi, la politique se fonde sur les groupes qui sont le fait social à l’origine de toute politique. C’est le groupe qui socialise l’individu et qui lui fournit le prisme à travers lequel il perçoit le monde. Les groupes sont égoïstes par nature et ne cherchent qu’à maximiser leurs bénéfices propres. La compétition entre ces groupes sociaux par l’intermédiaire de leurs représentants afin d’obtenir une répartition des bénéfices qui leur est favorable interdit tout monopole de domination et explique l’équilibre des cadres politiques en vigueur. Les groupes latents (non-organisés) se mobilisent dès lors que leurs intérêts sont menacés, ce qui garantit qu’aucun groupe ne pourra durablement exercer une domination qui va à l’encontre des intérêts d’autres groupes. C’est la main invisible du

44 La représentation en question pluralisme : les checks and balances qui contrôlent l’exercice du pouvoir. Les groupes s’entrecontrôlent et se neutralisent. Dans cette conception de la vie politique, les hommes politiques sont au service des groupes jamais de la nation, constat qui met en question le concept de la souveraineté nationale » (2003, 18).

Nous encadrerons cette réflexion dans le cadre de la théorie représentative moderne afin de définir des lignes directrices utiles pour la discussion de ce travail. Les articles de Andrew Rehfeld (2006) et de Pascale Dufour (2004) livrent une analyse très intéressante dans cette perspective. Finalement, la représentation sera revue dans sa complexité. En d’autres termes, il s’agit de comprendre en quoi ce concept est imparfait et relève d’un fragile équilibre.

45 Première partie – La représentation politique

2. De la représentation : une première définition

2.1. De la démocratie représentative

L’idée de représentation est un élément essentiel de la réflexion autour de la démocratie parlementaire. Pour Sabine Saurugger, la relation entre représentant et représenté est un fondement de la légitimité d’un système politique (2003, 13). Thuot ajoute que la représentation est un élément matriciel, structurant et organisateur des démocraties modernes (1998, 11). Le problème de la légitimité est donc intrinsèquement liée au lien représentatif. De surcroît, ce dernier est polymorphe en fonction des attentes et des processus en cause. En effet, D’Arcy et Saez relèvent la complexité pour la science politique à définir le concept de représentation et font deux constatations : « D’une part, la représentation, sous une forme ou une autre, est un élément de légitimité de tout pouvoir politique, d’autre part, la démocratie représentative a donné de la représentation une conception qui caractérise une forme de gouvernement et qui en même temps frappe d’illégitimité toutes les autres » (1985, 8).

Dès lors, la démocratie représentative est perçue comme seul régime politique légitime. Toutefois, la démocratie représentative est une invention récente. Jusqu’alors, les deux termes entraient dans une opposition très bien illustrée dans le Contrat social de Rousseau. En cela, le XXe siècle marque une évolution historique où les termes démocratie et représentation deviennent inséparable. Cette transformation est également procédurale, comme l’illustre Jean-Claude Colliard (2006, 216) :

« La formule de la représentation du peuple au niveau national, le vote par tête de ses représentants, apparaît après quelques balbutiements dans l’Angleterre des 17 ème et 18 ème siècles. Elle se généralise en Europe au 19 ème , se légitime avec le suffrage universel, même s’il n’est encore que masculin, bien souvent, et à la veille ou au plus tard au lendemain de la première guerre mondiale, l’affaire est réglée : partout des Parlements détiennent l’essentiel de la souveraineté et délibèrent selon des règles et procédures mises au point au 19 ème siècle. Mais entre-temps, le paysage ou plutôt les acteurs ont changé : d’acteurs individuels, parlementarisme de notables, honoratioren parlamentarismus disent nos amis allemands, on est passé au parlementarisme de groupes, de partis. Donc des acteurs collectifs mais généralement multiples et divisés et donc le Parlement continue à être un lieu de discussion, d’agrégation des volontés ; puis, le jeu se simplifie par une polarisation binaire, la fameuse bipolarisation que nous découvrirons en France plus tard que d’autres mais sans être les derniers ; ce qui fait que la négociation disparaît au profit de l’imposition d’une volonté, celle d’une majorité, le Parlement devenant moins le lieu de la formation que celui de son attestation. Il y a là me semble-t-il l’essentiel : la transformation de la représentation et par là- même la transformation de l’élection. »

Le résumé de Colliard évoque les principaux thèmes théoriques de la représentation, soit l’évolution vers le suffrage universel, le développement des partis, la modification du rôle du Parlement en lieu d’enregistrement, et également l’importance dans le système représentatif d’un clivage socio-économique. Chaque évolution entraîne de facto un nouvel élément. En effet, c’est l’émergence du suffrage universel qui entraîne

46 La représentation en question la nécessité des partis 16 en tant qu’élément de rassemblement, de défense, de représentation et d’identifiant social des citoyens.

Il faut également relever aussi comme pour l’auteur, la représentation est liée à l’élection. En effet, la méthode de sélection est essentielle à la démocratie représentative et cette dernière évolue également dans le temps. Ainsi, il faut s’interroger sur la signification de la représentation

2.2. Les termes de la représentation

La représentation est définie comme « un processus par lequel quelque chose (personne(s), groupe(s), chose(s) ou abstraction(s) qui n’est pas réellement (c’est-à- dire physiquement) présent est rendu présent par un intermédiaire » (Leca, 1992, 914). La définition de Jean Leca a l’avantage de prendre en compte l’essence de la représentation. En effet, il s’agit bien d’un processus qui donne le droit et le pouvoir à un intermédiaire d’agir au nom d’un tiers. En d’autres termes, comme le relève Pitkin, la représentation est caractérisée par le fait de ‘rendre présent’.

Également, la représentation s’entoure de termes comme responsabilité, indépendance, et imputabilité. Pitkin résume cet état en rappelant que la représentation « here means acting in the interest of the represented, in a manner responsive to them. The representative must act independently ; his action must involve discretion and judgment; he must be the one who acts. The represented must also be (conceived as) capable of independent action and judgment, not merely being taken care of » (Pitkin, 1972, 209 [en gras par l’auteur]).

Cette définition reprend les termes clefs de la représentation. En effet, on retrouve l’interdiction du mandat impératif (indépendance), la liberté d’expression (du représenté), et le fait que l’élu doit pouvoir répondre de ses actes devant ses administrés. C’est à ce titre qu’intervient la question de la représentativité, soit « la légitimité du ‘représentant’ à signifier le représenté » (Leca, 1992, 914). Le lien représentatif est donc un équilibre délicat entre les désirs du représenté et la réalisation des ces derniers par le représentant. Celui-ci ne pourra se réclamer des citoyens que dans un cadre complexe de relation impliquant des aspects de légitimité et de délégation de souveraineté.

Pour Lucien Jaume, la complexité de cette relation représentative se résume à une interprétation du rapport entre les représentants et représentés. Ainsi, la représentation est un acte mandataire et une recherche de la ressemblance 17 . Néanmoins, la représentation donne une image de la société, et pour décider, il y a logiquement un rapport de force. Donc, le rapport entre une majorité et une minorité complique la donne. En effet, la majorité est la représentation de la part la plus importante du peuple. Par conséquent, la décision majoritaire ne représente pas l’ensemble de la

16 Colliard rappelle que les circonscriptions passent en moyenne de 300 personnes en 1848 à 15'000 sous la IIIème République (2006, 217). 17 Nous reviendrons plus loin sur cette notion. La ressemblance consiste à correspondre au plus près aux différents aspects de la société. C’est en quelque sorte une façon de rechercher la meilleure adéquation entre les représentés et les représentants. Comme nous le verrons, cette notion de ressemblance pose de multiples questions.

47 Première partie – La représentation politique population, mais seulement une part plus ou moins importante 18 (Jaume, 1985, 40-41). Dès lors, la représentation pose de multiples questions sur ce qu’elle est et sur son rapport au pouvoir majoritaire.

Alain Touraine (1994, 79-96) propose de considérer deux axes pour analyser la question de la ressemblance et de la représentativité. Premièrement, il faudrait trouver une correspondance entre demandes sociales et offres politiques, ou entre catégories sociales et partis politiques. La démocratie est plus forte quand elle repose sur un conflit social ouvert de portée générale (type gauche/droite) que quand il s’agit d’un État dominé par un seul parti sans contre-pouvoir effectif. D’une certaine manière, le conflit est structurant 19 pour la démocratie, alors que la pensée unique l’ébranle. Deuxièmement, les catégories sociales devraient être capables de s’organiser de façon autonome au niveau même de la vie sociale, soit en amont de la vie politique. En effet, si l’intégration des demandes sociales ne s’opère qu’au niveau politique, comment peut-on parler de démocratie représentative ? La contribution n’est pas que directe, les journaux, médias, associations, intellectuels contribuent aussi à l’offre politique. Ainsi, l’affrontement politique ne s’organise pas seulement au sein des partis. En d’autres termes, il ne peut pas y avoir de démocratie représentative si les acteurs sociaux ne sont pas capables de donner du sens à leur action en dehors des partis politiques. Sinon il n’y aurait plus d’opposition et de limitation au pouvoir des partis ce qui reviendrait à une aristocratie élective.

Le problème de la représentativité est donc relatif à la difficulté de réalisation de l’agrégation des demandes. D’où trois conditions de représentativité exprimées par Manin et al. (1999, 5-6). Premièrement, un gouvernement est représentatif s’il agit avec la meilleure connaissance possible, et si les citoyens sont bien informés. Ces deux éléments permettent de délivrer une politique légitime en s’appuyant la règle de la majorité. Deuxièmement, il existe des situations où la structure des intérêts place les individus face à un dilemme du prisonnier. Seule une décision collective permet de le dépasser. Ainsi, la puissance publique – et donc les élus – est représentative quand elle poursuit l’intérêt collectif. Troisièmement, le gouvernement est représentatif s’il applique la règle de la majorité au risque de heurter la minorité 20 .

Ce dernier élément mérite un complément d’information. En effet, dans les démocraties modernes, il y a des tensions entre les origines rationnelles de la démocratie et la structure des intérêts de la société moderne. Dès lors, le gouvernement doit toujours agir dans le sens de la majorité pour être représentatif. Toutefois, il existe plusieurs manières d’agir avec une majorité. Mais, s’il choisit une politique qui n’a jamais une majorité de citoyens, il n’est pas représentatif. Ainsi, pour

18 Cette part est plus ou moins importante en fonction, par exemple, des taux de participation, des mouvements d’opinion entre les élections. 19 Il faut entendre par conflit, le débat politique encadré par les règles constitutionnelles acceptées de tous. Le conflit peut et doit mener à l’acceptation de la plus grande partie, idéalement de tous, des choix de société soit d’une manière majoritaire ou d’une manière consensuelle. Ainsi, le conflit peut mener au consensus si la société le demande. 20 Comme le signale Manin et al. (1999, 6), il faut se souvenir de la phrase de Salvatore Allende, alors nouveau président du Chili, qui exprime cette condition représentative : « Je ne suis pas le président de tous les Chiliens ». Toutefois, cette phrase heurte la conception générale du mandat électif. Ainsi, il faut différencier le mandat et la mise en œuvre de la politique. Les deux dépendent de la règle de l’intérêt général, mais le premier représente l’ensemble, alors que le deuxième applique la règle majoritaire.

48 La représentation en question reprendre la définition de Pitkin (1972), un gouvernement est réceptif ( responsive ) s’il est attentif aux signaux de la population, et il est accountable si les citoyens peuvent le sanctionner. En d’autres termes, un gouvernement réceptif ( responsive ) et accountable est représentatif. Dans le premier cas, les citoyens signalent leur souhait aux gouvernants, et dans le second ils le jugent. Ainsi, le fait qu’un gouvernement doive rendre des comptes aux élections est insuffisant pour le rendre représentatif. Grande (2000, 125) résume ces principes par le fait que la représentation politique peut être définie par quatre principes (deux formels et deux substantiels). D’un point vue formel, nous retrouvons l’autorisation d’agir au nom des autres (mandat), ainsi que la remise des comptes par les élus auprès de leurs électeurs (sanction). Les deux principes substantiels consistent, d’une part, pour l’élu d’être en accord avec les préférences de son électorat et, d’autre part, en un équilibre entre la capacité pour le représentant d’agir et de donner à l’électorat les moyens d’articuler ses préférences en contrôlant les activités des élus.

2.3. Rendre représentable la société

Pour être légitime, il faut aussi que les demandes sociales soient représentables, c’est- à-dire qu’elles acceptent le jeu politique et la décision de la majorité. Ainsi, un mouvement social doit avoir un programme politique, parce qu’il en appelle à des principes généraux en même temps qu’à des intérêts particuliers. Toutefois, une action collective s’inscrit dans un projet global. Si ce n’était pas le cas, on se trouverait dans un cas où serait absent des orientations d’ensemble qui aboutirait à un discours limité sans dimension collective. En outre, elle ne peut être définie comme rupture, car cela revient à un système révolutionnaire qui ne peut conduire qu’à la création d’un pouvoir autoritaire. Néanmoins, si la critique a des limites, le gouvernement doit également agir vis-à-vis des mouvements sociaux en reconnaissant uniquement les propositions où une réponse est possible. Par conséquent, il perdrait son caractère représentatif s’il ne reconnaissait que les demandes impossibles à satisfaire provenant des mouvements sociaux (Touraine, 1994, 79-96). Également, un gouvernement qui cherche à légitimer son action par la contrainte perd logiquement aussi son caractère démocratique.

Ainsi, le fait d’être gouverné est une nécessité de l’organisation de la vie sociale. On transpose un danger horizontal (état de nature chez Hobbes) à un danger vertical d’être ‘dirigé’ par un gouvernement. L’histoire de la démocratie moderne est empreinte de ce constat et s’identifie comme une perpétuelle recherche d’un mode de fonctionnement encadrant l’exercice du pouvoir. C’est à ce titre que les théoriciens ont développé différents moyens de contrôle sur les gouvernants, notamment la tenue d’élection régulière. Ces dernières jouent deux fonctions : donner une chance aux perdants dans le futur et une autorisation de gouverner aux vainqueurs.

Sur le modèle économique de la concurrence parfaite, la représentation et la bonne tenue des élections dépend de l’accès et de la véracité de l’information. Car une indication imparfaite peut permettre au gouvernement d’échapper à un verdict populaire et ainsi, à son contrôle. Ainsi, la question de l’information est essentielle car elle permet au peuple de sanctionner ses représentants. L’information asymétrique entre les gouvernants et les gouvernés peut être dangereuse, car elle introduit une sorte de hasard dans le jeu politique. De plus, les mandats ne sont pas des instructions.

49 Première partie – La représentation politique

Le rôle des citoyens est de participer aux débats et aux élections, mais pas ‘d’obliger’ les politiques. Par exemple, parfois un gouvernement peut suivre une politique impopulaire durant une période et avec le recul celle-ci sera perçue comme nécessaire par les citoyens.

En conclusion, la représentation est un équilibre précaire entre demande de la société et capacité pour les élus de la mettre en œuvre. Il est également complexe de préserver le bon fonctionnement de la démocratie représentative, que cela soit sur le plan formel – tenue des élections – que sur l’informel – système de communication non biaisé. Comme nous allons le voir, les conceptions des mécanismes ne sont pas stables dans le temps, mais au contraire évolutives ce qui fait de la représentation cet équilibre délicat pouvant être aisément remis en question.

50 La représentation en question

3. La représentation, une conception dynamique

La dynamique historique de la représentation est essentielle à comprendre afin de faire ressortir les points principaux de l’organisation politique contemporaine. En effet, le processus politique démontre des évolutions étonnantes dans le mode d’organisation des sociétés. Ainsi, l’élection et la distinction entre le citoyen et le représentant ne sont pas des données immuables de l’histoire politique. Dans son ouvrage sur les principes du gouvernement représentatif, Manin démontre l’évolution de la représentation dans l’histoire (1996). En partant de la situation de la démocratie athénienne, souvent considérée comme un idéal, il analyse les fondements du principe de distinction, de ‘l’aristocratie démocratique’ et en termine avec la représentation contemporaine. Afin d’analyser et de comprendre le fondement de la représentation, nous reprendrons essentiellement deux moments de cette dynamique, soit le fondement de l’élection et l’établissement du principe de distinction.

Avec le thème de la représentation et en s’appuyant sur l’étude historique de Bernard Manin (1996, 17-18), on peut faire ressortir quatre principes constants et communs au gouvernement représentatif 21 . Premièrement, les gouvernants sont désignés par des élections organisées à intervalles réguliers. Comme nous le verrons, l’institution de l’élection est fondamentale à la démocratie représentative. Deuxièmement, il s’agit d’instaurer le mandat non impératif. En effet, les gouvernants conservent, dans leurs décisions, une certaine indépendance vis-à-vis des volontés des électeurs. Troisièmement, il est important de garantir la liberté d’expression des gouvernés sans que celle-ci soit soumise au contrôle des gouvernants. Cet élément est une garantie pour la bonne réalisation du quatrième principe, à savoir que les décisions publiques sont soumises à l’épreuve de la discussion. En d’autres termes, c’est de considérer le débat comme moyen d’obtention du consentement.

De ces quatre critères, on relève que l’institution première est l’élection. En effet, le mode de sélection est l’essence même de la représentation, car elle est le cœur même de l’institution. Si l’ensemble du peuple gouverne, alors nul besoin de représentant. Si seule une partie gouverne (dans un cadre démocratique), comment peut-on la distinguer si ce n’est par une méthode de sélection ? Dès lors, l’élection peut être considérée comme un moyen de distinction, que cela soit par le sort ou par un scrutin. C’est du choix de ce mode que vont dépendre les conditions cadres de légitimation des gouvernants. La méthode de sélection a connu différents épisodes allant de la Grèce antique au monde contemporain avec des conséquences sur l’organisation politique. Dans ce chapitre, nous regarderons dans un premier temps cet aspect. L’autre question d’importance est la différenciation du représentant par rapport aux représentés. Comment se fonde cette différence ? Nous tenterons d’apporter une réponse dans un deuxième temps à cette question. Les conséquences immédiates du

21 Le terme de gouvernement représentatif doit être précisé afin d’éviter toute confusion. La définition de Dominique Leydet en la matière est très révélatrice. « Il existe une différence d’espèce entre le gouvernement représentatif et la démocratie représentative. Cette dernière naît de la dynamique induite par l’extension progressive du suffrage et de l’éligibilité au cours du XIXe siècle, plus particulièrement dans sa seconde moitié. Ce qui la caractérise et la distingue du gouvernement représentatif comme tel, c’est une exigence de présence […] » (2002, 67). Dès lors, les deux termes ‘gouvernement’ et ‘démocratie’ ne sont pas interchangeables. La deuxième correspond à une période récente avec l’ouverture du suffrage. Le gouvernement représentatif a toujours existé sans qu’on puisse le qualifié toujours de démocratique au sens contemporaine du terme.

51 Première partie – La représentation politique choix de la sélection et de la différenciation ont des impacts sur les trois autres principes de la représentation, soit le mandat impératif, la liberté d’expression et le débat.

3.1. Les méthodes de sélection

L’impact du choix de la méthode de sélection est d’importance. La démocratie athénienne qui plaçait en son centre le tirage au sort, sans dédaigner l’élection pour certaines charges, démontre une conception de la démocratie directe égalitaire 22 . En effet, chaque citoyen pouvait obtenir une charge politique et le professionnalisme politique était ainsi combattu. De plus, chacun à tour de rôle était en mesure d’exercer une charge. Dès lors, comme le relève Bernard Manin, ce n’est pas le fait de sélectionner un nombre limité d’individus pour gouverner qui définit le représentant, mais bien la méthode de désignation. En effet, jamais un gouvernement représentatif moderne n’a attribué de pouvoir politique par le sort (1996, 61). Toutefois, le sort n’est pas une typicité athénienne 23 .

D’autre part, la notion de nation et l’avènement de la représentation s’intègrent dans une conception moderne qui voit l’individu s’affranchir de la société, au contraire du modèle de l’Ancien Régime qui voyait la nation comme un tout indissociable dépendant du Roi. Ainsi, l’individualisation et l’apparition de la société distincte reposent essentiellement sur le débat de la différenciation entre la société civile et l’État. D’ailleurs, ce sont les mêmes auteurs qui permettent ce tournant aux XIXe avec Hegel et les philosophes écossais. L’impact de cette séparation individu-société-État marque considérablement la représentation.

Les changements de méthode de sélection se sont faits alors que les principaux auteurs considéraient l’élection comme une méthode aristocratique et le sort comme démocratique. À une extrême, on peut prendre l’exemple de Jean-Jacques Rousseau qui dans le Contrat social énonce les conditions pour la délégation de pouvoir. Cette dernière ne peut voir le jour que pour l’organe exécutif. En effet, le peuple est souverain, et ne peut être séparé entre représentants et représentés. L’approche de Rousseau influence les auteurs de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen

22 Il faut ici émettre une réserve d’importance. En effet, l’égalité existe entre les personnes considérées comme citoyens, et, en sont exclus, les esclaves, les femmes, les non-athéniens. 23 En général, le tirage au sort était commun aux Républiques. La modification s’est faite au moment de la guerre d’indépendance américaine et de la révolution française. Le tirage au sort disparaissait au profit de l’élection dans la tradition républicaine. Manin résume cette évolution ainsi : « Avant l’établissement du gouvernement représentatif, la plupart des régimes qui avaient consacré une certaine participation des citoyens au pouvoir, plutôt que de le réserver à un monarque héréditaire – les républiques –, avaient fait un usage politique du tirage au sort dans des proportions et sous des formes diverses. Le sort jouait un rôle, il est vrai limité, dans les comices du peuple romain. Les républiques italiennes du Moyen Âge et de la Renaissance sélectionnaient souvent leurs magistrats par tirage au sort. À Florence, la cité de Machiavel, le foyer intellectuel de l’humanisme civique et du renouveau républicain, le tirage au sort des magistrats était une institution centrale du régime républicain. Venise, enfin, la ‘Sérénissime République’ dont la longévité fascinait les observateurs, pratiqua une certaine forme de tirage au sort jusqu’à sa chute en 1797. Quand même les nouveaux gouvernements représentatifs se proclamaient des républiques (comme aux États-Unis dès le début de la révolution, ou en France à partir de 1792), ils innovaient donc par rapport à la tradition républicaine en accordant aucune place au sort » (1996, 63).

52 La représentation en question de 1789. En effet, l’article 6 stipule que, « la loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation ». On voit que la représentation comme émanation de la nation n’est pas encore clairement choisie, même si, finalement, elle l’emportera.

La représentation s’impose ainsi au niveau législatif et exécutif en utilisant la méthode de l’élection. Cette évolution intellectuelle prit moins d’un siècle entre Montesquieu et Rousseau et les révolutionnaires américains et français. Le tirage au sort disparaît du mode de sélection et la place du citoyen va en être changée. En effet, « le citoyen était avant tout envisagé et traité comme celui qui attribue les charges, et non plus (ou beaucoup moins) comme un candidat possible, comme quelqu’un qui pourrait désirer les charges » (Manin, 1996, 124). Dès lors, il existe deux catégories, le citoyen et le candidat. En effet, le tirage au sort confondait naturellement les deux alors que l’élection crée la différenciation. À l’instar de D’Arcy et Saez, il est intéressant de noter que, au bout du processus, la volonté des élus s’est substituée à celle des citoyens (1985, 20).

C’est l’extension du suffrage universel durant un siècle et demi qui modifie la donne. En passant du suffrage censitaire au suffrage universel, on consacre la modification d’un choix entre élites à un choix par les masses 24 . Nous retiendrons ainsi une évolution qui s’est faite naturellement et rapidement sur le passage du tirage au sort ‘démocratique’ à l’élection ‘aristocratique’ en proposant paradoxalement des systèmes politiques plus ouverts aux masses. Cette situation est due en grande partie au fondement de l’autorité légitime, le consentement. En effet, selon ce principe, le tirage au sort ne peut pas être une procédure de légitimation mais uniquement une procédure de sélection des autorités. Seule l’élection a une fonction de légitimation du pouvoir. C’est également l’élection qui permet l’établissement des principes de la démocratie représentative en créant chez les représentants un sentiment d’obligation et d’engagement envers ceux qui les ont désigné. Pour Manin, ce sont ces éléments qui donnent « tout lieu de penser que c’est cette conception du fondement de la légitimité et de l’obligation politique qui a entraîné l’éclipse du tirage au sort et le triomphe de l’élection » (1996, 115-116).

Le triomphe de l’élection s’achève au moment de l’apparition de la démocratie de masse. De fait, le rôle du parti émerge et impose graduellement son pouvoir d’organisation. La démocratie devient partitocratia 25 où les élites entrent en compétition entre elles. Progressivement, les partis et leur leaders deviennent les centres des débats et de la discussion publique au détriment du parlement qui devient un instrument des partis (Held, 1996, 171). La méthode de sélection restera ainsi l’élection. Hormis le problème théorique que peut poser la confiscation de la démocratie représentative au profit des partis, il est intéressant de relever à quel point

24 Il faut relever que le terme de masse est utilisé dans le sens générique. En effet, l’expression laisse entendre que le peuple se constitue en fonction du nombre et cela puisse être oppressant pour les élites gouvernantes. En effet, si on admet que le peuple a la pouvoir du fait de son nombre, alors on laisse sous-entendre qu’il existe une ‘pression quasi-physique’ du peuple sur le pouvoir. Par contre, si on dit que le pouvoir du demos est légitime, car fondé sur la qualité, alors on admet un exercice ‘rationnel’ d’une volonté. Selon le choix de définition du peuple et de l’expression de masses, nous ne sommes pas dans le même régime ou dans la même conception du pouvoir. 25 Le terme partitocratia (partitocratie) est défini par Sartori comme « la tyrannie des partis pour lesquels les lieux de pouvoirs sont décalés et concentrés du gouvernement et du parlement à la direction des partis politiques » (1987, 148).

53 Première partie – La représentation politique les élections deviennent un point focal dans les démocraties occidentales. C’est d’évidence la période du choix et de la sanction, mais c’est aussi le moment de mesurer le taux d’intérêt par l’abstention. Ainsi, la répétition périodique de l’élection est un élément structurant de nos démocraties, et la participation en est un précieux indicateur.

3.2. Adéquation et distinction au sein de la représentation

3.2.1. Le principe de distinction

C’est la question-clef de la délégation du pouvoir. Dans une entreprise, on essaie de prendre les personnes les plus compétentes, ceux qui ont du mérite, ou encore, ceux qui ont de l’ancienneté. En démocratie, le problème se pose en d’autres termes. En effet, il est impossible de reconnaître des différences substantielles entre les composantes du peuple : le délégué en est issu, et il le représente, car il est choisi par l’ensemble des citoyens. En aucun cas, c’est la personne la plus compétente ou celle qui a le plus de mérite qui se trouve ‘automatiquement’ déléguée. Ceci est impossible, car le peuple est indivisible. En la matière, il est utile de rappeler deux articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. L’article premier rappelle que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits : les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Ce dernier aspect doit s’ancrer dans le cadre défini par l’article 3 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation, nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Ces deux articles sont essentiels, car ils énoncent clairement que le peuple est indivisible et qu’on ne peut exercer d’autorité une charge si la nation, le peuple n’y consent pas par une délégation. Les représentants émanent du peuple. La distinction ne peut donc être fondée sur rien si ce n’est des règles formelles. Au regard de ceci, on peut s’inspirer de l’exemple de la démocratie athénienne basée sur le tirage au sort. Ainsi, chaque citoyen pouvait être appelé à remplir une charge politique si le hasard en décidait. Avec la réserve émise plus tôt, ce système est l’application rigoureuse du principe d’égalité et d’indivisibilité du peuple en terme de compétence et de mérite.

Le principe de distinction se base sur la conception que le peuple se fait de sa propre représentation. En d’autres termes, il s’agit d’analyser comment il choisit ses représentants et aussi, in fine , comment il se considère représentable. Ainsi, la distinction entre les personnes du corps électoral peut s’effectuer sur différents principes. Hobbes et Rousseau nous présentent deux idées contraires quant à cette thématique. Comme le rappelle Lucien Jaume, l’idée de Hobbes se résume comme « interposer l’État entre l’individu et le peuple, selon un axe directionnel irréversible, mettant ainsi le peuple sous la dépendance de l’État. Le peuple ne fait pas le souverain, et le souverain ne fait pas la multitude : telle est l’irréversibilité » (1985, 48). Pour Rousseau, le peuple est sujet et ne peut être soumis à une représentation. Dès lors, le peuple n’est pas représentable. En effet, la lecture du Contrat social ne laisse pas de doute sur les intentions de l’auteur quant à la représentation : « À l’instant qu’un peuple se donne des représentants, il n’est plus libre ; il n’est plus » (Rousseau, (1977) [1762], 268). Dès lors, on passe, selon la formule de Jaume, « d’une représentation qui n’est pas celle du peuple (Hobbes), à un peuple qui n’est

54 La représentation en question pas représentable (Rousseau) » (1985, 45). Rousseau trahi, le peuple devint représentable.

Le choix de l’élection comme mode de sélection et avec l’élargissement du cens jusqu’à son abandon, les élites entreprirent de monopoliser les fonctions publiques par le biais de la reconnaissance d’un statut plus élevé. C’est la raison principale pour Manin de l’institution du gouvernement représentatif. En effet, « le gouvernement représentatif a été institué avec la claire conscience que les représentants élus seraient et devaient être des citoyens distingués, socialement distincts de ceux qui les élisaient » (Manin, 1996, 125). Dès lors, la question de la domination par la représentation modifie l’étude du citoyen. C’est l’élite qui occupe les charges politiques avec des évolutions en son sein. Ainsi, l’émergence des masses conduit paradoxalement à la victoire des élites dans la maîtrise du pouvoir.

Néanmoins, l’évolution de la représentation peut également être interprétée à l’opposé de Manin. Dominique Leydet propose une autre lecture sur la question du sens aristocratique de l’élection. Elle avance une version intégrale de la représentation, c’est-à-dire en employant la ressemblance. Pour cette auteure, le suffrage universel et l’éligibilité pour tous « rend[ent] possibles pour une proportion de plus en plus grande de la population l’élection de ses représentants, c’est-à-dire d’individus que les électeurs considèrent comme partageant avec eux des traits qu’ils jugent importants politiquement » (2002, 71). Cette interprétation de la représentation remet un sens démocratique et non plus aristocratique à l’élection. En effet, le représentant agit pour un semblable. Pour Leydet, c’est la représentation-mandat. Dans l’absolu, comme nous le verrons, cette vision de la représentation pose la question de la proscription du mandat impératif, attendu que l’élu agit pour une partie clairement définie de la population, son électorat. Il ressort ainsi que le sens de la représentation n’est pas définitif, et que c’est uniquement dans sa pratique que l’on pourra l’analyser.

Toutefois, les avancées comme le suffrage universel permettent de revoir l’analyse de l’élitisme au sein de la démocratie par l’implication de chacun, la pénétration des droits politiques et des médias dans les différentes couches de la population. Néanmoins, il reste le problème du choix qui quitte le giron individuel pour devenir celui des partis. En effet, l’émergence des masses conduit à une victoire des partis sur le processus politique contre l’individu. On observe ici une première phase de la dépossession de l’individu vers le citoyen collectif ou organisé. Un autre aspect ressort aussi de cette analyse. En-dehors de la représentation partisane, on doit se tourner vers le questionnement de l’identification du représentant en tant miroir de la société, c’est la question de la présence.

3.2.2. L’émergence des partis

Comme nous l’avons vu, le système représentatif depuis la fin du XIXe passe graduellement, mais inexorablement par le choix des partis. Pour Sartori (1976), le parti politique est central, car c’est l’intermédiaire entre la société et le gouvernement. Toutefois, l’avènement du parti n’a pas été simple en raison de son identification au terme péjoratif de faction et le risque de le voir défendre l’intérêt privé (voir Sartori, 1976, 7-13). En effet, les partis ont été perçus comme un fractionnement de la souveraineté populaire. Toutefois, l’avènement de la démocratie de masse et le besoin

55 Première partie – La représentation politique d’organiser la vie politique a donné tout son sens aux partis. Néanmoins, le parti est une ‘machine’ de sélection des élites en son sein et contribue ainsi à une perception aristocratique non démocratique ou à un élitisme démocratique. Il développe en effet des aspects élitistes, des facettes contraignantes (indication de vote) et disciplinaires (discipline de parti, possibilité de sanctions internes).

Sartori propose trois points d’analyse des partis. Premièrement, les partis ne sont pas des actions, ce sont des institutions. En effet, ils sont des instruments de la recherche des biens collectifs et n’agissent pas dans le cas de l’intérêt privé. À l’inverse des factions, les partis politiques ont pour tâche de faire le lien entre le peuple et le gouvernement. En résumé, « les parties sont des agences fonctionnelles […], alors que les factions ne le sont pas » (1976, 25).

Deuxièmement, par définition, les partis sont une partie d’un tout. On ne peut dès lors les associer uniquement à l’intérêt privé, alors qu’au contraire l’intérêt général ressort particulièrement dans leurs objectifs (1976, 26). Troisièmement, les partis sont des canaux d’informations. En effet, le rôle premier des partis politiques est d’être un intermédiaire entre la population et le gouvernement. Dès lors, leur responsabilité est d’agréger les demandes pour les retraduire dans les politiques publiques. Pour reprendre les termes de Sartori, les partis sont des instruments pour représenter le peuple en exprimant ses demandes (1976, 27).

Les partis politiques pour être définis doivent être regardés sur la base de l’acteur et du but. Il s’agit d’un instrument de conquête du pouvoir et d’agrégation des demandes. Le premier élément distingue clairement le parti des autres associations et groupes d’intérêts qui ont pour objectif d’influencer le pouvoir et non de le conquérir. Ainsi, un parti politique est un groupe qui se présente à des élections dans le but de faire élire des candidats pour des fonctions publiques (Sartori, 1976, 63). Cet élément de différenciation est simple, mais lourd de conséquences. En effet, il différencie la société civile des partis en tant qu’instrument/participant au pouvoir. Tant qu’on ne participe pas aux élections, on reste dans la société civile et, dans le cas contraire, on devient logiquement partie prenante de la société politique. C’est principalement pour cette raison que les partis politiques ne peuvent être considérés comme ‘membre’ de la société civile.

Le parti politique se trouve ainsi doublement critiqué. D’un côté, il est devenu le centre de la démocratie en s’octroyant les pouvoirs de désignation et en conduisant le Parlement à développer une nouvelle fonction, en plus de celles de législation et de contrôle. Il s’agit de la fonction électorale (Colliard, 2006, 224). En effet, le résultat électoral conduit naturellement les élus majoritaires à désigner leur leader comme chef de gouvernement. Il n’y a plus de désignation dans le Parlement, c’est la ratification du choix du parti. Cet exemple illustre la première critique, celle de la partitocratia où tout pouvoir découle du parti. En effet, le choix électoral devient de plus en plus ‘Westmintérien’ par le fait que l’élection conduit de plus en plus à la désignation immédiate du premier ministre au lieu d’amener à la négociation inter- partis 26 . Dès lors, le choix devient de plus en plus dépendant de la personnalité du

26 Jean-Claude Colliard exprime ce fait par une étude sur 60 élections où on retrouve 82% des cas correspondant à une désignation immédiate (2006, 221). Il s’agit de cas où la majorité est claire et permet de désigner le leader du parti comme premier ministre. Les 18% restant représentent les cas de démocratie consociative où on recherche une large coalition pour gouverner ou des cas de démocratie

56 La représentation en question dirigeant du parti et entraîne deux conséquences. D’une part, c’est le parti qui détient les clefs de désignations des gouvernants (et non plus la négociation entre élus) et d’autre part, on se retrouve dans une situation démocratique où la communication et l’image du dirigeant priment sur la proposition du parti ou sur le travail parlementaire. C’est la personnalisation du choix électoral.

L’autre aspect de la critique considère, à l’inverse, l’affaiblissement ou la remise en question des partis, notamment dans l’agrégation des demandes. Pour Franz Thedieck, les partis n’ont pas permis de corriger les défauts de la démocratie représentative, mais les a aggravés (2006, 158). En effet, le parti est perçu comme éloigné et corrompu. L’auteur propose un retour vers l’idéal rousseauiste de la démocratie directe avec une amélioration des conditions de la démocratie représentative pour asseoir une véritable légitimité populaire. Toutefois, Sartori en analysant Michels revient sur ce paradoxe que les partis politiques tout en contenant un ‘risque’ de confiscation de la démocratie peuvent être une source originelle d’une démocratie politique authentique. En effet, « if the democratic way of life springs from the voluntary creation of small and free communities inter pares –as it does – parties too are formed as voluntary associations and are, in fact, their typical political expression in large-scale democratic polities » (1987, 148).

Pour conclure, le parti politique est sous la critique, mais son rôle demeure essentiel. Il est également important dans la société plurielle d’analyser les autres organisations impliquant des fonctions même partielles d’agrégation des demandes ou de représentation.

3.2.3. L’expression de la différence au sein de la démocratie représentative

Comme nous l’avons vu avec Touraine, la représentation s’organise aussi hors des partis. Comme l’indique Jarré, « les ONG sont en un sens complémentaires des partis politiques qui, pour appréhender les diverses réalités sociétales, doivent avoir une démarche pluridimensionnelle tout en étant capables d’intégrer des intérêts et des positions divergents en une structure unique » (1999, 198). Ainsi, les mouvements, souvent représentants des intérêts minoritaires, ont développé des processus politiques ayant des implications sur la représentation. Parmi ces mouvements, on compte notamment les féministes. Le débat sur les quotas a posé en fait la question de l’identification quasi-physique au représentant. La réflexion autour de la similarité et du principe de distinction appelle l’analyse sur le débat autour de la politique de la présence. Elle peut se situer sur deux aspects. Le premier est relatif à la composition des assemblées. Toutefois, comme le relève Pitkin, « think of the legislature as a pictorial representation or a representative sample of the nation, and you will almost certainly concentrate on its composition rather than its activities » (1972, 226). L’autre manière est celle de la présence des minorités au sein de la décision avec des représentants clairement identifiés comme partie de cette identité. Nous nous attacherons à relever les idées quant à la présence et l’idée d’une représentation parfaitement identifiée. Le problème principal de la présence est l’adéquation entre les milieux ‘électeurs’ et les milieux ‘élus’. Or, il n’est pas convaincant de penser que

majoritaire qui en raison de résultats électoraux partagés doivent composer dans un cadre ‘d’union nationale’.

57 Première partie – La représentation politique seul un ouvrier peut représenter un ouvrier. Dès lors, il faut rechercher des possibilités de présence au sein de la démocratie représentative. De plus, nous revenons à un mandat impératif qui semble tellement contraire à l’idée de l’intérêt général. L’idée de la présence est aussi un constat sur les défaillances de la démocratie représentative au sein d’une société complexe.

Le lieu d’expression demeure le Parlement, en tant que lieu de prise de décision et également comme lieu symbolique de la représentation. Dès lors, il s’agit pour les électeurs de voir ses élus/semblables présents. Symboliquement, le milieu ‘électeur’ correspondant aura l’impression d’être mieux pris en compte. C’est le moyen de faire entrer ses intérêts particuliers au sein de la volonté commune. L’exigence de présence identique est donc un moyen d’être présent soi-même. Dominique Leydet écrit en l’espèce qu’il s’agit d’un mécanisme d’autoreprésentation. À l’extrême, il s’agit du cas « lorsque des ouvriers souhaitent être représentés par des ouvriers, des femmes par des femmes, des noirs par des noirs, etc. Il est clair que cette […] forme énonce une radicalisation de l’exigence de présence » (Leydet, 2002, 74).

Le problème principal de la représentation est l’expression du pluralisme de la société. En effet, en fonction de la définition choisie de la représentation, on se dirige vers des systèmes théoriques différents. L’appréciation par le libéralisme classique de la question se traduit principalement par l’éviction de toutes questions autres que l’opinion politique. Comme le rappelle Carol Gould (1996, 182), le libéralisme perçoit la question de la différence comme relative au domaine privé. À l’autre extrême du spectre théorique, on trouve des approches fondées sur la différence comme valeur culturelle positive. L’impact politique serait une meilleure prise en compte des particularismes des individus au sein de la communauté. Intercalés entre ces courants, on retrouve les pluralismes, avec la prépondérance des groupes d’intérêts, les tenants de la discrimination positive et une dernière plus institutionnelle, ce qu’appelle Gould, le multiculturalisme essentialiste. Cette dernière approche consiste à instaurer une proportionnelle intégrale des différents groupes au sein des institutions tout comme, par exemple, les cantons sont représentés au Conseil des États en Suisse. On trouve ici un premier élément sur lequel nous reviendrons dans le chapitre suivant sur la représentation fonctionnelle.

L’expression de la différence demeure une donnée complexe. Outre la question de l’adéquation 27 et de la similarité, une représentation juste en la matière se base sur

27 Anne Philipps élimine progressivement les idées les plus évidentes pour trancher ce débat. Permettre la présence ne peut pas se faire sans oublier les caractéristiques de la démocratie sous peine de tomber dans un communautarisme stricte qui limiterait la possibilité d’intégrer l’intérêt général comme but ultime. « Dans ce contexte, quel est le mécanisme approprié pour traiter de l'exclusion politique ? Les asiatiques peuvent-ils être représentés par des afro-caribéens, les hindous par des musulmans, les femmes noires par des hommes noirs ? Ou ces groupes n’ont-ils rien d’avantage en commun que leur expérience commune d’être exclu du pouvoir ? Dans leur livre récent Racialized Boundaries , Floya Anthias et Nira Yuval-Davies concluent que ‘la forme de représentation politique qui s’est développée hors de la politique identitaire et d’une égalité des chances [absolue] en essayant de représenter véritablement la différence sociale a créé une mission impossible pour elle-même’, et ce qui est une diversité positive des identités devient une dangereuse contrainte dans les efforts vers la représentation proportionnelle. Mais est-ce que cela signifie que rien ne peut être fait étant donné les risques, d’une part, d'une uniformité imposée et fallacieuse, et d’autre part, l’absurdité d'une recherche sans fin d’une catégorisation du pluralisme. Devons-nous abandonner cette recherche d’égalité pour des mécanismes spécifiquement politiques ? Les comités et les quotes-parts sont les procédures les plus évidentes pour traiter de l'exclusion politique, pourtant tous les deux dépendent d'une catégorisation antérieure sur la

58 La représentation en question l’incapacité d’empathie 28 d’un représentant pour une catégorie considérée comme différente (homme et femme, riche et pauvre, noir et blanc,…). Le débat emmené par Anne Phillips considère surtout les questions ‘genre’ comme étant primordiales au sein de la discussion de la présence et, par essence, différentes de la question ouvrière du XIXème. Pour elle, c’est donc le passage de la classe sociale à la différence physique qui crée une nouveauté et un nouveau défi pour l’expression du pluralisme (Phillips, 1995, 8). Dominique Leydet analyse différemment en rapprochant les deux débats. En effet, c’est toujours un désir de justice qui sous-tend la démarche ‘présentialiste’. De même, contrairement à Phillips, le but de la position socialiste n’était pas d’effacer la classe ouvrière, mais bien de l’affirmer sur la scène publique tout comme c’est le cas avec les femmes ou les noirs. Elle va même plus loin en affirmant que « la justification de l’autoreprésentation de groupes marginalisés repose toujours sur la constatation première d’une situation d’exclusion et d’injustice qui dénonce comme un leurre l’égalité formelle des citoyens célébrée par l’universalisme abstrait d’un certain modèle de citoyenneté. Sans un tel constat d’injustice, l’exigence de présence, si elle gardait un sens, n’appellerait plus de mesures spécifiques » (Leydet, 2002, 78-79). L’idée de la réparation d’une injustice peut amener une évolution dans la représentation avec, par exemple, une meilleure implication des groupes minoritaires au moment de l’élaboration des règlements ou au moment de la prise de décision.

3.3. La société complexe ou l’émergence du pluralisme

3.3.1. Du pluralisme …

L’expression des groupes dans la société se théorise également autours des approches pluralistes. En effet, la société plurielle est celle qui se réfère à la diversité, et suscite rapidement le questionnement de la conciliation avec la démocratie. En effet, une société essentiellement pluraliste serait une société fragmentée où le consensus nécessaire à la démocratie ne pourrait être atteint. Le pluralisme est aussi historiquement intéressant, car comme le rappelle Sartori, cette approche émerge dans un même mouvement avec les partis politiques (1976, 13). Cette refondation de la société autour de l’expression de chacun pose un problème aux représentants qui doivent de plus en plus répondre à un paradoxe : il faut agréger les demandes tout en préservant l’expression de la diversité. Il s’agit de contraintes fortes et différentes qui sont complexes à mettre en place.

Le pluralisme remet aussi en cause la représentation conçue comme le monopole des élites. Bernard Manin démontrait pourquoi le gouvernement représentatif a été conçu et comment, à travers les partis, les élites ont gardé leur pouvoir. Néanmoins, cette approche est rediscutée par le pluralisme. En effet, il s’agit de reconnaître une société

base de laquelle les personnes n’ont pas été associées. Ainsi, ni l'un ni l'autre ne semblent adéquats pour répondre à la complexité des identités politiques » (Phillips, 1995, 148-149 [trad. par l’auteur]). 28 La nécessité de la présence se place surtout sur le débat de l’impossibilité de se faire défendre par un tiers. Logiquement seule l’exigence de présence garantit la défense de minorités. « À chaque niveau, la politique de la présence renvoie à la notion que les groupes ont différents types d'intérêts, et que, [la puissance publique] échouant dans une distribution équitable des emplois politiques, il est dès lors difficile de croire que les politiques publiques seront équitables pour tous » (Phillips, 1995, 145 [trad. par l’auteur]).

59 Première partie – La représentation politique avec une circulation des flux de pouvoir, des agencements complexes au sein des groupes sociaux, et des affiliations multiples des individus. D’Arcy et Saez relèvent que « la société s’organise d’elle-même en se différenciant selon une sorte de séparation sociale des pouvoirs qui fait des systèmes modernes des ‘polyarchies’ » (1985, 22). Les polyarchies s’inscrivent dans le pluralisme, car elles se définissent par un gouvernement d’une entité composée par des personnes provenant de différentes classes, de différents milieux. On peut également interpréter cela comme des contre- pouvoirs qui permettent à un ensemble sociétal de participer aux politiques publiques.

D’un point vue théorique, le pluralisme se conçoit autour de trois niveaux : le pluralisme culturel, le pluralisme sociétal, et le pluralisme politique. La place des associations est ici prépondérante. En effet, une société est dite pluraliste « if, and only if, the groups are associational (not customary or institutional) and, moreover, only where it can be found that associations have developed naturally, that they are not ‘imposed’ » (Sartori, 1976, 17). Leca appuie la pensée de Sartori en rappelant que le pluralisme s’accepte dans les démocraties modernes comme un « pluralisme d’associations volontaires (c’est-à-dire non prescrites) et non exclusives (c’est-à-dire n’excluant pas les affiliations multiples à d’autres associations du même type dans d’autres domaines) et à rejeter toute autre forme dans les systèmes féodaux, tribaux ou de castes » (Leca, 1996, 232). On retrouve également ceci chez Graziano (1996, 196). Held va même à l’inverse de Madison en affirmant les factions, en tant qu’associations, sont une « source structurelle de la stabilité et de l’expression de la démocratie » (1996, 201). Ainsi, c’est une conception fonctionnelle de la société qui s’impose. Costa renforce ce constat en analysant que le démembrement du concept de souveraineté a pour conséquence de considérer l’État, en tant que puissance publique, plus qu’en tant que pourvoyeur de services et moins comme autorité suprême (2001, 94).

Il existe également des différences entre le pluralisme européen et le pluralisme américain, notamment, comme le relève Graziano, sur « la vision de l’État, le niveau du consensus politique nécessaire et le rôle du conflit » (1996, 204). Costa complète ce point en rappelant que le pluralisme aux États-Unis repose sur l’affrontement des groupes d’intérêts car c’est l’adhésion au système politique qui garantit l’équilibre. Au sein de l’Union, les groupes vont rechercher le consensus, attendu qu’il n’y a pas d’accord – identification – sur le système politique (2001, 95). Dès lors, le pluralisme européen est marqué par des modèles d’interaction nombreux et différents entre les groupes et la puissance publique. La distinction entre les pluralismes implique des considérations différentes sur le rôle des groupes.

Néanmoins, quel qu’il soit, le pluralisme s’inscrit dans une vision compétitive des intérêts. On peut différencier les groupes défendant des intérêts spéciaux et ceux s’inscrivant dans l’intérêt général. À ce titre, Graziano prévoit trois principes qui permettent de distinguer les groupes. Il faut, d’abord, que tout le monde puisse y adhérer. Ensuite, aucun titre économico-professionnel n’est requis, c’est l’ouverture à tous. Dernièrement, l’adhésion à un groupe ne se fait pas dans le but d’obtenir une contrepartie matérielle personnelle (1996, 217). De plus, David Held, en rapportant la vision de Dahl, expose que les groupes d’intérêts permettent de « structurer les outcomes […] et d’établir la nature démocratique du régime » (Held, 1996, 206). Toutefois, Held critique cette vision sur la question que « interest groups cannot be treated as necessarily equal, and the state cannot be regarded as a neutral arbiter

60 La représentation en question among all interests : the business corporation wields disproportionate influence over the state and, therefore, over the nature of democratic outcomes » (Held, 1996, 216). Ainsi, l’apport à la démocratie par les groupes peut vite être contre-balancé par les activités de lobbying qui poursuivent un intérêt spécifique. L’enjeu de la définition des groupes et la place des groupes d’intérêts est un aspect important des théories intégrant la société civile dans la gouvernance.

Dans l’approche pluraliste, la place centrale des groupes est basée sur le présupposé que les seuls partis politiques ne peuvent suffire à garantir un équilibre dans les États démocratiques. On doit intégrer l’existence des groupes qui agissent dans l’espace public (notamment Held, 1996, 204 ; Touraine, 1994 ; Hirst, 1993). Néanmoins, la société purement pluraliste ne peut exister car cela reviendrait à une affirmation antagoniste des identités à tel point que toute coopération serait impossible (Leca, 199, 265). Le pluralisme implique la recherche de consensus pour le ‘vivre ensemble’ et la coexistence pacifique. Dès lors, la reconnaissance d’identité différente ne doit pas conduire au chaos. Ainsi, le pluralisme n’est pas qu’une reconnaissance de la différence, il s’agit aussi de savoir légitimer la diversité. En effet, Graziano rappelle que pour arriver à cela, « il faut qu’il existe des liens, une confiance et des règles , et il est improbable que ces liens puissent résulter d’intérêts purement sectoriels » (1996, 202). On peut ajouter à cela que le système pluraliste ne s’inscrit pas dans une intégration de toutes les différences. Seuls certains groupes agissent dans ce cadre. Le travail du chercheur consiste principalement à définir quels sont-ils et sur quelle base on peut fonder leur légitimité. Il n’existe pas de règle absolue, car comme le note Olivier Costa, « tout système pluraliste résulte d’une dialectique entre l’unité et la diversité, d’un équilibre subtil entre ses vertus unificatrices et le potentiel de division que porte en elle la reconnaissance de la diversité et de l’autonomie des unités sociales » (2001, 96).

3.3.2. … à la recherche de l’équilibre

L’approche du pluralisme démocratique se compose de deux voies, celle défendue par Ljphart (démocratie consociationnelle) ou celle de Habermas (approche par le découplage culture et politique) 29 . La vision de Lijphart sera plusieurs fois évoquée au cours de cette partie. Divers auteurs d’ailleurs la traduisent comme une alternative idéale (Leca, 1996 ; Costa, 2001, 100). En effet, cette approche relève d’une société politique non issue de l’imposition d’une majorité sur les autres, mais d’un consensus avec la plupart des membres. Néanmoins, cette société ne peut, pour Jean Leca, qu’exister là où l’on retrouve des identités collectives construites au sein de véritables

29 Costa en parlant du cas de l’Union européenne évoque les deux options. La différenciation qu’il effectue est très intéressante pour la suite de notre analyse, notamment sur la question du choix de l’approche de Lijphart : « Mais les questions politiques ne trouvent pas leur solution dans la confrontation de groupes culturels : la règle est davantage celle d’une séparation ‘habermassienne’ du politique destiné à s’exercer au plan européen, et de la culture, qui doit rester de la compétence des nations et des régions. La culture ne constitue donc qu’un clivage parmi d’autres et n’est pas une grille d’analyse pertinente du processus décisionnel de l’Union, ce qui la distingue nettement du modèle de la démocratie ‘consociative’ de Lijphart. À cette réserve près, on peut décrire l’Union comme un système politique ‘pluraliste’ et contourner ainsi les contraintes impliquées par la démocratie, qui s’accommode mal de la diversité des populations et du principe de leur autonomie et réclame, par-delà l’existence de populations éparses, celle d’un peuple qui puisse être le siège de l’unité indivisible du souverain » (Costa, 2001, 109).

61 Première partie – La représentation politique

‘sous-sociétés’. Sinon, on se trouve dans une société sans cohésion avec des souverainetés multiples et entrecroisées ce qui « suppose pour être admis par les groupes une forte dose de tolérance et de pluralisme acceptés par conviction et par résignation ainsi qu’un minimum de garanties réelles fournies par l’extérieur. Comme dans de nombreux processus de ‘transition’, l’effet espéré du processus est aussi sa précondition » (Leca, 1996, 268-269).

Costa démontre l’actualité de l’approche pluraliste et de sa version consociationnelle en raison de la diversité et de la nécessité de la recherche de consensus afin d’emporter la volonté de tous. En effet, il n’existe plus selon lui de clivage prépondérant. Dès lors, il y a une redéfinition de l’espace public autour des différences, ou, autrement dit, d’un pluralisme des valeurs.

Diverses évolutions du pluralisme ont vu le jour, notamment sur le rôle des groupes. Brièvement, nous évoquerons une des évolutions principales centrée sur l’économie, soit le corporatisme, que Schmitter définit ainsi :

« a system of interest representation in which the constituent units are organized into a limited number of singular, compulsory, hierarchically ordered and functionally differentiated categories, recognized or licensed (if not created) by the state and granted a deliberate representational monopoly within their respective categories in exchange for observing certain controls on their selection of leaders and articulation of demands and supports » (1974, 93-94).

Ce dernier élément influence également la représentation dans sa part fonctionnelle. En effet, l’action des groupes devient plus importante. À tel point que l’on peut constater à l’instar de David Held, que les institutions représentatives ont été progressivement soumises à un processus de décision tripartite, c’est-à-dire le législatif, l’exécutif et la société civile organisée. Cette organisation politique s’articule autour de plusieurs constats. Premièrement, l’érosion croissante du rôle du parlement comme lieu central du débat et de l’élaboration de la décision a été supplanté en grande partie par l’exécutif. Deuxièmement, la représentation territoriale est remise en cause comme méthode d’expression ou de protection des intérêts, notamment minoritaires. Troisièmement, l’implication des citoyens dans la politique s’est modifiée au profit d’une activité plus associative que partisane. Dès lors, cela influe sur une action plus fonctionnelle que territoriale. En effet, les associations dans une large mesure se retrouvent autour de thématiques et ont souvent des ramifications extra-territoriales. Le corporatisme développe une approche sur ces mouvements en tant que nouvelle procédure institutionnelle dans l’équilibre social (Held, 1996, 228).

Au niveau de l’Union européenne, le problème est d’autant plus fort que les partis politiques, éléments structurants du clivage, n’ont jamais dominé le débat. Ainsi, l’UE est de facto pluraliste, notamment en raison de l’absence de cadre constitutionnel, la faiblesse du paradigme de la représentation politique, la distance séparant les institutions des citoyens, les sentiments communautaires insuffisants à l’extension du vote majoritaire, la nécessité de préserver de multiples équilibres (Costa, 2001, 93, 97). Il est dès lors essentiel d’intégrer d’autres approches, et notamment celles concernant la société civile. En effet, cette dernière semble répondre au cadre évolutif et souple qu’est celui de l’Union européenne.

62 La représentation en question

En conclusion, l’introduction du pluralisme induit au sein de la représentation une difficulté, comment organiser une représentation ‘juste’. Il semble que l’intégration de nombreux acteurs soit une possibilité intéressante afin de répondre à cette question. Ainsi, le cadre théorique de la représentation doit être rediscuté dans cette nouvelle perspective.

63 Première partie – La représentation politique

4. Une application de la représentation : le losange de la représentation politique

4.1. L’identification du représentant

Notre cadre d’explication d’une théorie de la représentation s’articule autour de la question du fondement de la représentation. Pour définir les axes analytiques, Andrew Rehfeld (2006) propose des définitions et des types d’actions qui encadrent l’acte de représenter. La question de base est de savoir ce qui constitue une personne comme représentant et lui permet d’agir au nom du représenté. À cette fin, Rehfeld propose de manière schématique de résumer la représentation.

Tableau 1.1. Définition des termes de la représentation

La fonction : C’est le propos de la représentation qui définit le travail que le représentant doit effectuer. Le représenté : Personnes, groupes ou choses représentés. Le représentant : Une part des personnes ou des choses qui se tient pour le représenté. L’audience : Les parties relevantes devant lesquelles le représentant prétend agir pour des représentés et agit selon la fonction définie. Règles de reconnaissance : Ce sont les trois règles qui permettent à l’audience de reconnaître un prétendant comme représentant. Panel qualifié Le prétendant doit être un membre d’un panel que l’audience reconnaît comme qualifié. Règle de sélection Le prétendant doit être désigné selon les règles de sélection reconnues par l’audience. Agent de sélection Les personnes en charge de faire respecter la règle de sélection doivent être reconnues comme appropriées par l’audience. Source : tableau traduit de Rehfeld, 2006, 6

Un des aspects importants de la proposition de Rehfeld est la question de l’audience. En effet, un représentant ne peut être avalisé en tant que tel uniquement s’il est reconnu par les personnes membres de l’endroit où il devra agir (reconnaissance par ses pairs). Un élu non adoubé par une assemblée en raison d’une remise en cause des conditions de son élection ne pourrait pas s’emparer du titre de représentant et agir au nom de tiers.

La question du panel qualifié est relative aux conditions d’éligibilité. En effet, on peut se rappeler du vote censitaire qui qualifiait comme membre du panel uniquement les personnes ayant un revenu supérieur à une certaine somme. Actuellement, la condition se situe en général sur l’âge et la nationalité. L’agent de sélection est aussi une notion intéressante car c’est celui qui est prévu par la loi pour nommer un représentant qui sera reconnu comme tel 30 .

Ainsi dans la représentation, la question de la procédure est essentielle pour interpréter qui agit et au nom de quoi il agit. Comme nous le verrons dans le cadre

30 Par exemple, en Suisse, dans le canton de Genève, le remplacement d’un conseiller municipal sans élection est effectué par le Conseil d’État, alors qu’un conseiller administratif doit nécessairement être élu dans une partielle.

64 La représentation en question européen, il peut exister multiples niveaux de fonctions avec des méthodes de sélection différentes. Un non-respect de ces règles pousserait inexorablement à la non reconnaissance de la légitimité des acteurs. C’est en décomposant le système représentatif que nous pouvons analyser à quoi tient la légitimité politique.

Dès lors, la représentation fonctionnelle peut avoir un cadre de légitimité si la procédure d’identification des acteurs qui peuvent agir est claire. Ainsi, le cadre de Rehfeld sera repris plus tard dans notre réflexion pour voir si l’intervention de nouveaux acteurs peut correspondre au cadre général de la représentation. En effet, chacun des éléments doit être discuté afin de définir une vision légitime des alternatives. Nous l’avons vu précédemment la démocratie s’appuie principalement sur la représentation et la procédure élective pour définir le cadre de légitimité. Il faut ainsi analyser d’autres voies en raison de l’émergence des groupes, qui, comme nous le présupposons, participent au bon fonctionnement du lien représentatif.

4.2. Le losange de la représentation politique

La représentation est donc une procédure de légitimité politique. Toutefois, ce n’est pas une procédure unique ni uniforme. Au contraire, elle est dynamique. La difficulté de reconnaître des critères de représentativité comme le démontre Rehfeld se comprend dans un ensemble qui comporte de nombreux acteurs. Dans cette dynamique évolutive, Pascale Dufour propose une construction en losange des formes de la représentation politique. Cette géométrie permet de disposer quatre pôles de la démocratie représentative avec des formes d’intérêts différenciés en fonction de l’action envisagée.

Tableau 1.2. Losange des formes de la représentation politique

démocratie libérale

démocratie de confrontation néo-corporatisme

démocratie citoyenne

Source : Pascale Dufour (2004, 22)

Ainsi, on constate que la représentation des intérêts est dépendante de différents pôles de représentation. Le pôle ‘démocratie libérale’ est « fondée sur la reconnaissance de la souveraineté populaire, favorise une représentation des intérêts des citoyens par le biais d’une délégation de pouvoir à des représentants élus, dûment mandatés pour le faire au moment des élections » (Dufour, 2004, 23). En d’autres termes, il s’agit de s’attacher essentiellement à la procédure de sélection des élites et moins au moyen employé. On se trouve dans la définition classique de la démocratie représentative en plaçant en exergue les élections comme mode de délégation du pouvoir. C’est la reconnaissance de l’action politique des délégués.

65 Première partie – La représentation politique

Le pôle ‘néo-corporatisme’ s’organise autour de la « représentation collective des intérêts liés à la sphère de production » (Dufour, 2004, 23-24). Ce pôle de représentation met l’accent sur les partenariats privilégiés entre certains acteurs et la puissance publique dans la mise en place des politiques publiques. Dans ce rôle, nous trouvons les consultations avant l’établissement des lois, une certaine partie du lobbying et également les partenariats mixtes sur l’application de politiques publiques. Le dialogue social trouve également sa place dans cette définition. Pascale Dufour construit ce pôle principalement sur la production capitaliste. En effet, l’action de secteur ‘non-productif’ est intégrée dans d’autres pôles.

Le pôle ‘démocratie de la confrontation’ a deux caractéristiques fondatrices. Il s’agit d’une part de la promotion d’intérêts collectifs non liés au mode de production, et d’autre part, on peut trouver des acteurs agissant dans les partenariats privilégiés qui décident d’aller sur un mode contestataire (Dufour, 2004, 24). Dès lors, ici, interviennent dans la représentation des mouvements institutionnalisés (syndicat) ou non (marche, collectif éphémère) qui reprennent des thématiques collectives. La relation de confrontation permettent d’entrevoir une relation de représentation dans le cadre du lobbying ou dans une relation avec le pouvoir public. En effet, il s’agit pour les acteurs ‘contestataires’ de discuter dans l’espace public d’une politique publique. Le placement de ce pôle dans le losange est, logiquement, en face du pôle ‘néo- corporatiste’ en raison qu’il s’agit ici de l’action du secteur non-capitaliste, caractérisé entre autre par l’action de la société civile.

Le pôle ‘démocratie citoyenne’ revient sur l’origine de la représentation. En effet, les institutions représentatives agissent au nom du peuple. Ainsi, le pôle ‘démocratie citoyenne’ conçoit l’action de représentation comme « une sorte d’auto-représentation collective des citoyens par eux-mêmes, en-dehors des structures partisanes et en- dehors des acteurs privilégiant la défense d’une cause ou d’un nombre restreint de causes, comme les mouvements sociaux » (Dufour, 2004, 26). Indéniablement, il s’agit de la société civile tel qu’elle se construit hors d’un cadre institutionnalisé. La démocratie ‘citoyenne’ se trouve en face de la démocratie ‘libérale’ en raison que la différence est sur le niveau institutionnel. Dans le premier cas, ce sont les citoyens qui agissent par eux-mêmes, alors que dans le deuxième c’est le cadre des institutions de la démocratie représentative qui s’applique.

Le losange de la représentation s’inscrit dans une logique de ‘découpage’ de la représentation. Le losange se base sur les études empiriques et les propositions des différents auteurs de la représentation. L’inscription des différents types de démocraties permet de remplir un vide au niveau des questions de représentation. En fait, la démocratie est plurielle. Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, les études pluralistes voient l’intervention de plusieurs acteurs au sein du processus décisionnel. Les tableaux 1.1 et 1.2 nous seront utiles dans les chapitres finaux pour analyser la place de la société civile dans le schéma représentatif d’ensemble. L’intérêt de ce schéma réside donc dans sa part de complémentarité alors que souvent les auteurs opposent des représentations considérées soit comme plus légitimes, soit comme plus efficaces. Ainsi l’analyse de la représentation s’inscrit dans un débat contesté, car comme le relève Sabine Saurugger :

« La définition de la notion de représentation ne reste pas moins contestée. Au-delà l’accord que représenter implique agir au nom des représentés, il semble qu’il y ait peu sur quoi des

66 La représentation en question théoriciens de la représentation peuvent s’accorder. Selon Philippe Braud, quatre axes peuvent être distingués. Il s’agit tout d’abord de l’idée de la délégation ou de mandat, d’où la différenciation entre le représenté et le représentant. Ensuite vient l’idée de la similitude : les représentants sont le microcosme du grand groupe. En troisième lieu la représentation connote encore l’univers théâtral, c’est à dire la mise en scène des intérêts des groupes, de ses conflits et de ses illusions. Enfin, les représentations évoquent des perceptions, à savoir ‘des agencements symboliques construits à partir de matrices culturelles déterminées dans lesquelles se trouvent transcrites et codées des situations sociales concrètes’ (Braud, 1985, 33- 34). Il s’agit de rendre sensible un concept au moyen d’une image ou d’un signe » (2003, 16- 17).

La reconnaissance de l’acte ‘représentatif’ se fait non sans peine en se heurtant souvent aux mêmes questions : Comment choisir ? Qui choisir ? Comment identifier la personne qui ‘va rendre présent’ ? Dès lors, nous avons vu que les questions de similarités, de compétences ou encore de choix entre les élites font débat. Comme les différentes perspectives étudiées ne peuvent apporter de réponses, mais simplement des clefs de lecture, nous devons nous résoudre à considérer la représentation comme imparfaite.

67 Première partie – La représentation politique

5. Une représentation imparfaite

5.1. Une représentation confisquée ?

Comme nous l’avons vu, la représentation est un débat permanent. Paul Hirst s’interroge sur la modification du sens de la représentation. En effet, il perçoit qu’elle cesse d’être une forme de délégation par le peuple et devient une forme de pouvoir exercée par des politiciens professionnels et par une bureaucratie. En quelque sorte, elle devient orientée ‘au-dessus’ du peuple et se contente de changer les élites entre elles lors des élections (1990, 28). Ainsi, la représentation actuelle est nourrie par des contradictions qui sont de trois ordres. Premièrement, le sens même de la représentation pose problème. En effet, le choix se porte sur des personnes, et non sur des décisions. De plus, la sélection des candidats est ‘confisquée’ par les partis politiques. Dès lors, l’élection n’est pas une expression pure de la volonté mais un choix entre des élites déjà sélectionnées (Hirst, 1990, 25-26). Deuxièmement, la loi est une règle générale universellement applicable, et ainsi ne transgresse pas les droits individuels. Toutefois, il existe une modification du mode législatif vers une base réglementaire où la décision et l’action se concentrent au profit d’agences exécutives. Dès lors, les citoyens sont exclus un peu plus du consentement à la loi (Hirst, 1990, 26). Troisièmement, il n’y a pas de représentation parfaite. En effet, les décisions se font à travers des packages qui comprennent l’ensemble des procédures de désignations. Selon le type choisi, les packages ont des conséquences politiques très différentes (Hirst, 1990, 27).

Ainsi, pour illustrer les packages , on peut identifier deux modèles représentatifs (au minimum). Le premier est le modèle républicain, basé sur le système français où l’élu est un représentant de la nation, et non de sa circonscription. Inversement, le deuxième modèle, d’inspiration anglo-saxonne, admet la représentation d’intérêts et reconnaît l’importance de la représentation de la circonscription (Leydet, 2002, 70). On a pu voir jusqu’à maintenant surtout la construction du premier modèle avec les questions que cela peut poser sur l’avènement du représentant. Le second modèle intervient de plus en plus dans le débat public sur la société civile. De plus, il s’agit de revoir dans les théories de la représentation les débats pluralistes, néo-corporatistes et participationnistes.

Souvent utilisé à contre-pied de la représentation classique, la représentation des intérêts et les approches participatives se sont réclamées d’un retour à une certaine démocratie directe ou pour le moins à un pluralisme sociétal. Le néo-corporatisme, lui, est plutôt analysé comme « une solution technique à l’expression des intérêts principalement professionnels en même temps qu’il enrichit les catégories de la science politique pour pallier les insuffisances du paradigme pluraliste » (d’Arcy et Saez, 1985, 25). On se retrouve ainsi dans une logique de complémentarité des pluralismes. Toutefois, pour certains auteurs, ce n’est pas aussi simple. En effet, d’Arcy et Saez (1985, 25) voient dans le développement de la démocratie participative le risque que les experts s’approprient les rapports avec la puissance publique. Dès lors, l’idéal de participation devient un privilège des élites.

Il faut aussi relever que l’époque contemporaine semble plus empreinte des nouveaux espaces communicationnels avec l’avènement des mass-media . Ainsi, le sentiment de crise de la représentation doit être replacé dans ce contexte. Manin attribue cette crise

68 La représentation en question

à une modification des attitudes vis-à-vis des partis. En effet, il semble que les électeurs sont moins fidèles et, par conséquence, s’identifient moins aux partis. La modification de comportement s’est effectuée en raison de l’affaiblissement des clivages dans la société, et surtout par le changement de la stratégie électorale. L’utilisation médiatique de l’espace public a considérablement changé le rapport aux politiques. Nous passons d’une politique-promesse à une politique-spectacle. La différenciation entre les élites médiatiques et politiques et le citoyen est maintenant plus importante. Dès lors, l’élu n’est plus socialement ancré, mais médiatiquement reconnu. Cette étude fait conclure Manin sur l’écart croissant entre « gouvernement et société, entre les représentants et les représentés » (1996, 247-248).

Cela contribue également à personnaliser la scène politique. D’où l’immédiate reconnaissance (identification) et attente vis-à-vis des pouvoirs exécutifs, et en particulier du premier ministre, et la perte de connaissances des parlementaires élus, trop nombreux et pas assez médiatisés.

5.2. Les paradoxes des institutions de l’organisation

Ainsi, comment s’organisent les institutions dans ce nouveau cadre représentatif. La représentation dans les Parlements s’inscrit dans ce mouvement et démontre que ces derniers sont encore des institutions centrales de la démocratie. Toutefois, le choix du type de représentation et de la capacité de représentativité reste un débat inachevé. Pour certains auteurs, comme Franz Thedieck (2006, 154-157), la représentation est toujours le symbole d’un confiscation de la démocratie par les élites. Il appuie son point vue du constat suivant. Les parlements, et en particulier le parlement allemand, ne remplissent plus leurs fonctions de bases voulues par la démocratie représentative idéale. La fonction législative est devenue une compétence de l’administration et de l’exécutif. La fonction représentative est déclinante en raison du manque d’adéquation entre les élus et la population (représentation-ressemblance). La fonction de contrôle a été dépourvue de sens en raison du soutien du parti majoritaire à son gouvernement. On a donc affaire à une cogestion de l’État. La fonction d’information est mise à mal par les pratiques de couloir. Finalement, la fonction électorale est celle qui demeure assurée alors qu’il ne s’agit pas de la plus importante. De plus, les compétences des parlements sont de plus en plus soumises à des impératifs incontournables qui éloignent l’électorat et ne trouvent pas de compensation parlementaire (législation européenne et rôle du Parlement européen, mondialisation,…).

Cependant, l’usage des médias ‘délégitimise’ le processus parlementaire et appuie les effets d’annonce. Il favorise également l’émergence des groupes pouvant conduire des actions de grande visibilité brèves dans le temps. C’est pour cela que l’inscription de la société civile doit se faire dans un cadre institutionnel. De plus, on constate que les citoyens sont encore attachés à ce symbole parfois malmené qu’est le parlement (se référer au tableau 0.1). Comme l’exprime Bernard Manin, cet attachement est en grand partie lié à l’aspect ‘sanction’ que contient le choix électif 31 .

31 Pour bien comprendre cet aspect, il est utile d’utiliser la citation complète de Manin : « Quand aujourd’hui un candidat se fait élire sur la base de son image personnelle et cherche à persuader qu’il est plus apte que les autres à affronter les difficultés de demain, les électeurs sont moins en mesure de se prononcer sur les décisions à venir que lorsqu’un parti présentait le catalogue des mesures qu’il se proposait de prendre. En ce sens aussi, le régime représentatif semble avoir cessé de progresser vers le

69 Première partie – La représentation politique

La question de la représentation interagit aussi sur le débat concernant le mandat électif. En effet, le suffrage censitaire permet de distinguer les notables parmi d’autres. L’élargissement du suffrage provoque une autre modification, celle de l’élection proportionnelle. En effet, le mandat impératif est proscrit afin de garantir la volonté propre de l’élu, et sur le fait que « pour faire face à des événements changeants, un système de mandats impératifs devient impraticable. Les mandats présupposent en effet que les électeurs sachent à l’avance ce sur quoi les gouvernants auront à trancher » (Manin, 1996, 213).

Toutefois, il est nécessaire que la représentation nationale soit un reflet du pays. Ainsi, le rôle de l’élu est éminemment difficile en raison de la méthode élective (circonscription) et son action qui est nationale. Pitkin rappelle qu’il n’est pas possible de pouvoir cantonner l’élu immédiatement (dès son élection) et uniquement (hors de sa circonscription) dans son rôle d’élu national. Ainsi, l’auto-représentation de son mandat est complexe : « The representative is, typically, both special pleader and judge, an agent of his locality as well as a governor of the nation. His duty is to pursue both local and national interest, the one because he is a representative, the other because his job as representative is governing the nation. That dual task is difficult, but it is neither practically nor theoretically impossible » (Pitkin, 1972, 218).

L’élu doit prendre en compte un nombre important de facteur dans le cadre de son mandat et pour sa réélection comme, notamment, l’intérêt de son parti, l’intérêt de ses électeurs, être soumis aux obligations de la législature, et aux conditions du jeu politique parlementaire. Ainsi, l’élu doit regarder le système d’ensemble pour comprendre son rôle et l’affirmer dans le cadre de la représentation (Pitkin, 1972, 220). On peut également aborder cette question dans le cadre de la difficile relation majorité-minorité. En effet, la démocratie représentative peut être sous certains aspects confiscatoires des décisions politiques, voire pire, en les légitimant au dépens de la minorité. Dès lors, est-ce que le peuple a perdu sa souveraineté, est-ce que la représentation a toujours un sens ? Ces questions se posent de manière de plus en plus aiguës.

Une des réponses classiques à la question de la sélection des représentants est celle de la théorie de la concurrence ( competitive theory ). En effet, si on analyse la démocratie d’un point de vue procédural, alors la compétition est source de démocratie. Il s’agit de la reprise de la théorie de Schumpeter, mais également de pluralistes comme Dahl

gouvernement du peuple par lui-même. L’impression de crise aujourd’hui prévalente doit beaucoup à l’intuition diffuse que l’on s’était mépris sur la direction de l’histoire. Le gouvernement représentatif s’est indubitablement démocratisé depuis son établissement au sens où sa base s’est élargie et où l’ensemble représenté s’est immensément étendu. Cette évolution-là n’a pas été renversée, l’histoire a confirmé ce que l’on avait cru. En revanche, la démocratisation du lien représentatif, le rapprochement entre représentants et représentés, le poids plus grand des souhaits des gouvernés sur les décisions des gouvernants se sont avérés moins durables qu’on ne l’avait pensé. En ce sens, pourrait-on dire, la démocratie s’est assurément étendue, mais il est au mieux incertain qu’elle se soit approfondie. Il faut rappeler, cependant, que dans le dispositif originel de la représentation, la dimension démocratique du lien entre gouvernés et gouvernants n’était ni la similarité, ni l’exécution par ceux-ci des instructions de ceux-là. Les institutions représentatives visaient à soumettre les gouvernants au jugement des gouvernés. C’est la reddition des comptes qui, depuis l’origine, constitue l’élément démocratique fondamental du lien représentatif. Aujourd’hui comme hier, la représentation comporte ce moment souverain où le peuple rend son verdict sur les actions passées des gouvernants » (1996, 301).

70 La représentation en question vers la création d’une polyarchie électorale. Une autre réponse donnée par Pitkin rapporte qu’aucune institution ne peut garantir l’essence et la substance de la représentation, si la société n’est pas empreinte d’un idéal de la représentation (1972, 239). Dès lors, cette société ne pourrait pas faire fonctionner des institutions représentatives. En même temps, si la substance représentative existe sans institutions, alors la représentation restera une coquille vide. La représentation ne peut exister que s’il existe les deux éléments. On doit aussi regarder du côté du représenté. En effet, le déficit d’information est un problème réel ainsi que la logique rationnelle du vote. Pitkin (1972, 219) relève que « voting decisions depend largely on habit, sentiment, and disposition rather than on rational, informed consideration of the candidate’s or the party’s stand on issues ». Ainsi, s’il existe une inégalité entre les citoyens en terme d’informations et que les habitudes prennent le pas dans le cadre de la décision, il faut se tourner vers le rôle des partis dans la capacité d’informer ou de s’impliquer dans le débat citoyen. Également, ce sont les partis qui sont chargés d’agréger les intérêts pour représenter tel ou tel élément socio-économique.

À l’inverse, Dastoli remet en cause le parti. Il base ses observations sur une remise en question de la capacité de représentation par les instances classiques (institutions politiques et partis politiques). Pour appuyer ce constat, il étaye son propos en rappelant que les partis ne sont plus les lieux de la vie sociale et l’éloignement progressif des institutions des citoyens (2002, 34). Laghmani appuie ce propos en analysant l’époque contemporaine par le fait que la démocratie requiert aujourd’hui plus la participation que la représentation (2006, 231).

Toutefois, Laycock rappelle que « deep disagreement also occurs over how instances and patterns of ‘representational failure’ can be remedied by nonrepresentational yet still democratic action and decision making » (2004, x). Si nous poursuivons la réflexion de David Laycock, la représentation est un point essentiel de nos démocraties. C’est en effet pour des raisons souvent mystérieuses une symbolique et une procédure de légitimité. La représentation inclue un système de valeur que Laycock énonce ainsi : « Thinking of ‘representational regimes’ is a shortcut to acknowledging not just the practical centrality of representation to modern democratic decision making but also its centrality to the ways in which specific institutions and practices of representation crystallize provisional and practical meanings over a range of basic political values » (2004, xii).

La question de la représentation demeure toutefois posée en terme de ressemblance. En effet, l’image du pays n’est jamais parfaite et même elle en est éloigné si on prend les critères de genres ou raciaux. Dès lors, des nouvelles techniques représentatives émergent, comme avec les quotas, et, on peut, dès lors, se poser la question de la réalité de l’interdiction du mandat impératif et de l’élection en raison d’une compétence reconnue, alors qu’il s’agit d’une élection dirigée en fonction de critères physiques et non qualitatifs.

Pour Anne Phillips (1995 ; 1996), dans ses écrits sur la politique de la présence, elle discute aussi la question de la représentation exacte – la représentation-miroir. Nous pouvons faire un lien avec l’associationnisme, et la représentation fonctionnelle, pour répondre à la question de quelle est la meilleure représentation possible. Les pluralistes critiquent la représentation territoriale, sur la base qu’un ouvrier du Yorkshire représenté par un avocat du Yorkshire n’est en fait qu’à moitié représenté,

71 Première partie – La représentation politique voire même moins. En effet, la réalité sociale de l’un et de l’autre est extrêmement différente. Néanmoins, on peut aussi concevoir qu’une personne issue d’une couche sociale aisée puisse parfaitement prendre en compte et défendre les intérêts d’une couche moins aisée, et de surcroît étendre son spectre représentatif à l’ensemble de sa zone territoriale. Ainsi, la question qui peut se poser serait : n’est-ce pas introduire une autre inégalité, outre les critiques vues ci-dessus, que d’intégrer la représentation fonctionnelle qui introduit une exclusivité selon la branche et aussi une sorte de mandat impératif ?

5.3. La représentation ou la recherche d’un difficile équilibre

En résumé, la représentation est empreinte historiquement d’une contradiction majeure. Il s’agit d’inclure tout en excluant. En effet, le principe de la participation de tous aux décisions fait partie du bagage démocratique. Toutefois, le peuple ne peut pas toujours être présent physiquement pour prendre des décisions. Ainsi, il est nécessaire de déléguer. Par conséquent, la représentation devient une contrainte d’efficacité. Toutefois, le choix du représentant exclut forcément les non- représentants. Ce paradoxe fondamental de la démocratie représentative continue à poser problème. Car en s’éloignant de l’idéal de Rousseau où seul est légitime le peuple rassemblé autour d’un pacte originel, la démocratie représentative s’est fondée autour de l’identité nationale pour rassembler et faire respecter le souhait de la majorité

Ainsi, la représentation parfaite ne peut exister. En effet, le choix selon des procédures de quota pour aller vers une représentation parfaite ou selon un système libre entraîne une série de conséquences importantes qui risquent d’enlever à la représentation la liberté de choix. En fait, la représentation est une série d’arrangements institutionnels qui cherche à maximiser l’égalité, l’efficacité et la légitimité. Toutefois ces derniers éléments se retrouvent souvent en opposition. L’idée de la représentativité les met souvent à mal. La légitimité se fait souvent au détriment de l’efficacité et inversement. En conséquence, la recherche de système représentatif est toujours en construction. Dès lors, nous reprendrons une réflexion du début du XXe siècle avec l’analyse de la représentation sous un autre jour, celui des groupes et de la représentation fonctionnelle. Nous formons ici l’hypothèse que c’est par ce détour que la démocratie peut se régénérer.

Comme nous l’avons vu précédemment, il y a deux systèmes politiques différenciés au cœur de la démocratie contemporaine, le modèle représentatif et le fonctionnel. À l’instar de Sabine Saurugger, on constate que ce deuxième modèle est encouragé par la place actuelle de nouveaux acteurs, comme la société civile, au dépens de la forme classique du représentant (2003, 20). Deux éléments concourent également à cela. Le débat sur la gouvernance a permis de sortir de la logique sémantique gouvernemental pour aboutir à un concept dont les marges sont flexibles et offrant la possibilité d’intégrer de nouveaux acteurs. L’autre aspect est lié à l’éclatement de l’individu atomisé au profit de l’individu organisé.

L’évolution démocratique démontre la continuité de certains problèmes. Le premier d’entre eux est l’expression du pluralisme et du respect des minorités dans un système majoritaire. Les théoriciens ont cherché pendant des siècles les procédures pouvant

72 La représentation en question garantir le maximum d’égalité et de justice. L’ouvrage Models of Democracy de David Held rappelle les différentes théories et approches possibles de la démocratie dans ce sens. Nous verrons également que la représentation des intérêts entre également dans cette recherche de juste 32 représentation.

L’expression du pluralisme dans la représentation se heurte à beaucoup de conceptions qui vont de la représentation-délégation à la représentation-miroir. La capacité d’une société à choisir son mode de représentation est extrêmement complexe. Entre la conception rousseauiste de l’homogénéité et l’essentialisme multiculturel, nous avons affaire à des approches fondamentalement contradictoires.

Un autre élément central est le choix de la procédure de sélection et de distinction, soit l’élection. Elle s’agit en fait de la méthode principale de légitimation des élus et la manière de les sanctionner. Dès lors, la période des élections est un temps fort de la démocratie. Il nous sert d’indicateur sur les forces en présence, mais également sur la capacité de réunir le peuple. On peut fonder l’hypothèse que plus le taux d’abstention est élevé, moins la population se sent concernée et inversement.

Ainsi, pour l’organisation de la représentation, les éléments de base sont, à l’instar de David Held, de reconnaître le rôle inévitable et central des parlements et des partis politiques. Ce sont ces institutions seules qui peuvent donner un cadre aux nouveaux acteurs de la représentation, comme la société civile (Held, 1996, 314). Il faudra s’accorder sur une approche de complémentarité entre la représentation classique et la société civile. C’est à cette fin que nous allons analyser la théorie ‘associationniste’.

32 Sur la question de la justice et du pluralisme, il faut brièvement aborder la perception de Michael Walzer sur la notion de justice et la construction d’un pluralisme universaliste. Critique de Rawls, Walzer démontre un ensemble politique qui se construit autour de sphères. La conception de la justice se base sur la séparation entre les sphères où dans chacune il y a une distribution particulière. Toutefois, l’individu a plusieurs sphères d’allégeance et n’a pas une identité figée. Dès lors, le pluralisme est multiple (Roman, 1997 ; Walzer, 1997). Ceci rend dès lors la conception de la justice extrêmement complexe en fonction du référent. En cela, il n’y a pas de critère absolu.

73

Chapitre 2 – De la représentation à la démocratie associative

1. Introduction aux auteurs

Afin de déterminer cette théorie, nous axerons notre présentation autour des fondements historiques d’une part, notamment les pluralistes anglais comme Laski et Figgis, et d’autre part, nous analyserons les versions contemporaines de la démocratie associative empreinte de pluralisme et de néo-corporatisme avec des auteurs comme Paul Hirst, Philippe Schmitter ou encore Joshua Cohen et Joël Rogers. La discussion s’articulera autour des questions du transfert de compétences, notamment dans le champ social, de l’État 33 à des associations ‘démocratiques’. Ces questions restent au centre de la problématique européenne. Afin de préciser les termes de l’analyse, la vision étatique sera remplacée par une mise en perspective dans le cadre des institutions européennes.

Deux aspects centraux seront étudiés en premier, le rôle de l’État et l’impact sur la représentation. En effet, la gouvernance associationniste propose de soustraire à la puissance publique certaines tâches en donnant plus de capacité d’action aux associations. À cette fin, cette théorie considère comme acteur principal la société civile et, ensuite, un État (ou puissance publique) qui se charge de définir un cadre général en assumant un rôle d’arbitre. Ainsi, il devient un gardien plus qu’un prestataire de services. Toutefois, l’objectif n’est pas de réduire les politiques publiques, bien que sur la forme, elles cessent d’être directement administrées par l’État. Par ailleurs le modèle de private interest government proposé par Wolfgang Streeck et Philippe Schmitter (1985, 25-6) va également dans le sens où l’État est plus que jamais nécessaire et doit être renforcé dans ses structures d’encadrement.

L’avantage de la théorie étudiée est de se situer entre la coopération et la concurrence, et d’établir une gouvernance démocratique au sein de la société civile. Toutefois, comme Sigrid Rossteutscher (2000, 181-3), nous devons rester sceptiques sur les bénéfices escomptés. L’efficacité du rôle des associations et la contribution à la démocratie de ces dernières restent à prouver. En effet, les risques d’une diminution du rôle des politiques publiques ou qu’elles deviennent préférentielles sont évidents. C’est pour cette raison que la société civile doit exister dans un cadre fortement démocratique qui permette son activité. De même manière, nous devons aussi avoir conscience des limites de l’agrégation par l’acteur ‘société civile’. Le Livre Blanc sur la gouvernance appelle à une responsabilité accrue.

Pour résumer l’ensemble des éléments, nous pouvons citer Graziano qui rappelle le projet et la solution pluraliste que nous tâcherons de suivre durant ce chapitre :

« L’auto-gouvernement est le principal projet du pluralisme. Dans toutes ces manifestations, celui-ci se présente comme une critique inlassable de l’aliénation du citoyen lié à l’État par des droits et des obligations purement politiques. La critique de la souveraineté mentionnée

33 Durant ce chapitre, nous utiliserons le terme État en tant que puissance publique délivrant des politiques publiques. Bien que l’UE ne soit pas à proprement parler un État, nous l’incluons de manière souple dans la définition en tant qu’organisation régissant des politiques publiques. Nous nous intéresserons pas au détail institutionnel de l’UE sur la prise de décision. L’enjeu est d’analyser ce modèle théorique et sa pertinence pour l’UE. Cette dernière assertion fera l’objet de la dernière partie de ce chapitre.

74 De la représentation à la démocratie associative plus haut, en plus de querelles doctrinaires, reflète ce mécontentement et cette aliénation. Le remède proposé renvoie à la représentation fonctionnelle, c’est-à-dire la création de domaines bien définis de compétence sociale et économique (la commune à laquelle on appartient, la profession qu’on exerce, etc.) qui soient plus proches du citoyen et susceptibles de permettre une forme de contrôle direct » (1996, 202).

Finalement, l’analyse portera sur la possibilité de concevoir l’action de l’UE sous cette approche. En effet, la remise en cause de l’État et de sa souveraineté et la rediscussion des fonctions qu’il doit exercer semblent être des principes intéressants dans le cadre de l’intégration européenne.

75 Première partie – La représentation politique

2. Associationnisme : Entre pluralisme et représentation

2.1. La puissance publique et les groupes

Comment développer une représentation plus efficiente ? Une des solutions que nous proposons consiste à reprendre les analyses sur les groupes fonctionnels. Central à notre analyse, le rôle des groupes doit être exploré sous l’angle qui semble le mieux convenir à notre objet d’étude, l’Union européenne. Il s’agit de la théorie pluraliste et la dimension associative en son sein. Toutefois, la prépondérance des groupes dans la démocratie ne se fait pas sans interpeller la science politique. En effet, de quelle représentativité peuvent-ils se réclamer ? Quels pouvoirs pour quelles institutions ?

Le constat actuel de la montée des représentations fonctionnelles se base sur l’étude du ‘déficit démocratique’ et un éloignement entre les préoccupations immédiates des citoyens et des politiques. Toutefois, on peut imaginer à l’instar des associationnistes que nous avons affaire à une nouvelle forme de division du travail politique lié à la surcharge institutionnelle. Le paradoxe de la légitimité actuelle est le fait de demander à l’État de régler l’ensemble des problèmes de société, tout en lui reprochant d’être trop intrusif. Ainsi, les conséquences sur l’efficacité d’une politique publique et sur la légitimité de la sphère politique sont importantes. Ce sont ces éléments qui contribuent au déficit démocratique et à la perte de confiance dans les institutions.

En plus de cette attente vis-à-vis de l’État, on peut ajouter « un déséquilibre dans l’agrégation et la transmission des intérêts et une perte d’efficacité du rôle des partis » (d’Arcy et Saez, 1985, 27-28). Le rôle des partis est ainsi remis en question dans leur rôle essentiel de ‘transmetteur’ des demandes, alors qu’il est omniprésent dans le processus de sélection et de conquête du pouvoir. On peut citer d’Arcy et Saez qui usent de la métaphore économique pour illustrer le nouveau rôle des partis, « les partis cessent d’être entrepreneurs pour se transformer en courtiers en agence d’escompte agissant pour le compte de donneurs d’ordre. Le crédit dont ils jouissent, en aucune manière illimité, est subordonné aux opérations de réescompte que sont les échéances électorales » (1985, 29).

Toutefois, le but des groupes et des pluralistes n’est pas de renverser la représentation actuelle, mais de la compléter avec l’institutionnalisation de la représentation des intérêts 34 . Actuellement confinée dans le processus de lobbying, la représentation des intérêts se trouve obligatoirement perçue comme une intrusion de l’intérêt privé au sein des institutions politiques. Toutefois, une nouvelle organisation permettrait de revoir la capacité gouvernementale vers plus d’efficacité ainsi que de permettre aux groupes d’agir dans un cadre général. Le risque principal de la représentation des intérêts est l’introduction d’organisations porteuses de mandats impératifs au sein des institutions. Par analogie, un représentant local (circonscription) élu à l’assemblée nationale devient le représentant de l’ensemble, il paraît envisageable qu’un groupe se retrouvant dans le cadre de l’intérêt général puisse également voir ce principe lui être appliqué.

34 Pour reprendre la formule de Paul Hirst, « Representative democracy can only be supplemented, not supplanted » (Hirst, 1990, 6).

76 De la représentation à la démocratie associative

Dès lors, l’objectif consiste à chercher un renouvellement de la délégation de pouvoir (acte de représenter) qui permettrait de re-légitimer le fonctionnement de l’État, mais aussi de le rendre plus efficace. En d’autres termes, il s’agit de montrer quelle pourrait être la contribution des approches associationnistes dans la réforme de la gouvernance démocratique. On peut définir l’associationnisme comme une théorie normative de la société axée sur la pensée que la liberté et le bien-être de l’Homme passent par une prise en main des affaires de la société par des associations qui s’autodéterminent (self-governed) démocratiquement et s’organisent sur une base bénévole et volontaire (voluntary) 35 (Hirst, 1993, 112).

Cette théorie émerge durant le XIXème siècle et reste très marginale en raison de la place importante des autres théories d’organisation de la société. Toutefois, malgré l’effondrement du communisme, aucune des deux théories prépondérantes, le libéralisme et la social-démocratie, n’arrivent à réunir l’adhésion de tous. Dès lors, le renouveau peut venir d’une société qui redonne au peuple sa voix, notamment en se basant sur l’activisme citoyen dans des associations. Si l’on admet que les inégalités sont au cœur du système 36 , cette théorie préconise que seules les associations peuvent réagir. En effet, la puissance publique ne peut être présent dans tous les domaines de la société, et le marché s’occupe principalement de domaines d’où peuvent se dégager des profits. Il reste, ainsi, l’acteur associatif qui recouvre un nombre important de domaines présents dans la société.

En d’autres termes, on peut qualifier l’associationnisme « as a normative theory of society the central claim of which is that human welfare and liberty are both best served when as many of the affairs of the society as possible are managed by voluntary and democratically self-governing associations » (Hirst, 1993, 112). Cette définition rejoint totalement le présupposé pluraliste qui se défie de l’autorité étatique comme seule actrice de l’organisation de la société au profit du secteur associatif (Nicholls, 1975, 10).

2.2. Cadre théorique

Parmi les approches théoriques, la démocratie associative s’inscrit comme une version du ‘pluralisme institutionnel’. Les autres variantes de ce courant sont la démocratie consociationnelle, le fédéralisme, et les théories sur les droits des groupes, notamment les minorités ethno-nationales. Au cœur de notre analyse, nous retrouverons ces champs théoriques dans les développements de l’associationnisme. En généralisant, le pluralisme institutionnel fait partie des grandes théories d’organisation politique avec comme rivaux classiques, le libéralisme, le républicanisme, et le communautarisme (Bader, 2001c, 187). La critique de ces théories politiques par le pluralisme institutionnel s’appuie sur six points que développe Bader dans son analyse (2001a, 3-

35 En anglais, il s’agit de voluntary association . Dès lors, nous avons opté pour la traduction de bénévole, au sens que la démocratie associative est aussi un modèle économique – se référer à la question de l’économie sociale ou du tiers-secteur. On entend également dans le terme voluntary l’aspect volontaire de la démarche dans le sens libre et non prescrite par l’autorité. Nous adapterons au cas par cas la traduction qui s’impose en fonction du contexte voulu par l’auteur 36 Par système, nous entendons un État centralisé omniprésent ce qui, aux yeux des pluralistes, correspond à un système qui génère des inégalités et affirme la prise du pouvoir par une administration bureaucratique tout en décrédibilisant les actions extérieures d’autres acteurs. Dès lors, chaque activité dépend de la volonté d’agir de ceux qui donnent ce service sans référence à l’argent ou au temps.

77 Première partie – La représentation politique

5) : un manque de concrétisation institutionnelle ; une sous-évaluation de la dimension politique à multiples niveaux ( multilevel ) ; une prise en compte simplificatrice des acteurs de la société 37 alors que les interactions sont de plus en plus fréquentes et complexes ; une sous-estimation de la complexité entraînant une fragilité en terme de capacité du gouvernement qui demande une ré-évaluation du rôle du gouvernement ; un manque de réflexion sur le rôle de la gouvernance économique et sociale par des acteurs autres que d’une part, le capital, et d’autre part, l’État. C’est à ces questions et à cette tâche que le pluralisme institutionnel, et en particulier l’associationnisme, souhaite apporter des réponses 38 .

En prenant l’exemple de la formation de différentes communautés qui coexistent avec différents standards 39 , on constate que cela pose un problème politique majeur. En effet, les antagonismes entre les groupes arrivent à un point où l’on essaie de capturer à son profit la puissance publique. Le choix de la politique devient un jeu à somme nulle ce qui met en péril le respect de la règle de la majorité, principe fondateur de l’équilibre démocratique contemporain. L’associationnisme cherche à réduire ce phénomène de jeu à somme nulle en passant par l’acceptation et la tolérance de l’autre. Du fait que chacun a une marge de manœuvre, il est obligé d’accepter celle de l’autre avec la puissance publique servant de cadre légal général pour l’existence pacifique. Cette application pourrait permettre de rendre les lois et règlements plus compréhensibles, et, d’une certaine manière, plus démocratiques. On peut également considérer que l’encadrement des associations permettrait d’atténuer les conflits par l’ouverture et la transparence. En effet, des membres d’une association peuvent aussi faire partie d’une autre, et ainsi démultiplier les allégeances pour donner un cadre global à leur intérêt. En conclusion, il s’agit d’une théorie politique qui donne l’expression la plus effective du mal-être de l’organisation sociale, mais de façon plus cohérente que la ‘simple’ contestation.

37 Les acteurs pris en compte sont de manière quasi-exclusive : l’État (républicanisme), le marché (libéralisme) ou la société civile (communautarisme ou théorie de la société civile). 38 Pour Hirst, les questions auxquelles doit répondre toute théorie d’organisation sociale sont : « Comment s’assurer de l’ accountability dans les démocraties représentatives ? Comment garder un équilibre dans des sociétés de plus en plus pluralistes avec des valeurs divergentes ? Comment permettre un accès efficace aux services publiques à tous de la même manière, sans être uniformisé et contraignant, et sans en même temps abandonner les plus défavorisés? » (Hirst, 1997, 22-23 [trad. par l’auteur]). L’objectif de ses ouvrages est de démontrer que la démocratie associative peut apporter une réponse rationnelle à ces dernières. 39 Ce phénomène est connu sous le nom d’ottomanisation (Hirst, 1993, 118-120).

78 De la représentation à la démocratie associative

3. Les sources de l’associationnisme : les pluralistes anglais

Bien que méconnus, les associationnistes élaborent un projet de société relativement pragmatique. Les sources théoriques 40 sont d’ordres divers : l’utopie décentralisatrice de Proudhon ; la coopération sociale avec Owen et Holyoake ; le pluralisme anglais porté notamment par Figgis, Laski et Maitland ; la Guilde socialiste anglaise de Cole (Hirst, 1993, 114) ; l’école allemande des historiens comme Gierke 41 ; les institutionnalistes français, notamment Hauriou et Durkheim (Bader, 2001a, 5).

A l’instar de Paul Hirst, nous favoriserons l’étude des pluralistes anglais car leur influence est particulièrement importante. Ici, nous n’aborderons pas l’ensemble de l’organisation de la société, nous regarderons le développement théorique sur l’aspect du rôle de l’État et le développement de la représentation. En effet, cette théorie propose à l’origine une re-fondation du modèle de production des richesses et un développement fonctionnel et fédéral. De surcroît, le pluralisme consiste à analyser la liberté comme la valeur politique la plus importante et qui ne peut être atteinte que dans un État où le pouvoir est distribué et dispersé. Également, on trouve un rejet de toute idée de souveraineté légale, politique ou morale. Finalement, la notion fondamentale réside dans la personnalité des groupes (Nicholls, 1975, 11). Dès lors, la société est ré-organisée sur des bases différentes. Ces dernières s’accompagnent d’une virulente critique du modèle majoritaire que personnifie le parlement de Westminster.

Le principe de base s’articule sur le fait qu’une société plus ‘juste’ ne peut s’organiser qu’avec l’ensemble des membres, dans un esprit de partenariat. Comme nous le verrons, cela engendre de rejeter le dogme de la souveraineté de l’État ou d’une puissance publique unique. Il faut aussi rappeler qu’en raison du rejet total ou partiel de l’État en tant que puissance publique unique, on distingue, évidemment, clairement les pluralistes des promoteurs du collectivisme étatique, mais aussi de l’individualisme libre-échangiste 42 . Au sujet des pluralistes anglais, nous devons relever trois points d’importance. Le premier est de rappeler le lien entre pluralisme et fonctionnalisme. Paul Hirst définit ce lien en rappelant que dans le pluralisme, il existe deux éléments centraux. En premier lieu, c’est l’établissement des associations comme moyen d’organisation de la vie sociale. Dès lors, et en second lieu, la représentation politique doit considérer le rôle des associations, et, ainsi, assumer le principe de ‘la représentation par la fonction’ (1989, 2). Le deuxième aspect consiste à différencier les pluralismes anglo-saxons, soit entre la tradition anglaise et

40 Dans une certaine mesure, nous pouvons aussi regarder deux encycliques papales. D’une part, Rerum Novarum de mai 1891 par le pape Léon XIII qui met en avant le rôle social de l’État ( welfare state ) et la place des associations dispensant des services. D’autre part, Pie XI et l’encyclique Quadragesimo Anno (pour les quarante ans de Rerum Novarum ) revient sur le principe de subsidiarité afin de rappeler le rôle des associations et s’élève contre une place trop importante de l’État. Cette encyclique démarque aussi la place de l’Église dans l’émergence des totalitarismes en Europe. 41 Il est intéressant de relever les parentés de pensée entre les différentes écoles. En effet, Gierke a été traduit par Frederic Maitland et donc à influencer les pluralistes anglais. Au cœur de la pensée de Gierke, nous retrouvons Althusius. Dès lors, nous comprendrons mieux la critique centrale de la souveraineté étatique chez ces différents auteurs (Endo, 2001, 9-14). 42 Nicholls résume très bien cette opposition aussi bien à l’individualisme qu’au collectivisme : « L’emphase des pluralistes sur l’importance des groupes dans l’État, et en particulier du rôle crucial des petits groupes, était une protestation contre d’une part l’individualisme et d’autre part l’idéalisme » (1975, 10 [trad. par l’auteur]).

79 Première partie – La représentation politique l’américaine 43 . Un des éléments de la différenciation porte sur la perception du rôle de l’État. Les pluralistes anglais remettent en question la théorie de la souveraineté et l’État central, alors que les pluralistes américains voient l’État comme le cadre dans lequel agissent les groupes sans le remettre en question. Dès lors, le pluralisme américain s’exprime par la compétition politique entre les groupes (Hirst, 1989, 3). La combinaison du cadre de l’État, légitimé par la société (compromis social), et de la compétition des intérêts fondent la démocratie américaine (voir Nicholls, 1975, 118- 119). Troisièmement, il faut rappeler que le pluralisme anglais a connu son apogée dans les années 1920 et par la suite fut mis aux oubliettes de l’histoire suite à la lutte entre les grandes théories que sont le libéralisme, le marxisme, et le fascisme.

Un des points de départ des associationnistes est extrêmement pragmatique. Il s’agit de la place prise au XIXème siècle par les associations de charité qui se sont investies dans le bien-être social à tel point que l’on crée « a civil society for the poor » (Hirst, 1993, 115). Dès lors, la réflexion sur la redistribution est répercutée en termes de solidarité et, une fois encore, sur la place de la puissance publique. Cet aspect pragmatique influencera la théorie sur deux points fondamentaux, soit d’une part, le rapport à la puissance publique, et, d’autre part, la considération de la représentation fonctionnelle.

Les associationnistes ont trouvé une réponse originale à la question de l’intégration de l’intérêt général au sein de la représentation fonctionnelle des associations. Comme le restitue Hirst, Cole développe une vision anti-utilitariste et individualiste avec des associations répondant spécifiquement à certains intérêts. Ce dernier point correspond au caractère personnel spécifique de chaque individu. (1989, 31). Néanmoins, l’individu agit également au sein la société pour sa construction. Dès lors, on peut définir qu’il se trouve une part d’universel dans l’individualisme. Ainsi, la séparation des deux, du point de vue des associationnistes, n’a pas de signification comme dans le libéralisme (primat de l’individu) ou le marxisme (primat du collectif). En résumé, l’intérêt général se trouve logiquement défendu par tous les intervenants participant à la construction de la société. Finalement, la défense d’un intérêt bénéficie à l’ensemble.

3.1. Le rôle de l’État

La démocratie associative dans sa dimension pluraliste est fortement ancrée dans une défiance de l’État, notamment de la souveraineté absolue 44 et de la tendance centralisatrice. Ainsi, les associations sont les acteurs premiers de l’organisation de la société. Le constat de la prise en main de tous les champs de la vie par l’État fonde la réaction associative afin de donner une place plus importante dans les fonctions re- distributives des associations, et de déplacer l’État vers un cadre général, comme une sorte de ‘surveillant des prestataires de services’. Toutefois, il existe des différences

43 Il faut relever parmi les auteurs les plus connus les écrits de David Truman, Wright Mills, Robert Dahl, Wolff, H Marcuse, H.S. Kariel. 44 Pour un bref historique sur le développement de la notion de souveraineté se référer à Endo, 2001, 25-30. De Jean Bodin à Carl Schmitt, la souveraineté évolue selon une conception restrictive. En effet, la substitution du pouvoir royal absolu au pouvoir populaire renforce le concept de souveraineté par le vecteur populaire. De là découle une dynamique irréversible vers l’indivisibilité de la souveraineté du fait de la nécessité absolue de trouver et défendre l’intérêt général.

80 De la représentation à la démocratie associative entre eux sur la place de l’État. En effet, les pluralistes sont pour un cadre étatique constitutionnel minimal afin de permettre la mise en œuvre des actions des associations, alors que la Guilde socialiste de Cole, influencée directement par les pluralistes, prône un anti-étatisme rigoureux.

L’approche pluraliste différencie clairement la capacité de l’État et le concept de souveraineté 45 . En effet, cette dernière est perçue comme une doctrine héritée de l’histoire de la pensée politique. Dès lors, la souveraineté n’est pas une situation de fait, elle est donc discutable (Hirst, 1989, 23) Ainsi, on retrouve une critique de Hobbes et de Bodin quant à la manière d’appuyer la légitimité de la puissance de l’État. D’ailleurs, Hirst poursuit le raisonnement des pluralistes en rappelant que :

« sovereign power is a project and one that is necessarily tyrannical in creating a monopoly of power, unless it is restrained by political and social forces and circumstances quite outside the doctrine. Figgis perceived that the combination of an all-powerfull state and a mass of individual citizens created the space for political tyranny. Individuals can only further their own personalities and objectives through associations, and if autonomous associations are regarded with suspicion and are objects of state suppression then genuine freedoom is at end » (1989, 24-25).

De ce fait, nous pouvons faire un lien entre les pluralistes et la démocratie associative. L’individu serait mieux protégé par la liberté d’association que par la souveraineté de l’État. On retrouve aussi la méfiance dans l’aspect hiérarchique et centralisateur de l’État.

Cette méfiance est renforcée par trois éléments. Le premier consiste à considérer le concept de souveraineté comme sous-estimant le rôle des associations, et par conséquent, de sous-exploiter les représentations fonctionnelles. La deuxième élément concerne l’État. En effet, à trop vouloir rendre l’État seul et unique agent, la doctrine de la souveraineté ne rend pas compte de la complexité sociétale et politique de l’organisation humaine. Finalement, la souveraineté sous-entend un rapport hiérarchique entre l’État et le citoyen au détriment de ce dernier. Ce qui peut devenir un grave problème en cas de désaccord dans le ‘pacte social’ et amène inéluctablement la lutte d’une partie contre la puissance publique (Hirst, 1989, 25-26).

Toutefois, les pluralistes ne sont pas en accord sur la solution de remplacement à la doctrine de la souveraineté. Certains ne souhaitent pas l’abolition de la puissance publique. Pour Figgis, le cadre étatique est essentiel. En effet, il a pour fonction de faire les lois qui vont permettre aux associations de co-exister et se développer (Hirst, 1989, 27). Il considère l’État comme l’association des associations (Hirst, 1989, 17; 1990, 76). D’autres, notamment Laski, sans être pour une abolition de l’État, le voient comme une source de législation parmi d’autres (Hirst, 1989, 28).

Dès lors, nous pouvons résumer la proposition pluraliste d’une part comme hostile à la souveraineté d’une administration centralisée, et d’autre part, comme en faveur de la notion de partenariat. Paul Hirst rappelle que les pluralistes pensent à une organisation autour d’un partenariat entre les autorités et les associations librement formées par les citoyens (1989, 6). Ce partenariat ne peut être mis en œuvre que si on

45 Sur ce sujet de la critique de la souveraineté chez les pluralistes, voir également Nicholls, 1975, 36- 53.

81 Première partie – La représentation politique remet en question la doctrine de la souveraineté qui doit être, au minimum, partagée, et, au maximum, supprimée 46 . Proudhon parle d’un octroi de la souveraineté de bas vers le haut, et non le contraire (Hirst, 1993, 122). Ainsi, il faut revoir les unités, tant territoriales que fonctionnelles, productrices de légitimité. Comme le rappelle Hirst (1989, 30), il n’y a plus de monopole d’État. Il s’agit de segmenter le pouvoir par la consultation obligatoire des associations dans la mise en œuvre de la loi afin de promouvoir l’action des citoyens librement organisés.

Aux remarques sur la souveraineté, nous devons aussi ajouter quelques éléments sur Proudhon. Chez ce dernier, nous retrouvons aussi une extrême méfiance de la souveraineté de l’État. À tel point que Proudhon propose un démembrement de la souveraineté au profit des différentes entités constitutives de la société humaine, dites naturelles, soit les familles, les guildes, les communes et les régions. Néanmoins, l’État conserve un rôle de coordination générale et de direction, mais il n’est plus souverain. Ainsi, il n’existe plus de niveau supérieur interventionniste. L’individu a latitude d’améliorer la société par les entités naturelles (Endo, 2001, 16)

Par conséquent, la remise en cause de la souveraineté se traduit par la mise en place d’un fédéralisme, clef de voûte de son système 47 . Ce constat s’applique également à l’approche pluraliste. En résumé, subsidiarité et fédéralisme sont les deux principes constitutifs de la société sans État souverain.

3.2. La représentation

La critique de la souveraineté de l’État conduit à une remise en cause de la représentation territoriale avec trois constats. Le premier consiste à relever le fait que le choix des représentants s’organise au sein des partis, et que finalement l’électeur n’a pas un véritable accès à l’ensemble des candidats. Logiquement et deuxième constat, il s’agit de considérer les élections comme étant devenues un plébiscite attendu que la politique ne varie que très peu selon la couleur partisane choisie. De plus, l’obtention du pouvoir peut se faire de manière démocratique et donner un pouvoir extrêmement fort, voire dangereux, à celui ou celle qui l’emporte. Le risque d’un despotisme électif est alors à son apogée (Hirst, 1989, 4-6). En conséquence et troisièmement, il faut revoir le système représentatif en intégrant partiellement ou totalement la représentation fonctionnelle.

On peut trouver plusieurs raisons à l’action de la représentation fonctionnelle. D’abord, les électeurs ne sont pas proches de leur élu uniquement en raison de leur appartenance territoriale. D’autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte, comme la proximité sociale. Reconnaître la différenciation sociale et les rapprochements ‘de classe’ permettent de dire que la représentation territoriale est incomplète. En effet, deuxièmement, Laski exprime ceci en notant que les chemins de fer sont aussi réels

46 La critique de la souveraineté propose une solution de type fédéral d’organisation de la société. Nous voyons aussi un point de parenté au sein des théories pluralistes institutionnelles. 47 Il s’agit en fait surtout d’une vision de la subsidiarité bottom-up dont il est question : « Tous ce que peut exécuter l’individu, en se soumettant à la loi de justice, sera donc laissé à l’individualité ; tout ce qui dépasse la capacité d’une personne sera dans les attributions de la collectivité » (Proudhon, De la capacité politique des classes ouvrières, Œuvres complètes III , édition de 1924, 213, cité dans Endo, 2001, 15).

82 De la représentation à la démocratie associative que le Lancashire (Hirst, 1989, 36). Finalement, la reconnaissance d’une société avec des réalités différentes amène à une identification d’une sorte de corporatisme au sein de la délibération.

On doit aussi reprendre ces éléments dans le cadre de la critique de la souveraineté de l’État. En effet, les pluralistes remettent en cause le fondement même de la représentation classique sur deux points. En premier lieu, ils constatent que la volonté du peuple a échappé à ce dernier, et, se transforme en la décision du corps des représentants. Cette conviction est renforcée, car un parti politique représentant une minorité de l’électorat et dirigé par une petite minorité peut se réclamer, par le biais de l’élection et de la participation, comme légitime selon le vœu du peuple. Néanmoins, le peuple ne peut donner sa volonté, ni la transmettre. Dès lors, la volonté revient à celle des représentants. Ainsi, la volonté souveraine du peuple est une idée absurde pour les tenants de l’approche pluraliste (Hirst, 1989, 26).

Le second point, exprimé partiellement ci-dessus, remet en question la souveraineté sans limite du parlement. En effet, pour Hirst, le parlement n’est pas souverain en raison de l’élection, donc par la procédure de représentation. Ainsi, le parlement peut modifier la procédure électorale ou suspendre pour une certaine durée (modification du calendrier électoral). Dès lors, le parlement est souverain, « because it claims for itself a constitutive power » (Hirst, 1989, 35). La composition de la loi doit donc être entourée pour prévenir cet effet à circuit fermé où celui qui dépend de la loi est celui qui la modifie ou l’abroge.

Le risque d’une telle critique est de dévier de l’intérêt général vers une somme d’intérêts particuliers. Dès lors, nous pourrions tendre vers une société plus fractionnée ce qui va à l’encontre du projet pluraliste. Cole propose une réponse qui met en avant l’aspect spécifique des associations. Pour lui, les individus ne peuvent pas être représentés, car on ne peut les circonscrire dans un cadre défini et limité, en conséquent l’acte de représenter ne peut qu’être limitatif. Ainsi, les associations doivent participer à la mise en œuvre de certaines fonctions sociales communes afin d’inclure l’ensemble de la population (Hirst, 1989, 31).

La proposition pluraliste est de mettre en œuvre une représentation fonctionnelle qui puisse contre-balancer la représentation territoriale. La remarque de Laski sur la réalité du chemin de fer et du Lancashire contient cette nécessaire dualité. Ainsi, on va vers un système de checks and balances . Pour le réaliser, il existe deux possibilités. La première est de créer une chambre de la représentation fonctionnelle qui serait un contre-poids à la chambre territoriale. La seconde serait de donner les conditions de la représentation plurielle à l’extérieur d’une chambre parlementaire, mais de mettre en place des procédures de délibérations permettant une forte consultation des intérêts organisés (Hirst, 1989, 7). Le but est de développer une démocratie de coordination entre les différentes fonctions de la société.

En conclusion, nous revenons sur le partenariat qui est une nécessité pour avancer vers une organisation sociale qui réponde aux modifications tant du monde politique que du monde économique. Il est important de rappeler que l’objectif des pluralistes n’est pas d’affaiblir la puissance publique, mais au contraire de la réformer et de l’améliorer, non pas comme pouvoir souverain, mais afin qu’elle devienne un leader social, orchestrant les affaires de la société (Hirst, 1989, 38). L’avènement du

83 Première partie – La représentation politique fascisme et la venue de la guerre sur le continent européen a gelé la réflexion associationniste pendant près de soixante ans. La partie suivante consistera précisément à analyser l’évolution des associations après la chute du communisme et le regain d’intérêt pour la démocratie associative.

84 De la représentation à la démocratie associative

4. Pluralisme et [néo-]corporatisme

4.1 L’axe pluraliste : les écrits de Paul Hirst

Le retour du débat autour des idées associationnistes est dû en grande partie à l’effondrement du bloc soviétique. En effet, le débat sur la fin des idéologies, sans s’accorder sur une suprématie libérale, a abouti à une discussion importante sur le rôle de l’État et de la société en-dehors des conflits dogmatiques de la guerre froide. Autant l’effondrement de l’URSS a marqué l’échec du communisme, autant le libéralisme ne peut triompher et ce, pour trois raisons. Premièrement, les deux guerres mondiales ont fondamentalement changé la place de l’État qui se trouve désormais plus ‘présent’, soutenu par une ‘machine’ administrative importante, alors que le libéralisme classique a été conçu autour de l’État minimal. Dès lors, nous nous trouvons face à un problème de gestion des affaires publiques important. Deuxièmement, la démocratie représentative « has atrophied, has become more a means of legitimation of centralized and bureaucratic government than a check upon it, at the very time when expectation of citizens are rising » (Hirst, 1997, 29). Cela a notamment trait à l’hétérogénéité croissante de la société où il devient impossible de donner des réponses centralisatrices sans risque d’avoir des remises en question par des mouvements minoritaires. Troisièmement, le libéralisme ne considère dans son analyse que le niveau national, alors que les crises modernes demandent l’implication du niveau régional et un partenariat accru avec différents acteurs. Ainsi, le libéralisme serait incapable de s’adapter au niveau décisionnel adéquat en termes économiques et politiques afin de rendre les politiques publiques plus efficaces (Hirst, 1997, 29).

Toutefois, cette fin des idéologies s’accompagne de l’émergence d’une critique sociale parfois très vive couplée à de nouveaux enjeux comme l’environnement, les questions genres, ou le mode de vie notamment (Hirst, 1994, 9). L’émergence récente de la société civile européenne et mondiale a poussé les puissances publiques à créer des cadres de participation parfois avec succès et souvent contestés. Une des ambitions des associationnistes est de pacifier ce conflit en créant de véritables endroits participatifs et représentatifs de ces mouvements au sein de la puissance publique. Dans ce contexte, l’associationnisme prétend offrir une troisième voie, plus participative et complémentaire à la représentation classique.

Pour la mise en œuvre de cette troisième voie, les associationnistes, comme Paul Hirst, font trois constats. Comme nous l’avons vu dans la partie historique, la place et le rôle de l’État restent un axiome de la critique associationniste. Dès lors, il s’agit de trouver la dimension qui permette de réconcilier légitimité et efficacité. Le deuxième constat est également basé sur les expériences précédentes, relatif aux rôles particuliers des associations. On peut par exemple réfléchir sur la gouvernance d’entreprise. Le troisième constat se situe sur la remise en cause globale du système au sein de la mondialisation. Ajoutons que ce constat s’inscrit dans un climat sociétal occidental où la menace militaire extérieure a disparu permettant un débat idéologique sur d’autres aspects de la société, comme l’identification des menaces les plus présentes qui sont maintenant internes et diffuses, notamment sur les aspects sociaux (Hirst, 1993, 114).

L’un des auteurs contemporains essentiels à la démocratie associative est Paul Q. Hirst (1946-2003). Nous retrouvons dans ses ouvrages l’influence des pluralistes

85 Première partie – La représentation politique anglais, ainsi que de la Guilde socialiste. C’est dans, The Pluralist Theory of the State. Selected Writings of G.D.H. Cole, J.N. Figgis and H.J. Laski , (1989), que nous retrouvons une analyse de la période allant de la fin du XIXème aux années 20. L’influence de cet ouvrage sur l’analyse par Hirst de l’associationnisme est évidente. Il s’agit de remettre dans le cadre contemporain les conditions du débat du début du XXème siècle, notamment en terme d’organisation de la puissance publique. Bien entendu, le focus portera sur les associations en tant qu’organisations autonomes, démocratiques, légitimes et bénévoles. Dès lors, nous retrouverons ce projet de démocratie associative et la critique du système politique moderne dans Representative Democracy and its Limits , (1990), dans l’article ‘ Associational Democracy ’, (1993), ainsi que dans son œuvre maîtresse de 1994, Associative Democracy. New Forms of Economic and Social Governance . Les racines pluralistes du projet sont rappelé dans son livre de 1997 From Statism to Pluralism . Le dernier ouvrage utilisé est un collectif qui fait le point sur le retour de l’associationnisme dont le but est de revenir sur un débat des idées quant au rôle des associations. Il s’agit de Associative Democracy: The Real Third Way , co-édité avec Veit Bader en 2001.

4.1.1. La place de la puissance publique

Lors du point précédent, nous avons exploré la pensée pluraliste sur la question de la puissance publique. La critique de la souveraineté n’indiquant pas une solution unique, diverses organisations de la société s’avèrent possibles. Pour Hirst, le but de la critique associationniste n’est pas de pousser à l’effondrement de la démocratie représentative, ni à celui de l’État, mais de donner un rôle à tous les intervenants tout en garantissant une place importante à la puissance publique. D’ailleurs, la question initiale n’est pas de savoir quelles politiques publiques vont être délivrées, mais comment vont-elles l’être ? Pour répondre, on met en avant comme acteur central, l’association, autonome et bénévole. Ceci implique des conséquences sur la manière dont est organisé notre modèle démocratique.

Ce dernier se situe dans une ère post-libérale. Cela se traduit chez Hirst par des compétences étatiques très étendues où la frontière n’est pas très claire, et où la société n’est pas auto-régulée (2001, 16-17). Ce constat entraîne un problème général de gouvernance, car :

« C’est un système social dans lequel la division entre les sphères publiques et privées ainsi que les formes de responsabilité particulières de chaque sphère ont été gravement compromis. La gouvernance n’est pas clairement limitée parce que son étendue est difficile à déterminer. Ce n’est plus limité à une sphère publique clairement définie. En fait, la démocratie représentative et le libre marché sont sérieusement remis en cause dans leur fonctionnement. Ce n’est pas qu’ils n’existent pas, mais ils fonctionnent tout à fait différemment et dans un contexte tout à fait différent pour lequel ils ont été conçus. Les institutions de la démocratie représentative ont été conçues pour le contrôle de gouvernement à une petite échelle dans une société s’auto-régulant. Le libre marché suppose une forte compétition et une ouverture pour les nouveaux entrants, un monde de petites entreprises chacune sans marché substantiel ou sans pouvoir social. Ceci n’est pas le monde où nous vivons. Nous habitons dans une société organisée dans laquelle les grands conglomérats contrôlent du haut vers le bas les activités des deux côtés de la division public-privé » (Hirst, 2001, 17 [trad. par l’auteur]).

86 De la représentation à la démocratie associative

Ce constat se complète par une critique sévère des grandes entreprises et des grandes bureaucraties. En effet, Paul Hirst entrevoit la concentration économique dans de grands conglomérats et la concentration de la sécurité sociale dans de larges bureaucraties comme des menaces à l’équilibre social. Par conséquent, il lui semble ‘absurde’ de constater à quel point le citoyen est maintenant dépossédé alors que c’est par ses économies et ses impôts qu’il permet à ce système de fonctionner (1993, 124- 125). Dès lors, l’entrée du pluralisme dans cette sphère a pour objectif une reprise du contrôle par ‘la base’ en utilisant les associations. Le décalage entre le modèle social et le monde réel entraîne une re-discussion sur les unités devant être prises en compte pour redonner de l’efficacité et l’adhésion. Cette discussion passe nécessairement par une prise en compte du fédéralisme, sous ses aspects décentralisateurs subsidiaires et pluralistes, (Hirst, 1997, 147) ainsi que par la place des associations. Ces derniers éléments sont renforcés par l’émergence des régions, ainsi qu’une division du travail de gouvernance entre les niveaux internationaux, supranationaux, nationaux et régionaux (Hirst, 1997,21).

C’est dans ce cadre général d’analyse que nous devons étudier l’organisation de la puissance publique. Hirst fait une proposition associative de deux ordres. D’une part, il faut redéfinir la démocratie représentative autour du rôle des associations et, d’autre part, intrinsèquement lié, cela consiste à établir le cadre légal de l’action et, donc de la procédure de mise en œuvre de politiques publiques.

Le contexte général de la re-discussion de la représentation passe par deux éléments : la place des partis et les taux décroissants de participation. Ces deux derniers sont liés dans la crise de la démocratie représentative. En effet, Hirst (1990, 4) analyse le passage à la démocratie de masse comme une réduction du choix politique afin de simplifier les enjeux. Par conséquent, la démocratie représentative implique un choix restreint pour les citoyens. De même, le rôle des partis tend à être très important, et celui du citoyen réduit à sa partie congrue. Cette ‘confiscation de la participation’ est renforcée par une tendance du système à la tyrannie de la majorité. En effet, « representative democracy permits party government legitimated by a popular vote, but that vote may ‘represent’ the choices of a minority of the active electorate » (Hirst, 1990, 30). Un lien direct entre la participation quantitative et qualitative est expressément fait 48 . Le manque de l’un entraîne inexorablement la perte du second pour la légitimation du choix et, par conséquent, conduit à un fossé entre l’électorat et les partis.

Hirst décrit quatre problèmes liés au système actuel (1990, 31). Premièrement, la représentation a tendance à glisser vers un despotisme électif, et à favoriser les possibilités hiérarchiques et centralisatrices de l’administration. Deuxièmement, les politiques publiques recoupent actuellement tellement de champs que cela rend impossible un contrôle effectif des affaires publiques par les dirigeants politiques. Ces

48 En effet, le débat important sur la question qualitative et quantitative de la participation évoquée par Elisabeth Sledziewski (1994) est tourné différemment par Paul Hirst : « The key test of democracy now is not ‘who votes’ but ‘where’ they can vote. But the issue is not where in the literal sense, but in what kind of institutions and for what kind of authority » (1993, 124). En d’autres termes, nous passons sur l’acquis du droit de vote généralisé et sur la nécessité de la représentation (se référer au débat du premier chapitre). Il s’agit plutôt de définir comment va fonctionner la représentation, dans quelles institutions et avec quel pouvoir. On peut ici reprendre la discussion sur l’essentialisme et la représentation de la présence évoquée dans le premier chapitre.

87 Première partie – La représentation politique deux éléments contribuent à rendre un-accountable les choix politiques. Troisièmement, la combinaison de l’organisation autour de grands partis politiques et le poids de l’administration renforcent le secret et le contrôle de l’information. Finalement, l’application d’un programme politique devient très complexe à mettre en œuvre pour un nouveau gouvernement en raison des contraintes exposées. Cette perception du manque de choix a pour conséquence un repli individualiste (Hirst, 1997,1) qui peut détruire le lien social et la solidarité nécessaire pour la bonne application des politiques publiques.

La non-prise en compte de la complexité de la société combinée avec la difficulté d’influer sur la puissance publique crée un décalage important entre les partis traditionnels et les nouvelles forces politiques. Ces dernières s’occupent de domaines extrêmement diversifiés qu’il est impossible de ramener dans le cadre de l’État central et unique. À tel que point que Hirst prétend que « new political problems and new social expectations are ill-accomodated by the old party systems in many Western states, and the traditional parties of both left and right command less and less popular support » (1994, 9). Cet élément renforce le décalage entre la démocratie représentative contemporaine et les problèmes rencontrés dans la société.

4.1.2. La proposition associationniste de Paul Hirst

Cependant, la proposition associationniste n’est pas celle de la suppression de la démocratie représentative 49 (Hirst, 1990, 33). Il s’agit plutôt de la renforcer en introduisant plus de pluralisme et un nouvel acteur, les associations. Ainsi, l’association serait un supplément ‘vital’ à la démocratie représentative (Hirst, 1993, 120 ; 1997, 24). Cela serait aussi aller dans le sens de Émile Durkheim pour qui la « démocratie n’est pas un ensemble d’institutions représentatives, mais une condition pour une interaction mutuelle basée sur l’information entre l’État et la société civile » (Hirst, 1990, 33). Dès lors, Hirst propose la création d’une chambre représentant les intérêts fonctionnels, soit une sorte de sénat corporatiste qui composerait la politique avec une chambre basse élue sur une base territoriale (Hirst, 1990, 13 et 34-35).

Dans ce cadre, la puissance publique imposerait un standard minimum de conduite et de services à délivrer s’adressant à toutes les associations. La place d’institutions indépendantes des associations est nécessaire pour la mise en œuvre et la surveillance de l’accord de gouvernance. Ensuite, la puissance publique garde son rôle re- distributeur en finançant les associations. Cet aspect démontre la volonté de dépasser le cadre d’un État omnipotent, fournisseur de services, à un État-gardien garant des services (Hirst, 1993, 117). Finalement, une société pluraliste ne peut pas se construire en ne se basant que sur les associations50 et nécessite une représentation territoriale (Hirst, 1990, 79). Ces éléments impliquent que la législation s’éloigne du

49 En effet, il s’agit peut-être du moins mauvais système au sens qu’il permet une réduction du risque de populisme, très élevé dans les referendums. 50 Dans le cas contraire, le risque est que la société se fragmente autour de pôles, détruisant toute solidarité sociale. En effet, la crainte de l’imposition d’autres morales politiques peut être aiguisée où l’État est centralisé et se réclame la totalité des pouvoirs dans la reconnaissance et la régulation des groupes et de leurs actions. Dans une tel État, les minorités doivent entrer en compétition pour contrôler ou influencer le pouvoir afin d’obliger les autres à vivre d’une certaine manière. Ainsi, l’État devient plus versatile dans sa manière de respecter les communautés (Hirst, 1993, 121).

88 De la représentation à la démocratie associative modèle régulateur centralisé pour intégrer une certaine souplesse. Pour cela, le principe associationniste représente un complément essentiel à la démocratie en concurrençant les formes de la domination sociale actuelle, soit, les partis de masse, la mainmise des fonctionnaires et les grandes entreprises (Hirst, 1993, 131). Dès lors, la démocratie associative s’inscrit clairement comme un complément à la démocratie représentative classique. Il s’agit d’élargir l’assiette de la légitimité à toutes les formes de représentation.

Un autre effet de la démocratie associative est le développement d’une chaîne de démocratisation des associations et de la société civile. D’une part, la responsabilisation et l’inclusion de tous les acteurs intermédiaires devraient aider à reconstruire une solidarité sociale en développant une identification commune. D’autre part, le fait que l’on puisse être membre de plusieurs associations crée une nécessaire collaboration entre elles plus qu’une compétition. La conséquence espérée est que « the combination of a reduction in powerlessness in the control of one’s own affairs and the removal of the fear of being at the mercy of hostile moral legislators ight well promote more widespread feelings of security on the part of citizens and a consequent lessening of hostility toward others » (Hirst, 1993, 121). De plus, la démocratie associative fait le lien entre l’individu et la collectivité (Hirst, 1997, 24). Le rôle de l’association ne se résume pas que par l’intérêt privé, mais bien par une contribution vers un intérêt commun en médiatisant, notamment, les souhaits d’individus dans le cadre de l’action de la puissance publique.

Outre les aspects de subsidiarité, de décentralisation, et de transfert de compétence de la puissance publique, la proposition de Paul Hirst demande un cadre économique autour du principe mutualiste, dont on peut tirer deux conséquences. La première consiste dans une mise en place d’une société non-lucrative et coopérative. La seconde est que les travailleurs prennent une place plus importante dans les décisions d’entreprise (Hirst, 1997, 32). Par extension, le mutualisme renvoie aussi à un choix politique qui encourage la coopération entre les entreprises de manière formelle (système de crédit) et informelle (transfert d’information). Ainsi, il ressort de la proposition associationniste l’avantage d’entrer dans un modèle coopératif, et également d’ouvrir le concept de gouvernance à la société civile (Hirst, 1993, 126).

Dans une perspective positive, Hirst (1994, 12-14) qualifie la démocratie associative comme un moyen de redonner de l’ accountability à la démocratie représentative en réduisant le champ d’action de l’État sans diminution des politiques sociales (prestations). L’objectif est donc de changer les méthodes de gouverner, actuellement dépassées par la complexité sociale (Hirst, 1997,3), et de s’inscrire dans un nouveau modèle de gouvernance. Ce dernier se compose, d’une part, de l’intégration de la société civile en tant que complément aux institutions de la démocratie représentative territoriale, et, d’autre part, par la société civile, d’avoir les outils nécessaires à mieux répondre au besoin de la société.

En conclusion, nous revenons sur trois questions au cœur de la réflexion de Hirst (1997, 22-23). Comment assurer l’imputabilité des démocraties représentatives ? Comment rendre cohérente une société de plus en plus pluraliste avec des intérêts et des valeurs divergents ? Comment rendre la société plus égale et performante au service de tous sans devenir régulatrice et uniforme ?

89 Première partie – La représentation politique

4.2. L’émergence des groupes et le débat néo-corporatiste

Au sein du pluralisme contemporain, plusieurs versions existent et se contredisent au moins sur un aspect, la place de la puissance publique. Afin de montrer cette différence, nous avons choisi trois auteurs. D’une part, Joël Rogers et Joshua Cohen, influencés par les idées néo-corporatistes, renforcent la thèse de Hirst en développant une réflexion sur les relations entre la démocratie représentative et la démocratie associative en plaçant la puissance publique au sommet de l’organisation sociale. Le texte clef est ‘ Secondary Associations and Democratic Governance ’ publié une première fois en 1992 et augmenté en 1995. D’autre part, nous regarderons la thèse, également, néo-corporatiste développée par Philippe Schmitter. Toutefois, ce dernier peut être classé dans la catégorie du pluralisme sociétal. Pour étayer notre propos, nous utiliserons trois articles de Schmitter. Le premier est ‘ Community, market, state – and associations ? The prospective contribution of interest governance to social order ’ co-écrit avec Wolfgang Streeck en 1985. Le deuxième et le troisième sont des articles publiés en 1992 et 1995 sous le titre de ‘The irony of modern democracy and the viability of efforts to reform its practice ’. Toutefois, malgré les différences entre les courants de l’associationnisme, notamment pluralisme et corporatisme, il existe une idée commune qui veut que l’organisation de la société se base invariablement sur des associations démocratiques ayant la capacité de représenter les intérêts, actuellement, peu organisés dans la représentation territoriale (Perczynski, 2001, 76).

4.2.1. La vision semi-étatique de Cohen et Rogers

Cohen et Rogers complètent la vision de Hirst en soutenant la complémentarité nécessaire entre le rôle des associations et celui de l’État. Leur objectif est de discuter deux éléments essentiels. Le premier consiste à revenir sur la tradition nord- américaine depuis Madison 51 de considérer les associations comme des éléments de discorde. Il s’agit même de reconnaître qu’« elles jouent un rôle central dans les sociétés démocratiques modernes » (Cohen et Rogers, 1992, 393). Le second est de remettre dans la discussion nord-américaine la place du néo-corporatisme 52 ‘à l’européenne’. Ces deux aspects vont leur permettre de construire un cadre d’analyse ayant pour objectif une amélioration de la démocratie en terme de bien-être social (welfare ) et de conscience civique. Les acteurs de leur analyse sont principalement les groupes d’intérêts (Perczynski, 2000, 164) tout en laissant une place importante à l’État – puissance publique.

51 On peut citer ici un des passages du Federalist X qui résume la méfiance et le paradoxe de sa position face aux associations : « La liberté est à la faction ce que l’air est au feu, un aliment sans lequel elle expire instantanément ; mais il serait aussi fou de détruire la liberté, qui est essentielle à la vie politique, sous prétexte qu’elle entretient les factions, que de désirer la privation d’air, qui est essentiel à la vie animale, sous prétexte qu’il donne au feu sa force destructive ». 52 Pour donner une définition succincte, nous reprendrons celle proposée par Mansbridge qui donne ces caractéristiques au néo-corporatisme : « […] [Cette théorie] estime les groupes d'intérêt comme le mécanisme institutionnel pour représenter les intérêts qui ne le sont pas dans la démocratie représentative territorial. […] Elle tente d’amener le système libéral de représentation des intérêts partiellement sous contrôle public. […] Elle regarde au-delà des intérêts traditionnels, économiques et sectoriels pour des intérêts qui devraient être représentés » (1992, 495 [trad. par l’auteur]).

90 De la représentation à la démocratie associative

Dans leur article, Cohen et Rogers utilisent la comparaison avec trois autres philosophies politiques pour démontrer leur thèse. Il s’agit du néo-libéralisme constitutionnel, du républicanisme civique et du pluralisme égalitaire 53 . De chacune de ces trois analyses ils retirent des éléments essentiels, notamment celui que les groupes peuvent poser des problèmes pour atteindre le bien commun. Toutefois, cela ne doit pas conduire à sous-estimer leur rôle dans la société. Comme le rappellent les auteurs, la liberté d’association dans les sociétés libérales conduit inévitablement à la formation de groupes jouant un rôle important (Cohen et Rogers, 1992, 416). Ainsi, nous devons prendre en compte ‘l’artéfactualité’ 54 des groupes, notion-clef chez Cohen et Rogers. En conclusion, de ces trois théories, une quatrième doit émerger afin de répondre aux différents problèmes, la démocratie associative 55 .

Pour Cohen et Rogers, la démocratie associative est « to encourage forms of group representation that stand less sharply in tension with the norms of democratic governance (Cohen et Rogers, 1992, 395) [and] to curb faction through a deliberate politics of associations while netting such group contributions to egalitarian democratic governance » (Cohen et Rogers, 1992, 425). Leur analyse se base sur six éléments de la gouvernance démocratique, soit la souveraineté populaire, l’égalité politique, l’équité redistributive, la conscience civique, les performances économiques positives et un État compétent (Cohen et Rogers, 1992, 417). Ils mettent en avant les problèmes liés aux intérêts particuliers qui se posent, notamment en matière d’égalité politique, de souveraineté populaire, et sur l’élaboration et la maîtrise de l’agenda. Par contre, les contributions positives peuvent s’énoncer en matière d’une meilleure information, d’égaliser la représentation, d’éduquer les citoyens (école de démocratie) et un mode de gouvernance alternatif (Cohen et Rogers, 1992, 424-425 ; Bader, 2001b, 34).

Afin de concrétiser cette organisation de la société, Cohen et Rogers proposent d’utiliser les moyens, notamment financiers, de l’État pour aider les groupes et promouvoir trois buts : donner une voie aux exclus de la représentation actuelle, promouvoir la coopération entre les associations, et aller vers une gouvernance plus

53 Nous pouvons tirer de leur analyse des trois théories quelques éléments. Dans le premier cas, le néo- libéralisme constitutionnel, les associations ne sont même pas étudiées, car on les considère comme un danger pour l’ordre social. Les seuls acteurs sont ceux reconnus par la Constitution. Toutefois, cette théorie oublie le rôle positif des associations en ne montrant que l’aspect négatif. Dans le second cas, le républicanisme civique, la société est envisagée par une séparation entre la sphère de l’État et la sphère de délibération publique où on reconnaît un rôle aux associations. Ici, le problème se divise en quatre. Premièrement, la séparation des rôles semble irréelle dans un monde complexe. Deuxièmement, on se retrouve dans un jeu à somme nulle dans la relation État-association. Troisièmement, l’acteur ‘association’ n’est considéré que dans une dimension statique. Finalement, il ne regarde pas assez l’aspect artéfactuel des groupes et les qualifie donc de fractions particulières. Le troisième cas, le pluralisme égalitaire, est assez proche de l’idée associationniste avec les groupes d’intérêt jouant un rôle central dans la démocratie. Il considère que ces derniers apportent une meilleure représentation, renforce la négociation, indispensable pour les intérêts ayant peu de moyens. Le problème est un regard idéaliste autour de l’égalité dans la participation des entrants (Cohen et Rogers, 1992, 397-415 ; Bader, 2001b, 33-34). 54 Nous utilisons ce terme directement dérivé de l’anglais artefactual qui conçoit l’objet d’étude comme une création humaine ou soumis à une pression extérieure. Ici, c’est la manière dont les groupes sont crées et agissent dans le système politique. Il n’y a pas de fonctionnement ‘naturel’. 55 Ils définissent la démocratie associative comme une politique délibérée de la mise en place du rôle des associations et la vision les considérant essentiels à la gouvernance démocratique contemporaine (Cohen et Rogers, 1992, 395). Pour la définition complète de leur raisonnement, voir Cohen et Rogers, 1992, 395.

91 Première partie – La représentation politique efficace par un rôle formalisé et direct des groupes (Bader, 2001b, 34 ; Cohen et Rogers, 1992, 416-426). Ici, nous retrouvons la vision complémentaire des associationnistes. Le rôle des groupes s’articulent essentiellement autour de la place des syndicats et des partenaires sociaux dans la négociation, la mise en place de normes et leur contrôle, notamment avec l’exemple de commissions tripartites et la création d’agences. Le rôle législatif des groupes est ici peu démontré. En effet, il s’agit de laisser l’encadrement et le ré-équilibrage par la loi comme une compétence de l’État classique. En d’autres termes, les négociations syndicales font partie des fonctions classiques qui s’ajoutent à la délibération politique classique. Mansbridge (1992, 501) complète en partie Cohen et Rogers en valorisant les groupes qui fonctionnent pour une part comme des syndicats (information, mobilisation), mais aussi ajoute une dimension délibérative interne extrêmement importante.

En conclusion, leur but est de répondre à deux types de critiques afin de démontrer l’efficacité des perspectives associationnistes en étudiant la viabilité de ce système aux États-Unis. Ces critiques sont relatives, d’une part, à l’inscription des associations dans un système marqué par le libéralisme en termes aussi bien politiques (démocratie représentative) qu’économiques, et, d’autre part, à la recherche de l’efficience économique avec quelles solutions pour les limites réelles en terme d’efficacité des gouvernements (Cohen et Rogers, 1992, 453-464 ; Bader, 2001b, 34-35). Il s’agit par le biais des associations de redonner à la puissance publique la capacité d’agir sur le bien-être de la société.

4.2.2. Les private interest governments de Philippe Schmitter

Philippe Schmitter propose une variante de l’associationnisme qui se veut également un complément à la démocratie représentative. Ici, les associations sont définies comme des groupes d’intérêts modernes. Pour lui, toute organisation qui se réclame d’une représentation de n’importe quelle cause ou intérêts peut entrer dans son modèle. Deux conditions limitatives sont mises en avant : des associations avec une structure interne démocratique et qu’elles soient à but non-lucratif (se référer au tableau 2.1). À cette fin, Schmitter propose une Charte pour toutes les associations qui souhaitent intégrer ce système. Cette dernière comporte une description « des structures internes, leur droit, et les moyens de contrôle externe, […] comme une garantie pour des procédures démocratiques, une garantie de non-intervention de la puissance publique dans les délibérations et choix internes et un engagement d’un accès public complet sur les revenus et dépenses des associations » (Perczynski, 2000, 165 ; Schmitter, 1995, 175).

Streeck et Schmitter observent dans une perspective corporatiste le rôle des associations comme un modèle alternatif et complémentaire de l’ordre social. En effet, ils démontrent que jusqu’à présent on a considéré l’organisation sociale comme une interaction entre trois sphères : le marché, l’État et la communauté (famille) (Streeck et Schmitter, 1985, 4-8). Toutefois, une sphère complémentaire semble se dégager, non-intégrable dans une des trois existantes, celle de l’association. Cette dernière permet de mieux appréhender la réalité sociale. L’émergence tardive de cet acteur est due à une méfiance quant au rôle véritable des associations sur le marché et, surtout, quant au développement de l’État (Streeck et Schmitter, 1985, 3). Nous l’avons vu précédemment, et comme le rappelle Schmitter, l’acteur ‘association’ a un

92 De la représentation à la démocratie associative passé historique ancré dans la tradition pluraliste et corporatiste (Streeck et Schmitter, 1985, 8-10).

Tableau 2.1. Règles générales pour un statut des associations dépendant des voucher

1 Procédure d’enregistrement spéciale et un statut pour toutes les associations agissant dans le cadre de le Charte et qui s’engagent dans des activités de représentation des intérêts (intermédiation). 2 Certification reconnaissant les associations présentes dans un nombre minimum d’États membres. 3 Assurance d’accès des autorités publiques à toutes les délibérations concernant la législation et la mise en œuvre dans les domaines d’intérêts respectifs (Vernehmlassungsverfahren ). 4 Garantie d’élection démocratique des responsables exécutifs et leur imputabilité devant tous les membres avec des garanties pour les avis minoritaires. 5 Engagement à accepter comme membre tous les individus, les entreprises, et ceatera qui démontrent un intérêt dans les activités de l’association sans considération d’opinion politique, de nationalité ou de race. 6 Interdiction de l’usage de la violence, du racisme ou de toutes formes de comportement criminel. 7 Engagement à une transparence totale sur les dépenses et revenus de l’association. 8 Interdiction de s’engager dans des activités à but lucratif. 9 Interdiction de contribuer aux financements des partis politiques, de mouvements sociaux ou d’autres associations (sauf les associations membres). 10 Faire la preuve de leur capacité à participer directement à la mise en œuvre de politiques publiques. 11 Non-intervention des autorités publiques dans les délibérations internes et dans le choix des associations, sauf pour s’assurer du respect du Règles générales d’engagement et des codes pénaux et civils. 12 Autorisation de recevoir des fonds publics, pris sur les contributions obligatoires des citoyens et distribués en fonction des voucher , en plus des cotisations volontaires des membres. Source: Schmitter, 2000, 61-62

Leur modèle repose sur une double interaction, entre les organisations, et entre les organisations et leurs membres. Ceux-ci créent un véritable réseau de communication permettant une reconnaissance mutuelle des associations et d’éviter un fractionnement entre des associations compétitives. Nous retrouvons ici une idée de Hirst quant à la nécessaire transformation de la compétition en la coopération entre les groupes. L’approche néo-corporatiste représente pour Streeck et Schmitter (1985, 16) une manière de donner à la sphère ‘associations d’intérêts’ un rôle qui contribue à l’intérêt général. Cette sphère se situe entre l’État et ‘la société civile’ (marché et communauté). Comme une alternative pour diriger l'intervention de l’État, « l’usage public des private organized interests prend la forme de l'établissement, sous le contrôle et avec l’assistance de l’État, de ‘gouvernements d'intérêt privés’ avec une délégation de compétences publiques – en tant qu’agences ‘d’autorégulation régulées’ des groupes sociaux avec des intérêts particuliers qui sont subordonnés aux intérêts généraux définis par les institutions appropriées » (Streeck et Schmitter, 1985, 16 [trad. par l’auteur]). Cette description du modèle des intérêts conduit à une réflexion sur les associations comme agents de souveraineté.

Le modèle de ‘ private interest government ’ ou gouvernement des intérêts privés s’occupe exclusivement des acteurs sociaux définis en fonction de l’intérêt collectif.

93 Première partie – La représentation politique

Le modèle mêlant les questions de gouvernement et d’intérêt a été souvent critiqué et confronté à un usage considéré comme illégitime du pouvoir. Toutefois, Streeck et Schmitter (1985, 17) appuient leur démarche par le fait que l’action associative correspondant à un intérêt collectif bénéficiera forcément à l’ensemble de la société bien que conçue à l’origine pour ne défendre qu’un intérêt bien défini.

En utilisant la théorie des organisations, Streeck et Schmitter démontrent quelques problèmes que peuvent rencontrer des auteurs sur l’organisation de la démocratie, mais aussi permettent de révéler certaines faiblesses de la théorie des organisations, notamment, le manque de prise en compte des intérêts organisés et des associations. Ces dernières sont souvent ignorées en raison de la complexité à circonscrire leur cadre d’action.

De plus, ils rappellent que sans une puissance publique leur modèle est impossible. En effet, le processus de négociation entre l’État et les intérêts qui doivent aboutir à ce gouvernement des intérêts privés dépend en large mesure de la capacité de la puissance publique à intervenir directement si l’intérêt collectif ne devait pas être atteint (Streeck et Schmitter, 1985, 20). Ce rapport à la puissance publique différencie la vision néo-corporatiste de Schmitter de celle purement pluraliste concevant le rôle de l’État comme subsidiaire. Ainsi, le passage des groupes de pressions pluralistes à ce système de gouvernement-gouvernance résulte de la place de l’État et de sa capacité à user de son pouvoir (Streeck et Schmitter, 1985, 19). L’ensemble de la vision de ce modèle se place dans un design institutionnel qui conduit à la participation de tous dans les politiques publiques à des conditions précises de responsabilité et d’ accountability .

L’avantage de ce modèle repose sur l’explication de la résolution des problèmes des trois autres sphères par cette nouvelle donne que serait la sphère associative. Cette dernière agit comme un réseau de proximité où l’État est déficient et l’aide ainsi à une plus grande légitimité de l’action publique. De plus, la responsabilité collective devient plus élevée dans la construction du modèle social. Ce modèle permet de trouver des arrangements entre le marché libéral et la démocratie politique qui sont pourtant peu compatibles. Toutefois, la place de la sphère associative ne peut pas se faire au détriment des autres. Seule la coopération et les interactions entre les sphères peuvent permettre l’organisation sociale. Nous avons vu à quel point la puissance publique est nécessaire. Le marché permet de garder des conditions de compétition nécessaire au dynamisme de la société et finalement, la communauté est un point de valeur important et qui peut être valorisée par la sphère associative (Streeck et Schmitter, 1985, 25-27).

94 De la représentation à la démocratie associative

En conclusion, il existe différents modèles d’organisation de la société incluant la société civile ou les associations. Néanmoins, chacun de ces modèles leur donne un rôle différent. Ainsi, nous pouvons utiliser le schéma de Sigrid Rossteutscher qui résume les différents modèles associationnistes avec la fonction politique des associations dans la société.

Schéma 2.2. Fonctions des associations dans les différentes versions de la théorie associationniste

Médiation des intérêts

MACRO Légitimité de l’État La dimension ‘appropriée’ des institutions démocratiques Prise de décision

Direct École de la démocratie

MICRO La dimension ‘appropriée’ de la démocratie citoyenne Confiance, intégration Indirect

Source : Rossteutscher (2000, 173)

On retrouve dans ce schéma l’ensemble des perceptions qui ont touché l’histoire des associations depuis Alexis de Tocqueville (école de démocratie) à l’ère contemporaine. On constate également que ces différentes versions peuvent se combiner. C’est sur la base de ce schéma qu’on pourra évaluer les différentes dimensions du projet d’incorporation de la société civile au sein de la gouvernance européenne.

L’aspect multi-niveaux de l’associationnisme pose problème quant à ces objectifs. En effet, il s’agit d’une théorie des acteurs intermédiaires tout en se réclamant de la ‘base’ avec des effets sur la manière de gouverner. Toutefois, il semble difficile de concilier l’ensemble des enjeux autour de la structure associative. Néanmoins, la force des associations est leur aspect multiple et insaisissable qui agit dans l’espace public. Ainsi, pour répondre aux questions du respect des principes démocratiques, les associationnistes n’ont d’autre choix que de reconnaître la complémentarité nécessaire entre leur théorie et la démocratie représentative actuelle afin de rendre crédible cette application de la gouvernance démocratique.

95 Première partie – La représentation politique

5. Analyse critique de la théorie associationniste

Dans les sections précédentes, nous nous sommes préoccupés de la pensée pluraliste et son prolongement corporatiste sans entrer de manière détaillée dans les critiques inévitables que l’on peut faire à cette théorie. En préambule, il faut souligner que les auteurs contemporains ont abandonné toute idée de supprimer l’État. Au contraire, ils proposent tous une vision coopérative entre la puissance publique et les associations, entre la démocratie représentative et la démocratie associative. Hirst explique qu’une

« purely associational society could easily degenerate into a series of petty tyrannies, each at war with one another. Individuals’associational memberships may well be plural and functionally specific; thus someone may belong to the Catholic Church for purposes of worship but not for most social activities. A state which did not protect individuals by imposing on associations degrees of membership and by making sure that relatively neutral alternatives were available may be pluralistic in form but would permit associations to practise a form of totalitarianism » (1990, 79).

Ces éléments appellent deux commentaires. Le premier consiste à ne pas oublier le rôle de l’État comme garantie de démocratie, et le second rappelle que les associations doivent nécessairement coopérer sinon le modèle tendrait vers une société fragmentée. Toutefois, est-ce vraiment le cas ? Est-ce possible pour l’État ? Que dire de l’acteur association ? Finalement, quelle évaluation du système dans l’ensemble peut-on faire ?

5.1 Démocratie et association

De manière provocatrice, on peut relever que le plus étonnant dans la proposition associationniste est la mise en avant des associations. En effet, cet acteur n’est pas à proprement parler un exemple de démocratie. Il est souvent critiqué pour son caractère autoritaire, sa défiance face à l’administration, son potentiel de désintégration sociale, son incapacité à être le véritable lieu d’éducation civique, et finalement la faiblesse de la démocratie interne. Rossteutscher explique ceci par le fait que le nouveau concept d’associationnisme promeut le vieux concept des groupes d’intérêts corporatistes. Ceci entraîne une conséquence fondamentale, c’est que la démocratie associative n’est en fait pas, en premier lieu, une théorie démocratique. La remise en cause de la souveraineté populaire et du principe de majorité au profit d’une division des tâches conduit à qualifier son statut démocratique d’incertain (Rossteutscher, 2000, 175).

Cette même auteure relève deux problèmes fondamentaux chez les associationnistes. D’une part, la volonté d’ancrer l’autonomie des acteurs associatifs en laissant un État régulateur, même minime, engendre un paradoxe. En effet, il s’agit, soit d’une modification profonde de la gouvernance ce qui pose des problèmes sur le respect des principes démocratiques, soit d’arrangements institutionnels qui dans ce cas ne changeraient pas fondamentalement le rôle de la puissance publique. Dès lors, la démocratie associative ne serait pas une proposition très originale. Le plus grand danger à ses yeux serait de supplanter les partis politiques qui ont l’avantage de donner des clefs de compréhension relativement claires aux citoyens (Rossteutscher, 2000, 176-177). D’autre part, la vision optimiste des associationnistes définissant les

96 De la représentation à la démocratie associative associations comme démocratiques par nature et en-dehors de quoi aucune démocratie ne peut vivre semble assez naïve. Toutefois, il existe dans la philosophie politique de nombreuses critiques sur la place des associations et des risques de la mise en œuvre d’une démocratie associative. En effet, ils perçoivent les associations comme pouvant entraîner la passivité des gouvernements et conduire à un appauvrissement des ressources sociales, et risquant de remettre en cause la liberté individuelle (Rossteutscher, 2000, 177-178).

Hormis cet ensemble de critiques, il faut ajouter un problème relatif au milieu social. Rappelons que l’ambition de la démocratie associative est d’améliorer la prise de conscience et la participation aussi des plus démunis de notre société. Toutefois, l’homme ‘organisé’ 56 n’est pas une réalité empirique. On constate plutôt que l’homme organisé et impliqué dans des associations ne représente qu’une part mineure de la société. En fait, il s’agit le plus souvent de personnes issus des couches sociales universitaires et ayant un pouvoir économique plus important que la moyenne de la population. Cette dernière assertion est soutenue par plusieurs études empiriques (voir Rossteutscher, 2000, 180). En conséquence, nous pouvons plutôt aboutir au constat que la démocratie associative est un soutien effectif à la démocratie plutôt qu’une manière de la rénover. Donc, la démocratie associative serait une pratique de la démocratie moderne, indispensable pour certains, superflue pour d’autres.

En résumé, Rossteutscher (2000, 181-183) met en exergue deux éléments critiques. Le premier concerne l’implication positive des associations dans la démocratie qui n’est pas prouvée. Au contraire, nous voyons de la confusion et des différences sur la manière dont elles devraient être intégrées. En effet, il existe autant de conceptions qu’il existe d’auteurs dans l’approche associationniste. Malgré les points communs, il est difficile de faire ressortir un modèle qui pourrait être considéré comme fondamental. Le second élément admet que les associations puissent être, tout au plus, une école de la démocratie. Une place plus importante dans la gouvernance serait dangereuse pour l’organisation sociale, car nous risquerions d’entraîner une course vers un dumping social du fait de la concurrence entre les associations.

Outre ces éléments, la prise en compte des groupes est aussi problématique. En effet, est-ce que toutes les associations sont admises dans ce mode de gouvernance ? Nous avons vu précédemment que certaines conditions s’appliquent 57 . Comme une sélection semble indispensable à la mise en œuvre de démocratie associative, certaines associations en seront exclues. Perczynski (2000, 166) précise que ces dernières continueront à participer à la vie sociale sans autres compétences supplémentaires. La sélection des groupes est également objet de critiques, car le choix est impossible comme aucun groupe ne remplit entièrement les conditions démocratiques. L’effort de définition des associations est un élément essentiel de la démocratie associative, car il s’agit de son point faible principal. Néanmoins, il s’agit également d’une stratégie des associationnistes afin de réduire le nombre de groupes

56 La question de l’homme ‘organisé’ est d’importance. En effet, il existe une tension entre l’autonomie de l’individu et l’autonomie collective au sein du pluralisme. De plus, la méfiance de l’organisation des intérêts est depuis longtemps ancrée dans la réflexion démocratique, aussi bien de Rousseau que de Madison, mais aussi par Tocqueville. 57 Pour les résumer rapidement, il s’agit de la Charte chez Schmitter (tableau 2.1), de la condition démocratique et la part volontaire chez Hirst, et également la condition démocratique chez Cohen et Rogers.

97 Première partie – La représentation politique agissants et de donner une portée pragmatique à leur modèle de négociation (Perczynski, 2001, 80). Cet aspect démontre une faiblesse, celle du nombre. Le pluralisme veut intégrer plus d’acteurs ce qui ne veut pas dire tous les acteurs. Immergut (1992, 484-5) se pose la question des intérêts ne souhaitant pas intégrer une large alliance de représentation. Il est probable dans le système de Cohen et Rogers que ces petits groupes puissent remettre en cause la négociation ou au contraire être totalement mis sous contrôle. Pour répondre à ce risque, Iris Marion Young propose un modèle extrêmement inclusif des acteurs dans le cadre de la délibération. L’objectif est de donner une ‘perspective sociale’ de et à toute la société (Perczynski, 2001, 82 ; Young, 1992, 529-534 ; 1995 ; 1997). Au contraire de Young, nous pouvons aussi adresser la critique inverse au pluralisme, soit un manque de précision quant à l’acteur incriminé. Certes, l’associationnisme sous tous ses angles met en avant des groupes d’intérêts ou des associations. D’une manière générale leur inscription dans la société se fait par l’acceptation réciproque de règles démocratiques ainsi que par le fait que la puissance publique surveille ceci. Toutefois, comment organiser une chambre des intérêts fonctionnels, élection ou nomination ? Au-delà de la déclaration, quelles sont les garanties que les politiques publiques seront toujours mises en œuvre par des associations ? N’existe-t-il pas un risque de favoritisme par l’État ? Ces questions seront évidemment centrales tout au long de notre analyse. Nous tenterons d’y apporter une réponse dans le dernier chapitre de cette thèse.

5.2 Association et État

Contrairement à ce que pourraient laisser entendre les débuts du pluralisme anglais, vouloir supprimer l’État de la gouvernance n’est pas une possibilité. Cette volonté conduit à une impasse, car tous les modèles s’appuient au minimum sur le besoin d’un ‘arbitre’. En effet, Walzer 58 explique cet aspect par un paradoxe éclairant qui est « […] que la société civile est marquée tout à la fois par l’inégalité, la fragmentation et la discontinuité, elle ne pourra accomplir sa mission – sauver l’État démocratique – sans l’aide de cet État qu’elle est censée sauver » (Chanial 2001, 157). Dès lors, l’État doit permettre à la société civile de trouver les conditions de respecter les principes démocratique dans un cadre solide. Néanmoins, ce dernier doit également être ouvert pour donner à la société civile la possibilité de s’exprimer : « En ce sens, seul un ‘État solidaire’ – le pôle de la solidarité secondaire – pourra renforcer et épauler une ‘société solidaire’ – le pôle de la solidarité primaire. Et réciproquement » (Chanial, 2001, 158).

Le débat de la place de l’État a aussi été un aspect de la discussion entre Hirst et Cohen et Rogers (Hirst, 1994, 37). Le premier critique leur vision trop ‘top-down’ où l’État est mis comme supérieur hiérarchique des normes et comme organisateur de la société. Un des points principaux de la critique s’articule sur l’aspect ‘artéfactuel’ des groupes. Selon Hirst, Cohen et Rogers en épousant totalement cette thèse rendent les groupes dépendant de la volonté politique, attendu que leur existence est liée à un choix public. Dès lors, Hirst propose de revoir la thèse de ‘l’artéfactualité’ des groupes par la notion de ‘construit politique’. Cette dernière permet un rééquilibrage de partenariat entre la puissance publique et les associations. Ainsi, les associations

58 On peut classer Walzer dans la catégorie des ‘associationnistes critiques’. À ce sujet, on renverra à l’article de Chanial ( 2001, 157).

98 De la représentation à la démocratie associative sont plus fortes si elles proviennent des citoyens que si elles sont ‘construites’ par l’État. En général la critique de la présence de l’État est une des bases de différenciation entre les pluralistes et la mouvance néo-corporatiste. Toutefois, la vision de Hirst est aussi ambiguë quant à la place de l’État, car en voulant à tout prix une puissance publique faible et des organisations autonomes, comment donc assurer une cohérence sans sombrer dans l’anarchie (Rossteutscher, 2000, 177) ?

Hirst se fait également l’écho d’un débat ayant émergé dans les années 20 mené par Hsiao 59 qui questionne la critique de la souveraineté sur la possibilité d’une coexistence entre plusieurs ensembles légaux. La réponse des pluralistes est claire : « […]It must have a single source in a legislature that claims to predominate over all others. This is specious, since pluralism never argued against a legal order. To suppose it did is to identify all legal regulation with the full consequences of doctrine sovereignty. Pluralism is not an anti-legal political theory […] (Hirst, 1989, 29)». D’ailleurs même les plus anti-étatistes, comme Cole, admettent « le besoin d’une régulation ou du moins le besoin d’une coordination dans l’organisation des affaires sociales » (Hirst, 1989, 29).

Sous un autre angle, Schmitter critique Cohen et Rogers sur l’aspect de la certification par l’État des associations. À son avis, cela risque uniquement de poser des problèmes en terme de surcharge de la législature. En effet, comment peuvent émerger de nouveaux entrants, par qui et comment l’accès au statut sera décidé. Ces questions font partie intégralement de la problématique que pose la démarche associative en tant que partenaire de la puissance publique. En effet, il s’agit de l’intégrer sans la surcharger et sans la concurrencer. Pour Cohen et Rogers, les questions se résolvent essentiellement par une analyse de classes que conteste Schmitter avec une analyse des intérêts très diversifiés. Sa proposition repose sur la mise en place de vouchers délivrés par le peuple, et non par la législature (Schmitter, 1992, 507-512). La pierre d’achoppement principale entre théoriciens de l’inclusion des intérêts demeure le modèle organisationnel et surtout la place que doit prendre la puissance publique. Il ne s’agit pas de contester cette place, notamment des parlements, mais bien du rôle à leur assigner.

5.3 Faisabilité de la démocratie associative

Sur le modèle général, notamment celui de Hirst, Bader fait six critiques sur la faisabilité de la démocratie associative (2001c, 189-194). Sa première remarque constate que la mise en œuvre de l’associationnisme nécessite une moralité et une loyauté plus importante que dans la politique actuelle. Sur cet aspect central, Hirst n’indique rien qui permette de concevoir comment faire autrement. Ceci est dû à la perception positive de la contribution du rôle des associations, et en quelque sorte d’être des ‘associatio-turbo’. La deuxième remarque met en avant que l’assouplissement législatif attendu par le transfert aux associations n’est pas automatique. D’ailleurs la dérégulation néo-libérale n’a pas amené moins de loi, au contraire. Troisièmement, il relève le paradoxe entre autonomie et contrainte de démocratie interne. La tension entre l’individu et l’ensemble collectif est mise en

59 Pour plus de détails, se référer à son ouvrage de 1927 Political pluralism .

99 Première partie – La représentation politique avant car il s’agit d’une tension entre le pluralisme et la liberté et l’égalité. La garantie semble impossible à tenir.

Quatrièmement Bader critique Hirst sur la question de l’ accountability , centrale au modèle associationniste, mais pas assez débattue. En effet, Bader (2001c, 191) démontre que le contrôle externe dépend de l’information et de l’expertise des intervenants. Par conséquent, on passe à un contrôle in actu qui demande une connaissance des dossiers importantes, et, donc, modifie la manière d’exercer l’ accountability . Cinquièmement, le modèle particulier de Hirst se base sur une démocratie bottom-up , mais ceci pose de vrais problèmes en terme d’égalité entre les acteurs, notamment les minorités ethniques, déjà affaiblies qui ne pourront accéder à la délibération et pourront même être moins protégées que dans un État centralisateur qui impose des normes de respect des minorités. La sixième critique de Bader revient sur le pluralisme en le trouvant utopique. En effet, les pluralistes espèrent que la particularisation de la société peut être évitée en dépassant simplement les clivages, et les identités. Mais, cette division de la société doit être prise en compte d’une manière institutionnelle et non rhétorique.

C’est sur ces éléments que Bader (2001b, 35-60) fondent trois types d’objections qui, bien que visant Cohen et Rogers, s’adressent à l’ensemble de la théorie associationniste. Ces objections sont d’ordre moral (axe normatif), prudential (axe fonctionnel) et pragmatique (réalisme). Les objections morales sont liées à la critique de la souveraineté. En effet, les pluralistes mettent en avant une critique où la seule réponse est la démocratie directe. Mais cette dernière n’est ni leur objectif, ni forcément souhaitable. Dès lors, il y a toujours un problème de contrôle et d’ accountability . Outre les avantages et problèmes classiques de la démocratie associative, Bader relève surtout le fait que la neutralité politique nécessaire à la délibération ne peut pas être atteinte. L’aspect de l’égalité politique entre les associations est un thème récurrent car le risque de voir les plus ‘fortes’ s’imposer est extrême. Dès lors, on peut se demander si la démocratie associative est le meilleur moyen d’institutionnaliser le pluralisme. Certains doutes se lèvent aussi en matière de conscience civique, ainsi que sur le futur d’une unité sociale.

Les objections prudentielles argumentent surtout autour de l’optimisme de la démocratie associative, notamment en terme de réalisation. Les associationnistes sous-estiment la force d’inertie de la machine administrative. Finalement, Bader s’interroge sur la faisabilité pratique avec les problèmes structurels qu’entraîne l’associationnisme, sur les risques d’incompatibilité et donc de contre-productivité entre la représentation et l’association, et entre les associations. Un problème important est aussi le désaccord entre le pluralisme étatique ( top-down ) et le pluralisme sociétal ( bottom-up ) qui pose de véritables questions en terme de mise en œuvre de cette théorie.

5.4. Démocratie associative et Union européenne

La théorie associative remet en cause le modèle classique de l’organisation de l’État et de la démocratie et permet d’entrevoir des constructions sociales non étatiques. En raison de cette caractéristique, cette approche s’avère importante dans le cadre de l’étude de l’intégration européenne. Également, sa relation avec le fédéralisme ainsi

100 De la représentation à la démocratie associative que la prise en compte du pluralisme 60 rend la démocratie associative intéressante au titre de possible développement de la gouvernance européenne en terme de participation, d’efficacité et d’ accountability 61 . La forte présence de la société civile à Bruxelles pousse aussi la réflexion vers le rôle des associations.

Dans ce contexte particulier de la construction européenne, Endo (2001, 31-35) entrevoit trois voies pour la souveraineté: la souveraineté schmittienne, la souveraineté althusienne, et la subsidiarité. Le premier scénario est celui de la réaffirmation de la souveraineté nationale par le biais d’une re-discussion majeure des des politiques européennes. L’aspect important est la justification de ce modèle par la souveraineté ‘une et indivisible’ du peuple. Actuellement, nous sommes dans un moment de l’intégration européenne qui peut poser ce type de questionnement avec le rejet de la Constitution européenne par deux pays fondateurs. Le deuxième scénario rappelle la théorie d’Althusius selon laquelle

« a shared sovereignty is no denial of sovereignty, but favours the sort of sovereignty that is plural, distributed, and limited, with the upper level power always dependent upon the consent of the lower ones and with the concept of the people based on the participation and representation of the particular and concrete identities. In a definite sense, it is a huge advancement, as compared to the organic-ethnic based, absolute and indivisible sovereignty » (Endo, 2001, 32).

La thèse défendue ici est celle de la souveraineté une (vers l’extérieur) et divisible (à l’intérieur). Le dernier scénario est celui de la thèse de Endo. De son point vue, dans le cadre de la subsidiarité il n’existe plus de souveraineté absolue et nous travaillons dans un environnement de multilevel governance . Dès lors, les différents échelons de la société ont tous une part de souveraineté en fonction de leur efficacité à agir dans telle ou telle politique publique ou pour délivrer un service.

Nous pouvons aussi percevoir l’évolution de la gouvernance au profit des groupes organisés. Le Livre Blanc sur la gouvernance semble en être un exemple. Paul Magnette relève que le but de la Commission est d’améliorer la participation, mais le Livre Blanc s’adresse plus aux associations intermédiaires qu’aux citoyens. Dès lors, nous penchons vers une ‘citoyenneté élitiste’ ou un ‘citoyen organisé’. D’ailleurs,

60 Sur le sujet du pluralisme au sein de l’UE, il est intéressant de signaler l’article de Wolfgang Streeck et Philippe Schmitter, « From National Corporatism to Transnational Pluralism: Organized Interests in the Single European Market » de 1991. Ils démontrent que le pluralisme est plus important au niveau de l’UE pour des raisons, entre autre, organisationnelles que dans les États qui ont développé un schéma plus corporatiste. Ce dernier semble difficilement applicable au niveau de l’UE malgré diverses tentatives. 61 Il est intéressant de relever sur l’intégration européenne l’opinion de Hirst qui met en perspective le pluralisme anglais comme une solution aux problèmes politiques que rencontre l’UE : « La Communauté fait face à deux besoins, celui d’une plus grande intégration économique, et celui de développer des capacités qui permettent d’assurer la croissance et la prospérité. Personne n’imagine qu’un super-état centralisé européen puisse faire cela et demeurer imputable, ni une telle intégration ne peut être laissée aux arrangements informels et quasi-informels entre les gouvernements nationaux et les principales organisations d’intérêt de la Communauté. La Communauté a besoin d’une organisation politique et imputable explicite, mais on ne peut pas trouver de modèle dans la souveraineté nationale. Un complexe confédéral avec des autorités pluralistes et un complexe avec de multiples zones de représentation dans les unités territoriales et les fonctions sociales qui sont représentées dans le parlement de la communauté peuvent être une réponse envisageable. Le pluralisme anglais donne une justification et un modèle pour une telle construction d’institutions pluralistes et une représentation multiple (1989, 8 [trad. par l’auteur]) ».

101 Première partie – La représentation politique pour Magnette (2001, 5), cet élément ressort fortement du Livre Blanc sur la gouvernance qui alterne le vocable de citoyens – dans le sens de l’ensemble de la population – , et celui de la société civile qui concerne que les intérêts. Ainsi, il y a une hésitation entre une conception universaliste et une fonctionnaliste de la participation.

Toutefois, cette hésitation semble plutôt profiter à la deuxième conception. En effet, les partis politiques sont exclus de la définition de la société civile et leur rôle peu souligné. Au regard du Livre Blanc, on constate que la partie ‘Accroître la participation des acteurs’ porte essentiellement sur la société civile 62 . Quant aux partis politiques, la seule phrase qui leur est consacrée est : « les partis politiques européens sont un important facteur d’intégration européenne ; ils contribuent à faire émerger une conscience européenne et à relayer les préoccupations des citoyens » (Livre Blanc sur la gouvernance, 2001, 20). Ainsi, le contraste entre l’importance donnée aux acteurs sectoriels et l’ignorance envers les acteurs universalistes est marquant (Magnette, 2001, 6).

Nous trouvons encore deux thèmes proches des associationnistes, soit la mise en place d’un code de conduite et des accords de partenariat (Livre Blanc sur la gouvernance, 2001, 20). Ces propositions semblent aller dans le même sens que celles de Schmitter avec la Charte, et même avec les idées moins formalisées de Hirst. En résumé, nous retrouvons dans le Livre Blanc des éléments de prise en compte du pluralisme et de la démocratie associative, bien qu’il s’agisse plus d’une manière de légitimation pour la Commission que d’une perspective fonctionnelle de la démocratie. Dès lors, nous pouvons concevoir une perspective associationniste sur la base des travaux et des mesures prises, d’une part, par la Commission, et, d’autre part, par le Parlement européen.

Philippe Schmitter transcrit, dans son ouvrage How to Democratize the european union… And Why Bother? , de nombreuses idées que nous avons vues précédemment sur la gouvernance, et en particulier la gouvernance européenne. Nous nous intéresserons en particulier aux propositions 9, 10, 11 qu’il énonce dans le cadre de la mise en place d’une représentation fonctionnelle au sein de l’UE. Nous tirerons quelques arguments de cet ouvrage. La première proposition (9) mentionne la mise en place de commissions spécialisées 63 avec de vrais pouvoirs législatifs délégués par le Parlement européen. Schmitter parle dans ce cadre de ‘ functional subparliaments ’. Le système serait supervisé par le Parlement qui déléguerait les projets à légiférer aux groupes spécifiques. En outre, afin d’éviter des injustices, les parlementaires pourraient se ressaisir d’un dossier. De plus, l’ensemble de ces organes serait soumis à la CEJE (2000, 56-57). Cette proposition met en commun la représentation territoriale et la représentation fonctionnelle. Toutefois, le problème européen est aussi lié à un problème de la procédure électorale dans le cadre de la représentation territoriale. Ceci fait l’objet de la proposition suivante de Schmitter (10).

La dernière proposition (11) est plus complète dans le sens du rôle des groupes dans la gouvernance européenne. Philippe Schmitter propose pour l’expression de ces

62 Il s’agit des pages 14 à 22. Les pages 17 à 21 sont exclusivement réservées à l’inclusion de l’acteur société civile, ainsi que de la mise en place de conditions démocratiques internes et externes. 63 Schmitter donne en exemple, les questions monétaires, agricoles, énergétiques, Schengen ou encore la coopération policière. (2000, 56-7)

102 De la représentation à la démocratie associative derniers une réforme basée sur trois axes : « l’établissement d’un statut semi-public pour les associations d’intérêts et les mouvements sociaux ; le financement par des contributions obligatoires ; la distribution de ces fonds par le moyen des ‘bons- citoyens’ » (2000, 59 [trad. par l’auteur]). Le premier axe repose sur les propositions de gouvernance des intérêts vues précédemment, notamment avec la mise au point d’une Charte des droits et obligations (voir tableau 2.1). Pour l’UE, Schmitter inclut uniquement les associations qui sont européennes par nature pour acquérir ce statut. Ce dernier serait un complément indispensable à la mise en œuvre de la proposition 9.

Les deux autres axes sont liés. En effet, comment utiliser une contribution publique sans augmenter les impôts, mais tout en intégrant les citoyens dans cette redistribution. La réponse est le ‘bon-citoyen’ ou voucherism . Cela consiste à distribuer à chaque citoyen des bons d’une certaine valeur, fixée par le Parlement, qui seraient distribués obligatoirement aux associations bénéficiant du statut semi-public. Aux yeux de Philippe Schmitter, cette solution permettrait, notamment, de mieux exprimer la diversité des besoins européens, de donner une prise directe aux citoyens, d’améliorer l’ accountability du système, d’étendre la notion de citoyenneté européenne, d’éliminer les risques de détournement et de corruption du fait de la donation directe et du contrôle par le Parlement, et d’aider à la création du nouvel espace public (2000, 63-64 ; sur le voucherisme : Perczynski, 2000 ; 2001). Bien qu’il ne s’agisse que de propositions, parfois utopiques, elles démontrent la possibilité de construire un autre modèle représentatif sans renoncer à la représentation parlementaire pour autant. Elles ont plutôt pour but de développer la possibilité de coexistence entre la démocratie territoriale et la démocratie fonctionnelle.

En conclusion, le rôle important de la législature est un point commun des pluralistes et des corporatistes qui ont pour objectif de trouver une manière d’organiser la place des intérêts dans la société. La version maximaliste est celle de Cohen et Rogers et celle minimaliste est représentée par Philippe Schmitter. Ce dernier développe une argumentation pour une place plus importante de la population dans le choix afin de répondre d’une part à la dimension démocratique et d’autre part à la dimension citoyenne, ce que les autres auteurs omettent peut-être plus. La version des pluralistes anglais de réfléchir à la mise en place d’une deuxième chambre des intérêts est séduisante. Comme nous le verrons, le travail du CESE est une voie dans cette direction bien que l’ouverture et la prise de décision soient encore insuffisantes. Toutefois, l’expression de la souveraineté populaire demeure le parlement.

Dans ce contexte, nous allons développer notre argumentation sur la question parlementaire, en particulier sur le parlementarisme européen. En effet, le Parlement est notre objet d’étude principal, et, de facto dans l’UE, le Parlement européen. Par conséquent, la compréhension de la spécificité du parlementarisme européen mérite une analyse particulière. Il s’agit également de comprendre la partie essentielle de l’organisation d’une démocratie. Les tenants de la démocratie associative reconnaissent tous un rôle à la puissance publique, et en particulier au Parlement. L’inscription de la démocratie associative s’effectue dans un cadre spécifique, c’est donc ce dernier que nous allons analyser.

103

Chapitre 3 – La représentation au sein de l’Union européenne : un régime semi- parlementaire

1. Introduction

Dans ce chapitre, nous nous pencherons sur les critères d’analyse de la théorie semi- parlementaire. Le but sera de comprendre sous l’angle de cette théorie l’organisation de la représentation au niveau européen. Fort de notre hypothèse sur les aspects sui generis de l’Union européenne, nous proposons d’observer le parlementarisme sous cet angle spécifique. L’avantage de la théorie semi-parlementaire est de répondre aux caractéristiques des institutions, comme s’appuyer sur un exécutif fragmenté ou des compétences parlementaires en cours de développement.

Dans un premier temps, on étudiera la représentation au sein de l’Union, et la manière dont elle s’exprime. Il est également nécessaire de revenir sur l’histoire de l’institution parlementaire. En effet, l’avènement du Parlement relève d’un effet de spill-over dû, en grande partie à la volonté des élus à faire signifier leur institution. Le parlementarisme européen s’inscrit dans un mouvement très intéressant de prise de compétences, et, de légitimité.

Troisièmement, la spécificité de l’Union sera aussi relevée par une incursion du rôle des États membres dans la construction de ce parlementarisme. En effet, que poussent les États à donner à l’Union un Parlement avec de vrais attributions parlementaires ? Ces dernières sont notamment de deux ordres, le contrôle de l’exécutif et le pouvoir législatif. Ces deux éléments nous permettrons de mieux comprendre le système parlementaire européen.

En conclusion, ce chapitre permettra de construire une première vision d’ensemble de l’Union européenne et, en particulier, de son Parlement. La critique portera sur les points favorisant ou pas le parlementarisme européen. En effet, compte tenu de la spécificité de la construction européenne, il s’agit de trouver un équilibre entre les différentes approches. C’est sur cet équilibre que nous pourrons baser notre analyse particulière des groupes au sein du Parlement européen.

104 La représentation au sein de l’UE : un régime semi-parlementaire

2. La représentation de l’Union européenne

2.1. Le déficit de l’information

Au contraire d’une opinion générale sur le manque de lien représentatif (déficit démocratique), l’Union européenne est actuellement marquée par un ‘trop-plein’ représentatif. Ce dernier est surtout lié du point de vue politique avec la démultiplication des instances régionales, nationales et européennes. Philippe Schmitter rappelle toutes les diversités de ces canaux de représentation :

« Les États membres dans le Conseil des Ministres, les partis politiques nationaux dans le Parlement européen, des intérêts fonctionnels sélectionnés dans le Comité économique et social, et, plus récemment, les unités régionales et locales dans le Comité des régions sont formellement présents dans le processus de prise de décision. De manière informelle, plusieurs classes, secteurs, professions et causes se sont organisés eux-même au niveau européen et ont trouvé leur place à Bruxelles, Luxembourg ou Strasbourg en parallèle d’un nombre toujours plus important d’associations d’intérêts nationaux, d’entreprises multinationales et d’études d’avocats internationales. Certains sont explicitement des représentants issus d’une circonscription, d’autres dépendent exclusivement des efforts volontaires et de l’appui de leurs membres. Certains ont le droit de participer à des décisions contraignantes avec le droit de parole et de vote, alors que d’autres sont invités par les institutions de l’UE à participer à l’élaboration de futurs projets contraignants par la voie de la ‘comitologie’ , d’autres encore influent sur les décisions de manière moins formelle par le ‘lobbying’ » (Schmitter, 2000, 53 [trad. par l’auteur]).

Ainsi le problème de la représentation de l’Union européenne n’est pas lié à l’absence de réseau représentatif, mais, davantage, à la complexité et la relative opacité de la prise de décision au niveau européen (Schmitter, 2000, 54). On peut aussi entrevoir le problème de la représentation au sens large avec l’intervention de l’élu national qui participe dans certains votes de transposition des directives au sein des parlements nationaux. De plus, certains acteurs peuvent avoir plusieurs mandats (représentant de région et élu national et délégué au Comité des Régions).

Tableau 3.1. Les réseaux représentationnels dans l’UE

Institution/Représentant Représenté Mode de sélection Parlement européen Les peuples des États Élection membres Commission européenne Intérêt général Nomination par le Conseil communautaire européen et confirmation par le Parlement européen Conseil européen/ Conseil États membres Procédure de désignation des ministres nationale Comité économique et Dialogue social Proposition des États membres social Comité des régions Collectivités régionales et Proposition des États membres et locales il doit s’agir de représentants engagés politiquement dans une collectivité Source : Traité de Nice, mise en forme par l’auteur

À la lecture du tableau 3.1, on constate que la corrélation entre le représentant et le représenté en fonction du mode de sélection n’est pas forcément en faveur de

105

Première partie – La représentation politique l’intégration européenne. En effet, la mixité des représentations et la présence importante des gouvernements nationaux semblent primer sur le reste. Ainsi, les sphères de représentation ont chacune une logique propre.

Une étude de Schmitt et Thomassen (2000) démontre sur des bases empiriques le fait que la représentation au niveau de l’UE, d’une part, fonctionne correctement par les institutions, et d’autre part, symbolise, paradoxalement, le décalage entre les représentants et les représentés. Les premiers sont nettement plus pro-européens que les derniers. Les raisons de cette inadéquation de la représentation se place souvent par hypothèse sous le signe du différentiel d’information. De plus, la complexité des enjeux européens tend à placer les électeurs dans une logique conservatrice en se tenant aux acquis. Dès lors, cela permet en partie de relativiser l’euroscepticisme. Il est également intéressant de relever l’évolution des partis de gauche à une perspective plus intégrationniste. Pour Schmitt et Thomassen, cela relève surtout que « la gauche [a] fait la paix avec l’Europe car ils ont intégré l’idée que l’État-nation n’est plus le cadre pertinent pour mener des politiques post-keynésiennes » (2000, 63).

Par conséquent, la représentation-similarité/miroir n’est pas acquise au niveau européen où l’on voit des avancées politiques comme la monnaie unique ou les élargissements peu ou mal comprises par les électeurs. Cela ne signifie pas que l’opinion publique veut moins d’Europe. Dès lors, le déficit d’information semble s’imposer comme une hypothèse de choix pour expliquer l’éloignement entre l’électorat et les élites, même si des mouvements d’influence réciproque existent afin de faire évoluer les positions.

Le déficit d’information impose également de voir les réseaux représentationnels (tableau 3.1) formels de l’Union européenne comme insuffisants. En effet, on constate le développement au sein des institutions européennes de réseaux informels actifs dans la ‘comitologie’ ou dans les lobbies. Comme nous le verrons par la suite, ces réseaux complètent la représentation et permettent de développer l’information vers et depuis les institutions européennes.

2.2. Le consociationnalisme appliqué à l’Union européenne

Traduire le système politique de l’Union européenne en terme de parlementarisme 64 est une entreprise compliquée. En effet, aucun modèle national ne semble s’imposer. L’Union européenne détient des caractéristiques sui generis qui en font sa particularité. La multitude des représentations et le nécessaire consensus inter- institutionnel dessinent les contours de la fragilisation de cette voie parlementaire. Néanmoins, la parlementarisation de l’Union européenne s’inscrit dans un mouvement général de la recherche de la démocratie. Dans ce cadre, Seiler (2004)

64 Nous définirons brièvement le parlementarisme d’après Costa : « le parlement représente la société pour voter les lois, exprimer le consentement à l’impôt et contrôler l’action du gouvernement, notamment par la censure ; le gouvernement définit les orientations des politiques intérieure et extérieure, prend l’initiative des lois (en concurrence avec le Parlement), les exécute, dirige l’administration et les services publics centralisés ; le gouvernement est responsable devant le Parlement, qu’il peut dissoudre (ce droit pouvant revenir au chef d’État) » (Costa, 2004, 279). 106

La représentation au sein de l’UE : un régime semi-parlementaire met en avant deux types de démocratie : la démocratie majoritaire et la démocratie de concordance. La première s’inspire du parlement de Westminster et correspond à une ‘démocratie gouvernée’, le second trouve ses racines dans les écrits de Lijphart (1977 ; 1999) où l’on retrouve des pays fonctionnant au consensus en raison d’une histoire conflictuelle.

La caractérisation du premier cas est décrit par Seiler en mettant en avant : « la concentration du pouvoir exécutif avec un cabinet monopartisan ; la confusion des pouvoirs au profit du Cabinet ; le bicamérisme ‘asymétrique’ ; le bipartisme ; un système bipolaire, one dimensional party system ; le système électoral majoritaire à un tour, plurality system of elections ; l’unitarisme et la centralisation ; une constitution non écrite et la souveraineté parlementaire ; une démocratie exclusivement représentative » (2004, 61). A contrario , la démocratie consensuelle est marquée par les ‘grandes coalitions’ au sein de l’exécutif, l’existence d’un fédéralisme, de règles écrites (constitutions) ou encore avec une possibilité pour les minorités de montrer leur désaccord. En résumé, ce type de démocratie dénote d’institutions de contre- pouvoir et de consensus 65 .

Le tableau 3.2. résume les différents éléments et montre les différentes forces des systèmes. Dès lors, le Parlement s’intègre dans un des deux systèmes. En effet, autant « le transfert de pouvoirs réels s’effectue du parlement vers le gouvernement dans le modèle de Westminster » (Seiler, 2004, 67) autant dans les démocraties de concordance, il s’effectue vers les partis, voire vers d’autres groupements.

Par la différenciation entre les deux types de démocraties réelles, Seiler arrive à la conclusion qu’aucune des ces dernières ne mérite le nom de démocratie idéale. Malgré que l’identifiant principal est celui de la démocratie parlementaire, les autres pratiques de la démocratie avec des Parlements s’affirment de plus en plus avec de savants mélanges selon les États concernés. Ainsi, autant la démocratie de Westminster représente la voie royale du parlementarisme, autant des voies plus complexes peuvent émerger dans un cadre de parlementarisation. La différence est basée sur l’importance du compromis au sein du Parlement. À l’extrême, on peut voir le régime de concordance comme « l’assemblée, où les députés ne siègent pas par groupes parlementaires, [qui] redevient ainsi imprévisible, composée d’individus moins dépendants des partis sinon des groupes d’intérêts et qui ignorent la division entre majorité et opposition pour vivre au rythme des majorités d’idées » (Seiler, 2004, 67). Dans une certaine mesure, le régime de concordance poussé à l’extrême serait une sorte de retour au Parlement originel sans la structuration partisane.

65 Arend Lijphart évoque son modèle en distinguant quatre caractéristiques: « The first and most important element is government by a grand coalition of the political leaders of all significant segments of the plural society. This can take several different forms, such as a grand coalition cabinet in a parliamentary system, a ‘grand’ council or committee with important advisory functions, or a grand coalition of a president and other top officeholders in a presidential. The other three basic elements of consociational democracy are (1) the mutual veto or ‘concurrent majority’ rule, which serves as an additional protection of vital minority interests, (2) proportionality as the principal standard of political representation, civil service appointments, and allocation of public funds, and (3) a high degree of autonomy for each segment to run its own internal affairs » (1977, 25). 107

Première partie – La représentation politique

Tableau 3.2. Les démocraties réelles : les deux voies

Démocratie gouvernée Démocratie représentée

Objectifs Finalité Gouverner Assurer la cohésion sociale Moyens Recherche d’une Recherche de consensus majorité de gouvernement Scrutin Favoriser une majorité Assurer la de gouvernement représentation Parlement Bipolarisé Multipolaire Règles du jeu Gouvernement Monocolore ou Coalition post-électorale coalition stable Alternance Totale, mais pas Semi-alternance ou toujours fréquente absence Degré de néo- Faible ou moyen Élevé corporatisme Groupes d’intérêts Lobbying Représentation formelle Rapports État/ société Rapports inter- L’État ne connaît que Consociativité, civile communautaires les individus ; « loyale lottizzazione , Proporz opposition » Source : Seiler, 2004, 70

À la lecture de ces différents éléments, le modèle du consensus semble correspondre au système politique de l’UE. Dans son ouvrage, Arend Lijphart (1999, 42-47) étudie l’Union européenne en analysant le développement de l’intégration européenne dans le cadre d’analyse de la démocratie consociative, dont les caractéristiques sont les suivantes :

- Partage de la fonction exécutive au sein de large coalition : la Commission en est un bon exemple avec une réunion d’un commissaire par État couvrant l’ensemble du spectre politique européen en fonction des majorités en cours (actuellement : gauche-droite). De plus, le Conseil se trouve également dans ce type de logique attendu que les majorités sont différentes d’un État à l’autre. Ainsi, autour de la table du Conseil, on trouve des couleurs politiques différentes. - Balance of power entre le législatif et l’exécutif : il existe un véritable partage des fonctions, notamment entre la Commission et le Conseil, par contre le Parlement apparaît plus subordonné à la Commission. - Système multipartis : cela se retrouve dans les trois institutions principales de l’UE. - Représentation proportionnelle : c’est le cas depuis 1999, même si la procédure est encore soumise au questionnement (voir partie sur l’organisation du mode électorale) - Corporatisme : ceci n’est pas encore très développé, bien qu’il existe des pistes d’analyse dans cette voie avec le mode de discussion entre la Commission et les groupes ainsi que l’existence du CESE (le pluralisme est plus dans le système Westminsterien) - Gouvernement fédéral et décentralisé : UE est plutôt de type confédéral et relativement décentralisé - Fort bicaméralisme : le question du bicaméralisme au sein de l’Union est un ancien débat qui voit s’opposer plusieurs thèses. Principalement, nous trouvons ceux qui souhaitent que le Conseil deviennent la chambre haute de

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La représentation au sein de l’UE : un régime semi-parlementaire

l’Union en se débarrassant de ces fonctions exécutives. Néanmoins, le Conseil ne prend pas la voie d’être un co-législateur uniquement. Dès lors, l’Union devra peut-être réfléchir à d’autres formules pour aller dans ce sens. - Rigidité constitutionnelle : on ne peut pas faire système plus rigide attendu que seul l’unanimité des États membres peut modifier des Traités perçus comme une voie constitutionnalisante. - Contrôle judiciaire : la place prépondérante de la CJCE démontre l’existence et l’efficacité de ce contrôle. - Indépendance de la banque centrale : la Banque centrale européenne est indépendante.

Dès lors, l’UE n’est pas très éloignée du modèle de consensus. En effet, hormis la question du corporatisme et le débat sur le bicaméralisme, l’Union européenne répond à la plupart des conditions de la démocratie consociative. Le classement de l’UE comme régime de concordance répond à une certaine réalité, mais les déclarations politiques sur l’avenir de l’Union semble vouloir l’inscrire dans une autre logique, soit la voie vers plus de parlementarisme du type ‘Westminster’. L’élection du président de la Commission par le Parlement serait un exemple de pas dans cette direction, car il marquerait une logique majoritaire. Actuellement, il s’agit plutôt d’un savant compromis entre le choix des États et la nécessaire confirmation par un Parlement directement élu. La recherche de consensus est particulièrement dû au fait que les majorités nationales (au Conseil européen) et la majorité européenne (au Parlement européen) ne peuvent que difficilement concorder 66 d’où la difficulté de trouver un président de la Commission représentatif des deux majorités. Le tout s’organisant dans un système où les décisions ne peuvent se faire que dans le consensus en raison du nécessaire soutien des autres institutions impliquées dans le schéma décisionnel.

66 Comme nous le verrons plus tard, l’élection au Parlement européen s’inscrit dans une logique des élections de second ordre. En d’autres termes, on peut constater l’effet sanction du vote européen face aux différents gouvernements nationaux, d’où des différences possibles dans les majorités au Conseil et au Parlement. 109

Première partie – La représentation politique

3. L’avènement de la parlementarisation au sein de la construction européenne

L’histoire des institutions nous rappelle que le Plan Schuman ne prévoyait pas un Parlement. Son intégration dans le traité CECA en 1952 est due à une volonté de députés français 67 . Ainsi, le Parlement n’était pas conçu par les Pères fondateurs dans l’architecture institutionnelle et dans la réflexion organisationnelle de la future Communauté européenne. C’est, entre autre, pour cette raison que le Parlement s’est construit de manière coutumière, et se confronte régulièrement à des problèmes de légitimité. Il n’en demeure pas moins que le gain progressif de compétences du Parlement européen traduit une volonté d’inscrire l’Union européenne dans une voie parlementaire. Ainsi, de pilier faible, le Parlement doit devenir le principal pilier des institutions communautaires. L’arrêt Maastricht de la Cour de Karlsruhe pousse dans ce sens. Le transfert de compétences à l’Union ne peut se faire que dans un cadre où des compétences accrues sont données au Parlement européen afin de résorber l’accroissement du déficit démocratique en raison de la dénationalisation de certaines politiques publiques et de leur ‘déparlementarisation’.

En raison de son origine, le Parlement européen s’est consacré dès le début à une recherche de légitimité et à des gains de pouvoirs progressifs. À cette fin, le consensus interne était une nécessité de survie. Dès lors, le Parlement ne s’est pas constitué comme un forum politique où une opposition affronte une majorité. Il s’ensuit que le manque de ‘politisation’ demeure un reproche principal à la voie parlementaire. Toutefois, nous pouvons nous interroger sur la nécessité de la reproduction des clivages au niveau européen. Sont-ils pertinents ? Également, autre source d’interrogation, l’histoire du parlementarisme ne nous apprend-t-elle pas que les gains de compétences ont toujours précédé les phases politiques ?

De plus, on peut qualifier de greffe à risque la parlementarisation de l’Union européenne en raison du caractère non-étatique de cette organisation. En effet, l’utilisation d’institutions de type étatique, comme un Parlement, afin de résorber le déficit démocratique représente une ‘première’ risquée dans le monde des organisations internationales. D’ailleurs, la voie parlementaire permet de considérer l’Union européenne dans une structure hybride entre État et organisation internationale. Le risque de la parlementarisation est basé sur le sens du parlementarisme européen. En effet, comme le note Fitzmaurice, « l’un des problèmes les plus difficiles que le Parlement européen ait à affronter,[…], tient à ce qu’il n’y a pas de consensus quant à ce qu’est et à ce que devrait être le Parlement européen. Il n’existe pas, en d’autres termes, de modèle clair de ‘parlementarisme européen’ » (1999, 55).

En raison de ces différents éléments, Paul Magnette (1999, 25-54) applique le concept de régime semi-parlementaire. Ce dernier est conçu comme une catégorie à part, taillée sur mesure pour le cas de l’Union européenne dont les principaux éléments

67 L’idée est émise par les Français contre le souhait de Monnet. Le soutien inconditionnel à un contrôle parlementaire est surtout le fait des Italiens et des Allemands. Pour ces derniers, il s’agit même d’un élément essentiel de la supranationalité. Les Français sont partagés entre technique administrative (Haute-Autorité) et pouvoir législatif (Assemblée). Néanmoins, Jean Monnet privilégia une Assemblée avec peu de pouvoir afin de favoriser l’essor de la Haute-Autorité. Le Benelux regarda avec méfiance cette instance parlementaire. Il préférait un contrôle par les gouvernements. C’est dans ces conditions de négociation que fut mise en place l’Assemblée parlementaire. 110

La représentation au sein de l’UE : un régime semi-parlementaire caractéristiques sont un exécutif fragmenté, un développement des pouvoirs du parlement, un mélange de parlementarisme et d’intergouvernementalisme. Ce concept permet également de traiter l’Union européenne sur une base différente du modèle de Westminster ou du modèle de concordance. En effet, des éléments de chacun des modèles interviennent dans des proportions variables dans le cadre de la parlementarisation de l’Union européenne.

Nous utiliserons donc les points caractéristiques du régime semi-parlementaire pour analyser la parlementarisation de l’Union européenne. Ainsi, les pouvoirs parlementaires se comprennent en partie en lien avec l’analyse de l’exécutif. En effet, le rapport du législatif avec un exécutif est essentiel à la compréhension d’une parlementarisation démocratique du système politique. La question de la sur- abondance des représentations et de la place du Conseil européen traduira les limites auxquelles le Parlement fait face. En effet, la structure institutionnelle communautaire organise différentes représentations sur la base des peuples européens, des États membres et l’intérêt communautaire. Comme nous le verrons plus tard, d’autres éléments de représentations peuvent voir le jour comme la représentation des intérêts. Également, la place des gouvernements avec un Conseil de compétences mixtes (exécutif et législatif), la prépondérance récente du Conseil européen et le pouvoir d’initiative de la Commission représentent une multitude d’exécutifs à laquelle le Parlement doit faire face avec des compétences d’interactions différentes

L’analyse de la croissance des compétences du Parlement se comprend dans une logique historique. L’Assemblée parlementaire de 1952 a conquis des pouvoirs au fur et à mesure jusqu’au Traité de Nice. Cette progression donne au système un penchant nettement parlementaire. L’analyse portera principalement sur deux aspects, le pouvoir législatif et le contrôle de l’exécutif. Ces deux éléments constitutifs du pouvoir parlementaire donneront une indication quant à la place du Parlement européen au sein de l’architecture institutionnelle.

3.1. Un exécutif bicaméral

L’histoire des institutions européennes est très instructive sur la manière dont l’exécutif européen s’est constitué. Lors des négociations du traité CECA, le Conseil des Ministres est apparu à la demande des pays du Benelux. Pour Jean Monnet, l’intégration des gouvernements s’est faite « par raison et par nécessité » (1976, 381) afin de réaliser ce début d’intégration européenne sous peine d’échec. Ainsi, l’immixtion de l’intergouvernementalisme dans le supranationalisme s’est faite dès le début. Dès lors, la construction européenne s’est construite autour d’un exécutif bicaméral.

Idée originelle de la Déclaration Schuman en 1950, la Commission européenne (ex- Haute Autorité) devait être prévue comme une autorité supranationale et indépendante. Si ces fondements s’imposèrent, elle fut encadrée par une Assemblée commune et le Conseil des Ministres. Depuis le début, la Commission est institutionnellement la gardienne des traités. Elle est donc le dépositaire de l’intérêt général européen. De surcroît, elle dispose du monopole de l’initiative, la plaçant comme un exécutif avec une composante législative importante. Le principe de l’indépendance des membres est resté dans les traités comme une valeur cardinale du

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Première partie – La représentation politique fonctionnement collégial. Porteuse de la méthode communautaire, son action est entravée : elle est mise sur la touche lors des actions sur le deuxième et troisième pilier à Maastricht, elle est bloquée lors des crises institutionnelles en attente du Conseil européen suivant, et elle est prise au dépourvu face au retour des méthodes intergouvernementales.

Le Conseil a développé son rôle au fur et à mesure de la construction européenne, et en revenant sur la promesse originelle, celle de la décision à l’unanimité. Dès lors, les gouvernements vont s’imposer de plus en plus dans un triple rôle, celui de législatif, celui d’exécutif et celui de contrôle. La Commission voit son pouvoir exécutif partagé entre les intérêts européens (de sa compétence) et les intérêts nationaux défendus au Conseil.

Brièvement, il est essentiel de noter l’émergence continue du Conseil européen. Institutionnalisé en décembre 1974 à l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing et d’Helmut Schmidt, cet organe passe d’un lieu de concertation des dirigeants politiques à celui d’institution de l’Union européenne. Dès 1983, à Stuttgart, les chefs d’États et de gouvernements conviennent que le Conseil européen agit comme une formation du Conseil. Ceci permet de l’inscrire dans la lettre des traités. À Maastricht, le rôle du Conseil européen est précisé dans l’article D TUE (article 4 TUE à Amsterdam). Le rôle actuel du Conseil européen est évoqué de manière explicite dans le projet de Constitution. Dans ce dernier, le Conseil européen est considéré comme une institution à part entière. Ce passage se fait non sans mal dans le cadre du triangle institutionnel. Dans leur article au titre provocateur, « Un triangle à quatre côté », Déborah Lassalle et Nicolas Levrat (2004) évoquent l’éclatement de l’exécutif avec un effacement du Conseil des Ministres au profit du Conseil européen et une Commission qui doit chercher à s’affirmer face à cette nouvelle concurrence.

Le projet de Constitution contribue à la voie du mélange de l’intergouvernemental et du supranational en précisant les domaines d’actions. Paul Magnette voit les deux parties se distinguer : « un ‘domaine réservé’ à la française : le président de la Commission pourrait être amené à se concentrer sur les affaires ‘domestiques’ – principalement la régulation du marché intérieur – tandis que la politique étrangère, en ce compris la défense, relèverait essentiellement de la sphère intergouvernementale » (2005, 306).

Deux problèmes surgissent de l’éclatement de l’exécutif européen, la question des représentations et la question de la légitimité. En terme représentatif, le Conseil représente les États membres, la Commission l’intérêt général européen, les peuples l’étant par le Parlement européen. La confrontation entre ces différentes représentations peut soit être un affrontement, soit pousser au compromis. La structure du triangle institutionnel a conduit à une logique de consensus. En effet, sans l’accord de l’une des institutions, il est quasi -impossible de passer un règlement. Il n’en demeure pas moins que le citoyen européen peut entendre des discours de représentation extrêmement différents selon les cas. En effet, le ministre délégué agira dans un domaine précis en tant que représentant du gouvernement, la Commission agira sur le même dossier en tant que représentante de l’intérêt européen. C’est à ce niveau que se posent des questions sur les éléments de légitimité.

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La représentation au sein de l’UE : un régime semi-parlementaire

La légitimité des exécutifs pour agir dépend de la délégation de pouvoir. Toutefois, la Commission mise sur sa capacité à délivrer une politique publique le plus efficacement possible. En effet, en terme de concurrence, elle se retrouve très dépourvue sur la input legitimacy face à des gouvernements élus, et encore plus face au Conseil européen. Pour s’imposer dans ce domaine, la Commission recherche à développer des méthodes de consultation importantes auprès des acteurs non étatiques, ainsi que d’élargir sa base de soutien. De ce fait, la légitimité de l’élection est contre-balancée par la légitimité de l’action et par une résurgence des corporatismes.

Le problème des différents exécutifs est aussi leur lien avec le pouvoir législatif. Le Conseil détient les deux pouvoirs et la Commission a aussi un pouvoir législatif avec le monopole de l’initiative qui lui donne un avantage à l’expertise. D’ailleurs, les conventionnels ont tenté de redonner un lien parlementaire à la Commission pour la renforcer 68 . Toutefois, ce lien reste faible et le manque de contrôle du Conseil sur ses tâches exécutives sont des freins réels à la parlementarisation de l’Union.

L’histoire de l’exécutif européen recouvre le débat du mariage de l’intergouvernementalisme et du supranationalisme. Il est actuellement impossible d’identifier de façon définitive un gouvernement européen. Seule une solution originale semble se dégager sur un exécutif bicaméral, la Commission et le Conseil. Cette – nécessaire – évolution permet de concilier les intérêts nationaux avec les intérêts européens. Toutefois, la lisibilité de l’action politique en pâtit. La période actuelle focalise sur les leaders d’opinion et les chefs de partis. Ainsi, le Conseil européen attire l’ensemble des médias en ne laissant à la Commission que peu d’espace. Dans l’optique de l’étude parlementaire, la non-identification d’un exécutif délimité pose un problème en terme de contrôle par le législatif et sur les récipiendaires des demandes exprimées par les parlementaires au nom des ‘peuples européens’. Naturellement, le Parlement européen a traditionnellement eu comme allié réciproque la Commission européenne. Depuis la co-décision, le Conseil et le Parlement sont devenus des institutions nettement plus proches.

3.2. La voie du parlementarisme ou les compétences progressives du Parlement européen

3.2.1. De l’Assemblée commune au Parlement européen

L’élection du Parlement européen au suffrage universel marque une rupture dans la vie de cette institution. D’invisible, il devient la plus connue des institutions européennes, du fait du déplacement de millions d’électeurs tous les cinq ans. Mais, cette perception ne se conjugue pas avec une reconnaissance accrue des citoyens européens de leur Parlement 69 . La complexité institutionnelle de l’Europe provoque ce

68 Le projet de Constitution pour l’Europe, sans être révolutionnaire, met clairement le lien Parlement- Commission, notamment dans les articles I-20 (élection du président de la Commission), I-26.8 (censure), et I-27.1 (procédure de l’élection président de la Commission). 69 Dans un article préélectoral, une journaliste du journal ‘Le Monde’ fait écho d’un eurobaromètre semestriel. Il en ressort une perte d’enthousiasme envers les institutions, mais surtout un véritable paradoxe. Le Parlement européen est l’institution la plus reconnue – notamment en raison de sa dénomination en tant que parlement, facilement assimilable pour la population a contrario des termes 113

Première partie – La représentation politique paradoxe où le Parlement devient visible tout en demeurant ‘inconnu’ dans le paysage politique européen, bien que, en termes de compétences, le Parlement est devenu un pôle incontournable de la gouvernance européenne depuis l’Acte unique européen.

Cette institution a connu des débuts de vie difficiles. Les origines du Parlement européen remontent à 1952 lorsque l’assemblée de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) s’est réunie pour la première fois. Toutefois, cette assemblée n’avait que peu de pouvoirs et d’intérêts, aussi bien pour les députés que pour la société civile. Comme nous l’avons vu, l’histoire des institutions rappelle que l’Assemblée n’a été ajoutée qu’au dernier moment dans le traité. Elle n’avait pas été pensée dans le système institutionnel comme la Haute Autorité. D’ailleurs, Jean Monnet souhaitait au départ une élite administrative supranationale uniquement. L’habillage de cette administration par des éléments de contrôle et de contre-pouvoir s’est fait relativement rapidement. L’Assemblée parlementaire entre dans cette catégorie. Les articles 20 à 25 du traité CECA évoque la composition et le rôle de l’Assemblée. Hormis des compétences d’organisation interne, l’Assemblée a un pouvoir de censure envers la Haute Autorité sur la base du rapport général et du dépôt d’une motion de censure (article 24). Toutefois, les compétences sont limitées et le traité est nettement plus explicite sur la Haute Autorité et la Cour de Justice. Dès 1952, le futur Parlement marqua aussi sa volonté d’élargir ses compétences en interprétant l’article 22.1, « l’Assemblée tient une session annuelle. Elle se réunit de plein droit le deuxième mardi de mai. ». En effet, les députés organisèrent des sessions partielles entre le deuxième mardi de mai et le deuxième lundi de mars. Ce faisant l’Assemblée commença à siéger de manière permanente, alors que le traité sous-entendait une session ponctuelle.

Après le Traité de Rome en 1957, le Parlement étendit ses pouvoirs consultatifs. Les projets législatifs de la Commission devaient être soumis à la consultation de l’Assemblée. D’un nombre de domaines limités, la pratique agrandit le nombre de domaines soumis à la consultation. Finalement en 1973, la Commission accepta de répondre aux amendements du Parlement en séance plénière (Corbett, 1999, 64-65). La pression parlementaire a permis ce développement et l’a imposé au Conseil. Ce sont souvent des accords inter-institutionnels qui sanctionnent des pratiques quasi- coutumières.

Plusieurs points en terme de gains de compétences peuvent être relevés. Premièrement, la mise en place d’une autonomie budgétaire par les traités de 1970 et 1975 donne une place de choix au Parlement européen70 , qui devient l’organe d’adoption du budget de pair avec le Conseil. Limitées à bien des égards, les dépenses soumises à la lecture parlementaire n’ont eu cesse d’augmenter : de 5% en 1970, le Parlement est compétent maintenant pour plus de 50% des lignes budgétaires 71 . La deuxième évolution se situe dans la même période avec la procédure de conciliation. Elle permet aux deux instances d’aplanir les éventuelles divergences budgétaires entre

Commission ou Conseil – mais « l’opinion publique ne connaît pas des eurodéputés : 44% déclarent n’avoir ni vu, ni entendu, ni eu de contacts avec un membre du Parlement depuis les dernières élections européennes » (Rivais, 2004, 6). 70 L’Assemblée commune fondée en 1951 dans le cadre du traité CECA, elle deviendra l’Assemblée commune européenne en 1957 dans le cadre du traité CEE et CEEA, et finalement prendra le nom de Parlement européen le 30 mars 1962, ce dernier sera officialisé dans l’Acte unique (1986). 71 Le Parlement est pleinement compétent dans le cadre des dépenses non obligatoires (DNO). 114

La représentation au sein de l’UE : un régime semi-parlementaire elles. La question de la compétence budgétaire débouchera en partie sur l’évolution suivante. En effet, en accord avec le principe ‘ no taxation without representation ’, la dynamique institutionnelle a poussé vers l’élection au suffrage universel.

Suite à la décision du Conseil de 1976, le Parlement est élu pour la première fois en 1979 au suffrage universel par les peuples de l’Europe communautaire. En effet, l’évolution passe d’un Parlement peu connu à une institution reconnue et identifiée par le citoyen 72 . Tous les cinq ans, il doit élire cette assemblée. Bien que la structure du pouvoir soit floue pour les citoyens européens, il n’en reste pas moins que l’élection au Parlement européen fait partie de l’agenda politique des pays membres. Depuis cette date, les députés sont maintenant, à plein temps, en charge des questions européennes (Corbett et al. , 1995, 10). De l’élection directe dépendra le développement des compétences parlementaires. En effet, le vote devait avoir du sens, attendu que l’élection d’une ‘coquille vide’ ne pourrait être que négatif pour la construction européenne. Dès lors, les suffrages doivent s’adresser envers une vraie institution parlementaire. Sans quoi, le taux d’abstention serait très élevé et dommageable pour la légitimité européenne. Toutefois, les tensions entre les tenants et les opposants du développement du Parlement européen ont freiné la mise en œuvre complète du dispositif électoral, notamment la procédure uniforme dans les États membres (Lodge, 1998, 193-195).

Quatrièmement, une année plus tard, la Cour de justice des Communautés européennes rend l’arrêt Isoglucose 73 essentiel quant à la place du Parlement par rapport aux autres institutions, et notamment face au Conseil. En effet, le gain du pouvoir reste jusqu’à maintenant relativement formel. Il est difficile de définir le contour du pouvoir propre du Parlement européen. Élu directement avec un pouvoir budgétaire partagé, il fait partie intégrante de l’architecture communautaire. Pourtant, quelle est sa place dans le processus législatif de la Communauté ? Les Parlements nationaux jouent tous un rôle central dans l’adoption des lois nationales. Le Parlement européen grignote du pouvoir, mais reste une institution faible. Il faudra attendre l’Acte unique européen pour voir le Parlement continuer à développer ses compétences.

Cinquièmement, en 1987, l’Acte unique européen entre en vigueur. Il comporte dans son texte deux nouvelles procédures: la coopération et l’avis conforme. La première s’applique à l’ensemble de la législation sur la mise en œuvre du marché intérieur, des

72 Pour fonder cet argument, nous employons l’Eurobaromètre Standard (54, p. 87) sur la partie concernant la notoriété du Parlement européen à travers les médias. L’intérêt est logiquement plus important lors des périodes électorales. Bien que retombant par la suite, on constate une progression de la connaissance et de l’emploi dans les média des actions du Parlement européen. 73 La Cour précise que : « 33. La consultation prévue par l’article 43, paragraphe 2, alinéa 3, comme par d’autres dispositions parallèles du traité, est le moyen qui permet au Parlement de participer effectivement au processus législatif de la Communauté. Cette compétence représente un élément essentiel de l’équilibre institutionnel voulu par le traité. Elle est le reflet, bien que limité, au niveau de la Communauté, d’un principe démocratique fondamental, selon lequel les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée représentative. La consultation régulière du Parlement dans les cas prévus par le traité constitue dès lors une formalité substantielle dont le non- respect entraîne la nullité de l’acte concerné. 34. Il y a lieu de préciser à cet égard que le respect de cette exigence implique l’expression, par le Parlement, de son opinion ; on ne saurait considérer qu’il y est satisfait par une simple demande d’avis de la part du Conseil. […] » CJCE (1980), Roquette frères contre Conseil, Aff. 138/79, rec.1980, 3333 (Isoglucose). 115

Première partie – La représentation politique programmes de recherche et des fonds structurels. Bien que ce soit le Conseil qui ait le dernier mot, le Parlement peut approuver, rejeter et amender des décisions prises par les ministres européens. Selon le cadre dans lequel il agit 74 , le Conseil ne peut passer outre que par l’application de la règle de l’unanimité. Malgré cette contrainte, la procédure de coopération est un progrès considérable dans l’action législative parlementaire. La seconde procédure demande au Parlement européen de rendre son avis sur l’adhésion des nouveaux membres, sur les accords d’association, certains éléments liés à la BCE, et l’adoption d’une procédure électorale uniforme.

Sixièmement, le 1er novembre 1993, le Traité de Maastricht entre en vigueur et donne au Parlement de nouveaux pouvoirs. Le traité développe les procédures existantes en étendant le champ d’action du Parlement. De plus, il donne son avis sur les nominations des personnages-clefs de l’Union (président de la Commission, président de la Banque centrale européenne, etc.). Toutefois, l’inscription au Traité d’une nouvelle procédure, la codécision, prend une importance primordiale. Ici, le Parlement et le Conseil se retrouvent, en cas de désaccord, devant un comité de conciliation et, si aucun accord n’est trouvé, le Parlement peut rejeter une décision du Conseil. Son champ d’application concerne le remplacement de la procédure de coopération, telle qu’introduite dans l’Acte unique européen, et une série de nouvelles normes décidées à Maastricht. Le déséquilibre dans la co-décision de Maastricht se fait en faveur du Conseil qui peut adopter unilatéralement un texte, à moins d’un rejet à la majorité absolue du Parlement, si il n’y a pas d’accord au comité de conciliation. Pour contrer le déséquilibre, le Parlement précisa que tout acte adopté par le Conseil dans ces conditions serait rejeté par le Parlement. Le Conseil tenta une fois d’utiliser cette possibilité et le projet de directive fut rejeté par le Parlement. Ainsi, la troisième lecture fut supprimée lors de la CIG 1996 (Corbett, 1999, 72).

Aux points développés ci-dessus, il faut ajouter deux autres nouveautés. Premièrement, le Traité d’Amsterdam du 1 er avril 1999 étend le champ d’application de la codécision à presque toutes les politiques communautaires. De plus, le Traité égalise parfaitement la procédure de co-décision entre le Conseil et le Parlement (article 251 TCE ex 189B). Deuxièmement, on constate le développement de l’utilisation des amendements. Ainsi que le relève l’étude d’Amie Kreppel (1999, 521-538), ces derniers ont une influence réelle sur la législation européenne. Toutefois, cette étude relativise l’influence du Parlement selon la thématique abordée et le poids du soutien des parlementaires à tel ou tel amendement. Il n’en reste pas moins que les amendements demeurent un moyen important de faire entendre sa voix et d’être présent sur la scène médiatique.

En outre, le Parlement européen agit aussi dans le cadre de la politique étrangère et dans le domaine des droits de l’homme. Son poids législatif est très faible, mais il n’en reste pas moins que le poids politique (caution morale) du Parlement est considéré comme important. On constate souvent des avis très forts donnés par le Parlement, contrairement aux autres instances qui restent souvent relativement prudentes.

74 Le cas des amendements est un peu spécial. En effet, selon la position de la Commission, le Conseil devra statuer à l’unanimité pour rejeter un amendement du parlement. L’approbation ou le rejet ne dépendent pas d’un préavis de la Commission influençant la procédure décisionnelle au sein du Conseil. 116

La représentation au sein de l’UE : un régime semi-parlementaire

Finalement, la politisation du Parlement semble être en cours, notamment avec la période de la rupture de l’accord PSE/PPE. Lors de la législature 1999-2004, le PPE a fait alliance avec l’ELDR afin d’obtenir une vaste majorité de droite. Outre des accords de vote, cela s’est traduit par l’élection en 1999 de Nicole Fontaine (FR, PPE), et en 2002 de Pat Cox (IR, ELDR) au détriment du deuxième plus grand groupe, soit le PSE. L’accord de majorité entre le PPE et le PSE était extrêmement critiqué, car il contribuait à l’apolitisation du Parlement européen. La rupture partielle entre les deux formations peut contribuer à l’émergence des clivages socio- économiques au sein de l’enceinte parlementaire européenne. Toutefois, la législature 2004-2009 semble marquer un retour de la suprématie des deux grands groupes dans le cadre d’un accord de législature.

En conclusion, le Parlement européen a développé des pouvoirs importants tout en oubliant une part essentielle de son rôle, soit la fonction de délibération publique. Magnette (2005, 302) voit que le Parlement a négligé cet aspect, alors que le parlementarisme dépend dans son existence de la discussion publique. Ainsi, le gain de compétences a demandé une grande énergie aux parlementaires qui ont, par conséquent, négligé le débat public. C’est une raison importante de la nationalisation du débat européen, car les eurodéputés ne se sont pas investis de leur mission d’animateurs de l’espace public européen. Toutefois, avec des pouvoirs quasi - parlementaires, le Parlement européen peut maintenant reconquérir une opinion publique européenne en se montrant au centre du débat. Il est vrai que tant que le Parlement ne représentait qu’un ‘nain’ politique, la participation citoyenne ne pouvait qu’être limitée, en raison que « la campagne électorale peut-elle être considérée comme un enjeu important, conduire à une polarisation de la représentation parlementaire, à de véritables débats sur la finalité de la construction européenne, ce qui est la fonction principale des élections, si l’organe qu’elle doit désigner n’est pas au centre des pouvoirs ? » (Magnette, 1999, 50).

3.2.2. Les moyens du contrôle parlementaire

La croissance du pouvoir parlementaire va aussi de pair avec sa relation avec la Commission. Deux compétences peuvent être vues dans une perspective évolutive, la nomination de la Commission et la motion de censure. Dans le premier cas, le traité de Maastricht inscrit une pratique coutumière du Parlement, soit le vote de la Commission européenne. Le traité prévoit un double vote sur le président de la Commission et la Commission dans son ensemble. Bien que consultatif, le vote sur le président de la Commission revêt un aspect politique important. Ainsi, en cas de vote négatif, les États doivent chercher un autre candidat. Cet élément, formalisé à Amsterdam, passe du vocable de consultation à celui d’approbation. Les modifications ajoutées à Nice changèrent quelques éléments sur le Conseil, sur le vote à la majorité qualifiée en son sein, ainsi que sur le vote du Parlement européen de la Commission en tant que collège. Le Parlement obtint également la possibilité d’organiser des auditions individuelles des Commissaires. Ces auditions débouchèrent sur la demande de pouvoir refuser un Commissaire. Mais, le traité, modifié à Nice 75 ,

75 Ainsi, le paragraphe 2 de l’article 214 CE statue modification de la procédure : « Le Conseil, réuni au niveau des chefs d’État ou de gouvernement et statuant à la majorité qualifiée, désigne la personnalité qu’il envisage de nommer président de la Commission ; cette désignation est approuvée par le Parlement européen. 117

Première partie – La représentation politique prévoit l’élection de la Commission en tant que collège. Bien que le souhait des parlementaires ne fut exaucé ni à Nice, ni dans le projet de Constitution, le Parlement gagna contre la Commission Barroso sur la nomination d’un Commissaire italien, Rocco Buttiglione 76 , qui fut remplacé sous pression des parlementaires menaçant de refuser l’investiture à la Commission.

Afin de parfaire l’analyse, il convient d’ajouter les articles du règlement interne du Parlement (version de septembre 2005) qui complètent le traité sur la nomination de la Commission. L’article 98 rappelle la nécessité d’une déclaration de politique générale par le candidat désigné par le Conseil. Cette déclaration est suivie d’un vote à la majorité des suffrages exprimés. En cas de vote négatif, le Conseil est invité à trouver un autre candidat. Si le vote est positif, le processus de nomination de la Commission se poursuit avec la proposition aux postes de Commissaires. Selon, l’article 99, ces derniers sont ainsi convoqués dans les commissions représentant leur futur domaine d’activité. À la suite de ces débats, le Parlement décide d’élire ou de rejeter la Commission à la majorité des suffrages exprimés. La désignation de la Commission est d’une certaine manière par voie parlementaire. Le projet de Constitution posait comme principe que le président de la Commission devait être issu de la majorité élue au Parlement européen, mais proposé par le Conseil européen. La voie parlementaire sur la désignation de l’exécutif demeure ainsi pour partie indirecte.

Un autre domaine important du parlementarisme est celui que les ministres sont issus de la législature. En effet, le modèle de Westminster applique parfaitement cette règle.

Tableau 3.3. Ratio des commissaires issus du Parlement européen

Commission Commissaires Ex-eurodéputés % Delors I 14 3 21,4 Delors II 17 6 35,3 Delors III 17 5 29,4 Santer 17 7 41,2 Santer, élargissement 20 7 35 Prodi 20 4 20 Prodi, élargissement 30 4 13 Barroso 25 2 8 Barroso, élargissement 27 2 7,4 Source : Magnette, 1999, 53 ; http://europa.eu.int/comm/archives/commission_1999_2004/index_en.htm; http://europa.eu.int/comm/commission_barroso/index_en.htm; http://www.europarl.europa.eu/members/archive/alphaOrder.do?language=FR

À l’analyse du tableau 3.3, il ressort clairement que peu de Commissaires ont exercé des charges au Parlement européen, ce qui, comme le traduit Magnette, « contrairement à la règle d’or du parlementarisme, aucun commissaire n’est issu de la législature du Parlement européen. […]. Dans ces conditions, la Commission ne peut en aucun cas être considérée comme un organe tirant une légitimité politique directe de son investiture par le Parlement européen » (1999, 40). On constate très

[…] Le président et les autres membres de la Commission ainsi désignés sont soumis, en tant que collège, à un vote d’approbation par le Parlement européen. Après l’approbation du Parlement européen, le président et les autres membres de la Commission sont nommés par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée. » (Art.214 TCE) 76 Lors de la commission parlementaire JAI en charge de son audition, le futur Commissaire à la justice a tenu un discours empreint de religiosité associant l’homosexualité à un péché et confinant les femmes dans un rôle familial ancien, soit faire des enfants et être protégée par ‘un mâle’. 118

La représentation au sein de l’UE : un régime semi-parlementaire clairement la diminution du ratio des Commissaires ayant siégé au Parlement européen. La Commission Barroso n’a que deux ex-députés sur vingt-sept membres. De surcroît, il s’agit de deux Commissaires déjà présents dans la Commission Prodi. Dès lors, il n’y a pas eu de renouvellement de Commissaires dans cette catégorie.

Malgré ce constat, le travail des conventionnels a entre autre abordé la question du lien politique entre les deux institutions. L’article I-27 77 demande au Conseil européen de tenir compte des élections au Parlement européen pour la nomination d’un Président de la Commission. Ainsi, le lien sur la majorité parlementaire est explicite. Même si le projet de Constitution est actuellement bloqué, la nomination d’un Président socialiste est devenue difficile en raison de la majorité des élus à droite. La parlementarisation de l’Union européenne est ainsi limitée par la segmentation des légitimités qui veut que la désignation du président de la Commission soit faite par le Conseil européen et approuvée par le Parlement, et les deux institutions peuvent avoir des majorités politiques différentes ce qui fut le cas en 1999 avec . Toutefois, la nomination de la Commission a passé de l’exercice formel quasi- consultatif à une véritable approbation parlementaire.

Dans le deuxième cas, soit la censure, le Parlement détient cette compétence depuis le traité CECA. Elle ne fut jamais votée. En effet, la structure coopérative des relations institutionnelles, la relation privilégiée entre le Parlement et la Commission et la structure partisane rendent quasi impossible l’usage de cette compétence. Il faut également relevé un certain déséquilibre, car la censure ne vise que la Commission, alors que les fonctions exécutives sont partagées (Clinchamps, 2006, 589). L’approbation d’une motion de censure est une procédure lourde demandant la majorité absolue et la majorité des deux tiers des votants (art. 201 TCE). Toutefois, la censure fut utilisée plusieurs fois (12) dans l’histoire du Parlement, notamment par des groupes minoritaires. En effet, une motion de censure doit obtenir l’aval d’un dixième des membres du Parlement (article 100, Règlement intérieur).

Hormis la question de la procédure d’adoption, l’absence de partis d’opposition complète la faiblesse du dispositif de censure de la Commission (Lequesne et Rivaud, 2001, 867-871). En effet, les procédures de censure sont souvent l’apanage de groupes minoritaires. Ce constat est frappant en regard du tableau 3.4 où l’on voit les trois dernières déposées par des groupes politiques minoritaires. Les motivations sont souvent basées sur un eurosceptisme affirmé. C’est le cas pour près de la moitié d’entre elles. Le cas fréquent des premières utilisations était relatif à la politique agricole, et indirectement sur des sujets de politiques générales comme sur la place prépondérante des États, ou sur une critique du supranationalisme. Les motions de 1992 et 1997 portent davantage sur des questions de l’action communautaire liée à un

77 Article I-27 PTCE : « 1. En tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent. Si ce candidat ne recueille pas la majorité, le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose, dans un délai d’un mois, un nouveau candidat, qui est élu par le Parlement européen selon la même procédure. 2. Le Conseil, d’un commun accord avec le président élu, adopte la liste des autres personnalités qu’il propose de nommer membres de la Commission. […]. Le président, le ministre des affaires étrangères de l’Union et les autres membres de la Commission sont soumis, en tant que collège, à un vote d’approbation du Parlement européen. Sur la base de cette approbation, la Commission est nommée par le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée. » 119

Première partie – La représentation politique intérêt général, et, donc, peuvent être considérées comme plus politiques. Finalement, les motions de 1999 sont les seules qui ont failli aboutir à la censure de la Commission. Bien qu’ayant été utilisée plus comme une menace qu’une réelle possibilité d’aboutissement, la motion fut d’une certaine efficacité dans le cas de la Commission Santer 78 .

Tableau 3.4. Motions de censure

Date de dépôt Dépôt par Objet Vote 16 novembre 1972 Georges Spénale (PSE) Politique agricole Motion retirée

13 mai 1976 Groupe conservateur Politique agricole Motion rejetée (18-109- européen 4) 13 décembre 1976 Groupe démocrate- Politique agricole Motion retirée chrétien 10 mars 1977 Groupe des démocrates Politique agricole Motion rejetée (15-95- européens de progrès 1) 15 février 1990 Groupe des droites Politique agricole Motion rejetée (16-243- européennes 5) 11 juillet 1991 Groupe des droites Politique agricole Motion rejetée (8-206- européennes 15) 17 décembre 1992 Paul Lannoye (V) et 71 Position prise par la Motion rejetée (96-246- autres députés Commission au cours 15) des négociations du GATT 20 février 1997 José Happart (PSE) Crise de la vache folle Motion rejetée (118- (ESB) 326-15) 11 janvier 1999 Pauline Green (PSE) et Non-octroi de la Motion retirée 70 autres députés du décharge budgétaire PSE 1996 11 janvier 1999 Hervé Fabre-Aubrespy Non-octroi de la Motion rejetée (232- (EDN) et 68 autres décharge budgétaire 293-27) députés 1996 16 avril 2004 Jens-Peter Bonde (ID) Gestion de l’affaire Motion rejetée (88-515- et 64 autres députés Eurostat 63) 12 mai 2005 Nigel Farage (ID) et 76 Protection contre les Motion rejetée (35-589- autres députés risques de conflit 35) d’intérêts Source : http://www.ena.lu/europe/union-europeenne/depuis-election-directe-parlement-europeen-1979.htm ; Magnette, 1999, 42 ; http://www.europarl.eu.int/ ; JOCE Débats du Parlement, années 1972, 1976, 1977.

Malgré le battage médiatique autour de l’usage de la motion de censure en 1999, le Parlement laissa une image d’une assemblée indécise en raison des hésitations procédurales, des chantages réciproques et de la faiblesse des groupes politiques (Magnette, 1999, 46). En effet, la censure de la Commission se complique en raison du soutien que peuvent donner certains parlementaires pour des logiques nationales en dépit des instructions des groupes européens. De plus, le soutien de leur famille politique, par les groupes parlementaires, aux Commissaires incriminés ne permit pas de destituer uniquement certains membres de la Commission. En conséquence, seul le collège in corpore peut être inquiété. Dès lors, seule la censure individuelle aurait permis un développement majorité-minorité. Le cas de la censure du collège rend cela impossible car il y a des probabilités importantes que les deux grands partis soient mis en cause et qui, donc, défendront ensemble la Commission. Néanmoins,

78 À ce propos, voir Magnette, 1999, 44-46. 120

La représentation au sein de l’UE : un régime semi-parlementaire l’identification du Président au parti majoritaire au Parlement européen peut contrebalancer cet effet.

La censure de 1999 permit tout de même aux parlementaires d’obtenir un droit de regard plus important sur la nomination de la Commission et renforce le processus d’investiture politique de la Commission (Clinchamps, 2006, 601). Il faut toutefois relativiser la faiblesse du Parlement face à cet outil en regard de sa faible utilisation dans les États. Lequesne et Rivaud rappellent « qu’aucune motion de censure n’a été adopté en France depuis 1962, en Grande-Bretagne depuis 1979, et en Allemagne depuis 1982 » (2001, 871). Ce constat implique nécessairement le développement d’autres outils de contrôle.

Finalement, le Parlement européen développa en 1979 un outil permettant de contre- balancer ce problème d’usage de la censure, soit la commission d’enquête. Cet outil sera formalisé dans les traités à Maastricht. L’histoire difficile de la mise en place de cet outil est relatée par Lequesne et Rivaud (2001, 871-873). Depuis Maastricht, on compte trois commissions d’enquête 79 , celle sur l’ESB (Commission ESB1, septembre 1996 – février 1997), la commission sur le régime de transit communautaire (janvier 1996 – mars 1997) et la commission sur la débâcle financière de la compagnie d’assurance ‘Equitable Life’ (depuis septembre 2005). Diverses commissions temporaires sans la dénomination d’enquête peuvent être considérées importantes en raison des attentes sur leur rapport, en particulier la commission temporaire sur les actions de la CIA sur le territoire de l’Union ou celle sur le programme ECHELON 80 .

De nouveau, la commission d’enquête est témoin des relations difficiles entre les différentes institutions. En effet, la commission d’enquête a fait l’objet d’un accord inter-institutionnel 81 permettant l’accès des parlementaires aux documents du Conseil. Le règlement actuel cherche à préserver au maximum le secret des décisions au sein du Conseil tout en rappelant que le Parlement est un organe de débat public.

Ainsi, les fondamentaux de la technique parlementaire se heurtent souvent à des logiques complexes liées à la structure institutionnelle de l’Union européenne. On constate qu’en cherchant à développer ses pouvoirs législatifs, le Parlement européen a oublié de développer le contrôle a posteriori qui demeure faiblement utilisé. En effet, la nomination de la Commission, la censure et la commission d’enquête nous rappellent sans cesse la difficile voie qu’emprunte le Parlement européen en devant se consacrer à sa recherche de gains de compétences, notamment dans le domaine législatif. Rendre les compétences a posteriori utilisables est un autre défi de la voie parlementaire. Autre problème important du contrôle de l’exécutif, c’est

79 Depuis 1979, le Parlement européen a connu dix commissions d’enquête (Lequesne et Rivaud, 2001, 871). Il s’agit donc de sept commissions de 1979 à Maastricht, et trois depuis que la commission d’enquête est formalisée dans ce même traité. 80 Depuis Maastricht, le Parlement européen a crée sept commissions temporaires : sur les défis et moyens budgétaires de l’Union élargie 2007-2013 (septembre 2004 – juin 2005) ; sur la sécurité maritime (novembre 2003 – avril 2004) ; sur la fièvre aphteuse (février 2002 – novembre 2002) ; sur la génétique humaine (janvier 2001 – janvier 2002) ; ECHELON (juillet 2000 – septembre 2001) ; ESB2 (avril – novembre 1997) ; activités de la CIA (depuis janvier 2006). Il convient de relever que le Parlement a approuvé récemment la création d’une nouvelle commission temporaire sur le changement climatique (en fonction depuis mai 2007). 81 Voir l’annexe VIII du Règlement interne du Parlement européen (16 e édition) 121

Première partie – La représentation politique l’impossibilité du contrôle du Conseil. En effet, le Conseil est un partenaire législatif, mais également un exécutif. Toutefois, seuls les parlements nationaux peuvent agir face à leur gouvernement respectif. De plus, « les parlementaires doivent […] s’habituer à trouver en face d’eux des interlocuteurs temporaires, ce qui interdit toute personnalisation du Conseil et rend difficile la continuité du contrôle » (Magnette, 1999, 34). Cette faille dans le contrôle met en avant les complications institutionnelles de l’enchevêtrement entre supranationalisme (Commission et Parlement) et intergouvernementalisme (Conseil).

122

La représentation au sein de l’UE : un régime semi-parlementaire

4. La volonté complexe des États : le cas de la ‘parlementarisation’ de l’UE

La parlementarisation de l’Union européenne interpelle sur les raisons poussant les États à privilégier le Parlement européen dans les différents traités. En plus de l’élection directe, l’Acte unique et les traités de Maastricht et d’Amsterdam ont toujours favorisé l’essor institutionnel du Parlement européen, la co-décision en étant l’exemple le plus récent (Wagner, 2001, 25). Paul Magnette relève que les raisons des gouvernements sont en partie obscures (2006a, 151). Brièvement, nous pouvons émettre quelques hypothèses. La première est relative à la tradition parlementaire (formalisme procédural : système parlementaire égale légitimité politique) des États membres. Toutefois, cette dernière semble peu pertinente en raison de l’opposition des États, comme le Royaume-Uni, ayant un modèle parlementaire très établi, au développement du Parlement européen. Les théories de l’intégration peuvent contribuer à nous donner des pistes. On peut également considérer une autre hypothèse, la volonté de ré-équilibrer certains compromis relatifs aux poids des grands États. Avec le Parlement, l’Allemagne a été compensée car elle dispose d’un plus grand nombre de députés que les autres ‘grands’. Paul Magnette expose une troisième voie de réflexion en indiquant que pour certains États le renforcement du Parlement européen est une manière d’affaiblir la Commission, notamment en renforçant les groupes nationaux au sein des groupes parlementaires (2006a, 152).

Le cadre de référence fréquent concernant le développement du Parlement européen est celui du fédéralisme. Toutefois, l’actualité contraint à voir cette théorie comme une utopie. La place des gouvernements avec la montée en puissance du Conseil européen rappelle plutôt la mixité du système. Le fédéralisme garde néanmoins la qualité de proposer un modèle d’analyse avec un but final 82 . En fait, c’est plus un projet politique qu’une théorie (Rosamond, 2000, 26). L’inscription de la démocratisation de l’Union européenne et de la parlementarisation du système doit beaucoup aux principes fédéralistes. Néanmoins, cela n’explique pas le choix des acteurs, notamment les gouvernements, d’aller vers une solution supranationale de transfert de compétences.

On peut aussi citer Magnette pour rappeler que le gain de compétences n’est pas un acquis du Parlement et peut aussi être diminué. En effet, les États cherchent à

82 Pour Nicolas Levrat (2005b), l’Union européenne utilise depuis longtemps des mécanismes et des principes issus du fédéralisme. Toutefois, il faut différencier le système communautaire de la question de l’État européen afin d’analyser le fédéralisme en Europe sans le but politique. L’analyse de Nicolas Levrat se place ainsi sur les questions procédurales qui reconnaît un fédéralisme européen sans État. Un exemple du fédéralisme comme objectif politique est bien incarné dans le célèbre discours de Joschka Fischer à l’Université Humboldt de Berlin le 12 mai 2000. À ce propos, on voit dans ce discours une volonté politique d’affirmer le Parlement européen dans une logique parlementaire bicamérale (représentation européenne avec des élus membres en même temps du Parlement européen et du parlement national et représentation des États) : « C’est faisable, à mes yeux, à condition que ce parlement européen dispose de deux chambres, dont une serait composée de députés élus appartenant en même temps aux parlements nationaux. C’est là le moyen d’éviter tout antagonisme entre les parlements nationaux et le parlement européen, entre État-nation et Europe. En ce qui concerne l’autre chambre, il faudra choisir entre un modèle de sénat réunissant des sénateurs des États membres qui seront élus au suffrage direct et une chambre des États comparable à notre Bundesrat. Aux États-Unis, tous les États élisent deux sénateurs alors qu’au Bundesrat le nombre de voix varie ».

123

Première partie – La représentation politique développer le rôle des exécutifs et les travaux de la Convention n’ont peut-être pas favorisé le Parlement européen 83 .

Ainsi, les gouvernements veulent rester les maîtres du jeu institutionnel. Il n’en demeure pas moins que la ‘bizarrerie’ de l’évolution parlementaire doit être regardée sous l’angle de quelques théories de l’intégration. Nous privilégierons des autres pans de la littérature que les théories historiques de la construction européenne comme le néo-fonctionnalisme 84 ou le fédéralisme (vu plus haut). En effet, la première consiste à expliquer la méthode communautaire de gain de compétence par sa force propre. Il est maintenant admis que depuis le compromis de Luxembourg (30 janvier 1966), la construction européenne a de plus en plus pris un pli national. Dès lors, nous observerons les théories qui se placent du point de vue des États à la construction européenne, comme l’intergouvernementalisme, dans sa variante libérale notamment, l’institutionnalisme et le constructivisme. Chaque évolution historique de l’intégration se voit attacher à un pan théorique. Les débuts sont marqués par le néo- fonctionnalisme qui s’amoindrira après 1966 jusqu’à l’acte unique où s’ouvre une période d’analyse sur l’intergouvernementalisme libéral. Les périodes de Maastricht à Nice sont marquées principalement par l’application de concepts comme la gouvernance à multi-niveaux et l’intervention d’autres champs théoriques comme le constructivisme ou l’institutionnalisme.

4.1. L’intergouvernementalisme

Selon la théorie intergouvernementaliste 85 , l’engagement des États dans des institutions supranationales s’explique par le besoin de crédibilité de l’engagement. En effet, « des institutions fortes apparaîtront plus probablement s’il y a un intérêt manifeste à coopérer ou si l’on veut empêcher les autres gouvernements d’être tentés ultérieurement par une défection » (Schwok, 2005, 89). En d’autres termes, la délégation de souveraineté contrôlée renforce paradoxalement les États. En effet, des institutions fortes donneront plus de crédibilité à leur engagement et de surcroît pèseront au bénéfice des gouvernements sur la structuration des demandes internes. Ainsi, une des explications paradoxales de l’intergouvernementalisme dans le cadre de la parlementarisation de l’Union est de rechercher un poids maximal pour les gouvernements vis-à-vis de leurs parlements nationaux, ainsi que de renforcer l’engagement des autres gouvernements dans les politiques de coopération. En quelque sorte, le développement de l’Union renforce les gouvernements nationaux.

83 Magnette explique ce point ainsi : « Dans la mesure où l’activité législative tend à se réduire, conformément au principe de subsidiarité, et puisque les gouvernements choisissent plus volontiers depuis le milieu des années 1990 la voie de la coordination des politiques nationales [méthode ouverte de coordination] , le Parlement européen risque de voir son influence stagner, voire diminuer. D’ailleurs, les membres de la Convention sur l’avenir de l’Union, prenant la mesure de cette évolution, ont appelé à renforcer le rôle des parlements nationaux dans la prise de décision européenne » (2006a, 154 [ajout en gras par l’auteur]). 84 Plus que toutes autres théories, le néo-fonctionnalisme représente la théorie de l’intégration européenne par excellence. Un des éléments essentiels de cette théorie est la dynamique du spill-over . Ce dernier implique un mouvement continu et linéaire d’intégration. Toutefois, la crise de la chaise vide stoppe pour partie cette dynamique et c’est à ce moment que progressivement d’autres éléments théoriques interviennent pour comprendre l’intégration européenne, et notamment le rôle des États (Rosamond, 2000, 50-73) 85 L’approche intergouvernementaliste, notamment dans sa conception libérale, est particulièrement théorisée par Andrew Moravcsik, notamment dans l’article de 1993, 473-524. 124

La représentation au sein de l’UE : un régime semi-parlementaire

Comme l’explique Craig (2003, 93-94), les suites de la crise de la chaise vide eurent pour impact de montrer les limites du néofonctionnalisme. Toutefois, l’intergouvernementalisme en tant que théorie a mis du temps à émerger. Il faut en effet attendre l’Acte unique pour qu’une théorie sur l’intégration européenne voie le jour. Il s’agit de l’intergouvernmentalisme libéral dont un des principaux penseurs est Andrew Moravcsik. La force de la version libérale de l’intergouvernementalisme est de reconnaître l’environnement spécifique de l’Union. Les États ici jouent sur plusieurs niveaux et modifient au fur et à mesure leur préférence. À l’instar de Craig (2003, 96), on peut résumer l’intergouvernementalisme libéral par le fait que ce sont les États qui sont les forces motrices de l’intégration, et les institutions supranationales n’ont que peu d’indépendance.

Toutefois, cette approche n’est pas exempte de critiques. Pour Rosamond, l’approche intergouvernementaliste conduit à rapprocher l’étude des jeux à plusieurs niveaux à la gouvernance multi-niveaux. Ainsi, pour comprendre la spécificité de l’Union européenne, les tenants de l’intergouvernementalisme n’ont d’autres choix que de tenir compte de cet aspect qui conduit à donner un rôle plus important aux acteurs institutions européennes et autres acteurs non-étatiques (Rosamond, 2000, 147). Par conséquent, considérer l’État comme seul acteur est un peu réducteur. De plus, on peut observer une série de remarques quant à la perception du rôle des gouvernements. En effet, on peut considérer, à l’instar de René Schwok, que la médiation de l’État n’est pas le seul recours pour défendre ou promouvoir des intérêts dans l’espace communautaire. La critique de René Schwok de Moravcsik tient à cet aspect : « Les institutions communautaires ont une capacité à générer des intérêts et des valeurs propres pouvant dépasser et défier les États qui les ont créées. Moravcsik ne tient ainsi pas compte d’organisations transnationales comme l’Union des Industries de la Communauté européenne (UNICE) ou la European Round Table of Industrialists (ERT) dans le lancement de l’Acte unique européen ou de la Commission européenne de Delors » (Schwok, 2005, 92).

L’intergouvernementalisme propose ainsi une lecture intéressante de la volonté des États à interagir au niveau européen, mais il n’offre pas une clef d’analyse suffisante. En effet, comme nous l’avons vu, cette théorie sous-estime le rôle des acteurs secondaires ainsi que la capacité propre des institutions à croître. Nous garderons tout de même l’idée que l’émergence de l’Union renforce les États dans leur prérogative. En bref, l’octroi de certaines compétences au niveau régional contribue à renforcer d’autres prérogatives plus essentielles au niveau national. On peut penser que la croissance du Parlement européen est un moindre mal et contribue à renforcer les États, notamment les gouvernements face à leur parlement.

4.2. L’institutionnalisme

Une autre théorie, l’institutionnalisme, se divise en deux écoles, celle de l’institutionnalisme historique et celle du choix rationnel. Cette dernière voit le développement institutionnel de l’Union européenne comme sous contrôle des intérêts des États. En effet, d’une part, le Conseil est toujours présent en tant que co- législateur, et d’autre part, la dépendance des députés européens aux partis nationaux laisse une place importante au contrôle des États membres. On peut résumer ainsi : « Historical institutionalism grew out of critiques of conventional group theories of

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Première partie – La représentation politique politics, while rational choice institutionalism reflects the successful import of the axioms of microeconomics into political science. At the same time, the sociologists became interested in the capacity of cultural and organizational practices (institutions) to mould the preferences, interests and identities of actors in the social world (hence ‘sociological institutionalism’) » (Rosamond, 2000, 114).

Empreint du fonctionnalisme, les États développent les pouvoirs du Parlement car c’est le choix de l’efficacité afin de mettre en œuvre les politiques décidées dans les accords inter-étatiques (Wagner, 2001, 26-28). Ainsi, pour les tenants du choix rationnel, les États créent des institutions en anticipant les bénéfices provenant des fonctions qu’elles peuvent remplir (Schwok, 2005, 101-102). L’intérêt du développement des institutions se traduit par la réduction des coûts de transaction et une meilleure connaissance des préférences des autres acteurs dans le système. Les rationalistes perçoivent deux types d’acteurs, les principals et les agents . Dans l’Union européenne, les premiers sont les États membres, alors que les agents sont les institutions européennes. Toutefois, la dynamique communautaire donne une certaine autonomie aux institutions qui échappent en partie aux États. Le problème principal de cette théorie est « le caractère tautologique des ‘découvertes’ de cette théorie. Ainsi, on se doute bien que les États créent des institutions parce qu’il en va de leur intérêt » (Schwok, 2005, 106). Le fait que les États cherchent à maximiser leur influence dans les institutions est le plus grand problème de cette théorie. En effet, est-ce vraiment nécessaire de systématiser de manière théorique une logique de pouvoir inhérente à la négociation existante comme, par exemple, à l’OMC entre blocs, à l’UE entre États, en Espagne entre régions.

L’institutionnalisme historique, voir notamment Pierson (1996, 123-163), est basé sur l’acquis des institutions qui inévitablement influe sur leur position actuelle. Ainsi, bien que les accords soient à l’origine voulus par les États, on assiste à une perte de contrôle des États du fait de la dynamique des institutions, notamment en raison de l’autonomie partielle de ces dernières. Deux éléments peuvent être ajoutés : la densification des compétences de l’Union et la complexification du monde actuel, et l’évolution des préférences qui empêchent les États de garder un domaine totalement exclusif (Schwok, 2005, 98-101).

Comme le constate Rosamond, l’institutionnalisme est très proche de la théorie intergouvernementaliste, mais ajoute une dimension institutionnelle importante dans le cadre de l’environnement européen (2000, 116). Le commentaire ici est sensiblement le même que pour l’intergouvernementalisme. Malgré la prise en compte des institutions, il manque la dimension des acteurs secondaires. Toutefois, cette théorie offre un aspect intéressant sur le Parlement européen qui s’est fortement développé par voie coutumière.

4.3. Le constructivisme

Le constructivisme développe une argumentation autour du fédéralisme tout en critiquant l’aspect rationaliste de l’institutionnalisme. Selon Moravcsik, la pression « pour un développement du Parlement européen est venu des pays ayant une forte tradition parlementaire et du fédéralisme » (1998, 70). Pour revenir sur le constructivisme, il s’agit d’expliquer les constructions sociales « comme pas

126

La représentation au sein de l’UE : un régime semi-parlementaire exogènes, mais liées à un construit social et donc par des idées, des normes, des valeurs » (Wagner, 2001, 28). Ces dernières ont un impact sur les préférences des États. Ainsi, les principes défendus par un gouvernement de manière domestique s’appliquent aussi dans le cadre de la construction européenne. Le principe de socialisation est très important dans la variante de l’institutionnalisme sociologique, part du constructivisme. En effet, les institutions ‘socialisent’ les acteurs et modifient leurs comportements. De plus, la qualité des acteurs dans le cadre des négociations ne pouvant être ramenée uniquement à la pré-définition des intérêts nationaux, on a affaire à une communauté épistémique. Cette théorie donne un regard intéressant sur le développement du Parlement européen ces dernières années où l’on assiste clairement à une socialisation et donc à un intérêt commun au développement de cette institution.

Dans ce cadre, nous pouvons dégager deux mouvements sur la légitimité de l’Union européenne, d’une part indirecte (par les parlements nationaux) et, d’autre part, directe (renforcement du parlement européen). En conclusion, selon cette théorie les États vont défendre leur système national au niveau supranational (Wagner, 2001, 28- 29). On s’attend donc que les États ayant des régions effectives supportent plus fortement la démocratie au niveau supranational. À l’analyse, nous voyons en général que les États ayant appuyé la co-décision pour le Parlement européen sont ceux avec une tradition régionale et fédérale 86 . Ainsi, comme nous l’avons vu, l’exercice contredit la théorie des traditions parlementaires comme soutien de la parlementarisation (comme le Royaume-Uni). Il ressort que le régionalisme est un soutien beaucoup plus important à la démocratie européenne que tout autre facteur, y compris le fédéralisme, du fait de l’appui à la co-décision de la France et de l’Italie qui sont qualifiés de pays unitaires décentralisés (Wagner, 2001, 30-37).

La parlementarisation de l’Union européenne est un phénomène difficilement théorisable de manière inductive. L’expérience et la pratique institutionnelle contraignent les différentes écoles de pensée à retourner leur argumentation afin de comprendre ce phénomène qu’est l’Union européenne. D’un point vue paradoxal, les théories ‘pro-étatique’ cherchent à démontrer l’aspect volontaire des démarches institutionnelles. En effet, le développement de ces dernières permet aux États membres de mieux conserver leur ‘pouvoir’ en raison d’une meilleure connaissance des préférences des autres ou de ‘cadenasser’ leur débat interne. Un autre point de vue, celui de la complexification de la société, perçoit le développement institutionnel comme une logique inéluctable, échappant à leur créateur en raison que le seul niveau de l’efficacité est le niveau supranational. Finalement, la logique fédéraliste contre intergouvernementaliste semble maintenant dépassée car l’Union européenne synthétise ces deux approches structurelles. Par là même, elle rend son analyse plus complexe. La question restant importante est celle de la représentation. En effet, dans un système en voie de parlementarisation et de développements démocratiques, la représentation demeure un indice essentiel de légitimité. Pour illustrer cette synthèse, on peut voir le traité constitutionnel comme un pas vers plus de parlementarisme en consacrant l’élection du président de la Commission par le Parlement européen, et en même temps confirmer le leadership intergouvernemental en établissant une présidence permanente du Conseil européen (Magnette, 2005, 304).

86 Il s’agit en particulier de l’Allemagne, la Belgique, et l’Espagne. 127

Première partie – La représentation politique

Afin d’éviter de tomber dans le piège théorique du débat intergouvernementaliste- supranationaliste, on doit revenir sur les perspectives pluralistes qui développent un axe intéressant avec l’inclusion du rôle des acteurs secondaires. De plus, le pluralisme est une théorie qui est en pleine expérimentation dans le champ des idées. Dès lors, le cas ‘Europe’ représente un laboratoire unique en la matière. En effet, pour de multiples raisons, l’Union européenne est, pour reprendre la formule de Costa, « une superposition de pluralismes » (2001, 103). Ainsi, on peut retrouver en son sein :

« […] un pluralisme rawlsien, qui s’illustre par l’intégration de principe de discrimination positive dans la politique structurelle ; une logique multiculturaliste, qui exige des institutions qu’elles oeuvrent pour la préservation de la diversité culturelle et linguistique européenne : un pluralisme de groupes, qui se traduit par l’ouverture délibérée de la Commission et du Parlement aux groupes d’intérêt ; une logique corporatiste, qui s’exprime par l’existence du Comité économique et social et par la participation de multiples comités professionnels à l’élaboration de normes auprès de la Commission ; un pluralisme géographique, régional et national, qui traduit l’existence du Comité des régions, le caractère intergouvernemental de la délibération du Conseil et la désignation nationale des députés européens ; enfin, un pluralisme ‘démocratique’ qui s’exprime par le mode de délibération du Parlement européen » (Costa, 2001, 103).

C’est donc en tenant compte de tous ces éléments que l’on doit analyser l’UE et, en particulier, son Parlement. La compréhension du rôle des États ne peut ainsi être ramener à une seule théorie, mais bien composer avec sa multiplicité. Le parlementarisme européen est également empreint de cette multiplicité, et ce qui le rend difficile à définir.

128

La représentation au sein de l’UE : un régime semi-parlementaire

5. Vers une solution semi-parlementaire

De la partie précédente, nous pouvons faire ressortir deux éléments, d’une part la volonté supranationale parlementaire et d’autre part la place prépondérante des structures intergouvernementales. Ce mélange est la caractéristique la plus marquante du système politique européen. Il est en effet impossible de s’en départir. La place de la voie parlementaire est actuellement indéniable. Toutefois, selon l’approche choisie, le système politique s’en ressentira. Le tableau 3.5. résume les différentes conséquences envisageables selon le choix de l’approche.

Tableau 3.5. Les options du parlementarisme européen

Parlementarisation Méthode communautaire Approche Approche supranationale intergouvernementale Approfondissement de Etats-Unis d’Europe Fédération d’États Fonctionnalisme l’intégration (Mouvement européen) nations : création d’une (Commission) européenne chambre des parlements (France) Gel ou régression de Fédéralisme formel Confédération : réserve Statu quo l’intégration (RFA) parlementaire européenne (eurosceptiques danois et britanniques) Source : Costa, 2004, 289

Le premier élément qui ressort clairement est que l’Union se situe sur une voie intermédiaire. En effet, les différentes options mentionnées ne sont pas envisagées en tant que telles. Aussi bien l’approche purement fédérale supranationale que l’approche intergouvernementale ne peuvent s’imposer. Le développement du spill-over de l’Union marque une voie inexorable vers l’intégration qui pousse les deux approches dans le domaine de l’utopie. Ainsi, l’Union européenne de par son double caractère doit s’inventer de nouvelles catégories et composer dans un mode consensuel. Un élément caractéristique de ce mode est l’absence de logique majoritaire ou de coalition animant une véritable emprise parlementaire.

L’approche de concordance de Lijphart est la voie d’organisation la plus probable dans le cadre de la démocratie européenne. En effet, la parlementarisation imparfaite et l’existence d’un exécutif bicaméral ‘indépendant’ du Parlement ramène à ce système parlementaire. Un autre élément important est la nécessaire reconnaissance d’une société pluraliste européenne. Cet élément conduit aussi à revoir le système parlementaire en fonction de la multitude des représentations ainsi que de la nécessité d’apaiser les conflits potentiels. Proche du système directorial helvétique, l’Union européenne s’en éloigne par la formation d’un exécutif bicaméral et par des attributs parlementaires typiques du système de Westminster.

Pour résumer les différents éléments en cause, on peut reprendre les six points caractérisant la parlementarisation de l’Union européenne mise en avant par Olivier Costa (2004, 273-279). Premièrement, « l’assemblée européenne s’est ‘parlementarisée’ en se parant progressivement de tous les attributs caractéristiques des parlements nationaux : appellation, indépendance financière, organisation interne

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Première partie – La représentation politique physique et administrative, mode d’élection, immunités et privilèges des membres… » et le phénomène s’est accentué avec la politisation du système suite à la rupture de l’accord PPE-PSE en 1999. Deuxièmement, on assiste à une mutation du système normatif. Troisièmement, on aperçoit l’émergence d’une logique de collaboration interinstitutionnelle. En effet, « l’existence de ce dialogue interinstitutionnel dans les domaines législatifs et budgétaires est un élément clé du processus de parlementarisation de l’Union ; l’histoire politique de la France et de la Grande-Bretagne révèle en effet que le parlementarisme est né de l’émergence d’un dialogue informel entre l’exécutif et le législatif ». Quatrièmement, la Commission affirme de plus en plus son caractère gouvernemental, ce qui a été, cinquièmement, renforcé à Nice. Sixièmement, l’extension du champ du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil est un pas important, car « lorsqu’il arrête ses décisions de cette manière, il est en effet assimilable à la chambre des États d’une fédération – à la réserve près qu’il dispose de pouvoirs spécifiques dans le domaine exécutif ». Toutefois, comme nous l’avons vu, le parlementarisme reste imparfait en raison des limites intrinsèques de l’Union européenne dues à son histoire institutionnelle et par les choix politiques s’y opérant.

Il faut également explorer les contraintes à la parlementarisation de l’Union européenne. En premier lieu, le Parlement européen n’est pas défini comme une institution souveraine. Pour Olivier Costa (1999, 280), il échappe encore au Parlement des compétences importantes, comme le droit d’initiative (compétence exclusive de la Commission) ou les actions hors premier pilier. De plus, il doit se partager en terme de légitimité avec ses partenaires du triangle institutionnel. Sa croissance de pouvoir est ainsi dépendante. En second lieu, nous devons considérer l’absence de distribution des pouvoirs avec une institution –le Conseil – centralisant un nombre important de fonction (législative et exécutive). Cette mixité inusuelle diminue la portée du travail parlementaire. En troisième lieu, il faut revenir sur la motion de censure. Comme on le voit avec le tableau 3.4, les motions de censure servent plus de tribune aux groupes minoritaires que comme un véritable outil de sanction d’une politique. D’ailleurs, comme le voit Costa (2004, 280-281), les seules procédures de censure qui ont abouti à un nombre de voix significatif s’apparentent à un impeachment , et non à une remise en cause d’une politique. Comme nous l’avons vu, cela est dû en grande partie aux conditions de la procédure de censure.

En quatrième lieu, il faut relever la procédure d’investiture dans l’Union qui relève plutôt des États que du Parlement bien que l’on connaisse une évolution dans ce domaine. Finalement et cinquièmement, l’absence de hiérarchie des normes pèse d’un certain poids sur l’ output parlementaire. Tous ces éléments rappellent à quel point, le système de l’Union européenne est mû par une logique complexe. En effet, « le système communautaire ignore toujours la séparation des pouvoirs (au profit de la ‘mitigation des fonctions’), la souveraineté parlementaire (au profit de la pluralité des représentativités des institutions communautaires), ainsi que le droit de dissolution » (Costa, 2004, 272). Ainsi, nous nous retrouvons aux prises avec un déficit démocratique malgré son gain de compétences. C’est notamment pour répondre à cette problématique que la réflexion sur la gouvernance et l’inclusion de nouveaux acteurs a émergé à la fin des années nonante.

Nous devons aussi rappeler que le Parlement avance à contre-sens des autres parlements en cherchant à s’imposer dans le domaine législatif et pas dans le domaine

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La représentation au sein de l’UE : un régime semi-parlementaire du contrôle. Ainsi, les pouvoirs a posteriori du Parlement sont sous-utilisés ou uniquement dans un cadre stratégique de gain de compétences législatives. Paul Magnette évoque un double déficit démocratique de ce fait. Le premier est relatif à la dilution des responsabilités en raison de l’absence de contrôle parlementaire, ce qui, logiquement, remet en question son efficacité. Le second est la confusion entre les traités et l’usage coutumier des compétences. En effet, la voie parlementaire, clairement identifiable, est utilisée dans la pratique comme « dans une logique de compromis institutionnels qui est typique des systèmes non parlementaires, du présidentialisme américain ou du modèle directorial suisse » (Magnette, 1999, 48-49).

Le choix des conventionnels est de persister dans cette voie mixte tout en insistant sur la voie parlementaire. En effet, la logique parlementaire est en fait le seul système politique susceptible d’être reconnu comme légitime par les citoyens. Toutefois, les particularismes du système actuel renforcent les questions du problème du déficit démocratique. La parlementarisation de l’Union est aussi une réponse à la question de légitimité et de la représentation. Comme nous l’avons mentionné, l’existence de représentations multiples nous amène dans les approches pluralistes. Le sentiment d’appartenance à une entité commune est ici extrêmement important et marque bien la difficulté de l’Union. En effet, entre fédéralisme supranational et intergouvernementalisme confédéral, entre démocratie parlementaire et démocratie de concordance, le choix ou le non-choix des gouvernants pèse sur les options futures de l’Union européenne. De cette mixité émerge un système syncrétique semi- parlementaire.

Le classement du Parlement comme semi-parlementaire ne peut être que transitoire. En effet, l’Union est sans cesse tiraillée entre plusieurs tendances, intergouvernementalisme ou supranationalisme. La question essentielle est de connaître si on penchera au fur et à mesure vers une organisation plus intergouvernementale ou vers un plein parlementarisme. Les éléments étudiés actuellement ne peuvent pas donner de réponse définitive sous peine de tomber dans une analyse normative.

En conclusion, la démarcation du système parlementaire européen permet de développer plus en profondeur le travail au sein du Parlement européen et l’impact représentatif. En effet, les particularismes énoncés dans ce chapitre doivent être constamment pris en compte pour analyser l’ agora européenne dans son cadre particulier. Dès lors, nous aborderons ensuite les études électorales et le mode de fonctionnement au niveau de la représentation du Parlement européen dans le cadre de son action quotidienne.

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Deuxième partie

La représentation au Parlement européen :

Entre apories et perspectives

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Deuxième partie – La représentation au Parlement européen : Entre apories et perspectives

Les aspects sui generis de l’Union européenne apparaissent au centre de l’analyse dès que l’on cherche à identifier son système de gouvernement. En effet, il a été mis en évidence, dans la partie précédente, combien il pouvait être difficile de qualifier l’Union européenne dans les catégories existantes de la science politique. L’aspect dynamique de l’Union européenne, ainsi que la recherche constante d’équilibre, sont les caractéristiques principales qui rendent toute évaluation complexe. Dès lors, pour faire suite à l’étude sur le semi-parlementarisme, nous proposons de continuer le travail d’analyse en considérant le cas du Parlement européen comme représentatif de l’évolution de l’intégration européenne. En effet, la croissance, de manière coutumière, de ses pouvoirs est caractéristique du dynamisme européen. D’un autre côté, on s’aperçoit rapidement de la difficulté de sa position dans l’équilibre institutionnel. Il est en ce sens intéressant d’étudier le Parlement comme un vecteur, si ce n’est le principal, de légitimité dans le contexte de l’intégration européenne.

L’importance de l’étude du Parlement européen relève ainsi de ces questions au-delà de toute autre considération. Mais les critiques sont cependant bien présentes, comme l’illustrent les remarques de Andersen et Eliassen (1998, 5-7), dont nous reprendrons la liste relativement exhaustive de l’ensemble des points posant problème pour la parlementarisation de l’Union. Il s’agit de relever que l’UE ne bénéficie pas d’une constitution formelle, mais d’un accord international. De plus, du fait du triangle institutionnel, il n’existe pas de centre politique. Alors que dans un État parlementaire, le centre politique est clairement identifié par la représentation du peuple, soit le Parlement. Finalement, il manque à l’UE une procédure commune électorale et un système de partis. Les conséquences touchent la manière d’agréger les demandes, et empêchent l’unité de la construction européenne. Ainsi, l’identité européenne, sans centre politique, est complexe à réaliser 87 .

Comme nous le voyons, la difficulté théorique consiste à identifier un système parlementaire selon les conditions cadres de l’organisation du Parlement. Nous avons vu que le Parlement européen développe, pour des raisons historiques, son pouvoir législatif, mais demeure faible sur le contrôle parlementaire. Cet aspect a des conséquences dans son organisation quotidienne, ainsi que sur la vision qu’ont les eurodéputés de leur travail. Une des questions centrales de cette partie est donc liée à l’auto-représentation du mandat. Il ressort en effet que le sens du mandat d’élu doit d’abord être compris par celui qui le détient : un député européen représente-t-il le territoire de l’Union, son État, ou, encore, sa circonscription ? De la réponse à ces questions dépendra la manière dont les citoyens européens peuvent comprendre et percevoir l’intégration européenne et le sens de leur vote. En d’autres termes, il s’agit d’appréhender la question sous l’angle de l’agrégation des demandes. En effet, la fonction agrégative va dépendre de la manière dont les élus la comprennent.

Cela est compliqué par le fait que la société européenne se distingue, notamment par la diversité de ses langues, et de ses cultures. On peut ainsi s’orienter sur une piste de

87 Dominique Wolton perçoit que le problème clef de la citoyenneté européenne réside dans le fait que « la forme politique de l’Europe n’est pas encore constituée » (1993, 148-149). Par conséquent, le citoyen européen ne peut exister.

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réflexion qui impliquerait une meilleure prise en compte du pluralisme au sein de l’Union européenne. Il est probable que la transformation de l’élection européenne, souvent considérée comme de second ordre, vers une élection classique, se fasse à ce prix. En d’autres termes, il semble nécessaire de réfléchir à une inclusion plus large des acteurs européens existants, notamment la société civile, dans le processus représentatif.

Parce que l’ensemble de ces questionnements fragilisent le Parlement, il reste une question centrale, qui est celle de la fonction légitimante, que l’on peut analyser sous l’angle de la participation électorale. Le problème est que la faiblesse des taux de participation est devenue une donnée incontournable de la vie politique européenne. Alors que c’est sur cette base que les députés fondent leur légitimité et leur conception de la représentation. De fait, leur légitimité est affaiblie, et, il en ressort que le travail d’agrégation l’est aussi. La représentation européenne peut-elle s’organiser sur un autre principe ?

Pour analyser cette partie, nous proposons donc de revenir d’abord sur l’analyse électorale du Parlement européen. Nous observerons en particulier les élections de 2004, en prenant en compte les conditions cadres de la loi électorale. Ensuite, nous développerons une réflexion sur ce que peut être le rôle du député, en fonction de l’existence ou non d’un demos européen. Nous nous appuierons pour cette analyse sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande en la matière. Nous essaierons ainsi d’établir l’ input representativity . Ensuite, nous évaluerons le produit normatif du Parlement, afin de voir s’il est à même d’amener ce que nous appelons l’ output representativity .

De ce point de vue, l’intégration européenne passe ainsi par une réflexion sur les conditions du mandat et des élections, ainsi que sur l’existence des partis européens. La formation d’une ‘identité européenne’ institutionnelle sera en ce sens considérée sous l’angle de l’ input representativity . Par ailleurs, le produit de la politique européenne, notamment par le jeu parlementaire, agit sur l’efficacité, ce que Fritz Scharpf appelle l’ output legitimacy . Dans la présente recherche, nous nous limiterons à la version purement parlementaire et ses impacts sous l’angle de l’output representativity .

Dans le chapitre suivant, nous analyserons le rôle des partis européens sous l’angle juridique et politique. Par conséquent, nous sommes ainsi amenés à étudier un aspect problématique du système politique européen, à savoir la quasi absence de partis politiques européens. En effet, la fonction agrégative dépend en grande partie de ces derniers. Dès lors, on peut, comme Delwit le suggère, constater que « à défaut de l’exercice de contrôle ou de médiation, les partis politiques s(er)ont supplantés par d’autres organisations, notamment les groupes de pression. À ce jour, les fédérations européennes ne médiatisent que faiblement voire pas du tout les desiderata de(s) citoyen(s) et les choix effectués par l’exécutif européen » (2003, 104). Il s’avère en ce sens nécessaire de se pencher sur d’autres modèles partisans à même de répondre aux défis de l’intégration européenne, et de faire évoluer une vision ‘stato-centrée’ vers d’autres initiatives. Suivra ensuite une analyse du modèle de partis envisageable dans le cadre de l’intégration européenne. Nous introduirons également le rôle des groupes.

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Finalement, le dernier chapitre s’attachera à démontrer quelles peuvent être les conditions relatives à la mise en place d’intergroupes parlementaires, qui peuvent représenter une première tentative de réunion du monde des élus et du monde associatif. Cette solution originale sera par ailleurs retenue et développée dans les troisième et quatrième parties de ce travail. Dans cette partie, nous tenterons de nous concentrer uniquement sur les aspects structurels des intergroupes. En effet, le but est la compréhension générale du système. Les conséquences politiques seront étudiées de manière détaillée dans la troisième partie.

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Chapitre 4 – L’organisation de la représentation au Parlement européen

1. Représentation, légitimité et taux d’abstention

Pour le Parlement européen, le gain de compétences, notamment depuis le traité de Maastricht, ainsi que l’élection au suffrage universel de ses membres ont permis d’affirmer son rôle au sein du triangle institutionnel. Simultanément, et de manière contradictoire, le débat sur le déficit démocratique et sur le manque de représentativité de l’Union, et en premier lieu de son Parlement, sont devenus des questions omniprésentes du débat européen.

Notamment, le déficit démocratique a été (re)mis en avant par la cristallisation du débat autour du taux d’abstention important aux élections européennes. En quelque sorte, le suffrage universel a accentué ce débat, au lieu de résorber le manque de représentativité du système politique européen. Pour diverses raisons, le cercle vertueux de la légitimité n’a pas pu se développer. Andersen et Eliassen (1998a, 1-2) rappellent que l’Union européenne représente un nouveau type de système politique au cœur même des États de tradition de la démocratie parlementaire. Cet élément est essentiel au débat européen. En effet, la critique classique prend comme point de départ les études nationales, alors que la représentation de l’Union devrait s’appréhender sous un angle spécifique. C’est par ailleurs cette manière d’étudier la question européenne qui provoque en partie le problème de lisibilité du système politique communautaire. Le Parlement européen doit s’analyser dans son contexte particulier de Parlement non monopolistique (partage des compétences législatives) et soumis à des conditions telles que « l’absence de mode de scrutin uniforme et l’inégalité de représentation des citoyens, la coexistence de traditions politiques et parlementaires très diverses, l’absence de détermination précise du rôle des élus, leurs divergences d’intérêts, la faiblesse du lien entre représentants et représentés » (Costa, 2001, 262-263).

En termes institutionnels, le Traité instituant la Communauté européenne (TCE), dans sa mouture de Nice, rappelle dans ses articles 189 et 190 que le Parlement européen est « composé de représentants des peuples des États réunis dans la Communauté ». Loin d’être univoque, cette formulation a laissé un débat doctrinaire se développer sur la qualification des peuples des États. En effet, le député est-il le représentant de son peuple ou est-il le représentant des peuples ? Les règles sur l’interdiction du mandat impératif et la possibilité de voter en fonction de sa résidence nous conduiront à une réflexion sur la représentativité des eurodéputés. En complément au TCE, le projet de Constitution européenne de 2005 rappelle dans son article I.46 que, d’une part, « le fonctionnement de l’Union est fondé sur la démocratie représentative » et, d’autre part, que « les citoyens sont directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement européen ». Cet article renforce ‘terminologiquement’ l’article I-20.2 qui statue que « le parlement européen est composé des représentants des citoyens de l’Union ». Ainsi, le passage du vocable équivoque de ‘peuples des États’ à celui de ‘citoyens de l’Union’ conduit le débat du demos européen sur des perspectives totalement différentes. Nicolas Levrat parle d’un changement de « l’ordre de la révolution copernicienne » (2005, 90).

Au-delà du débat sur la citoyenneté, le débat sur la représentation du Parlement européen s’articule principalement autour de la donnée électorale. Dès lors, le taux

137 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen d’abstention devient une variable importante de la représentation des élus. Cette variable, ou indicateur, doit cependant être analysée en tenant compte d’un contexte particulier. Tout d’abord, par rapport aux conditions formelles du cadre électoral du Parlement européen, il convient de noter que la représentation du Parlement dépend directement des limites que lui imposent les cadres juridiques entourant son action (Traités, Règlements intérieurs, lois électorales, doctrine juridique). À cette fin, nous reprendrons la thématique de input legitimacy proposée par Fritz Scharpf (1999, 7- 21), dont nous tirerons par analogie, l’expression de input representativity . Par ailleurs, l’existence d’un lien étroit entre la légitimité et l’élection a été le premier élément favorable à la mise en place d’une agora européenne directement élue par le peuple (Lodge, 1998, 189). Ainsi, la perception de la légitimité s’inscrit dans une logique représentative, car elle dépend de la délégation directe de pouvoir des citoyens vers les élus. Il serait toutefois un peu rapide de placer l’élection comme seule source de légitimation.

Dans un second temps, l’analyse du taux d’abstention doit également être recontextualisée par rapport au débat sur la production de la norme. L’efficacité des parlementaires, notamment leur capacité à conduire un acte législatif ou délibératif, entre dans le raisonnement de la représentation des parlementaires. En effet, à défaut de bénéficier d’une input representativity , les eurodéputés par leurs actions peuvent produire une output representativity . La visibilité et l’indépendance du député, ou des groupes parlementaires, peuvent conduire à la prise de conscience de l’action conduite et, ainsi, développer un cercle vertueux de la participation. Dès lors, l’organisation du parlementarisme européen peut encourager l’identification du citoyen européen à l’Union. C’est notamment sur ce point que repose l’intérêt d’une étude approfondie de son mode de fonctionnement.

Toutefois, la concurrence institutionnelle et surtout l’avènement d’un nouvel acteur dans le triangle institutionnel, le Conseil européen, rappelle la question de la représentation du Parlement européen. Ainsi, nous trouvons des auteurs comme Lassalle et Levrat (2004, 436) qui qualifient l’ agora européenne comme ‘hors-circuit’ en faisant valoir la quasi -équivalence de la légitimité entre ces deux acteurs 88 . La réflexion se base sur le rapport à l’élection, ainsi que la qualité de cette dernière. En reprenant le tableau 0.1, on constate que le problème de fond est celui de la place des parlements dans un environnement politique privilégiant le travail exécutif et ramenant les individus plus que les groupes devant la scène médiatique (Manin, 1996, 279-283). L’individualisation du politique favorise ainsi les élus en charge d’une fonction ministérielle au détriment des groupes politiques parlementaires. In fine , se pose donc la question suivante : est-ce que le Parlement européen est un acteur incontournable de la représentation européenne ?

88 Sans être aussi définitif dans sa conclusion, le rapport du Commissariat général au plan portant comme titre : L’Union européenne en quête d’institutions légitimes et efficaces, propose un rééquilibrage des forces en allant vers un système parlementaire pouvant sanctionner et être sanctionné par un exécutif identifié (Conseil Européen et Commission). Les auteurs en concluent ainsi : « Ce n’est qu’en conférant progressivement au Parlement européen la plénitude des prérogatives parlementaires que le Conseil européen et la Commission auront la possibilité et la légitimité de recourir en coopération avec lui aux mécanismes du parlementarisme rationalisé, en vue d’écarter toute dérive vers le gouvernement d’Assemblée » (Quermonne, 1999, 70).

138 L’organisation de la représentation au Parlement européen

Pour répondre à cette question sous l’angle organisationnel de la représentation au Parlement, nous analyserons le taux d’abstention et ses conséquences. Du point de vue de la réflexion sur les conséquences, l’utilisation des thèmes de la input representativity et de la output representativity aiguillera notre questionnement quant à l’organisation de la représentation. Finalement, nous conclurons sur les ‘défaillances représentationnelles’ du Parlement européen.

139 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

2. Élection et légitimation : Mise en perspective du taux d’abstention

L’organisation de la représentation au Parlement européen passe inévitablement par une étude approfondie des élections européennes et notamment par une discussion sur le taux d’abstention. De manière concise, nous voyons ce dernier croître positivement à chaque nouvelle convocation du corps électoral. En 1979, seul 37,57% des électeurs s’étaient abstenus contre 54,4% en 2004. Toutefois, bien qu’important en termes absolus, ces chiffres ne dénotent pas forcément de différences si élevées. En effet, en 1979, le taux avait déjà été considéré décevant par les observateurs. Depuis, l’UE s’est élargie de 12 à 27 et les enjeux politiques ont évolué.

Dans la version fédéraliste, le Parlement européen devait être l’aspect démocratique conduisant à un effet spill-over , en concrétisant la légitimité démocratique du système et menant à terme à un gouvernement démocratique. Cependant, comme le soulignent Céline Belot et Fabienne Greffet : « Une élection, c’est choisir ses représentants mais c’est aussi, sinon surtout, porter un jugement sur un gouvernement sortant et se positionner quant à un futur exécutif. À l’échelle de l’Union, le scrutin se réalise sans ce rapport au gouvernement. Il est donc intellectuellement et politiquement difficile pour les électeurs européens d’exprimer un avis sans conséquence sur la prise de décision et/ou confection de l’exécutif » (2005, 13). L’explication du taux d’abstention en raison du manque de lisibilité caractérise le fait que la structuration des choix électoraux (rapport de majorité à minorité, ligne politique explicite de l’exécutif en fonction de la majorité) devient quasi-impossible en raison même de l’illisibilité du scrutin. En effet, à l’instar de Magnette (2006a, 155), on peut constater l’ensemble des contraintes qui pèsent sur le vote européen. Ainsi, les députés sont élus au niveau national, soit selon des lois nationales et sur des listes des partis nationaux, et, dans le cadre d’un débat politique national ayant peu de ramifications européennes. Par conséquent, il est difficile pour les citoyens de se situer face aux enjeux européens, et, donc d’appliquer les principes d’ accountability . Ce sont ces éléments qui entraînent à leur tour la faible participation.

Cette vision de la gouvernance européenne et ses conséquences sur la légitimité conduit à détacher l’Union européenne de l’analyse classique des États. Ainsi, Juliet Lodge exprime la complexité de la légitimité en ces termes : « the issue is more complex and multi-faceted. Legitimacy is contested. It is conditional and evolutionary. It is expressed through the dispute over appropriate balance of power and exercise of authority among the key supranational decision-making institutions and the argument over the issue of decision-making appropriateness, efficiency, transparency and accountability » (1998, 187). Ainsi, la légitimité dépend de l’équilibre institutionnel approprié pour délivrer une politique efficace. D’ailleurs, Greenwood (2004, 145) voit deux sources dans la légitimité. D’une part la possibilité de participer dans la décision (représentation ou démocratie directe), et d’autre part le résultat de la politique, soit l’efficacité. Toutefois, les mesures en la matière sont complexes. Pour la première partie de cette définition, nous nous concentrerons sur la question de la participation électorale.

Plus largement, l’existence d’un Parlement s’inscrit dans la question de la visibilité et du développement de ses compétences. Ce d’autant plus que c’est le gain progressif de compétences qui a provoqué le mouvement vers l’élection au suffrage universel.

140 L’organisation de la représentation au Parlement européen

Olivier Costa cite ainsi Georges Spénale, président du Parlement européen de 1975- 1977, s’exprimant sur les pouvoirs du Parlement comme étant « à la limite de ce que peut obtenir une assemblée qui n’est pas élue au suffrage universel » (Costa, 2001, 24). Ce lien explicite avec la légitimité est renforcé par la reprise, lors de l’octroi des compétences budgétaires en 1970 et 1975, du slogan des indépendantistes américains, ‘No tax without representation ’. Par conséquent, bien que nous puissions relativiser le lien exclusif entre la représentation et la légitimité, il n’en reste pas moins que ce lien est une pré-condition à la crédibilité démocratique d’un Parlement. D’autant plus que ce dernier s’est notablement renforcé en terme de compétences.

Dès lors, la vision originelle des promoteurs du Parlement européen était de donner une légitimité directe à la Communauté avec une arène élue, ainsi que de promouvoir une idée de participation indirecte du citoyen dans le processus de décision. Malheureusement, c’est la situation inverse qui s’est produite. En effet, les institutions européennes demeurent peu visibles et compréhensibles aux citoyens européens. De plus, on constate que ce n’est pas l’élection qui octroie directement la légitimité. C’est, en effet, aux institutions politiques de prouver qu’elles sont à leur place pour délivrer des politiques publiques. Ici, intervient le deuxième axe de la légitimité, celui des résultats.

Afin d’appréhender les élections européennes, les études sur les second order election vont appuyer nos propos. Sans entrer dans tous les détails socio-économiques de l’élection, nous regarderons l’évolution du taux d’abstention de 1979 à 2004. Finalement, la discussion sur les enjeux de la légitimité à la sortie des urnes conclura cette partie afin d’analyser les aspects structurels de la représentation européenne.

2.1. Le chemin vers une procédure électorale commune

La source de l’affirmation politique du Parlement européen passe inévitablement par l’élection directe au suffrage universel. Cette dernière est due à des avancées dans la démocratie européenne liées à la place de plus en plus importante des compétences communes. Toutefois, l’élection est aussi une source de critiques envers le système européen. En effet, le fait que le Parlement européen ne soit pas élu selon une procédure uniforme « induit de fortes distorsions dans le processus de représentation » (Costa, 2001, 273). Il est d’autant plus intéressant de relever que la procédure uniforme se trouve inscrite dans les traités (article 138.3 du Traité de 1957), ainsi que dans l’acte de 1976 portant sur l’élection des représentants à l’assemblée au suffrage universel. Il faudra attendre 2002 pour trouver dans la législation européenne une amorce de procédure uniforme, ou plutôt commune, portant sur l’élection des représentants au Parlement européen.

Le principe de base sur la procédure commune se trouve déjà inscrit dans le traité originel sous l’article 138.3 : « L’Assemblée élaborera des projets en vue de permettre l’élection au suffrage universel direct selon une procédure uniforme dans tous les États membres. Le Conseil statuant à l’unanimité arrêtera les dispositions dont il recommandera l’adoption par les États membres, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives ». À la suite du traité, l’Assemblée rédigea en 1960 un projet de convention sur l’élection de l’Assemblée parlementaire au suffrage universel direct qui fût adopté à l’unanimité par les représentants européens (rapport Battista,

141 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

Dehousse, Faure, Schuijt et Metzger). Cette convention fût bloquée, notamment par la France avant de revenir sur la table du Conseil avec l’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République française. C’est sur la base du projet de 1960 que fut approuvé à l’unanimité par le Conseil l’acte de 1976 qui permit la première élection en 1979.

L’acte de 1976 énonce les principes régissant l’élection au Parlement européen : élection au suffrage universel direct (article 1) ; la durée de la législature de 5 ans (article 2) ; l’interdiction du mandat impératif (article 4.1) ; la compatibilité des mandats entre la législature nationale et européenne (article 5) ; les incompatibilités (article 6) ; les jours de scrutin du jeudi matin au dimanche suivant immédiatement (article 9.1) ; les règles du dépouillement (article 9.2). Outre ces éléments, l’article 7, complété par l’article 13, relève la question de la procédure commune.

Ces deux derniers articles revêtent un intérêt analytique particulier. Car c’est sur cette base que la discussion vers une procédure uniforme commune s’est portée. Rappelant les traités dans son premier alinéa, l’article 7 dit surtout : « 2. Jusqu’à l’entrée en vigueur d’une procédure électorale uniforme, et sous réserve des autres dispositions du présent acte, la procédure électorale est régie, dans chaque État membre, par les dispositions nationales ». L’élément clef est celui de la procédure nationale. Ainsi, nous trouvons inscrites en 1976 les conditions pour l’organisation d’une élection ‘intermédiaire’. En effet, la procédure nationale et la dépendance envers les États membres ne font pas de cette élection un élément particulier de l’européanisation de la représentation. Au contraire, il s’agit plutôt d’une représentation organisée au niveau national 89 . De plus, l’article 13 complète ce dispositif en énonçant que « s’il apparaît nécessaire de prendre des mesures d’application du présent acte, le Conseil, [statut] à l’unanimité sur proposition de l’Assemblée […] ». Ces deux articles (7 et 13) reprennent le contenu de l’article 138.3 CE (nouveau 190.4 CE). Par la suite, l’expérience a montré que l’article 13 a eu pour conséquence, en raison de la nécessité de l’unanimité, de provoquer de nombreux rejets des projets proposés par le Parlement 90 .

Prenant acte de l’impossibilité de consensus au sein du Conseil sur les projets du Parlement, la CIG 1996 modifia quelque peu l’article 190.4 CE en ajoutant à la première phrase sur la procédure commune l’épithète « ou conformément à des principes communs à tous les États membres »91 . Sur cette nouvelle base, le Parlement

89 Dans ce cadre, relevons l’exposé d’Olivier Costa sur la décision du 30.12.1976 du Conseil Constitutionnel : « les juges estiment que l’acte du 20 septembre 1976 a « pour seul objet de stipuler que les représentants à l’Assemblée des peuples des États réunis dans la Communauté sont élus au suffrage universel direct et de fixer certaines conditions de cette élection », et qu’il ne « contient aucune disposition ayant pour objet de modifier les compétences et les pouvoirs limitativement attribués dans le texte des traités aux Communautés européennes, et, en particulier, à leur Assemblée par les États membres ou de modifier la nature de cette Assemblée qui demeure composée de représentants de chacun des peuples de ces États ». Il conclut que l’élection « n’a pas pour effet de créer une souveraineté nationale, non plus que de porter atteinte aux pouvoirs et aux attributions des institutions de la République et, notamment, du Parlement ». Selon le Conseil constitutionnel, l’élection directe des députés devait être sans conséquence sur les pouvoirs de l’assemblée, sur sa représentativité et sur sa souveraineté » (Costa, 2001, 274). 90 Parmi de nombreux rapports, on peut citer depuis 1979 : Rapport Seitlinger (1982) ; Rapport De Gucht (1991), Rapport De Gucht (1993). Il faut également relever que d’autres projets ont été déposés et refusés avant 1979 sur la base de l’article 138.3 CE. Il s’agit, notamment, du rapport Patijn (1975). 91 Cette formulation sera reprise dans le texte du projet de Constitution sous l’article III-330 PTCE.

142 L’organisation de la représentation au Parlement européen européen confia à la commission des affaires institutionnelles de rédiger un projet de procédure commune. Il s’en suivit l’adoption du rapport Anastassopoulos (A4- 212/1998) le 15 juillet 1998. Ce texte contient des éléments d’innovation pour la procédure élective européenne. Ces derniers sont la généralisation du système proportionnel, le découpage en circonscriptions sans porter atteinte au système proportionnel dans un petit État, la circonscription unique au niveau européen pour 2009, un seuil minimum qui ne doit pas dépasser 5%, l’encouragement du vote préférentiel, la parité homme-femme sur les listes, la tenue des élections au mois de mai (par exemple lors de la journée de l’Europe, le 9 mai), la réduction du nombre de jours ouverts au vote (samedi au dimanche), et l’incompatibilité entre le mandat national et le mandat européen.

Ce document reprend donc en grande partie un mélange des procédures communes aux États membres, comme la proportionnelle 92 , et la fixation d’un seuil minimum ne devant pas aller au-delà de 5%, et propose des nouveautés comme une circonscription européenne limitée à 10% des sièges du Parlement ou l’inscription de l’incompatibilité entre les mandats nationaux et européens. Le souci du rapport est d’expliquer le lien entre la manière d’organiser le scrutin et la représentation, afin d’être capable d’européaniser les enjeux. Outre la question du jour unique et du mois de tenue d’élection, qui ont une importance formelle avec de possibles répercussions sur le taux de participation, la proximité (nombre de députés par citoyen, voir tableau 4.1) est un élément essentiel du rapport. En effet, le taux de représentativité est un problème dans l’organisation des élections européennes. On constate des écarts importants entre les petits et les grands États. Ainsi, l’Allemagne a 1 député pour 623’000 habitants alors que le Luxembourg compte 1 député pour 38’000 habitants. Le nombre moyen est tout de même de 1 député pour 477’000 habitants sur l’Union avec une médiane vers les 350’000 (voir tableau 4.1). Pour répondre à cette problématique et afin d’égaliser la représentativité, le rapporteur propose la généralisation de circonscriptions régionales. Cela permettrait de rapprocher et permettre une meilleure identification entre les électeurs et les élus.

92 Généralisée depuis l’adoption du système par la Grande-Bretagne en 1999.

143 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

Tableau 4.1. Taux de représentativité au Parlement européen par États membres 93

1 député pour N Corps électoral Siège habitants Allemagne 61 682 394 99 623 054 France 41 518 582 78 532 289 Belgique 7 552 240 24 314 676 Italie 49 845 299 78 639 042 Luxembourg 229 550 6 38 258 Pays-Bas 12 168 878 27 450 699 Grande-Bretagne 45 309 760 78 580 894 Irlande 3 143 025 13 241 771 Danemark 4 012 663 14 286 618 Grèce 9 909 955 24 412 914 Espagne 34 706 044 54 642 704 Portugal 8 821 456 24 367 560 Suède 6 827 870 19 359 361 Autriche 6 049 129 18 336 062 Finlande 4 227 987 14 301 999 Tchéquie 8 283 485 24 345 145 Estonie 873 809 6 145 634 Chypre 483 311 6 80 551 Lituanie 2 654 311 13 204 177 Lettonie 1 397 736 9 155 304 Hongrie 8 046 247 24 335 260 Malte 304 283 5 60 856 Pologne 29 986 109 54 555 298 Slovénie 1 628 918 7 232 702 Slovaquie 4 210 463 14 300 747 Total UE 349 663 041 732 477 681 Source : http://www.elections2004.eu.int/ep-election/sites/fr/results1306/turnout_ep/index.html ; corps électoral de Grande-Bretagne, Luxembourg et Italie : http://en.wikipedia.org/wiki/European_Parliament_Election_2004 ; Irlande : document European Parliament Election Results 2004 émis par le Ministère de l’Environnement, du Patrimoine et des Gouvernements Locaux de la République d’Irlande.

Le Conseil négocia longuement avant de trouver un compromis acceptable permettant de trouver l’unanimité des membres. En effet, le 21 mai 2002, le Conseil présenta son projet de modification de l’acte de 1976 (document 8964/02) en amendant le projet parlementaire. Les points d’accords institutionnels sont sur le mode de scrutin proportionnel 94 et la possibilité d’introduire le vote préférentiel ; la possibilité de constituer des circonscriptions sans porter atteinte au mode proportionnel du scrutin ; l’incompatibilité des mandats 95 ; la mise en place du quorum à un maximum de 5%.

93 Ce tableau utilise les chiffres de l’élection européenne de 2004. Dès lors, nous n’avons pas introduit la Roumanie et la Bulgarie car les élections complémentaires n’ont encore pas eu lieu. Le total UE est également soumis à de futures modifications. En effet, l’acte d’adhésion, article 9, porte le nombre total d’élus à 736 dès l’élection européenne de 2009. En attendant, les députés européens seront au nombre de 785, ce qui est nettement au-delà la limite symbolique que le traité de Nice avait donné, soit 732 (ce qui était déjà une augmentation du précédent maximum de 700). Cette politique de croissance du nombre des députés européens est une source de préoccupation. En effet, devra-t-on pousser à 1000 le nombre lors des prochains élargissements ? Le risque de paralysie du Parlement devient de plus en plus important. 94 Soit le scrutin de liste ou de vote unique transférable (uniquement en Irlande), de type proportionnel. 95 Régime d’exception jusqu’en 2009 pour l’Irlande et la Grande-Bretagne. Décision du Conseil du 25 juin 2002 et du 23 septembre 2002 (JOCE, L 283/1, 2002) : point 7.b : « Les membres du Parlement national irlandais élus au Parlement européen lors d’un scrutin ultérieur peuvent exercer

144 L’organisation de la représentation au Parlement européen

La question de la circonscription unique ne fut pas retenue ainsi que la modification de date d’organisation de l’élection. Toutefois, le Conseil changea le délai d’organisation des élections de un mois avant la fin de la législature à deux mois, ce qui devrait permettre d’organiser des élections au mois de mai. De manière plus surprenante, la règle de la parité homme-femme n’a pas atteint un consensus au sein du Conseil.

Dans le cadre de la procédure d’avis conforme (conformément à l’article 190.4.2 TCE), le Parlement vota le projet du Conseil comme demandé par son rapporteur Gil- Robles Gil-Delgado (A5-0212/2002). Malgré l’édulcoration de certaines propositions, le rapporteur rappelle la difficile histoire de la procédure commune. Attendue depuis 1957, une procédure commune voit enfin le jour 96 . La logique des petits pas s’impose, mais le fait qu’une ‘clause de rendez-vous’ 97 soit fixée permet aux députés de pouvoir relancer le débat, notamment autour de la circonscription unique. L’acte sur la procédure commune fut entériné par le Conseil le 25 juin et le 23 septembre 2002 (Décision 2002/772/CE, Euratom ; JOCE L 283/1).

Bien que d’apparence formelle, la question de la procédure électorale uniforme au niveau européen influe sur les taux de participation en fonction de la méthode employée. La procédure électorale est même une part essentielle dans une démocratie représentative. En effet, c’est par ce biais que s’effectue l’acte de délégation et que s’identifie le représenté au représentant. La légitimité de la procédure est donc importante (voir chapitre 1, tableau 1.2). Il s’agit en ce sens de donner aux députés un indicateur de représentativité, afin de pouvoir se rapprocher du ‘citoyen européen’. Il était, au moment des débats, dès lors important d’une part pour les parlementaires d’aboutir à des normes communes et, pour le Conseil, d’avancer dans le cadre des principes communs. Car, de la représentativité des députés dépend en partie la capacité de représentation des peuples européens au sein même des institutions. Plus généralement, il s’agit également d’une démarche d’européanisation de l’espace politique.

2.2. Analyse de la participation à l’élection de 2004

Les élections de 2004 semblent concrétiser la tendance générale d’une aggravation de l’abstention d’élection en élection. Dans l’absolu, les chiffres passent de 37,57% d’abstention en 1979 à 54.4% en 2004. Néanmoins, Delwit et Poirier (2005, 9-17) introduisent quelques nuances à cet état des lieux. Ainsi, ils remarquent la

concurremment les deux mandats jusqu’à la prochaine élection pour le Parlement national irlandais, moment auquel le premier alinéa du présent paragraphe [incompatibilité] est d’application, - les membres du Parlement national du Royaume-Uni qui sont aussi membres du Parlement européen pendant la période quinquennale précédant l’élection au Parlement européen en 2004 peuvent exercer concurremment les deux mandats jusqu’à l’élection de 2009 pour le Parlement européen, moment auquel le premier alinéa du présent paragraphe [incompatibilité] est d’application ». 96 Il est intéressant de relever que c’est par l’inscription des principes communs aux États membres dans les Traités que la procédure commune à pu voir le jour. Si la procédure était restée purement européenne avec des principes nouveaux, il y a peu de chance que le Conseil l’eusse acceptée. 97 La ‘clause de rendez-vous’ du Conseil est libellée sous forme de déclaration à l’Acte de 1976 modifié : « Le Conseil considère que les dispositions du présent Acte devraient faire l’objet d’un réexamen avant la deuxième élection au Parlement européen qui aura lieu après l’entrée en vigueur des modifications de l’Acte de 1976 qui font l’objet de la présente décision » (CSL 8955/2002)

145 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen stabilisation de la participation dans les ex-Quinze. En particulier, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne affichent un taux particulièrement important en comparaison à 1999 où la participation était très basse. Il n’en reste pas moins que la participation dans les nouveaux États membres est considérée comme ‘catastrophique’ à environ 27%, à l’exception de Chypre où le vote est obligatoire et de Malte où la société est fortement politisée.

Ainsi, si l’on analyse plus attentivement les chiffres, on peut dresser des tendances plus relatives. Le premier élément est le regard qu’on peut porter sur l’ensemble des chiffres 2004 dans les États membres. Le deuxième consiste à comparer les chiffres de la participation de l’Europe des Quinze. Troisièmement, la participation dans les grands États de l’Union européenne revêt un intérêt important car c’est un indicateur de tendance. Finalement, il est important de relever le vote particulièrement faible (27% de participation) dans les nouveaux États membres (ci-après NEM).

D’une manière générale, nous constatons logiquement que les taux les plus élevés se trouvent dans les États où le vote est obligatoire (Belgique, Luxembourg, Grèce, Chypre) avec l’exception notable de Malte qui enregistre un fort taux de mobilisation. Les grandes tendances sont des hausses de participation significatives aux Pays-Bas (+10), en Grande-Bretagne (+14), en Irlande (+9), en Finlande (+11), alors que l’Espagne (-19), la Grèce (-7) et l’Autriche (-7) voient des participations plus basses. Le cas de l’Espagne est le plus important en passant d’une participation moyenne de 60% à environ 45%.

En regardant le tableau 4.2, on s’aperçoit que la tendance générale est vers une participation dans les États entre 31 et 51%. Cette tendance s’est accélérée en 2004 où une grande majorité des États, 52%, sont dans cette fourchette. Les élections précédentes montraient surtout des participations dans la fourchette 71-90%. D’une manière plus large le nombre d’États au-dessus de 51% a toujours été plus important (77% en 1979, 80% en 1984, 58% en 1989, 66% en 1994) jusqu’en 1999 où les chiffres se sont équilibrés (47%). Ils ne sont plus que 28% dans les taux supérieurs à 51% en 2004.

146 L’organisation de la représentation au Parlement européen

Tableau 4.2. Taux de participation aux six élections européennes (en %) 98

1979 1984 1989 1994 1999 2004 Allemagne 65.70 56.80 62.30 60.02 45.19 43 France 60.74 56.82 48.79 52.71 46.76 42.75 Belgique 91.29 92.19 90.73 90.56 90.96 90.81 Italie* 85.69 82.90 81.60 74.77 69.76 73.1 Luxembourg 88.90 88.80 87.60 88.54 86.63 90 Pays-Bas 58.08 50.91 47.53 35.69 29.95 39.3 Grande-Bretagne 32.77 32.92 36.92 36.49 24.02 38.9 Irlande 63.61 47.56 68.28 43.98 50.70 59.7 Danemark 47.84 52.38 46.15 52.92 50.46 47.9 Grèce 80.54 79.97 71.24 70.27 63.4 Espagne [1987] 68.53 54.72 59.14 64.38 45.1 Portugal [1987] 70.38 49.70 35.67 40.03 38.79 Suède [1995] 41.62 38.84 37.8 Autriche [1996] 67.73 49.40 42.43 Finlande [1996] 57.59 30.00 41.1 Tchéquie 28.3 Estonie 26.89 Chypre 71.19 Lituanie 48.38 Lettonie 41.34 Hongrie 38.5 Malte 82.37 Pologne 20.87 Slovénie 28.3 Slovaquie 16.96 CE-UE (9) 62.43 CE-UE (10) 59.17 CE-UE (12) 60.68 56.17 56.78 CE-UE (15) 56.66 49.62 49.6 CE-UE (25) 45.7 CE-NEM (10) 27 Source : Delwit, 2000, 297 ; http://www.elections2004.eu.int/ep- election/sites/fr/results1306/turnout_ep/turnout_table.html. En gras, les États où le vote est obligatoire. Entre parenthèse, les dates des premiers scrutins européens dans des pays membres en cours de législature. * En Italie le vote est obligatoire, mais n’est pas sanctionné par une pénalité en cas de non-participation

De ces éléments, nous pouvons surtout constater le déplacement du taux de participation vers des fourchettes plus basses. Des sept États ayant une participation significative au-dessus de 51%, quatre disposent du vote obligatoire, l’Italie étant un cas particulier où le vote bien que n’étant plus obligatoire reste un devoir civique contraignant 99 . Seules l’Irlande 100 et Malte 101 n’entrent dans aucune des précédentes

98 Même si des eurodéputés des deux nouveaux États membres siègent déjà au Parlement, les élections partielles n’ont pas encore eu lieu. Dès lors, la Roumanie et la Bulgarie ne sont pas intégrés dans ce tableau. 99 Le cas de l’Italie est assez particulier. Dès lors, nous reprendrons le commentaire de Pascal Delwit qui parle d’un vote ‘ quasi -obligatoire’ (2000, 298). 100 Juliet Lodge rappelle que le vote en Irlande a été couplé aux élections des gouvernements locaux « afin de stimuler la participation » (2005, 45). En outre, le 11 juin 2004 (date des élections), un référendum sur la citoyenneté a été tenu (voir : http://c2d.unige.ch). Ainsi, les autorités irlandaises ont organisé deux élections et un référendum le même jour avec comme objectif de maximiser la participation.

147 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen catégories. Ainsi, le taux de participation dans les pays à vote non-obligatoire est extrêmement bas (41,8% contre 61.29 en 1979) alors que celui des pays où le vote est obligatoire se maintient aux alentours de 79% (contre 91.23 en 1979) depuis trois élections (Delwit, 2000, 298-299).

Tableau 4.3. Nombre d’États dans les tranches de participation aux élections européennes

1984 1994 2004 1979 1984 1989 1994 1999 2004 +NEM +NEM UE 15 0-30 % 0 0 0 0 0 0 3 0 5 31-51 % 2 2 2 5 4 5 5 10 13 51-70 % 4 4 5 3 4 6 4 1 2 71-90 % 2 3 4 3 3 3 2 3 4 Plus de 90 % 1 1 1 1 1 1 1 1 1 N 9 10 12 12 12 15 15 15 25 Source : Delwit, 2000, 298 ; http://www.elections2004.eu.int/ep- election/sites/fr/results1306/turnout_ep/turnout_table.html

Cette abstention importante semble toutefois se stabiliser au regard des chiffres de l’Europe des Quinze comparativement à ceux de 1994, 1999 et 2004. En effet, le fléchissement important en 1999 de 7% semble s’enrayer avec un taux stable lors des dernières élections. Le taux actuel peut être interprété comme un palier limite de l’abstention dans les Quinze. Il faut aussi signaler que la moyenne générale des 25 États membres est basse en raison du taux particulièrement faible de participation dans les nouveaux États membres, 27%. Ce chiffre peut s’expliquer de différentes manières. De Waele et Coman analysent les résultats électoraux comme s’inscrivant dans un environnement politique incertain, en raison « de crises gouvernementales et d’impopularité des gouvernements » (2005, 81) dans presque l’ensemble des huit pays d’Europe centrale. Ce cadre permet d’expliquer par différents facteurs le taux peu élevé de la participation : faiblesse de la société civile et des partis ; proximité des référendums d’adhésion ; mauvaise connaissance de l’institution objet du vote ; peu de mobilisation de la part des dirigeants gouvernementaux autour du scrutin (2005, 86-87). En outre, il semblerait que ce vote ait été perçu comme une répétition quant à l’appartenance à l’Union. Dès lors, on peut croire que la participation en 2009 sera plus importante en raison de modification des éléments conjoncturels par rapport à l’élection 2004.

Dans un contexte institutionnel, la participation des États les plus importants en terme de population est aussi intéressante à regarder. Sur les quatre États fournissant le plus de députés, seule l’Italie dépasse le seuil des 50%. L’Allemagne et la France restent dans des taux similaires à ceux de 1999 avec un léger fléchissement, alors que la Grande-Bretagne arrive à près de 40%. Cette augmentation importante de la participation, même si elle reste faible, est aussi liée au contexte historique de

101 La société maltaise est considérée comme fortement politisée avec des taux de participation élevés aux élections nationales (96.2%) (De Waele et Coman, 2005, 85 ; http://www.electionworld.org). Le Flash Eurobaromètre 162 (2004, 23) démontre cette assertion par le chiffre important de la politisation de la société maltaise (41% des maltais se déclarent très proche d’un parti politique). Ainsi, la participation est d’autant plus forte en raison du bipartisme, qui, en cas d’abstention massive dans un camp, donne inexorablement la victoire à l’autre (jeu à somme nulle). De plus, les formations politiques utilisent intensivement les médias et chaque scrutin est l’occasion de tester sa capacité électorale.

148 L’organisation de la représentation au Parlement européen l’élection européenne de 1999. Cette dernière a vu un taux de participation extrêmement bas en raison de la modification du mode de répartition de l’uninominal à la proportionnelle.

Dès lors, l’analyse de l’indicateur qu’est le taux de participation pose la question de la légitimité démocratique. En d’autres termes, la baisse de la participation, élection après élection, nous interpelle sur la légitimité d’un Parlement et d’une Union gagnant des prérogatives dans le même intervalle. Le passage sous les 50% de moyenne générale n’est pas en soi un élément de délégitimitation démocratique. Ainsi, nous devons regarder quels sont les éléments structurants de cette abstention et les impacts sur la légitimité du Parlement et au-delà de l’Union. Cette question demeure étroitement liée à la question de la représentation au sein du Parlement européen et de la signification qu’elle prend avec des taux considérés comme ‘faibles’.

2.3. L’élection européenne, une élection intermédiaire ?

Nous l’avons vu, les élections de 2004, comme les précédentes, sont caractérisées par un manque de participation. À tel point que Pascal Delwit nomme le grand gagnant de l’élection, le ‘parti de l’abstention’. Dans ces propos sur l’élection de 1999, qu’on peut appliquer à 2004, ce même auteur suggère « que la participation électorale encore négligeable est le trait le plus commun au scrutin européen. Cette élection a révélé certaines tendances communes, mais la plus marquante et la plus prégnante est indubitablement l’absence de mobilisation électorale significative des citoyens de l’Union européenne » (2000, 295). Outre les taux d’abstention élevés, l’élection européenne se démarque des élections nationales et régionales par plusieurs facteurs structuraux (absence de partis politiques, de loi électorale uniforme,…) résumés dans le tableau 4.4. De plus, à l’instar du Flash EB 162, un autre élément doit être mis en avant, celui du vote-sanction à l’égard des gouvernements nationaux. Ces éléments ont permis à certains auteurs de considérer les élections européennes comme ‘intermédiaires’ 102 .

Pascal Delwit (2003, 111) relève les travaux de trois auteurs dans ce domaine. En premier lieu, Karlheinz Reif (1980) qui dès les premières élections mit en avant l’aspect national de l’élection européenne. Ainsi, il caractérisa les élections européennes comme des scrutins de ‘second ordre’. Dans les années 90, Jean Charlot (1994, 151) et Neill Nugent (1993, 145) ont à leur tour qualifié les élections européennes dans la logique de Reif, pour le premier ‘d’intermédiaires’ et pour le second de ‘ mid-term election ’.

L’analyse que fait Pascal Delwit des élections européennes corrobore ceci. Il relève que malgré de nombreux efforts fait par les institutions, et les fédérations de partis que

102 Il est intéressant de relever le constat que Clinchamps fait concernant la loi française sur l’élection européenne au suffrage universel : « En France, les élections européennes ont un caractère national de jure . À la lecture de l’exposé des motifs du projet relatif à la loi n. 77-729 du 7 juillet 1977, le ton fut donné : ‘ les élus représenteront d’autant mieux le peuple français dans son ensemble, mission que leur confère l’article 137 du traité de Rome, qu’ils pourront se prévaloir d’une désignation faite sur le plan national ’. M. Burban constata dès 1977 qu’il fallait donc rendre l’élection européenne la plus ‘nationale’ possible et faire des représentants français des ‘ délégués de la France ’. Cette intention du Gouvernement s’est confirmée par la pratique. Ainsi, en France, les élections européennes ont toujours été fortement marquées par les enjeux nationaux » (Clinchamps, 2006, 124[en italique dans le texte]).

149 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

« l’Europe, l’Union européenne ou les défis de la construction européenne n’ont le plus souvent été que des enjeux secondaires voire parfois inexistants des campagnes et des scrutins » (2003, 111). On peut même voir en l’élection européenne une sorte de laboratoire des tendances politiques pour le niveau national. En effet, c’est souvent au Parlement européen, sous l’effet de la proportionnelle, que l’on a vu l’émergence de nouveaux mouvements politiques comme les Verts ou l’extrême droite dans les années 80. En ce sens, l’effritement des grandes tendances politiques (socialisme et chrétien-social) tient plus à une crise de la représentation nationale, alors que l’émergence des mouvements souverainistes représente une crise de la représentation européenne (Clinchamps, 2006, 97). L’élection européenne est par conséquent souvent vue comme une évaluation nationale de la politique.

Cet aspect est corroboré par bien des auteurs (notamment : Belot et Greffet, 2005, 199 ; Croisat et Quermonne, 1999 ; Delwit, 2000 ; Lodge, 1998 ; Lord, 2001). Ainsi les enjeux européens ne deviennent que rarement des enjeux électoraux. Les électeurs et les partis s’affrontent sur des thématiques nationales en fonction de leur propre calendrier national. Dès lors, il n’est pas étonnant de retrouver au Parlement européen une majorité de représentants issus des minorités nationales. Cette élection-sanction « induit des relations parfois complexes entre le Parlement européen, le Conseil européen, la Commission européenne et les Conseils des ministres. La composition politique de ces institutions est largement ou totalement marquée par le rapport majorité/minorité à l’échelle nationale » (Delwit, 2003, 111 ; 2000, 308). L’élection de 2004 retrouve cette composante de la sanction à l’égard des gouvernements nationaux (Belot et Greffet, 2005, 199). Dans les trois grands États, les gains de sièges ont été le fait de la minorité parlementaire nationale, soit le PS en France, du CDU- CSU en Allemagne, et des Conservateurs en Grande-Bretagne 103 . On peut ajouter que cet élément ‘sanction’ des gouvernements, voire des politiques, se retrouve aussi dans les chiffres expliquant l’abstention. En effet, 22% des répondants à l’Eurobaromètre expriment spontanément comme première raison d’abstention le manque de confiance/insatisfaction envers la politique en général (Flash EB 162, 2004, 17).

103 Outre les résultats par partis, on peut observer la répartition dans les deux groupes politiques majoritaires au Parlement européen par États. La France donne 31 députés au PSE contre 17 au PPE- DE, alors que le parti majoritaire à l’Assemblée nationale est l’UMP. L’Allemagne permet au PPE d’obtenir 49 places contre 23 au PSE, quant Gerhard Schröder était Chancelier. À l’instar de la Grande- Bretagne qui avec 27 au PPE contre 19 au PSE rejoint la liste des grands États donnant la majorité à la minorité parlementaire nationale.

150 L’organisation de la représentation au Parlement européen

Tableau 4.4. Résumé des vecteurs politiques et socio-économiques favorisant la participation

Déterminants principaux Commentaires sur les élections au PE

Les membres du Parlement sont élus par la Tous les États membres de l’UE ont adopté le système proportionnelle, avec un quorum réel ou implicite. Cela proportionnel ou mixte depuis 1999. permet de refléter plus étroitement les préférences des votants. Le suffrage obligatoire est prévu pour élever la Le vote obligatoire concerne la Belgique, Chypre, la Grèce et participation. Cependant, la punition en cas de non- le Luxembourg. participation peut être variable dans la sévérité et l'exécution. La tenue des élections le week-end, et non la semaine, Dans la plupart des États membres, les élections ont lieu le permet une meilleure participation des employés. week-end, à l’exception de l’Irlande, des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne. En République Tchèque, les élections ont lieu le vendredi et le samedi. Les électeurs se sentent plus proches des candidats quand Dans la plupart des pays de l’UE, la circonscription le système électoral permet de voter pour un individu correspond au territoire national. Des circonscriptions dans une circonscription proche. régionales existent en Belgique, France, Allemagne 104 , Irlande, Italie, Pologne 105 et Grande-Bretagne. La socialisation dans un système politique démocratique Dans la plupart des États membres, les élections libres améliore la participation quand les élections libres existent depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. existent depuis longtemps. L’Espagne et le Portugal sont revenus à la démocratie dans les années 70 et les 8 PECO depuis le début des années 90. La participation est inversement proportionnelle au Les 15 connaissent des cycles électoraux établis depuis nombre d’élections. longtemps, ce qui n’est pas le cas des 8 PECO qui ont connu un nombre plus important de votes et élections depuis les années 90. L’utilisation unique de la liste des partis politiques ne La liste unique sans choix est encore de rigueur en Estonie, permet pas aux électeurs de faire un choix et contribue à France, Allemagne, Grèce, Hongrie, Portugal et l’Espagne. Le la baisse de participation. cas de la Grande-Bretagne est particulier. L’organisation d’élections simultanées permet Seul le Luxembourg organise systématiquement des élections d’améliorer la participation électorale en diminuant le nationales en même temps qu’européennes. Les autres états coût de vote. n’ont pas de règle sur ce sujet. Les élections 2004 ont vu l’organisation simultanément de locales en Allemagne (Thuringe), de régionales en Belgique, de locales en Irlande, d’administratives en Italie, de présidentielles en Lituanie, de locales à Malte et de locales (Londres) en Grande-Bretagne. Si un État membre est un contributeur net au budget UE, L’Allemagne et la Grande-Bretagne sont des contributeurs la participation sera plus faible, et inversement. nets significatifs. La Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne sont des receveurs net. Ce qui est aussi le cas des 10 nouveaux États membres. La participation est plus forte dans les États qui Seul les 10 nouveaux membres furent de nouveaux votants, ce organisent pour la première fois des élections au PE en qui est le nombre le plus important de nouveaux depuis 1979. raison d’un enthousiasme initial. Une bonne situation économique ainsi qu’un bon système Formellement le ratio de prospérité entre le plus haut revenu social contribue à une bonne participation électorale. et le plus bas de l’UE est de 2 :1. Le fossé s’est agrandi depuis l’adhésion des 10 du fait qu’ils représentent seulement 30% du revenu PNB des 15. L’importance du ratio impôt/services augmente la Les dépenses publiques en rapport au PNB sont plus participation. importantes dans le Nord de l’Europe et sont relativement basses dans les 10 nouveaux États membres. Sources : Traduction, mise à jour et adaptation par l’auteur de Baimbridge (2005, 47). Données issues de Mather (2005) ; http://www.elections2004.eu.int/elections.html; Flash EB 162, 2004, 9

Pascal Delwit explique le déclin de la participation électorale par différents facteurs (2000, 301-310). Il rappelle l’environnement général en Europe avec des taux de participation en baisse quelle que soit l’élection. Dès lors, le déclin au niveau européen peut s’inscrire dans cette problématique générale. Cette raison n’est toutefois pas suffisante et surtout reste fluctuante en fonction des chiffres. Comme le

104 Les listes en Allemagne peuvent être soit déposées au niveau régional soit au niveau fédéral. De ce fait, le résultat est national et non régional. Il s’agit d’une régionalisation partielle. 105 En Pologne, le même remarque s’applique vu qu’il y a un mélange entre le niveau national et le niveau régional. Les votes sont d’abord décomptés dans l’ensemble du pays pour déterminer les listes ayant obtenu plus de 5% des voix. Ensuite, les mandats sont alors attribués aux différentes circonscriptions.

151 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen relève le Flash EB 162, « la faible participation électorale observée aux dernières élections européennes ne s’explique donc pas par une baisse tendancielle de la participation dans les États membres » (2004, 8). Comme nous l’avons vu, les taux d’abstention plus importants sont surtout liés à un manque d’information (rôle des médias notamment) et de formation aux questions européennes (rôle des partis notamment). Il faut aussi relever que l’inscription de l’élection européenne dans les mentalités fait encore défaut. En effet, pourquoi voter pour une institution peu compréhensible et perçue comme faible ? Il est par contre frappant de constater le même écart entre les élections nationales et les élections européennes dans les nouveaux États membres que dans les ex-Quinze, soit environ 30%. Dès lors, l’écart de 30% peut être un élément de référence pour la réflexion dans les études électorales sur le comportement des citoyens.

Un autre élément à prendre en considération est la différenciation des modes de scrutins organisée sur des bases nationales. Toutefois, depuis la révolution de la proportionnelle en Grande-Bretagne, il est nécessaire de relativiser cette cause. En effet, les taux continuent de baisser malgré le fait que tous les États membres élisent leurs représentants à travers une élection proportionnelle. Nous pouvons tout de même imaginer qu’un scrutin uniforme, le même jour 106 et de même durée, au sein de l’Union européenne pourrait modifier le sentiment d’appartenance à un même espace politique et également la participation. Mather (2005, 30-31) conclut ainsi sur l’importance de la réalisation de cette uniformité afin de surmonter le syndrome de l’élection secondaire. L’européanisation du système électoral permettrait que en effet l’élection européenne devienne une first-order election .

Relevons encore que le droit d’être candidat n’est pas uniforme dans l’UE. En effet, selon les pays, nous pouvons avoir des minima d’âge de 18 ou 21 ans, avec l’exception de la France (23 ans) et de l’Italie, Chypre et la Grèce (25 ans). À cela, Pascal Delwit (2000) ajoute que l’Europe s’inscrit dans une configuration d’enjeux peu clairs. En effet, les électeurs n’arrivent pas à percevoir les choix des acteurs, en partie en raison du clivage gauche-droite brouillé. De plus, ils identifient difficilement la composition des différentes institutions, des groupes politiques ainsi que le but de l’intégration européenne. À l’inverse des élections, on constate une participation plus importante ainsi qu’un riche débat quand il s’agit d’un référendum sur les questions européennes 107 . Dès lors, la question européenne intéresse, mais le contour des élections restent trop imprécis. Ces différents éléments poussent également les partis à peu se mobiliser sur des élections européennes, avec pour conséquence que : « ce faible engagement des formations politiques entraîne en retour – et est aussi la conséquence – un désinvestissement d’autres protagonistes du débat ; notamment le monde des médias. […] Le tout contribue au sentiment de non-importance du scrutin et donc à une baisse symbolique du besoin, du devoir ou de l’impératif d’aller voter » (Delwit, 2000, 310).

106 À ce sujet, voir Mather, 2005, 18-32. Notons aussi que la participation pourrait notamment être plus forte dans les États où le scrutin est actuellement organisé un jour de semaine. En effet, la proportion de personnes déclarant n’avoir pas eu le temps d’aller voter est plus importante dans ces États (Flash EB 162, 2004, 19-20). 107 Si on prend en compte les 33 référendums organisés dans des pays de l’UE-25 sur des thèmes européens (adhésion, traités, élargissement) entre 1972 et 2005, nous obtenons une moyenne de participation de 67,63% (chiffres basés sur le recensement effectué sur le site du C2D, http://c2d.unige.ch/).

152 L’organisation de la représentation au Parlement européen

De même, comme Belot et Greffet (2005, 199), il faut rappeler qu’il est nécessaire de différencier les abstentionnistes, entre ceux qui sont réguliers et les intermittents. Sur ce point, il faut relever que ces derniers s’abstiennent plus lors des scrutins européens que pendant les nationaux. Trois raisons principales peuvent être données dans ce cadre analytique de la sociologie de l’abstention. La première est relative à un abstentionnisme de condition (capital social et scolaire faible). Le profil socio- démographique de l’abstention démontre en fait que celle-ci est particulièrement forte chez les jeunes (67% des 18-24 ans) et les ouvriers (64%). À l’inverse, les votants sont plus nombreux s’ils ont arrêté leurs études après 21 ans.

La deuxième cause est le problème de la lisibilité du scrutin. Elle tient de la difficulté du Parlement européen à se faire reconnaître comme l’institution de la représentation européenne, et, également, par le fait, que son fonctionnement s’effectue de manière consensuelle. La structure de l’abstention au niveau européen est un élément de compréhension générale très intéressant. En effet, on constate que 40% sont des votants réguliers quelle que soit l’élection. Il faut ajouter 5% de votants qui participent uniquement à l’élection européenne. L’abstention s’organise autour de 23% structurels qui ne votent en aucun cas et 31% de personnes qui ont voté aux élections nationales mais pas aux européennes. Ces chiffres peuvent en effet s’expliquer par des éléments de lisibilité, même si la critique de la politique chez les abstentionnistes est plus importante que la méconnaissance de la question européenne 108 . Toutefois, ‘la mémorisation’ de la campagne 109 reste très faible : elle est minoritaire dans 19 pays sur 25 (Flash EB 162, 2004), ce qui peut contribuer au défaut de compréhension et de lisibilité de l’élection européenne.

La troisième cause serait révélatrice d’une réserve ou d’une hostilité envers l’Union européenne. Dans une certaine mesure, les éléments apportés par l’Eurobaromètre contredisent cette assertion. En effet, l’attachement à l’UE ressort à 70%. Toutefois, certains éléments comme le taux de confiance dans les institutions ou la prise en compte des intérêts par le Parlement européen font des scores relativement faibles. De manière tautologique, il ressort que le « sentiment européen [est] nettement plus marqué auprès des votants que des abstentionnistes » (Flash EB 162, 2004, 47). Si le vote est donc un acte pro-européen, il faut remarquer la montée des partis eurosceptiques comme pouvant renverser la corrélation de l’attachement à l’Union européenne. Paradoxalement, le vote eurosceptique pourrait contribuer à revitaliser la participation aux élections européennes, et d’une certaine manière, aider à la légitimation du Parlement, et donc de l’UE.

L’étude de l’abstention par les différents facteurs discutés ici comporte toutefois plusieurs limites. En effet, les raisons peuvent être multiples, mais ce qui est en cause est avant tout le rapport des citoyens européens à l’Union européenne. De l’élection au suffrage universel au traité d’Amsterdam, puis de Nice, nous ne pouvons que constater un développement significatif des compétences parlementaires. Cette évolution relativement rapide n’obtient comme écho qu’une participation de plus en plus faible des citoyens européens. Pour Delwit, cela s’explique par le fait que

108 Cet élément est renforcé par l’analyse média qui démontre un déficit d’information considéré comme faible (Flash EB 162, 2004, 26-29) 109 Il s’agit de la capacité des citoyens de se souvenir après quelque temps d’une campagne électorale ou de la tenue des élections.

153 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

« l’élection européenne reste encore une élection nationale d’‘évaluation’, plus ou moins importante selon les cas, dans chacun des États membres » (2000, 315). Ce constat traduit le manque d’intérêt des médias, mais surtout des partis nationaux qui ne médiatisent pas l’enjeu européen au moment des élections. Au contraire, les enjeux nationaux resurgissent. Le moment du débat sur la Constitution européenne a permis de focaliser les enjeux sur le texte, mais ce n’est pas forcément les modalités de ce texte ni les choix des politiques européennes qui ont influencé le vote, mais probablement les enjeux internes aux différents États membres (chômage, politique interne, sanction des élites) 110 .

Dès lors, dans une période marquée par l’accroissement des compétences européennes et notamment parlementaires, ce désintérêt et cet éloignement sont des éléments préoccupants sur la manière dont se prennent les décisions et la manière dont elles sont ressenties. Toutefois, il ne s’agit pas de mettre uniquement en cause le Parlement européen dans ce ‘désenchantement’. Mais le fait qu’il soit l’élément de la représentation, unique organe élu, place le Parlement comme un centre symbolique et matériel important de l’Union et de la politique européenne attirant l’attention sur les questions de représentativité et de légitimité. Ainsi, la remise en cause de la légitimité du Parlement affecte l’ensemble du processus décisionnel européen (voir Delwit, 2000, 314-315).

La question de la légitimité est ici centrale car elle est le sens profond de la représentation d’une Assemblée considérée avec une ‘légitimité minimale’. Est-ce que cette délégation de pouvoir a encore du sens ? Il convient aussi à l’instar de Grunberg, Perrineau et Ysmal de s’interroger sur les élections en tant que seuls éléments de légitimation. En d’autres termes, la question peut s’énoncer ainsi : « les élections européennes permettent-elles de légitimer le Parlement européen et, au-delà, les institutions européennes, et constituent-elles la seule source de légitimation de celles- ci ? » (Grunberg et al. , 2000, 16).

Il en résulte qu’il est extrêmement complexe de traduire cette question dans des termes liés aux études électorales nationales. En effet, l’application du concept de la légitimité nationale par les élections à la légitimité européenne souffre de biais importants. Un élément clef est celui d’ « un système où les États membres ont leur légitimité propre et où l’application d’un modèle classique parlementaire, de nature à augmenter la participation électorale, aurait en retour des effets délégitimants dans un système politique qui est multipolaire ( multi-state ) » (Grunberg et al. , 2000, 17). Le développement d’autres logiques légitimantes devient nécessaire afin de renforcer la représentation. Christopher Lord (2000, 319-320) revient sur l’analyse de Jean Blondel, Richard Sinnott et Palle Svenson (1998) sur les comportements électoraux afin de mieux comprendre ce qui sous-tend la participation électorale. Trois variables se dégagent : l’étendue des pouvoirs parlementaires, l’exercice consensuel du pouvoir et le degré de partage des compétences décisionnelles. Sur le premier élément, les auteurs se basent sur une étude de 1994 démontrant que la motivation à voter n’est pas liée à l’étendue des compétences du Parlement. Dès lors, les deux autres variables prennent toute leur importance dans le cadre d’analyse de la participation.

110 Prenons pour témoin la différence des taux d’acceptation de la Constitution en France entre les votes des Français de l’étranger (oui à 80,99%) et ceux des résidents (oui à 45,13%). On peut poser l’hypothèse que les premiers sont plus détachés du discours interne et plus résolus à s’informer sur les textes soumis au vote et à ne voter que sur ce sujet.

154 L’organisation de la représentation au Parlement européen

Ainsi, le renforcement des compétences parlementaires n’est pas l’unique solution et au contraire peut être nuisible. En effet, plus les compétences deviennent importantes plus le risque de délégitimation est important. Ceci s’explique car ce gain se fait ou est perçu comme se faisant au détriment des parlements nationaux. Dès lors, à l’instar de l’arrêt Maastricht de la Cour constitutionnelle allemande, on peut s’interroger sur une légitimité acquise et reconnue perdant des compétences au profit d’une institution encore en cours d’installation. Dès lors, l’exercice du pouvoir légitime pourrait se concentrer sur la manière consensuelle (majorité absolue des membres pour que le Parlement soit effectif) ou sur le partage de compétences (avec le Conseil) afin de re- développer la question de la légitimité et de la représentation sous un angle propre à la politique européenne. En d’autres termes, pour Lord (2000, 321) les limites du pouvoir peuvent aussi permettre une re-légitimation du Parlement dans un cadre de parlementarisme multi-étatique. De même, Fritz Scharpf (1999, 23) rappelle, en l’absence d’une accountability , que la légitimité de la décision est liée au respect de ces limites et non au dépassement de ces dernières. Paradoxalement, le développement d’une légitimité limitée pourrait être une base pour une Europe plus légitime. C’est aussi considérer en quelque sorte que l’intégration européenne ne se construira jamais comme un espace public à part entière avec des citoyens européens pleinement intégrés à ce processus.

Un autre élément d’analyse est le fait que l’on présume a priori de la faiblesse du lien entre l’électeur et le Parlement européen. En effet, c’est ce que sous-entend la perspective de l’élection ‘intermédiaire’, dont les éléments dominants qui sont en cause : « les cycles électoraux nationaux, par les structures partisanes nationales et par la perception du Parlement européen comme une institution sans poids par rapport aux institutions démocratiques nationales » (Lord, 2000, 318). Il s’agit dès lors d’un a priori qui décourage la mobilisation des électeurs. La perspective négative par laquelle est analysée et perçue l’euro-élection contraint en quelque sorte un résultat négatif en forme de participation. La faiblesse de ce lien se concrétise ensuite a posteriori dans la faible accountability qui entoure le mandat des députés européens. Ainsi, le fait que les députés dépendent des décisions des partis nationaux quant à leur ré-élection, certains choix peuvent ne respecter le souhait des électeurs sans grand risque sur les outils de contrôle démocratique.

Encore maintenant, le lien électoral se fait par le biais de la compréhension d’un enjeu se traduisant par gauche ou droite. Même si, comme le remarquent Grunberg, Perrineau et Ysmal, une question européenne semble s’émanciper d’élection en élection et devient un ‘enjeu autonome’ hors des identifiants classiques gauche-droite loin du ‘consensus permissif’ de jadis. Cet élément peut paraître contradictoire avec les analyses précédentes, notamment celle de Pascal Delwit. Toutefois, l’élément ‘européen’ se découpe hors des clivages classiques, même si en terme de choix de politique la lisibilité se fait par le clivage classique, gauche et droite. Pour Christopher Lord, il ne fait aucun doute que la dépendance avec les clivages classiques est un cercle qui restreint l’analyse. Pour développer une étude de la légitimité et de la représentation, les clivages proprement européens devront émerger au sein d’un espace public relayé et encouragé par le Parlement.

Les éléments structurels de l’abstention restent superficiels en raison du problème de l’identification des conditions pré-électorales ( input representativity ). En effet, existe-

155 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen t-il un peuple européen à représenter ? même des citoyens ? Dès lors que représente le député ?

156 L’organisation de la représentation au Parlement européen

3. Input Representativity : La détermination du mandat européen

Selon la terminologie de Fritz Scharpf (1999, 6-10), la face input de la légitimité est liée au reflet des préférences populaires au sein de la représentation : c’est le ‘gouvernement par le peuple’. Ainsi, nous retrouvons dans cette thématique des éléments importants, comme la participation et le consensus. Deux éléments qui projettent la input representation dans la sphère de l’identité. En effet, même si la participation des citoyens ne peut être qu’imparfaite au sens rousseauiste, l’idéal de la représentation implique une relation ‘identitaire’ osmotique entre le citoyen et le représentant 111 . Dans les mêmes termes, nous pouvons considérer les limites pratiques du consensus, notamment par la règle de la majorité, et l’ambition de cohésion de la décision pour l’ensemble de la société.

Ainsi, ce qui rend le décalage acceptable est justement la pré-existence d’une identité collective. De plus, la perception fréquente de l’existence d’un déficit démocratique en Europe donne l’image d’un espace politique et public inexistant et incantatoire. Inexistant, car il est difficile d’identifier le lien formel entre les citoyens et les eurodéputés, et incantatoire car l’histoire du Parlement et de l’UE relève de la stratégie de mise en place par le haut d’un lien d’identification. En effet, le sentiment d’appartenance à un espace commun n’a jamais vraiment pu s’imposer, malgré des tentatives récentes pour rapprocher l’Europe des citoyens, dont la Convention fut un exemple frappant. Le problème pour l’Union européenne se situe à ce niveau. Dès lors, afin d’analyser l’existence d’un ‘corps politique’, nous proposons un cadre d’analyse s’appuyant sur la lecture du demos européen par Joseph Weiler et ce qu’induit la Cour constitutionnel allemande à la suite de l’arrêt Maastricht. Notre argumentation s’appuiera sur la question fondamentale de l’existence d’un demos européen. En d’autres termes, comment une identité commune encouragée par des initiatives communes telle que l’élection du Parlement européen peut-elle maintenant se concrétiser en raison des difficultés desdites initiatives (taux d’abstention) ? Par ailleurs, comment ces identités peuvent-elles naître d’une construction normativo- légale 112 , alors que celle-ci devrait pré-exister à l’accord institutionnel ?

3.1. Du demos européen

En soulevant la question de l’existence du demos européen, on évoque souvent des éléments relevant du déficit démocratique. Trois éléments reviennent constamment : « obtention par la Communauté de pouvoirs purement nationaux qui donnent le sentiment qu’elle se mêle de ce qui ne la regarde pas ; intrusion de la Communauté dans des domaines de la sphère individuelle où le gouvernement n’a pas à venir ; perception qu’il n’est pas possible d’arrêter l’intrusion grandissante de la

111 Cette vision est bien entendu empruntée au Jean-Jacques Rousseau du Contrat social. D’ailleurs Fritz Scharpf (1999, 6, note 1) rappelle que dans les histoires des idées les conditions logiques développées dans le Contrat social s’appliquent à la input legitimacy . Dans la version la plus maximaliste de Rousseau, la représentation est considérée comme la condition de dissolution du peuple : « […], à l’instant où un peuple se donne des représentants, il n’est plus libre ; il n’est plus » (Rousseau, 1977 [1762], 268). Pour cette raison, nous préférons le terme de « osmotique » qui correspond bien à l’idée de la parfaite et seule adéquation valable entre le peuple et le représentant. 112 A ce sujet, l’étude de Steve Patten (2003) est très riche en enseignement et analyse notamment le cas canadien.

157 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

Communauté dans la politique des États ou des individus » (Weiler, 1995, 7). C’est ce que Joseph Weiler qualifie de régionalisme inversé, soit une perte de démocratie et une logique de ‘dé-légitimation’. Ces présupposés ou sentiments face à la dynamique communautaire ont permis l’éclosion de la thèse du No-Demos , notamment en se basant sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande suite au traité de Maastricht en 1993 113 . La base principale de l’argumentation de la Cour disqualifie l’UE comme acteur démocratique face aux États, qui sont détenteurs de la légitimité. Deux faits étayent cette argumentation. Premièrement, il n’existe pas d’acteur exécutif directement responsable envers un parlement. Deuxièmement, le développement de la législation européenne s’est fait sans réelle compensation démocratique 114 en dehors des parlements nationaux. Le Parlement européen n’est pas une arène parlementaire classique, et son influence législative laisse encore à désirer aussi bien organiquement que fonctionnellement. En conclusion, on assiste à un intérêt grandissant pour l’action gouvernementale 115 , et peu d’intérêt pour les élections parlementaires, tant européennes que nationales, pourtant moments forts des démocraties occidentales modernes pendant des années.

La thèse du No-Demos reprend les principes juridiques de base du demos , soit sa qualification subjective et organique. Subjectivement, les conditions d’un peuple sont liées à une cohésion sociale, une identité collective qui sont souvent le résultat d’une langue, d’une histoire, des habitudes culturelles, origine ethnique et religion commune. Organiquement, on relève la connotation naturelle qui met en exergue l’éthnicité par rapport au genre. En d’autres termes, on ne peut échapper à son identité nationale (Weiler, 1995, 11). Selon cette interprétation, seules les nations peuvent avoir des États, et en conséquence, il ne peut y avoir de demos européen. Les relations pacifiques entre européens ainsi que les relations économiques ne peuvent être assimilées à l’histoire, la langue et l’éthnicité communes. En bref, le transactionnalisme ne suffit pas à construire un demos européen.

Toutefois, on constate deux versions parmi les tenants de la thèse du non-demos : Celle dite du ‘un jour peut-être’, représentée par l’arrêt de la Cour de Karlsruhe. Et celle plus radicale, qui s’oppose à la création d’un peuple européen, et que l’on retrouve dans les partis populistes eurosceptiques 116 . Ces derniers s’élèvent contre le but de l’intégration de créer un peuple européen. Par contre, ils peuvent accepter un rapprochement d’une manière ‘non politique’ des peuples d’Europe. La conséquence logique de ce raisonnement est l’impossibilité de créer un jour une démocratie au niveau européen. Cet argument explique la position de certains politiciens, même

113 En allemand : BverfGE89, 155, at188 (1993) ; extrait en français dans : RUDH, 5, 1993, pp.286- 292. 114 L’élection du Parlement européen au suffrage universel n’a pas effacé cela, au contraire il a accentué ce phénomène en mettant dans l’arène publique une institution faible et dépourvue de capacité parlementaire similaire à celle existante au plan national. 115 Grande visibilité politique, dans un monde tendant à la personnification du pouvoir. En matière européenne, on constate que les gouvernants sont les grands gagnants de l’intégration aux dépens des parlements (sur la question, voir Lodge, 1998, 187-214). Toutefois, la logique de l’arrêt de la Cour de Karlsruhe pousse dans le sens de ne pas reconnaître une légitimité démocratique au niveau européen (Commission, Parlement européen) du fait de la non pré-existence d’un peuple européen, et, par conséquence, à reconnaître comme seul légitime l’action nationale. La suite logique veut que la construction européenne se poursuive au niveau ‘législatif’ dans le cadre du Conseil de l’Union (Scharpf, 1999, 10). 116 Significativement, on peut observer les discours de M. Bonde du groupe ID (Indépendance/ Démocratie) au Parlement européen.

158 L’organisation de la représentation au Parlement européen eurodéputés, de refuser tout renforcement du Parlement européen 117 . En effet, si l’intégration européenne ne peut amener une dynamique citoyenne propre, pourquoi renforcer son Parlement, étant donné qu’un Parlement sans peuple n’est pas option représentative valable.

Néanmoins, si l’on observe les processus d’unification 118 , on peut relever que même les identités nationales ont une part d’artificiel en fonction de l’évolution dans l’histoire. La question qui se pose est donc de savoir si seule la vision ethno-centrée est valable lorsque l’on parle de peuple ? D’ailleurs, la Cour perçoit l’UE comme sous-développée dans un pré-stade démocratique ; une vision qui analyse l’expansion de la construction européenne comme ne pouvant se faire qu’aux dépens de la nation allemande. Dès lors, les conséquences politiques de cet arrêt aurait pu modifier la position du gouvernement allemand dans le sens d’une prudence ‘eurosceptique’ envers les institutions européennes. En effet, l’application de l’arrêt implique la coexistence de deux demos qui se combattent. Une position qui s’avère intenable en terme de représentation (Weiler, 1995, 19).

Cependant, il n’existe pas de raison pour que le demos européen soit qualifié de la même manière que celui au niveau national. En ce sens, on peut dire que deux demos co-existent 119 , et que les citoyens sont membres de deux communautés affectives basées sur des valeurs différentes. Weiler (1995, 22) conçoit cette voie comme le seul moyen de démocratiser l’Europe, et comme une occasion de voir la conscience publique émerger en brisant la notion exclusivement nationale. En conclusion, l’existence d’un peuple européen est certes soumis à caution, il n’est pas non plus souhaitable d’éliminer cette hypothèse, même si l’analyse de faits contemporains se trouve toujours limitée par une vision partisane et modérée par l’analyse historique de la constitution des peuples.

Du moment que l’on admet l’existence d’un demos européen, ou du moins de ses prémices, il est nécessaire d’évoquer les conditions de l’exercice de sa volonté. L’acceptation du peuple à être peuple passe par l’octroi de compétences et de leur exercice. Sans revenir sur la question du peuple européen, il est important pour l’analyse de revenir, d’un point vue politique, sur la définition du peuple, soit l’essence même du demos . Si l’on admet que le peuple a le pouvoir du fait de son nombre, alors on laisse sous-entendre qu’il existe une ‘pression quasi-physique’ du peuple sur le pouvoir (Sledziewski, 1994, 569). Par contre, si l’on dit que le pouvoir du demos est légitime, car fondé sur la qualité, alors on admet un exercice ‘rationnel’ d’une volonté. Selon notre choix de définition du peuple, nous ne somme pas dans le même régime ou, du moins, la même conception du pouvoir. Toutefois, il reste un point important, un principe intangible : « Le peuple est le sujet de la politique, et c’est de lui que procède tout pouvoir » (Sledziewski, 1994, 569). Ainsi, on exclut la transcendance, le peuple se reconnaît comme tel et agit de l’intérieur. De plus, aucune force externe ne peut imposer son pouvoir dans une démocratie. Ce point est essentiel.

117 Dans notre conception de la démocratie représentative, un parlement sans peuple est conceptuellement impossible et pratiquement despotique. 118 L’Italie et l’Allemagne sont des créations récentes en tant qu’entités politiques. 119 Il est intéressant de relever la différence, dans le texte, entre l’article 8 formulé à Maastricht : « Est citoyen européen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre » et l’article 17 TUE qui ajoute que « la citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas ». Cette formulation a été maintenue dans l’article 8.1 du projet de Constitution.

159 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

En effet, le peuple fonde le corps de la vie de la cité, ce qui fait que la participation du peuple est essentielle à l’accomplissement de la vie de la cité, de la vie politique : « La démocratie s’invente là où le peuple a historiquement besoin de s’affirmer comme peuple et produit les conditions de cette affirmation » (Sledziewski, 1994, 572).

Au-delà de la question du demos évoquée plus haut, cette phrase souligne par ailleurs l’autre ‘condition démocratique’ qui est la participation active du peuple exerçant son cratei . Le moment décrit est difficilement identifiable en tant que tel. Il l’est d’autant plus que nous analysons le présent sans la nécessaire profondeur historique qui nous permet de juger de cette conscience du peuple européen. Il n’en reste pas moins que si le peuple veut exercer son pouvoir en tant que sujet, il doit s’octroyer des compétences afin de remplir le contrat social.

Des éléments de cette manifestation pourraient être relevés. Premièrement la création d’un espace politique de l’affirmation de l’Europe se développe. La récente création d’un parti écologique européen, le lancement de la monnaie unique, la mise en avant des sommets européens et le lot de manifestations à leur suite, les enjeux environnementaux et commerciaux entre autres sont des éléments significatifs de l’existence éventuelle de ce passage d’une Europe des peuples à un peuple, certes particulier, d’Europe.

D’un autre côté, nous pouvons voir certains exemples, discutables certes, mais révélateurs. Les dernières élections européennes n’ont drainé que la moitié de l’électorat communautaire aux urnes. De plus, l’abstention aurait été encore plus forte si, dans certains pays, on n’avait pas couplé cette élection avec des élections nationales. Bien sûr, l’abstention est un mal moderne des démocraties européennes. Étant donné le décalage cité ci-dessus, on peut d’ailleurs en trouver un début de raison. En bref, si les gens ne votent pas, c’est qu’ils ne se sentent pas concernés, comme le souligne Delwit : « Le rapport des citoyens européens à l’Union européenne est ici en cause. En dépit d’une augmentation progressive des prérogatives du Parlement européen, la participation a diminué dans le temps. La politisation des scrutins européens est spécifique. Les acteurs du monde politique et médiatique ne font pas de cette élection un moment clé et portant sur un enjeu identifié : les choix opérés en matière européenne ou, plus globalement, le cours de la construction européenne » (Delwit, 2000, 315). Dès lors, on peut se poser la question de la légitimité démocratique de la construction européenne telle que nous la vivons actuellement.

Ainsi, pour l’Europe, deux choix se posent : d’une part un État européen (un peuple), d’autre part une Union des États (des peuple nationaux) (Weiler, 1995, 21). Et à travers ce choix, la manière dont s’exprime le peuple est aussi liée aux conditions d’adhésion du peuple à un ensemble. Dès lors, l’importance que peut revêtir le taux de participation en terme de légitimation de l’Union ne prête pas de doute. Outre des référendums, les élections permettent en effet, en fonction des thèmes, de sanctionner des politiques et des orientations. Celle de 2004 avait valeur de test avec l’élargissement, l’euro et le projet de Constitution qui se dessinait. Le taux d’abstention provoqua ainsi la crise de la légitimité par le biais du Parlement européen, alors que le refus de la Constitution provoqua la crise de la légitimité par le biais des États membres.

160 L’organisation de la représentation au Parlement européen

3.2. Le mandat européen

La difficile constitution ou identification d’un peuple européen trouve son écho dans les indéterminations du mandat européen. Le contenu de ce dernier est complexe à mettre en valeur dans le sens même que nous ne trouvons que peu de textes constitutifs le relatant. Le débat doctrinaire à ce sujet tourne autour de l’article 189 CE et de la notion de « représentants des peuples des États réunis dans la Communauté ». Olivier Costa (2001, 263) relève dans ce débat à quel point le lien étatique apparaît clairement. En terme de jurisprudence, nous pouvons simplement signaler l’arrêt Isoglucose (aff.138/79), qui relève dans l’attendu 33 que l’action du Parlement dans la procédure communautaire s’inscrit dans « un principe démocratique fondamental, selon lequel les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée représentative ». Dès lors, le Parlement représente ‘les peuples’ des États membres.

Il reste toutefois ouvert la question sur l’aspect national de la représentation (délégation) ou sur l’aspect supranational de celle-ci (directe). Alors que depuis juin 1953, les députés européens se réunissent sous l’égide des groupes politiques et pas dans les délégations nationales, il n’en demeure pas moins que le sens de l’adéquation du mandat entre le représenté et le représentant demeure flou. Est-ce que l’intérêt supranational doit l’emporter, avec pour conséquence de donner une pertinence du passage ‘terminologique et idéologique’ des peuples européens au peuple européen 120 , ou doit-on reconnaître une part indéniable de délégation nationale dans le mandat européen comme semble le prescrire l’article 189 CE ?

La question se pose dans le cadre de la généralité du mandat du député. En effet, l’expression ‘que représentent les députés européens’ est relative à l’identification, soit à la circonscription, à l’État ou à l’Union. Comme nous le verrons, la réponse du Parlement s’appuiera sur le caractère indivisible de la représentation parlementaire, bien que les Traités laissent une large part au lien national. Ainsi, la position institutionnelle repose sur l’objectif de l’unité de l’Europe et l’application de la citoyenneté européenne. C’est, donc, l’existence de cette dernière qui permet au Parlement de se porter garant du caractère indivisible de la représentativité. En effet, il représente tous les citoyens européens, sans citoyenneté, sa représentation serait difficile à délimiter.

Dans un autre texte important, Olivier Costa relève l’aspect ‘laconique’ du règlement intérieur, qui précise dans son article 2 que « les députés au Parlement européen exercent leur mandat de façon indépendante. Ils ne peuvent être liés par des instructions ni recevoir de mandat impératif ». La clause de l’interdiction du mandat impératif s’inscrit dans la logique parlementaire des États membres qui en interdisent eux aussi le mandat impératif. Par ailleurs, dans la logique européenne, la question du mandat impératif intervient également dans le rôle des députés vis-à-vis de leur État et, d’autre part, de leur parti. De cette matière, il faut se souvenir de la Constitution française de 1791, qui explicite le lien de l’élu avec sa base territoriale. Elle énonce

120 À ce sujet, lire le commentaire d’Olivier Costa (2001, 267) sur le rapport Vecchi, et en particulier sur le considérant G de la résolution sur l’Application de l’article 4 du règlement du Parlement (JOCE, C, 1994, 44/88).

161 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen dans son Chapitre Premier, section III, article 7, que « les représentants nommés dans les départements, ne seront pas représentants d’un département particulier, mais de la Nation entière, et il ne pourra leur être donné aucun mandat ». Ainsi, le mandat d’élu ne peut être soumis à aucune condition préalable à son élection. Dans l’absolu, l’élu est indépendant de toute influence (partisane, d’intérêts,…), afin d’exercer son devoir. Les engagements politiques préalables ne sont pas contraignants, mais sont soumis à au jugement des électeurs lors de la prochaine échéance électorale.

3.2.1. Généralités et contradictions du mandat européen

Lors du débat sur le rapport Vecchi (A3-415/93), le Parlement européen a été le lieu d’un débat extrêmement important sur la notion de la représentation et de la qualité du mandat européen. En effet, le rapport Vecchi fait suite à la résolution d’Yves Galland (FR) au nom du groupe ELDR sur la participation des députés aux votes, soit une révision de l’article 4 du Règlement interne de 1993. Le groupe ELDR propose, sur la base de l’ opting out accordé à la Grande-Bretagne et au Danemark, de suspendre le droit de vote aux députés sur les politiques que leurs États n’ont pas ratifiées. Il s’agit, ainsi, de répondre à la géométrie variable du Conseil par une même géométrie du Parlement. Yves Galland renforce son argumentation en interprétant l’article 189 CE comme désignant les eurodéputés comme représentants des États membres et non comme représentants des peuples européens.

Que représentent les députés européens ? En effet, comme nous l’avons vu, les interprétations de l’article 189 CE mettent plutôt en avant l’aspect national. Le député Wijsenbeck (NL, ELDR) considère que « chacun représente donc clairement un seul des peuples des États membres » (JOCE, D, 1994, 3-441/9). Ainsi, les députés européens se trouveraient dans une situation de dépendance face aux décisions prises par leur État, ce qui contredirait le principe de l’interdiction du mandat impératif. Une autre question se pose autour de la légitimité d’un acte adopté par des députés non concernés par cette norme. Yves Galland relève dans le cadre du débat, « vous verrez alors si c’est une plaisanterie, quand votre opinion publique vous demandera des comptes si une disposition sociale est votée par ce Parlement avec une courte majorité comportant les Britanniques, qui, eux, ne seraient pas concernés alors que tous les autres le seraient » (JOCE, D, 1994, 3-441/11). En résumé, ces deux questions revêtent une importance particulière dans le cadre de la discussion sur l’essence du mandat européen et sur le caractère unitaire de la représentation, soit la généralité du mandat.

La réponse de l’Assemblée, et en particulier par la voix de la commission du règlement, de la vérification des pouvoirs et des immunités et de son rapporteur Vecchi (IT, PSE), se place dans la double perspective qu’implique de la question posée par le groupe ELDR. L’argument développé dispose de trois temps forts. D’abord, le rapporteur met en avant la question de la non-discrimination entre les citoyens. Ensuite, il rappelle les principes de l’interdiction du mandat impératif et de l’indépendance du mandat qui interdisent un rapport direct entre les positions étatiques et celle des députés. Finalement, il pose la question de la citoyenneté européenne par le biais du droit de vote des citoyens résidant dans un État membre tiers. En effet, cette possibilité de voter aux élections européennes implique qu’une interdiction de vote des députés selon les sujets priverait en fait certains citoyens de

162 L’organisation de la représentation au Parlement européen leur juste représentation. Il faudrait dès lors supprimer cette disposition pour garantir une représentation pleinement nationale au Parlement européen. Ceci irait à l’inverse de toutes les politiques communautaires en la matière. De plus, Vecchi relève l’aspect transitoire de la position de la Grande-Bretagne et du Danemark. En effet, la non- participation à certains sujets ne peut qu’être transitoire attendu que le projet européen doit être au final porté par tous. Dès lors, une Europe à deux vitesses n’aurait pas de sens, car elle serait contraire à l’esprit de la construction communautaire et représenterait un retour vers une nationalisation du Parlement européen. Cela conduirait, de plus, à une institutionnalisation de l’Europe à la carte, et porterait logiquement atteinte à la cohérence de l’Union 121 . De plus, cette argumentation attaque le principe du caractère unitaire de la représentation au profit d’un morcellement national.

Dès lors, au vu des ces éléments, priver les députés britanniques du droit de vote sur certaines législations ouvrirait la porte à des excès portant préjudice à la représentation européenne. En effet, l’organisation de l’Union veut que les différentes composantes soient représentées de manière différente, les peuples par le Parlement, les États par le Conseil, et l’Union par la Commission. La ‘dénationalisation’ du Parlement est une nécessité et une garantie de bon fonctionnement, notamment dans le cadre de la citoyenneté de l’Union. La participation au vote, par exemple, de citoyens français résidant en Grande-Bretagne 122 crée une base transnationale de citoyenneté et un besoin de représentation. De manière plus fondamentale, il est évoqué le cas hypothétique de citoyens britanniques élus au Parlement sur une liste dans un autre État membre 123 . Indubitablement, cela conduirait à une distorsion entre élus au Parlement, et, surtout, entre ceux de la même nationalité. À ce titre, le considérant G de la résolution approuvée par le Parlement énonce clairement :

« en vertu de l’article 8 B, paragraphe 2 du Traité CE, tout citoyen de l’Union résidant dans un État membre dont il n’est pas ressortissant a le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen dans l’État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État, ce qui signifie que les députés au Parlement européen représentent non pas les États réunis au sein de la Communauté mais l’ensemble de leurs citoyens, c’est-à- dire un seul corps politique et électoral » (JOCE, C, 1994, 44/88).

Ce considérant se réalise dans les décisions 5 et 6 de cette même résolution, soit :

« affirme que l’ensemble de ses membres sont en droit de participer à toutes les procédures pour lesquelles les traités lui confèrent des compétences, ainsi qu’à tout autre aspect de la vie parlementaire » [et] « s’oppose à toute interprétation et à toute action tendant à entamer ou à nier le caractère unitaire de l’institution parlementaire européenne et, rappelle que les députés européens ne peuvent recevoir de mandat impératif » (JOCE, C, 1994, 44/89).

121 Notons à ce propos que la résolution approuvée par le Parlement dans ses décisions 1 et 2 « exclut que quelque État membre que ce soit se dispense de participer pleinement à tous les aspects fondamentaux de l’Union » et « fait remarquer que l’existence d’institutions à caractère communautaire, au sein desquelles aucune discrimination entre leurs membres ne saurait être admise, implique pour tout État membre l’obligation de souscrire aux mêmes engagements que les autres États membres » (JOCE, C, 1994, 44/89). 122 De manière générale, on constate dans l’Union européenne que le nombre de votants résidents communautaires non-citoyens reste faible en terme de participation. À ce propos voir l’article de Malika Ghemmaz (2005, 157-178). 123 Comme le relève Olivier Costa (2001, 264), le nombre de personnes profitant de cette possibilité est encore faible : un élu sur 56 candidats en 1994, trois élus en 1999.

163 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

Le cœur même du dispositif et de la position du Parlement consiste à renverser l’interprétation de l’article 189 CE en appliquant les principes de non-discrimination et d’égalité face à la citoyenneté européenne. Comme nous l’avons vu précédemment, cette argumentation pourrait être fragilisée par la mise en œuvre d’une Europe à la carte, soit la coopération renforcée contenue dans le traité d’Amsterdam. Dans ce cadre, le Parlement fait face à un paradoxe. En effet, en s’attachant à représenter l’ensemble des peuples européens, il sera critiqué sur la pertinence de sa représentativité. Dans le cas contraire, on verrait un Parlement à plusieurs formes ce qui porterait atteinte à la cohérence, et surtout, pourrait conduire vers une ‘renationalisation’ du fonctionnement (Costa, 2001, 265). On comprend dès lors que la question touche à l’essence du mandat européen et à l’existence d’une identité européenne. En effet, la fonction donnée aux représentants se répercute dans la manière dont vont s’identifier les représentés aux institutions 124 .

En reprenant la conclusion du considérant G, on peut l’interpréter comme une base théorique sur la généralité du mandat européen. Olivier Costa stipule que « les élus sont les représentants ‘des peuples’ conçus comme un corps politique indivisible, le caractère unitaire de l’assemblée étant élevé au rang de principe inaliénable » (2001, 268). En poursuivant l’analyse de Costa sur l’article 190 CE (ex-138), il est remarquable de noter que les gouvernements européens ont continué à rappeler le « lien précis entre le cadre électoral que constitue chaque État et la représentation de son peuple au Parlement européen » (2001, 269). Lors de la négociation sur Maastricht, la délégation allemande avait proposé un nouveau contenu pour l’article 189 (ex 137) CE, « le Parlement européen est composé des représentants des citoyens de l’Union ». Cette proposition fut rejetée. Ainsi, en 1994, le Parlement européen réaffirme envers le Traité le rôle unitaire de la représentation du ‘corps politique et électoral’ européen en s’appuyant sur des arguments qui ne reposent pas directement dans la nomenclature relative à l’organisation du Parlement européen, mais dans celle relative aux citoyens 125 . Cependant, tout ce développement au sein du Parlement n’empêcha pas de prendre en compte le problème de l’adéquation de la représentativité, sans pour autant le formaliser. Ainsi, comme le décrit Costa, « malgré l’affirmation de l’absence de lien entre les États et leurs représentants, une

124 Pour une analyse inversée, nous pouvons relever la déclaration du député Dillen (NL, DR) : « En tant que membre du Parlement européen, nous sommes ici comme flamand ou allemand, danois ou grec, irlandais ou luxembourgeois, nous représentons un peuple, une nation, une langue, une culture et c’est en cette qualité que nous sommes européens. Nous ne sommes, nous ne saurons jamais être le représentant d’une population européenne qui n’est pas une unité organique mais bien une fiction artificielle. Notre devoir est de défendre nos peuples, nos nations, nos langues, nos cultures et notre identité. C’est pour cela que nous condamnons cet attentat contre tant de siècles d’unité européenne, tant de siècles de richesses européennes dans la diversité » (JOCE, D, 1994, 3-441/10). 125 L’intervention du député Gil-Robles Gil-Delgado (ES, PPE) lors du débat sur le rapport Vecchi est à ce sujet sans équivoque : « Un traité qui ne peut être interprété à partir d’un seul article. Il convient de l’interpréter à partir de l’ensemble de ses dispositions ; et l’ensemble de ses dispositions, Monsieur le Président, institue une citoyenneté européenne. Les citoyens de l’Union contrôlent les institutions communautaires par l’entremise d’un médiateur nommé par le Parlement, la non signature de tel ou tel protocole ne pouvant donner lieu à une discrimination ; ils exercent leur droit de pétition, la non signature de tel ou tel protocole ne pouvant donner lieu à une discrimination ; ils s’expriment par le truchement des partis politiques européens, la non signature de tel ou tel protocole ne pouvant donner lieu à une discrimination. Or on prétend introduire des distinctions qui, sur certains sujets, aboutiraient à reléguer à un statut infra-parlementaire les élus de pays non signataires de tel ou tel protocole » (JOCE, D, 1994, 3-441/11).

164 L’organisation de la représentation au Parlement européen convention informelle appelle les parlementaires à ne pas troubler les délibérations – rares pour l’instant – qui ne concernent pas leurs concitoyens. Toutefois, rien ne vient sanctionner son inobservation » (2001, 269). Comme le démontre Christopher Lord (tableau 4.5), les eurodéputés identifient d’ailleurs leur mandat comme une délégation nationale d’abord. La représentation des citoyens européens apparaît ainsi en fin de liste, alors que c’est structurellement la plus proche de l’idée du traité et que c’est celle traduite dans le projet de Constitution.

Tableau 4.5. Les députés européens et la conception de leur rôle

Quelle est l’importance des aspects suivants de votre travail ? Moyenne sur une échelle de 1 à 5 Légiférer 4.4 Contrôle parlementaire 4.2 Représentation d’un groupe social 3.9 Développement de stratégies pour des politiques européennes 3.77 Médiation sociale 3.22 Représenter des citoyens individuels 2.97

Quelle est l’importance de la représentation des groupes suivants pour vous ? Les citoyens de mon État 3.92 Les citoyens de ma circonscription 3.88 Les citoyens ayant voté pour mon parti 3.72 Mon parti national 3.65 Les citoyens européens 3.55 Mon groupe politique au PE 3.42 Un groupe spécifique de la société 2.59 Source : Lord, 2004, 127

3.2.2. L’interdiction de mandat impératif

Plus haut, nous avons vu que le débat sur la question du mandat européen se heurte aussi à la notion, très clairement exprimée, de l’interdiction du mandat impératif. En effet, cette interdiction sous-entend de ne recevoir d’instruction d’aucune sorte. Ainsi, la proposition de Yves Galland, tout en allant dans le sens de l’adéquation de la représentativité inscrite dans l’article 189 CE, a contribué à défaire de son sens l’interdiction de mandat impératif. La porte s’entrouvrait pour que les députés dépendent des politiques communautaires approuvées ou non par leurs États. En conséquence, la réponse du Parlement est cohérente par rapport à la question du mandat impératif. D’ailleurs, le député Patterson (UK, PPE) résume ceci en énumérant ce que peut représenter un élu, et également en signalant ce que ne peut pas représenter un eurodéputé, soit « les gouvernements nationaux, car il existe un équilibre institutionnel au sein de la Communauté. Le Conseil représente les gouvernements des États membres et le Parlement européen représente la population européenne » (JOCE, D, 1994, 3-441/11).

Un autre problème dans l’interdiction du mandat impératif est relatif à la pratique des groupes parlementaires européen. En effet, de nombreux auteurs travaillant sur le Parlement européen relèvent la pratique du ‘tourniquet’. Il s’agit de députés siégeant

165 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen pour une durée déterminée (par exemple mi-législature), puis se faisant remplacer. L’automaticité de ce système a porté préjudice à la question du mandat non-impératif en raison même de l’obligation qui en découlait. La solution fut de ne pas le rendre obligatoire, c’est-à-dire de ne pas préparer à l’intention des partis des lettres de démission en blanc non datées. Dès lors, « l’interdiction du mandat impératif est respectée, mais la volonté des citoyens est ignorée » (Costa, 2001, 266). En effet, pour les États fonctionnant sur le principe du vote préférentiel, le citoyen ne peut s’assurer que son vote attribué à une personnalité de son choix correspondra effectivement à une présence sur la législature. Néanmoins, la croissance des compétences de l’Union et l’attachement des députés à leur siège changent progressivement la perspective. La pratique du ‘tourniquet’ n’est plus de rigueur au Parlement européen 126 . Ces éléments se retrouvent dans la capacité à délivrer une politique ( output representation ), car l’intérêt à rester et à se représenter nourrissent l’imputabilité.

Le second élément est plus général. Costa relève que l’élection du Parlement selon des procédures nationales, leur diversité, la focalisation sur des enjeux nationaux, l’exclusivité d’investiture des candidats par les partis nationaux 127 « sont autant d’éléments qui rejaillissent sur le comportement des parlementaires européens, et invalident en partie la théorie de la ‘généralité’ du mandat européen » (2001, 270). La mixité des procédures nationales, les différentes interprétations des Traités et les difficiles convergences entre des traditions politiques nationales rappellent que la construction d’une représentation européenne est soumise à de nombreuses contingences compliquant le rôle des représentants et l’identification à ces derniers par les représentés.

126 Le tourniquet ne se pratique plus maintenant au sein du Parlement. Les raisons de démission sont souvent liés à la nomination d’un député à un poste ministériel. Néanmoins, Jean Quatremer, dans son blog, se fait l’écho du cas du vice-président du Parlement, (FR, PSE). Celui-ci va en effet se présenter aux législatives françaises de 2007, et prévoit donc s’il est élu, de renoncer à son mandat européen. Dans un tel cas de figure, on peut effectivement s’interroger sur l’implication et l’importance du mandat européen, d’autant plus pour un des vice-présidents du Parlement européen (http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/). 127 Le cas d’Olivier Duhamel (FR, PSE) représente cet aspect par le fait que, malgré un engagement important au sein du Parlement européen, et notamment dans le cadre de la Convention européenne, il ne fût pas re-présenté par le PS français à l’élection européenne de 2004. Pour Beauvallet et Michon (2004) [www.afsp.msh.fr/activite/diversafsp/collgspegael04/michon.pdf], le cas ‘Duhamel’ est significatif du découpage en circonscription qui bloquerait les candidatures mal ‘localisées’ et perçues comme technocratiques, au profit d’un personnel politique plus connu et ayant développé des activités politiques régionales.

166 L’organisation de la représentation au Parlement européen

4. Les conditions de l’ output Representativity : le double enjeu de la compétence et de la crédibilité

Tandis que la input representation est marquée par la nécessaire pré-existence d’une identité collective, la output representation se traduit en terme d’efficacité. Pour reprendre les termes de Fritz Scharpf, « Government for the people derives legitimacy from the capacity to solve problems requiring collective solutions because they could not be solved through individual action, through market exchanges, or through voluntary cooperation in civil society » (1999, 11). Ainsi, dans la dialectique de la représentation, nous sommes dans l’axe du ‘gouvernement pour le peuple’ alors que précédemment il s’agissait du ‘gouvernement par le peuple’.

Alors que l’ input s’avère être difficile à identifier et à traduire dans les faits, l’ output semble lui se passer de grands efforts conceptuels. En effet, il semble cohérent que certaines compétences s’exercent au niveau de l’Union européenne. La base d’analyse se situe sur les mécanismes de la décision, qui permettent d’une part l’acceptation de la norme, et d’autre part une généralité de la consultation. Ainsi, au niveau national, Fritz Scharpf (1999, 14-20) identifie plusieurs mécanismes comme faisant partie de la output légitimité : l’ accountability électorale (organisation régulière d’élections), une expertise indépendante, des arrangements corporatistes, des réseaux politiques pluralistes. Ces quatre mécanismes agissent de manière soit indépendante, soit dépendante, et ce, dans une alchimie complexe.

Au niveau de l’Union européenne, cette alchimie est par ailleurs compliquée par quatre facteurs. Le premier est le peu de visibilité de la décision politique, en raison d’un système fortement marqué par l’activisme de la Cour de Justice des Communautés. Le second se base sur le fait que, même si la décision politique est visible, les multiples comités et procédures, ainsi que la large consultation contribue à l’image technocratique et lointaine de Bruxelles. D’une certaine manière, la recherche du consensus contribue au déficit démocratique. Le troisième facteur est la contradiction due au fait de continuer à s’appuyer sur la légitimité des États, notamment le Conseil européen, pour prendre des décisions européennes. Finalement, l’Union européenne n’a pas une compétence dans tous les domaines. Dès lors, le chômage, les difficultés des assurances sociales sont perçus comme des menaces par les citoyens et les réponses européennes ne semblent pas être adéquates en raison même des compétences différentes entre les États et l’Union. Ainsi, l’image relative à l’efficacité de l’Union européenne est, une fois de plus, brouillée.

En terme de représentation au sein du Parlement européen, un thème peut être extrait dans un premier temps de la output représentation. Il s’agit de l’ accountability électorale. Ce thème peut être décliné de deux manières. La première consiste à regarder le fonctionnement du Parlement dans le cadre du travail des députés. En effet, cet élément permet une prise en compte de la logique inhérente au mandat européen et des intérêts qui agissent au cœur du Parlement. Dans une certaine mesure, il s’agit aussi d’une mesure de l’indépendance de l’expertise. La deuxième est relative aux procédures législatives existantes. Ces dernières sont la représentation de la décision du Parlement européen, et donc de la matérialisation de l’intérêt. Dès lors, cela renvoie à la représentation dans le cadre du jugement post -électoral en vue de la prochaine échéance. Il faut donc observer la capacité des eurodéputés à rendre compte

167 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen aux électeurs, en fonction de leurs méthodes de travail. Le développement d’une dynamique de travail du député interne au Parlement contribue en effet au débat pré- électoral, en ce sens qu’il donne des clefs de compréhension et de jugements aux citoyens.

4.1. Les usages du mandat européen

4.1.1. Prise de décision : élément constitutif de la représentation

Les développements institutionnels des vingt dernières années ont influencé la manière de travailler des parlementaires, ainsi que leur poids sur la législation européenne. Au-delà du rôle d’un eurodéputé, il est nécessaire d’analyser la prise de décision sur deux niveaux. Le premier est celui du député, avec ses droits et obligations. Le second est le rôle du groupe 128 , lui-même subdivisé en deux, soit le groupe politique et le groupe de députés.

Il convient, tout d’abord, d’observer que le parlementaire européen a le droit de poser des questions aux autres instances communautaires, de présenter des amendements en commission parlementaire, de proposer une motion en séance plénière, de donner des explications de vote. Malgré ces droits, qui semblent être identiques aux droits des députés dans d’autres assemblées, le pouvoir des eurodéputés ne s’exerce cependant que grâce à leur appartenance à un groupe (au sens le plus large).

En reprenant le Règlement interne (RI) 129 , on constate souvent la référence à un nombre de députés, la plupart du temps trente-sept, ou aux groupes politiques 130 . Ce nombre permet de proposer la nomination de candidats aux postes de président, vice- présidents ou questeurs ; ils peuvent déposer une résolution pour clore un débat avec la Commission ou le Conseil, ainsi que proposer des amendements en séance plénière ; ce nombre de députés peut demander un renvoi en commission, et également un ajournement de l’ordre du jour en séance plénière. Cette liste est loin d’être exhaustive. Un dixième des députés peut présenter une motion de censure envers la Commission européenne, et demander la démission du Médiateur européen. Le vote au scrutin secret peut être demandé par un cinquième des membres. Un quart des eurodéputés peuvent demander la constitution d’une commission d’enquête. Finalement, la convocation d’une séance plénière extraordinaire peut être demandée par la majorité des membres.

Le nombre de trente-sept députés est le chiffre-clef. Il peut suffire pour agir de façon très efficace lors de la séance plénière et en commission, en vue de l’adoption ou non

128 Afin de clarifier cet exposé, nous notons que le groupe est le terme générique englobant toutes les notions possibles. Ici, le groupe est subdivisé en deux parties : le groupe politique et le groupe de députés. Le premier est celui que nous connaissons répondant au clivage partisan, et le second qualifie un simple regroupement de députés sans autres significations. La notion de groupe au Parlement européen est essentielle comme nous le verrons dans cet exposé. 129 Notre analyse se fonde sur la dernière édition en date de ce règlement soit la 16 ème édition de septembre 2005. 130 Selon l’article 29, les groupes de députés sont constitués au minimum de dix-neuf membres représentants au moins un cinquième des États membres (soit cinq États membres avant le 1.1.2007). Dès lors, le chiffre de trente-sept députés ne concernent que les actions hors-groupes.

168 L’organisation de la représentation au Parlement européen des normes européennes. Dès lors, sur certains sujets, des coalitions de députés, tous partis confondus, sont formées pour être plus efficaces.

Le groupe politique bénéficie quant à lui, et quelle que soit sa composition, d’avantages supplémentaires. En effet, là où trente-sept députés sont nécessaires, le groupe politique peut souvent agir seul. Un groupe politique est formé dès dix-neuf députés provenant d’au moins un cinquième des États membres 131 . Les fonctions parlementaires peuvent être relativement importantes, comme la nomination du Bureau du parlement, les amendements ou la procédure budgétaire, et la participation à la Conférence des présidents. Un groupe politique de dix-neuf députés a autant de droits que trente-sept députés pris individuellement. De surcroît, les présidents des groupes politiques jouent un rôle d’importance au sein de la Conférence des présidents, l’organe en charge de l’ordre du jour de la séance plénière, de la répartition des salles de réunion, des conflits de compétence entre les commissions, et de toutes les questions internes au Parlement. Ici, rien n’échappe aux groupes politiques. Toutefois, la question de la discipline de vote laisse une certaine liberté individuelle aux députés qui peuvent s’opposer à une décision prise par la Conférence des présidents (Corbett et al. , 1995, 56).

En conclusion, les groupes politiques ont un pouvoir réel au sein du Parlement européen. D’où un mécontentement et une discussion du statut de députés, notamment pour les députés non inscrits, qui ne bénéficient que des droits conférés aux membres individuels. Il faut relever qu’en 2002, le Parlement européen a voté une réforme des droits des non-inscrits en leur permettant notamment de déléguer deux membres aux réunions de la Conférence des présidents, avec droit de vote ; par ailleurs, si le règlement confère un droit à un groupe politique, le même droit peut être exercé par 16 non inscrits 132 .

D’autre part, il existe un certain nombre de fonctions importantes dotées de grandes influences. Plus haut, nous avons vu le rôle du président de groupe. Par ailleurs, le président du Parlement européen est une personnalité qui jouit d’un pouvoir important sur les débats. Enfin, les députés les plus sollicités sont les rapporteurs, les coordinateurs et les spécialistes. Ces personnes représentent les clefs pour un ‘groupe extérieur’ 133 , car ce sont elles qui vont établir l’ordre du jour, écrire un rapport discuté en commission ou, de par leur connaissance d’une matière particulière, seront écoutés par leurs pairs peu au courant de tel ou tel sujet (Corbett et al. , 1995, 62). L’importance du rôle de certains députés a des conséquences dans l’efficacité du Parlement à délibérer. En effet, l’influence des rapports dans les décisions de plénière est primordiale. L’écriture de ces derniers passent souvent par de multiples sources d’information. Dès lors, le rapport est un exercice d’agrégation et de proposition de politique. L’accentuation du rôle des rapporteurs auprès des médias peut être une piste vers une personnalisation des thématiques européennes. En effet, on constate souvent que les mêmes députés sont régulièrement impliqués, selon les sujets.

131 Le nombre de députés pour créer un groupe au Parlement pourrait être réévalué à la hausse. En effet, le groupe socialiste a annoncé son souhait de revoir cet aspect en raison de la création du groupe souverainiste (d’extrême droite) ITS en janvier 2007 (voir Agence Europe, 12.01.2007). 132 Rapport A5-0252/2000, ‘Règlement PE, art. 29, 33 et 82 : équilibre des droits entre députés à titre individuel et groupes’. 133 Terme qui recoupe tous les groupes agissants à l’extérieur du Parlement européen, tel que les lobbies, ONG, associations de citoyens, etc.

169 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

4.1.2. Vers une approche spécialisée

Depuis janvier 2007, le nombre d’eurodéputés est de 785 134 , en raison de l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie. Avec la nouvelle législature (2004-2009), le nombre de commissions parlementaires est passé à vingt. Mathématiquement, les députés ne peuvent pas accéder à plus d’une commission (exceptionnellement deux) comme membre. Il en va de même pour les suppléances. Il existe un certain nombre de délégations parlementaires, mais qui restent mineures par rapport à l’importance d’une commission parlementaire 135 . Comme on le voit sur le tableau 4.6, le ratio député/commission a nettement augmenté depuis la cinquième législature.

Tableau 4.6. Ratio députés par nombre de commissions 136

1979 1984 1989 1994 1999 2004 2007 Nombre de 15 17 18 20 17 20 20 commissions Nombre de 410 434 518 567 626 732 785 députés Ratio 27 25 28 28 36 36 39 députés par commission Source : Corbett et al. , 2005, 145-148.

Il en ressort une lutte de pouvoir entre députés (Abélès, 1992, 221-228) pour être membre de telle ou telle commission. Ainsi, le manque de possibilité pour un député d’aborder divers sujets conduit immanquablement à une ultra-spécialisation au sein du Parlement européen. En effet, ce n’est que dans le cadre d’une commission parlementaire qu’un député peut parvenir à se faire connaître, en tant que rapporteur. Dès lors, s’il veut être reconnu, le parlementaire européen doit agir dans sa (ses) commission(s), d’où une spécialisation accrue. Cette situation peut susciter des frustrations chez des élus : ils vont s’investir plus dans d’autres structures, comme par exemple les intergroupes. De même, pour les députés siégeant dans une commission dont le domaine leur est étranger, l’intergroupe peut les aider à appréhender un sujet et le tester auprès de la société civile. Nous aborderons cette question dans la dernière partie de ce chapitre.

L’existence publique du député dépend donc de sa capacité à être médiatique, ou à s’assurer la prise du rapport (Abélès, 1992, 243-246). Le premier cas n’étant que l’apanage d’une minorité, les députés moins connus n’ont pour seul choix que d’agir par le rapport. En effet, le public a accès aux réunions des commissions, mais la

134 Comme nous l’avons vu précédemment, le nombre de 785 est transitoire jusqu’aux prochaines élections, où le nombre d’élus devrait être de 736. 135 Marc Abélès (1992, 212) rapporte l’observation d’un fonctionnaire : « C’est dans les commissions parlementaires que s’élabore vraiment la politique du Parlement ». 136 Ici, sont considérées uniquement les commissions parlementaires permanentes. Les sous- commissions sont exclues du compte. Elles sont comptées en fonction de celles présentes en début de législature. Les commissions créées en cours de mandat sont portées sur le compte de la législature suivante. Il s’agit de la Commission des libertés civiles, de la Justice et des Affaires intérieures (1992), de la Commission des affaires constitutionnelles (1982), de la Commission de l’Égalité (1982), et de la Commission des Pétitions (1987).

170 L’organisation de la représentation au Parlement européen possibilité d’accéder aux procès-verbaux est extrêmement complexe, voire impossible. Le Parlement européen ne fonctionne pas sur cette base. Seuls les rapports et les documents de travail apportent la preuve de l’activité pour les recherches futures. Il est certes possible pour un député de se démarquer par une prise de position en séance plénière, mais le temps de parole est limité par groupe politique, et donc une intervention ne peut être que bien circonscrite.

De plus, la plupart des députés sont beaucoup sollicités, et la capacité à se renseigner sur chaque objet de vote est quasiment impossible : il en ressort l’importance croissante du travail en commission, d’une part, et la qualité du rapport, d’autre part. Par ailleurs, la prise de position finale d’un groupe reflète souvent les discussions qui ont eu lieu en commission, et les cas de dissensions provenant de députés non- membres d’une commission doivent rester l’exception. En conséquence, le rapporteur devient vite le spécialiste (Abélès, 1992, 246) d’un domaine précis. Par exemple, (UK, PSE) a été nommé pour tous les rapports ayant trait aux groupes d’intérêt, exceptés les intergroupes. Dans tous les parlements, la spécialisation est devenue une conséquence pratique de l’organisation du travail. Ceci est d’autant plus vrai dans ce cas précis, du fait que le Parlement européen de par sa qualité supranationale, sa structure institutionnelle, et le grand nombre de participants ne peut que tendre vers une activité toujours plus ciblée.

4.1.3. Les différents canaux d’information

Du fait de ces facteurs de spécialisation, les députés doivent s’informer. Comment peuvent-ils faire pour recouper leurs informations pour la bonne rédaction d’un rapport ? La liste dressée ici est non exhaustive, mais elle se veut une représentation de la réalité européenne. Le député a le choix de ses informations, et de fortes sollicitations le contraignent à calculer l’opportunité de telle ou telle source.

La commission parlementaire est le lieu officiel pour recueillir des informations. Les plus importantes viennent de ses collègues, qui permettent au rapporteur de sentir les choix politiques. Ce lieu est intéressant pour les possibilités organisationnelles, telles que les auditions de personnes extérieures, d’autres députés, etc. Le choix de travailler dans la commission permet d’établir un rapport politiquement acceptable, qui tienne compte de la sensibilité des autres députés. Toutefois, les commissions établissent des horaires de réunion très précis, et il est difficile d’organiser plusieurs auditions. Dès lors, le député, selon le thème, n’a guère d’autre choix que de se tourner vers d’autres sources.

Nous citerons le rôle de l’administration du Parlement européen. En effet, chaque commission bénéficie d’une équipe de fonctionnaires qui sont à la disposition des députés, et il existe un secrétariat central avec diverses données juridiques. Les bons contacts entre l’administration du Parlement et le député sont des éléments essentiels à la bonne rédaction du rapport. Toutefois, l’administration doit rester objective 137 , et se limitera donc à aider le député dans ses recherches de documentation officielle ou

137 C’est en fait connu qu’au Parlement européen, il existe une politisation chez les fonctionnaires qui sont nommés en fonction des partis ou de leurs préférences. Certains ne cachent pas leurs idées. Dès lors, le député peut avoir plus ou moins de difficulté à récolter de l’informations (Abélès, 1992, 284- 285).

171 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen interne du Parlement. De plus, si le fonctionnaire lui procure un ensemble de services, il ne saurait prendre trop d’initiatives, au risque sinon d’éclipser l’élu (Abélès, 1992, 284). En parallèle, il est à noter que l’administration européenne (Commission européenne et Conseil) fournit un nombre conséquent de documents produits par ses services, ce qui peut poser des problèmes en terme d’indépendance de l’opinion. En effet, les services du parlement sont encore trop faibles pour fournir des analyses différentes de celles des autres institutions 138 (Abélès, 1992, 284).

Un autre vecteur d’information est le groupe politique. Pour un député, il est probablement nécessaire de connaître les positions de son groupe avant la présentation du rapport. D’ailleurs, les grands groupes possèdent des centres de documentations internes. Ici, l’information sera cependant forcément partisane et peut être insuffisante pour convaincre une vaste majorité. De plus, selon le thème, le député peut se renseigner auprès des collègues de son pays siégeant au parlement national. Toutefois, l’information ici sera nationale, et manquera donc de vision européenne.

Au niveau de la société civile, selon le rapport, le parlementaire verra arriver à son bureau une multitude de groupes d’intérêt apportant leurs visions de la future réglementation (Abélès, 1992, 345-348). L’information sera très complète, mais une fois encore très partiale. Toutefois, si les deux forces opposées s’équilibrent, le député pourra disposer d’une documentation très riche (Costa, 2001, 371-381). Le Parlement européen est aussi un amalgame de plusieurs traditions politiques, et nombreux sont ceux qui n’aiment pas avoir à faire aux lobbies. D’ailleurs, les attitudes des députés ont marqué le chemin vers une réglementation des groupes d’intérêts. En effet, les élus des ‘petits’ pays et ceux des ‘petits’ groupes ont émis des craintes sur une légalisation des groupes d’intérêts (voir Costa, 2001, 371). Néanmoins, les lobbyistes et les députés entretiennent des rapports fréquents, notamment pour des expertises particulières. De plus, ce contact permet aux députés d’avoir un canal supplémentaire, même partiel, vers le citoyen européen.

En outre, les particuliers peuvent également agir par exemple par le biais de pétitions ou d’actions auprès du Médiateur ou des eurodéputés. Ceci peut s’avérer utile pour le rapporteur s’il parvient à s’appuyer sur une action citoyenne. Dans ce cadre, le travail avec les associations de citoyens peut être très fructueux. Dans l’ensemble, nous voyons donc que les solutions proposées restent souvent insatisfaisantes. La complémentarité entre elles demande aux députés un travail considérable, qui semble néanmoins indispensable. En effet, l’écriture du rapport rappelle la complexité de l’Union européenne avec ces multiples sources de légitimité et de représentation. Par ailleurs, le député doit également extraire de toutes ces sources ce qui peut faire consensus entre les groupes politiques, afin d’emporter l’accord de la commission, et, par la suite, le vote en plénière. Enfin, le député, en tant que membre d’un parti et citoyen d’un État membre, doit aussi concilier l’intérêt européen et national. En conclusion, il doit concilier l’intérêt institutionnel et les influences externes, les différents clivages politiques, et la promotion de l’intérêt européen avec la défense des États, tout en représentant l’intérêt primordial du citoyen européen.

138 Cet élément fait partie du vaste débat sur les capacités techniques et scientifiques du Parlement. De nombreuses études ont été faites sur ce sujet aux États-Unis sur les services du Congrès. À ce sujet, voir par exemple, Mironesco, 1997.

172 L’organisation de la représentation au Parlement européen

4.1.4. Vers une carrière politique européenne?

Pendant de longues années, le Parlement européen a été vu par les hommes politiques nationaux comme une voie de garage. Pourtant, sur l’ agora européenne, on constate que, depuis quelques années, certains parlementaires cherchent à rester au Parlement. Cette nouvelle tendance va de pair avec le développement de l’Union européenne et le gain de pouvoir parlementaire, et se concrétise par des intérêts nouveaux développés de manières diverses au sein même du Parlement, comme les intergroupes.

L’étude de Susan Scarrow (1997, 253-263) étudie la tendance pour les députés, de 1979 à 1994, à développer une carrière politique au sein du Parlement européen. Il en ressort que ce Parlement gagne en autonomie en raison de la volonté de certains députés de faire une carrière politique européenne 139 . L’analyse de Susan Scarrow montre en effet que « such records make it much more likely that future assemblies will be populated with careerist MEP who view the European Parliament as their main political arena, and who seek to increase their prestige of their institution and its power relative to other European and domestic institutions » (1997, 261). Pourtant, les élus utilisant le Parlement européen comme un tremplin pour leur carrière nationale restent une minorité. De ce fait, il semble important de signaler qu’au-delà de tout gain de compétences, le rôle du député et l’idée qu’il s’en fait sont essentiels à la crédibilité du Parlement européen (Scarrow, 1997, 262). En effet, ce dernier dépend pour une large part de la signification du mandat d’élu européen.

Outre cet aspect, nous devons souligner le rôle important de la co-décision dans la prise de conscience du rôle des élus. En effet, le mandat de parlementaire n’a de sens que si un devoir législatif existe. Roger Scully (1997, 233-252) étudie ainsi l’impact des procédures sur la participation des députés européens. Bien que le Parlement européen n’ait pas l’initiative législative, les élus peuvent amender, retarder ou rejeter un texte. Dès lors, les procédures prennent un rôle important, et l’évolution de la consultation à la co-décision représente une influence considérable pour le député. Toutefois, Scully note que ces procédures n’ont que peu d’écho auprès du public. Nous pourrions penser que le développement du rôle législatif pourrait avoir un rôle de visibilité et aussi jouer pour l’ accountability lors d’une élection. Ces éléments ne fonctionnent cependant pas au niveau européen, notamment en raison de la complexité des procédures et de la difficulté des enjeux (Scully, 1997, 238).

D’autre part, on observe des perceptions différenciées du rôle des parlementaires selon les pays. Les représentants des États nordiques sont plus attachés à l’idée de l’élection et de rester à leur poste, alors que les Français et les Italiens voient le Parlement plutôt comme une voie de garage ou un tremplin pour le national. Depuis l’élection de 2004, les nouvelles règles de procédures électorales interdisent le double mandat national et européen. Comme le relève le rapporteur de l’Assemblée nationale française sur le règlement du Conseil en la matière, « il semble très difficile de le cumuler avec un mandat parlementaire national vu en particulier la présence régulière imposée à Bruxelles et à Strasbourg pour les députés européens ». Le rapporteur

139 Bien que la dynamique semble positive, il faut considérer les chiffres de Paul Magnette (2006a, 155), qui montre que le Parlement européen connaît 60% de renouvellement durant la législature. C’est un taux très élevé. De plus, le Parlement européen est souvent un bon test pour les futurs leaders de partis politiques, qui s’orientent assez rapidement vers la carrière nationale dès qu’une occasion se présente.

173 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen prolonge sa pensée sur la conséquence logique de l’incompatibilité de mandat en qualifiant le mandat européen comme un ‘véritable mandat parlementaire’ et que « cette incompatibilité est l’aboutissement de l’émancipation du Parlement européen par rapport aux parlements nationaux dont il ne peut être considéré comme un simple prolongement » (Philip Christian, rapport 998, 2 juillet 2003).

Le fait que les eurodéputés s’émancipent par rapport à leur État pour développer une carrière européenne représente une indication du pouvoir du Parlement. Ces députés s’engagent plus que s’il ne s’agissait que d’une récompense pour bons et loyaux services. Dès lors, on observe un intérêt plus grand pour les affaires parlementaires européennes. La tendance démontre également que les parlementaires engagés souhaitent promouvoir leur Parlement et leur statut de représentants des peuples d’Europe par rapport aux élus nationaux qui, souvent, se considèrent comme dépositaires de la volonté populaire réelle. La difficulté majeure de la carrière politique européenne reste cependant liée au système séparé que représente le Parlement, et n’ouvre donc pas à des responsabilités exécutives comme cela pourrait être le cas d’un modèle purement parlementaire. Dès lors, les députés souhaitant intégrer des fonctions exécutives doivent nécessairement passer par le niveau national. Cela est d’autant plus vrai qu’il y a très peu d’eurodéputés accédant au poste de Commissaires européens (cf. tableau 3.2.).

Cette évolution va dans le sens d’un développement des pouvoirs du Parlement européen, mais pourrait aussi provoquer une grave crise dans l’organisation du Parlement. En effet, les groupes politiques sont organisés dans le Parlement sur la base des élections nationales sur des listes nationales. On constate immédiatement qu’il peut y avoir des différences d’analyse dans les partis nationaux et dans les groupes européens. Dès lors, selon le système électoral, le député aura intérêt à défendre son parti national, parfois à l’encontre de la logique européenne. Les crises, fréquentes dans l’histoire du Parlement, ont prouvé l’existence des problèmes que pose ce mode de fonctionnement. Par conséquent, il faut constater que le développement de la notion de carriérisme européen provoquera une remise en question de la manière dont sont composés et organisés les groupes politiques, par le fait d’une structure parlementaire plus permanente.

4.2. Les procédures législatives

Logiquement, la possibilité de délivrer des politiques publiques est un élément essentiel à la vie politique. Jusqu’au traité de Maastricht, le Parlement européen a gagné des capacités, mais c’est vraiment depuis 1993 que nous trouvons un véritable co-législateur avec la procédure de co-décision. L’analyse des capacités parlementaires passe également par la mention des procédures décisionnelles. Le Parlement se trouve confronté à pas moins de six procédures différentes, soit l’avis conforme, la consultation, la co-décision, la procédure budgétaire, la coopération, et la procédure d’information. Cette complexité et la diversité procédurale rendent difficile la compréhension de l’outil parlementaire par le citoyen. Toutefois, ce n’est qu’en expliquant ces procédures – outil de son pouvoir réel – que le Parlement pourra développer un mécanisme d’ accountability pour les actions faites durant la législature.

174 L’organisation de la représentation au Parlement européen

La procédure d’avis conforme exige qu’une majorité absolue des députés parlementaires acceptent les décisions ou y opposent leur veto. Le Parlement européen se voit ainsi octroyer bien plus qu’un rôle consultatif puisqu’il peut différer ses décisions jusqu’à ce qu’il ait obtenu satisfaction. Cette procédure s’applique à l’adhésion de nouveaux membres, les accords d’associations avec les pays tiers, le fonctionnement et les objectifs des Fonds structurels et du Fonds de cohésion, et sur les tâches et pouvoirs de la Banque Centrale Européenne.

Introduite par l’Acte Unique Européen, la procédure de coopération, reprise par l’article 252 du traité d’Amsterdam, a beaucoup été utilisée pour la législation du marché intérieur jusqu’à son remplacement par la procédure de co-décision dans le cadre du traité de Maastricht et d’Amsterdam. Cependant, la coopération ne s’applique désormais que dans le cadre de la politique économique et monétaire. Cette procédure ne permet donc pas au Parlement européen de s’imposer au Conseil. Toutefois, il faut la considérer comme la voie diplomatique qui a présidé à la procédure de co-décision. D’ailleurs, cette dernière est introduite par l’Article 189(b) du Traité de Maastricht, reprise par l’article 251 du Traité d’Amsterdam. Procédure complexe, elle contient en fait certains éléments de la procédure de coopération mais prévoit un troisième stade avec un comité de conciliation qui réunit des représentants du Parlement et du Conseil. Le Traité d’Amsterdam simplifie un peu la procédure en donnant vraiment au Parlement un rôle de co-législateur avec le Conseil. La conciliation est le stade final. Ainsi, le rôle prépondérant du Conseil disparaît. Seule la signature finale du Président du Parlement donne force juridique à l’acte adopté. Elle s’applique à la législation du marché intérieur, au droit d’établissement et de libre- circulation des travailleurs, à la culture, la santé publique, la recherche, l’environnement, ainsi qu’en partie sur l’ex-troisième pilier (politique des visas, asile immigration, et autres politiques liées à la libre circulation des personnes).

Un des premiers pouvoirs d’un Parlement est la compétence budgétaire. Gagnée au cours des année 60, le Parlement européen bénéficie d’une procédure budgétaire, modifiée à Maastricht. Pour la plupart des dépenses, le Parlement a le dernier mot en matière de budget, après une procédure de double lecture avec le Conseil 140 . Néanmoins, le Parlement ne contrôle pas les recettes. Il peut seulement accroître les dépenses en respectant certaines limites. En l’absence d’un droit d’initiative à imposer aux autres institutions, le Parlement européen a fait usage de ses pouvoirs budgétaires pour promouvoir de nouveaux domaines de compétence communautaire.

La plus ancienne des procédures législatives à avoir toujours cours est la procédure de consultation. La Commission propose, le Parlement européen donne un avis qui ne lie pas le Conseil lors de la prise de décision. Cette procédure s’applique par exemple lors de la révision des prix agricoles. En outre, le Conseil prend ses décisions à l’unanimité, de sorte qu’un gouvernement peut opposer son veto à un élargissement des droits. Finalement, la procédure d’information est actionnée lorsque les droits des citoyens sont exclus des domaines principaux d’activité de l’Union européenne et touchent aux domaines sensibles de la politique étrangère et de sécurité commune et à la justice (le deuxième et troisième pilier). Le Parlement européen a seulement le droit

140 Il existe deux types de procédures concernant les dépenses : les dépenses obligatoires où le Conseil a le dernier mot et les dépenses non obligatoires où le Parlement a le pouvoir final. Néanmoins, la distinction entre les deux dépenses tend à disparaître, comme le démontre le projet de traité constitutionnel.

175 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen d’être informé des aspects principaux de ces politiques, de poser des questions au Conseil des ministres et d’organiser des débats.

4.3. Conclusion

Le catalogue des procédures permet de mieux comprendre le rôle que peut avoir le Parlement européen dans la gouvernance européenne. Un aspect essentiel reste le cadre représentatif où se situe les eurodéputés. Les questions du mandat et de l’identité européenne sont importantes pour comprendre ce que représentent les députés européens. La représentation au Parlement européen est donc organisée d’une manière complexe, en raison même de la nature supranationale de l’institution et des conséquences historiques de certains choix. La difficile intégration des cultures parlementaires nationales contribue à ce qui représente parfois une incompréhension face à au Parlement européen.

De plus, comme le démontre l’étude de Christopher Lord l’identification par les députés de leur ‘assise représentative’ est difficile 141 . Or, savoir ce que représentent les eurodéputés est une question essentielle par rapport à l’identification du Parlement. D’ailleurs, nous relevons principalement un paradoxe : Il existe indéniablement un mouvement vers un accroissement des pouvoirs et des responsabilités, alors même que l’emprise identitaire du Parlement n’est pas établie. Cette parlementarisation ‘forcée’ a été dénoncée par la Cour constitutionnelle allemande. Ainsi, le Parlement se construit sur des principes fonctionnalistes de grignotage, dans un univers parlementaire déjà établi au niveau national. Or, ceci est sans doute l’une des raisons explicatives du déficit démocratique.

Notre analyse de l’ output representativity s’est basée sur la capacité du Parlement européen à participer à la politique européenne de manière efficace. L’analyse du rôle des eurodéputés et les procédures en cours ont leur importance. Néanmoins, on revient naturellement à la question de l’ input . En effet, comme nous l’avons vu, un Parlement sans peuple n’a pas de sens. Ainsi, la difficulté à faire signifier le député auprès de son électorat relève en grande partie d’un problème de représentation lié à une organisation différente des ‘courroies’ de transmission que sont les partis. C’est donc sur ces dernières que nous devons tourner notre analyse. En effet, le rôle agrégatif est essentiel à la démocratie représentative. La compréhension du mécanisme nous permettra de tirer un premier diagnostic sur la gouvernance européenne.

141 Nous reproduisons ici une citation de Marc Abélès qui illustre bien cet aspect de la difficile auto- représentation du mandat : « Le Parlement européen a été créé sur le modèle des autres assemblées occidentales ; mais il s’en distingue sur un point essentiel. L’Assemblée de Strasbourg ne s’inscrit pas dans le cadre d’un État. Elle anticipe en permanence sur une réalité qui se dessine à l’horizon, mais dont les contours institutionnels sont loin d’être encore établis. D’où ce paradoxe : étant membre de cette Assemblée, les députés construisent l’Europe et peuvent à juste titre se proclamer européens : et cependant ils sont là seulement parce qu’ils représentent des États spécifiques où ils possèdent leur base électorale. Les députés font l’Europe dans un processus de création continue, en tant que législateurs ; mais ils ne sont pas l’Europe. Leur légitimité s’ancre dans les limites nationales. Comme le dit très clairement l’un des élus français : ‘Ma zone d’activité, c’est l’Europe ; ma circonscription, c’est la France’. Les parlementaires doivent légiférer dans le cadre communautaire ; ils ne sauraient pour autant faire abstraction des intérêts nationaux » (1992, 184 [en italique dans le texte]).

176

Chapitre 5 – Partis politiques européens et agrégation des demandes

1. De l’agrégation par les partis politiques

Le reproche fréquemment adressé au Parlement européen d’être éloigné et peu compréhensible des citoyens européens s’explique par plusieurs raisons. Un des facteurs explicatifs est l’absence d’une ‘courroie de transmission’ des demandes, en d’autres termes de partis politiques européens. Dès lors, l’agrégation des demandes se fait de deux manières. Premièrement, elle s’effectue par les groupes parlementaires européens, ‘succédanés’ de parti politique, mais représentant une base peu solide dans l’électorat. En effet, l’existence de fédérations européennes de partis n’a pas conduit à l’émergence d’un programme commun contractuel et contraignant lors des campagnes électorales. Ainsi, le relais politique s’effectue au niveau national, au risque de représenter un débat national non basé sur les enjeux européens (Croisat et Quermonne, 1999, 132). Le deuxième s’organise autour de l’émergence rapide sur la scène européenne de la société civile organisée. Cette dernière engendre les conditions d’une redéfinition de l’agrégation des demandes, et de fait modifie le rapport entre le citoyen et le politique, entre le particulier et l’universel.

À partir de ce double constat, il s’agit donc de s’interroger sur la manière dont l’agrégation des demandes se fait en l’absence de partis. L’expérience de la démocratie nationale nous a appris à composer avec les partis politiques comme « l’agrégateur principal des intérêts sociétaux dans le système parlementaire » (Andersen et Eliassen, 1998a, 7). Ainsi, de l’agrégation des demandes découlent deux fonctions principales. D’une part, il s’agit de permettre à l’électeur de faire un choix programmatique et, d’autre part, de contribuer à la prise de décision de l’élu dans un cadre d’imposition de l’intérêt commun. Bien que, dans l’histoire, il n’en fût pas toujours ainsi, l’émergence des partis de masse a développé son rôle d’agrégateur principal entre la société et le politique (Ware, 1986).

Toutefois, l’Union européenne offre une approche différente, étant donné que l’aspect supranational se manifeste par une organisation nécessairement différente de la démocratie. Nombre d’auteurs rappellent ainsi l’absence d’un système de partis européens comme une cause importante du déficit démocratique (Andersen et Eliassen, 1998a ; 1998b : Andeweg, 1995 ; Delwit, 2003 ; Ladrecht, 1999 ; Lodge, 1998 ; Mair, 1995 ; Ware, 1986). D’ailleurs, le projet de Constitution européenne rappelle cette vision : « Les partis politiques au niveau européen contribuent à la formation de la conscience politique européenne et à l’expression de la volonté des citoyens de l’Union » (art I-46.4, PTCE). Cet article marque une constante dans le débat européen. En effet, on en trouve une quasi-reproduction dans l’article 191 (ex- 138a) TUE. En outre, il est utile de regarder les rapports Tsatsos (A4-342/96) et Leinen relatifs au statut et au financement des partis politiques (A5-0170/2003) au niveau européen, fondés sur ce même article 191 (ex-138a) TCE. On constate, malgré l’existence d’un statut des partis européens et d’une définition, que le sujet est principalement celui du financement des partis. Ni le rapport, ni le règlement lui ayant fait suite (CE 2004/2003 du 4 janvier 2003) ne contiennent de propositions pour la formation des partis européens. À l’instar de Christopher Lord [tiré de Delwit, 2003, 119], les auteurs présupposent que le financement est un encouragement suffisant à la création de partis politiques au niveau européen. À la suite de l’élection européenne

177 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen de juin 2004, on a pourtant pu constater que cela n’a pas suffi pour modifier l’implication des partis politiques européens dans la campagne.

Actuellement, on peut parler tout au plus de fédérations de partis avec une autonomie importante des composantes dans les différents États, qui nationalisent le débat au lieu de l’européaniser. En ce sens, nous pouvons admettre que les partis ne participent pas à la vie politique de l’Union comme prévu par les traités et les déclarations européennes. Ainsi, à l’instar de Pascal Delwit (2003, 105), on peut faire le constat que la construction d’un espace politique dans l’UE n’est pas assumée actuellement par les partis politiques nationaux ou sous sa forme européenne.

L’agrégation des demandes s’articule aussi autour d’une représentation de l’intérêt général. Toutefois, ce dernier est empreint de traditions nationales différentes au sein des 27. Dès lors, il demeure délicat de le qualifier au sein du Parlement européen. Olivier Costa reprend l’argumentation autour de la généralité du mandat des eurodéputés, en rappelant que « dès l’instant où le mandat européen est défini comme ‘général’ et où ses détenteurs sont appelés à représenter le corps électoral dans sa globalité, ils doivent servir un intérêt ‘général’ et non des intérêts particuliers. Qu’on le nomme ‘intérêt général’, ‘intérêt public’, ‘intérêt collectif’ ou ‘bien-être général’ importe peu [ici] » (2001, 290).

Le problème principal de l’expression de l’intérêt général ressort du chevauchement entre des circonscriptions locales, et nationales, ainsi que de la présence de plusieurs partis régionalistes et des pratiques ‘nationales’. Le cas le plus frappant est celui des élus britanniques qui sont extrêmement présents dans leur circonscription d’une part pour faire valoir le travail effectué au sein du Parlement et d’autre part pour reprendre des demandes locales au niveau européen. Cette pratique est particulièrement frappante, car elle est directement héritée du système électoral britannique ( winner take all ) et du découpage territorial en circonscriptions régionales. Par comparaison, en France, le travail en circonscription est important, mais le député soigne principalement ses relations avec les instances centrales du parti, et moins avec son électorat local. Le découpage en circonscriptions de la France peut influencer cette pratique tout comme la proportionnelle en Grande-Bretagne a permis une ouverture plus importante pour les autres partis 142 .

Ainsi, nous retrouvons au sein de la tradition parlementaire régie par le principe du mandat impératif, trois modèles de recherche de l’intérêt général par le biais d’une

142 Grâce à la réforme du vote proportionnelle, on constate, depuis 1999, une évolution importante du vote en Grande-Bretagne, avec l’élection de nouveaux entrants au Parlement européen (voir tableau n.1) n.1. Élections européennes en Grande-Bretagne depuis 1979 : progression des partis

1979 1984 1989 1994 1999 2004 Labour 17 32 45 62 29 19 Conservative 60 45 32 18 36 27 Liberals - - - 2 10 12 UKIP - - - - 3 12 Green - - - - 2 2 SNP 1 1 1 2 2 2 Plaid Cymru - - - - 2 1 Total 78 78 78 84 84 75 Source : http://www.europarl.org.uk/guide/Gelectionfacts.htm Note : On compte les sièges de l’Angleterre, de l’Écosse et du Pays de Galles. Les trois restants sont ceux attribués à l’Irlande du Nord qui a une configuration politique différente.

178 Partis politiques européens et agrégation des demandes représentation complexe. En France, le député représente l’ensemble de la nation dès son élection, et non de sa circonscription, alors qu’en Grande-Bretagne, les élus ont un fort lien avec leur territoire régional et de toutes ses composantes socio- économiques. Le dernier modèle est de type ‘consociatif’ (Autriche, Belgique, Pays- Bas) et s’organise autour d’une conception de l’intérêt général à ‘deux étages’. Ces États veillent à défendre « les intérêts de leur ‘pilier’ (communauté linguistique, religieuse, sociale,…), conçu comme une entité, mais le font dans le respect de l’intérêt général du système tout entier, c’est-à-dire en tenant compte des obligations de leurs interlocuteurs, de façon à permettre l’émergence d’un consensus profitable à tous » (Costa, 2001, 292).

La compréhension de l’intérêt général est donc différente ce qui implique de multiples conséquences au sein du Parlement européen. En effet, la perception socio- économique de leur base électorale a conduit les élus anglais à être très favorables à l’instauration de groupes de pression dans l’enceinte du Parlement, alors que la conception généraliste française conduit inexorablement à la méfiance et à tenir éloignés ces groupes d’intérêts. Olivier Costa rappelle à quel point la décision de réglementer les relations avec les groupes d’intérêts a été complexe en raison de ces perceptions différentes (2001, 292-293). Mais la conception politique est aussi marquée d’un pragmatisme vis-à-vis de ces groupes, même au sein des députés français. En effet, la place prise par la société civile organisée dans le discours global et l’utilisation d’acteurs hors partis (ONG, syndicats,…) sont devenues des moyens communs de développer des politiques. De plus, la construction européenne s’est d’abord tournée vers les acteurs économiques. Ainsi, la forte présence des corps intermédiaires dans la gouvernance européenne en est une conséquence logique. Cet aspect a conditionné la place du citoyen et la représentation. Dès lors, la place des groupes d’intérêts s’impose naturellement dans les institutions de l’UE. En poursuivant le raisonnement plus loin, nous pouvons rappeler la remarque de Pascal Delwit que, « à défaut de l’exercice de contrôle ou de médiation, les partis politiques s(er)ont supplantés par d’autres organisations, notamment les groupes de pression. À ce jour, les fédérations européennes ne médiatisent que faiblement voire pas du tout les desiderata de(s) citoyen(s) et les choix effectués par l’exécutif européen » (2003, 104).

Par conséquent, la traduction des desiderata et de l’agrégation peut se faire de trois manières : premièrement, en développant les fédérations de partis européens à un niveau transnational, deuxièmement en appliquant le modèle danois, soit l’émergence de partis uniquement pour les élections européennes (souvent contestataires) et troisièmement, en proposant un système de partis supranational indépendant des enjeux nationaux (Andeweg, 1995, 67-72). Ce dernier modèle ne conduit toutefois pas aux fédérations de partis et ne propose pas nécessairement une fusion des partis nationaux. Au contraire, un nouveau regard se porte sur l’émergence de nouveaux enjeux supranationaux et la reconnaissance de la place occupée par la société civile.

179 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

2. Les partis parlementaires européens

2.1. Le groupe, élément structurant du Parlement européen

Le regroupement de députés, et en particulier le groupe politique, est un élément important de la structure du Parlement européen. Au-delà, on pourrait même penser que le groupe parlementaire se confond avec le parti politique au niveau européen. D’ailleurs, les groupes politiques au Parlement sont la seule concrétisation visible de la politique au niveau européen. Toutefois, le groupe politique n’est pas marqué par une grande stabilité en terme de composition et de suivi. En effet, chaque élection européenne refait le paysage politique du Parlement par le biais de nouvelles alliances ou de la disparition de certains groupes. La sixième législature est marquée d’une part par la présence des élus des nouveaux États membres et d’autre part par la répartition dans huit groupes parlementaires (non inscrits exclus) de plus de cent soixante partis politiques nationaux (Van Hecke et Alberti, 2005, 273). Ce facteur peut être porteur d’une grande hétérogénéité. En effet, certains auteurs rappellent que la nécessaire alliance de partis politiques nationaux dans des groupes parlementaires européens peut contribuer à miner la cohésion idéologique et programmatique des groupes européens. Ceci se traduit par une difficulté des groupes à définir des lignes de positionnements politiques, des programmes ou des manifestes électoraux cohérents (Delwit, 2003, 113-115). Toutefois, Jean-Michel De Waele analyse cette idée en démontrant que, sur les votes, la cohésion des groupes au Parlement européen est plus importante qu’on peut le penser (1999, 131-145).

Outre d’importants pouvoirs au sein du Parlement européen, la composition des groupes politiques européens est encadrée par l’article 29 du règlement intérieur du Parlement européen qui stipule que :

« 1. Les députés peuvent s’organiser en groupes par affinité politique. Il n’est pas nécessaire normalement que le Parlement évalue les affinités politiques des membres d’un groupe. En formant un groupe en application du présent article, les députés concernés reconnaissent, par définition, qu’ils partagent des affinités politiques. C’est uniquement lorsque les députés concernés nient partager des affinités politiques qu’il est nécessaire que le Parlement apprécie si le groupe a été constitué en conformité avec le règlement . 2. Tout groupe politique est composé de députés élus dans au moins un cinquième des États membres. Le nombre minimum de députés nécessaires pour constituer un groupe politique est fixé à dix-neuf. 3. Un député ne peut appartenir qu’à un seul groupe politique. 4. La constitution d’un groupe politique doit être déclarée au Président. Cette déclaration doit indiquer la dénomination du groupe, le nom de ses membres et la composition de son bureau. 5. La déclaration de constitution d’un groupe politique est publiée au Journal officiel de l’Union européenne »[en italique dans le texte].

Le premier alinéa de cet article a marqué la fin des groupes techniques et sanctionne l’épilogue de l’affaire du groupe technique des députés indépendants (TDI) 143 . Ainsi,

143 En résumé, il s’agit d’un groupe regroupant des personnalités n’ayant pas d’affinité politique (de Emma Bonino à Jean-Marie Le Pen), mais voulant avoir une vie parlementaire reconnue, d’où le nom de technique. Au-delà de la remise en cause de la prédominance des groupes politiques, cette affaire pose la question des fondements d’un groupe politique. Toutefois, le TPI (CJCE) a décidé le 2 octobre 2002 de rejeter le recours du groupe TDI, qui s’était vu dissous par décision du Parlement. La Cour a

180 Partis politiques européens et agrégation des demandes le groupe Arc-en-Ciel, le groupe de coordination technique et de défense des groupes et des parlementaires indépendants (CDI) et le groupe TDI sont définitivement de l’histoire ancienne. Toutefois, les groupes politiques existant ne sont pas exempts de possibles reproches comme l’alliance entre les démocrates-chrétiens et les conservateurs (PPE-DE) pour constituer le plus grand groupe du parlement, ainsi que l’alliance entre les Verts et les régionalistes afin d’être un groupe de taille moyenne sur la scène européenne 144 .

Tableau 5.1. Évolution des groupes politiques européens et par famille/alliance politique

1979- 1984- 1989- 1994- 1999- 2004 12.6.07 17.11.07 1984 1989 1994 1999 2004 PPE 107 110 121 157 PPE-DE 233 264 278 278 FE 27 DE 64 50 34 PSE 113 130 180 198 180 200 217 218 L 40 31 ELDR 49 43 50 ADLE 90 103 104 V 30 23 V/ALE 48 42 42 42 COM 44 41 GUE 28 28 CG 14 GUE/NGL 42 41 41 41 EDN 19 RDE 29 20 26 UEN 21 30 44 44 DEP 22 DR 16 17 ITS 145 23 0 ARE 19 ARC 20 13 CDI 11 TDI 20 EDD 16 IND/DEM 33 24 24 NI 9 7 12 27 16 32 13 34 Total 410 434 518 567 626 732 785 785 Source : Raunio, 2005, 34 et www.europarl.eu.int/members/expert.do?language=FR

L’évolution des groupes politiques au Parlement européen est marquée par des alliances pour devenir plus fort (PPE-DE ; Verts et régionalistes) ainsi que par de nombreux changements de groupes au gré des alliances entre les délégations argumenté par le fait que la condition relative aux affinités politiques pour la constitution des groupes politiques est une condition impérative (Affaires jointes T222/99, T327/99 et T329/99). Entre temps, le Parlement a voté le 12 juin 2002 le rapport de Richard Corbett (A5-0252/2000), qui comporte notamment la modification de l’article 29.1 sur les affinités politiques. De plus, dans le cadre de ce vote, de nouveaux droits ont été octroyés aux députés non-inscrits. 144 D’une certaine manière, la règle d’Hondt appliquée au Parlement européen est une réelle motivation pour les petites formations à trouver des accords de législature afin d’obtenir des présidences ou vice- présidences de commissions. 145 Ce groupe politique aura eu une durée de vie assez courte entre le 15 janvier 2007 et le 14 novembre 2007. En effet, le départ de cinq députés de ce groupe a condamné son existence en raison de l’article 29, paragraphe 2 du règlement intérieur qui fixe le nombre minimal à 20 députés.

181 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen nationales. Le tableau 5.1 montre la continuité idéologique des groupes, mais également les croissances de certains. En raison de l’ouverture des démocrates- chrétiens aux conservateurs, nous plaçons le groupe PPE-DE dans cette continuité, même si, idéologiquement, les différences sont très présentes et qu’une autonomie de fait existe pour le sous-groupe DE.

Ainsi, il convient de rappeler quelques singularités organisationnelles des regroupements. L’extrême hétérogénéité du groupe GUE/NGL pose en terme de composition de nombreuses confusions. En effet, dans le même groupe, nous retrouvons « des partis communistes (PCF, PCP, KKE), des partis anciennement communistes à la gauche de la social-démocratie (parti de la gauche suédoise, Alliance de gauche finlandaise, parti du socialisme démocratique allemand, Coalition de gauche grecque), des partis d’extrême gauche d’origine trotskiste ou maoïste (Lutte ouvrière, Lutte communiste révolutionnaire, parti socialiste des Pays-Bas) » (Delwit, 2003, 115-116). Sans compter les apparentements entre des groupes apparemment sans lien, comme les Verts avec les régionalistes, ou l’extension du PPE à l’Union démocratique européenne 146 . L’ouverture du groupe PPE a contribué à une grande perte de cohérence dans un ensemble démocrate-chrétien, avec l’adjonction d’éléments purement conservateurs, en particulier les conservateurs britanniques 147 . Avant la jonction des deux groupes, le PPE était reconnu comme le plus ‘indiscipliné’ des partis au Parlement européen, suivi des libéraux (De Waele, 1999, 136). En se référant à l’exigence de cohérence politique, l’influence des conservateurs ne peut que contribuer à créer des incohérences au sein du plus grand groupe au Parlement européen.

Indéniablement, cet aspect renforce la place du deuxième groupe le plus important, le PSE, qui connaît une plus grande cohérence idéologique. Entre les deux plus grands groupes du Parlement, les éléments de différenciation formelle sont, d’une part, la présence globale du PPE-DE dans tous les États membres, alors que le PSE n’a pas de représentants de Lettonie et de Chypre, et d’autre part par la mesure de l’hétérogénéité, qui révèle la présence de quarante-deux délégations nationales au sein du PPE-DE contre vingt-sept pour le PSE (Van Hecke et Alberti, 2005, 277). Troisième en importance, l’ADLE 148 est un nouveau groupe qui représente deux partis européens, l’ancien ELDR et le nouveau PDE. En terme de cohérence, il faut relever le transfuge du PDE, notamment l’UDF française, membre jusqu’alors du PPE-DE et passant à l’ADLE. Ce passage offre une plus grande cohérence pour des partis qui comme l’UDF ont bataillé sur la scène nationale pour se différencier de l’UMP tout en se fondant après les élections dans le même groupe européen. Après la cinquième législature, le groupe des libéraux a pris une importance en s’alliant avec le PPE. Toutefois, la sixième législature est marquée par un retour à l’équilibre PPE/PSE. Dès lors, quelle sera la place de l’ADLE sur l’échiquier européen, plutôt droite ou plutôt gauche ? Le rôle de balancier que peut avoir ce groupe permet d’envisager des

146 Les conservateurs représentant le –DE adjoint au groupe PPE sont les conservateurs britanniques, les Unionistes de l’Ulster, le parti populaire portugais, le parti des pensionnés italien et l’ODS de la République tchèque. 147 L’accord PPE et DE pourrait être modifié à la suite de l’élection de 2009. En effet, David Cameron, chef des conservateurs britanniques, a annoncé après cette date la création d’un nouveau groupe parlementaire européen ‘Mouvement pour la réforme européenne’ composé des conservateurs anglais et des élus de l’ODS (parti civique démocratique tchèque). 148 Pour comprendre les rouages qui ont poussé la création de ce groupe, lire l’étude de Van Hecke et Alberti, 2005, 286-292.

182 Partis politiques européens et agrégation des demandes rapports de majorité et de minorité en fonction des thématiques ou des personnes à élire.

Du côté des groupes eurosceptiques, nous trouvons maintenant trois groupes. Le principal depuis décembre 2006 est le groupe UEN avec 44 députés. Il est devenu le quatrième groupe du Parlement. Le groupe UEN a profité du ralliement de dix députés du groupe IND/DEM. Politiquement, il s’agit d’une composition essentielle souverainiste et nationaliste de droite. Le groupe IND/DEM s’est considérablement affaibli depuis décembre. Il détient à peine plus de députés que le récent groupe d’extrême droite ITS, crée le 15 janvier 2007 et dissous le 14 novembre 2007. Au sein des non-inscrits, on compte surtout des formations très minoritaires ou des députés en désaccord avec la ligne de leur groupe parlementaire. À l’instar de Delwit (2003, 116- 117), nous devons aussi relever la participation au sein du même groupe européen de partis nationaux qui s’opposent dans leur pays en raison d’accord de gouvernement. Ainsi, il faut considérer l’influence sur la structuration des groupes des élections nationales ou des changements d’alliance, d’autant plus que l’élection européenne est qualifiée de second ordre. Ce dernier élément amène des incertitudes sur la continuité du travail chez les députés, même si, comme nous l’avons vu précédemment, les députés européens ont tendance à considérer leur travail de manière plus importante. Dès lors, la composition des groupes ramène sur le devant de la scène la difficile compréhension entre le public et les élus. Le manque de clarté à la suite des élections et la combinaison de partis concurrents ne permettent pas de comprendre les enjeux de façon claire.

La structuration des groupes parlementaires au sein du Parlement européen est intéressante du point de vue de l’obtention de la majorité. Actuellement aucun groupe parlementaire n’a la majorité absolue de 393. Si l’on regarde les voix par blocs, on observe la droite classique à 277 et la gauche unie à 301. Dès lors, le rôle de l’ADLE, forte de ces 106 voix, peut devenir primordial en terme de balancier. En cas d’opposition gauche-droite, on s’aperçoit également que le groupe PPE doit, pour obtenir la majorité absolue, composer avec les groupes souverainistes (87 voix). Ainsi, malgré la domination écrasante des deux groupes principaux (495 voix), le jeu des majorités peut se modifier au gré des sujets et des alliances, s’il existe un désaccord entre eux.

Le poids politique des délégations nationales au sein de chaque groupe est un élément important du pouvoir et de l’organisation du Parlement. Ainsi, les allemands dominent le PPE-DE en détenant près de 18% des sièges. Au PSE ce sont les français qui occupent 14% des sièges. À noter, par ailleurs, que pendant longtemps, les français se sont dispersés dans de nombreux groupes et n’ont pu imposer véritablement leur délégation nationale. Enfin, nous pouvons encore relever la dominance germanique chez les Verts (31%), italienne (12 élus) et britannique (12 élus), voire français (11 élus) dans l’ADLE (33%), ainsi que italo-allemande (7 élus chacun) et belge (6 élus) à la GUE/NGL (50%). Au sein de l’UEN, la délégation dominante est la polonaise (45%), suivie de l’italienne (30%). Ces dominations nationales sont importantes dans les différentes répartitions des postes du Parlement européen. Mais, il est aussi important d’être en nombre dans les deux groupes les plus importants du Parlement, soit le PPE-DE et le PSE, qui représentent, au total, 65% des sièges. Au risque d’être sinon marginalisée, la délégation nationale se doit en effet d’être bien représentée au sein des deux grands groupes. Ceci est d’autant plus important pour les grands États

183 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen de l’Union. Par contraste, une petite délégation nationale comme Malte (5 députés) aura plus de peine à se faire entendre bien que se répartissant à 100% dans les deux grands groupes du Parlement. Van Hecke et Alberti constatent pour cette raison que l’élargissement contribue à renforcer les grands groupes, car plus de 75% des élus ont rejoint ces formations (2005, 284). La tableau 5.2. montre la place prépondérante des délégations nationales dans ces deux groupes.

Tableau 5.2. Nombre d’États par tranche au sein du PPE-DE et du PSE

Part d’élus États membres 30 à 50% Danemark, Irlande, Lettonie, Lituanie, Pologne Belgique, France, Italie, Chypre, Pays-Bas, Finlande, Suède, Grande- 50 à 65% Bretagne, Bulgarie, Roumanie Tchéquie, Allemagne, Estonie, Grèce, Luxembourg, Autriche, Slovénie, 65 à 80% Slovaquie Plus du 80% Espagne, Hongrie, Malte, Portugal Source : http://www.europarl.eu.int/members/expert.do?language=FR

Toutefois, lors de la législature 1999, on a vu trois éléments nouveaux : la croissance des petits groupes, la majorité du PPE avec son alliance DE, ainsi que l’alliance PPE- DE avec l’ELDR au dépens du PSE. L’émergence des petits groupes et surtout la recomposition de la majorité de droite avec l’ELDR a conduit les observateurs du Parlement européen à remarquer une première déstabilisation du consensus droite- gauche jusqu’alors omniprésent. Comme le remarquent de nombreux auteurs, l’accord PPE et ELDR aurait aussi pu faire réfléchir le PSE à créer une coalition de centre gauche avec les Verts et la GUE, voire avec l’ELDR, pour obtenir la majorité absolue.

Cependant, les élections de 2004 n’ont pas continué dans cette logique ‘politisante’ du Parlement, en retrouvant l’accord PSE-PPE majoritaire. L’émergence des petits groupes s’est stabilisée à l’exception de la croissance continue du groupe ADLE, ex- ELDR. Ainsi, comme le percevait Lord (2000, 330), la remise en question de l’accord PPE-PSE en 1999 aura pour conséquence de restructurer la relation entre les deux grands groupes. En effet, le rôle de balancier au centre de l’ELDR/ADLE est un nouvel élément de négociation pour trouver le consensus. Dès lors, il est probable que les futurs majorités se fassent principalement à trois. Cette analyse n’est pas très surprenante au regard des votes depuis 1994, qui dénotent plutôt d’une large majorité sur une grande partie des votes. Dans près de 80% des cas, les deux grands groupes et les libéraux ont voté ensemble ce qui laisse 20% d’opposition (De Waele, 1999, 136). Il faudrait pour être exact pouvoir aussi identifier parmi ces votes contraires ceux qui peuvent susciter un débat gauche-droite.

Pour conclure, Christopher Lord (2000, 323-324) relève cinq traits caractéristiques quant à l’organisation des partis au cours des législatures de 1979-1999. Le premier rappelle que les familles politiques se sont rassemblées naturellement au sein de groupes parlementaires transnationaux dès le début de l’Assemblée parlementaire, et ceci afin de démarquer les conceptions idéologiques dans la représentation européenne. Deuxièmement, il tempère le premier constat en rappelant que, selon le positionnement dans l’espace politique, les groupes ont connu des évolutions complexes qui démontrent une organisation parfois difficile. Troisièmement, « les coalitions partisanes ont eu tendance à se constituer de façon large et inclusive ». Quatrièmement, la droite chrétienne-démocrate n’a pu être majoritaire que par la

184 Partis politiques européens et agrégation des demandes réconciliation avec le centre-droit conservateur. En effet, le PSE est plus homogène, et a eu jusqu’en 1999 la majorité dans tous les Parlements élus. Si les familles de droite devaient se diviser, la majorité devrait revenir au PSE. Cinquièmement, « le système partisan du Parlement européen s’est resserré et concentré au cours de chaque mandat ».

Il n’en demeure pas moins que l’impossibilité de stabiliser les groupes et de donner une continuation visible de l’action politique par un parti politique européen contribue de manière importante au manque de visibilité et de structuration des demandes dans l’espace politique et public européen. En ce sens, le manque de cohérence et l’impossibilité de gérer la continuité compromet l’idée d’un système de partis politiques européens. Malgré cela, l’émergence récente d’un statut des partis européens s’est fait après le dépassement de nombreuses difficultés.

2.2. La difficile émergence d’un statut du parti politique européen

Avant de discuter des partis, nous devons nous attacher aux conditions présidant à leur existence. De même, l’histoire de la réglementation est intéressante car elle rappelle les principes fondamentaux quant à l’existence des partis politiques européens. Nous évaluerons en premier lieu les questions relatives à leur capacité à agir et à se former. Dans le traité de Maastricht, l’article 138a (futur 191) stipule que « les partis politiques européens sont importants en tant que facteur de l’intégration au sein de l’Union. Ils contribuent à la formation d’une conscience européenne et à l’expression de la volonté politique ». Cet article reste cependant une déclaration d’intérêt pour les partis politiques, en vue d’une union plus politique. En effet, aucun élément de procédure ni date butoir ne sont donnés pour la mise en place des partis. De plus, cet article ne décrit pas quel est l’objectif des partis. Il faudra d’ailleurs attendre le traité de Nice pour obtenir une précision de procédure, par un deuxième alinéa précisant que « le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 251 [codécision], fixe le statut des partis politiques au niveau européen, et notamment les règles relatives à leur financement ».

L’article 191 fait l’objet d’une Déclaration, numéro 11, adjointe au traité de Nice. Elle stipule que « La Conférence rappelle que les dispositions de l’article 191 n’impliquent aucun transfert de compétences à la Communauté européenne et n’affectent pas l’application des règles constitutionnelles nationales pertinentes. Le financement des partis politiques au niveau européen par le budget des Communautés européennes ne peut être utilisé pour le financement direct ou indirect des partis politiques au niveau national. Les dispositions sur le financement des partis politiques s’appliquent, sur une même base, à toutes les forces politiques représentées au Parlement européen ».

Dans l’intervalle, différentes initiatives virent le jour pour concrétiser le statut des partis politiques européens. La plus connue est le rapport Tsatsos (A4-342/96) fait à l’initiative de la commission institutionnelle du Parlement européen. L’objectif du rapport est d’insérer la discussion sur les partis politiques dans le cadre de la CIG 96 afin qu’un règlement-cadre sur le statut juridique des partis politique européens, ainsi qu’un règlement sur la situation financière des partis politiques européens voient le jour. Le rapport conduit une réflexion d’ensemble sur les conditions d’existence des

185 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen partis politiques et les exigences qu’ils doivent satisfaire. Ainsi, Tsatsos énumère que pour devenir statutairement un parti politique européen, il faut que le parti :

- s’exprime essentiellement sur des thèmes de politique européenne et de politique internationale, - soit représenté au Parlement européen ou aspire à l’être, - soit plus qu’une simple organisation de campagne électorale, - soit représenté dans au moins un tiers des États membres, - soit doté d’une Charte et d’un programme politique de base, - respecte les principes fondamentaux de droit constitutionnel inscrits dans le traité sur l’Union, - s’ouvre à l’adhésion individuelle.

Les conditions énumérées rappellent trois principes de base qui deviendront présents avec le dispositif différent que prévoient les projets de statut de parti européen. Il s’agit du transnationalisme, du respect des principes fondamentaux et de la participation politique aux élections. Le premier est important au sens de la portée prévue d’une européanisation des partis politiques. L’implication de ces derniers dans plusieurs États européens représente un pas important vers un processus de programme commun. Le deuxième principe rappelle l’importance du respect aux droits et devoirs attachés aux droits fondamentaux reconnus par l’Union et les États membres. Finalement, un parti européen est obligatoirement un parti participant au scrutin européen. En effet, cela n’aurait pas de sens de redistribuer des fonds publics dans le but de l’émergence d’un espace politique européen si ce n’est pas pour y être présent.

De plus, le rôle prépondérant des partis politiques est perçu par le rapporteur comme essentiel pour rendre plus crédible et plus proche les institutions européennes et contribuerait à surmonter la crise actuelle des partis nationaux. Le rapport rappelle également la différence substantielle qui doit exister entre le parti et le groupe : le premier est une machine électorale et une école du débat politique, le second agit dans le Parlement. C’est la première fonction qui est importante si l’on souhaite inscrire le débat de manière durable dans l’espace public européen. Pour la bonne réalisation du rôle des partis politiques européens, il est essentiel que le parti ait le contrôle de liste des candidats à soumettre au vote populaire.

Cette proposition du Parlement ne fut pas suivie par la CIG96 et aucune modification ne fut apportée à l’article 138a sur les partis politiques. Le Parlement inséra dans son rapport à la CIG 2000 des propositions de modification de l’article 191. Dans le rapport Dimitrakopoulos et Leinen (A5-0086/2000), il est ajouté à l’article 191 une procédure en vue de l’adoption du statut et des règles de financement. Cette proposition sera intégrée dans le futur traité de Nice. Il est intéressant de relever que le Parlement proposait un autre alinéa avec une procédure de sanction pour les partis ne respectant pas les principes fondamentaux. Elle se concrétisait par une suspension des versements. Cette dernière devait être décidée par la Cour de Justice des Communautés sur demande de la Commission après avis du Parlement et du Conseil.

La Commission prit l’initiative en proposant un règlement d’application en 2001 (COM (2000) 898). Son règlement se base sur deux critères d’éligibilité au statut de parti politique européen, soit le critère démocratique et le critère de participation. Le

186 Partis politiques européens et agrégation des demandes premier est un principe général qui recouvre le respect des principes fondamentaux, alors que le deuxième correspond à une participation électorale au niveau européen en établissant un lien formel entre la nécessité d’être présent dans un groupe politique au Parlement européen et être un parti européen. Cela revient au fait qu’en cas de défaite électorale, un parti européen non représenté dans un groupe politique parlementaire ne sera pas reconnu comme éligible au statut. Cet élément était plus nuancé dans le rapport Tsatsos qui nommait tous ceux qui entrent dans la compétition électorale. À ces critères s’ajoutent deux critères pour l’éligibilité au financement et encore deux critères de répartition. Le plus intéressant est le critère de représentativité qui donne comme condition pour le financement : avoir des élus, au niveau européen, national ou régional, dans au moins cinq États membres ou avoir reçu au moins 5% des votes dans cinq États membres lors des dernières élections au Parlement européen (article 3, COM (2000) 898 ; article 4, COM (2001) 343).

Finalement, le critère d’égalité des chances se répercute dans le financement, en octroyant 15% à part égale entre les partis éligibles et 85% remis proportionnellement au nombre d’élus. Toutefois, ce règlement n’aboutira pas. Le témoignage de cette réglementation et de la discussion se situe en grande partie dans le rapport Schleicher (A5-0167/2001). La proposition de la Commission était antérieure à l’entrée en vigueur des modifications de Nice. Par conséquent, la procédure d’adoption du statut était encore soumise à la procédure de consultation. C’est donc au Conseil que la situation fut enterrée en raison de divergences de vue – alors que l’unanimité était requise sous les règles de Maastricht – toujours présentes sur le règlement, notamment sur la répartition financière et le nombre d’États membres où le parti doit être présent pour être considéré comme européen. Ainsi, en l’absence d’un statut, les partis politiques européens ne peuvent bénéficier d’un financement, ni obtenir des garanties des droits dans les États membres. D’où une différence majeure, les groupes existant dans un cadre juridique fixé et les partis ne reposant sur aucune règle de droit (Dorget, 2001, 67).

Finalement, le statut aboutira en 2003 comme Règlement 2004/2003 CE sur les bases de l’article 191 de Nice – impliquant donc les principes de majorité qualifiée et de codécision – qui définit le parti politique européen comme :

- ayant la personnalité juridique dans l’État membre où il a son siège, - étant représenté dans au moins un quart des États membres par des élus ou ayant obtenu dans au moins un quart des États membres au moins 3% des votes exprimés, - devant respecter les principes fondamentaux dans son programme, - devant participer aux élections européennes ou en avoir l’intention.

Le règlement stipule également qu’un parti politique au niveau européen peut, vu la pratique, s’organiser autour de citoyens rassemblés sous la forme d’un parti politique ou de partis politiques qui forment une alliance entre eux (fédération de partis). La demande de financement se fait alors sur la base du dépôt d’un programme politique et de statuts auprès du Parlement européen. Sur demande d’un quart des députés représentant au moins trois groupes politiques, le Parlement doit vérifier le respect des principes fondamentaux des demandes. Cette procédure aboutit à une décision à la majorité des membres, basée sur une audition du parti visé et sur un rapport d’un comité de personnalités indépendantes. Ce dernier est composé de trois personnes

187 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen désignées par le Parlement (une personne), le Conseil (une personne), et la Commission (une personne).

Le contrôle de la condition du respect des droits fondamentaux appelle une remarque. Il est en effet intéressant de voir que ce sont les groupes politiques qui vont juger d’un parti européen. La solution préconisée par Tsatsos de la Cour arbitrale entre les partis semblait plus proportionnée. Dès lors, ce sont les groupes qui détiennent le dernier mot en termes d’acceptation et de financement des partis politiques européens.

En vertu de la Déclaration 11 au Traité de Nice, le financement est octroyé uniquement aux partis politiques européens et ne représente pas un mode de subvention des partis nationaux. Le financement des partis nationaux membres d’un parti politique européen ne doit pas dépasser les 40%. Dès lors, il doit trouver des moyens d’existence propres, en grande partie provenant du budget communautaire (au maximum 75% du budget total). La répartition entre les partis reprend la proposition de la Commission de 2001 avec 15% répartis également entre les partis et 85% en fonction du nombre de députés.

Tableau 5.3. Parti européen et groupe parlementaire

Parti européen Année de fondation Groupe au Parlement européen Parti populaire européen 1976 Groupe du parti populaire européen (démocrate-chrétiens) et des Démocrates européens Parti socialiste européen 1992 149 Groupe parlementaire du parti socialiste européen Parti européen des Libéraux, 2004 150 Groupe Alliance des Démocrates et Démocrates et Réformateurs des Libéraux pour l’Europe Parti démocrate européen 2004 Groupe Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe Parti Vert européen 2004 151 Groupe des Verts/Alliance Libre Européenne Parti Démocratique des 1995 Groupe des Verts/Alliance Libre Peuples d’Europe - Alliance Européenne Libre européenne Parti de la Gauche 2004 Groupe confédéral de la Gauche européenne unitaire européenne/ Gauche verte nordique Alliance pour l’Europe des 2004 Union pour l’Europe des Nations Nations Alliance des démocrates 2005 Indépendance et Démocratie indépendants en Europe EUDemocrats 2005 Indépendance et Démocratie Euro-nat 2005 Identité-Tradition-Souveraineté 152 Source : sites des groupes parlementaires au Parlement européen.

149 Succède à la Confédération des partis socialistes de la Communauté européenne fondée en 1974. 150 C’est la date de l’adoption de la terminologie de parti suite au Règlement 2004/2003 de la Communauté européenne. La Fédération des Partis Libéraux et Démocrates de la Communauté européenne existe depuis 1976. 151 Succède à la Fédération européenne des partis verts créée en 1993. 152 Ce groupe a été dissous en novembre 2007.

188 Partis politiques européens et agrégation des demandes

Suite à la promulgation du statut, quelques partis ont émergé ou ont revu leur structure interne afin de répondre aux nouvelles normes. Ainsi, nous retrouvons trois partis historiques de la construction européenne, le PPE, le PSE et le PPDE. Dès la mise en œuvre du nouveau statut, il faut relever que quatre nouvelles structures en ont profité, soit les Verts (de fédération à parti), l’ELDR (de fédération à parti) et de deux nouveaux partis, le PDE et la Gauche européenne. Ces trois derniers se réclament ouvertement partis politiques européens en vertu du nouveau règlement. L’UEN a profité du financement et donc obtenu le statut de parti politique européen en tant qu’Alliance pour l’Europe des Nations. L’année 2005 a été marquée par l’arrivée comme parti européen officiellement reconnu de deux partis issus du groupe IND/DEM. Il existe aussi un parti dit d’extrême droite depuis 2005, qui a précédé la création, en janvier 2007, du groupe parlementaire ITS (dissous en novembre 2007).

2.3. Conséquences du statut du parti européen

Loin de clore le débat sur les partis politiques, le fait le plus notable est que le règlement octroie des règles quant au financement des partis. Toutefois, les conséquences sur le débat européen restent mineures. En vertu de l’article 12 du règlement 2004/2003 153 , en 2006, le Parlement européen se saisit d’un rapport d’initiative (A6-0042/2006) élaboré par Jo Leinen (DE, PSE). Outre les aspects budgétaires et financiers des partis politiques, le rapport propose une réflexion autour de quatre points pour le développement politique de l’Union :

- encouragement des fondations politiques européennes afin de compléter le travail d’information et de formation politique des partis politiques européens, - composition des listes européennes des partis politiques européens pour les élections européennes, afin de faire avancer une discussion publique des politiques européennes, - influence des partis politiques européens sur les référendums portant sur des thèmes européens, sur les élections au Parlement européen et sur l’élection du Président de la Commission, - valorisation du rôle des organisations et des mouvements politiques de jeunes européens, instrument indispensable de développement et de formation pour la conscience et l’identité européenne des jeunes générations.

Plusieurs problèmes fondamentaux apparaissent suite à cette proposition. Il convient tout d’abord de revoir l’article 191 TCE, qui définit l’intégration européenne comme une valeur constitutive des partis politiques européens. En effet, comment incorporer comme partis politiques européens les partis eurosceptiques ? Dorget explique que « l’idée d’une loyauté envers l’intégration européenne ne saurait être l’interprétation de cet article car le statut des partis préjugerait du fond, c’est-à-dire de leur réflexion, du contenu de leurs programmes, et donc de l’offre électorale qu’ils proposent » (2001, 76). Dès lors, l’existence de cette condition dans l’article 191 ne contredit-elle pas la liberté d’expression, le débat politique ? En bref, la condition constitutionnelle de soutien à l’intégration européenne ne doit pas être prise dans un sens normatif mais dans un sens déclaratoire. Pour le député conservateur britannique eurosceptique

153 L’article 12 stipule : « Le Parlement européen publie au plus tard le 15 février 2006 un rapport sur l’application du présent règlement ainsi que sur les activités financées. Le rapport indique, le cas échéant, les éventuelles modifications à apporter au système de financement ».

189 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

Roger Helmer (NI), le nouveau règlement des partis européens est un pas vers le fédéralisme et surtout va atteindre à la libre expression des partis eurosceptiques au bénéfice des partis pro-intégration. Concrètement, il considère qu’il s’agit de distribuer les fonds publics plus ou moins directement aux partis intégrationnistes154 .

Un autre aspect important des règles sur les partis est lié aux conditions d’acquisition et de suspension du statut. Dans le cas de l’acquisition du statut, le règlement 2004/2003 donne le pouvoir de contrôle pour les demandes de financement au Parlement européen. C’est donc par la demande de financement que le parti se manifeste dans le cadre du statut. Par conséquence, un manquement aux règles de financement est sanctionné par une suspension annoncée par le Parlement. Ce critère financier pose le problème plus général de la reconnaissance des partis politiques européens. On peut se demander si l’admission au statut ne pourrait pas se faire par une voie hors éligibilité financière. Ainsi, une procédure de dépôt de statut et d’annonce dans le JOCE pourraient voir le jour et la demande de financement être faite à part. On peut également reprendre la proposition du rapport Dimitrakopoulos et Leinen (A5-0086/2000) pour une suspension au statut décidée par la Cour de Justice sur demande de la Commission après avis du Parlement et du Conseil. Autre voie envisageable, celle d’un tribunal arbitral pour régler les litiges avec et entre les partis politiques ; cette solution est exposée dans le rapport Tsatsos. En effet, la question de l’autorité compétente pour l’octroi et la suspension du statut et, in fine , du financement est importante pour la crédibilité du système politique. En raison de l’impossible objectivité absolue, certains peuvent douter du contrôle attendu si l’organe en charge est l’institution parlementaire. Comme prévu initialement par les députés, il est probable qu’une solution judiciaire serait plus appropriée. En effet, le Parlement pourrait retarder la reconnaissance de certains partis, notamment parmi les plus eurosceptiques.

Le rôle des partis politiques au regard de l’article 191 pose aussi plusieurs problèmes. Comme le relève Magnette, « la phrase fait écho à l’histoire des formations partisanes en évoquant leur mission intégrative. Mais elle s’en éloigne quand elle assigne aux partis un rôle de conscientisation et d’expression, sans mentionner la fonction de conquête et d’exercice du pouvoir (…) » (2001b, 57). Ainsi, on retrouve un mimétisme politique empreint d’hésitation face à la nouvelle donne qu’est le système politique européen. Toutefois, l’organisation des partis européens passe nécessairement par la reconnaissance de la particularité du système politique européen où ces partis sont appelés à vivre. Trois éléments ressortent principalement quand on

154 Il est intéressant de reproduire le texte du député Helmer (2001, 3) sur cet aspect. En effet, on retrouve une virulence caractéristique des craintes des eurosceptiques sur le nouveau statut des partis européens : « There is a more fundamental reason why this whole proposal is a gross, biased and anti- democratic attempt to direct funds to parties supporting integration and away from Euro-critical parties. Federalist parties want pan-European institutions, and see Euro-parties as a natural part of the structure of the future European polity. For equally obvious reasons, Euro-critical parties see the focus of democratic accountability as the nation-state, and are therefore deeply reluctant to form trans- national parties. Thus, de facto if not de jure, virtually all of this new funding will go directly to promote integration. And it may even tend to force reluctant national parties into uncomfortable international liaisons. Clearly, therefore, the proposal is inimical to the Conservative party, and any Tory worth his salt could be expected to fight it tooth and nail. Curious, therefore, to note that one or two voices in the Party fought hard to have the MEP group abstain on Schleicher. Their reasoning was that if we voted against, it might prejudice our right to future funding (even through we are not part of any trans-national party and are thus disqualified to start with). […] The fact is that the law is the same for all, whether we voted against it or not ».

190 Partis politiques européens et agrégation des demandes

évoque le système politique européen : faible intégration politique, fonctionnalisme, anonymat (Magnette, 2001b, 59-63). Le premier – la faible intégration politique – découle d’un mode de gouvernance décentralisée où différentes institutions avec des légitimités différentes s’affrontent. Ainsi, le pouvoir important des gouvernements nationaux au sein du Conseil et du Conseil européen ne presse pas les partis nationaux à s’unir au-delà d’une coordination politique. Dès lors, les partis européens sont des partis indirects 155 . Le deuxième point – le fonctionnalisme – est relatif à l’impossibilité de faire un programme politique global attendu que les compétences dépendent de fonctions données par les gouvernements souvent octroyées de manière consensuelle. Ainsi, la dépolitisation joue un rôle important dans la faiblesse des partis politiques européens. Troisièmement, les partis politiques ne peuvent s’identifier pleinement ni au Parlement ni au gouvernement au niveau européen. Le système électoral n’est ainsi que partiel pour la conquête du pouvoir. En quelque sorte, le débat européen se passe dans une relative discrétion.

Finalement, le problème-clé est actuellement le manque de capacité de décision des partis politiques européens, qui sont pris dans une logique nationale. Dans le règlement 2004/2003, le statut décrit le régime juridique par une reconnaissance d’un régime national où le parti a son siège. Cette règle est révélatrice de l’impossibilité de créer un mode de reconnaissance proprement européen pour un parti politique européen. Dès lors, la dépendance aux partis nationaux semble totale. Le choix des listes, les programmes et les campagnes électorales s’organisent au niveau national et obligent les partis européens à une certaine dépendance. Ce manque de pouvoir et de visibilité a été clairement perçu dans le dernier rapport Leinen, qui propose un groupe de travail autour de la question de l’émergence d’une identité partisane européenne sur la scène du débat public – notamment sur les référendums, sur certains débats, voire pour la composition des listes électorales.

En conclusion, ce lien de dépendance, ainsi que l’impossibilité de créer des partis fédératifs impliquent pour la conceptualisation du système politique européen la nécessité d’envisager plusieurs voies. Nous proposons dans cette perspective trois pistes de réflexion : la fédération de partis nationaux, un système mixte de partis nationaux et européens, et un système européen mixte de partis nationaux et société civile européenne.

155 On entend par indirect le fait qu’« ils ne recrutent, ni ne forment, ni ne mobilisent les adhérents » (Magnette, 2001, 60).

191 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

3. Les options pour les partis politiques européens

3.1. Des fédérations de partis

Le règlement 2004/2003 a changé le paysage européen dans la mesure où plus de partis européens ont vu le jour en s’inscrivant dans des logiques parlementaires au sein des groupes. Toutefois, le règlement stipule clairement que les partis européens peuvent être soit des regroupements de citoyens, soit une alliance entre des partis nationaux. C’est cette dernière situation qui s’est imposée naturellement en raison de la pratique des fédérations de partis européens. Ainsi, les changements n’ont pas été d’importance majeure, si ce n’est une modification de la nomenclature de fédérations à partis et un début de clarification du lien entre parti et groupe parlementaire (cf. tableau 5.3). Toutefois, les alliances entre des partis s’étant affrontés sur la scène nationale présentent des problèmes de lisibilité du jeu politique. Ceci est d’autant plus important que, théoriquement, le système de partis dans l’arène parlementaire doit refléter le système de partis dans l’arène électorale (Andeweg, 1995, 60). Dès lors, ce lien manquant contribue, d’une part, à évaluer les élections européennes dans un contexte national, et, d’autre part, à voiler les enjeux partisans. En d’autres termes, les fédérations européennes de partis manquent d’authenticité en tant qu’associations politiques dédiées à la médiatisation des intérêts et à la conquête du pouvoir.

L’influence du nouveau règlement sur les partis politiques européens est visible sur l’usage de l’appellation formelle de parti. Par contre, sur le fond (organisation, programme obligatoire, choix des candidats), on constate peu de changements. Premièrement, les fédérations européennes sont mises en place par des partis politiques nationaux. C’est en effet des accords entre eux qui forment et fondent les fédérations. Ainsi, il s’agit d’utiliser des ressources existantes et non de mettre en place un nouveau système de partis. Deuxièmement, l’utilisation du vocable ‘parti’ par les fédérations européennes a gagné onze formations européennes, le PPE (1976), le PSE (1992, fédération depuis 1974), l’ELDR (2004, fédération depuis 1976), le PDPE-ALE (1993), le Parti Vert européen (2004/fédération depuis 1993), le PDE (2004), Gauche européenne (2004), l’Alliance pour l’Europe des Nations (2004) et en 2005, Euro-nat, EUDemocrats et l’Alliance des démocrates indépendants en Europe. Toutefois, malgré le changement de vocable, il s’agit dans la plupart des cas de fédérations de partis qui utilisent le statut à des fins de financement des campagnes européennes. Le travail de suivi entre les élections n’a pas beaucoup changé. Le nouveau règlement oblige les formations européennes à disposer d’un programme politique et de statuts. Cette norme peut pousser les partis européens à s’imposer face aux partis nationaux dans le cadre des élections européennes. Néanmoins, l’usage du programme électoral commun par les partis nationaux n’est pas obligatoire.

En termes organisationnels, la structuration des fédérations de partis s’appuie sur un Congrès, des Conseils, un Bureau et la réunion des leaders (Delwit et al. , 2001, 13). Les premiers instruments sont connus dans le fonctionnement des partis. La dernière instance est sûrement la plus intéressante au niveau européen. En effet, la réunion a souvent lieu peu avant un Conseil européen et réunit les personnalités influentes des grandes familles de partis. De plus, vu leur poids institutionnel dans la vie politique européenne et nationale, c’est surtout les réunions des leaders du PSE et du PPE qui retiennent l’attention.

192 Partis politiques européens et agrégation des demandes

Sur l’implication des partis dans la vie de l’Union, Christopher Lord souligne sept points importants. Premièrement, les partis agissent dans les nominations au sein des différentes institutions, notamment pour les positions de hauts fonctionnaires. Deuxièmement, une grande partie des partis nationaux et des groupes présents au Parlement européen se retrouvent au sein d’une fédération européenne unique. Troisièmement, le spectre politique est complet dans le système de partis parlementaires européens. Quatrièmement, les fédérations par les partis nationaux permettent des liens horizontaux dans le cadre inter-institutionnel. Cinquièmement, les partis nationaux d’opposition sont très présents voir majoritaires dans l’Assemblée européenne, d’où un découplage naturel entre la logique nationale et la logique européenne. Sixièmement, on retrouve une certaine autonomie des fédérations face aux partis nationaux sur des questions programmatiques. Septièmement, les fédérations représentent des contraintes d’action pour les partis nationaux (Lord, 2001, 41-45).

La position positive, voire optimiste, de Christopher Lord ramène le débat dans sa juste proportion. En effet, le parti européen n’est pas inactif. Même plus, il serait plutôt en développement, et il est un peu tôt pour juger de son action. Toutefois, la place des partis européens est encore faible face aux partis nationaux notamment lors de l’échéance électorale, moment de rencontre entre la société et le corps politique. Dans ces conditions, on peut constater que les aspects positifs dans l’action des partis européens ne peuvent contrebalancer les faibles taux de participation aux élections européennes. Dès lors, est-ce que le vocable de parti se suffit-il à lui-même ? L’histoire des partis politiques est riche et nous allons reprendre la grille d’analyse de Pascal Delwit (2003, 102-106), elle-même découlant en partie de Seiler (1986). À des fins d’analyse, nous utiliserons quatre fonctions des partis : la fonction de gouvernement ; la fonction de médiation ; la fonction programmatique ; la fonction de socialisation. Ces fonctions sont à la base même de la recherche d’agrégation des demandes ainsi que de la légitimité politique.

La fonction de gouvernement est actuellement indépendante des fédérations européennes. En effet, les tâches exécutives sont actuellement l’apanage des gouvernements nationaux, soit au sein du Conseil, soit par les nominations des commissaires. Par conséquent, le contrôle reste au main des partis nationaux. Une des réformes proposées est l’élection du président de la Commission par le Parlement européen qui peut contribuer à développer un intérêt pour les partis européens dans une fonction de gouvernement. Ainsi, cette évolution pourrait voir les fédérations européennes proposer des listes nominales trans-nationales. En ce sens, nous pouvons relever que les partis européens prennent corps lors des sommets des leaders de chaque fédération avant les Conseils européens. Bien que cela ne soit pas une fonction de gouvernement, c’est indubitablement un signe de la présence des partis européens.

La fonction de médiation est actuellement une des faiblesses majeures des fédérations de partis. Cette fonction est d’autant plus limitée que l’on constate une inexistence formelle d’un lien entre le vote pour un parti et la composition des groupes au sein du Parlement. En effet, « in terms of representation it would be less problematic if voters would know in advance of which transnational group the party of their choice would become a member » (Andeweg, 1995, 62). Cette part d’incertitude a toutefois tendance à se réduire avec l’émergence des structures partisanes au niveau européen. Il n’en demeure pas moins que les modifications dans la composition des groupes en

193 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen cours de législature ne contribuent pas à la bonne lisibilité de l’action parlementaire. De plus, la fonction de médiation est aussi relative à l’agrégation des demandes que nous avons pu voir comme imparfaite pour traduire les desiderata des populations dans le système politique européen.

La fonction programmatique reste très contestée. En effet, la dépendance importante des fédérations européennes à l’égard des entités nationales, alors que ces dernières demeurent indépendantes, sont des éléments aggravants pour la mise en place d’un programme commun au niveau européen. Ainsi, nous pouvons trouver une très grande liberté pour les partis nationaux qui composent leur ligne programmatique en tenant plus ou moins compte des lignes de leur fédération. Au-delà de l’élaboration d’un programme, même la composition des listes électorales n’est pas une compétence des fédérations de partis (Andeweg, 1995, 61). Ainsi, la dépendance à l’égard du parti national est extrême et contribue à affaiblir les fédérations de partis.

Enfin, la fonction de socialisation reste très faible. Ceci est une conséquence de la faible médiation des partis. Toutefois, cette fonction est importante au sens qu’elle est exprimée dans le traité constitutionnel comme l’une des contributions positives des partis. Actuellement, nous ne pouvons pourtant parler que d’une contribution potentielle (voir Delwit, 2003, 105). À l’avenir, elle dépendra en large partie de l’implantation d’officines des partis européens au plus proche de la population et de leur intervention dans l’espace publique.

Partant de cet état des lieux, nous devons explorer d’autres pistes de réflexion pour le développement des partis en Europe. D’autant plus que « le parlementarisme européen est spécifique et ne peut que difficilement être rapporté au parlementarisme classique » (Delwit, 2003, 118). Robert Ladrech (1999) met ainsi en avant trois éléments pour la réussite d’un système partisan au sein de l’UE. Premièrement, il s’agit de développer les réseaux de partis en œuvrant pour une présence permanente (identification). Deuxièmement, la visibilité d’un clivage socio-économique permettrait de simplifier la vision des citoyens de l’Union. Finalement, en terme d’efficacité, la résolution de problèmes locaux donnerait une image positive de Bruxelles. Sur ce dernier point, la coopération des partis nationaux est nécessaire afin de relayer l’information. Toutefois, les enjeux nationaux et le contrôle de l’exécutif passent par une critique de Bruxelles, ce qui complique le développement d’une politique de coopération au sein de réseaux de partis.

En raison du poids des États membres, la limite des partis européens est la logique nationale. Cette limite peut se résumer en trois points :

« Primo , le processus de formation du traité – qui a confirmé les États membres comme les circonscriptions des élections européennes et qui a ainsi soutenu le rôle central des partis nationaux dans la mobilisation électorale – est contrôlé par les chefs de gouvernements qui sont, dans la plupart des cas, des dirigeants de partis nationaux. Secundo , il n’est possible d’influencer et de rejoindre les europartis que de manière indirecte, par l’appartenance à un parti national. Tertio , les pouvoirs que les partis nationaux conservent sur les personnes qui choisissent de faire carrière au sein des fédérations ou des groupes du Parlement européen peuvent être utilisés pour limiter leur volonté d’expérimenter l’européanisation de leur campagne électorale. Dans la majorité des États membres – en particulier dans les situations où les listes sont fermées et où il y a relativement peu de sièges à attribuer – , la discipline est maintenue par une loi de fer d’une très grande simplicité : l’ordre dans lequel les partis

194 Partis politiques européens et agrégation des demandes choisissent de présenter leurs candidats aux élections est le principal critère pour déterminer qui sera vraisemblablement choisi par les électeurs » (Lord, 2001, 53).

Une observation attentive relève que, loin de s’effacer, la place des États est de plus en plus présente. À cet égard, on peut rappeler l’une des analyses du chapitre 3 sur l’intérêt des États à développer le Parlement. En effet, certains auteurs émettent l’hypothèse que par le biais des partis nationaux et délégations nationales au Parlement européen, l’État continue un travail d’influence au sein des institutions. Ainsi, le poids des États membres se caractérise par l’action des partis nationaux au sein des partis européens et dans les institutions européennes 156 . Premièrement, les seuls partis de masse sont les partis nationaux. Deuxièmement le consensus PPE-PSE autour des décisions au Parlement européen ne permet pas de différencier les choix politiques en terme de concurrence entre un bord et l’autre. Dès lors, les orientations du choix politique restent floues et complexes. Troisièmement, il est extrêmement complexe d’analyser la capacité du choix de l’électeur et de savoir « dans quelle mesure un système de partis peut représenter les citoyens dans un système politique via les préférences électorales exprimées dans d’autres sphères » (Lord, 2001, 46).

En résumé, la dépendance extrême entre les partis transnationaux et les partis nationaux apparaît fortement au niveau de tout ce qui caractérise les fonctions des partis. Ce lien se traduit par un choix de liste dépendant de la présence nationale, de la majorité suite à un vote-sanction, d’un manque de visibilité des partis transnationaux et d’un débat national. Pour reprendre les propos de Delwit, la spécificité européenne mériterait d’être mise plus en évidence, et ceci pourrait se faire par une sortie des clivages nationaux. De toute évidence, dans les conditions actuelles, l’agrégation des demandes ne peut se faire que de manière insatisfaisante. La faible influence récurrente des fédérations de partis peut s’expliquer de plusieurs manières, mais relevons l’aspect de la confrontation inter-institutionnelle, ainsi que la mise en valeur des groupes parlementaires par le processus décisionnel. Par ailleurs, le poids politique d’un parti européen se reconnaît aussi dans sa capacité à donner un rôle aux élus dans les gouvernements nationaux. En effet, le parti politique au niveau européen se compose de plusieurs niveaux : Parlement européen et groupe parlementaire, Conseil et partis nationaux, Commission et partis nationaux. C’est l’accord en son sein de ses diverses composantes qui peut faire la force des partis européens, notamment en matière de coordination et programmatique. La faillite de la conquête du pouvoir par les partis européens s’explique institutionnellement par le poids que l’on veut bien leur donner. En effet, si l’élection du Président de la Commission dépendait plus des partis politiques lors de la campagne, et du vote d’un groupe majoritaire clairement défini lors de la session parlementaire, il est probable qu’un développement des partis politiques européens puisse se faire réellement.

156 Lors de la législature 2004-2009, la plus grande délégation nationale, l’Allemagne, a eu plusieurs postes à hautes responsabilités. Les présidents des groupes du PPE et du PSE étaient des allemands de 2004-2006 (le président de groupe du PSE est toujours allemand), et le président du Parlement est actuellement allemand. Certaines craintes ont été exprimées à ce sujet car l’Allemagne étant actuellement gouvernée par une coalition CDU-CSU-SPD, on a vu ici une réproduction de cet accord au niveau européen.

195 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

3.2. Vers un système de partis à deux niveaux

3.2.1. Du parti politique européen « classique »…

Les problèmes des partis politiques européens peuvent être vus sous l’angle de l’organisation au niveau européen d’un système de partis. Cependant, en ne différenciant pas suffisamment les partis européens des partis nationaux, le risque de concurrence entre les systèmes de partis ne peut que s’exacerber au profit des structures nationales historiquement mieux implantées. Par conséquent, un système de partis à deux niveaux a l’avantage d’alimenter un débat politique dépendant de sphères de compétences distinctes, nationale et européenne.

En accord avec le règlement sur le statut et le financement des partis européens, ce scénario prévoit ainsi la superposition des enjeux nationaux et des enjeux européens avec des partis très différents luttant dans leur arène respective. Il s’agirait notamment de voir les partis transnationaux agir sur les clivages européens et non sur les clivages nationaux. Ces derniers, dans cette hypothèse, doivent disposer d’une autonomie suffisante dans le cadre des élections européennes – programme commun obligatoire, composition de la liste, nomination de la Commission. Ainsi, nous trouverons les partis nationaux agissant dans l’arène nationale et les fédérations de partis européens agissant dans l’arène européenne de manière autonome.

La mise en place d’un tel système serait envisageable avec la mise en œuvre d’une réelle loi électorale commune comprenant, notamment, un même jour d’élection dans tous les États membres, et incluant le renforcement des partis européens, notamment, en leur donnant la capacité de nomination des membres de la Commission. Par l’application quasi-analogique du système de partis nationaux, nous en voyons les avantages directs en terme de lisibilité. Toutefois, nous pouvons relever trois éléments négatifs. Le premier consiste en l’approfondissement du pouvoir des partis qui est souvent une marque de critique de la démocratie occidentale. Deuxièmement, bien que la visibilité par des clivages connus semble acquise, la non-prise en compte d’un clivage purement européen transcendant les partis nationaux peut porter préjudice à la mise en place d’un tel système. En effet, le fédéralisme n’est pas une question liée au clivage socio-économique classique. Finalement, nous creusons peut-être le déficit démocratique par le biais d’une autonomie plus grande des fédérations de partis européens. Par analogie, nous avons vu que la montée en puissance du Parlement européen a contribué aux critiques sur la perte de pouvoir des parlements nationaux sans contrepartie. Ainsi, les partis européens pourraient subir les mêmes critiques en marginalisant les états-majors de partis nationaux sur certaines questions.

Nous retrouvons également les critiques faites précédemment au système actuel. En effet, la concurrence avec les partis nationaux est inévitable en raison de la présence de représentants des partis nationaux au sein du Conseil. La place prépondérante du Conseil européen au sein de l’architecture européenne place les premiers ministres, leaders de partis nationaux, dans une position de pouvoir. Ainsi, la différenciation entre les systèmes politiques – nationaux et européen – n’est que difficilement réalisable en raison même de la spécificité organisationnelle de l’Union européenne.

196 Partis politiques européens et agrégation des demandes

3.2.2. … à l’implication des intérêts pluralistes

De manière plus générale, l’interrogation porte sur l’adéquation d’un système de partis reproduisant les contingences nationales – partis politiques classiques, élection – dans un système portant des spécificités propres. En effet, les critiques du système actuel et de l’organisation autour d’un système à deux niveaux interpellent sur la possibilité d’entrevoir un autre type de politique. On peut ainsi rechercher un système à deux niveaux avec un système national inchangé et l’intégration de composantes de la société civile dans la composition des partis politiques européens.

La concurrence inévitable se ferait alors sur d’autres bases, selon la présence dans les diverses structures. En effet, le débat s’organiserait au sein du Parlement autour d’un clivage européen, avec une structure socio-économique de base et des nominations qui seraient l’objet de marchandage entre des représentants de partis classiques et des représentants d’intérêts classiques. Hormis ces considérations, Paul Magnette constate la proximité entre le système politique européen et les acteurs non institutionnels. Il ressort que l’absence de partis conduit à l’investissement dans le système européen par d’autres acteurs, comme les groupes d’intérêts. En effet, la sectorialisation de la politique, l’organisation réticulaire, l’implication des acteurs concernés sont des incitants institutionnels très forts qui, outre leur similarité conduisent à une implication plus forte. À l’opposé, les partis européens n’ont pas d’incitants institutionnels qui leur permettraient d’une part, de s’impliquer davantage et, d’autre part, de modifier les institutions à leur avantage (Magnette, 2001b, 63-64). Un certain statu quo de la situation partisane semble par conséquent s’imposer.

Tableau 5.4. Adéquation entre les systèmes politiques

Partis Système de l’Union Lobbies Citoyens mobilisés Tous/Groupes « Publics-cibles », Minorités actives, sociaux « intérêts concernés » intérêts concernés Définition des Programmation Politiques sectorielles Single-issue politiques générale Types de politiques Redistributives Régulatrices Régulatrices privilégiées Organisation interne Hiérarchique Multi-level, réseau Multi-level, réseau Source : Magnette, 2001b, 64

Bien que des similarités entre le système de l’Union et les lobbies soient évidentes, il faut, à l’instar de Magnette, se garder de croire que les lobbies ou des composantes de la société civile peuvent remplacer les partis politiques. Ainsi, est-ce que les partis politiques européens peuvent s’organiser d’une autre manière ? Le Parlement européen offre une structure adéquate à cette problématique : les intergroupes. Il s’agit d’une structure regroupant des députés issus de commissions et groupes politiques différents autour d’un thème d’intérêt commun. Le fait d’être en-dehors de toute structure partisane permet une certaine liberté et flexibilité aux participants. De plus, le fait que des ONG soient présentes en leur sein autorise un échange avec la société civile moins contraignant que dans les structures officielles.

L’évolution de la société a indéniablement et fortement influencé l’organisation des parlements. Les partis et les idées sont actuellement en perte de vitesse face à des réalités, les plus souvent économiques, qui amoindrissent les clivages idéologiques.

197 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

Par conséquent, les réponses aux problèmes concrets de la population doivent s’appréhender sous un angle différent. Une des possibilités de réponse à la crise d’identification entre le citoyen et le monde politique peut être l’intergroupe. Le lien, courroie de transmission, n’est plus le parti politique, mais le monde associatif venant des horizons les plus divers. Ce remplacement de mode de transmission de la représentation, soit du politique à l’association, apparaît comme une réponse possible aux crises actuelles de la participation et aux sentiments des citoyens face aux hommes politiques.

Tout en délaissant la fonction de gouvernement aux partis nationaux, la fonction de médiation, le fonction de programmation ainsi que la fonction de socialisation seraient renforcées par le fait d’une indépendance structurelle entre les deux systèmes de partis. L’objectif de la conquête du pouvoir se traduirait uniquement dans une recherche de majorité au Parlement basée sur des clivages complexes – européens et socio-économiques – et par une discussion avec les représentants des partis nationaux sur la nomination du Président de la Commission. C’est cette structuration politique qui va être développée dans les chapitres suivants.

3.2.3. Un système de partis mixtes avec de nouveaux clivages

La constitution d’un système de partis purement européen commence par l’identification des clivages démarquant la problématique européenne. Rudy Andeweg (1995, 69) met en avant le clivage ville/campagne et le clivage autour des tenants et opposants à l’intégration européenne. Le premier clivage est issu de la logique où la PAC représente près de 50% du budget communautaire et subit des attaques de la part d’autres visions. Nous constatons que les crises budgétaires récurrentes dans les négociations européennes ont comme arrière-plan la préservation ou la modification des campagnes. Bien que la paysannerie européenne ne représente qu’un taux très faible de la population européenne, l’enjeu budgétaire et social des campagnes est présent dans les discussions européennes. L’autre clivage est calqué sur les luttes du début du fédéralisme américain. L’opposition des partisans et des sceptiques européens est un clivage structurant des débats européens. Nous pouvons ajouter des différenciations entre chacun de ces groupes. Du fédéralisme à l’État-nation, l’ensemble des visions se trouve dans l’arène européenne. Nous noterons le cas particulier du Danemark où des partis anti-européens voient le jour uniquement lors des élections européennes.

Le débat européen doit ainsi s’affranchir des contingences nationales (opposition gouvernementale et débats nationaux) pour prendre une véritable dimension européenne. Le parti européen tel qu’il existe actuellement se révèle insuffisant. En effet, si la problématique européenne s’invite dans les débats nationaux, le rythme et le choix des sujets dépendent des cultures et des partis locaux. Ainsi, la reconstruction du parti européen passe peut-être par un nouveau système qui mette en forme l’existant, soit la société civile structurée au niveau européen et les partis en tant que fédération. Comme nous le verrons, il est important que la fonction généraliste des partis politiques demeure. Toutefois, il faut qu’ils soient efficaces.

Le questionnement de l’efficience des partis européens se construit autour de la fonction d’agrégation et de la fonction délibérative (impulsion des préférences). En

198 Partis politiques européens et agrégation des demandes effet, la capacité d’initier des propositions dans le système ainsi que de faire remonter les demandes sont des éléments fondateurs d’un parti politique. Pour les raisons évoquées, on peut imaginer que le manque d’adéquation entre les partis politiques et le système européen force une recherche différente, dans la construction et dans l’idée, du regroupement politique. Toutefois, il ne faut pas oublier deux pré- conditions à l’existence des partis, soit la condition du lien électoral (implication des citoyens via les partis dans le système politique) et la condition de la cohérence des élites (formation d’approches communes) (Lord, 2001, 41).

En fonction de ces conditions, nous analyserons la structure de l’intergroupe – mixité entre parti politique et société civile – comme une proposition novatrice dans le champ de la représentation en Europe. Pour Andeweg, l’intergroupe représente cette idée de structuration des clivages européens. Nous retrouvons en effet les fédéralistes et des groupements pro-campagne. Les instruments politiques de chacun se développent par le biais d’auditions, d’interventions publiques, de sensibilisation des élus nationaux, etc. Nous trouvons ici de possibles « seeds of a European party system in such cross-party organisations » (Andeweg, 1995, 71).

La mixité entre parti politique classique et société civile semble incontournable tant l’Union européenne est une construction institutionnelle différente de ce que l’on connaît. Le tableau 5.4 montre clairement le décalage entre les structures. Néanmoins, l’acteur généraliste est important car il apporte une garantie au système représentatif, ainsi que la stabilité du clivage socio-économique classique. Après notre analyse des partis européens, il faut plutôt remodeler les propositions que les modifier radicalement.

L’introduction du pluralisme dans la gouvernance européenne passe par l’introduction dans une certaine mesure de la société civile d’autant plus que nous pouvons nous baser sur les intergroupes européens afin de développer notre analyse.

199 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

Chapitre 6 – La difficile émergence des intergroupes parlementaires européens

1. La structure de l’intergroupe

L’évolution de la démocratie européenne se caractérise actuellement par de multiples mouvements en direction du citoyen et de la société civile. En effet, alors que le Parlement européen ne ménage pas ses efforts pour se faire connaître du public 157 , on constate une baisse d’intérêt des citoyens caractérisée par un déclin de la participation aux élections (Delwit, 2000). Simultanément, la présence renforcée de la société civile organisée au sein du débat sur la gouvernance conduit au développement d’une réflexion sur les relations renouvelées entre le citoyen et le représentant. Cette croissante visibilité, doublée de l’action de la société civile posent par ailleurs aussi la question du rôle de l’influence externe sur les instances politiques européennes, en particulier sur le Parlement européen.

Sous certains aspects, les intergroupes représentent un moyen d’interaction et de contact entre le politique et la société civile 158 . Dès lors, ils méritent toute notre attention. Afin de ne pas amener la confusion dans l’esprit du lecteur, nous définissons l’intergroupe 159 au Parlement européen comme un groupement d’eurodéputés, tous partis confondus, qui se réunissent sur un thème défini. La définition peut paraître correspondre à celle de la commission parlementaire, mais il convient toutefois de souligner que ces réunions se tiennent hors des instances officielles.

Dès 1979, on trouve la trace de l’existence d’intergroupes au sein du Parlement européen. Malgré une activité que nous pourrions qualifier d’importante, les intergroupes demeurent un sujet relativement interne dans la procédure d’organisation du Parlement, et peu d’observateurs académiques se sont penchés sur le sujet. La difficulté majeure de l’étude des intergroupes réside dans le fait qu’ils sont relativement peu cités dans la littérature officielle du Parlement européen. De surcroît, les groupes ont une certaine méfiance envers ces groupements, qui peuvent parfois aller à l’encontre d’une certaine discipline de vote. Dès lors, l’intérêt pour cette structure est surtout manifeste chez les députés et les organisations externes au Parlement européen. Ce sont d’ailleurs les sources d’information les plus prolixes en la matière.

Plus que les groupes politiques, ce sont surtout les grands groupes parlementaires européens, qui se sont méfiés, dès l’origine, de la concurrence possible des intergroupes. En effet, leur donner un statut aurait été, peut-être, un premier pas vers l’attribution de compétences, voire de détacher des fonctionnaires à leur usage. À

157 Nous citerons en exemple les bureaux d’information dans les États membres, une politique de transparence développée, le large accès aux documents, et la possibilité d’adresser une pétition. 158 Loin de prétendre que les intergroupes sont les représentants les plus habilités à représenter la société civile. Dans une certaine mesure, nous la limitons à son expression ‘Europe des citoyens’ tel que l’on peut le lire dans le Traité d’Amsterdam (Titre XI au Titre XX), ainsi que le Protocole 10, et certaines déclarations annexées au TUE (handicapés, sport, îles,…). Ses éléments sont d’une certaine manière représentatifs de la vie civile et de ses intérêts. 159 Le terme intergroupe est générique, et regroupe plusieurs définitions. En se limitant à la problématique politique parlementaire, l’intergroupe peut être aussi une structure de réunion de partis d’une même famille, telle qu’en France, par exemple la droite ou la gauche plurielle. En Suisse, nous qualifierons ceci de caucus commun.

200 La difficile émergence des intergroupes parlementaires européens noter que les petits groupes, dont la structure est plus souple, craignaient de facto moins le développement des intergroupes. Au contraire, il s’agit même pour eux d’un bon moyen de promouvoir certains intérêts minoritaires au sein du Parlement. En outre, le risque que l’intergroupe fait courir est qu’une partie des députés d’un groupe s’organise contre une position de groupe. Dans un Parlement très individualisé, les grands groupes ont besoin d’une forte structure pour tenir leurs députés. Ainsi, les intergroupes peuvent être perçus comme une atteinte à la discipline de groupe. Du fait de leurs structures inter-partis, ils laissent évoluer des électrons libres au sein des groupes, qui peuvent même contrecarrer certains choix politiques du fait de leur appartenance à un intergroupe (puissant). Un député peut ainsi devenir le représentant d’une cause qui ne soit pas toujours soutenue par son groupe politique, mais, par contre, très soutenue par un intergroupe qui le relaie vers les citoyens. Pour un parti politique, cette image peut être difficile à assumer lors du choix des candidats à présenter pour les élections européennes.

L’intérêt d’une telle étude réside aussi dans l’interaction existante entre les milieux politiques et la société civile. Souvent, nous reprochons au Parlement européen un certain manque de lisibilité politique vis-à-vis du citoyen, d’où son désintérêt pour les élections européennes. Or, les intergroupes sont un moyen de faire entrer la société civile dans cette nouvelle agora , et surtout de faciliter une meilleure prise en compte des intérêts citoyens. Une fois encore, nous sommes confrontés à un problème lié à la notion de représentativité et de limites de pouvoirs. Les intergroupes offrent-ils de réelles alternatives au citoyen d’intercéder auprès de ses représentants ? Avec la notion d’intergroupe, nous nous trouvons à la limite entre le lobbying et le travail dit institutionnel du Parlement européen. De nombreux acteurs de la société civile intervenant au Parlement par des moyens tels que des intergroupes peuvent, en effet, être perçus comme des lobbyistes.

Dans l’un des rares ouvrages académiques faisant référence aux intergroupes, Marc Abélès les définit comme « un lieu où l’on peut dialoguer librement, sans être astreint à la discipline des groupes ou aux procédures des commissions » (1992, 322). Olivier Costa les qualifie quant à lui, dans le titre d’un chapitre, comme un acteur occulte de la délibération (2001, 344-351). Alors que, dans son ouvrage sur le Parlement européen, Richard Corbett consacre un chapitre aux intergroupes et remarque que leur action est en concurrence avec les commissions parlementaires, notamment sur le plan des auditions de personnes externes. Il relève aussi la proximité ‘problématique’ avec les groupes d’intérêts (2000, 158-159). Enfin, a contrario , le groupe des Verts qualifie les intergroupes comme un des rares endroits de liberté au sein du Parlement européen, bien qu’il s’agisse d’une sorte de lobby interne 160 .

Espace de liberté ou cheval de Troie des lobbies au sein du Parlement européen ? Les avis sont partagés sur l’utilité de cette structure et aussi sur sa capacité d’influencer les décisions du Parlement. Est-ce que les intergroupes ont un apport qualitatif au travail parlementaire ou représentent-ils simplement un espace concurrentiel aux commissions ? Finalement, que peuvent offrir les intergroupes au sein du Parlement européen ? Ces questions seront au cœur de ce raisonnement, qui tentera d’élaborer une définition de ce sujet jusqu’ici peu abordé dans la littérature. Dans une certaine

160 http://www.transnat.org/elus-parlement-europeen.htm. Le site transat est celui de la commission internationale des Verts français (nouveau site : http://www.transat.lesverts.fr).

201 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen mesure, nous reprendrons le titre du chapitre de l’ouvrage d’Olivier Costa (2001, 344- 351), en nous interrogeant sur l’aspect occulte. Afin d’apporter des éléments de réponse, nous présenterons la place des intergroupes dans le règlement interne du Parlement européen, pour en analyser les conséquences politiques et organisationnelles.

Également, la réglementation des intergroupes s’inscrit dans une large réflexion sur l’influence extérieure au Parlement européen. En effet, la première élection au suffrage universel direct du Parlement européen fut le signal d’un changement dans les relations entre la société civile et le monde politique des Communautés européennes. Une des conséquences de ce changement entraîna la mise en place des intergroupes. Dès ce moment, ceux-ci n’ont cessé de se développer de par leur nombre, car il est compréhensible qu’une association spécialiste d’un sujet veuille soutenir ou créer un intergroupe. Par ailleurs, la proximité du centre de décision, l’action au niveau parlementaire européen et la tenue d’un bon carnet d’adresses d’eurodéputés soutenant sa cause sont des raisons largement suffisantes.

L’importance quantitative croissante des intergroupes a obligé les autorités du Parlement à réagir. Tardivement, en 1991, elles mettent en place un arsenal réglementaire propre à endiguer ce développement, ou du moins à l’encadrer. Le mode de vie particulier du Parlement européen est aussi un facteur non négligeable de la mise en place de la réglementation. Le rôle de l’eurodéputé et celui des groupes politiques sont autant de questions qui affectent toute réglementation. Les problèmes d’ordre européen en termes de fonctionnement se posent et se résolvent de manières très différentes de celles qu’on observe à l’échelon national. Par conséquent, les questions sur les intergroupes seront appréhendées de manière juridique. Sur cette base, nous tâcherons de modéliser 161 les intergroupes et leur mode de fonctionnement. Comme nous le verrons plus tard, la modélisation n’est pas aisée vu le caractère informel, voire pour certains éphémère, des intergroupes.

Pour l’étude de l’espace juridique des intergroupes, on procédera en quatre parties. La première est liée à l’évolution de la réglementation des intergroupes de 1979 à 1997. Cette partie permettra aussi de définir le rôle de certaines institutions au sein du Parlement européen, et d’établir une corrélation avec la problématique des lobbies. La deuxième partie du chapitre est dédiée au travail sur les intergroupes qui avait été effectué par la commission du règlement en 1997-98, et plus particulièrement aux moutures successives de l’avant-projet du rapport Spiers (UK, PSE). La troisième partie suit l’évolution actuelle (1999-2000) de la réglementation. Finalement, dans la dernière partie de ce chapitre nous nous attacherons à développer un projet pour une future réglementation des intergroupes. Le choix d’un règlement plutôt qu’un autre est par essence politique. Il faudra donc tenir compte de ce facteur dans l’environnement particulier du Parlement.

161 La modélisation n’est pas basée sur une collecte de données empiriques permettant un calcul, comme l’efficacité par exemple. Ce domaine serait plutôt ouvert à une thèse. Ici, la modélisation s’appuiera sur une observation du mode de fonctionnement pratique des intergroupes et non sur leurs résultats.

202 La difficile émergence des intergroupes parlementaires européens

2. Historique de la réglementation

2.1. 1979-1991: Politique du laissez-faire

Les intergroupes commencent à émerger dès la première élection directe du Parlement européen par les citoyens de la Communauté européenne. Dès 1981, on recense déjà quelques intergroupes qui perdurent encore maintenant. Au début, le nombre de ces derniers reste relativement limité, d’où un certain manque de réglementation en la matière. De plus, le Parlement doit répondre à des préoccupations plus importantes d’ordre structurel. Mais le nombre des intergroupes devient plus élevé dès 1987, en raison de l’accroissement des pouvoirs 162 du Parlement. Le développement est important : d’une dizaine d’intergroupes, on passe à une quarantaine 163 . Des problèmes commencent alors à se poser en termes d’utilisation des facilités 164 du Parlement européen. De plus, les groupes politiques commencent à se poser la question de la place réelle des intergroupes au sein de la représentation européenne.

2.2. 1991-95: les dispositions du Bureau élargi

Du fait de cette situation, les instances réglementaires devaient réagir pour maintenir un certain ordre au sein du Parlement, et éviter la concurrence entre les groupes politiques, les commissions parlementaires et les groupements de députés. Il s’agit ainsi d’éviter une confusion au niveau des instances d’une part, et, de limiter les possibilités de dispersion des députés d’autre part.

Les premières dispositions relatives aux intergroupes sont adoptées le 31 janvier 1991 par le Bureau élargi 165 du Parlement européen. Celles-ci édictent dans le premier article que : « Il est rappelé que les intergroupes ne peuvent utiliser des logo-types identiques, voisins ou évoquant le logo-type du Parlement européen ou des dénominations pouvant prêter à confusion quant à leur statut ». Cette règle a pour but d’éloigner toute confusion possible entre les intergroupes et des organes du Parlement européen. Il est important, en effet, de signaler que les intergroupes sont des groupements ‘informels’ auxquels sont octroyés certaines facilités tout comme aux groupes politiques. Leurs buts ne doivent pas viser à l’établissement de contre- commissions parlementaires ou devenir des organes du Parlement.

162 Le développement des groupes d’intérêt auprès du Parlement s’effectue en parallèle à l’accroissement des pouvoirs de cette institution. L’explosion du nombre des intergroupes est un signe de cette évolution. 163 Les sources divergent sur ce point. Selon un recensement du Parlement, on peut compter environ 40 intergroupes. Une cinquantaine d’intergroupes officient (selon Richard Corbett et al. , 1995, 169). A l’extrême, Ural Ayberk et François-Pierre Schenker considèrent qu’il existe plus de 80 intergroupes, (1998, 743). Comme nous le verrons par la suite, le recensement et la classification des intergroupes représentent des problèmes réels pour le chercheur, d’où l’importance des critères de définition. 164 Le terme ‘facilité’ est ici un anglicisme qui regroupe les accès aux salles, l’utilisation des unités de traduction et d’interprétation, et l’usage de fonctionnaires détachés. 165 Selon la quatrième édition du règlement, il est composé des membres du Bureau et des présidents de groupe. Il a compétence en termes de réglementation interne du travail parlementaire. Désormais, cette compétence est reprise par la Conférence des présidents, mais elle n’intègre pas tout le Bureau du Parlement (composition du Bureau art. 21 RI ; art. 23 RI pour la Conférence des présidents), et seul le président du Parlement européen assiste aux débats. Ceci est d’ailleurs aussi un signe de l’assise des groupes politiques sur le Parlement européen.

203 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

L’article 2 décrit les droits d’utilisation des infrastructures du Parlement européen : « le Secrétariat général n’est pas habilité à accorder des facilités techniques (salles de réunion, fonctionnaires, interprètes). Seuls les groupes politiques peuvent, le cas échéant, mettre leurs infrastructures techniques, salles et équipes d’interprétation à la disposition des intergroupes qui respectent les conditions supplémentaires contenues dans cette nouvelle recommandation ». Cette prescription met l’accent sur un problème-clef, soit l’utilisation des salles et des facilités d’interprétation. De plus, il est bien précisé que les intergroupes dépendent des groupes politiques en matière de fonctionnement. En aucun cas, le secrétariat du Parlement ne peut prêter assistance aux intergroupes. Une hiérarchie est établie : l’intergroupe est considéré comme une sous-catégorie des groupes politiques. Ces derniers sont responsabilisés comme des tuteurs.

Il existe aussi un certain dégagement administratif par rapport aux intergroupes. Ce dernier est probablement voulu par les groupes politiques qui n’accepteraient pas une nouvelle forme de concurrence 166 face à eux. Dès lors, il est moins étonnant que cette réglementation place l’intergroupe sous le groupe politique. En conclusion, les règles édictées semblent plutôt prendre acte d’un état de fait, notamment en matière d’infrastructure et logistique. La seule partie restrictive concerne la partie visible de l’intergroupe (logo et dénomination), afin de ne pas en faire des organes officiels.

2.3. La Conférence des présidents de 1995

En 1995, la Conférence des présidents 167 décide d’agir face à la prolifération des intergroupes, en durcissant les premières règles établies par le Bureau élargi. Les nouvelles règles adoptées le 12 octobre 1995 confirment la décision du Bureau élargi de 1991 en matière de logo et de l’interdiction faite aux intergroupes de se présenter comme des organes du Parlement européen. La Conférence des présidents va plus loin : elle édicte des règles très strictes quant à la responsabilisation du groupe politique face aux intergroupes et sur l’accès aux salles. Ainsi, seuls les groupes politiques peuvent accorder des facilités aux intergroupes et doivent respecter des règles supplémentaires 168 . Par ailleurs, l’octroi de ces facilités doit se faire dans le cadre des règles générales quant à l'attribution de salles au Parlement européen et respecter les contraintes d’horaire déjà applicables aux organes officiels, notamment l’interdiction de réunion durant l’heure de vote des sessions du Parlement européen. Les groupes politiques concernés par un ou des intergroupes devront recevoir une liste des membres d’au moins deux autres groupes, connaître la dénomination de l’intergroupe et s’il y a lieu son logo, ainsi que ses sources de financement. La Conférence des présidents encourage l’intégration par la commission du règlement des normes en matière de transparence publique des financements des intergroupes, et

166 En termes d’administration, le Secrétariat du Parlement, les commissions parlementaires et les groupes politiques en bénéficient. Si les intergroupes devaient en avoir une, alors ils pourraient devenir plus puissants que les groupes politiques. 167 Selon l’article 23 RI, la Conférence des présidents est composée du président du Parlement européen et des présidents des groupes politiques. Cet organe a une compétence générale d’organisation et de gestion du Parlement (contenue dans l’article 24 RI). 168 Les groupes politiques peuvent obtenir des salles pendant une certaine période au Parlement. Les réunions sont possibles mais doivent respecter certaines contraintes liées à l’activité parlementaire et à la disponibilité parmi les équipes d’interprètes.

204 La difficile émergence des intergroupes parlementaires européens souhaite une prise en compte de celles-ci dans le rapport en cours sur les lobbies 169 . Cette volonté servira de base à la saisine de la commission du règlement pour les rapports que nous étudierons par la suite.

Les présidents de groupes se sont engagés à ne pas octroyer de facilité aux intergroupes s’ils peuvent prêter à confusion avec des organes du Parlement européen. La question de la sanction reste ouverte. Toutefois, si un président (ou son groupe) dérogeait aux règles, il prendrait le risque de se retrouver isolé par la suite 170 . Cette nouvelle réglementation est intéressante en raison de la volonté de la Conférence des présidents de responsabiliser encore plus les groupes politiques. Les secrétaires généraux des groupes politiques avaient établi un projet en date du 9 février 1995 dans lequel ces aspects sont traités, mais on constate l’absence de règle en termes de financement, alors que la Conférence des présidents s’inquiète passablement de cet aspect. En termes institutionnels, ce sont les secrétaires généraux qui préparent les accords des présidents de groupe, soumis ensuite à la Conférence des présidents. Les questions de financement sont devenues en une année le cœur du problème. En effet, durant cette période s’effectue la saisine de la commission du règlement 171 , de manière à pouvoir faire face à la croissance des lobbies et de répondre aux craintes sur les influences extérieures au sein du Parlement.

Bien que les intergroupes ne soient pas des organes officiels du Parlement, ils sont soumis à l’ensemble du corpus , à la bonne volonté d’un groupe politique, ainsi qu’à la réglementation sur les groupes d’intérêt. Par conséquent, on voit par cette réglementation la nature insaisissable et inclassable des intergroupes. Pour faire suite à cette décision, le président du Parlement européen saisira d’ailleurs la commission du règlement le 21 mars 1996, afin d’établir un rapport sur les intergroupes. Ce travail se fait de pair avec le(s) rapport(s) sur les lobbyistes auprès de la représentation européenne.

169 Rapport Ford, A4-0200/96. 170 Cette remarque a un poids particulier pour les groupes politiques de moyenne ou de petite taille. En effet, les accords tactiques sont une nécessité s’ils veulent exister. Par exemple, l’acceptation d’amendements nécessite ce type de travail pour avoir une chance de succès en plénière. 171 Le rapporteur est Glyn Ford (UK, PSE) avec un rapport ayant pour titre ‘Rapport sur les groupes d’intérêts au Parlement’. Il est conduit en parallèle avec le rapport de Jean-Thomas Nordmann (FR, ELDR) sur la transparence et les intérêts financiers des députés. Voir plus bas pour le détail.

205 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

3. La commission du règlement, de la vérification des pouvoirs et des immunités du Parlement européen

La commission du règlement est en charge de deux dossiers différents : les groupes d’intérêt et les intergroupes. Toutefois, ces rapports sont intrinsèquement liés, du fait qu’une décision sur un dossier influera généralement l’autre. Ceci est surtout vrai pour les matières relatives aux revenus financiers auxiliaires des députés, à la transparence au sein du Parlement, et, surtout, à l’accès des personnes ou groupements extérieurs au Parlement européen dans le but d’influer sur une décision.

3.1. Actions sur les groupes d’intérêt

Historiquement, la réglementation en matière de lobbying est un pan complexe du Parlement européen. En effet, en 1990, Marc Galle (BE, PSE) est en charge d’élaborer un rapport sur l’encadrement du lobbying. Ce dernier ne fût jamais voté par le Parlement en raison de fortes divergences entre élus. À la suite de cet événement, le Parlement chargea Glyn Ford (UK, PSE) et Jean-Thomas Nordmann (FR, ELDR). Il y eut de nouveau une importante scission entre les élus autour de leur tradition politique plutôt qu’entre groupes. Dès lors, les rapporteurs durent modifier leur texte et la deuxième version fut votée grâce au travail d’un groupe de travail ad hoc chargé de trouver un compromis (à ce sujet voir Costa, 2004, 386-387).

En 1996, le Parlement européen vote le rapport du député Ford sur les groupes d’intérêt (A4-0200/96). Il consiste notamment à mettre en place des conditions d’accès au Parlement européen pour les personnes souhaitant y accéder souvent. Ainsi, le rapport prescrit la mise en place d’un registre public où seraient inscrites toutes les personnes ayant sollicité et obtenu un laissez-passer de longue durée auprès du Collège des questeurs. Le but de la norme est de développer la transparence au sein du Parlement, et de pouvoir, d’une part, identifier les lobbyistes et, d’autre part, engager, par l’obtention d’un laissez-passer, les personnes à respecter un code de conduite. Il traite aussi de la problématique des assistants parlementaires, en les soumettant à l’obligation du respect du code de conduite en matière de financement externe. Toutefois, ce rapport ne règle pas le problème des financements externes, mais uniquement l’accessibilité du Parlement et la possibilité de reconnaître, par un signe distinctif obligatoire, les personnes représentant des groupes d’intérêt.

Ces normes sont inscrites dans le règlement du Parlement européen par une modification de l’article 9 et l’agencement d’une nouvelle annexe, l’annexe IX. Cette problématique du lobbying est-elle éloignée de celle des intergroupes ? On peut dire que cette réglementation influence directement les apports extérieurs de l’intergroupe, mais pas le fonctionnement de celui-ci intrinsèquement. Dès lors, il apparaît logique que la commission du règlement se saisisse de l’affaire des intergroupes suite à la demande du président du Parlement européen du mois de mars 1996. De plus, à la même date, on demande à cette commission de développer les points relatifs au code de conduite. On nommera logiquement le député Ford 172 sur cette dernière matière, et le député Spiers (UK, PSE) se chargera du rapport dans le domaine des intergroupes. Sans se prononcer sur les travaux de la commission, on constate très rapidement que

172 Il était déjà le rapporteur du précédent rapport adopté en séance plénière sur les groupes d’intérêt.

206 La difficile émergence des intergroupes parlementaires européens la priorité est donnée aux questions afférentes aux groupes d’intérêt. Le rapport Ford 173 est adopté par la commission le 18 mars 1997 et approuvé en première lecture par la séance plénière le 13 mai suivant. Pour comparaison, le premier avant-projet de rapport de Mark Spiers date du 20 mars 1997, et recevra un préavis favorable de la commission le 18 février 1999 dans un cadre plus large.

Il existe plusieurs hypothèses pour expliquer ce décalage dans le temps. On se limitera ici à deux d’entre elles. La première consiste à constater que le travail du député Ford était nettement moins conséquent que celui du rapport Spiers. Il s’agissait de mettre à jour l’Annexe IX, et non de créer ex nihilo une réglementation comme celle de Mark Spiers. De plus, cette réglementation revêt une utilité générale en matière d’accès au Parlement européen pour les groupes d’intérêt, les assistants parlementaires, etc. La seconde hypothèse consiste à différencier un groupe d’intérêt et un intergroupe. En effet, si le premier fonctionne de manière exclusivement externe en visant le Parlement européen, le second fonctionne de manière interne en s’engageant vers l’extérieur. Cette différence est essentielle à la bonne compréhension du travail de la commission du règlement. En effet, il est plus urgent de réglementer l’accès du Parlement européen et la reconnaissance des personnes externes que de régler, finalement, un problème lié principalement aux facilités d’interprétation et d’accès aux salles. Nous verrons ci-dessous que le problème est plus large, mais pour l’instant nous nous limiterons à cette analyse entre les deux rapports. En sus, une fois l’accès au Parlement réglementé, l’ensemble des personnes est touché et non pas seulement les groupes d’intérêt stricto sensu.

Après ce bref aperçu de l’évolution parallèle des deux rapports, il paraît utile maintenant de décortiquer les trois avant-projets de rapport de Mark Spiers, qui nous permettront d’appréhender la logique parlementaire européenne, tout en observant l’évolution des intergroupes et de la mentalité des autorités réglementaires du Parlement.

3.2. Les avants-projets du rapport de Mark S. Spiers

3.2.1. Les travaux préparatoires

La commission du règlement, de la vérification des pouvoirs et des immunités est saisie directement par le président du Parlement européen par lettre à Ben Fayot (LU, PSE), président de la commission, le 19 mars 1996 ; la lettre demande d’examiner les questions du financement et du fonctionnement des intergroupes. Le 24 juin 1996, la commission nomme Mark Spiers en qualité de rapporteur. Elle prend aussi l’engagement de tenir des auditions des intergroupes, afin de se faire une idée plus claire de la matière. Le 17 octobre, la commission étudie un rapport de la Direction générale des études (DGIV) 174 intitulé « La réglementation du lobbyisme et des intergroupes dans les parlements nationaux des États membres » (résumé dans le tableau 6.1).

173 ‘Rapport sur le code de conduite des représentants d’intérêt’, A4-107/97. 174 Cette DG a été restructurée en 2004. Il existe maintenant trois départements thématiques au sein de la DG ‘Politiques internes de l’Union’, un département thématique au sein de la DG ‘Politique externe’, et une unité ‘Aide budgétaire’ (voir http://www.europarl.europa.eu/activities/expert/eStudies.do?language=FR).

207 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

Tableau 6.1. État de la situation des intergroupes dans les États membres en 1996

Pays Réglementation Statut Secrétariat/Finance Groupes Danemark - - - Espagne - - - 1--- ne connaît Irlande - - - pas la pratique, Luxembourg - - - pas répertorié Pays-Bas - - - Secrétariat selon les Allemagne - Officieux cas Groupes parlementaires Grèce - - 2---Limitation d’amitié indirecte des Initiative propre des En dehors parlement, Italie - intergroupes par députés indépendance thématiques Autriche - Officieux - Groupes parlementaires Portugal - - d’amitié Belgique - Officieux Locaux et personnels 3---Pas de Interdiction du Fonctionnaire chargé règles, aides France Groupes de travail mandat impératif du secrétariat officielles de Suède - Tous domaines touchés - l’administration Crédits/Secrétariat Finlande Base coutumière Quasi-officielle 4---Règles, fourni reconnaissance, Royaume- Règlement Locaux, aide Quasi-officielle aide Uni interne extérieure possible Source : Ce tableau a été établi sur la base du document suivant: Parlement européen, Commission du règlement, de la vérification des pouvoirs et des immunités, Communication aux membres: réglementation du lobbyisme et des intergroupes dans les parlements nationaux des États membres (tiré d’une étude de la DG des études, Bruxelles, 17 octobre 1996, PE212.408/rév.

Ce rapport d’étude est intéressant à plus d’un titre. Il permet d’effectuer une analyse comparative et de saisir la particularité du cas européen. Le constat de l’existence des intergroupes par aire géographique est très intéressant. Le mélange des cultures politiques en un seul lieu permet de comprendre la difficulté de certains face aux intergroupes européens. Dans un premier temps, le rapport relève l’inexistence de règles en matière d’intergroupes, règles absentes du reste de certains parlements nationaux. Dans les États où cette pratique est connue, on constate tout de même un point commun : les intergroupes se constituent de façon occasionnelle et informelle, et les modes d’acceptation de ces groupes dépendent des traditions nationales. En France, les groupes de travail sont autorisés en périphérie des deux Chambres, mais les groupes tendant à défendre un intérêt spécifique sont formellement interdits, en raison de la négation dans la démocratie républicaine française du mandat impératif. A l’opposé, le système britannique prône une ouverture plus grande en matière des groupements officieux. Les responsables des intergroupes doivent inscrire dans un registre les noms des participants et les participations financières ou en nature que les députés reçoivent.

Néanmoins, il faut souligner certains cas limites. Dans l’introduction, nous avons vu qu’en France, la pratique des intergroupes était connue depuis des années, mais que le mandat impératif découlant de cette spécialisation n’était en revanche pas accepté. Dès lors, la situation est paradoxale. L’autorisation de constituer des groupes de

208 La difficile émergence des intergroupes parlementaires européens travail offre une opportunité vers la création légale des intergroupes, et cela au sein même du système politique le plus ancré dans la tradition de la représentation nationale. La Suède représente aussi un cas limite, car elle est plus proche dans sa pratique de la Finlande que de la France ou de la Belgique. Par ailleurs, dans les pays du groupe 4 du tableau 6.1, les intergroupes s’approchent de la définition de groupe politique au-delà de celle, plus stricte, d’intergroupe. En termes juridiques, seul le Royaume-Uni a développé une réglementation propre aux intergroupes. Il faut se rappeler que ce sont principalement des députés d’origine britannique qui ont écrit des rapports faisant foi en la matière, aussi bien sur les groupes d’intérêt que sur les intergroupes (Mark S. Spiers et Glyn Ford). On peut de ce fait imaginer que le système britannique marque le fonctionnement du Parlement européen. Ceci est d’autant plus marquant que l’on trouve dans quasi tous les rapports sur le règlement interne du Parlement européen ou sur certaines règles de fonctionnement comme les non-inscrits le nom de Richard Corbett (UK, PSE). Il semble donc pertinent de poser l’hypothèse selon laquelle ces différentes influences nationales peuvent se traduire au sein du Parlement européen dans des choix institutionnels.

Le rapport de la DG IV note que les pays les plus développés en termes de reconnaissance de ces groupes périphériques sont ceux où des avancées en terme de transparence ont été les plus sensibles. En effet, au Royaume-Uni, il existe un registre où les députés doivent consigner leurs activités et rémunérations sous toutes leurs formes. La Suède considère que « une société possédant une forte tradition de transparence et d’ouverture compense les risques inhérents aux activités du lobbyisme » (Parlement européen, PE212.408/1996, 12). Cette remarque résume parfaitement la problématique : mieux vaut admettre les groupes d’intérêt de façon très ouverte et en parfaite transparence, plutôt que d’agir de manière détournée. C’est dans cet esprit que la commission du règlement du Parlement européen a prévu d’agir. Nous allons maintenant étudier les avant-projets Spiers, ce qui nous permettra de constater comment la commission a agi en regard de ce qui précède.

3.2.2. Premier avant-projet (PE221.685/1997)

Le premier avant-projet du rapport date du 20 mars 1997. Le rapporteur souhaite intégrer une nouvelle annexe dans le règlement du Parlement européen, qui serait dédiée aux activités des intergroupes. Le projet proposé reprend en partie l’accord des présidents de groupes tel qu’il est décrit ci-dessus. Ce règlement active un cadre de travail pour les intergroupes dans un texte clair qui est proche de l’idée de l’annexe IX dédiée aux groupes d’intérêt.

Les maîtres-mots de ce rapport sont transparence, clarté, et ouverture. En s’appuyant sur l’Accord des présidents des groupes politiques de 1995, Mark Spiers souhaite établir une règle commune à l’ensemble des intergroupes. À son avis, les intergroupes ne sont pas uniquement ceux qui agissent dans l’enceinte du Parlement, car il existe des réunions de députés de même type en dehors de celle-ci. Dès lors, le rapport se doit de définir la notion d’intergroupe, afin de formaliser les règles qui peuvent être opposables à ce type de structure. L’article 2 de cet avant-projet de règlement précise qu’un intergroupe est composé de députés du Parlement européen, originaires de trois États membres et de trois groupes politiques au moins. Les députés agissent en leur qualité de députés européens dans les intergroupes. En référence à l’article 1 er , chaque

209 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen intergroupe doit s’enregistrer, même ceux qui n’utilisent pas les facilités du Parlement européen. L’article 2 précise qu’est intergroupe toute réunion de députés européens 175 qui a lieu pour discuter de questions « clairement en rapport avec le travail du Parlement et relevant des domaines d’activités de l’Union européenne ». La définition choisie est très large. Jusqu’à maintenant les intergroupes visés étaient uniquement ceux qui se réunissaient au Parlement ; or, Mark Spiers propose un véritable changement en la matière. L’option prise par le rapporteur va dans un sens de plus de règles pour les intergroupes, et donc, pour les députés. Il ajoute une restriction sur la thématique. Les groupes de type ‘Amis du golf’ se trouvent a priori exclus de la définition. La suite de l’article concerne l’utilisation des logos telle que nous la connaissons déjà.

La constitution de l’intergroupe est aussi soumise à un contrôle via le secrétaire général, qui doit recevoir une demande de constitution. Si celui-ci a un doute sur les objectifs de l’intergroupe en regard de l’article 2, il peut déférer le cas devant le Collège des questeurs. En dernier ressort, il revient au Bureau de trancher quant à la mise en marche d’un intergroupe, pour autant que les autres instances se soient déclarées incompétentes. L’article 4 responsabilise la fonction de président de l’intergroupe. Celui-ci doit tenir informés le groupe politique responsable, le secrétaire général et le Collège des questeurs, en cas de changement dans les compositions. Ceci afin que les questeurs puissent tenir à jour un registre des eurodéputés qui participent au travail des intergroupes. Le président est aussi tenu pour responsable de l’information en termes de financement externe des intergroupes et d’identité des donneurs.

Le système proposé par Mark Spiers responsabilise le Collège des questeurs en matière de transparence et d’ouverture au public de ces dossiers. La déclaration des aides externes aux intergroupes doit être présentée par le président de ce même groupe au Collège des questeurs. Par la suite, un registre ouvert au public est créé. En termes d’enregistrement, les intergroupes sont responsables vis-à-vis du secrétariat général du Parlement européen ; en cas de doute, le volet administratif devient politique, par la transmission du dossier aux questeurs, qui peuvent se décharger sur le Bureau en dernier recours. Finalement, pour l’octroi des salles et l’allocation des ressources, les intergroupes dépendent de manière exclusive des groupes politiques.

Ce système quelque peu complexe a l’avantage de préciser les contours des intergroupes, et de soumettre aussi ceux qui ont une activité plus extérieure à l’enceinte du Parlement à une réglementation. De plus, le système de responsabilisation des présidents et de centralisation des données auprès des questeurs permet une clarté accrue pour le public. Le rapporteur ajoute que les procès-verbaux ainsi que les listes de présence seront publiques sous une forme décidée par les questeurs. Il faut noter que le groupe politique n’a pas le pouvoir d’interdire les intergroupes, mais il peut interdire d’allouer des ressources 176 . Cette approche relativement libérale est empreinte d’une vision britannique de la vie politique en dehors des organes parlementaires. Il aurait été intéressant de voir un rapport établi sur le même sujet par un Espagnol, par exemple. Enfin, il est a noté que l’article de conclusion demande que les intergroupes suivent une procédure d’enregistrement en

175 A mettre en rapport avec la condition de l’origine et des groupes politiques (au moins trois). 176 Par ressources, il faut comprendre les facilités liées à l’utilisation des salles, les interprètes, voire un mini-secrétariat.

210 La difficile émergence des intergroupes parlementaires européens début de chaque législature : il n’existe donc pas d’automatisme, même pour les plus anciens.

En résumé, cette proposition d’amendement du règlement interne va effectivement vers plus de transparence. Toutefois, la place du groupe politique, la reconnaissance des intergroupes en tant que mode de fonctionnement, même officielle, du Parlement européen, sont des aspects pouvant poser des problèmes. D’ailleurs, ce projet de rapport sera refusé par la commission du règlement : elle demandera à Mark Spiers de revoir sa copie. Dans ce laps de temps, la commission tiendra par ailleurs aussi des auditions, qui permettront de faire un état des lieux sur les intergroupes.

3.2.3. Deuxième avant-projet (PE221.685/rév./1998)

Le 9 juillet 1998, le rapporteur Spiers remet un nouvel avant-projet de rapport à la commission du règlement. Cette deuxième copie réduit de huit à trois le nombre d’articles de cette future nouvelle annexe du règlement. Cet avant-projet de rapport reprend les critiques du premier. En conséquence, le rapporteur supprime les articles concernant la définition des intergroupes. Il note simplement que les intergroupes doivent s’enregistrer auprès du Collège des questeurs. La responsabilisation des présidents des groupes de députés est toujours de mise, notamment par la communication des membres, des thèmes et des aides extérieures. On garde également la disposition de tenir des registres publics sur les intergroupes et les procès-verbaux de ces derniers, ainsi que la liste des présences. La signification de ce remaniement est très claire. En effet, une majorité de députés se sont exprimés contre une définition des intergroupes, surtout si celle-ci induit un lien avec les activités officielles du Parlement européen. Pour certains, cette reconnaissance officielle pouvait aller à l’encontre du rôle des commissions parlementaires. Cette perception aura pour conséquence de ne pas permettre une définition réglementaire quant aux intergroupes et leur composition. Ainsi, selon cette nouvelle proposition, on continue à suivre la prescription de 1995 des présidents de groupes sur la composition des intergroupes, et on applique le règlement proposé en matière de financement (cf. rapport Glyn Ford de 1996).

La transparence sur le fonctionnement interne du Parlement européen a des limites. Ainsi, la nouvelle réglementation proposée concerne uniquement les questions financières et l’activité des députés de façon formelle. Le mode de création, les thèmes abordés et la prise en compte des groupes extérieurs sont tout simplement exclus de la réglementation accessible directement au public. Le plus grand apport du premier avant-projet de rapport disparaît. Il s’agit de l’enregistrement des groupes de députés répondant aux critères des intergroupes se réunissant en dehors du Parlement. En termes de transparence, on allait très loin. Par contraste, la commission revient substantiellement en arrière et cherche à ne pas définir l’intergroupe de façon réglementaire, ni à assimiler ces normes à celles déjà existantes sur les lobbies. En bref, le moins que l’on puisse dire est que l’on n’assiste pas à une innovation en matière d’intergroupes. La motivation des rapports sur les intergroupes et les groupes d’intérêt était de réunir ces règles, afin que le Parlement soit le plus transparent possible en matière d’influence externe. Malheureusement, les rapports sont séparés dans le temps et dans la réalisation. Comme nous le verrons par la suite, il existe une partie publique et une autre gérée par les présidents des groupes politiques. Cependant

211 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen la commission renverra une fois encore le rapporteur Spiers à ses travaux, du fait que le projet est toujours jugé comme trop ambitieux. La tendance amorcée reflète le fait que les groupes ne souhaitent pas perdre le contrôle du développement des intergroupes. Dans la troisième partie, cette tendance sera analysée de manière plus approfondie.

3.2.4. Troisième avant-projet (PE221.685/rév.II/1998)

Le 27 novembre 1998, un rapport intitulé ‘Avant-projet de rapport sur le financement et le fonctionnement des groupements de députés’ a été présenté à la commission du règlement. Il n’y est plus fait mention d’intergroupes, mais de groupements de députés. Le terme semble être banni. Le rapporteur signale ainsi que la tâche de la commission se restreint à élargir la réglementation existante pour les députés européens à titre individuel aux groupements de députés.

Il ne s’agit plus que d’un paragraphe dans l’article 2 de l’annexe I, déjà existante, du règlement du Parlement européen. Cette annexe concerne exclusivement les « dispositions d’application de l’article 9. paragraphe 1 – Transparence et intérêts financiers des députés ». Le projet politique de Spiers a complètement disparu au profit d’un amendement d’un article sur la déclaration des intérêts financiers. Toutefois, deux éléments subsistent encore : la responsabilité des présidents de groupement de députés et la tenue d’un registre par les questeurs. De par la réglementation mise en place par la Conférence des présidents en 1995, les groupes politiques gardent tous les pouvoirs. Les intergroupes n’existent pas de façon visible pour le public, ils dépendent complètement des groupes politiques pour leur composition et pour l’octroi des facilités.

Cette évolution démontre que les intergroupes gênent passablement le Parlement européen. En effet, comment reconnaître des groupements officieux qui font quasiment le même travail qu’une commission parlementaire et qui entravent la discipline de groupe ? Ces questions, par essence politiques, trouveront une solution par la suite. Toutefois, le rapport Spiers ne sera adopté que le 18 février 1999, lors de la révision du règlement du Parlement européen faisant suite au traité d’Amsterdam. Ce rapport est intégré dans celui de Palacio Vallelersundi (ES, PPE), Corbett (UK, PSE) et Gutiérrez Díaz (ES, GUE/NGL). Il prend la forme d’un paragraphe supplémentaire de l’article 2, annexe I relatif à la transparence et aux intérêts financiers des députés. La problématique des intergroupes reste cependant entière face à leur nombre toujours croissant et à leur rôle politique. En conclusion, malgré le travail de Spiers, c’est la décision de la Conférence des présidents de 1995 qui demeure applicable quant aux intergroupes.

212 La difficile émergence des intergroupes parlementaires européens

4. La situation actuelle

4.1. Les intergroupes depuis la V e législature

En préambule, il faut citer un document de la Conférence des présidents datant du 5 octobre 1999, établissant les règles à suivre pour les intergroupes et les groupes officieux de députés. En sus de la déclaration des présidents de 1995, ce texte reprend la responsabilisation du président du groupe (de députés), qui se doit de déclarer aux questeurs la composition et les aides extérieures reçues. Ces derniers ont pour responsabilité de tenir un registre public contenant les intérêts financiers. De plus, les questeurs peuvent pré-aviser sur la mise en place d’un intergroupe selon la thématique. Bien que cette réglementation soit contraignante, il n’existe toutefois pas de sanction prévue en cas de non-respect. En effet, logiquement, un intergroupe se réunissant en dehors du Parlement ne peut pas être interdit par les questeurs. On ne peut donc imaginer une interdiction formelle aux députés de se réunir en dehors du Parlement. De plus, comme ces groupements sont officieux, ils n’ont dès lors pas besoin d’un réel accord. Il en découle que cette procédure s’applique uniquement aux intergroupes sollicitant les services du Parlement européen. Elle fait, ainsi, le lien entre les intergroupes et les aides externes selon les principes énoncés dans le rapport Ford et acceptés par le Parlement. Par ailleurs, les secrétariats externes et les aides externes qui aident les intergroupes doivent obtenir un laissez-passer de longue durée auprès du Collège des questeurs. Enfin, le président de l’intergroupe agit en tant que garant auprès du Collège des questeurs pour l’octroi d’autorisation aux personnes externes.

En la matière, on peut se re-poser la question de la sanction. Une personne venant une fois par mois au Parlement peut tout à fait entrer en tant que citoyen venant assister à une séance plénière ou une commission. Dès lors, cette volonté de faire le tri est intéressante, mais ne va guère loin en regard des sanctions possibles et de la pratique des lobbyistes à Bruxelles et Strasbourg. Cette mise à jour de la procédure à suivre reprend certains éléments du rapport Spiers, mais ne répond toujours pas au défaut de définition de l’intergroupe. Pour l’instant, le Parlement évite donc soigneusement d’aborder cette question.

L’enregistrement d’un intergroupe n’est pas un acte facile. La procédure d’obtention du statut d’intergroupe demande formellement un investissement en temps considérable pour les responsables 177 . De ce fait, la possibilité de ‘tracer’ les intergroupes existe, mais nous ne pouvons nous référer qu’à une page de procédure quant aux éléments constitutifs des intergroupes. Il s’agit de celle dénommée Intergroup: Constitutional Agreement 178 . À défaut de définition formelle, on constate que les éléments constitutifs d’un intergroupe sont : l’implication d’au moins trois groupes politiques, de plusieurs députés responsables, d’un titre et d’un but thématique. Ces éléments sont essentiels. Par contre, il n’est pas très clairement établi comment s’obtient l’accord des groupes politiques. Est-ce automatique, en fonction de l’appartenance des eurodéputés responsables, ou faut-il la signature des secrétaires généraux des groupes ? Ces questions resteront sans réponse, car ces procédures n’ont jamais pu s’appliquer en raison d’un nouvel accord de la Conférence des présidents en

177 Il existe en effet pas moins de sept pages de procédure pour le seul enregistrement de l’intergroupe. 178 Le document est reproduit dans l’annexe 1.

213 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen décembre 1999. Toutefois, la pensée dominante consiste à dire que ce sont les députés responsables qui représentent les groupes politiques impliqués avec l’accord de leurs secrétaires généraux respectifs. De plus, une copie de cet acte doit être adressée au secrétaire général du Parlement et aux secrétaires généraux des groupes. Cette procédure renforce donc l’idée selon laquelle ce sont les députés qui sont maîtres des intergroupes et que l’implication des groupes dépend de l’implication de leurs membres dans ceux-ci.

4.2. Décision de décembre 1999

Dans ce cadre, et en suivant la recommandation du rapporteur Spiers, la Conférence des présidents s’est réunie le 16 décembre 1999 pour adopter une décision. Dans son article premier, il est rappelé que « les intergroupes ne sont pas des organes du Parlement, et ne peuvent donc pas exprimer le point de vue du Parlement ». Ce discours est récurrent depuis 1992. Il est essentiel pour le bon fonctionnement des organes du Parlement, afin qu’il ne puisse exister la moindre ambiguïté quant à savoir quels sont les organes du Parlement d’une part, et les réunions informelles de députés d’autre part, toutes influentes soient-elles. Ces dernières ne peuvent donc en aucun cas prendre une décision obligatoire interférant avec l’activité du Parlement.

Afin d’atteindre l’objectif de l’article 1, les dénominations et les logos pouvant prêter à confusion avec le Parlement, ses commissions, et ses délégations sont bannis. La sanction est l’impossibilité pour ces intergroupes d’utiliser les facilités techniques. Cette sanction est réelle et peut avoir un impact quant au nom de l’intergroupe. En se retrouvant sans facilités techniques, il est fort probable que ces intergroupes disparaissent, à moins de pouvoir disposer de salles de réunion extérieures et que les députés puissent se comprendre dans deux ou trois langues, vu que l’interprétation fera défaut. Dès lors, un intergroupe se trouvant à l’extérieur du Parlement et portant un nom donnant matière à confusion avec le Parlement devient une aberration. Personne ne pourrait penser qu’il s’agit d’un organe officiel s’il ne peut se réunir dans le Parlement !

L’article suivant vise explicitement les activités des intergroupes. Il est expressément interdit qu’ils mènent « des activités pouvant prêter à confusion avec les activités officielles du Parlement et de ses organes ». Sur ce point, il n’y a rien de nouveau. Le règlement appuie l’article 1er. Par contre, l’interdiction est faite aux intergroupes de tenir des activités pouvant « affecter les relations avec les autres Institutions de l’Union ainsi que les relations avec les pays tiers ». Nous verrons que le Parlement européen dans la précédente législature a connu quelques intergroupes favorisant des liens d’amitiés avec des pays tiers 179 . Cette réglementation présente un nouvel esprit par rapport à la politique tenue précédemment. Auparavant, l’action d’interdire se situait au niveau de l’action qui ne devait pas porter préjudice ou confusion, mais jamais l’interdiction d’agir sur un domaine n’avait été faite aux intergroupes.

L’article 4 soumet la constitution des groupes de députés à trois conditions. La première est la mise en place d’un système de clef de répartition entre les groupes. En

179 On peut citer par exemple, notamment, l’intergroupe ‘Amitié avec l’État hébreu’, l’intergroupe ‘Amitié avec Taiwan’, l’intergroupe pro-arabe.

214 La difficile émergence des intergroupes parlementaires européens effet, les députés devront présenter leur projet d’intergroupe aux groupes politiques afin d’obtenir des signatures, ces dernières étant limitées selon la répartition établie en début de législature. Deuxièmement, pour être officialisés, les députés doivent remplir une feuille de présentation de l’intergroupe (thème, membres principaux) et une déclaration d’intérêts financiers. La troisième règle est l’obligation de fournir une liste des adhérents. Cet article est essentiel dans le dispositif de limitation des intergroupes.

En effet, chaque intergroupe doit avoir l’accord de trois groupes politiques qui ont un nombre de signatures limité en fonction de leur taille (voir tableau 6.2). Ainsi, les plus grands (PPE, PSE) ont vingt-et-une signatures, l’ADLE dix, les deux moyens (V/ALE, GUE/NGL) huit signatures, les IND/DEM six et le groupe UEN reste à cinq signatures. Avec les modifications de janvier et novembre 2007 (adhésion de deux États membres, fondation et suppression du groupe parlementaire ITS, développement du groupe UEN), le nombre des intergroupes s’élèvera au maximum à vingt-six, en fonction de la combinaison mathématique retenue. Cette restriction entraîne forcément des choix politiques dans les intergroupes que le Parlement européen souhaite soutenir. De plus, cette mesure entraîne un marchandage entre groupes politiques, et entraîne donc un choix politique des thèmes prioritaires des intergroupes. Finalement, cette mesure démontre l’emprise des groupes politiques sur les députés, qui ne peuvent plus constituer librement d’intergroupes sans l’accord indispensable de trois groupes politiques. Cette restriction dans la liberté de réunion des députés comporte un risque important. En effet, les députés peuvent toujours se réunir en dehors du Parlement européen dans un cadre autre, mais ils ne pourront plus sur un sujet d’intérêt commun se regrouper dans la structure parlementaire si les grands groupes 180 s’y opposent. À noter que l’on retrouve toutefois des intergroupes officieux qui continuent leurs activités, malgré l’application du règlement.

Tableau 6.2 : Évolution de la clef de répartition

PPE PSE ELDR Verts/ALE GUE/NGL UEN TDI EDD ITS 12.1999 21 21 8 8 8 5 4 4 6.2004 21 21 10 8 8 5 6 (ADLE) (IND/DEM) 2007 181 21 21 10 8 8 8 4 3-4 11.2007 21 21 10 8 8 8 4 Source : Document PE282.037/BUR/DEF du 16 décembre 1999. Il faut souligner que cette clef a été défini avant l’affaire TDI. Les chiffres 2004 sont issus du courrier du citoyen d’Europe (service d’information du Parlement) : email du 3 juillet 2006.

L’article 5 confirme la transparence voulue par le Parlement européen par la mise en place d’un registre public tenu par le Collège des questeurs. Un groupe politique est responsable de l’intergroupe et doit, à ce titre, assurer la diffusion de tout changement aux autres présidents de groupe, aux secrétaires généraux et à l’administration. Le groupe politique responsable est celui qui assure la coordination, et donc octroie des salles et facilités d’interprétation. L’aspect informatif revient aux groupes politiques.

180 Les groupes moyens et petits ont un certain nombre de signatures, mais extrêmement limité par rapport à la densité d’intérêt pouvant être soutenu par les groupes politiques. Des choix s’opèrent forcément et les grands groupes peuvent en cas d’accord faire la loi. 181 Extrapolation envisageable pour l’année 2007 en raison des changements au Parlement avec l’adhésion de la Roumanie et la Bulgarie, la création du groupe ITS et les modifications entre les groupes UEN et IND/DEM.

215 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen

L’article suivant complète celui-ci en responsabilisant les dirigeants des intergroupes (présidence). Cette norme touche les déclarations des intérêts financiers auxquelles sont aussi tenues les députés individuellement selon l’article 2 de l’annexe I du Règlement. L’article 7 termine cette partie en demandant aux questeurs de tenir ouvert au public le registre des déclarations financières.

L’article suivant donne un droit d’enquête aux questeurs pour la bonne tenue du registre sur les intérêts financiers. Les demandes de questeurs doivent poursuivre un but de transparence quant aux buts de l’intergroupe et son fonctionnement interne. La mise à disposition des salles est réglementée par l’article 9 qui rappelle que les facilités dépendent des groupes politiques. En sus des conditions liées aux groupes, les réunions des intergroupes ne peuvent se tenir qu’à Strasbourg du mercredi après- midi au vendredi. Il faut rappeler la contrainte la plus importante pour les groupes lors de l’assemblée plénière : l’interdiction de réunion pendant l’heure de vote. Donc, le jeudi et le vendredi sont les jours de vote lors des séances plénières, ainsi les intergroupes ne peuvent quasiment plus se réunir, sauf au prix de journées-marathon, le mercredi notamment. Une des conséquences possibles est le surcroît de stress que peut ajouter une activité dans un intergroupe. Certains députés peuvent déserter tel intergroupe par simple manque de temps ou par manque de motivation dû à la suractivité strasbourgeoise. Le dernier article de la réglementation rappelle le principe selon lequel les intergroupes ne sont pas automatiquement reconduits, mais doivent en début de chaque législature recommencer la récolte des signatures. La clef de répartition de ces dernières sera aussi à cette occasion rediscutée entre les groupes politiques. Cette réglementation est entrée en vigueur rapidement, et les intergroupes existants ont dû s’y conformer au 1 er février 2000.

4.3. Conséquences de l’espace juridique mis en place

La réglementation actuelle ne répond encore qu’imparfaitement à la problématique des intergroupes. En effet, diverses raisons militent en faveur d’une clarification du rôle des intergroupes. Par clarification, nous entendons le fait de remplir les objectifs de transparence sur le fonctionnement interne du Parlement européen. En effet, les implications formelles sont le peu de possibilités pour le citoyen européen de connaître les activités des intergroupes, alors même qu’ils font l’objet de règles. La clef de répartition laisse apparaître deux catégories au sein des intergroupes : ceux qui sont reconnus et les autres. Toutefois, ils sont tous de nature officieuses au sein du Parlement. La mise en avant de certaines problématiques, ainsi que le développement d’une conscientisation politique européenne passent peut-être par un pas supplémentaire vers la reconnaissance. En ce sens, nous identifions plusieurs éléments qui sont conséquents de la réglementation du Parlement.

Premièrement, on peut regretter le manque de définition formelle de l’intergroupe. Le premier avant-projet de rapport du député Spiers répondait à la nécessité d’une telle définition. Celle-ci satisfait à un impératif logique : il faut définir les organes que l’on vise. En effet, il serait trop facile pour un groupement de se qualifier différemment, afin d’échapper à une forte réglementation.

Deuxièmement, le manque de sanctions est très clair. Comment va agir le Parlement européen face à un intergroupe qui ne répond pas aux critères, même s’il a recueilli

216 La difficile émergence des intergroupes parlementaires européens les signatures de trois groupes? Une des sanctions évidentes est le non-accès aux facilités. Toutefois, l’administration devra notifier cette interdiction au groupe politique qui permet à cet intergroupe de disposer des salles et des interprètes. Ainsi, la sanction devient indirecte, donc plus difficile à appliquer. De plus, un groupe politique peut décider d’octroyer des facilités sur son budget à un intergroupe, et dans ce cas, qui pourra intervenir pour l’interdire ?

Sur ces thématiques parallèles, le problème de la sanction est un phénomène récurrent au Parlement européen. Par exemple, un eurodéputé ne remplissant que partiellement la feuille de déclaration des intérêts financiers ne pourra pas être mis en cause par l’administration. De plus, les organes parlementaires ne peuvent prononcer de sanctions à son égard, si ce n’est une remarque d’un autre député lors de la plénière. Une des alternatives possibles est liée à la mauvaise publicité de ce manque de clarté, qui pourrait à terme impliquer la non réélection du député en question. Ce mécanisme nous paraît cependant trop aléatoire pour être efficace. Or, cet aspect est essentiel lorsque l’on aborde les intergroupes liés à des aides extérieures, qui peuvent être punis en cas de non-respect, de façon politique, mais en aucun cas, ou très partiellement, par les méthodes réglementaires. La peur de la sanction est un principe nécessaire à la bonne marche des institutions ; sans celle-ci, on ne peut que regretter tels ou tels agissements sans pour autant pouvoir agir de façon concrète et disciplinaire.

Troisièmement, il convient de relever le problème de la publicité des règles, qui permet au public de se tenir informé de la manière dont procède le Parlement européen. L’existence des intergroupes est en effet cachée au public. En particulier, l’accès aux documents afférents aux décisions de la Conférence des présidents est complexe. Alors que le public européen peut trouver très facilement 182 le règlement interne du Parlement, il devra faire une recherche plus ou moins importante pour trouver certaines règles de fonctionnement. Le projet de Spiers avait l’avantage de sortir les intergroupes de l’ombre pour informer le public de ce mode de fonctionnement par une annexe au règlement. Le résultat de tout ce travail est une phrase dans l’annexe I article 2.

Le quatrième point concerne le sujet le plus problématique : l’instauration du système de clef de répartition. À chaque législature, les groupes politiques devront à nouveau s’accorder sur le nombre de signatures et sur le soutien à tel ou tel intergroupe. Ce système va à l’inverse de l’esprit des intergroupes, qui devait correspondre à des rencontres informelles, tel que souhaité à l’origine par les organes du Parlement. Il apparaît que ce système va user les secrétaires généraux, tant par les négociations qu’il engendre que par la difficulté de sa mise en œuvre. On peut donc penser que cette norme va faire perdre beaucoup de temps à l’administration politique du Parlement, alors que d’autres sujets peuvent être plus essentiels. La solution miracle n’existe pas, mais celle qui est proposée va forcer le Parlement à reconsidérer la question des groupements officieux qui gravitent autour de l’ agora . Très simplement, la limitation des intergroupes ne va pas pour autant empêcher des députés volontaires d’agir dans des domaines particuliers de façon informelle. La crainte est donc

182 Les sources d’informations efficaces au sein de l’Union sont très abondantes. En effet, en-dehors de la documentation disponible sur internet, il existe dans chaque État membre des bureaux d’informations du Parlement européen.

217 Deuxième partie – La représentation au Parlement européen d’assister à un développement des groupements de députés 183 en parallèle aux règles établies.

La réglementation du Parlement européen comprend aussi une part de paradoxe sur la qualification de ces groupements, alors même que l’ont fait intervenir des choix politiques sur les thématiques officialisées par les groupes politiques par le biais de la clef de répartition. Nous verrons plus tard quel est le rôle politique des intergroupes dans cette réglementation européenne. Toutefois, la volonté de contrôle s’effectue en raison des influences externes, et en particulier de la société civile. Dès lors, nous devons nous pencher sur le rôle de la société civile européenne dans les institutions européennes. Cela ne sera que sur cette base que nous pourrons mieux appréhender la question du pluralisme au sein de la représentation.

La progression vers le parlementarisme dans l’Union européenne est compliquée par certains éléments de légitimité, qui reposent la question de l’identification d’un demos européen. De plus, l’absence de partis politiques européens présents en leur nom pendant les campagnes électorales aggravent le déficit de reconnaissance et marginalise le Parlement européen. En effet, nous l’avons vu dans la première partie, la procédure électorale est une phase essentielle de la démocratie représentative. Cette absence est d’autant plus importante que des groupements s’organisent au niveau européen et sont très actifs. Dès lors, le rôle de cette société civile européenne devient important. Il l’est d’autant plus que les institutions européennes lui donnent les conditions d’éclore. Nous venons de voir les intergroupes, qui permettent ce type de configurations. Nous devons maintenant nous attacher à l’analyse de la société civile et de son rôle actuel, et peut-être futur, au sein de l’Union européenne.

183 Bien qu’agissant en tant qu’intergroupes au sens du rapport Spiers, ils restent des groupements de députés, en raison de leur non-reconnaissance et de leur lieu de réunion en dehors de l’enceinte parlementaire.

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Troisième partie

La société civile ou la représentation en question

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Troisième Partie – La société civile ou la représentation en question

Notre analyse portera principalement sur les questions institutionnelles et leurs incidences démocratiques. Ainsi, l’objectif est d’étudier la structure de la société civile, et comment s’articule, si elle existe, sa composante démocratique. En effet, de nombreuses questions planent sur la société civile, quel rôle peut-elle jouer ? Quelle légitimité a-t-elle ? Quelles sont les bases de son action ? Comment la société civile peut-elle participer à l’agrégation des demandes ? Quelle relation avec le pouvoir politique ? La littérature sur les groupes d’intérêts et les associations nous propose quelques pistes. Par exemple, Éric Dacheux (2001, 165) considère que les associations, tout en étant des animateurs de la communication politique, sont également des acteurs contribuant à la définition de l’intérêt général, au-delà de l’intérêt des membres. Dans le même ordre d’idée, Julien Weisbein pose la question d’une nouvelle forme européenne de démocratie. En usant de stratégie, expertise et militantisme, les associations conduisent aussi à une logique de ‘civilisation’. Il emploie cette expression dans une logique de réintroduction du citoyen dans le débat européen et donc dépasse l’intérêt purement particulier. Toutefois, il tempère ceci en rappelant le risque de vassalisation par le biais du financement de l’expertise par les institutions (2001, 98-99). Khilnani évoque la société civile comme l’incarnation « [de] la volonté de restituer à la société des pouvoirs économiques, sociaux ou d’expression que les États auraient usurpés » (2001b, 38). Par conséquent, il existe une part d’espoir presque incantatoire dans l’emploi du concept de la société civile. Cela se caractérise paradoxalement comme un retour à une démocratie vue comme plus authentique, alors que la société civile n’est pas démocratique par nature. Il est ainsi nécessaire de préciser les éléments structurels de la société civile.

Les institutions européennes ont aussi tenté de définir la société civile. Le Comité économique et social de l’UE donne comme principe que « la société civile est un concept global désignant toutes les formes d’action sociale d’individus ou de groupes qui n’émanent pas de l’État et qui ne sont pas dirigées par lui » (CES851, 1999, 5). À cette conception se trouvent accolés des mots-clefs : pluralisme, autonomie, solidarité, visibilité, participation, éducation, responsabilité et subsidiarité. On retrouve aussi la volonté d’expliquer la société civile comme un médiateur entre le pouvoir public et les citoyens. D’ailleurs, le dialogue structuré de la Commission européenne va dans ce sens. Par cette même institution, on peut aussi mettre en avant le Livre Blanc sur la gouvernance qui développe et donne un rôle à la société civile (COM (2001) 428). En terme institutionnel, la société civile n’est pas perçue comme un contre-pouvoir, mais au contraire comme un médiateur, voir un filtre, à l’instar de Jürgen Habermas qui traduit cette idée en qualifiant la société civile comme étant composée des associations, organisations et mouvements « qui à la fois accueillent, condensent et répercutent en les amplifiant dans l’espace public politique, la résonance que les problèmes sociaux trouvent dans les sphères de la vie privée » (2003 [1997], 35).

Il n’en demeure pas moins que la société civile ne peut voir le jour que dans des sociétés démocratiques (Kumar, 2003 [1993], 41-42), et qu’elle agit aussi bien comme médiateur communicationnel que comme contre-pouvoir. En effet, la démarche associative et, en général, la société civile, posent une question essentielle, « celle de savoir si nous devons organiser les rapports sociaux en tablant uniquement sur le marché et l’État » (Caillé et Laville, 2001, 8). Pour Philippe Schmitter et Wolfgang

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Streeck, la société civile, en tant que idéal-type ‘association’, représente un quatrième pilier organisationnel de la société avec l’État, le marché, la communauté (au sens de la famille) (1985, 2). On peut relever également que la société civile est un médiateur entre la sphère publique et privée, un acteur en tant qu’initiateur de nouvelles politiques publiques, et, aussi, un agent d’agrégation du tissu associatif. Ce dernier recoupe des intérêts sectoriels et privés qui ensemble peuvent représenter un intérêt public. Par conséquent, en fonction du choix théorique, il existe des visions maximalistes et minimalistes de la définition de la société civile. Notre analyse aura pour tâche de préciser notre concept de société civile, notamment en identifiant les caractéristiques fondamentales et les acteurs qui la composent.

221 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

Chapitre 7 – La place de la société civile dans les discours institutionnels

1. La société civile dans l’environnement européen

Depuis Maastricht, nous pouvons faire deux constats. D’une part, l’europarlementarisme a gagné en prérogative et d’autre part on remarque de plus en plus la présence sur la scène européenne du citoyen et de la société civile (Boual, 1999, 14). Paradoxalement, le développement de la société civile et la prise de conscience citoyenne correspondent à une remise en question de la place du Parlement. En quelque sorte, on se trouve maintenant, et de plus en plus, dans un schéma d’opposition de la société associative, qui a toutes les vertus, et de la société politique, qui a tous les vices. Bien que ces deux objets ne puissent s’analyser sur un pied d’égalité, nous devons reconnaître qu’il s’agit des deux faces de la même médaille, celle de la démocratie 184 . En d’autres termes, peut-on caractériser la relation entre la démocratie représentative et la démocratie participative comme un jeu à somme nulle ou un renforcement mutuel ?

D’une part, nous trouvons la démocratie représentative européenne qui est, à la suite des élections 2004, une fois encore remise en question. Les taux d’abstention sur l’ensemble du continent européen, et notamment dans les nouveaux pays membres, posent de nouveau la question de la représentativité des eurodéputés. D’autre part, on trouve la démocratie participative. Cette dernière se compose de deux éléments. Il s’agit de son mode de fonctionnement qui est par nature non hiérarchique et du rejet de la représentation (fonctionnement non délégatoire) (Mendel, 2003, 47). Le premier est relatif au rapport direct entre le citoyen et la décision. On trouve ici des instruments comme le référendum ou l’initiative au sens de l’article I-46.4 du projet de Constitution européenne. Le second élément relève du dialogue structuré avec les citoyens, et, en particulier, avec les associations représentatives de la société civile. De nombreux textes le rappellent, comme par exemple l’article I-46.1, I-46.2, I-46.3 du projet de Constitution européenne.

Ainsi, la société civile se trouve être un acteur important dans la construction de l’espace politique européen. Ceci s’explique de trois manières. D’abord historiquement, les quatre libertés « ont concerné la société civile avant d’affecter les systèmes politiques des États » (Quermonne, 1998, 85). Cet élément a provoqué une européanisation ‘forcée’ des groupes d’intérêts et de la société civile. Ensuite, l’évolution du discours institutionnel démontre à quel point celle-ci n’aura jamais autant été au cœur des préoccupations des dirigeants européens, comme le montrent, entre autres, les multiples travaux sur la gouvernance et le discours institutionnel (Smismans, 2002 ; Livre Blanc sur la gouvernance, 2001, 8, 17-21, 38). Même le projet de Constitution européenne rappelle en des termes participatifs la société civile dans ses articles I.47.2 et I.50.1. En complément, nous pouvons relever la croissance exponentielle des groupements à Bruxelles (Andersen et Eliassen, 1998b, 43-47 ; Ayberk et Schenker, 1998 ; Hix, 1999 ). Finalement, le débat sur la société civile s’inscrit dans un environnement général de ‘désamour’ entre la politique et le citoyen. Sunil Khilnani explique l’intérêt pour la société civile « comme [un] moyen de

184 De plus, on peut relever l’étude de Krishan Kumar (2003 [1993], 41-42) qui porte sur la nécessité d’une société politique qui fonctionne pour qu’émerge véritablement une société civile. Ainsi, la démocratie représentative et les partis seraient une pré-condition démocratique à la venue de la société civile.

222 La place de la société civile dans les discours institutionnels régénérer la vie publique [en raison de] la désillusion vis-à-vis de la politique et des partis » (2001b, 38). Dans la même optique, Jacques Delors conçoit la société civile comme un moyen de démontrer qu’il existe des personnes qui croient encore à l’intérêt général, et c’est pour cela que la ‘sphère politique’ doit en tenir compte (discours au CESE du 14 avril 2005). Néanmoins, comme le souligne Dominique Wolton, une société civile « ne se décrète ne ni se fabrique » (1993, 116), et, c’est la principale limite à la portée des différents travaux des institutions européennes.

Ces éléments-initiatives sont donc représentatifs d’une tension entre la société civile et le monde politique. D’ailleurs, le Parlement européen a aussi développé une stratégie envers les groupes intermédiaires (Wessels et Diedrich, 1999, 147) et la société civile afin d’asseoir une certaine légitimité et établir un autre contact avec le(s) citoyen(s) (Costa, 2001, 352-363). Dès lors, la société civile organisée et les associations représentatives ont un rôle spécifique à tenir dans le cadre de la vie démocratique de l’Union. Cette émergence institutionnelle n’est pas due au hasard. La structuration du dialogue social au sein de la Commission, les positions du Comité économique et social d’encadrement de la société civile organisée, l’existence des intergroupes au Parlement européen ont permis une prise en compte de plus en plus importante de la composante société civile dans la vie démocratique.

Afin de délimiter la nature de l’acteur ‘société civile’, nous procéderons à une approche sous l’angle de la définition institutionnelle. Les multiples travaux sur la gouvernance, le Livre Blanc sur la gouvernance de la Commission européenne, l’organisation des deux Conventions démontrent une volonté politique des dirigeants européens d’intégrer la société civile dans le cadre de la gouvernance européenne à des fins de légitimation. C’est en effet par ce biais, entre autre, que les institutions cherchent à apporter des solutions au déficit démocratique dans leur analyse des raisons de l’éloignement avec les citoyens. En bref, ces initiatives essaient de rapprocher les institutions des citoyens par le biais de la société civile, nommée pour l’occasion représentante des intérêts organisés de la population.

Ces initiatives sont aussi le signe d’une tension entre la société civile et le monde politique. Le crédit donné à la société civile conduit la réflexion vers la démocratie participative et le sens à donner à ce nouveau type de représentation. Au niveau européen, la représentation classique est incarnée par le Parlement européen, seule instance européenne directement élue par les citoyens. Toutefois, la baisse d’intérêt des citoyens caractérisée par une participation en déclin aux élections (Delwit, 2000) et dans le même temps, les manifestations et mouvements de rues présents à chaque sommet européen 185 (Boual, 1999) rappellent sans cesse ce questionnement.

Cet état des lieux a amené différentes réflexions sur la qualification actuelle du politique et de la démocratie. Si on adopte le point de vue que la politique n’est autre qu’une médiation objective des pratiques sociales, alors la façon d’agir en démocratie

185 Il faut relever que les manifestations lors des Conseils européens, bien que moins violentes qu’au début des années 2000, font l’objet d’une sécurité très importante, à tel point que tous les sommets ont lieu systématiquement à Bruxelles. Cette disposition date du traité de Nice où la déclaration 22 stipule que, « à partir de 2002, une réunion du Conseil européen par présidence se tiendra à Bruxelles. Lorsque l’Union comptera dix-huit membres, toutes les réunions du Conseil européen auront lieu à Bruxelles ». Hormis les éléments de sécurité, il faut relever que cette mesure s’inscrit principalement dans une logique de cohérence et de rationalisation à tenir ces réunions dans un même lieu.

223 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question doit s’en ressentir. En effet, la démocratie représentative implique un rapport vertical, alors qu’un autre aspect de la démocratie, l’aspect fonctionnel ou organique, implique un rapport horizontal (Thuot, 1998). Dès lors, les allégeances sont multiples. Au lieu des partis, on se tourne plutôt, par exemple, vers des groupements d’intérêts, des ONG. Ces derniers deviennent aussi des agents de souveraineté (Andersen et Burns, 1998). D’ailleurs, ces associations de citoyens se battent souvent pour les droits dits de nouvelle génération – Europe des citoyens, protection des animaux, etc. – plus mobilisateurs. Le questionnement au niveau européen s’inscrit aussi dans une optique plus large qu’est le rôle des ONG au niveau international. À ce propos, Smismans relève que :

« Le rôle des organisations de la société civile dans ‘les structures de gouvernance internationale’ a déjà été étudié, spécialement dans le contexte du système des Nations Unies où les organisations non-gouvernementales jouent un rôle important dans le développement politique. À la fin des années 1990, les manifestations à différents sommets mondiaux ont mis en évidence l’émergence de mouvements transnationaux avec le potentiel d’une part de contester les structures actuelles de la gouvernance internationale et, d’autre part, de collaborer à leur réforme » (2002, 2 [trad. par l’auteur]).

Outre l’intérêt croissant pour le mouvement altermondialiste, la présence de la société civile au sein du discours institutionnel de l’Union, en particulier de la Commission, du CESE et du Parlement, a permis de placer la société civile comme un véritable interlocuteur. Olivier de Schutter (2002, 199) rappelle deux éléments qui vont dans ce sens. D’une part, la première Convention, décembre 1999 à octobre 2000, a donné un éclairage important pour la société civile et le sentiment que rien ne serait possible sans son assentiment. D’autre part, et par conséquent, ce nouveau rôle pour la société civile est fondé sur l’impression que l’intégration européenne doit améliorer maintenant son input legitimacy , alors que le processus a été jusqu’alors tourné quasi exclusivement sur la recherche des résultats.

Comme nous l’avons vu lors des chapitres précédents, l’importance d’une input legitimacy est cruciale pour la reconnaissance de l’identité européenne, et, ainsi, participer à l’établissement des institutions dans un cadre de légitimité renforcé. Pour cela, le critère d’efficacité est insuffisant. C’est, donc, la société civile qui devrait apporter quelque chose de plus à l’intégration européenne, peut-être un supplément d’âme.

Nous analyserons cet aspect par le biais de l’étude des groupes, et en particulier sous l’angle de l’approche du néo-institutionnalisme qui introduit la question de la structure de l’État comme base même de la stratégie des groupes d’intérêts. En effet, le lobbying, au sens large, se passe de manière différente d’un État à l’autre en raison d’architectures institutionnelles différentes 186 . Dans le cadre de l’Union européenne, la question de la place des groupes d’intérêts passe aussi par l’étude de l’environnement institutionnel. En analysant le discours de la société civile, nous regarderons en particulier la place que la Commission et le Parlement ont donnée aux groupements.

186 À ce sujet, voir l’étude de Éric Montpetit sur les stratégies différentes des groupes d’intérêts dans le système canadien du type Westminter et dans le système étatsunien (2002, 91-112).

224 La place de la société civile dans les discours institutionnels

Ainsi, nous retrouvons un discours officiel des institutions européennes extrêmement présent sur la thématique de la société civile. Nous relèverons les travaux de la Commission européenne qui s’est fortement impliquée sur la place à donner à la société civile tout en recherchant une certaine légitimité face aux autres institutions, notamment le Conseil, ainsi qu’auprès des États membres. Par ailleurs, le Parlement européen situe son action auprès de la société civile dans une perspective semblable avec une position institutionnelle différente. En effet, en tant que seul organe élu, le Parlement européen veut établir sa primauté dans la représentation en incluant les acteurs de la société civile dans le cadre de différentes actions comme, notamment, les auditions et les conférences. Finalement, nous faisons intervenir le CESE qui s’est ‘invité’ dans le discours sur la société civile par le biais de multiples rapports. Institution de deuxième ordre, organe consultatif, c’est la seule à intégrer statutairement les partenaires sociaux, ainsi que le groupe ‘activités diverses’ (société civile) dans les instances décisionnelles de l’organisation, et, de facto , à les inclure dans la préparation de la décision européenne. Cet organe a établi de nombreux avis sur la place de la société civile, et, notamment, sur l’utilité de la démocratie fonctionnelle en se plaçant comme son ‘représentant naturel’ au sein de l’UE.

Notre analyse aura pour but de regarder les fondements de cette attitude vis-à-vis de la société civile, et comment elle a été ‘nourrie’ par les actions des institutions européennes. De plus, nous en tirerons les éléments caractéristiques de la société civile européenne tels que développés par les institutions. À cette fin, nous nous appuierons sur la littérature scientifique concernant les groupes d’intérêts, mais aussi sur celle basée sur les liens entre la gouvernance et les groupes d’intérêts (Smismans, 2002 ; 2005 ; De Schutter, 2002 ; Armstrong, 2001). Ceci nous permettra de trouver des pistes sur la place que pourrait prendre la société civile.

Ce cadre d’analyse permet de construire des hypothèses sur un nouveau système pour la démocratie. En effet, il s’agit d’étudier les possibilités pour le monde politique de rencontrer la société civile et de développer des thématiques différentes en analysant l’influence de la société civile dans le choix des politiques du Parlement européen. Également, nous chercherons à évaluer au sein de cette institution les possibilités d’amélioration en vue de ce défi démocratique exposé en introduction. En conclusion, nous recherchons une approche originale sur le sens de l’influence et de la réciproque existant au sein du Parlement européen avec la société civile organisée, et dans le cadre plus large de la rencontre entre la démocratie représentative et la démocratie fonctionnelle.

225 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

2. L’émergence du rôle de la société civile vue par les travaux des institutions

Le discours des institutions sur la société civile s’est construit particulièrement autour des communications de la Commission européenne. Cette dernière s’est rendue compte tardivement du possible impact de l’usage de la société civile au sein de la gouvernance européenne. Jusqu’alors les relations avec les groupements extérieurs étaient principalement gérées par le biais de la réglementation sur les intérêts 187 . Ainsi, la société civile apparaît timidement dans le domaine de l’économie sociale en partenariat avec le Parlement européen. Toutefois, la distance entre ces deux institutions s’est créée au fur et à mesure que la place de la société civile prenait de l’importance. Ainsi, nous trouvons clairement deux périodes avec des objectifs différents. La première période correspond à l’objectif de trouver des partenaires sociaux capables de répercuter les positions de la Commission et du Parlement au sein des États membres qui eux ont parfois refusé d’entrer en matière sur de nouveaux pans de droit. Il s’agit aussi pour les institutions de peser plus fortement sur la CIG conduisant à Amsterdam. La seconde période montre une Commission plus entreprenante et proactive sur la collaboration avec la société civile. Le Livre Blanc sur la gouvernance représente un point d’apothéose de cette période où la Commission octroie un rôle prépondérant à l’acteur ‘société civile’ en terme de légitimité.

Naturellement, le Parlement européen en fera une autre analyse, en tant que garant du lien représentatif légitime. Lieu de la représentation territoriale, le Parlement voit d’un autre regard les tentatives d’inclure une représentation de la société civile au sein de la gouvernance européenne. Toutefois, il emploie diverses méthodes de contact avec les représentants de la société civile dans le cadre de ses travaux, comme l’expertise, les auditions au sein des commissions parlementaires, ou, également, les activités des intergroupes. Pour reprendre le terme d’Olivier Costa (2001, 352-363), le Parlement a aussi une stratégie sur le citoyen ‘fictif’, c’est-à-dire en utilisant les eurobaromètres afin de percevoir les préférences des citoyens. Ces dernières peuvent être identifiées encore par l’emploi par les citoyens des pétitions et des rapports du Médiateur européen.

Toujours afin d’appréhender les préférences des citoyens, la question des groupes d’intérêts a beaucoup été étudiée par les parlementaires européens. Deux angles d’analyse en ressortent. Premièrement, il s’agit de la question de la réglementation sur l’ouverture du Parlement à des groupes d’influences externes. Deuxièmement, il s’est agi également pour le Parlement de trouver des interlocuteurs structurés au niveau européen. Finalement, nous pouvons voir que la stratégie mise en œuvre par le Parlement est surtout le reflet d’une recherche de nouveaux canaux vers le citoyen.

Pour être complet, l’intervention du Comité économique et social dans le travail institutionnel parachève l’installation de la société civile. Mise en place par le traité de

187 Relevons en particulier la Communication de la Commission du 2.12.92 sur les relations de la Commission avec les groupes d’intérêts. Ce document exprime le choix de l’ouverture avec des conditions de conduite. Cet élément reviendra avec un Livre Vert de la Commission ‘Initiative européenne en matière de transparence’ du 3 mai 2006 lançant une consultation sur ces thèmes. On retrouve les conditions d’accès des groupes d’intérêts et leur intégration aux travaux préparatoires de la Commission.

226 La place de la société civile dans les discours institutionnels

Rome, c’est une institution avec un rôle consultatif, ayant pour vocation d’être le lieu de la représentation fonctionnelle. Nous retrouvons les éléments constitutifs dans les articles 257 et ss. CE. En son sein, il se compose de trois groupes, soit les employeurs, les salariés (syndicats) et les activités diverses. En s’appuyant sur ses trois composantes, et notamment la dernière, la Comité écrira de nombreux avis afin de devenir l’interlocuteur institutionnel le plus légitime possible de la société civile ‘organisée’, toutefois pour une raison différente de la Commission. En effet, il agit dans le but d’affirmer son rôle dans le schéma institutionnel. Nommément, nous pouvons noter un plan d’action ‘société civile organisée’, l’Observatoire ‘Dialogue civil’, la Convention de la société civile organisée au niveau européen, la Plateforme interne ‘Point de rencontre de la société civile organisée’.

Une constante dans le discours du CESE est la promotion de la démocratie fonctionnelle contre la démocratie territoriale, dévolue au Parlement européen. C’est en développant cette thématique que le CESE espère l’attribution de compétences décisionnelles 188 . Toutefois, cette approche a été soumise à la critique, d’une part, des institutions, et, d’autre part, de certains acteurs de la société civile, clamant une identité changeante et, dès lors, ‘non-institutionnallisable’. Il semble aussi que l’accès direct à la Commission, et, en partie, au Parlement, ait réduit l’intérêt de la société civile pour le CESE. Son objectif peut se résumer par le fait de vouloir prendre plus de place dans l’architecture européenne voire même de devenir l’équivalent du Parlement en terme de représentation, avec d’un côté la représentation territoriale et de l’autre la représentation fonctionnelle. Toutefois, la construction de la légitimité par la démocratie fonctionnelle repose la question de la place réelle de l’acteur devant être le symbole de la légitimité démocratique, incarnée par la démocratie territoriale, soit le Parlement européen. En ce sens, nous consacrerons la majorité de l’analyse à la lecture du Livre Blanc sur la gouvernance et sur le système des Conventions.

2.1. De l’économie sociale…

Les rapports récents entre la Commission européenne et la société civile peuvent se résumer en deux périodes. La première est liée aux aspects de l’inclusion de nouveaux acteurs dans le dialogue civil de manière limitée. La seconde représente une prise en compte de la société civile sous l’angle politique de la gouvernance. Dès la fin des années 80, la Commission aborde le sujet de la société civile sous l’angle de l’économie sociale 189 , notamment au sein de la DG XXIII (entreprise). Le traité de

188 La brochure CESE8054/2004, intitulée ‘Le CESE : Un pont entre l’Europe et la société civile organisée’, est éloquente sur la place du CESE. À la suite des modifications de l’article 257 à Nice, il est le coordinateur UE avec la société civile organisée et il appuie le rôle positif de cette dernière dans le cadre du développement d’une conscience et d’une identité européenne. Il rappelle aussi les objectifs politiques poursuivis à terme par le Groupe de liaison avec la société civile. Le titre de la brochure est récurrent dans la phraséologie du CESE depuis la fin des années 90 et démontre de manière très volontariste la place d’unique intermédiaire que souhaite avoir cette institution. Sur le site internet du CESE, cette formule est d’ailleurs devenue le sous-titre officiel de l’institution (http://www.esc.eu.int/index_fr.asp). 189 L’économie sociale ou tiers-secteur se définit en complément des deux autres secteurs de l’économie. Le premier est relatif au système capitaliste qui se caractérise par la recherche du profit par la rentabilisation des investissements. Le deuxième renvoie au secteur public caractérisé par des investissements pour l’intérêt général. L’économie sociale ou tiers-secteur renvoie aux associations, mutuelles, coopération et fondations où le but non-lucratif est obligatoire. Pour plus d’informations sur ce sujet, nous suggérons la lecture de Jacques Godbout (1998).

227 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

Maastricht va donner une base légale pour le dialogue entre la Commission et la société civile, notamment avec la Déclaration 23 [Déclaration relative à la coopération avec les associations de solidarité], qui souligne que « […], dans la poursuite des objectifs de l’article 117 190 du traité instituant la Communauté européenne, une coopération entre celle-ci et les associations de solidarité et les fondations en tant qu’institutions responsables d’établissements et de services sociaux ». Cette reconnaissance du rôle des associations dans un futur dialogue civil est due en grande partie au « lobbying réussi des associations de solidarité allemandes qui craignaient une perte de leur statut national dans le cadre de l’intégration européenne » (Smismans, 2002, 3).

Ce dialogue civil va prendre forme autour de la DG V (emploi et affaires sociales) et des questions liées aux affaires sociales. Sous l’impulsion du commissaire Flynn, la Commission va publier un premier Livre Vert sur la politique sociale européenne (COM(93)551) en 1993, suivi d’un Livre Blanc (COM(94)333) en 1994. Dans ces documents, il faut relever l’importance du dialogue social et, en particulier, la nécessité de renforcer le rôle des partenaires sociaux. Pour la Commission, il semble clair que le développement du Protocole Social (protocole 14, Maastricht) doit se faire avec les partenaires sociaux qui eux font pression sur les États pour sa mise en place, notamment, par exemple, sur la Grande-Bretagne afin qu’elle intègre pleinement ce protocole.

Ainsi, lors de la CIG en 1996, la DG V organise en coopération avec la commission des affaires sociales du Parlement européen le premier Forum européen des politiques sociales en mars 1996 191 . Dans le cadre du Forum, la Commission a encouragé la création en 1995 de la Plate-forme des ONG du secteur social 192 . Cette dernière représente un réseau d’associations actives dans le domaine social, et un partenaire privilégié de la Commission dans le cadre d’un dialogue structuré. Les ONG à l’origine de la plate-forme furent celles intégrées dans le travail ayant conduit au Livre Vert et au Livre Blanc sur la politique sociale. Logiquement, ces dernières, encouragées par la Commission, ont établi un réseau qui regroupe maintenant 38 membres et 3 membres associés et agit sur des thématiques larges allant des questions d’égalité à la pauvreté, des migrants aux personnes âgées.

Ce lobbying sur la CIG 1996 aura deux impacts dans le traité d’Amsterdam. Le premier est la Déclaration 38 relative au bénévolat193 . Le second est la nouvelle base

190 Article relatif aux dispositions sociales dans le Titre VIII ‘Politique sociale, éducation, formation professionnelle et jeunesse’. On peut lire : « Les États membres conviennent de la nécessité de promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail de la main d’œuvre permettant leur égalisation dans le progrès. Ils estiment qu’une telle évolution résultera tant du fonctionnement du marché commun, qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux, que des procédures prévues par le présent traité et du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives. » Cet article sera repris et complété par le Protocole 14 sur la politique sociale de Maastricht dans le traité d’Amsterdam sous le chiffre 136 191 Selon les chiffres rapportés par Smismans (2003b, 476), le premier Forum a attiré environ 100'000 participants provenant principalement des ONG du secteur social. Le Forum suivant, en 1998, a accueilli 130'000 participants provenant d’horizons plus divers. 192 Pour plus d’information à ce sujet : http://www.socialplatform.org 193 On trouve dans cette déclaration des éléments importants que l’on reproduit ici : « La Conférence reconnaît la contribution importante des activités de bénévolat pour le développement de la solidarité sociale. La Communauté encouragera la dimension européenne des organisations bénévoles en mettant

228 La place de la société civile dans les discours institutionnels

‘constitutionnelle’ de la politique sociale établie dans le traité d’Amsterdam sous les article 136 à 145. Sur les aspects relatifs à la coopération entre la Commission et les partenaires sociaux, il faut relever les articles 138 et 139 CE. Cette avancée très sectorielle, politique sociale, développe un regain d’intérêt général pour les ONG de la part de la Commission. Ainsi, au même moment où l’accord politique (17 juin 1997) sur le traité d’Amsterdam se conclut, la Commission publie une communication sur ‘la promotion du rôle des associations et des fondations en Europe’ (COM(97)241 final du 6 juin 1997).

Outre la coïncidence des dates, cette communication est très intéressante car la Commission pose les jalons pour son action future auprès de la société civile tout en gardant la terminologie de l’économie sociale (associations et fondations). Le rôle positif de ces organisations est mis en avant, car « elles participent à la création d’emplois, à la manifestation d’une citoyenneté active et à l’exercice de la démocratie » (COM(97)241, 2). Les deux derniers éléments sont précurseurs du travail à venir sur la gouvernance de l’Union européenne, et marque la fin de la période du dialogue sectoriel avec la société civile. La Commission s’emploie également à définir les associations en relevant cinq traits communs : un degré d’existence formelle ou institutionnelle ; un but non lucratif ; une indépendance face au pouvoir public ; un objectif d’intérêt général et un désintéressement du pouvoir 194 ; une activité prépondérante dans la vie publique. De ces traits communs, on peut relever quatre fonctions remplies par les associations : prestation de services ; militantisme ; assistance des membres ; propres ressources et coordination interne. Toutefois, et par conséquent, la Commission exclut de sa définition de l’association des acteurs, comme les partis, les syndicats et organisations patronales, et les groupements religieux. Outre l’émergence des questions de gouvernance, le rôle des associations est encore perçu par son rôle économique important ainsi que par sa ‘capacité sociale’ de mobilisation et d’information195 .

Dans la logique du développement de la gouvernance, la Commission souhaite s’appuyer sur les associations pour contribuer au sentiment d’appartenance à l’UE et la mise en œuvre de l’article 17 CE [ex article 8], car « les associations assument cette fonction d’une part en mettant le public en mesure de juger de manière critique et en connaissance de cause les décisions et initiatives gouvernementales et, de l’autre, en proposant leur expertise aux pouvoirs publics et en sensibilisant ceux-ci à l’écho que rencontrent leurs politiques dans l’opinion publique » (COM(97)241, 8). De plus, la Commission va s’appuyer sur le Protocole 7 du traité d’Amsterdam qui l’engage à procéder à de « larges consultations avant de proposer des textes législatifs ». Par conséquent, cela annonce l’analyse de la Commission sur l’attente vis-à-vis de la particulièrement l’accent sur l’échange d’informations et d’expériences ainsi que sur la participation des jeunes et des personnes âgées aux activités bénévoles ». 194 Bien que se structurant sur des thématiques particulières, la présence de l’intérêt général est au cœur de la démarche associative. Il faut aussi noter que cette objectif se couple d’un désintéressement du pouvoir. C’est-à-dire que les participants n’agissent pas dans la compétition pour des places électives au contraire des partis politiques. 195 On compte le nombre de membres dans les associations. Selon la Communication, en 1997, on relève selon les États entre un tiers et la moitié de la population serait membre d’une association, soit environ cent millions de personnes. Cette capacité de réunion est essentielle aux yeux de la Commission afin de sensibiliser les citoyens à l’Europe même si la grande partie est organisée au niveau local, d’où l’importance d’organisation faîtière transversale européenne pour le dialogue structuré.

229 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question société civile, et de son nouveau rôle, celui de relais de l’opinion publique 196 . Cela permettra aux institutions de dépasser les blocages fonctionnels que peuvent connaître les États et rechercher par la suite une nouvelle légitimité pour agir par le biais d’un dialogue citoyen structuré. Néanmoins, le texte ne remet pas en cause les organes représentatifs issus des urnes. Comme nous le verrons plus tard, cette assertion sera rediscutée dans le cadre du Livre Blanc sur la gouvernance.

La Commission rappelle aussi à quel point il est nécessaire d’établir formellement ce dialogue du fait que les institutions le pratiquent déjà 197 . Nommément, le Parlement européen s’est ouvert aux associations par le biais de l’expertise et des auditions. Les institutions considèrent appréciable l’appui de la société civile pour « sa connaissance et son expérience de la politique sociale, des dossiers relatifs à l’environnement, aux aides et au développement, et aussi parce qu’il constitue un lien essentiel avec les citoyens à l’échelon local, en particulier avec les catégories sociales les plus vulnérables » (COM(97)241, 8).

En conclusion, la Commission rappelle l’important travail fait en vue de la CIG 1996 pour la reconnaissance du travail associatif, et annonce la mise en place d’un suivi de la CIG. Il faut aussi relever que la recherche de nouveaux partenaires est une préoccupation de la Commission qui cherche à élargir son assise à l’endroit des associations dans différents pays et différents domaines. À cette fin, elle propose le renforcement du dialogue ainsi que la création d’une nouvelle ligne budgétaire afin de « promouvoir la coopération avec les ONG et autres organisations du secteur associatif et renforcer la capacité de ces organisations à s’engager dans le dialogue civil à l’échelon européen » (COM(97)241, 10). Outre les problèmes financiers, le texte rappelle deux problèmes importants qui sont la faible représentativité des organisations (d’où la nécessité des réseaux) et les différentes législations nationales sur les associations.

À l’instar de Smismans (2003b, 477), nous percevons le travail sectoriel effectué par la Commission notamment dans le cadre de la politique sociale. Toutefois, jusqu’alors, l’objectif politique n’était pas d’impliquer la société civile dans la réflexion sur la gouvernance. Cela sera par la suite que le discours sur la société civile sera développé par la Commission dans le but de réformer, et, surtout, comme un moyen de légitimation. Néanmoins, le document de 1997 annonce déjà les prémices de cette stratégie de la Commission.

196 À ce sujet, il faut relever le discours de Jacques Delors lors de la ‘Première Convention de la société civile organisée au niveau européen’ en 1999 qui voit un champ de responsabilité pour la société civile au niveau européen (voir http://www.notre-europe.eu/fr/dans-lactualite/publication/intervention-de- jacques-delors-a-la-convention-de-la-societe-civile-1/) 197 Pour la Commission, il faut relever « la DG IB, la DG XVIII et les agences d’aide au développement et ECHO qui ont acquis une expérience d’un grand intérêt dans leur coopération avec les ONG humanitaires, la DG V et la plate-forme des ONG du secteur social issue du Forum social, la DG XI et les organisations environnementales, la DG XXIII et le comité consultatif des coopératives, mutuelles, associations et fondations. La DG X s’intéresse, elle aussi, au secteur associatif dans le cadre de la diffusion d’informations aux citoyens sur les affaires européennes » (COM(97)241, 8).

230 La place de la société civile dans les discours institutionnels

2.2. …. à la société civile organisée

La deuxième période voit apparaître, à la suite de la communication COM(97)241, une Commission s’affirmant sur le plan des organisations de la société civile. En effet, ces dernières sont considérées maintenant comme une nouvelle source de légitimation des politiques de l’Union, et aussi comme un possible soutien à la Commission. L’expérience acquise dans le dialogue social va prendre une autre tournure plus générale sur les problèmes de gouvernance pour deux raisons. La première est liée à la déception du traité d’Amsterdam et la nécessité pour l’Union de s’affirmer dans l’espace politique en terme de légitimité face aux États afin de gagner plus de compétences. La seconde est relative à une décision en 1998 de la CJCE annulant l’allocation de fonds par la Commission pour des associations en raison d’une absence de base légale 198 .

En réaction à cette affaire, la Commission a décidé de revoir l’ensemble des lignes budgétaires et de suspendre temporairement celles non soutenues par une base légale claire. Par ailleurs, à la suite de cet événement, les associations dépendantes des aides communautaires se retrouvèrent en difficulté et cherchèrent des alternatives. La plus importante a été d’adhérer à la Plate-forme des ONG du secteur social ainsi que l’alliance entre les ONG ‘développement’ et celles des droits de l’homme. Selon Smismans, l’ampleur de la crise força les eurodéputés, le Conseil, les États ainsi que certains membres de la Commission à aider les ONG. Ce qui fut fait avant la fin 1998 (2002, 7). Cette crise marqua la nécessité pour les ONG d’établir des règles de dialogues claires avec les institutions, notamment sur les questions financières et l’usage de l’expertise.

Un dernier élément marquera les relations inter-institutionnelles et influera sur les relations avec la société civile. Il s’agit de la procédure de censure de la Commission Santer. La Commission se chargera dorénavant de travailler sur sa propre légitimité et l’octroi de nouvelles compétences envers les États en laissant le Parlement de côté. À la même période, le CESE va aussi intervenir sur la scène institutionnelle pour se positionner dans le débat sur la société civile.

2.2.1. La société civile dans les avis du Comité économique et social européen

Un des textes les plus intéressants sur la place de la société civile au sein de l’Union européenne est rédigé par le Comité économique et social sous la forme d’un avis d’initiative en 1999. Dans ce document (CES851/99), le Comité se positionne comme interlocuteur privilégié de la société civile, mais surtout se place en concurrence, d’une part, avec la Commission sur les réseaux, et, d’autre part, avec le Parlement sur

198 Affaire C-106/96 : Arrêt rendu le 12 mai 1998 avec pour titre : ‘Programme d’action communautaire contre l’exclusion sociale – Financement – Base légale’ opposant la Grande-Bretagne (soutenu par l’Allemagne, le Conseil et le Danemark) contre la Commission (soutenu par le Parlement européen). L’affaire consiste en le financement non fondé par la Commission envers des associations sur la base du programme Pauvreté 4 qui n’a pas été adopté par le Conseil. Entre temps, la Commission avait décidé d’utiliser sa ligne budgétaire pour lutter contre l’exclusion sociale (lié en vertu des commentaires à la mise en œuvre du programme Pauvreté 4) en soutenant 86 projets. Ainsi la CJCE statuera sur l’incompétence de la Commission a délivré ces fonds, mais maintiendra les paiements en cours pour ne pas prétériter les expériences en cours (souhait exprimé par la Grande-Bretagne, le Danemark et le Parlement européen).

231 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question la représentation. De plus, le travail entamé par le CESE contribuera sans nul doute à faire passer le Comité pour l’institution représentative de la ‘société civile’. Ce texte présente des notions historiques et académiques étonnantes sur la société civile pour un document provenant d’une institution européenne. Cette recherche entreprise sur la société civile permet au CESE de figurer et d’identifier la société civile, et à placer la représentation fonctionnelle dans le discours général. On trouve une thématisation de la société civile sur cinq dimensions : l’aspect formel, base volontaire de l’adhésion, structuré par le droit, lieu de la formation de la volonté collective et de représentation des citoyens, espace de subsidiarité. Comme nous le verrons, le CESE approfondira beaucoup les questions de représentation et de subsidiarité fonctionnelle.

Pour l’identifier, le CESE essaie de définir de manière générale la société civile comme « un concept global désignant toutes les formes d’action sociale d’individus ou de groupes qui n’émanent pas de l’État et qui ne sont pas dirigées par lui. La société civile a ceci de particulier qu’elle est un concept dynamique, décrivant à la fois une situation et une action » (CES851/99, 5). Outre les éléments qui ont permis le développement de la société civile (culture, pluralisme, autonomie, solidarité, visibilité, participation, éducation, responsabilité, subsidiarité), le Comité identifie les acteurs. Pour lui, la société civile organisée est constituée des partenaires sociaux, des organisations représentatives des milieux socio-économiques, des ONG, ‘des organisations de base’ ( grass-roots ), et des communautés religieuses. On retrouve dans ce large éventail la logique inhérente au CESE, tandis que d’autres institutions, comme la Commission, en donneront une définition plus restrictive. Le CESE ne pouvait éliminer les partenaires sociaux (groupe I et II) et certains membres du groupe III – société civile. De plus, la reprise de la structure interne du CESE rendait la défense de ses intérêts aisés auprès des autres institutions en évitant une restructuration interne d’importance.

Dans le cadre de la représentation fonctionnelle, le CESE se place face au Parlement européen afin de compléter le cadre représentatif. Ainsi, en fonction des acteurs le composant, le Comité propose un réajustement de la représentation dans une approche digne des associationnistes, comme on peut le lire dans un des avis de cette institution :

« l’identité du citoyen est également déterminée par son appartenance à des groupes sociaux présents sous de multiples formes dans la société civile organisée. Ces critères d’identité du citoyen liés à sa fonction dans le cadre de la société civile organisée, ne sont pas représentés au Parlement européen. Or ce sont précisément ces critères d’identité qui sont pris en compte par le Comité en tant que représentant de la société civile organisée : le Comité contribue ainsi à la démocratisation au niveau européen et peut faire valoir auprès du Parlement européen le fait qu’il représente une réelle valeur ajoutée au sein du processus décisionnel européen. Ne serait-ce qu’en raison de ses compétences, le Comité ne peut pas concurrencer le Parlement, mais il complète judicieusement sa légitimité » (CES851/99, 13).

Afin de concrétiser le développement élaboré dans cet avis, le CESE organisa deux ‘Conventions de la Société civile organisée’ les 14-15 octobre 1999 et les 8-9 novembre 2001. Lors de ces séances, les débats se sont articulés autour des notions de représentativité des ONG, la définition de la société civile et son contenu ainsi que le rôle du CESE dans le processus de développement de la société civile européenne. En considérant les différents rapports du CESE à la même époque, la volonté d’être le lieu de la représentation de la société civile, et, par conséquent de toute la société

232 La place de la société civile dans les discours institutionnels civile, était très présent à l’esprit des membres. Toutefois, les deux Conventions ont permis de repousser cette idée afin que le CESE devienne un lieu d’expression, de coordination et de facilitation pour les réseaux d’ONG européennes.

La Commission, poussée par les événements internationaux – Seattle, Davos 199 – et la crise financière, déposa en 2000 une nouvelle Communication sur ‘la Commission et les organisations non gouvernementales : Le renforcement du partenariat’ (COM(2000)11 final) 200 . Très proche du document de 1997, la Commission rappelle le rôle des ONG, les origines de la crise budgétaire qui conduisent à la nécessité de ce texte 201 , et, aussi, l’objectif de la communication. Dans ce texte, il faut aussi voir deux éléments déclencheurs. D’une part, il s’agit pour la Commission Prodi de se distinguer de la Commission Santer en établissant un cadre général avec les ONG et d’autre part de lancer la discussion dans le cadre de la CIG 2000 où la Commission souhaitait prendre une part plus importante.

À l’instar du texte de 1997, le document de la Commission caractérise les ONG par cinq éléments : non-enrichissement personnel ; bénévolat ; aspect formel ; indépendance ; intérêt général. De même, la Commission rappelle l’implication primordiale des corps élus dans la légitimation de l’UE, mais met l’accent sur l’impact positif des ONG dans le cadre de la démocratie, notamment dans les PECO. Une fois encore, les ONG se voient attribuer le rôle de relais entre les institutions et la population. Outre cet aspect, l’européanisation potentielle que peut apporter la dimension société civile dans la politique de l’Union est très nettement mise en avant par la Commission.

L’accent général du texte s’articule sur le cadre budgétaire pour les relations entre la Commission et les ONG. De plus, différents cadres de relations sont discutés pour voir comment améliorer les contacts structurés et les groupes ad hoc . En résumé, le document de 2000 va plus loin que celui de 1997, car il s’inscrit dans la volonté d’agir dans le cadre général de la gouvernance, dans le but d’améliorer la démocratie dans l’UE. Si on compare à 1992, où les ONG sont considérées comme des groupes d’intérêts, nous nous trouvons dans une qualité terminologique fondamentalement différente. Le discours de la Commission s’accorde sur les termes intérêts généraux, légitimité, démocratie, européanisation, relais citoyen. En huit ans, la Commission a enrichi son discours sur la société civile à des fins internes de légitimation, mais a

199 Ces événements poussent la DG Commerce à encourager les tables rondes sur les questions liées à la mondialisation afin de rassurer les associations sur le rôle de l’UE dans les négociations internationales. Il est intéressant de voir sur le site de la DG les pages liées au dialogue civil avec la liste de tous les groupes de contact (http://trade-info.cec.eu.int/civilsoc/index.cfm) 200 Il est intéressant de relever que la société civile est souvent le produit de son époque. À ce propos, il faut regarder l’article de Maximos Aligisakis sur la société civile en tant que concept de son espace- temps (2001, 7-16). 201 La Commission exprime très clairement le contexte financier qui demande le renouvellement des bases du partenariat avec les ONG : « Cependant, la complexité des politiques européennes, ainsi que le nombre croissant de réglementations et de sources de financement (lignes budgétaires), à quoi s’ajoutent les problèmes récents de sécurité financière, ont fait naître beaucoup d’incertitude parmi les ONG quant à la coopération avec la Commission. Aussi bien la Commission que les ONG souhaitent établir leurs relations sur de nouvelles bases. Le contexte de cette initiative est la reconnaissance par les ONG qu’un grand nombre de politiques se décident maintenant au niveau européen, ainsi que l’augmentation des financements de l’Union européenne disponibles pour les ONG. Avec une nouvelle Commission décidée à réaliser le changement et la réforme, le temps est venu de prendre une initiative nouvelle » (COM (2000) 11, 2).

233 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question aussi permis à la société civile d’obtenir le statut d’agent de démocratie. La construction de ce statut n’est pas sans conséquence. Ainsi, le développement dépasse maintenant bien les efforts des périodes précédentes ; nous retrouvons la volonté de développer un dialogue structuré dans des secteurs autre que le social comme dans les droits de l’homme, le développement, l’environnement et la protection du consommateur. Cette extension des domaines est due, comme le rappelle la lecture des textes de la Commission, au fait de percevoir les ONG comme représentant une nouvelle voie de participation, plus proche des populations défavorisées, expert auprès de la Commission, gérant des programmes d’aide européens, ainsi tout en ayant subsidiairement une oreille favorable à l’intégration européenne.

L’avis du CESE (CES811/2000) sur cette communication de la Commission reflète en partie la position lors de la CIG 2000 et reprend aussi son document de 1999. Les éléments clefs sont liés à l’importance attachée à l’indépendance des ONG envers le financement et surtout à l’établissement de critères de représentativité. En effet, la consultation plus large que souhaite la Commission ne peut s’inscrire qu’avec des ONG reconnues comme crédibles. Ainsi, l’avis fait état de la mise en place de critères de représentation qualitatifs, car les critères quantitatifs sont nécessairement d’une portée limitée. L’autre objectif pour le CESE est de mettre la notion de ‘société civile organisée’ dans le traité qui se dessine afin que « la société civile (organisée) devien[ne] ainsi une notion juridique et les questions éventuelles qui subsisteraient encore sur les participants à un dialogue civil seraient clarifiées par la loi » (CES811/2000, 5). Finalement, le texte rappelle les éléments d’importance quant à la mise en œuvre d’une démocratie participative en Europe, ainsi que la reconnaissance de critères de légitimité basée sur la compétence.

L’ajout du vocable de la société civile par les institutions s’est traduit dans le traité de Nice par l’ajout dans l’article 257 CE quant à la composition du CESE de l’expression ‘société civile organisée’. Durant cette même période, la Commission initie un débat sur la gouvernance dans le cadre de la rédaction future d’un Livre Blanc. Nous retiendrons particulièrement l’avis du CESE (CES535/2001) qui se construit autour d’une analyse étonnante sur la notion de gouvernance en donnant plus de définitions pour déconstruire le terme. Nous retiendrons l’axe mis sur la démocratie participative et la légitimation. Afin de répondre aux critiques sur ce dernier aspect, le CESE propose une liste de huit critères afin de définir la qualité des organisations consultées, soit :

« - être dotée d’une structure durable au niveau européen ; - garantir un accès direct à l’expertise de ses membres et, partant, des consultations rapides et constructives ; - représenter des intérêts généraux, conformes aux intérêts de la société européenne ; - être composée d’organisations qui, au niveau de leurs États membres respectifs, sont considérées comme représentatives des intérêts qu’elles défendent ; - disposer d’organisations la représentant dans la grande majorité des États membres de l’UE ; - prévoir une obligation de rendre compte aux membres de l’organisation ; - disposer d’un mandat de représentation et d’action au niveau européen ; - être indépendante et ne pas être soumise à des directives provenant de l’extérieur » (CES535/2001, 7).

234 La place de la société civile dans les discours institutionnels

Dans une perspective très pluraliste, le CESE accentue l’identité d’une subsidiarité fonctionnelle qui serait complémentaire de la subsidiarité territoriale. L’idée serait surtout de pouvoir redistribuer la responsabilité de la décision entre les institutions et les acteurs de la société civile organisée.

2.2.2. Le Livre Blanc sur la gouvernance de la Commission européenne

Suite à ces différents travaux et surtout à la première Convention 202 , la Commission délivre son Livre Blanc sur la gouvernance 203 (COM(2001)428 final). Partant du faible taux de participation aux élections européennes, la Commission s’interroge sur la perception des institutions européennes auprès des citoyens européens. Il en ressort de nombreuses faiblesses comme l’incapacité à conduire certaines politiques publiques, le manque de visibilité de son action, le rôle ambigu des États membres sur les succès politiques, et la complexité institutionnelle de l’Union. Néanmoins, ces éléments ne conduisent pas nécessairement à un sentiment anti-européen, même au contraire, la Commission pense qu’il existe une réelle attente pour plus d’efficacité des politiques européennes. Pour répondre à cette attente, la Commission propose de revoir la gouvernance de l’Union en adressant un document à l’ensemble des partenaires traditionnels (institutions, États membres), aux pouvoirs locaux et à la société civile.

Sur ce dernier élément, la Commission considère la gouvernance en terme d’amélioration de la démocratie participative, et veut revoir la fonction top-down au profit d’une structure réticulaire allant de la définition d’une politique à sa mise en œuvre. En conséquence, outre les différentes mesures, le sous-titre ‘Impliquer la société civile’ comporte des éléments extrêmement intéressants sur la perception générale du rôle de la société civile. Le texte, par rapport à ceux de 1997 et de 2000, est plus approfondi sur l’implication des acteurs autrefois exclus. En effet, le rôle des Églises et communautés religieuses ainsi que des organisations syndicales et patronales est mentionné.

202 Relevons le commentaire de Smismans à ce propos : « La place centrale occupée par le concept de société civile dans le Livre Blanc peut être reliée au processus de rédaction de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, qui a pris place quelques mois auparavant au sein de la Convention, composée des représentants des gouvernements et des parlements nationaux, du Parlement européen et de la Commission européenne. Bien que les organisations de la société civile n’avaient pas de rôle formel dans la Convention, les consultations ‘auditions’ et leur influence informelle par les contributions électroniques et les contacts avec des membres de la Convention ont contribué à donner à la Charte une représentativité des valeurs européennes communes. La Commission européenne n’a pas manqué de remarquer ‘le capital-légitimité’ d’un tel dialogue civile et lui a naturellement donné une place centrale dans le Livre Blanc sur la gouvernance européenne » (2003b, 480 [trad. par l’auteur]). 203 Nous notons que le terme gouvernance dans ce Livre Blanc est expliqué de la façon suivante : c’est « la manière dont l’UE utilise les pouvoirs qui lui sont confiés par ses citoyens. Elle porte sur la façon dont les choses pourraient et devraient se faire. Le but est d’ouvrir le processus d’élaboration des politiques afin qu’il se caractérise par une participation et une responsabilisation accrues. Une meilleure utilisation des pouvoirs devrait rapprocher l’UE de ses citoyens et renforcer l’efficacité des politiques » (COM(2001)428, 9). Pour cela, la Commission énonce cinq principes de la bonne gouvernance : ouverture, participation, responsabilité, efficacité, cohérence. « Chacun de ces principes est important en soi. Mais ils ne peuvent pas être mis en pratique par des actions séparées. Les politiques ne peuvent plus être efficaces si elles ne sont pas élaborées, mises en œuvre et appliquées d’une manière plus participative » (COM(2001)428, 13).

235 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

La Commission note que le rôle de la société civile « permet de faire participer plus activement les citoyens à la réalisation des objectifs de l’Union et de leur offrir un canal structuré pour des réactions, des critiques et des protestations » (COM(2001)428, 18). À cette fin, la Commission propose d’améliorer les canaux de participation, notamment en mettant en place une base de données complètes sur les acteurs de la société civile. Cette proposition prendra corps dans le cadre de la base CONNECS 204 qui liste l’ensemble des organisations de la société civile, ainsi que les organes consultatifs, ce qui permet à la Commission de mieux informer le public sur le rôle joué par les ONG dans les organes consultatifs. Pour la société civile se définissant comme peu structurée, elle trouve ici un instrument de publicité et de communication extrêmement précieux même si être présent dans la base de données ne représente pas une reconnaissance officielle par la Commission.

Le Livre Blanc édicte aussi des recommandations pour les institutions, notamment le CESE et le Parlement européen. Pour le premier, la Commission souhaite qu’il joue un rôle plus pro-actif notamment en raison de la modification de l’article 257 à Nice qui le place favorablement vis-à-vis de la société civile organisée. Pour le second, le Livre Blanc propose que le Parlement aille plus loin dans le domaine de la participation et du dialogue avec la société civile, notamment en recourant plus souvent aux auditions publiques. Dans le même ordre, les partis politiques et les parlements nationaux doivent également participer plus activement avec le Parlement européen.

Il n’en reste pas moins que la Commission rappelle que la société civile doit respecter les principes de bonne gouvernance avec l’appui de cette même Commission. L’idée serait d’introduire un code de conduite sur les normes de consultation et des accords de partenariat. Nous retrouvons la plupart de ces principes mis en œuvre, notamment sur le site consacré à la société civile (http://europa.eu.int/comm/civil_society/index_fr.htm).

Le Livre Blanc a donné lieu à un ensemble de critiques, notamment sur le manque de clarté quant à l’acteur ‘société civile’. La place du citoyen est aussi remise en question. En effet, cette vision organisée de la société civile réduit le citoyen à son existence collective, le citoyen n’existe qu’organisé. Parmi les institutions, nous retiendrons les commentaires du Parlement européen, par le biais du rapport A5-0399/2001, et le Comité économique et social, avec l’avis CES357/2002. L’axe développé par la Commission n’a pas enthousiasmé le Parlement et, notamment, sur la question de la démocratie participative et le rôle quasi représentatif que pourrait avoir la société civile. Ainsi, la rapporteuse, Sylvia-Yvonne Kaufmann (DE, GUE/NGL), rappelle que le Livre Blanc sur la gouvernance ne saurait être qu’un élément sur la question de la gouvernance qui englobe de nombreux sujets tels que les questions de « la légitimation, du parlementarisme, de la publicité, du contrôle et de la participation » qui permettent une analyse de fond du déficit démocratique (A5-0399/2001, 6). Toute la réflexion contenue dans le domaine de la légitimation démocratique et la place de la démocratie tient dans le postulat que « la parlementarisation du système décisionnel de l’Union suppose une plus grande transparence des travaux du Conseil et la participation des parlements – du Parlement

204 CONECCS : Consultation, la Commission européenne et la société civile ; http://europa.eu.int/comm/civil_society/coneccs/

236 La place de la société civile dans les discours institutionnels européen et des parlements nationaux – qui représente la base de l’ordre européen démocratiquement légitimé et que seules les institutions démocratiquement légitimées peuvent prendre des décisions législatives responsables au niveau régional, national et européen » (A5-0399/2001, 9).

L’essentiel du propos du rapport sur la société civile se tient dans les principes et sur les axes de participation. Sur les premiers, le Parlement estime qu’il n’est pas acceptable qu’une organisation autre qu’élue au suffrage universel puisse empiéter sur les compétences législatives. Par conséquent, si la Commission souhaite renforcer le dialogue avec les citoyens, elle doit soutenir le Parlement européen pour l’obtention d’un renforcement de ses compétences législatives, notamment en lui donnant les capacités de travailler dans le but d’une harmonisation plus efficace des divers cadres juridiques nationaux. En outre, la légitimation démocratique ne peut être donnée que par le Parlement européen et les parlements nationaux. Sur les seconds, les axes de participation, la critique des eurodéputés est plus dure. Nous retiendrons le rappel de la place inévitablement sectorielle de la société civile qui « ne peut être le dépositaire autonome de la légitimation démocratique » (A5-0399/2001, 10). Dès lors, son rôle ne peut être perçu que comme un complément des institutions législatives légitimes, et, en aucun cas, comme un succédané. Seuls le Parlement et le Conseil sont légitimes pour intervenir dans la procédure législative. Finalement, le rapport estime qu’en vertu du nouvel article 257 TCE, c’est au CESE de jouer un rôle plus important dans la consultation et c’est à la Commission de l’utiliser. Il est évident aussi que le Parlement rappelle avec force la place de la commission des pétitions et de la plainte au Médiateur européen auprès des citoyens européens. En effet, ces deux outils ont été oubliés dans le Livre Blanc.

Pour illustrer la véhémence du rapport du Parlement, nous pouvons reprendre l’avis de la commission juridique joint au rapport (A5-0399/2001, 24-27) qui rappelle les valeurs de la société démocratique et les modes d’expression de la délégation du pouvoir. En aucun cas, le dialogue civil ne peut remplacer le processus démocratique représentatif sous peine de le fausser gravement. La commission juridique indique que la démocratie directe ne peut être opérationnelle que dans de petites cités ou pays 205 . L’ensemble du raisonnement peut être discuté sur la conception dynamique du rôle du citoyen. En effet, l’angle choisi est celui de la démocratie représentative exclusivement. Néanmoins, l’implication plus importante des citoyens par divers moyens aboutit à une mise en pratique d’une démocratie directe parallèlement à la représentation territoriale classique. En conclusion, pour la commission juridique, une

205 Le texte de la commission juridique est extrêmement révélateur de la pensée du Parlement européen face à la société civile telle que développée dans le Livre Blanc sur la gouvernance. Nous reproduisons ici une large part afin d’illustrer notre propos : « Au sein des sociétés démocratiques, les citoyens disposent de canaux institutionnalisés leur permettant de se faire entendre des centres de pouvoir : élections, plébiscites et référendums. Aucun processus technique ni canal informel n’est susceptible de remplacer les processus d’expression démocratique existants d’autant que les citoyens accèdent aux pouvoirs publics au travers des urnes, leurs voix s’exprimant dans le cadre de processus électoraux assortis de garanties d’indépendance. […] Remplacer ce processus par un ‘dialogue’ avec les intéressés, les autorités régionales et locales et les représentants des organisations non gouvernementales aboutirait à fausser gravement le processus démocratique. La démocratie directe, opérationnelle au sein des petites cités de la Grèce antique et/ou dans certains cantons suisses faiblement peuplés, ne se prête pas à une transposition au sein des sociétés modernes fortement peuplées. La multiplication des procédures et organes de consultations que recommande le Livre Blanc ne va pas améliorer les processus décisionnels et risque même de les compliquer et retarder » (A5- 0399/2001, 26).

237 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question seule solution se dégage, soit le renforcement des compétences législatives du Parlement.

Le CESE lui est plus mesuré dans ses commentaires du Livre Blanc et rappelle à de multiples reprises son nouveau rôle inscrit dans le traité de Nice, soit celui d’être un ‘représentant’ de la société civile organisée. Le CESE revient beaucoup sur son rapport précédant le Livre Blanc pour rappeler le principe de subsidiarité fonctionnelle qui devrait trouver sa place dans la nomenclature européenne au même titre que la subsidiarité territoriale. Le Comité regrette aussi le manque de prise en compte de critères définissant les acteurs de la société civile et rappelle son avis précédent (CES535/2001) sur les conditions permettant d’identifier les associations pouvant agir dans le dialogue civil européen.

La définition de la société civile est d’autant plus importante qu’elle permet potentiellement aux citoyens d’exprimer leurs préoccupations et de fournir des services correspondant aux besoins de la population. De plus, les ONG jouent un rôle de vigie pour l’orientation du débat politique (concernant notamment l’aide au développement) et donnent un moyen aux citoyens de participer plus activement et offrent un canal structuré pour des réactions, des critiques et des protestations.

Finalement, pour la Commission, nous considérons deux buts importants de cette stratégie politique de la gouvernance. Premièrement, c’est la reconnaissance de la société civile comme un régénérateur de légitimité et d’intégration. Deuxièmement, c’est la recherche d’une meilleure inclusion des citoyens. Lors de la discussion sur un document de suivi du Livre Blanc (Communication de la Commission) ayant pour titre ‘Vers une culture renforcée de consultation et de dialogue – Principes généraux et normes minimales applicables aux consultations engagées par la Commission avec les parties intéressées’ du 11 décembre 2002, la Commission et le Parlement ont émis de manière similaire leur point de vue sur la société civile que lors de la discussion sur le Livre Blanc sur la gouvernance. Tout en reprenant certains arguments du rapport Kaufmann, la Commission réaffirme la nécessité des organisations de la société civile car il s’agit des « principales structures de la société en-dehors de l’État et de l’administration publique, ainsi que des acteurs économiques qui ne sont pas généralement considérés comme faisant partie du tiers secteur ou des ONG » (COM(2002)704, 6). Pour le Parlement, le resserrement des liens avec les citoyens passe nécessairement par un accroissement des pouvoirs législatifs ainsi que par une procédure électorale uniforme.

2.3. Les Conventions et les impacts des ‘non’ français et néerlandais

La dynamique et le succès de la première Convention portant sur les droits fondamentaux ont poussé les dirigeants européens à lancer une Convention pour l’avenir de l’Europe. L’argumentaire sur d’une part la Déclaration 23 du Traité de Nice et d’autre part sur la Déclaration de Laeken 206 porte sur l’efficacité de l’Union élargie et comment rapprocher le citoyen des institutions. Sur le modèle de la première Convention, l’usage de la société civile organisée est perçu comme nécessaire pour développer un large débat. La différence notable, et qui portera à

206 Annexe aux Conclusions de la Présidence, Conseil européen de Laeken, 14-15.12.2001 (PE313.424)

238 La place de la société civile dans les discours institutionnels conséquence, est que l’exercice relatif aux droits fondamentaux était clair, alors que dans la deuxième Convention la question du but de l’intégration européenne reste indéterminée.

Il est aussi intéressant de noter des similarités dans le traitement de la société civile dans les deux Conventions. Sur la première Convention – établissement d’une Charte des droits fondamentaux dans l’UE – il faut relever l’étude de De Schutter (2002, 206- 213) qui analyse les effets qu’elle a pu avoir sur les institutions et la société civile. Il faut relever en général le problème que peut poser l’expertise, notamment la qualité de l’expert et la nuance entre ‘faits’ et ‘valeurs’. La grande ouverture des débats et la possibilité de participation est un fait qui, dans le cas d’une Convention, contribue au processus de légitimation. D’ailleurs, les sites internet 207 sont un exemple de transparence dans le cas des Conventions.

Toutefois, il faut relever des aspects négatifs. De Schutter (2002, 8) en relève trois en particulier. Premièrement, il existe un transfert de pouvoir des membres au secrétariat en charge de faire la synthèse des nombreux amendements proposés 208 . Deuxièmement, et par conséquent, cela produit une certaine ‘dilution’ des responsabilités. Troisièmement, en raison de l’ouverture totale, il n’y a pas eu de liste d’intervenants privilégiés. Dès lors, l’accent sur la liberté d’expression a peut-être contrevenu à la possibilité d’avoir des avis plus construits par des acteurs reconnus. Ainsi, la représentativité des organisations intervenantes peut aussi être sujet à caution, et devrait être un critère important de participation aux Conventions.

Mais le fait que le texte final dépende du Conseil européen, et donc des États, et non du compromis de la Convention crée une distorsion de la participation et de la capacité de soutien du texte par la société civile. Il faut ajouter que les Conventions sont limitées dans le temps. Cela sous-entend que le texte issu du compromis aura un suivi non conventionnel (ici par les États). Nous voyons dans le cas du projet constitutionnel combien le suivi par la Convention serait important afin d’adapter et de revoir une stratégie d’audition de la société civile.

Par contre, les deux textes ne sont pas des exemples sur le plan juridique des traités. La Charte a été proclamée à Nice, sans statut contraignant, en 2000, mais intégrée dans le projet de Constitution qui lui est actuellement suspendu 209 . Suite au ‘non’ français et néerlandais, le Conseil européen a décidé une période de réflexion sur la Constitution au Sommet de Bruxelles le 16/17 juin 210 . Les institutions comme le CESE et la Commission ont préparé des documents de travail sur la communication et les points à relever pour réussir cette période transitoire. Le rôle de la société civile, sans être toujours précisé, est rappelé.

207 Pour mémoire, on peut toujours consulter le site de la deuxième Convention (http://european- convention.eu.int/) qui recense, entre autre, les documents, les contributions. 208 Le cas de la deuxième Convention est éloquent. C’est le præsidium de la Convention, et notamment son président, Valéry Giscard d’Estaing, qui a proposé dans les derniers jours de la Convention un texte qui sera finalement adopté par la majorité des délégués. Au final, nous avons vu que ce texte n’a pas réussi à réunir l’approbation dans deux États membres ayant décidé par référendum. 209 Il semble que suite au Conseil européen de Bruxelles en juin 2007 la solution d’un traité réformé voit le jour afin de relancer l’intégration européenne autour d’un texte court reprécisant les points de la partie I ne posant pas de problèmes et sans l’évocation de la terminologie constitutionnelle. 210 Document SN117/05, ‘Déclaration des Chefs d’État ou de Gouvernement des États membres de l’Union européenne sur la ratification du Traité établissant une Constitution pour l’Europe’.

239 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

Le CESE dans son document (SC/025 CESE1249/2005) revient sur les points forts et les points faibles du traité. Fort de sa représentation de la société civile organisée, le Comité économique et social revient sur l’insuffisance des dispositions organisationnelles entourant la démocratie participative comme l’absence de reconnaissance du rôle de la société civile organisée dans la mise en œuvre de la subsidiarité, la faiblesse sur la consultation du Parlement et du CESE sur la politique économique et de l’emploi. Ainsi, le processus de consultation reste trop top-down et il est essentiel pour l’Union de revoir le fonctionnement de la légitimation. Le Comité propose sans surprise qu’il faut relégitimer « le processus d’intégration européenne sur la base d’une nouvelle conception de l’action démocratique qui attribue un rôle déterminant à la société civile et à ses institutions représentatives. Dans ce but, la participation de la société civile au processus décisionnel public est un instrument essentiel du renforcement de la légitimité démocratique des institutions européennes et de l’action européenne » (CESE1249/2005, 5). Dans cet avis, nous retrouvons les grands éléments marquants du discours du CESE depuis 1999, soit de lui accorder une plus grande place car la société civile joue un rôle essentiellement positif (postulat) et de mettre en œuvre la subsidiarité fonctionnelle pour réussir le processus d’appropriation des politiques européennes par les citoyens.

La Commission a notamment travaillé sur les questions de communication plus que sur le contenu du traité. La communication sur le plan D (Démocratie, Dialogue et Débat) (COM(2005)494 final) et le Livre Blanc sur une politique de communication européenne (COM(2006)35 final) sont les éléments importants de cette période. La Commission parle peu de la société civile et tente plutôt de proposer des pistes de dialogue direct avec le citoyen. Toutefois, le Plan D dans sa partie ‘Promouvoir la participation des citoyens au processus démocratique’ revient sur l’esprit des textes précédents, soit la mise en place d’une consultation plus efficace, d’améliorer la transparence, de contribuer plus activement à aider à des projets citoyens (panel) et surtout d’améliorer la participation aux élections européennes. Le Livre Blanc revient sur le rôle de la société civile dans la communication des politiques européennes. Toutefois, la Commission n’appuie pas autant son rôle que dans les documents précédents. L’argumentaire se situe surtout sur le dépassement de la sphère publique essentiellement nationale pour revenir sur les questions européennes. De façon incantatoire, la Commission appelle la société civile comme les pouvoirs publics nationaux et régionaux et les partis politiques à intervenir dans le débat pour redonner un intérêt aux citoyens pour les affaires européennes.

La discussion sur la société civile est également revenue au sein du CESE. Le 14 février 2006, le CESE a approuvé un avis sur la représentativité des organisations européennes (2006/C 88/11). Ce dernier reprend les propositions émises en 2002 en mettant en avant la nécessaire représentativité pour légitimer les actions de la société civile. Le CESE propose cinq principes pour la procédure d’évaluation : transparence ; objectivité ; non-discrimination ; possibilité de vérification ; participation de la part des organisations européennes. Pour que cette procédure puisse être effective, l’avis contient une proposition de trois bases d’évaluation. D’une part, il faut que l’organisation dispose de statut officiel, et qu’elle soit présente dans un nombre significatif d’États membres. D’autre part, le CESE propose des critères qualitatifs.

240 La place de la société civile dans les discours institutionnels

Autant les deux premières bases semblent répondre au besoin d’objectivité avec des critères précis, autant la dernière laisse une certaine liberté d’appréciation. Le CESE précise ce dernier point en proposant une évaluation de l’expérience, de son implication citoyenne, de sa réputation et de la confiance qu’elle suscite. Ces éléments s’ajoutent à la discussion de la représentativité de la société civile organisée que nous reprendrons dans les chapitres suivants.

241 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

3. Le Parlement européen face à la société civile

3.1. Des relations ambiguës et la recherche de légitimation

Lors de la publication du Livre Blanc sur la gouvernance, le Parlement européen a réagi vivement à la conception de la démocratie et au rôle donné à la société civile. Pourtant le Parlement européen approche (et est approché) régulièrement (par) la société civile, ou du moins, (par) un type de citoyen organisé. Toutefois, ces relations sont empreintes d’un dualisme qui marque le Parlement européen. À ce propos, Jean Vogel rappelle qu’il existe deux légitimités au sein du Parlement, la légitimité légale, soit celle des traités, et la légitimité idéale, soit celle de « l’incarnation anticipée d’une normativité démocratique cohérente » (1999, 199). Ainsi, cette dernière a dû composer avec la légitimité ‘utopique’ d’un nouvel acteur, la société civile européenne, à qui on reconnaissait d’emblée le rôle et le fondement de sa participation. En bref, entre Maastricht et Amsterdam, l’exigence de citoyenneté au sein de l’Union a été de plus en plus présente dans les démarches institutionnelles. Le Parlement a dû trouver une stratégie convenant à sa légitimité légale afin de préserver sa légitimité idéale. En conséquence, de même que la Commission, le Parlement a usé de ses pouvoirs afin d’intégrer le discours de la société civile pour se renforcer. Il s’agit également de l’intégrer dans le cadre de la démocratie représentative afin de ne pas avoir à lutter contre une démocratie participative qui remettrait pour partie en cause sa légitimité.

Toutefois, la démarche du Parlement est liée à un discours sur la légitimité empreint d’un dualisme en fonction du public visé, soit inter-institutionnel, soit extra- institutionnel. Ainsi, le Parlement se réclame dans ses relations avec la Commission ou le Conseil comme légitime par les textes (légitimité rationnelle-légale), par les compétences législatives et délibératives d’amélioration des textes (légitimité fonctionnelle) et par l’essence du mandat représentatif, soit la légitimité démocratique directe. Dans les relations extra-institutionnelles, soit avec les citoyens ou les associations, le Parlement met en avant le débat sur les valeurs européennes et démocratiques dans le cadre d’une légitimité idéale et également appuie son bilan législatif (légitimité substantielle) (Costa, 2001, 362).

Ce développement de toutes les composantes de la légitimité a conduit le Parlement à développer plusieurs stratégies envers la société civile et le citoyen. Dans le terme stratégie, on peut inclure certaines compétences qui permettent aux parlementaires de s’appuyer sur des éléments tangibles afin de ‘construire’ leur représentation. Ainsi, depuis 1979, le Parlement européen dispose de plusieurs outils d’action envers le citoyen. Les auditions (hearings) sont un instrument très largement utilisé par les députés afin de trouver une expertise différente, mais également pour intercéder auprès de la société civile. Ainsi, les commissions peuvent inviter un nombre illimité de personnes pour autant que cela n’affecte pas le budget. Néanmoins, depuis 1995, en cas d’experts payés, la commission doit passer par l’autorisation du Bureau du Parlement qui autorise 16 experts payés par commission et par an (Corbett et al. , 2005, 307). Le Parlement conduit également des actions dans le domaine des droits de l’homme en décernant chaque année le ‘Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit’ 211 à

211 Ce prix, fondé en 1988, est décerné « afin de récompenser des personnalités ou des organismes qui se sont employés à défendre les droits de l’homme et les libertés fondamentales et à lutter contre l’oppression et l’injustice » (http://www.europarl.europa.eu). Le prix est doté de 50'000 euros et remis

242 La place de la société civile dans les discours institutionnels des personnes ou des associations. Autre instrument important du Parlement, les pétitions sont institutionnalisées dans le traité depuis Maastricht. Le Parlement en reçoit environ 1000 par année avec un nombre de signataires croissants par pétition (Corbett et al. , 2005, 309-312). La commission des pétitions est également en charge de la procédure de nomination de l’Ombudsman européen. Outre ces éléments structurels, on peut relever le référentiel fréquent aux sondages ‘Eurobaromètre’ qui, comme le relève Costa, matérialisent « le ‘peuple européen’, leur [aux députés] permettent d’évoquer ses attentes et ses opinions » (Costa, 2001, 357). Finalement, les contacts externes prennent aussi de l’importance pour les députés notamment les semaines de circonscriptions, en particulier chez les britanniques. La place occupée au sein d’un parti national entre aussi dans la composition de la construction de la représentation afin de toujours mieux définir les attentes des citoyens.

Au moment de la CIG conduisant au traité d’Amsterdam, le Parlement européen a organisé de grandes auditions sur le thème de ‘Le Parlement européen à l’écoute des citoyens’ réunissant plus de 200 associations afin de préparer le travail sur la CIG. De même, un suivi de la conférence fut tenu et réunissant plus de 300 participants : « Ces auditions furent ouvertes à toutes les organisations intéressées et annoncées à grand renfort de publicité » (Costa, 2001, 355). Ce travail commun et cette reconnaissance conduisent à une certaine osmose entre certaines commissions et la société civile. Le travail que nous retrouvions dans les intergroupes se trouvait ici dans une logique institutionnelle. L’effet direct a été le soutien des groupes de la société civile à l’élargissement des pouvoirs du Parlement européen lors de la CIG 1996. En contrepartie, le Parlement a produit un effort de réflexion sur la place des citoyens et des acteurs sociaux concrétisé dans le rapport A4-338/1996 rédigé par Philippe Herzog (FR, GUE/NGL) ayant pour titre ‘Participation des citoyens et des acteurs sociaux au système institutionnel dans la perspective de la CIG 1996’.

Ce rapport demande principalement l’incorporation du citoyen dans la Communauté européenne en reprenant les principes sociaux, soit la Charte des droits sociaux fondamentaux et la création d’un Comité pour l’Emploi. La défense de ces principes passe par l’inscription dans le traité d’un principe général de participation pour chaque citoyen et organisation représentative, un droit à l’information, le renforcement du dialogue social. Ce rapport discute en dernier lieu de la représentation en lui donnant deux composantes, la représentation élue (révision du mode de scrutin ainsi que du statut du député pour rapprocher le politique du citoyen) et la représentation socio-économique (notamment établir un statut juridique de l’association européenne). Ce texte reprend en grande partie le premier rapport de Philippe Herzog sur la citoyenneté de l’Union et les droits fondamentaux (PE211.308, 5.1.1995).

Ainsi, l’ampleur des contacts entre la société civile et le Parlement durant cette période et malgré les résultats moyens d’Amsterdam provoqua une prise de

autour du 10 décembre, date signature de la DUDH en 1948. La décision revient à la Conférence des présidents qui examine une liste de nom, lesquels doivent être soutenus par au moins 25 eurodéputés afin d’y figurer (Corbett et al. , 2005, 309). Dans trois cas (Nelson Mandela en 1988, Aung San Suu Kyi 1990, Kofi Annan et l’ONU 2003), il s’agit aussi du récipiendaire du prix Nobel de la paix (1993/1991/2001). En 2005, le prix a été remis à trois lauréats (le mouvement cubain d’opposition ‘Damas de Blanco’ ; l’avocate nigérienne des droits de l’homme, Hauwa Ibrahim ; Reporters sans frontières (RSF)).

243 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question conscience de la société civile sur le rôle des députés. Le Parlement européen en recherchant à concrétiser sa légitimité idéale est prêt « à favoriser l’expression d’aspirations constituantes » (Vogel, 1999, 215). Néanmoins, comme le remarque Jean-Claude Boual (1999, 21), le travail effectué au sein du Parlement ne fut pas suivi après la CIG, alors que c’était un des engagements de ce dialogue. En résumé, on constate que les relations avec la société civile sont souvent marquées d’équivoques.

En effet, bien que sous une autre forme, les rencontres ‘société civile-Parlement européen’ continuent à s’organiser. Les 24 et 25 avril 2006, le Parlement européen a tenu un Forum pour la société civile. Ce dernier s’est tenu dans le cadre de la commission des affaires constitutionnelles dans le contexte du débat sur l’Avenir de l’Europe. Sans prendre de décision, cette récente réunion a eu pour effet de replacer le Parlement dans sa recherche de contact auprès des organisations de la société civile. Le choix du thème, l’avenir de l’Europe, contribue également à placer les débats sous une lumière particulière suite aux larges consultations de la Convention et aux deux refus référendaires. Il ne fait pas de doute que ce Forum peut permettre d’asseoir la légitimité d’une future prise de position du Parlement européen dans le débat sur l’avenir de l’Europe.

Dans cette continuité, les instances du Parlement européen ont donné leur accord en juin 2006 pour la création d’une ‘Agora citoyenne européenne’. Gérard Onesta (FR, V/ALE), vice-président du Parlement, est à l’origine de ce projet. Il s’agit d’une instance permanente réunissant des acteurs de la société civile sur des thématiques définies annuellement par la Conférence des présidents et traitées en parallèle des séances plénières. De plus, les commissions sont également partie prenante en accréditant les organismes invités (Agence Europe, 15.06.2006). Cette proposition représente un pas important vers la mixité des représentations.

La trilogie citoyenneté, société civile et groupes d’intérêts est ainsi en place pour trouver des solutions alternatives aux problèmes de légitimation du Parlement européen. Le premier rapport Herzog 212 pose les faits ainsi, « si la légitimité formelle est assurée par le vote, la légitimité substantielle est aujourd’hui cruellement défaillante. De nouveaux rapports sont nécessaires entre élus et électeurs, pour établir la consultation, la participation et le contrôle ». Ces nouveaux rapports se constituent naturellement à travers la relation avec le citoyen et avec les partenaires sociaux. D’une manière élargie, on retrouve la terminologie attachée au concept de société civile. Dès lors, les relations de légitimation mutuelle sont empreintes d’ambiguïté avec une triple relation, soit d’influence (groupes d’intérêts), de légitimation (citoyen), d’intérêt universel (société civile). De toute la littérature sur le Parlement européen, celle des groupes d’intérêts est la plus riche. Dès lors, quel lien trouve-t-on entre les groupes d’intérêts au sens large et le sens de la représentation au Parlement ? Quelle influence sur la représentation et l’intérêt général ?

3.2. De la stratégie de lobbying à l’intérêt général

Une étude effectuée par Ural Ayberk et François-Pierre Schenker (1998) sur les groupes d’intérêts européens décrit trois modèles : le modèle pluraliste, le modèle

212 Rapport ‘Sur la citoyenneté de l’Union et les droits fondamentaux’, PE211.308 (5.1.1995).

244 La place de la société civile dans les discours institutionnels corporatiste et le modèle clientéliste. Nous situerons notre analyse dans le premier modèle, car il est le seul accessible à l’ensemble des groupes d’intérêt qu’on peut définir, à l’instar de David Truman, comme « un ensemble d’individus qui, sur l’impulsion d’un intérêt commun, expriment des revendications, émettent des prétentions ou prennent des positions affectant de manière directe ou indirecte d’autres acteurs de la vie sociale » (Ayberk et Schenker, 1998, 727). Une autre définition serait de rappeler la place d’intermédiaire des groupes d’intérêts, ainsi que les différentes logiques les conduisant :

« Interests groups are intermediate organisations that live in two world : one characterized by the ‘logic of membership’, the other one by the ‘logic of influence’. The logic of membership is based on specific characteristics of actors and on conditions under which actors are constituted and operate. The logic of influence is derived from the institutional and structural determinants of the political system in which interests have to operate » (Kohler- Koch, 1997, 1).

Notre but est de montrer dans quelle mesure la société civile arrive à se faire représenter même de façon segmentaire au sein des institutions européennes et aussi comment elle peut propager une sorte d’‘européanisation’. Il existe un grand nombre de groupes intervenant dans l’environnement institutionnel européen en raison de sa forte ouverture. Dès lors, on assiste à un grand nombre d’acteur devenant des ‘groupes d’intérêts’ allant des grandes entreprises aux régions, ce qui induit une vive concurrence entre eux. Néanmoins, il existe des différences de nature au sein des groupes intervenant dans les politiques publiques européennes.

La différenciation des groupes d’intérêts peut se réaliser par divers aspects. Premièrement, on peut regarder les fédérations européennes telle que l’union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe (UNICE), la confédération européenne des syndicats (CES), qui ont une véritable influence sur la prise de décision, d’une part, par la mise en place d’un système corporatiste avec la Commission et, d’autre part, avec leur présence au sein du Comité économique et social. Deuxièmement, il existe de grandes entreprises qui ont leur siège à Bruxelles ou une antenne dans cette ville dans le but d’influer sur les décideurs européens. Troisièmement, on trouve un certain nombre d’ONG organisées de manière fédérative ou via une antenne au niveau européen. Leur porte d’entrée dans le système décisionnel est difficile. Elles ne sont ni représentatives d’un ensemble corporatif (patronat, syndicat) ni dotées de forts moyens financiers.

Julien Weisbein (2003), en montrant les stratégies des associations, nous rappelle simplement l’objectif principal de ces dernières : faire passer un message. Les méthodes employées relèvent de l’étude des groupes de pression. Toutefois, elles ont ceci de particulier que leur lutte correspond souvent à des intérêts plus généraux que l’on regroupe sous le terme d’Europe des citoyens 213 . En raison de l’aspect sectoriel des intérêts défendus, et, aussi, d’une contribution à l’intérêt général, on peut parler dans le cadre de la société civile de démocratie fonctionnelle. Souvent cette dernière a été marquée par le sceau du lobbyisme. Néanmoins, le rappel constant aux citoyens se rapporte à une visée universaliste. Mais la défense d’un intérêt particulier reste sensible. D’ailleurs, on peut relever l’initiative commune d’associations observatrices du lobbying à Bruxelles de remettre le prix du pire lobby européen de l’année qui

213 Voir notamment les articles 136 à 175 TUE.

245 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question récompense le lobby ayant eu les pratiques les plus irresponsables et l’institution qui a privilégié un intérêt sectoriel au détriment de l’intérêt général (Agence Europe, 7.11.2006). On constate qu’il existe donc une sorte de surveillance des lobby et des institutions en vue du respect de l’intérêt général214 .

La démocratie fonctionnelle a aussi évolué par le regard que lui portent les institutions comme par exemple la Commission européenne (Hix, 1999, 188-208). La compréhension des mécanismes de lobbying, notamment au sein du Parlement, peut permettre aussi une ouverture vers un autre système et d’autres sources de légitimité. Ces associations citoyennes ont réussi dans une certaine mesure une percée politique, une légitimité intrinsèque de par leurs membres, et leur action au niveau européen. À tel point que Jean-François Bayart relève qu’il existe « une rente de la critique sociale qui érige les porte-paroles de celle-ci en interlocuteurs valables » (2001, 13). Par conséquent, la société civile porte en elle le danger d’éclipser la seule institution véritablement représentative : le parlement (Caillé et Laville, 2001, 7) 215 .

Néanmoins, il existe des différences importantes entre les groupes. Par exemple, certains sont intégrées depuis longtemps dans le processus décisionnel, comme ceux au sein du Comité économique et social. De plus, une distinction peut être effectuée concernant les moyens financiers. D’une part, on trouve des industries et lobbies puissants, et, d’autre part, des groupes faibles au niveau financier. Toutefois, ces groupes ont une capacité de mobilisation de leurs membres extrêmement forte 216 . Proches du citoyen, ils peuvent avoir accès à des sphères de pouvoir importantes comme au Parlement européen par le biais des députés européens sensibles à leur cause. À ce propos, il faut également relever qu’on retrouve souvent des élus locaux comme lobbystes ou des eurodéputés en tant que rapporteurs quand une réglementation concerne leur région 217 . Ainsi, le rôle parfois ambigu des délégations nationales donne un rôle de lobby des États membres au sein du Parlement européen.

Toutefois, l’argument budgétaire désavantage les petites associations de par la présence d’un système pluraliste pour les groupes d’intérêts. Inversement, ce système de concurrence parfaite a un avantage, celui de la pluralité des accès. Un des accès privilégiés est le Parlement européen pour les ONG, car, comme le relève Ayberk et Schenker, « […] des considérations électorales amenèrent les parlementaires à prêter attention à des points de vue nouveaux, ceux des consommateurs, des défenseurs des

214 Selon le site http://www.worstlobby.eu, les prix de l’année 2006 ont été décerné à Exxon Mobile dans la première catégorie et à la DG Marché intérieur dans la seconde. 215 Cette crainte peut se lire en partie dans le Livre Blanc sur la gouvernance de la Commission européenne qui met presque sur un pied d’égalité le dialogue avec la société civile et la place du Parlement européen. 216 Il s’agit de manifestations, pétitions, pressions pendant les élections, etc. On peut aussi évoquer les euromanifestations qui regroupent un ensemble de secteurs, organisé par la CES. En décembre 2001, lors de Laeken, la manifestation avait réuni 80'000 personnes provenant de tous les États membres et candidats. 217 Après le naufrage de l’Erika le long des côtes françaises, de nombreux débats et réglementations sortirent en Europe. Cette dernière risquait pour une période de mettre en cause l’approvisionnement des îles. Ainsi, le rapport au Parlement européen fût pris par le grec Konstantinos Hatzidakis (PPE), originaire de Crète, de la commission des îles, et membre de l’intergroupe Iles. Ainsi, son rapport (A5- 344/2000) préconisait de rallonger de sept ans l’autorisation de circuler des pétroliers de plus de 20'000 tonnes construits avant 1982. Toutefois, cette question des doubles coques est particulière car les autres mesures sur la sécurité maritime (Paquet Erika I) furent renforcées à la proposition du Parlement et de son rapporteur sur l’ensemble, Mark Francis Watts (UK, PSE) (rapport A5-0343/2000).

246 La place de la société civile dans les discours institutionnels droits de l’homme et des sociétés protectrices d’animaux par exemple » (1998, 734). Ce faisant, le poids considérable de cette problématique dans l’agenda européen va se concrétiser par les avancées dans la thématique de ‘l’Europe des citoyens’, et aussi les déclarations adjointes aux différents traités relatives à la protection des animaux. D’une certaine manière, la structure de l’Union a permis aux groupes les plus faibles d’intervenir auprès du Parlement et à celui-ci de les favoriser afin de renforcer sa position institutionnelle. En conséquence, les groupes intervenaient auprès du PE afin d’influencer la Commission, et le Parlement prônait une large ouverture afin de développer son soutien extérieur afin de le renforcer dans le processus de décision (Kohler-Koch, 1997,6). L’accroissement des pouvoirs du Parlement a un effet indéniable sur les stratégies des groupes de pression. En termes numériques, on ne dénombre pas moins de 200 lobbystes par jour de plénières, alors que le registre ne comportait qu’un seul nom en 1972, le représentant de Shell. Sur les 5'000 lobbies 218 auprès de la Communauté, 3'000 sont effectivement actifs au Parlement européen d’une manière ou d’une autre.

L’intérêt pour le Parlement est dû aussi à la plus grande ouverture ‘par nature’ de cette institution. Ainsi, par les actions d’interface avec la société civile et en permettant une identification aisée des acteurs importants, les parlementaires sont devenus des cibles ‘consentantes’ du lobbying. De plus, du fait des difficultés de l’accès à l’information, les députés sont toujours à la recherche de compléments d’expertise, parfois de façon plus ouverte et plus intense que les fonctionnaires de la Commission. Ces éléments sont d’une extrême importance pour les groupes d’intérêts qui trouvent dans le Parlement une institution attentive et demandeuse de leur expertise. Également, la facilité d’identification des acteurs est un élément essentiel de la présence des lobbies au Parlement. En effet, la majeure partie des séances et des documents sont publics. Ainsi, les fonctions importantes sont soumises à de grandes influences comme les rapporteurs, les coordinateurs des groupes politiques, et les membres spécialistes d’une commission. Également, le président du Parlement européen est une personnalité demandée qui jouit d’un pouvoir important sur les débats. De même, les présidents de groupes sont des personnalités clefs sur les règles internes du Parlement, mais sont aussi des personnalités plus difficiles à joindre tout comme le président du Parlement. Par conséquent, ce sont les autres fonctions nommées qui sont le plus fortement touchées comme les rapporteurs. En effet, ces personnes représentent les clefs pour un groupe extérieur 219 , car ce sont elles qui vont établir l’ordre du jour, écrire un rapport discuté en commission ou de par leur connaissance d’une matière particulière seront écoutées par leurs pairs peu au courant de tel ou tel sujet (Corbett et al. , 1995, 62).

Par exemple, on peut suivre le rapport rédigé par Paul Lannoye (BE, V) sur les médicaments-trace (A4-0075/1997) qui a été présenté très rapidement à l’intergroupe ‘Médecines complémentaires’ où des acteurs de la société civile ont pu intervenir

218 Selon certains chiffres, le lobbying représente un nombre de personnes important à Bruxelles. On estime au sens large qu’il y a entre 14'000 et 15'000 personnes travaillant pour le secteur privé ou public, représentant environ 300 grandes compagnies, 320 organisations non-lucratives, 270 études d’avocats, 720 (trade association), 200 pouvoirs locaux ou régionaux et environ 40 think tanks au sein des organisations européennes (Corbett et al. , 2005, 327). 219 Terme qui recoupe tous les groupes agissants à l’extérieur du Parlement européen, tel que les lobbies, ONG, associations de citoyens.

247 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question directement, et, sans doute, influencer le rapporteur. De surcroît, certains rapports 220 font directement référence à des intergroupes. Ainsi, les travaux entre les intergroupes et les commissions entraînent une reconnaissance et, aussi, une interaction. Cela est d’autant plus intéressant que ce travail s’effectue dans l’enceinte parlementaire a contrario des groupes de pressions qui agissent depuis l’extérieur sur l’ensemble des acteurs communautaires. Un autre travail d’influence existe, plus difficile à évaluer, il concerne la saisine de la commission, d’où le rôle prépondérant du Président du Parlement européen, et la mise à l’ordre du jour. Cette description de la prise de décision prouve le poids des parlementaires, mais aussi de l’intérêt pour l’extérieur, tout comme pour les acteurs internes, à agir au plus tôt vers les parlementaires importants.

Comme nous l’avons vu dans le chapitre 4 (4.1.3), le député a aussi besoin d’autres sources d’informations, notamment celles provenant des groupes d’intérêts. Il n’en demeure pas moins que certaines campagnes de pression ont été trop loin, amenant le Parlement à réglementer les accès, mais aussi les contacts avec l’extérieur. C’est ainsi que nous trouvons un mouvement d’ouverture en vue d’une double légitimation des intervenants et un mouvement de réglementation afin d’éviter que le Parlement ne soit qu’un lieu ouvert aux groupes de pression. Toutefois, comme le mentionne Corbett (2005, 328), il y a un problème de définition des groupes d’intérêts qui ne sont pas un groupe homogène. Par conséquent, sans définition claire, le compromis en vue de la réglementation fut difficile à trouver.

En effet, comme nous l’avons vu au chapitre 6, les règles sur la représentation d’intérêts furent mise en œuvre pour la première fois en 1996 avec des normes d’accès aux locaux ainsi que sur le port du laissez-passer (Rapport Ford, A4-217/1995 et A4-200/1996). En parallèle, la question de déclaration des intérêts financiers des députés fut résolue à la même date (Rapport Nordmann A4-218/1995 et A4- 177/1996). Le processus conduisant à ces rapports fut long en raison principalement des oppositions entre les cultures politiques nationales 221 . Le premier élément réglementaire est le rapport Galle 222 de 1990 qui fut frappé de caducité en raison de sa non mise à l’ordre du jour de l’assemblée. Cet aspect rappelle à quel point la question de la place et du rôle des groupes d’intérêts est une question sensible au sein du Parlement. Toutefois, la procédure fut reprise durant la législature 1994-1999. Par la suite, des problèmes apparurent lors du dépôt des premiers rapports Ford et Nordmann en 1995. Afin de leur éviter le même sort qu’au rapport Galle, les deux rapports furent renvoyés en commission. Ils furent finalement votés en juillet 1996 après révision 223

220 Par exemple : Rapport A4-0222/1997 sur l’intergroupe peuple indigènes ; Rapport A4-0118/1998 sur l’intergroupe Iles ; Rapport A4-0488/1998 sur l’intergroupe SOS Europe. 221 Les remarques des différents parlementaires lors de ce processus sont particulièrement instructives sur cette question. Pour plus de détails, voir Costa, 2001, 388-389. 222 Le rapport Galle de 1991 contenait différentes règles comme la mise en place d’un code de conduite pour prévenir les abus, l’établissement de zones interdites dans le Parlement, le rôle des groupes extérieurs dans les intergroupes, et un enregistrement des lobbies. Le rapport contenait également des règles sur la déclaration des intérêts financiers des députés et des assistants parlementaires (Parlement européen, 2003, 36). 223 Costa décrit l’histoire de ce vote ainsi : « L’adoption à des majorités massives des rapports Ford et Nordmann ne fut possible qu’au prix d’une nette modération de leurs dispositions initiales. Lors de l’examen du rapport Nordmann, les parlementaires refusèrent d’instaurer la déclaration de patrimoine suggérée par le rapporteur et se contentèrent de renvoyer aux législations nationales qui n’imposaient une telle démarche qu’en France et en Belgique. Ils s’opposèrent également à une majorité écrasante à

248 La place de la société civile dans les discours institutionnels suite au rapport du groupe de travail ad hoc présidé par Jean-Pierre Cot (Costa, 2001, 387).

Les dispositions adoptées suscitèrent de vives critiques de la part des médias dans les États où les liens entre représentants et groupes d’intérêts sont fortement réglementés. Glyn Ford avait d’ailleurs encouragé ses collègues à élaborer de nouveaux textes relatifs à l’encadrement des intergroupes (obligation pour ceux-ci de fournir une liste des membres et un rapport annuel sur leurs ressources provenant de l’extérieur de l’assemblée), à la définition du statut d’assistants parlementaires (distinction entre les assistants à temps plein et ceux travaillant également pour des groupes d’intérêts, entendus au sens large), et à la mise en place d’un code de conduite pour les lobbyistes (Costa, 2001, 389). Sur ce dernier point, Glyn Ford rédigea un autre rapport (A4-107/1997) qui fut adopté par le Parlement assez rapidement. La résolution non législative modifiait ainsi l’annexe IX du règlement en lui ajoutant un nouvel article.

Les règles de conduite actuelles sont définies dans l’article 9.2 du Règlement (16 ème édition, 2005) et son annexe IX. La responsabilité de la gestion revient aux questeurs qui sont tenus d’inscrire dans un registre 224 « les personnes qui souhaitent accéder fréquemment aux locaux du Parlement en vue de fournir des informations aux députés dans le cadre de leur mandat parlementaire, et ce pour leur propre compte ou celui de tiers ». En contre-partie, ces personnes reçoivent un laissez-passer nominatif pour une durée maximale d’un an. Elles ont en outre le devoir de respecter le code de conduite (annexe IX). L’article 1 de l’annexe précise les conditions relatives à l’utilisation du laissez-passer (nom de l’entreprise, port visible). Le code de conduite inscrit dans l’article 3 énonce les règles générales d’action au sein du Parlement, soit comme l’interdiction d’obtention malhonnête d’informations, de se réclamer d’une relation officielle avec le Parlement, de distribuer à son profit des documents du Parlement. Le non-respect de l’article 3 entraîne le retrait du laissez-passer à la personne, et dans certains cas à l’entreprise. La sanction du retrait existe aussi pour l’article 1 en cas de non port visible du badge. C’est aussi dans cette section que nous retrouvons les règles relatives aux assistants parlementaires (article 2) en termes d’accès et de déclaration des intérêts 225 . la mise en place d’un contrôle effectif de l’utilisation de l’indemnité mensuelle perçue par les députés pour rémunérer un ou plusieurs assistants (53'500 francs à l’époque). Afin de suivre les recommandations du groupe de travail ad hoc , Glyn Ford avait quant à lui supprimé de son rapport les dispositions prévoyant d’obliger les lobbyistes à rendre publics les avantages, dons, libéralités ou prestations consentis à des parlementaires, fonctionnaires ou assistants au-delà de 1'000 écus par individus et par an. Cette mesure avait été doublement critiquée, par les uns car elle ‘légalisait la corruption’, par les autres car elle entravait la liberté des élus. Les communistes français l’avaient dénoncée au motif qu’elle aurait permis aux lobbyistes de verser en toute impunité une somme d’argent à un député, tandis que les conservateurs britanniques s’étaient inquiétés de ne plus pouvoir accepter la moindre invitation à dîner. Les députés optèrent pour une voie moyenne en prévoyant que, si les ‘dons et libéralités’ sont désormais interdits, les ‘soutiens financiers, en personnel ou en matériel (…) alloués au député dans le cadre de ses activités politiques’ restent autorisés et simplement soumis à déclaration dans un registre public. Une entreprise peut mettre à la disposition d’un député des assistants, une voiture, un photocopieur ou payer ses voyages, à la seule condition qu’elle le déclare, aucune sanction n’étant au demeurant prévue en cas de manquement à cette règle » (Costa, 2001, 388). 224 Ce registre est public et transpose la politique de transparence plus que d’encadrement du Parlement. L’article 9.2 énonce, « ce registre est mis à la disposition du public sur demande dans tous les lieux de travail du Parlement, ainsi que, sous la forme établie par les questeurs, dans ses bureaux d’information dans les États membres ». 225 ‘Déclaration écrite énumérant leurs activités professionnelles ainsi que toute autre fonction ou activité rémunérée qu’ils exercent’ (Annexe IX, art.2.1). Il s’agit d’appliquer aux assistants les règles

249 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

3.3. Effets du lobbying sur la représentation

Le débat sur l’approbation des règles de lobbying révèle toute la difficulté à émettre un commentaire sur ses effets sur la représentation des députés. La co-dépendance des institutions avec la société civile, ainsi que la recherche de légitimité et d’interlocuteurs ont conduit inexorablement à un questionnement sur les effets. Ces derniers doivent être vus dans la perspective fondamentale de l’implication sur la représentation plutôt que sur le fonctionnement pratique de l’Assemblée. L’aspect positif du lobbying est de contribuer à l’information et à l’expertise de l’Assemblée. Les problèmes liés à la connaissance des dossiers, souvent très techniques, sont importants et contribuent à l’éloignement du Parlement dans la société. En effet, la Commission et les États membres ont des fonctionnaires et des comités d’experts dans divers domaines alors que le Parlement agit avec des moyens plus restreints. Dès lors, parfois, le seul contrepoids de l’expertise ‘officielle’ vient de la part des lobbies qui contribuent ainsi à l’efficience du Parlement et à son acte de représentation.

La contribution des réseaux d’intérêts se fait aussi dans le cadre plus large de l’agrégation des intérêts. Les différentes plateformes des ONG et eurogroupes ont souvent contribué à donner au Parlement une position construite sur le consensus atteint (voir Costa, 2001, 381-382). Cette intervention dans le processus décisionnel est particulière au système parlementaire de l’Union européenne marquée par sa grande ouverture et transparence, ainsi que par la présence importante des groupes d’intérêts. Étonnamment, l’ouverture du système concourt, d’une part, à une meilleure coopération des groupes d’intérêts entre eux dans le cadre des diverses consultations permettant de contribuer à une agrégation des groupes, et, d’autre part, contribue par le biais des lobbies à une meilleure information au sein du triangle institutionnel permettant d’assurer ainsi le bon déroulement législatif. Dès lors, l’influence des lobbies est perçue comme part intégrante à la formation de la décision et importante au développement du consensus.

En conséquence, l’impact du lobbying sur le Parlement européen aurait des effets positifs en révisant la théorie de la représentation classique. Alternative proposée par plusieurs auteurs (citons entre autre : De Schutter, 2002 ; Costa, 2001), les groupes d’intérêts pourraient agir de manière complémentaire sur la représentation en facilitant l’adoption des actes destinés à un public ciblé par les autorités représentatives. Le débat sur la représentation universelle et la représentation sectorielle devient particulièrement intéressant dans ce cadre très particulier qu’est l’Union européenne. Toutefois, comme le signale Costa, les apories de la représentation et cette même situation sui generis contraint à regarder le lobbying par son effet négatif car les députés ne sont pas entièrement maîtres de leurs choix (Costa, 2001, 382). En effet, les députés européens sont pris entre les diverses contraintes de leur mandat et le manque d’informations. En effet, leurs investitures ne dépendent pas des succès et des actions en tant que députés, mais des partis nationaux qui doivent aussi faire des arbitrages en fonction des appartenances à tels ou tels groupes qui sont des leviers utiles pour obtenir des voix. Ainsi, un député très engagé dans la vie du

de l’annexe I sur la transparence et les intérêts financiers des députés. Il serait sinon trop aisé de contourner la règle en terme de financement extérieur.

250 La place de la société civile dans les discours institutionnels

Parlement pourrait ne pas être réinvesti par son parti national en raison de contraintes régionales, d’intérêts, de personnes. Par conséquent, le problème de l’indépendance du député dans ses choix est ainsi l’aspect principal de la contrainte pesant sur les députés. Par ailleurs, Olivier Costa indique les effets de cette situation sur la délibération et sur la représentativité :

« Les ‘allégeances’ plurielles des députés contribuent à rendre la délibération imprévisible, puisqu’elles déterminent leur comportement en fonction des circonstances et des liens qu’ils entendent privilégier. Cette situation n’est toutefois pas nécessairement un facteur d’incohérence : on peut considérer qu’elle garantit la représentativité du Parlement en y reproduisant la complexité politique et sociale qui est à l’œuvre dans l’Union. Les députés seraient à la fois les représentants au Parlement européen des ‘peuples européens’, sur un mode abstrait en vertu de leur mandat, et des forces sociales, sur un mode concret en vertu de leur contacts directs avec divers groupes. Les groupes politiques tendent en effet à reproduire la première forme de représentativité, tandis que les commissions et les intergroupes, qui entretiennent souvent des relations privilégiées avec des groupes d’intérêts, contribuent à la représentation des forces sociales, avec toutes les distorsions que ce mode de représentation implique » (Costa, 2001, 395).

Les débats sur le mandat de député européen engendrent de facto un questionnement sur les frontières analytiques et une interrogation quant à la mise en commun de cultures politiques différentes. En effet, la perception européenne conduit à une place des lobbies extrêmement différente de celle tenue aux États-Unis. Dans une logique de différenciation et de combat, les groupes d’intérêts nord-américains savent la place d’influence à tenir pour orienter et participer à une décision. Les lobbies européens participent à la discussion devant conduire à un consensus. La logique d’influence est dès lors différenciée dans l’essence de l’action des groupes d’intérêts.

Il n’en demeure pas moins que les élus européens sont confrontés à de fortes pressions extérieures et à un déficit d’information. Autant la seconde est précieuse, autant la première est négative pour le fonctionnement du parlement. Découlant des logiques européennes, l’identification de l’intérêt général 226 reste très complexe alors que les américains 227 ont trouvé des solutions correspondant à leur culture politique de relation avec les groupes externes.

226 Costa propose une définition intéressante de la notion d’intérêt général européen : « Il faut constater en second lieu que la notion ‘d’intérêt public’ est ambiguë transposée à l’échelle de l’Union. L’interprétation du terme ‘public’ souffre des tensions auxquelles les députés sont soumis lorsque les intérêts de ‘leur peuple’ ne coïncident pas avec ceux ‘des peuples’. Certains élus, notamment les plus réticents à l’égard de la construction européenne, considèrent qu’ils défendent davantage l’‘intérêt public’ en adoptant une position favorable à un groupe industriel de leur État membre, qu’en défendant ceux des consommateurs européens. Étant donné que le rapport entre coût et utilité collective des normes est souvent variable d’un État à l’autre, il induit des appréciations contrastées de l’intérêt public en fonction de la nationalité des élus. Les exemples cités, et notamment celui de la directive sur la vente par correspondance, montrent que les députés les plus fédéralistes ne sont pas à l’abri de ce phénomène. Les parlementaires sont donc amenés à identifier au cas par cas leur conception de l’intérêt public, en fonction des tensions qui apparaissent entre les intérêts de leurs concitoyens ou de groupes d’intérêt nationaux, et ceux des citoyens européens ou de groupes d’intérêt européens » (Costa, 2001, 385). 227 La logique américaine face aux groupes d’intérêts est une question complexe à appréhender. Nous reprendrons le résumé de Costa qui rappelle les principes de base du système américaine : « La réglementation américaine découle directement des réflexions menées par les théoriciens au sujet de cette carence fondamentale du fonctionnement des systèmes pluralistes. Au contraire du cadre démocratique ‘classique’, où l’égalité entre les individus est assurée – au moins en théorie – par la

251 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

En conclusion, le mandat de député européen, la place des groupes d’intérêts et le débat sur la légitimité accentuent le problème de la représentation du Parlement européen. En effet, le manque d’un positionnement clair sur la manière d’interagir avec les groupes d’intérêts, ainsi que le poids prépondérant des partis nationaux conduisent à cette situation hybride, que la particularité de la représentation parlementaire au niveau de l’Union européenne permet de comprendre cette situation. Toutefois, le choix d’une situation, soit à l’américaine, soit à l’européenne (sans les contraintes actuelles) devrait permettre de pérenniser et renforcer la structure parlementaire. Cette situation est révélatrice des incertitudes des eurodéputés face à leur mandat. En effet, si l’ouverture à la société civile, voire aux groupes d’intérêts, est aussi importante, cela réfère à un problème de positionnement face à leur propre représentativité dans le triangle institutionnel et face aux citoyens (voir Costa, 2001, 390). Dès lors, le problème de ‘relais’ entre le citoyen et l’élu devient un aspect critique de l’intégration européenne.

Comme nous l’avons vu, le rôle de l’État dans la société moderne se caractérise par des actions dans de plus en plus de domaines, notamment sociaux. Ceci est couplé à une diffusion de plus en plus forte dans la société civile des modes de gouvernance. Ainsi, le gouvernement et la société s’interpénètrent. D’ailleurs, parfois, le contrôle n’appartient pas (plus) au gouvernement. Dès lors, il doit jouer un rôle d’intermédiaire ou de médiateur. Cette évolution érode et déstabilise les institutions politiques qui ont été jusqu’à présent efficaces. De plus, la difficulté de définir clairement la société civile nous pousse à chercher des arrangements d’entente pour le fonctionnement démocratique. Ces derniers s’organisent autour de principes essentiels, comme la représentation, l’imputabilité, et aussi en s’appuyant sur la démocratie libérale et les théories associationnistes.

L’existence et les stratégies de la société civile s’expriment par le fait que de nombreuses négociations se font en-dehors de l’arène parlementaire. De plus, en raison d’un scepticisme parlementaire, les décisions et la légitimité des lois votées par le Parlement, issues d’arrangements internes, ne sont pas suffisamment enracinées dans une société complexe. Pour ne pas remettre les clefs d’un système démocratique

citoyenneté, il est difficile de garantir une représentation équitable des groupes, notamment lorsque ceux-ci ont pour objet de représenter des publics vastes ou des intérêts diffus qui, bien qu’éventuellement primordiaux, mobilisent peu les citoyens. Afin de corriger cette inégalité, plusieurs auteurs établirent dans les années 1960 une taxinomie distinguant les groupes de pression qui défendent des ‘intérêts publics’ - autrement dit, les lobbies de citoyens -, de ceux qui promeuvent des intérêts privés [ Schattschneider, Semisovereign people, 1960 ; Olson, The logic of collective action. Public goods and the theory of groups, 1965 ]. Ils réfutèrent l’idée, alors couramment admise, selon laquelle tout intérêt social donne automatiquement naissance à un groupe destiné à le défendre, en montrant que ce processus dépendait de multiples facteurs, et que certains intérêts y échappaient. En outre, ils avancèrent que les associations qui défendent des intérêts collectifs sont peu encouragées à se muer en de véritables lobbies dotés des moyens logistiques nécessaires à cette activité. Même s’il existe des groupes d’intérêt public dont les membres sont animés par l’altruisme et la philanthropie, ils sont fortement désavantagés dans un système pluraliste où priment les intérêts économiques. Les aspirations citoyennes des individus sont ainsi nettement moins bien défendues que leurs intérêts économiques, et, d’une façon plus générale, les individus moins bien défendus que les personnes morales. C’est pourquoi, ces auteurs appelèrent à la restauration de la distinction entre sphère publique et sphère privée, à l’affirmation de l’existence d’intérêts communs à une très large proportion des membres d’une communauté politique, et à la reconnaissance de leur primat sur les intérêts privés des uns et des autres » (Costa, 2001, 383-4).

252 La place de la société civile dans les discours institutionnels

à des lobbies, il est important de répondre à la fracture entre la responsabilité de la démocratie représentative et son manque de capacité structurelle et de contrôle, ainsi qu’à la fracture entre le contrôle exercé par des agents et les arrangements institutionnels de la gouvernance organique. Dès lors, les institutions parlementaires et représentatives doivent rester accountable dans la vie politique de tous les jours. En même temps, la gouvernance doit étendre sa sphère d’action pour répondre à des besoins différenciés et nombreux.

La société civile trouverait sa place dans ce système qui pourrait lui assurer une possibilité de mise en œuvre, et, en même temps, donnerait des garanties de démocratie dans le fonctionnement de la puissance publique. Avant d’élaborer un tel système, il semble important de revoir la définition de société civile. En plus de celle fournie par les institutions, il faut aussi reprendre les caractéristiques premières. Par conséquent, c’est en combinant la définition institutionnelle et la définition théorique que nous pourrons appuyer notre modélisation.

253 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

Chapitre 8 – Gouvernance européenne, société civile et représentativité

1. Société civile : histoire d’un retour

Le rôle établi par les institutions pour la société civile laisse ouvert la question de son identification. Cela est compliqué par le fait que l’emploi de l’expression de société civile est devenu plus fréquent, et son utilisation avec des guillemets a pratiquement disparu. Ainsi, il s’agit d’une ‘évidence non définie’, et, donc, la société civile n’est pas une structure unie et concrète. En son sein, divers courants s’opposent sur la place du citoyen dans la société. À l’origine, le débat idéologique sur la société civile s’organise surtout aux États-Unis autour de trois tendances majoritaires qui sont les libéraux, les communautaristes et les tenants de l’approche discursive de la démocratie. À chacune de ces approches, on trouve des caractéristiques différentes pour la société civile, de la libre expression à la défense de valeurs communes. Cela influence également l’identification de l’acteur société civile, économique chez les libéraux, intermédiaire chez les radicaux, et ensemble de valeurs chez les conservateurs (voir Khilnani, 2001b, 39). Ainsi, le choix d’un courant entraîne un série de conséquences sur la manière d’analyser la société civile. Comme nous le verrons, l’histoire du concept est riche et passe entre les courants de pensée à des moments précis. Par conséquent, avant d’aller plus loin sur la question de l’intégration européenne, on doit se pencher sur le thème de la société civile.

Après la deuxième guerre mondiale, le concept de société civile a peu à peu disparu de la pensée politique. Une des premières réapparitions date de 1968 avec le développement du mouvement associatif ainsi que des mouvements sociaux. Toutefois, l’intérêt reste mineur, et n’est pas rapporté immédiatement à la société civile telle que nous la comprenons actuellement. C’est réellement l’effondrement du bloc communiste qui donne une deuxième vie au concept de société civile et à son rôle politique 228 . Robert Fine et Shirin Rai ajoutent que les « civil associations had gained agency vis-à-vis the state in the period leading up to the 1989 revolutions; the focus of active participation in the politics of change moved away from the elites to the ordinary citizens and this was reflected in the celebration of the concept itself » (1997, 1). Cette approche citoyenne connaît une renaissance en Europe occidentale avec le développement des mouvements sociaux dès le Traité de Maastricht. Ainsi, la société civile redevient au cœur des discussions en raison, d’une part, des événements dans le bloc communiste et, d’autre part, de l’ouverture au public du dialogue politique au niveau européen. La présence des mouvements sociaux en recherche de

228 Relevons le bref résumé historique de Thériault sur le concept de son départ à son point d’aboutissement : « Son élaboration suit les contours géographiques de l’effervescence bourgeoise : le concept apparaît en Angleterre au seuil de la modernité capitaliste, se transporte et se déploie en France à la veille de la Révolution française, s’éteint pour la première fois en Allemagne au début du 19 ième siècle, après avoir, là aussi, accompagné l’entrée tardive de cette région dans l’ère des révolutions bourgeoises. La Révolution russe de 1917 et les contre-révolutions fascistes des années trente à l’Ouest font renaître tout en le modifiant, le concept. Courte carrière : l’idée est aussitôt remisée suite à la dégénérescence totalitaire de la ‘première révolution socialiste’ et suite à la nouvelle hégémonie bourgeoise créée par l’État social en Occident. L’ébranlement politique des années soixante, qui correspond, à l’Ouest, à la crise de l’État social (l’épuisement du compromis socio-démocrate) et à l’émergence des néo-mouvements sociaux (mai 1968 est le prototype) et, à l’Est, à la crise de l’État totalitaire et à la naissance d’une mouvement anti-totalitaire (Prague 1968 – Pologne 1981), actualise le concept » (1987, 127).

254 Gouvernance européenne, société civile et représentativité reconnaissance n’a qu’accentué la conceptualisation politique de la société civile dans un nouveau cadre de légitimité.

Entre les deux grandes théories de l’époque, le libéralisme et le communisme, les théories de la société civile se présentent comme une troisième voie. Elles argumentent sur ce stade intermédiaire qui tente de réconcilier des approches jusqu’alors antagonistes. De plus, le renouveau du terme donne un dynamisme dans les théories politiques afin de repenser l’État et la relation avec les citoyens dans un moment de désintérêt marqué par un fort taux d’abstention, et d’éloignement des sphères décisionnelles. L’enthousiasme dont fait preuve Fine 229 en décrivant les termes positifs pour les uns et négatifs pour les autres est symptomatique de ce renouveau. Toutefois, le passif historique de la société civile et le contexte de son retour rend l’appréciation de son rôle complexe, car les définitions sont fortement évolutives et, par nature, la société civile est polymorphe. En regard du passé, quelle leçon pouvons-nous tirer et surtout quelle problématique pose la société civile en vue de la construction européenne ?

Les travaux des institutions ont donné un rôle à la société civile dans un but d’endo- légitimitation. Toutefois, le déplacement du discours de la société civile dans le cadre de la gouvernance provoque des attentes différentes de part et d’autre. En effet, le Livre Blanc sur la gouvernance rappelle les conditions-cadres pour entrer dans une phase consultative, notamment les principes démocratiques pour les associations. De plus, la multiplication des communications et des actions communautaires n’a pas permis de clarifier le rôle attendu de la société civile dans la gouvernance. En effet, les institutions ont finalement plus communiqué sur leur propre légitimation que sur le rôle attendu de la société civile. Néanmoins, la conséquence de la production de ce discours est l’établissement de cet acteur dans les politiques publiques.

Afin de tirer quelques éléments, nous allons extraire de la discussion sur la gouvernance deux aspects principaux, soit l’identification de l’acteur ‘société civile’ et le questionnement sur la représentativité et l’imputabilité. Un des problèmes principaux est l’absence au sein des politologues de débat sur la représentativité des

229 La théorie de la troisième voie telle qu’elle émerge à la fin des années 80 est ici résumé par Fine (en anglais). « Civil society theory is a lossely defined and diverse set of approaches, which emerged in the 1980s and was closely identified with struggles in Central and Eastern Europe against the Soviet Empire. Its distinguishing mark is that it privileges civil society over all other moments or spheres of social life, on the ground that civil society furnishes the fundamental conditions of liberty in the modern world. Its mission is to defend civil society from the aggressive powers which beset it: on one side, the political power of the state, and on the other, the economic power of money. The concept of civil society was intended to indicate a ‘third road’: one that is neither ‘utopian ’ nor ‘utopian capitalism’ but the ‘life-world’ of the middle; in geographic terms one that is neither ‘east’ not ‘west’ but ‘central European’. Civil society theory is a theory which autorizes civil society in relation to both capitalism and socialism, the free market and the state planning, Americanism et Russianism. The common ground of civil society theory is that it places civil society on the side of agency, creativity, activity, productivity, freedom, association, life itself. In contrast to the vital properties of civil society, it identifies the properties of the economic and the political systems in essentially moribund terms: conformity, consumerism, passivity, privatization, coerciveness, determination, necessity are the words which prevail. Though this opposition between life and death, activity and passivity, agency and structure, civil society theory justifies the primacy of civil society over the political and economic spheres. It elevates civil society as a special domain – one which needs to be recognized, nurtured and protected from the disciplinary forces of modernity. Civil society theory is not just a theory of civil society but a theory which privileges civil society » (Fine, 1997, 9).

255 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question organisations de la société civile (Smismans, 2005, 3-10). Toutefois, l’intégration de ces acteurs au sein de la gouvernance européenne oblige à construire des critères d’identification et de représentativité. Ces derniers permettront d’entrer également dans une logique d’ accountability .

Toutefois, l’établissement d’une liste est par nature limitatif et ne serait qu’illusoire. Hormis les critères d’identification de la société civile, nous proposerons une série de critères permettant de définir les organisations ayant vocation à être intégrées dans la gouvernance. La construction des critères est animée d’une double exigence. La première est la modestie face à l’impossibilité d’exhaustivité. La seconde est de nature plus institutionnaliste. En effet, sous prétexte de l’étendue de la société civile, il serait impossible d’établir des critères et, nous serions alors dans l’impossibilité de construire le rôle de la société civile. Dès lors, les critères permettent d’inscrire une logique d’agents de souveraineté clairement identifiable.

Il ressort des chapitres précédents quant au rôle assigné à la société civile, tantôt renouveau de la légitimité, tantôt animateur de l’espace public ou encore organe en voie de démocratisation. Ainsi, la limitation des rôles est une nécessité dévolue à l’effort de définition. De plus, la construction d’un dialogue ne peut se conduire que si les partenaires sont identifiés. Comme nous l’avons vu, les documents de la Commission et du CESE ne sont pas particulièrement précis sur l’identification. Certes, des éléments de conditionnalité sont émis mais pas de listes précises, au contraire, une certaine confusion se dégage. L’identification va de pair avec le second point du raisonnement, soit la question de la représentativité. Ici, les travaux des institutions vont s’avérer utiles et permettront de préciser les définitions. La représentativité pose également la question de l’ accountability . En effet, une organisation définie comme représentative d’un groupe socio-économique ne peut être représentative que si les questions d’imputabilité sont précisées.

La différence essentielle est l’angle d’approche entre les chapitres. Dans le chapitre précédent, nous avons mis l’accent sur le rôle des institutions dans l’établissement d’une respectabilité de la société civile, logique empreinte d’une logique de légitimation pour ces mêmes institutions. Ce chapitre aborde la société civile en tant que composante du système politique avec les conséquences que le discours institutionnel engendre. Également, le questionnement des conditions-cadres de la démocratie, sous l’angle de la gouvernance européenne, permet de réfléchir sur l’usage fréquent de la société civile européenne et de ses conséquences, car elle est souvent considérée comme une source de légitimité. Néanmoins, le manque de précision dans la définition, en tant qu’identification de l’acteur, conduit également à nombre de critiques sur ce rapport à la légitimité dans l’action politique 230 . Pour préciser ces aspects, on procédera alors à une analyse du Livre Blanc sur la gouvernance et des conséquences à en tirer.

Cette analyse nous permettra de revenir sur les principes oeuvrant pour une démocratie associative. Le Livre Blanc demeure un exercice de style de la Commission qui pose beaucoup de questions quant à son opérationnalisation. En effet, quels sont les choix démocratiques ? Quelles en sont les conséquences ? S’agit-

230 À ce propos, il est assez éclairant de relire la remarque de Khilnani : « Partout où il est question d’évaluer les chances de notre monde politique et les menaces qu’il affronte, on rencontre l’idée, assez élusive, de ‘société civile’ » (2001b, 38).

256 Gouvernance européenne, société civile et représentativité il de la société civile ou de la Commission ? Quelle place pour le citoyen ? Sans prétendre répondre à toutes ces questions, les aspects de gouvernance permettront de mieux percevoir les différentes attentes dans un système en voie d’élaboration.

En conclusion, nous aborderons déjà la problématique finale, soit la construction d’une combinaison entre la représentation territoriale et la représentation fonctionnelle en utilisant le concept de société civile. Nécessairement, nous reviendrons sur la question du ‘complexe représentationnel’ et la part de la société civile. Ces éléments permettront d’aborder la modélisation envisagée pour répondre au déficit démocratique et le rôle futur de la société civile.

257 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

2. L’identification de la société civile

Bien que la société civile reste peu définissable par les acteurs, l’analyse concourt à identifier la société civile comme étant l’addition du monde associatif et celui des organisations non gouvernementales. Il reste toutefois de nombreuses inconnues à relever. Parmi celles-ci, il faut déterminer, notamment, la place des syndicats, des partis politiques, et des groupements religieux. En d’autres termes, il s’agit de déterminer la ‘société non-civile’.

En débutant par les travaux de la Commission, on voit que sa communication sur ‘la promotion du rôle des associations et des fondations en Europe’ (COM(97)241 final du 6 juin 1997) s’emploie à définir les associations de manière structurelle et fonctionnelle. Cinq traits communs sont relevés : un degré d’existence formelle ou institutionnelle ; but non lucratif ; indépendance face au pouvoir public ; désintéressés ; prendre une part relativement active à la vie publique (3). Quatre fonctions sont mises en avant : prestataire de service ; militantisme ; auto-assistance ; ressources et coordination (3-4). Toutefois, la Commission exclut de sa définition : les partis, les syndicats et organisations patronales, et les groupements religieux (3). Pour Smismans, la définition de l’acteur société civile est complexe car le but des communications est la recherche de la légitimation de la Commission (2002, 22) d’où un problème de définition et la difficile compréhension du rôle des partenaires sociaux.

Assez proche de la Communication de la Commission, Philippe Schmitter identifie quatre points pour les organisations de la société civile. Premièrement, il s’agit de structure indépendante des modes de production et de l’autorité publique et privée. Ces distinctions permettent de créer une catégorie en-dehors de l’État, du marché et de la famille. Ensuite, les organisations de la société civile doivent agir dans un cadre d’actions collectives afin de promouvoir leurs intérêts, sans devenir des appendices de la puissance publique. Finalement, ces structures agissent dans un cadre légal pré- établi (voir Whitehead, 1997, 100).

Jean Vogel identifie trois phénomènes nouveaux à l’examen de la mobilisation autour d’Amsterdam. Il s’agit de groupes à caractère ‘basiste’ qui revendiquent une place pour les catégories les moins représentées de la population. L’espace de revendication est dans l’espace public européen à la suite d’impasses avec les pouvoirs nationaux, et amorce ainsi une stratégie de contournement afin d’éviter le terrain national déjà fortement structuré et occupé. Également, les associations et ONG de tous secteurs se sont fortement mobilisées. En effet, cette catégorie, souvent identifiée comme société civile, a cherché à mobiliser et coordonner les positions des entités diverses ayant, à la différence de la première catégorie, une certaine habitude de la promotion au niveau européen. Finalement les mouvements politiques d’ordre fédéraliste se sont fortement mobilisés sur des thématiques plus larges afin de présenter aux institutions une stratégie globale (1999, 205-207). Dans une large mesure, tous ces nouveaux phénomènes concourent à l’identification d’une société civile, présente par ses manifestations et, aussi, par ses stratégies de lobbying.

La mobilisation autour d’Amsterdam a également marqué l’écriture du Livre Blanc sur la gouvernance. En effet, Paul Magnette (2001a, 5-6) perçoit, à la lecture du Livre

258 Gouvernance européenne, société civile et représentativité

Blanc, la société civile de manière très organique avec des groupes fonctionnalistes avec des fins définies (syndicats, ONGs, associations professionnelles, organisation ‘basiste’ ou communautaire, charities , et communautés religieuses). On constate que, de manière constante, les acteurs généralistes comme les partis politiques sont oubliés. Ce contraste dans le traitement des acteurs est particulièrement frappant d’autant plus dans un objectif de développement de la légitimité qui sous-entend l’inclusion de tous, et notamment des acteurs s’inscrivant dans le cadre de l’intérêt général.

Une dernière catégorie d’acteur n’a pas ou peu été abordée, ce sont les forces du marché. Le CESE va aborder ce point en mettant également en avant les partenaires sociaux, les organisations représentatives des milieux socio-économiques, les ONG, les organisations de base (mouvements de jeunesse, associations familiales), et les communautés religieuses (CES851/99, 9). De nombreuses critiques ont été faites au CESE pour sa volonté de monopoliser la société civile, ainsi que celui de vouloir l’institutionnaliser. Virgilio Dastoli (2002, 34-35) s’exprime pour un deuxième cercle d’associations qui se constituent en dehors du CESE. Ces critiques ont surtout pour objectif de ne pas figer la société civile, ce qui rend bien entendu la possibilité de la définir et de la circonscrire plus difficile. Pour Boual (1999, 46), le CESE, en agissant de la sorte, introduit de la confusion entre le dialogue social et le dialogue civil. De plus, la place des acteurs économiques devient opaque face à la société civile, attendu qu’ils sont présents dans le CESE. Ainsi, la reproduction de sa composition risque de peser négativement sur la définition de la société civile en tant qu’acteur de l’expression citoyenne.

Par conséquent, tout n’est pas considéré comme société civile et sa composition est pour le moins indéterminée. Pour reprendre la formule du CESE, il faut aussi s’interroger sur qui sont ‘les individus ou groupes’ qui donnent corps à la société civile. À l’origine, on qualifie de société civile, les associations bourgeoises. Toutefois, la révolution industrielle et la venue de mouvements ouvriers sur la scène associative et politique ont donné une perspective d’entraide et d’intérêts nouveaux à la société civile. Actuellement, Michel Offerlé constate que, en général, « de cette nébuleuse sont exclus l’État et la société politique, les fausses sociétés civiles que seraient les groupes religieux fondamentalistes, les organisations tribalistes ou mafieuses, les liaisons clientélistes et les GONGO’S (government oriented non- governmental organizations). […] Et que faire de la vieille forme déclinante de représentation sociale, qui avait constitué l’une des structurations les plus fortes au sein du système capitaliste, le mouvement ouvrier ? » (2003, 9). Pour Jean-Claude Boual, la réponse est simple. La société civile est essentiellement l’association du monde syndical et du monde associatif (1999, 18-19).

C’est sur la base de cette assertion que nous allons proposer notre analyse de définition de critères de la société civile. Dans un premier temps, nous allons considérer le monde syndical et la société civile. Ensuite, nous regarderons également le monde associatif et la société civile. Finalement, les critères énoncés nous permettront d’émettre des éléments de catégorisation pour l’identification de la société civile active dans la gouvernance européenne.

259 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

2.1. Définitions et paradoxes de la société civile contemporaine

La société civile s’organise autour de plusieurs paradoxes et se définit essentiellement par la négative. Nous retiendrons deux paradoxes, soit le rapport à l’économie politique et le rapport aux principes démocratiques. Le moment historique de la société civile est son affirmation au sein de l’économie politique écossaise, et sa transposition allemande. Ainsi, l’ensemble des rapports sociaux s’organise dans la société civile hors État. Toutefois, l’usage du concept de société civile ne se perçoit pas dans les termes de l’économie politique. On peut même affirmer que le rapport à la société civile s’est transformé du libéralisme à la social-démocratie. Cette dernière s’implique dans le cadre de la redéfinition des rapports sociaux, et moins sur le désengagement de l’État et sur l’autorégulation (Thériault, 1992, 67-68 ; Varty, 1997, 29-30). Le cadre de la civilité passe à celui de la solidarité, le champ analytique passe de l’économie marchande à celui de la citoyenneté, le rapport à l’État passe de l’opposition à un dialogue structuré. En d’autres termes, le passage à l’économie amorcé par l’école écossaise, notamment avec Ferguson et Smith, est terminé au profit d’un retour dans le champ politique. Jürgen Habermas (1997, 394) définit la société civile en rappelant ce passage de l’économie à celui des associations :

« Ce qu’on appelle aujourd’hui société civile n’inclut plus l’économie régulée par les marchés du travail, les marchés des capitaux et des biens constitués par le droit privé. Au contraire, son cœur traditionnel est désormais formé par ces groupements et associations non étatiques et non économiques à base bénévole qui rattachent les structures communicationnelles de l’espace public à la composante ‘société’ du monde vécu. La société civile se compose de ces associations, organisations et mouvements qui, à la fois accueillent, condensent et répercutent en les amplifiant dans l’espace public politique la résonance que les problèmes sociaux trouvent dans les sphères de la vie privée. Le cœur de la société civile est donc constitué par un tissu associatif qui institutionnalise dans le cadre d’espaces publics organisés les discussions qui se proposent de résoudre les problèmes surgis concernant les sujets d’intérêt général ».

Quelle est donc la société civile contemporaine ? Les rapports sociaux ont en quelque sorte structuré une inversion dans l’histoire de la pensée du concept tout en gardant des antagonismes fondateurs comme le dualisme avec l’État. Mis en avant par Fine et Rai, cinq éléments sont discutés pour mieux appréhender le système. Premièrement, il faut évaluer la société civile en rapport avec l’ensemble constitutif (le marché, les lois, les associations). Deuxièmement, l’État doit avoir un rôle particulier pour l’établissement des conditions-cadres de la société civile ainsi que dans la médiatisation des demandes particulières, et leur inclusion dans les politiques publiques. Dans ce cadre, il existe une coopération entre l’État et la société civile. Troisièmement, il s’agit de prendre en compte l’évolution historique du concept et de le découpler de l’économie politique capitaliste au sens strict. Finalement, nous devons discuter deux questions, est-ce que la société civile est une alternative naturelle au totalitarisme, ce qui affirmerait son penchant démocratique ? Et, quelle est la place des exclus de la société civile au sein des relations sociales (1997,2) ? De ces cinq questionnements de recherche, on peut extraire une définition pour le renouveau conceptuel de la société civile et étudier son rôle avec la société politique et sa place dans la société en général.

En outre, l’existence de la société civile contemporaine est soumise à des conditions cadres très différentes selon les traditions politiques, les États et les situations

260 Gouvernance européenne, société civile et représentativité politiques conjoncturelles. Fossaert perçoit quatre types de société civile contemporaine : la libérale contrariée (pays en voie de développement démocratique), la libérale, la sous contrainte dictatoriale et la sous contrainte communiste (la différence résidant dans l’économie de marché privée) (1991, 29-30). De ces quatre types de conditions cadres ressortent des sociétés civiles structurellement différentes.

Il reste le deuxième paradoxe à développer, celui du rapport aux principes démocratiques. En effet, la contestation, en général et en particulier par la société civile, n’est pas forcément constructive et ne s’inscrit pas toujours dans un cadre démocratique 231 . En d’autres termes, la réaction n’est pas dans tous les cas une contribution positive à la société et à la politique (voir Maheu, 1992, 205). En corollaire, la contestation ou les mouvements sociaux ne sont pas forcément démocratiques à l’interne. Il faut aussi relever que la société civile a pris ce tournant démocratique avec l’effondrement du communisme à l’Est. La dimension historique donne un cadre d’ensemble qui est traduit maintenant de manière particulière et permet d’expliquer les difficultés à contenir la société civile dans ce cadre évolutif de la société démocratique (Varty, 1997, 45). Toutefois, le paradoxe madisonien (voir chapitre 2), évoqué par Tocqueville, se comprend dans la mesure où la société civile a une relation problématique avec les principes démocratiques tout en étant un lieu indispensable à la vie démocratique.

Par conséquent, la société civile se trouve dans des positions difficiles pour proposer des changements à l’État perçu comme illégitime. La confrontation de la logique ‘basiste’ et la logique universaliste ne donne pas forcément une transformation globale positive, mais, au contraire, peut développer des logiques d’intérêts nuisibles pour l’ensemble de la société 232 . Dès lors, la place de la société civile et sa légitimité à s’adresser aux politiques institutionnelles en employant des techniques non- institutionnelles posent question sur l’antagonisme fondamental entre la société civile et l’État. Dès lors, quelle est la place de ce dernier ?

À l’origine, la société civile était une forme de l’État. Pour Aristote, il s’agit de la communauté politique, chez Locke du gouvernement (sans être l’État), c’est Hegel qui le premier mettra une différenciation organisationnelle. Toutefois, pendant longtemps, la société civile était comprise comme une communauté politique, construction libre des individus (Femia, 2001, 131). La relation avec l’État maintenant est fortement ancrée dans la logique des conditions cadres réciproques pour d’une part l’existence de la société civile et aussi le consentement que donnent les individus dans la société civile à leur État. Basé sur l’analyse de Gramsci 233 , Thériault propose une

231 Sur ce point, il est utile de rappeler la position Thériault : « Le pluralisme de la société civile repose tant sur la multitude des associations nées de la fiction individualiste que de la permanence d’une pluralité d’englobants sociaux. La société civile n’est donc pas en elle-même démocratique ; elle l’est uniquement lorsqu’elle baigne dans une culture démocratique qui tout en reconnaissant la différence ne cesse de l’interpeller. Mais le démocratique ne sera-t-elle pas toujours cette énigme, non résolue mais reconnue, d’une histoire qui nous habite autant que nous prétendons la construire ? » (Thériault, 1992, 78). 232 En regardant l’histoire grecque ancienne, on peut observer des groupes existants sous le nom d’hétairies qui ont eu des influences importantes contre les démocrates en participant à de nombreux coups d’État. Ainsi, la société civile doit éviter cet écueil qui l’assimilerait inévitablement à un caractère factieux. 233 Gramsci sera redécouvert au moment où les mouvements sociaux s’imposeront dans la société. La lecture de Marx par Gramsci nous instruit sur la superstructure, lieu des luttes décisives pour

261 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question analyse en trois temps de la société civile. Ce triptyque se résume par une analyse de la dimension ‘privée’, de la dimension organisationnelle et de la dimension normative 234 . En résumé, cette relation s’organise sur les bases contractualistes de la société solidaire. Par un effet de substitution, la société civile a été appelée à suppléer au manque étatique. Comme nous le verrons, l’expertise du terrain et les réseaux associatifs sont des éléments importants de la relation pouvoir public – société civile. Pour reprendre le cours historique, l’effondrement de la famille et la décrédibilisation de la puissance publique laissent à la société civile une place prépondérante. En effet, elle se trouve moins remise en cause que les deux autres. Dès lors, dans l’équilibrage de l’équation gramscienne, on force sur la société civile pour compenser les problèmes de la communauté politique.

Toutefois, les pouvoirs publics associent souvent les organismes de la société civile à la prise de décision. Ainsi, la différenciation et l’apport mutuel de l’État et de la société civile peuvent être vus sous l’angle de leur rapport qui peut être porteur d’une double démocratisation selon Maheu (1992, 216). En effet, la puissance publique offre les garanties du respect des principes démocratiques et permet de réguler les

l’hégémonie, dont la société civile est une composante au même titre que l’État en tant que société politique. La célèbre équation de Gramsci se traduit donc ainsi, ‘État (total) = société politique + société civile’. Car, comme le note, Fossaert, « l’État et la société civile permettent de représenter le réseau complet des pouvoirs qui opèrent dans une société donnée, des appareils qui donnent force à ces pouvoirs, et, partant de là, des activités répétitives ou exceptionnelles par lesquelles ces pouvoirs se manifestent et font sentir leur efficacité » (Fossaert, 1991, 27). Le questionnement de Gramsci s’organise autour de la structuration des sociétés et de la propagation des idées. En effet, pourquoi la révolution russe de 1917 n’est pas sortie de ses frontières ? Seule la combinaison des deux composantes de l’État total peuvent expliquer ou permettre une compréhension. Cette évolution de la lecture de Marx par Gramsci est liée au changement des conditions cadres entourant le monde occidental. Ainsi, les nationalismes européens émergent et entraînent dans une guerre mondiale les ouvriers avec les ‘bourgeois-nationalistes’. Quasi-simultanément apparaît l’idéologie fasciste. Ainsi, Gramsci perçoit un monde différent de celui décrit par Marx et construit l’État global en partant d’un double rejet. Celui de Marx, d’abord, en plaçant la société civile de l’infrastructure dans la superstructure, et celui de Hegel, ensuite, en plaçant le moment premier et éthique dans la société civile au lieu de l’État. L’évolution conceptuelle se modifie en raison de la place plus importante des associations dans l’espace sociale, et de l’évolution de la structure de l’État entre l’époque de Hegel et celle de Marx. Dès lors, Gramsci construit son équation en montrant les moments construisant l’État intégral. Il extrait également de la société civile le moment économique pour le laisser dans l’infrastructure. 234 À l’appui de ces trois dimensions, nous utiliserons une fois encore une longue citation de Thériault : « Sur le caractère ‘dit privé’, la volonté de redéfinir des lieux hors-État nous semble répondre à ce qu’il est convenu d’appeler la crise de l’État-providence, ou plus généralement, la découverte des limites à l’étatisme dans la gestion du vivre ensemble. Face à ces constats, on a cherché dans la société civile, cette sphère dite privée, des modèles de solidarité pouvant se substituer à la solidarité étatique.[…] Sur la dimension organisationnelle de la société civile, les théoriciens contemporains insistent surtout sur la réalité ‘contractualiste’ des multiples associations qui fondent la société civile. Ils tiennent habituellement à souligner comment les solidarités modernes sont différentes des solidarités organiques traditionnelles.[…] La référence contractualiste apparaît plutôt à l’état d’un projet visant à l’auto- organisation au sein de la société civile qu’à l’état d’une réalité sociologique facilement identifiable. Ce décalage entre le projet contractualiste inséré dans la redécouverte de la société civile et la réalité sociale encore imprégnée de la légitimité sociologique s’avère l’une des questions majeures soulevées par la redécouverte de la société civile.[…] La question de la normativité dans l’interrogation contemporaine sur la société civile a été posée de façon pertinente par J. Habermas dès ses premiers travaux à travers la question de la possibilité que les normes et les valeurs soient susceptibles de vérité.[…] La possibilité de l’élargissement d’un espace public fondé sur la vérité argumentative apparaît alors corrélative à l’affaiblissement des contextes institutionnels (la famille en est exemple ici) par lesquels historiquement les normes et les valeurs étaient transmises. » (Thériault, 1992, 69-70).

262 Gouvernance européenne, société civile et représentativité inégalités inhérentes à la société civile, alors que cette dernière, par la participation directe des citoyens organisés et par son implication dans le jeu politique, concourt à la démocratisation de la puissance publique et à une légitimité politique accrue

Ce dualisme dans le rapport État-société civile ressort constamment dans les réflexions modernes sur le rôle de l’un et de l’autre. La légitimité et la représentation sont problématiques de part et d’autre. On constate assez rapidement qu’il s’agit d’un antagonisme constructif, nécessaire à l’évolution de la société. Comme nous le verrons, les rapports Union européenne – société civile sont empreints de cette même logique.

Comme Fossaert (1991, 34) le relève, ce rapport s’entretient autour d’un front de contact qui est le Parlement en tant que lieu d’expression de la représentation et comme fondement de l’organisation politique. Le projet de l’Union européenne complique les aspects institutionnels dans la reconnaissance de l’acteur et la place du Parlement européen. Toutefois, cette assertion de la place du Parlement comme lieu de réunion et de discussion est symptomatique de l’avancée dans l’histoire de la place des groupes politiques 235 , ainsi que de la place contemporaine de la société civile.

235 Tout comme le peuple est obligé de déléguer sa souveraineté à des représentants en raison de son grand nombre, un Parlement, pour fonctionner, doit également admettre le rôle des groupes politiques pour rassembler et organiser le travail parlementaire. Cependant, « le groupe implique […] le fractionnement de la représentation » (Pontier, 1981, 1664). Il va à l’encontre de l’idéal de l’intérêt général tel que la doctrine classique conçoit les assemblées. Le groupe, quel qu’il soit, est théoriquement plus proche de l’idée de défense d’intérêts particuliers, par opposition à l’intérêt général que définit le législateur (Pontier, 1981, 1664). James Madison, dans son article sur ‘L’utilité de l’Union contre les factions’, dépeint un visage trouble de l’aspect partisan de la politique. Pour lui, l’existence même des factions va à l’encontre du principe de l’intérêt général. En partant du fait que seule la République est viable pour la survie politique, en opposition à la démocratie populaire possible uniquement pour des petites structures, alors les factions doivent être éliminées ou contrebalancées ( balance of power ) pour préserver l’intérêt général. Ce système permet d’éviter une grande crainte, soit une oppression de la majorité sur la minorité. Cette deuxième entorse au principe démocratique a connu un processus lent de reconnaissance au niveau institutionnel dans les parlements européens. Assez rapidement, les clivages sont apparus entre les élus. Dès le XIXe siècle, on constate l’apparition de clivages partisans. En France, ils se matérialisent par la constitution effective des partis dans le Parlement même. Le député entretient par conséquent un lien assez lâche (Pontier, 1981, 1664) avec son parti, puisque celui-ci n’entre pas en considération dans son rapport avec le peuple. En règle générale, l’évolution politique en Europe occidentale consacre l’amarrage des partis dans la sphère politique. Progressivement, l’individu s’efface au profit de son parti, le député n’est plus qu’un représentant d’une ligne politique. L’historique des groupements au niveau de l’inscription au règlement interne date du début du XXe siècle. En France, les partis politiques et les groupes sont d’ordre constitutionnel à partir de 1958, selon l’article 4 : « Les partis et les groupements politiques concourent à l’expression du suffrage ». Ce développement historique propulse les groupes politiques au rang d’acteurs et de sujets de droit. Leur rôle n’est plus remis en question par la définition de la démocratie au sens de la représentation nationale. Une précision paraît essentielle. Dès le début, les groupes se formaient selon deux critères aux fonctions différentes : technico-politique et partisan. Le premier répond en partie à l’exigence de fonctionnement d’une assemblée, notamment par le biais de constitution de commissions parlementaires. Le second critère est l’expression du parti, et ne répond qu’imparfaitement à l’exigence de représentation politique des différents intérêts qui existent dans le pays (Pontier, 1981, 1165). Les groupes d’intérêts sans accès direct au Parlement ont dû trouver d’autres portes d’entrée. En effet, rien ne peut garantir que leurs intérêts seront protégés ou poursuivis par les groupes politiques institués. Cette thématique sera abordée dans le chapitre suivant.

263 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

L’analyse des mouvements sociaux rappelle deux interrogations majeures, soit le refus du politique, comme caractéristique des mouvements sociaux, et comment articuler la légitimité et les institutions du politique dans le cadre des mouvements sociaux (Maheu, 1992, 202).

La société civile comprise dans son contexte historique rappelle plusieurs questions, celle de la représentativité, et celle de la légitimité. Entre autres, elle montre aussi par son visage polymorphique qu’elle ne peut être insérée dans un cadre trop strict. La société civile n’est donc pas celle que l’on comprendra en usant du même terme selon les époques. Dès lors, il ne s’agit pas d’un état final déterminé.

Dans le but d’une meilleure compréhension des institutions européennes, nous verrons quel rôle on peut faire jouer à la société civile et surtout quelle société civile les institutions perçoivent. Dans une phase supplémentaire, nous tâcherons d’identifier une théorie institutionnelle de la société civile dans l’Union, notamment en plaçant au centre le Parlement européen. Il est ainsi nécessaire de repenser les relations au sein de la gouvernance démocratique, de revoir les frontières entre privé et public, et d’atteindre un équilibre qui préserve efficacité, ouverture et légitimité (voir Hirst, 1997, 125).

Cette proposition de réforme de la gouvernance ne s’inscrit pas dans une remise en cause de la représentation, mais de la redéfinition des moyens pour une meilleure action publique concertée avec la société civile. D’ailleurs, Hirst précise cet aspect en rappelant que la réforme ne touche finalement qu’en partie le processus de prise de décision, mais modifie ‘positivement’ la mise en œuvre des politiques publiques en partageant le poids de l’action entre divers acteurs.

Au niveau du Parlement européen, le groupe politique revêt la fonction la plus importante des organes parlementaires. L’eurodéputé non inscrit se situe dans un espace politique restreint et n’a que peu de possibilités pour effectuer son travail au même titre que les autres députés membres de groupes. Le groupe européen entache l’égalité qui devrait régner entre les représentants des peuples européens. Toutefois, nombreux admettent que sans groupes politiques, il n’y aurait pas de fonctionnement parlementaire possible. Le clivage n’est plus vraiment entre représentation nationale et fractionnement, mais entre respect de l’égalité de traitement entre députés et bon fonctionnement des institutions. Il apparaît difficile à une assemblée d’agir efficacement avec une composition actuellement de 785 membres. Il faut organiser le travail. Cette réalité implique deux choix politiques possibles. Premièrement, on décide d’appliquer le principe démocratique pleinement, et donc, on réduit le nombre de députés. Cette solution permettrait, avec un nombre raisonnable de personnes, de travailler sans l’influence des groupes politiques. Le second choix admet les groupes politiques, et le fractionnement de la représentation nationale, comme une nécessité au bon fonctionnement parlementaire. Autant la première solution paraît irréalisable et à terme antidémocratique avec la formation d’une élite-dictature - James Madison défend l’idée d’un corps restreint de représentants. Toutefois, il admet que l’effet peut être pervers. Il s’ensuit une discussion sur le nombre de députés nécessaires au bon fonctionnement de la République (‘Utilité de l’Union’, pp. 73-74). On doit aussi rappeler la volonté d’un balance of power entre les groupes pour éviter l’oppression de la majorité. Cet ensemble d’idées forme pour les fédéralistes américains un ensemble cohérent pour la démocratie ou plutôt, la République – autant la seconde est la solution (insatisfaisante) choisie par l’ensemble des démocraties occidentales avec les groupes politiques, que ce soit par un bipartisme ou un multipartisme.

264 Gouvernance européenne, société civile et représentativité

2.2. Le monde syndical et la société civile

L’inclusion du monde syndical dans l’ensemble de la société civile est une question importante qui n’a pas encore trouvé de réponses définitives dans les communications des institutions. Comme il semble, en raison des dispositions dans le traité de Nice, que le CESE soit le pont naturel vers la société civile, l'intégration des syndicats est ainsi logique en regard de sa composition. En effet, pour cette institution, il est évident que les syndicats, au même titre que tous les partenaires sociaux, font partie du débat de la société civile organisée. Néanmoins, le rôle des syndicats est controversé, car l’émergence de nouveaux paramètres dans l’analyse sociale a fortement bouleversé les anciennes catégories. Il s’agit des nouveaux mouvements sociaux, de l’individualisation des enjeux, de la modification du rapport au travail, et des complications du projet social-démocrate.

En premier lieu, la dynamisation du concept de société civile est largement due aux nouveaux mouvements sociaux. Fortes de leur appartenance au dialogue social, les organisations syndicales se sont peu penchées sur le dialogue civil et n’ont pas été un point de ralliement des nouvelles associations. On peut même fortement les différencier d’un point de vue structurel. Alors que les syndicats sont hiérarchisés et s’inscrivent dans le rapport conflictuel socio-économique, les nouveaux mouvements sociaux se démarquent par une certaine souplesse de fonctionnement peu hiérarchique, des thématiques revendicatives larges, et ayant un rapport à l’État avec des buts d’autonomie et de liberté (voir Gagnon, 2003, 18).

Bien que, comme nous l’avons vu, les organisations citoyennes ont pu évoluer dans un terrain autorisé par les institutions, il faut aussi relever la modification de l’idée de modification sociale. Cette dernière devient l’apanage de ces organisations et les syndicats perdent leur rôle de précurseur en voulant reprendre la tête de la contestation sociale. Pour Jean-Claude Boual (1999, 47-48), il y a là une modification due à l’affaiblissement des syndicats qui se trouvent sur une position défensive face aux patronats, et, abandonnent le projet de société pour la lutte sur les acquis. Par conséquent, malgré leur passé, ils sont maintenant concurrencés par des organisations thématiques qui ont profité du vide. Ainsi, le rapport à la société se modifie, et la promotion de nouveaux thèmes passe par des acteurs non conventionnels. En conclusion, le syndicat n’est plus le seul représentant des revendications.

Cette modification de la représentation est également liée au changement de la représentation de l’individu au sein de la société. La catégorisation de la société en terme de classe est devenu complexe en raison de la superposition d’inégalités verticales et horizontales. De plus, l’éclatement du groupe renforce l’individu face à son destin personnel. Dès lors, les syndicats deviennent des agences de services et, moins des lieux de militantisme et de solidarité. Les organisations citoyennes se sont pleinement adaptées à cette nouvelle donne où les personnes s’investissent en fonction de leurs intérêts. De plus, l’éclatement de la stratification socio-économique contribue à l’affaiblissement des syndicats et au renforcement des identités multiples au sein d’organisations citoyennes. En d’autres termes, il n’existe plus de causes et d’enjeux communs. C’est la vision individualisante qui s’impose (voir Gagnon, 2003, 21).

265 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

Conséquences ou effets de l’individualisation, c’est la modification de la valeur que l’on octroie au travail. L’éclatement des classes est aussi lié à l’éclatement d’une certaine vision du prolétariat. De nombreuses études relevées par Mona-Josée Gagnon (2003, 19-20) rappellent la mise en cause de la centralité du travail chez l’individu. Ainsi, la prise en compte d’une identité hors du travail doit être prise en compte, et le syndicat ne contribue que peu à cela a contrario des organisations citoyennes. Dès lors, l’engagement du citoyen dans la société ne doit plus être considéré par son rapport à l’emploi, mais bien par sa disponibilité à s’engager dans d’autres activités.

Finalement, le déclin du syndicat est également consécutif au projet social-démocrate. Alors que les arrangements néo-corporatistes ont marqué le développement du projet social-démocrate avec la collaboration des syndicats, les attaques à droite du néo- libéralisme et à gauche des nouveaux dirigeants politiques ont modifié le projet social-démocrate, notamment par une distanciation vis-à-vis des syndicats.

Tous ces éléments contribuent à l’affaiblissement général du syndicalisme dans un environnement marqué par le discours sur la société civile. Les contradictions des syndicats poussent à l’apogée cet éloignement, comme en participant au dialogue social tout en dénonçant les centres de pouvoir. Toutefois, le syndicat demeure un acteur généraliste qui a une très forte représentativité. À l’instar de Marie-Josée Gagnon (2003, 27), on doit constater qu’aucun groupe n’a pris la place des syndicats. En se basant également le rôle prépondérant des syndicats, Paul Alliès constate que la crise du syndicalisme est largement due à un manque de reconnaissance dans le système syndical par une part substantielle des ouvriers et cela « appelle de nouvelles définitions des rapports entre le social et le politique » (1985, 190-191).

Dès lors, les syndicats représentent une catégorie à part, et c’est pour cette raison que nous ne l’intégrerons pas dans le concept de société civile. Les raisons principales sont d’ordre organisationnel. En effet, agissant comme partenaires de l’État dans le cadre du dialogue social et devant négocier avec les forces du marché, les syndicats se différencient fortement des organisations citoyennes. Il est néanmoins évident que des alliances entre les deux doivent voir le jour comme le propose Jean-Claude Boual (1999, 47-48). L’inclusion des syndicats tout comme celle des partis politiques ne contribuerait qu’à brouiller l’idée d’organisation citoyenne. Ainsi, un premier critère d’identification serait d’éliminer de la société civile les organisations cherchant soit à concourir pour le pouvoir (les partis), soit qui participent à la structuration du marché au sein du dialogue social (entreprises et syndicats).

L’argument repose principalement sur le rapport à la puissance publique et la place des autres sphères de la société comme le marché. Ainsi, il nous semble inopérant de distinguer la représentation des intérêts et les intérêts, soit des syndicats patronaux et des entreprises. Dans ce dernier cas, les institutions du marché sont déjà présentes dans la sphère économique, et la place dans le dialogue social n’ouvre pas un accès à la société civile. De plus, les différences structurelles exprimées plus haut semblent suffisantes pour distinguer les syndicats et la société civile, qui s’inscrit plutôt dans une logique associative.

266 Gouvernance européenne, société civile et représentativité

2.3. Le monde associatif et la société civile

Le monde associatif intègre l’histoire riche des mouvements citoyens. Il est aussi important de rappeler à quel point les mouvements associatifs font partie d’un État démocratique. Tocqueville à une autre époque exprimait déjà que « il n’y a pas de pays où les associations soient plus nécessaires pour empêcher le despotisme des partis ou l’arbitraire du prince, que ceux où l’état social est démocratique » (1981 [1835], 278). De façon contemporaine, on peut relever que Smismans considère « que la qualité d’une politique démocratique est hautement dépendante de sa vie associative » (2003, 487). Il faut également se pencher sur la place et le rôle de l’association sur le continent européen. Ceci nous permettra aussi de mieux appréhender les enjeux qui se posent dans le cadre de la démocratie participative pour la société civile.

2.3.1. Les associations et Alexis de Tocqueville

Historiquement, Alexis de Tocqueville est probablement un des premiers auteurs à décrire la société civile dans sa réalité empirique. Comme Whitehead le rappelle, Tocqueville a considéré le rapprochement de la société civile et de la démocratie dans un cadre de ‘contrepartie indispensable’ plutôt qu’une alternative nécessairement conflictuelle (1997, 98). Pour Tocqueville, la présence de la société civile, utilisée sous le terme d’associations, s’explique en Amérique par l’absence d’aristocratie.

L’empirisme de Tocqueville se base sur son voyage dans les États-Unis d’Amérique du XIXe et le récit des structures et des hommes de ce nouveau monde. Son récit, ‘De la Démocratie en Amérique’ paraît en 1835 et 1840. Les parties clés sur la société civile se trouvent dans les chapitres de la deuxième partie du premier tome, soit sur le rôle des partis, de la presse et de l’association politique. Dans le deuxième tome, la première partie contient divers chapitres sur le rôle de l’association dans le monde civil et son rapport au politique. C’est dans ces différents chapitres que l’on tire le plus fréquemment le substrat de Tocqueville sur la place des associations dans la vie politique.

Concrètement, il est intéressant de relever que dans la vie politique, Tocqueville observe que deux armes sont utilisées par les partis, les médias et les associations. Nous nous concentrerons uniquement sur ce dernier élément qui se démarque par la liberté d’association présente à cette époque aux États-Unis en étant une façon de préserver l’individualisme. Selon la situation, il s’agit d’un regroupement d’individualités qui s’associent de manière spontanée. Toutefois, l’association se formalise quant il s’agit de formuler une opinion. Ainsi, il dresse un parallèle entre les associations et les partis politiques par le pouvoir de s’assembler et de déléguer des représentants dans des organes faîtiers. En reprenant les moments importants de l’association en Amérique, Tocqueville revoit aussi la Convention de Philadelphie comme un moment fondateur dans cette liberté. Comme corollaire, il définit que « la liberté d’association est devenue une garantie nécessaire contre la tyrannie de la majorité » (1981 [1835], 278). Du fait du principe majoritaire omniprésent en Amérique et des principes démocratiques sous-jacents, Tocqueville perçoit dans ce cas la nécessité de l’association afin de se défendre contre l’omnipotence de la majorité, « il faut que la minorité oppose sa force morale toute entière à la puissance

267 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question matérielle qui l’opprime » (1981 [1835], 278). Dès lors, la liberté et l’existence des associations sont nécessaires dans les États démocratiques. Toutefois, le danger des associations en tant que factions n’est pas pour autant écarté, il s’agit d’un moindre mal 236 . La différence entre le nouveau et l’ancien monde sur les associations se perçoit par le différentiel dans l’expérimentation de la liberté. Ainsi, l’association en Europe cherche à renverser le pouvoir alors qu’en Amérique il s’agit d’affaiblir l’empire moral de la majorité dans le respect des lois. Par conséquent, l’association politique chez Tocqueville est très proche de la conception de l’embryon idéologique du parti politique car elle se conçoit dans la logique du rapport majoritaire. Toutefois, le mode de pensée et la façon d’agir sont très instructifs sur les fondements de la logique associative. Il reste à voir les aspects civils 237 que développe Tocqueville dans son deuxième volume.

De même que dans l’association politique, l’association civile se crée autour de l’individualisme et de sa faiblesse et la nécessité de s’associer pour construire en commun. Le rapport au nombre est extrêmement important en terme de puissance dans la reconnaissance du rôle de l’association dans la société. De même, pour faire passer ses opinions, il y a une nécessité pour l’association d’avoir un média, comme par exemple un journal. C’est dans ce chapitre (II, 1, V) que Tocqueville compare la société civile (association civile) à l’aristocratie dans le rôle d’intermédiaire qu’elle doit jouer. D’ailleurs, il définit que « ce sont les associations qui, chez les peuples démocratiques, doivent tenir lieu des particuliers puissants [aristocratie] que l’égalité des conditions a fait disparaître » (1961 [1840], 158). Dès lors, on comprend mieux la fameuse phrase de Tocqueville sur l’association comme la science-mère dans les pays démocratiques comme indispensable au progrès de la société toute entière. D’ailleurs, la réduction des inégalités conduit nécessairement vers la libre association.

Nous le voyons rapidement la frontière entre les associations politiques et civiles est ténue. D’ailleurs, Tocqueville voit un rapport existentiel entre les deux. Sans politique, les associations civiles ne peuvent se former, car l’association politique encourage les hommes à s’associer davantage dans le domaine civil 238 . En général, c’est l’association politique qui est considérée comme une école de démocratie pour apprendre ‘la théorie générale des associations’. Ainsi, l’auteur revient sur la méfiance originelle envers les associations politiques en se demandant si leur rôle n’est pas en définitive de renforcer l’État ou, du moins, de distraire les citoyens de penchants plus révolutionnaires en polissant les opinions. Toutefois, fort de ces prémices, Tocqueville souhaite que la liberté d’association soit limitée pour que son usage respecte la stabilité de l’État. D’ailleurs, les européens ont toujours perçu l’association comme un danger. Alexis de Tocqueville relève que, en Europe, « l’association, c’est une armée ; on y parle pour se compter et s’animer, et puis on marche à l’ennemi[, alors qu’aux États-Unis,] les citoyens qui forment la minorité

236 Tocqueville décrit ce fait ainsi : « On ne peut se dissimuler que la liberté illimitée d’association, en matière politique, ne soit, de toutes les libertés, la dernière qu’un peuple puisse supporter. Si elle ne le fait pas tomber dans l’anarchie, elle la lui fait pour ainsi dire toucher à chaque instant. Cette liberté, si dangereuse, offre cependant sur un point des garanties ; dans les pays où les associations sont libres, les sociétés secrètes sont inconnues. En Amérique, il y a des factieux, mais point de conspirateurs » (1981 [1835], 279). 237 L’association civile se définit chez Tocqueville comme n’ayant pas d’objets politiques et se formant dans la vie civile. 238 À ce propos, il faut se pencher sur le chapitre VII, du deuxième Tome de l’ouvrage de Tocqueville qui est consacré au propos des rapports entre l’association politique et l’association civile.

268 Gouvernance européenne, société civile et représentativité s’associent, d’abord pour constater leur nombre et affaiblir ainsi l’empire moral de la majorité ; le second objet des associés est de mettre au concours et de découvrir de cette manière les arguments les plus propres à faire impression sur la majorité ; car ils ont toujours l’espérance d’attirer à eux cette dernière et de disposer ensuite, en son nom, du pouvoir » (1981 [1835], 279-281) Cette digression historique permet de reposer les termes du débat sur la méfiance que les européens ont envers les mouvements associatifs. Toutefois, Alexis de Tocqueville nous rappelle que « dans les pays démocratiques, la science de l’association est la science-mère » (1961 [1840], 159).

2.3.2. Les associations dans l’Union européenne

Afin d’étudier la place des associations dans les démocraties européennes et dans l’UE, nous nous appuierons sur les travaux de Julien Weisbein qui cherche à représenter le continent associatif. De son étude, on peut tirer deux constats. Le premier est celui de l’extrême différence au niveau des statuts, de la reconnaissance apportée aux associations dans les différents États européens. Le second consiste à relever que « la pluralité des modes de mobilisation et de structuration que dessine la défense de ces intérêts divers rend a priori difficile l’émergence d’un acteur collectif revendiquant une place effective dans les réseaux de gouvernance de l’Union » (2003, 232). Cette remarque est liée à la difficulté des associations à s’organiser sur différents échelons (régional, national, européen). Souvent les plates-formes européennes manquent d’un relais national. Dès lors, certains restent sceptiques sur la capacité des ONG à européaniser les société nationales.

À des fins d’analyse, Éric Dacheux met en avant le terme d’‘association de transformation sociale’ (2001, 166-8). Ce terme a pour avantage de catégoriser la vie associative en excluant les associations qui ne sont pas initiées par des citoyens et qui ne contribuent pas à l’intérêt général. Il s’agit des intérêts particuliers (associations professionnelles), des prestataires de services (clubs sportifs par exemple) et, bien sûr, des associations lucratives. De plus, il écarte de sa catégorisation, les partis politiques, les syndicats, les chambres consulaires, ainsi que les congrégations religieuses. Par contre Philippe Schmitter et Wolfgang Streeck (1985, 16) qualifient la société civile comme étant l’addition du marché et de la communauté. Dans leur modèle, ils distinguent les associations qui se placent à un degré différent. Il faut aussi relever qu’il s’agit, au contraire d’Éric Dacheux, d’associations d’intérêt au sens le plus large.

Dans le cadre de l’identification des mouvements associatifs, il faut aussi relever la manière dont ils s’expriment et font représenter un intérêt. Julien Weisbein (2003, 234-7) constate que la construction des associations au niveau européen se base sur plusieurs stratégies. La première est celle de l’expertise afin de rendre crédible et légitime leur action. La seconde est d’ordre moral, et consiste à rappeler à l’ordre et à dénoncer les violations et manquements à des principaux moraux. La dernière stratégie est le recours au nombre. En agissant, les associations interviennent comme ‘acteur citoyen’ dans l’espace communicationnel européen, mais aussi comme lobby. Ainsi, autant le premier peut être considéré comme un vecteur de la démocratie, autant le deuxième rappelle la recherche d’intérêt propre, éloigné de l’intérêt général. En reprenant le premier aspect Éric Dacheux nous rappelle aussi que « la communication politique est le vecteur du débat démocratique, les associations par

269 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question leurs critiques publiques, sont des animateurs de cette communication politique ». En d’autres termes, l’association est un lieu démocratique qui instaure un espace public 239 permettant le développement d’une communauté politique (2001, 165). D’autant que l’action associative tant au niveau national qu’au niveau européen crée une européanisation des intérêts.

Ainsi, on peut catégoriser les associations agissant dans un but d’intérêt général autour de quatre axes. Il existe, d’une part, les associations de défense de droits civiques et, d’autre part, celle qui agissent dans l’économie sociale. Ces associations sont soit bénévoles, soit professionnalisées. Dans ces axes, on peut placer des cadrans (cf. tableau 8.1). Les associations agissant dans le cadre des droits civiques (environnement, droit de l’homme) et professionnalisées se placent dans le cadran 1 (Amnesty International, WWF, etc.). À l’opposé structurel, on trouve des associations bénévoles sans but économique dépendant plus du militantisme de ses membres. Dans la partie économie sociale, on retrouve les associations du tiers secteur ou celle luttant contre l’exclusion. La partie bénévole de ce secteur est très faible attendu la complexité des dossiers ainsi que les subventions publiques poussant les associations à engager des permanents (Dacheux, 2000, 16).

Tableau 8.1. Cartographie des associations de transformation sociale

droits civiques 1 2 Professionnalisée bénévole 3 4 économie sociale Source : Dacheux, 2000, 16

Hormis la catégorisation de l’association de transformation sociale, il est utile de relever que les associations doivent remplir un rôle d’école de la démocratie européenne. Cette condition entre totalement en cohérence avec les exigences pour l’identification des mouvements civils. En effet, l’intérêt des associations au niveau européen est, d’un point vue institutionnel, leur apport potentiel à la visibilité et la compréhension de la démocratie européenne. Ainsi, les associations représentent un panel important attendu que tout peut être association. La différenciation pour la gouvernance européenne en terme d’identification s’effectue sur son apport. Ce critère est également repris comme critère de représentativité.

De manière restrictive, on peut entendre les associations, notamment les associations européennes de citoyenneté, comme « des organisations non lucratives initiées par des citoyens défendant un projet d’intérêt général, et constituant ou appartenant à des réseaux centrés sur l’Union européenne » (Dacheux, 2000, 11). Ici, on peut reprendre les trois types de réseaux selon Weisbein, soit les coordinations, les réseaux thématiques et les regroupements idéologiques. Comme nous l’avons vu plus haut, l’élément caractéristique essentiel est que les mouvements citoyens n’ambitionnent

239 Les travaux de Jürgen Habermas (1993) sont une précieuse référence dans ce domaine. La mise en place d’un espace public s’exprime par la création d’un espace de communication permettant un dialogue entre citoyens conscients d’être confrontés à un enjeu commun ; et par « l’émergence d’une scène politique de discussion où s’exerce un pouvoir de délibération suffisamment transparent pour être suivi et compris au-delà de la sphère des acteurs immédiatement concernés » (Croisat et Quermonne, 1999, 132).

270 Gouvernance européenne, société civile et représentativité pas la conquête du pouvoir de décision, et ainsi offrent une vision non institutionnelle de l’intérêt général (Dacheux, 2000, 15). On peut également considérer les associations comme un autre moyen de notabilité, sociale en lieu et place d’élective (Alliès, 1985, 192). Cela correspond en tout cas à l’idée d’une cohabitation entre deux systèmes au sein de l’espace politique, l’‘ancien’ représentatif et le ‘moderne’ participatif.

2.4. Critères d’identification : une première proposition

La société civile européenne se comprend comme un ensemble d’associations agissant au niveau européen. Pour reprendre l’équation de Gramsci, la société, c’est la société politique plus la société civile. À cette dernière, nous pouvons également ajouter la société économique comme une sphère différenciée de la société civile. Par conséquent, il ressort principalement que la société civile organisée s’entend comme des organisations à but non lucratif.

La conséquence de l’application de cette équation est l’identification des non- membres de la société civile. En premier lieu, les partis politiques en tant que lieu d’expression de la société politique. En second lieu, c’est l’ensemble des forces du marché – donc du secteur économique – qui se trouve exclu de la société civile en raison même qu’une économie de marché contient ses propres institutions. Les syndicats sont également exclus de la société civile en raison de leur multi- appartenance à la société politique et à la sphère économique en tant que partenaire social. Comme nous l’avons vu, leur structure hiérarchique et leur résonance historique les qualifient comme un rouage du système étatique par leur co-gestion de certaines politiques publiques. Toutefois, la réorientation des syndicats sur des thématiques qui leur sont moins classiques les place comme un partenaire privilégié. Également en dehors de la définition on peut trouver les organisations de type criminel, car la société civile s’inscrit forcément dans le respect du système légal.

En d’autres termes, la société civile considérée pour une action dans le cadre de la gouvernance européenne est celle qui partage une vision non-institutionnelle de l’intérêt général. Elle est également différenciée par son objet final qui n’est pas la conquête du pouvoir.

Dès lors, la définition de la société civile européenne que nous retenons est extrêmement proche de l’idée d’association. On peut même avancer que les associations et la société civile sont des termes interchangeables. Les ONG sont des associations membres de la société civile pour autant qu’elles remplissent les critères d’identification énoncés dans le tableau 8.2. Ainsi, pour les raisons énoncées plus haut, les syndicats et les forces du marché se trouvent exclus de la société civile. Les partis politiques entrent dans une logique de conquête du pouvoir et, de plus, participent pleinement à la puissance publique (se référer au chapitre 1.2.1). Par conséquent, on les classe naturellement dans la société politique. Pour la société civile européenne, il est évident que nous devons considérer uniquement les associations structurées et agissant au niveau de l’Union européenne. Toutefois, il est possible que des associations nationales agissent au niveau européen en raison d’une thématique particulière dans un État membre. Pour des raisons analytiques, l’acteur considéré est celui qui s’installe ‘physiquement’ vers les institutions et dédie son action à ce niveau.

271 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

Tableau 8.2. Critères d’identification de la société civile

Critères Société civile Non-membre But But non-lucratif Forces du marché Relation au pouvoir public Indépendance Syndicats Autonomie Parti politique Non-conquête du pouvoir Association nationale et locale Délimitation de l’action Espace public Associations professionnelles européen/réseau UE Intérêt général Groupements religieux Hiérarchie Faible Association criminelle Rôle dans la société École de démocratie Association à intérêts limités Type de revendication Identitaire, mode de vie et de développement Loi Respect

La question de l’intérêt général est une vaste question. Pour reprendre la définition de Dacheux sur les associations de transformation sociale, il s’agit d’identifier des acteurs qui apportent une contribution d’ordre général à défaut de se trouver dans une logique de défense d’intérêts particuliers (comme une association sportive, organisation des écoles,…). Finalement, il est logique d’exclure le prosélytisme religieux ainsi que les organisations ne s’inscrivant pas dans le respect de la loi (organisations criminelles,…).

Suite à ces éléments de reconnaissance, il reste à déterminer au nom de quel principe la société civile peut intervenir dans le jeu politique et défendre des opinions. Cette question passe inévitablement par le débat de la représentativité de la société civile. Cet élément est essentiel pour la reconnaissance d’un acteur complet apte à intervenir dans le domaine public. Ce n’est qu’après l’analyse de cette question que nous pourrons développer une logique de gouvernance européenne.

272 Gouvernance européenne, société civile et représentativité

3. Légitimité et représentativité de la société civile

Pour situer notre analyse sur la société civile, nous mettrons en avant les aspects de représentativité et d’ accountability . Certains auteurs éludent la question en rappelant que la société civile, notamment les syndicats, est par essence ‘représentative pour leur objet’, et chercher à figer une représentativité pour tous, pour reprendre un terme économique, enlèverait ‘toute élasticité’ pour de nouveaux arrivants (Boual, 1999, 42).

La compréhension de la représentativité de la société civile s’articule autour d’un grand principe, celui de la compétence des organisations. Par ailleurs, outre les critères réglementaires, il semble essentiel de pouvoir observer l’implantation de l’organisation dans son milieu social afin de vérifier sa représentativité. De plus, cette dernière en tant que corollaire de la légitimité n’est pas définitivement acquise, car comme le spécifie Boula, « une légitimité, une représentativité, cela s’acquiert et cela se perd également » (1999, 20).

La légitimité fait sans cesse appel à la contrainte de résultat. Ainsi, la représentativité devient une garantie d’action légitime. À défaut d’élections et d’une démocratie interne développée, les organisations doivent se doter d’autres outils de légitimité pour peser sur les politiques publiques, soit en tant qu’agent, soit en tant qu’expert. Toutefois, Louis Michel, dans le Monde du 21 juillet 2001, s’exprime sur la société civile et des nouveaux espaces de délibérations. Il critique durement la société civile sous l’angle de la légitimité en rappelant qu’elle n’est pas élue et manque souvent de transparence : « c’est un ‘ corpus ’ qui ne représente que lui-même, qui a la prétention d’avoir le monopole de la bonne conscience, qui ne doit de compte à personne, bref des gens intouchables ». Dès lors, sa conclusion ramène le politique au centre et c’est à lui de prendre les décisions. En aucun cas, cela doit être la société civile qui n’a pas la légitimité en la matière, attendu qu’elle n’est pas issue du suffrage universel. Dastoli (2002, 34) répond à cette critique en rappelant qu’il existe d’autres légitimité que celle issue de l’élection, considérée comme formelle, notamment le fait d’être au plus proche du terrain, et, ainsi, d’exprimer la diversité de la société.

Ainsi, de la représentativité, appuyée du respect de principes démocratiques, découle la légitimité. Cet aspect est essentiel car comme l’exprime Ghils, « la représentativité de chacun des acteurs conditionne la ‘légitimation’ de la démocratie » (2002, 31). Ainsi, cela serait en associant la société civile à la démocratie représentative qu’elle pourrait devenir plus démocratique. En effet, le débat public demande plus de transparence, et cela permettrait de dépasser les luttes d’influences (Jarré, 1999, 202). Cette interprétation de l’évolution démocratique peut être soumise à la critique. À ce propos, Greenwood (2005, 219) rappelle qu’il y a plusieurs débats sur le rôle de la société civile qui vont de l’apport à la délibération à la confiscation de la démocratie par l’expertise.

Afin de comprendre ce débat dans le cadre européen, il est essentiel de trouver un organe de contrôle des normes de représentativité 240 . Selon le nouveau contenu du

240 C’est aspect est essentiel car comme le relève la CJCE dans l’arrêt UEAPME du 17 juin 1998 (T- 135/96), quand les partenaires (sociaux) assurent de manière alternative la participation des peuples, les

273 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question traité de Nice, c’est le Comité économique et social européen qui se trouve être en charge de cette question. Toutefois, toutes les institutions oeuvrant avec des organisations de la société civile développent des critères de travail basés sur une logique représentative d’efficacité. Comme le note Barthélémy, « la notion de représentativité associative ne saurait se limiter à définition légale : elle correspond à l’implantation de l’organisation dans un milieu social et à la capacité de défendre les objectifs affichés » (2000, 261).

Ainsi, le CESE a développé des critères se voulant objectifs à travers plusieurs avis. Nous en garderons deux, celui de 2002, CES 357 et, le dernier en date, CESE 240/2006. L’intérêt de ces avis réside dans la synthèse des critères de représentativité basée sur la réalité des réseaux en place au niveau européen. En effet, outre le critère d’efficacité, les questions liées à l’implantation dans les États membres et la place des réseaux deviennent essentielles dans la gouvernance européenne. Par souci de justice et d’objectivité, les principes conduisant à une telle réflexion sont de rendre le plus égalitaire possible l’application des critères de reconnaissance et, aussi, de pouvoir les vérifier.

Nous retrouvons dans le rapport de 2002, rappelé en 2006, neuf critères de représentativité :

- être dotée d’une structure durable au niveau européen - avoir un accès direct à l’expertise de ses membres - représenter des intérêts généraux, conformes aux intérêts de la société européenne - être composée d’organisations qui, au niveau de leurs États membres respectifs, sont considérées comme représentatives des intérêts qu’elles défendent - avoir des organisations affiliées dans la grande majorité des États membres - prévoir l’obligation de rendre compte (‘ accountability ’) aux membres de l’organisation - disposer d’un mandat de représentation et d’action au niveau européen - être indépendante et ne pas être soumise à des directives émanant d’intérêts extérieurs - être transparente en particulier pour ce qui concerne ses finances et ses processus décisionnels.

Toutefois, les critères énoncés ne donnent pas une base d’évaluation de la représentativité. En effet, comment s’assurer de l’accountability , comment juger de la représentativité ? On retrouve également les questions liées à l’identification, soit le respect des principes généraux de la société européenne (respect du droit), indépendance, et transparence. Pour donner une base plus objective et préciser l’idée générale de la représentativité, le CESE vota un avis reprenant ces neufs critères augmentés de critères d’évaluations.

Il s’agit de pouvoir disposer des éléments suivants pour donner suite à une première légitimation des organisations de la société civile. En premier lieu, l’organe de

institutions doivent vérifier la représentativité des partenaires sociaux. Cela est essentiel pour contrôler le respect de l’exigence démocratique.

274 Gouvernance européenne, société civile et représentativité contrôle doit pouvoir obtenir les statuts de l’organisation et observer leur application, notamment sur ses champs d’activités et les objectifs qu’elle poursuit, les critères d’affiliation, les modalités de fonctionnement qui doivent être démocratiques, transparentes et impliquer notamment la notion de responsabilité ou accountability des organes dirigeants vis-à-vis des organisations membres, les engagements financiers des organisations membres, et, finalement, la présentation annuelle d’un rapport financier audité, ainsi que d’un compte rendu d’activités, au caractère public. Ensuite, les organisation de la société civile doivent être présentes dans au moins la moitié des États membres. Finalement, les critères qualitatifs doivent se vérifier par l’expérience de l’organisation et la capacité de traduire des intérêts des citoyens auprès des institutions européennes, ainsi que par la confiance qui lui est faite et la réputation qui lui est reconnue par ces institutions comme par d’autres composantes de la société civile organisée en Europe (capacité contributive)

Le dernier critère est à la fois le plus problématique à évaluer, et également le plus important. En effet, pour reprendre les différents souhaits et constructions des spécialistes de la société civile, le critère qualitatif est celui qui est le plus souhaité. Il n’en reste pas moins complexe à apprécier car il dépend pleinement de son application par les institutions européennes. Une organisation représentative selon les deux premiers critères mais non reconnue par les institutions européennes se trouve sanctionnée et, ne serait, ainsi, pas membre de la société civile européenne. C’est, en finalité, le dialogue institutionnel qui sanctionne la représentativité. Ici, Boual (1999) et Barthélémy (2000) en démontrent les risques. Pour le premier, cela serait une perte d’autonomie que d’accepter pleinement ce système car il faut encourager une sorte d’auto-évaluation de la société civile. Pour la seconde, cela contribue à obscurcir le rôle de la société civile qui devient un auxiliaire de la démocratie représentative et perd, en partie, son rôle tout en modifiant son organisation interne (2000, 261).

Bien que les critères énoncés dans l’avis du CESE contribuent à une perte d’âme de la société civile, ils permettent d’identifier et de nommer des acteurs perçus comme représentatifs. Le tableau 8.3 résume par secteur les organisations importantes. Il faut également noter qu’il y a au sein de la société civile plusieurs participations croisées entre les fédérations. Nous reprendrons ce tableau dans le chapitre suivant car c’est sur cette base que nous pourrons construire l’interface société civile – société politique au sein des intergroupes. Il est également important de relever la présence prépondérante des réseaux, car cela démontre leur qualité de pouvoir agir dans le cadre de l’agrégation des demandes en intégrant l’opinion public dans leur analyse. Pour cela, l’organisation en réseau est prépondérante (voir Virgilio Dastoli, 2002, 34).

Le développement de critères de reconnaissance et d’imputabilité pose plusieurs problèmes sur l’existence même d’une société civile. Justin Greenwood identifie deux coûts de cette politique. Le premier est relatif à la perte d’autonomie des groupements qui participeront de plus en plus à la définition de politiques publiques. Le second implique une perte de possible input provenant de la société dans le système politique. Finalement, l’ouverture du système politique pourrait paradoxalement créer plus de barrières à l’entrée des nouveaux entrants que le système actuel (2005, 229). Les différents éléments liés aux critères formels de l’inclusion de la société civile dans la gouvernance européenne sont maintenant posés. Il reste à voir ce que l’on peut entendre par gouvernance européenne avec la participation de la société civile à l’orée du Livre Blanc sur la gouvernance.

275 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

Tableau 8.3. Associations représentatives par secteur d’activité

Secteur Association ATD Quart Monde Fédération européenne des associations travaillant avec les Lutte contre la pauvreté et l’exclusion sans-abri (FEANTSA) sociale Réseau européen de lutte contre la pauvreté (EAPN) Réseau européen d’action sociale (ESAN) Forum européen des personnes handicapées (EDF) Union européenne des aveugles (EBU) Lutte contre la discrimination/Intégration Autisme Europe des handicapés et des minorités Association européenne des Organisations de Personnes Handicapées Mentales et leurs familles (Inclusion Europe) Réseau européen contre le racisme (ENAR) Comité européen des associations d’intérêt général (CEDAG) Comité européen de coordination de l’habitat social (CECODHAS) Centre européen de Volontariat (CEV) Caritas Europe Services sociaux ETWelfare SOLIDAR Bureau de Liaison de la Croix-Rouge Eurodiaconia Association européenne des promoteurs de services pour les personnes handicapées (EASPD) Représentation de la jeunesse Forum européen de la jeunesse Défense des intérêts des consommateurs Bureau européen des Unions de consommateurs (BEUC) Défense des droits des femmes Lobby européen des femmes (LEF) Assurance maladie et protection sociale Association internationale de la Mutualité (AIM) Santé publique Alliance européenne pour la santé publique (EPHA) Confédération des organisations familiales de l’Union Représentation des intérêts des familles européenne (COFACE) Protection de l’environnement Green 10 241 Défense des droits humains Groupe de contact des droits humains 242 Confédération européenne des ONG d’urgence et de Coopération au développement développement (CONCORD) Aide humanitaire VOICE Art et Culture Forum européen pour les arts et le patrimoine (FEAP) Éducation et formation Plate-forme « Éducation et société civile » Forum permanent de la société civile Promotion et défense des droits citoyens European-Citizen-Action-Service (ECAS) Active Citizenship Network (ACN) Promotion de l’idée européenne Mouvement européen international Conférence européenne permanente des coopératives, Économie sociale mutualités, associations et fondations (CEP-CMAF) Source : CESE240/2006, Annexe

241 Comprend : Bureau européen de l’environnement (EEB) ; Birdlife International ; Climate Action network Europe (CAN Europe) ; les Amis de la terre ; Greenpeace-Unité européenne ; Fonds mondial pour la Nature (WWF) ; Fédération européenne pour le Transport et l’environnement (T&E) ; Internationale des Amis de la Nature (IAN) ; European Public Health Alliance Environment Network ; CEE Bankwatch. 242 Amnesty International ; Human Right Watch ; Terre des Hommes ; OMCT ; FIDH ; …

276 Gouvernance européenne, société civile et représentativité

4. Gouvernance européenne et société civile

Partir du principe de gouvernance, c’est intégrer une logique pluraliste dans l’organisation de la société. Smismans conçoit l’application du concept de gouvernance comme « la reconnaissance que l’État n’est pas la seule autorité source normative et montre les multiples liens entre les structures publiques, les acteurs du marché et la société civile » (2005, 8). Ainsi, la gouvernance est le cadre de questionnement de la société civile dans l’évolution des idées. Après la place entre le politique et l’économique, la question du lobbying, le débat s’ouvre sur la gouvernance.

Tant la gouvernance que le rôle de la société civile sont perçus différemment par les institutions. Le riche débat autour du Livre Blanc et des critiques par le Parlement européen 243 s’inscrit dans ces différentes perceptions. Également, la conception de la société civile comme un acteur de la participation/représentation fonctionnelle, fait débat entre les institutions de manière contradictoire avec, d’un côté, la Commission et le CESE, et, de l’autre, le Parlement et le Comité des Régions (voir Smismans, 2003b, 486). Les perceptions ont ainsi des impacts logiques dans la manière d’aborder la gouvernance et la société civile.

Les efforts développés dans le Livre Blanc sur la gouvernance pour donner un rôle fort à la société civile en vue de développer la légitimité de l’Union démontrent la volonté de fonder une input legitimacy . Cette dernière pourrait passer par la création d’une sorte d’espace public européen où le dialogue s’instaurerait entre la Commission et les citoyens organisés. Pour cela de nombreuses voies s’offrent à la Commission en particulier. Les deux principales sont la démocratie délibérative 244 et la démocratie associative. À la réflexion, on constate que la Commission choisit sa propre voie, ce qui crée une confusion importante sur la finalité du rôle que l’on souhaite voir la société civile jouer.

Le manque de conceptualisation de la part de la Commission est aussi relevé par Armstrong qui pointe sur un manque de clarté quant au rôle de la société civile. Dès lors, toute action sur une nouvelle sorte de légitimité semble compromise. Il ressort que les institutions souhaitent instaurer une autre base de discussion dans la réflexion autour du demos européen, en plaçant la société civile européenne au cœur de cette thématique afin de proposer une base différente du demos ethno-national (Armstrong, 2001, 2).

243 Prenons à témoin le débat sur la Communication de la Commission ‘Vers une culture renforcée de consultation et de dialogue – Principes généraux et normes minimales applicables aux consultations engagées par la Commission avec les parties intéressées’ COM(2002) 704 final où le Parlement européen répondit sur les mêmes bases que sur le Livre Blanc sur la gouvernance en rappelant le rôle essentiel dans la légitimité de la démocratie représentative. (Rapport de Margrietus van der Berg (NL, PSE) A5-402/2003) 244 Pour la définir, on peut noter que la « deliberative democracy theory maintains that a democratic decision emerges from deliberation amongst those affected by the decision or issue in question » (Michalowitz, 2004, 151). La démocratie associative peut être définie brièvement comme décrivant l’idée pour limiter la faction par une politique délibérée d’association tout en produisant en réseau de groupe pour une gouvernance égalitaro-démocratique. La concrétisation de ce type de démocratie se ferait par la délégation de diverses fonctions du gouvernement aux organisations qui seraient accountable à leurs membres et à l’autorité publique.

277 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

Le lien évident entre l’action de la société civile et la citoyenneté aurait pu être mieux développé dans le Livre Blanc. En effet, Magnette voit comme contradictoire le souhait de la Commission d’une participation active des citoyens, alors que la « participation can only be initiated by the institutions, it is limited to non-decision and mainly directed towards sectoral sectors » (Magnette, 2001a, 7). Dès lors, peut- on parler d’une direction élististe dans la citoyenneté et la démocratie ? Ainsi, Paul Magnette relève également que

« the rhetoric of ‘civil society’ tries to convince that these reforms would concern all citizens, and not just the classic ‘interested parties’, but there is a constant hesitation, in the white paper, between a universalistic and a functionnal conception of participation. On the one hand, the words citizens, civil society, people, general public… are frequently used. But on the other hand, most concrete proposals concern organized groups » (Magnette, 2001a, 5).

Par conséquent, il faut se pencher sur les règles encadrant le rôle d’une société civile structurée autour de groupes identifiés. De Schutter (2002, 213-217) perçoit quatre rôles possibles pour la société civile, la participation, la consultation simple, la consultation engagée, la liberté d’expression. Seule la consultation engagée retient son attention dans le cadre de la gouvernance de l’Union. En effet, c’est le moyen pour concrétiser le rapport de 1996 du Parlement européen sur la mise en place de règles claires afin de donner un rôle réel à la société civile. Ainsi, deux objectifs sont proposés. Le premier est d’ordre législatif, et s’articule autour de la consultation des partenaires sur de futures réglementations. Le second est relatif à l’évaluation. En outre, il faut identifier les thématiques sous-représentées actuellement en identifiant des intérêts ‘fragiles’. À la suite de cela, les institutions organiseront des forum avec la participation d’organisations représentatives. Il s’agit d’octroyer une sorte de statut consultatif au forum de la société civile

À l’inverse, l’étude de Michalowitz (2004, 145-170) conduit à montrer que le rôle de la société civile n’est autre que celui du lobbying classique. En d’autres termes, la légitimation démocratique avec la société civile ne peut être qu’un échec en raison de la rationalité des groupes d’intérêts. Cette thèse est étayée par deux éléments. D’une part, la société civile ne peut pas générer de la légitimité, et d’autre part, elle n’est pas représentative. En effet, Michalowitz explique l’éloignement entre les comités et les membres ainsi que les structures extrêmement professionnelles afin de gérer la complexité. Le travail d’agrégation des plate-formes communes ne contribue pas à un attachement entre le membre et son association. Au contraire, le rapport se complexifie. De plus, la défense de l’intérêt s’organise forcément dans un cadre de lobbying, spécifique et professionnel, et ne remplit pas une fonction démocratique. La conclusion de Michalowitz sur la contribution de la société civile dans la représentation est sans appel, « neither the normative proposal of the EC nor the potential European civil society meet standard that would be required in order to achieve input legitimacy in a democratic system » (2004, 166).

Le problème démocratique de la société civile s’opère sur les vertus du fonctionnalisme en termes de participation et de représentation (Smismans, 2003b, 491-493). Dans le premier cas, les institutions européennes n’ont perçu que le rôle positif des organisations de la société civile dans la gouvernance en termes d’européanisation des pensées, ce qui ne découle pas de soi. En effet, cela dépend

278 Gouvernance européenne, société civile et représentativité fortement du cadre institutionnel de participation, ce qui peut avoir un impact important sur la qualité de cette dernière. Dans le second cas, nous avons pu interroger la question de la représentativité et les problèmes que cela posait en terme d’objectivité et d’équité pour l’application des normes. Un dernier aspect doit être soulevé, c’est la question de l’usage politique de la société civile. Lors de l’analyse sur le discours institutionnel, l’utilisation de la société civile comme vecteur de légitimité vis-à-vis des États membres a été démontré. Également, on peut regarder cette stratégie sous un autre angle. En effet, on peut rappeler le manque de clarté du discours institutionnel qui ne distingue pas totalement le rôle politique de la société civile. Ainsi quelle est l’option choisie pour la société civile dans la démocratie ? Le Livre Blanc donne des prérogatives à la société civile et va dans une voie participative, et dans le même texte revient sur d’autres aspects classiques de la méthode communautaire.

Tableau 8.4. Les voies pour la gouvernance européenne et la société civile

Définition de la société Démocratie interne Participants civile / Rôle de la société civile Démocratie La société civile est Structure Organisations auto- associative mieux représentée par démocratique ; gérées les associations issues imputabilité aux démocratiquement de tous les secteurs ; membres et aux but : délégation du plus pouvoirs publics de tâches possibles à ces associations Démocratie Espace public de Pas de pré-requis mais Ouvert à tous les délibérative délibération ; but généré par membres de la société ultime : transfert de l’organisation de forums civile gouvernance aux associations associées au processus délibératif Commission Société civile Les associations Ouverture à la base pour organisée ; rôle représentent la société les associations, mais consultatif civile organisée et approche flexible à participent à la prise de d’autres membres de la décision au sein de l’UE société civile ; en particulier aux experts. Source : Traduit de Michalowitz (2004, 153)

Le tableau 8.4 montre clairement les trois voies envisageables dans un cadre d’une nouvelle gouvernance européenne. Comme nous l’avons démontré précédemment, nous supposons que le choix d’une démocratie associative permettrait de répondre aux questions du déficit démocratique. Pour Touraine (1994, 86-89), il ne fait pas de doute que les mouvements sociaux sont indissociables de la démocratie pour autant qu’ils se réfèrent à un programme politique combinant des principes généraux et des intérêts particuliers, et, pour autant qu’il s’agisse de demandes représentables. Ainsi, l’intervention des mouvements sociaux dans la démocratie ne se fait qu’à travers une relation équilibrée avec l’État sous peine de tomber dans la dictature ou l’anarchie. Dès lors, le mouvement social participe à la limitation du pouvoir absolu, et c’est ce caractère qui définit son aspiration démocratique.

279 Troisième partie – La société civile ou la représentation en question

À l’instar de Beate Kohler-Koch, il faut reconnaître que le Livre Blanc laisse plusieurs questions ouvertes sur l’implication de la société civile. En effet, quel est le but ? Le non-choix d’un modèle démocratique et l’affirmation du système parlementaire laissent planer plusieurs doutes (2001). Dès lors, notre angle d’analyse de la société civile et de l’UE s’inscrira dans les approches associatives qui a pour intérêt de se situer principalement dans la complémentarité avec la démocratie représentative. L’inscription de la société civile dans cette démarche permettra de clarifier les rôles de chacun à la différence des propositions de la Commission qui laissent des incertitudes quant à la présence de la société civile dans le temps. Au contraire de l’approche principale, nous allons mettre en avant le rôle conjoint de la représentation territoriale et fonctionnelle au sein du Parlement européen.

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Quatrième partie

Une alternative pour la représentation au sein du Parlement européen :

Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

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Quatrième Partie – Une alternative pour la représentation au sein du Parlement européen : Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

Le développement de la problématique de la société civile dans le cadre de la gouvernance conduit à s’interroger sur son intégration dans un cadre démocratique. Nous avons pu observer les paradoxes de la position de la Commission et les difficultés du CESE, dont le souci semble moins le développement de la démocratie que la pérennité du système européen, en particulier de leurs compétences respectives. Cependant, la construction et le développement du discours sur la société civile propulsent cet acteur à une présence accrue dans le développement d’une Europe démocratique. Cet aspect est renforcé par le fait qu’il s’agit actuellement, à la différence des partis politiques, du seul acteur non institutionnel structuré au niveau européen. La présence au sein du Parlement de la société civile sous différentes formes – hearings , lobbying, intergroupes, etc – démontre la possibilité de l’intégrer sous une forme différente au sein même de la représentation européenne. Par ailleurs, le cas de l’intergroupe est celui qui semble le plus intéressant dans ce cadre de réflexion, car cette structure existe au Parlement depuis quasiment le début et interpelle sur des problématiques peu abordées en commission parlementaire.

Également, le débat sur la représentation et celui sur la démocratie associative nous ouvrent de nouveaux horizons, notamment sur la question importante du pluralisme. En effet, l’Union européenne représente une association d’États avec des parties supranationales, et d’autres intergouvernementales, des aspects économiques et des aspects politiques. L’ensemble s’accompagne de valeurs, de traditions et de cultures, communes et différentes. En bref, il s’agit d’une intégration complexe. Dès lors, la nécessité d’un regard différent s’impose à celui toujours référencé par le modèle étatique de la démocratie représentative.

C’est une des raisons pour lesquelles notre proposition s’appuie sur les travaux du post-parlementarisme. Il s’agit dans cette approche d’analyser le nouveau rôle du Parlement dans un environnement ‘hostile’ (émergence de la société civile, prépondérance de l’exécutif, pour un panorama plus complet voir le tableau 0.1). Notre analyse met l’accent sur la mise en place de commissions parlementaires mixtes composées d’élus et de membres de la société civile sur la base des intergroupes. Ces commissions s’ajoutent aux commissions traditionnelles en offrant un cadre de discussion différenciée tant par les thématiques que par l’expression du clivage.

En reprenant les questions de la représentation et du post-parlementarisme, nous développerons notre argumentation sur la base des intergroupes parlementaires. Bien que proche, notre proposition représente une évolution de cette structure, et, permettrait de donner du crédit aux différentes ouvertures faites à la société civile. Toutefois, nous nous interrogerons sur la légitimité de cette proposition, notamment en reprenant nos hypothèses de départ et en observant leur pertinence dans ce nouveau cadre institutionnel. Loin d’être une théorie, il s’agit, en fait, d’une modification du mode de fonctionnement qui ne prétérite pas d’une évolution de la position du parti politique européen et sa place durant les campagnes électorales européennes, afin de permettre une meilleure réponse à la multiplication des canaux de représentation (voir tableau 3.1) et de légitimité d’un système aussi pluriel. Paradoxalement, l’Union européenne n’a pas un centre légitime clairement désigné qui coiffe l’ensemble de la

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structure, comme le parlement dans de nombreux États. Par conséquent, c’est cette multiplication qui nous conduit à regrouper l’ensemble européen sous l’enseigne du Parlement européen, comme acteur prépondérant légitimement élu au suffrage universel.

En conclusion, le but de cette dernière partie est la modélisation d’un nouvel organe au sein du Parlement européen, les commissions associatives. À cette fin, nous reprendrons différents éléments explorés durant ce travail. En premier lieu, nous aborderons la question de la représentation et des limites du mandat européen. En effet, nous ré-introduisons ce débat en raison des éléments clefs qui rappellent la position du Parlement dans le système institutionnel. Ensuite, nous reprendrons le questionnement associatif. Il s’agira de discuter des facteurs permettant ou limitant l’inclusion de la société civile dans la gouvernance européenne. Troisièmement, nous aborderons les intergroupes sous la dynamique politique et fonctionnelle. Ces différents éléments permettront de débuter le questionnement autour des commissions associatives. La modélisation de ces dernières s’appuiera sur l’ensemble de ces éléments pour l’inscrire dans le cadre démocratique. Il s’agira aussi de voir comment le Parlement peut intégrer cette proposition dans le schéma de la légitimité représentative.

L’étape suivante de notre raisonnement sera la construction d’un modèle d’interaction entre la société civile et la gouvernance européenne, en particulier au sein du Parlement européen. En reprenant les différents éléments de notre réflexion sur le système spécifique parlementaire européen ainsi que sur la société civile, nous ébaucherons une nouvelle construction de représentation démocratique. Comme nous l’avons déjà vu, c’est bien l’absence de partis politiques et la présence de réseaux associatifs qui déterminent l’analyse. La canalisation de la représentation (et de son trop-plein) est une étape vers une amélioration de la démocratie européenne. À cette fin, nous proposons de réunir la démocratie associative et la démocratie participative au sein de ‘commissions parlementaires associatives’.

283 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

Chapitre 9 – Démocratie participative et associative dans l’Union européenne

1. Le mandat européen entre participation et représentation

1.1 Le renouveau de la démocratie participative

Le problème actuel de la représentation se situe dans ce que Pierre Rosanvallon (1976, 51-52) qualifie ‘d’entropie 245 démocratique’. Il rappelle que celle-ci recouvre deux aspects, la qualité de la représentation et la qualité de la participation directe. Le constat semble toujours d’actualité avec une faiblesse de la participation omniprésente et une représentation atomisée où le rapport mandatés-mandataires se transforme en relation dirigeants-dirigés. Mendel résume le problème actuel ainsi,

« il s’agit dans tous les pays démocratiques d’une tendance de fond, où s’additionnent la désacralisation de l’autorité (celle des politiques y compris), une perte de foi dans les idéologies globales, la convergence gestionnaire des grands partis, le sentiment diffus que les forces économiques sont les plus puissantes […]. Dans le même temps, le sentiment des individus qu’ils ont la capacité de prendre en charge eux-mêmes les affaires sociales et politiques – pour autant qu’elles font partie de leur environnement immédiat – s’est accru. Les pratiques de participation ne passant pas par la médiation des partis politiques se multiplient » (Mendel, 2003, 6-7).

Ainsi, l’idée générale repose sur les nouvelles pratiques participatives comme un possible renouveau complémentaire à la représentation. Comme le signale Sintomer, la participation est d’autant plus importante dans une démocratie que, sans elle, « le flux de pouvoir descendant routinise le débat démocratique, les rapports des élus aux autres citoyens se distendent, les relations de domination se solidifient et se matérialisent dans la vie quotidienne par des rapports de distinction qui ne sont plus remis en question » (1999, 395). En quelque sorte, le danger d’‘ankylosation’ guette la démocratie. Comme nous l’avons vu précédemment, les taux de participation aux élections européennes ont tendance à être faibles. Ainsi, la qualité de la participation peut être remise en cause, et doit être ré-étudiée sous l’angle de nouveaux rapports se produisant au sein d’un système associatif entre personnes concernées sur des causes délimitées (Benhabib, 1996a, 4). Cette proposition s’inscrit dans une histoire importante, car, c’est le débat autour de la société civile 246 qui est au cœur de cette réflexion.

Déjà en 1976, Pierre Rosanvallon (1976, 52-55) propose une réflexion autour des groupes volontaires pour renforcer la démocratie autour d’une démarche participative. Néanmoins, l’organisation des groupes revient souvent à une oligarchie. Dès lors, comment retrouver ce rapport de proximité, voire symbiotique, entre le représentant et le représenté ? Pour cet auteur, l’idée est l’autogestion. En effet, après avoir éliminé la démocratie populaire (démocratie de destination) et la démocratie directe (exigence de fonctionnement plus qu’un mécanisme de pouvoir), Rosanvallon inscrit l’autogestion

245 Le terme paraît très bien choisi du fait qu’il s’agit, en physique, de la quantité qui permet de mesurer le désordre d’un système. Par analogie, on peut appliquer cette définition à la représentation qui semble être la mesure de la démocratie (représentative). 246 Sur ce point, la lecture du dossier de la documentation français élaborée par Offerlé (2003) s’avère précieuse. On peut également se référer, entre autre à Thériault (1985), Khilnani (2001a) [et l’ensemble de l’ouvrage collectif], Raynaud (2004), Khilnani (1997) [et l’ensemble de l’ouvrage collectif], et, l’indispensable, Cohen et Arato (1992).

284 Démocratie associative et participative dans l’Union européenne dans un dynamisme historique inéluctable. À ses yeux, c’est le seul moyen de renforcer la transparence du pouvoir, et de dépasser la soumission à l’autorité. Il s’agit aussi d’éviter le pouvoir absolu de l’expertise pour permettre une transmission plus globale de la connaissance. L’autogestion s’inscrit par conséquent dans un modèle informationnel où le pouvoir est détenu collectivement en partenariat entre la puissance publique et la société civile, et, donc, la mixtion du public et du privé. Il y a ainsi une redistribution des lieux de pouvoirs par une décentralisation au niveau le plus bas et une souplesse institutionnelle, et confère à chaque individu une responsabilité de la définition des priorités dans le cadre général (voir Rosanvallon, 1976, 79-80).

Néanmoins, la proposition de l’autogestion n’a jamais dépassé le cadre de la gouvernance d’entreprise. On peut relier plusieurs mouvements d’idées à cette proposition, mais aucun n’a pu émerger dans un cadre territorial défini. La réalisation d’un renouveau démocratique semble devoir s’inscrire dans cette condition, ce que permet la démocratie délibérative et associative. En effet, elle semble structurellement acceptable selon les critères territoriaux en préservant une complémentarité avec la démocratie représentative. Toutefois, la question de la démocratie délibérative se pose également dans un cadre d’égalité afin de donner la possibilité à toutes les catégories de la population de prendre sa part dans les décisions. La décision se doit d’être collective. Par conséquent, il faut poser des garde-fous pour éviter que la délibération devienne une vaste lutte d’intérêt au mépris de l’intérêt collectif (Cohen, 1996, 110- 111).

Il existe pour la puissance publique différentes stratégies d’inclusion de la société civile dans la gouvernance. En premier lieu, il s’agit de considérer l’action de légiférer sur l’ensemble de la société où les cas sont tellement différents de place en place que la puissance publique ne peut implanter des mesures de surveillance sans l’appui de partenaires, par exemple avec la loi sur le travail et la place des partenaires sociaux. Ensuite, la place de la puissance publique n’est pas acquise en tant qu’acteur le plus compétent. En effet, ce n’est pas parce que la puissance publique a la compétence que c’est nécessairement l’acteur le mieux placé pour agir, comme par exemple dans le cas des politiques de l’environnement. Les dernières stratégies sont basées sur des coopérations avec les acteurs intervenant dans un milieu déterminé, soit en définissant les buts, soit en encourageant la coopération (Cohen, 1996, 111).

Dans le cadre particulier de l’Union européenne, on doit analyser ces stratégies en fonction des conditions inhérentes à la construction européenne, et spécifiquement du Parlement européen. Par conséquent, nous devons revenir sur ses faiblesses structurelles afin de trouver le moyen de les dépasser.

1.2. L’indétermination de la représentation et son impact

Malgré le développement important du Parlement européen ces dernières années, le questionnement sur la gouvernance démocratique de l’Union européenne est toujours d’actualité. Le débat sur le déficit démocratique fait toujours recette, car, comme le rappelle Pascal Delwit, il « ramène immanquablement à la question de la représentation politique et sociétale, qui est consubstantielle à la démocratie représentative » (2003, 97). Nous pourrions compléter cette phrase par le constat de

285 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

Quermonne et Croisat (1999, 120) qui voit par la prépondérance de l’expertise et des exécutifs au sein de la gouvernance une confiscation de la participation démocratique par la mise à l’écart des parlements et des partis politiques. Ainsi, le débat lancinant sur la démocratie ramène sensiblement toujours à la question de la participation démocratique dans le cadre de la représentation. D’évidence, le Parlement européen n’a pas réussi à s’imposer comme le centre démocratique et comme outil de la légitimation démocratique de l’Union européenne. Au contraire, il a été au centre au fur et à mesure des élections, du débat sur l’éloignement entre les citoyens et l’Europe, ainsi que symbolisé, à tort ou à raison, comme la raison de la perte de pouvoir des parlements nationaux (voir Lodge, 1998, 188). En d’autres termes, le Parlement européen cristallise le déficit démocratique européen. De plus, l’absence d’un système de parti européen a contribué au manque de compréhension et à une perte des repères classiques du débat politique. Ainsi, l’UE n’a pas réussi à implanter un système démocratique représentatif classique.

En effet, la légitimité du Parlement a été entachée par divers problèmes. Depuis Maastricht, nous pouvons observer beaucoup d’efforts de la part des gouvernements pour répondre au déficit démocratique sur la transparence et l’ouverture de la Commission et du Conseil. Toutefois, pour Juliet Lodge (1998, 195), c’est au sein du Parlement européen que se joue la question du déficit démocratique en rappelant les problèmes de légitimité. Pour modifier cet aspect, on peut considérer trois chantiers prioritaires : modifier les relations inter-institutionnelles peu favorables au Parlement, améliorer la possibilité d’application du traité dans les pouvoirs parlementaires, et donner un rôle au Parlement dans les élections européennes (Lodge, 1998, 196-197).

Cette logique d’extension des compétences et du rôle du Parlement a aussi des détracteurs. Comme nous l’avons vu, Déborah Lassalle et Nicolas Levrat sont sceptiques face au rôle du Parlement européen. Pour eux, l’émergence institutionnelle du Conseil européen a bouleversé l’équilibre institutionnel tout en fragilisant le Parlement qui se retrouve isolé, en raison du« manque de cohérence en son sein, par l’émiettement des partis politiques, la faible participation des électorats nationaux à sa désignation » (2004, 436). Ainsi, la redéfinition des rapports de force se fait face à un Parlement européen impuissant. Les auteurs ajoutent que le Parlement trouve également face à lui un acteur avec une légitimité quasi équivalente. En effet, les membres du Conseil européen sont des élus nationaux dont la légitimité est incontestable, notamment en raison d’une pratique ancienne, du cadre national ‘compréhensible’, et d’une participation électorale plus importante qu’aux européennes 247 . Alors que le Conseil de l’Union doit composer avec le Parlement dans le cadre des procédures législatives, « le Conseil européen n’a aucune nécessité de tenir compte des desiderata ou pressions du PE » (Lassalle et Levrat, 2004, 437). En conclusion, les auteurs tempèrent leur bilan négatif du Parlement en pointant sur deux aspects généraux. D’une part, toutes les institutions se trouvent contraintes à se redéfinir par la venue du Conseil européen, et, d’autre part, nous assistons à un revirement général de la relation législatif-exécutif au profit de ce dernier.

Dans un même ordre d’idée, Olivier Costa relève que « la forte abstention aux élections, la faible notoriété des députés, et le sentiment des citoyens d’être davantage

247 Nous reprendrons la remarque émise par Delwit et Poirier en la matière : « L’intérêt porté à l’élection européenne est nettement plus faible que celui que l’on peut rencontrer à l’occasion de scrutins nationaux, régionaux ou municipaux » ((Delwit et Poirier, 2005, 11).

286 Démocratie associative et participative dans l’Union européenne représentés par leurs ministres au sein du Conseil limitent donc fortement la capacité des élus à ‘signifier’ leurs électeurs et, partant, à agir en leur nom » (2001, 272). Ainsi, l’absence de procédure électorale commune, combinée à une input representation complexe et une output imparfaite conduisent à une forte mise en cause du Parlement européen. Juliet Lodge (1998) résume les défaillances du Parlement européen en cinq catégories. Le tableau 9.1 résume les éléments. L’ensemble des critiques pourrait se résumer dans le déficit démocratique. Nous relèverons la défaillance verticale et la défaillance de mobilisation. Les autres aspects importants sont liés à la structure organisationnelle de l’UE, notamment sur la défaillance horizontale et le problème de l’efficacité. L’ensemble des points soulevés par Lodge résume parfaitement la problématique européenne à laquelle nous devons répondre. À cette fin, nous mettrons deux éléments en exergue, ceux relatifs aux partis politiques et à la capacité de mobilisation de l’électorat européen.

Les rivalités institutionnelles ont beaucoup fragilisé le Parlement européen. La perception par les députés nationaux des députés européens a contribué à obscurcir le débat, par exemple, pratique révolue maintenant, en excluant, notamment en Grande- Bretagne, les députés européens des instances partisanes nationales (Lodge, 1998, 202). Ces rivalités ont été probablement exacerbées par l’existence conditionnelle d’un parti européen. En effet, les rivalités entre parlementaires a conduit naturellement les partis nationaux à se méfier d’une instance partisane supranationale qui pourrait imposer un programme et une liste. Ces éléments ont permis d’accentuer l’effet de perte de pouvoir des parlements nationaux au profit de Bruxelles, et, par conséquent, contribuer à la thématique du déficit démocratique.

Ces éléments conduisent à la défaillance de la mobilisation. En effet, le manque d’identification des clivages socio-économiques ainsi que le peu de médiatisation des activités contribuent à la faible participation citoyenne. Juliet Lodge pose le problème ainsi : « the European Parliament may see itself as the conscience of the EU, as the voice of its people, as their ‘grand forum’. But the people themselves do not identify with it, with its outputs, its parties or its MEPs » (1998, 206). Les raisons qu’elle voit sont de plusieurs ordres: la jeunesse du Parlement, la lutte inter-institutionnelle pour sa reconnaissance, la place prépondérante dans la législation du Conseil, les problèmes d’organisation et de participation des élections européennes, l’absence d’une communauté ressentie comme européenne (Lodge, 1998. 207).

Finalement, le problème du Parlement et de l’Union est que l’institution élue directement doit être responsable vis-à-vis des citoyens et des autres institutions en tant que gouvernement. La légitimité européenne devrait passer par ce biais afin de conférer de manière symbolique la capacité de faire des lois acceptées et reconnues par tous. En d’autres termes, le Parlement est le représentant réel du Pacte social européen. Ainsi, le problème de la légitimité européenne se conçoit autour d’une institution peu compréhensible, peu visible et, sûrement, peu convaincante (voir Lodge, 1998, 210), comme le rappellent les ‘défaillances’ du tableau 9.1.

287 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

Tableau 9.1. Les défaillances multidimensionnelles du Parlement européen

Échec à réconcilier les rivalités institutionnelles horizontales (pp. 198-201) - Bicaméralisme imparfait - Contrôle parlementaire imparfait sur les Ministres - Coopération imparfaite entre les institutions - Interprétations différentes des règles de décisions qui inhibent l’efficacité de la prise de décision et de la coopération par le législatif - Accès imparfait à l’information nécessaire au travail législatif Échec à dépasser les rivalités institutionnelles verticales (pp.201-204) - Systèmes électoraux différents - Faiblesse des groupes/partis au Parlement européen - Incapacité à établir une coopération efficace entre les parlements et institutions représentatives des États membres et Européens Échec de l’adaptation mutuelle afin de délivrer l’intérêt commun (pp.204-206) - Contradictions dans l’opérationalisation de la gouvernance entre le niveau UE et national - Contradictions pour réconcilier pratique démocratique et gouvernement efficace - Incapacité à avancer sur une Constitution européenne Échec de la mobilisation (pp.206-210) - Incapacité à mobiliser l’électorat et de promouvoir un changement d’attitude positif - Échec de la part des élites politiques nationales et des dirigeants à accepter et internaliser la légitimité du système qu’ils ont construit et dans lequel ils travaillent Échec de l’efficacité (pp. 210-214) - Incapacité partielle à délivrer des politiques d’impact direct et clairement visible pour l’électorat - Développement imparfait du contrôle parlementaire et d’influence dans l’Union monétaire - Incapacité à développer un rôle constitutionnel en coopération avec la CJCE

Source: Traduit de Lodge (1998).

La représentation au Parlement européen est donc organisée d’une manière complexe en raison même de la nature supranationale de l’institution et des conséquences historiques de certains choix. La difficile intégration des cultures parlementaires nationales contribue à l’incompréhension face à l’ agora européenne. Ainsi, la difficulté à faire signifier le député auprès de son électorat relève en grande partie d’un problème de représentation lié à une organisation différente des ‘courroies’ de transmission que sont les partis. Le tableau 9.1. résume l’article de Juliet Lodge sur les défaillances du Parlement européen. On peut constater que tous ces échecs ont pour point commun un manque d’ancrage dans la société européenne, notamment en raison d’une concurrence institutionnelle défavorable (Conseil et Commission), ainsi que le manque de campagnes électorales purement européennes. Dès lors, il faut trouver un moyen de compléter les manques du Parlement afin de développer une démocratie européenne socle d’une organisation pérenne.

La partie suivante consiste à explorer la proposition associative qui pourrait dépasser le problème démocratique actuel. La proposition associative repose sur deux piliers, la société civile d’une part, et la délégation législative d’autre part. Cela ne sera pas en créant une chambre des intérêts que la démocratie sera mieux comprise au sein de l’Union, mais plutôt en combinant la démocratie représentative (le Parlement) et la

288 Démocratie associative et participative dans l’Union européenne démocratie participative (société civile). En résumé, la démocratie associative pourrait sous certaines conditions contribuer à asseoir le rôle du Parlement européen, diminuer le déficit démocratique et, par conséquent, pérenniser la construction européenne. L’assignation de la société civile dans le cadre démocratique relève d’une ambition qui doit se structurer autour de conditions strictes. C’est le cœur de la discussion de cette dernière partie.

289 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

2. Vers une démocratie associative ?

2.1. L’inclusion de la société civile dans la gouvernance européenne

Autant la question de l’identification et de la représentativité est essentielle pour aborder et différencier la société civile, autant il faut aller plus en profondeur pour saisir les impacts sur la gouvernance. Il faut également définir peut-être certains termes qui sont empreints d’autres logiques, comme celui de représentativité. Thuot (1998, 54) le conçoit en opposition à la représentation, car elle se base sur une reconnaissance de la base face à une pratique particulière, alors que la représentation est le siège de l’universel. Toutefois, sans aller aussi loin que Jean-François Thuot, on peut repenser un système qui répond aux critères démocratiques de base, soit la représentation, la participation de tous, tout en allant chercher la spécialisation, l’innovation et aussi le changement institutionnel.

Tableau 9.2. Les raisons pour améliorer la participation des organisations de la société civile dans le processus décisionnel de l’UE.

Argumentations Démocratie participative Connaissance de la base Diffusion d’une perspective européenne Les buts de l’implication Prendre en compte les Informer les politiques Utilisation des de la société civile intérêts des personnes avec une expertise organisations de la société organisée touchées spécifique fonction d’un civile comme canal pour la secteur/aire géographique/ formation d’une vraie segment de la population. opinion publique européenne Critère de sélection : Représentativité des Expertise des participants, L’audience potentielle des quelles organisations participants qualité de l’information en participants, segments de doivent êtres leur possession, caractère la société qu’ils peuvent impliquées ? unique de la perspective atteindre

Rôle des Institutions Égalisation des ressources L’égalisation des Plus qu’un accès égal, des européennes dans entre les différents ressources n’est pas nouveaux acteurs doivent l’organisation de la participants, par la nécessaire : les être contactés quand des société civile au niveau distribution organisations sont choisies segments de population ne européen d’informations, précisément en fonction de peuvent pas être atteints en subventionnant leur leur contribution l’absence d’autres canaux. activité sur la base de la spécifique en terme représentativité d’information, qui peuvent améliorer la prise de décision Les risques encourus Les risques de biais sont Les risques de biais Les risques de biais sont dans le mode de choix de présents en raison de la dépendent de présents en raison de la l’implication de la société présence d’intérêts ( vested l’impossibilité de remettre séparation entre la société civile organisée interest ), rendant difficile en question les civile organisée au niveau la mise en place de perspectives des acteurs de européen et les réformes à large échelle la base. organisations nationales plus ancrées dans la base. Implication de la société La légitimité découle du La légitimité découle de La légitimité dépend de civile organisée comme fait que les décisions l’objectivité de l’exercice pédagogique source de légitimité prennent en compte les l’information donnée avant dans la direction de ceux vues de tous les l’adoption d’une décision affectés par la décision : il participants ( stakeholders ) et de l’impartialité de s’agit d’une vue post hoc l’expertise conduite par les plus que ex ante organisations de base. Source : Traduit de Schutter (2002, 205)

Le passage à la représentation fonctionnelle passe d’abord par des arrangements institutionnels, qui sont caractérisés par une représentation spécialisée, distribuée et, seulement par certains aspects, territoriale. C’est l’émergence d’un « complexe

290 Démocratie associative et participative dans l’Union européenne représentationnel » (Union européenne, État-nation, institutions nationales spécifiques, groupes d’intérêts, parlements, experts) (Andersen et Burns, 1998, 237).

Au sein de ce ‘complexe représentationnel’, la place de la société civile s’appuie surtout sur la compétence qu’elle développe, d’où découle sa légitimité. Pour Jean- Claude Boual, cet aspect est fondamental dans la compréhension du rôle de la société civile :

« […] La légitimité d’une association faisant partie de la société civile restera sa compétence, une compétence qui lui a été apportée par les citoyens devenus membres à cause de leurs intérêts spécifiques individuels. Cette compétence acquiert une qualité supérieure au moment où les membres compétents n’agissent pas de manière individuelle mais plutôt de manière collective et complémentaire au sein de ‘leur’ association. Cette compétence qui sera prouvée par les ONG lors du processus de la consultation institutionnalisée dans les sphères de décision présenterait comme conséquence la possibilité de réaliser la nouvelle gouvernance revendiquée par la Commission et éviterait de fausses décisions de celle-ci » (Boual, 1999, 21).

En analysant le tableau 9.2, on peut reprendre les éléments qui permettent d’affirmer la potentialité de l’implication de la société civile au sein de la gouvernance de l’Union, notamment en observant son double rôle. En effet, elle est une interface entre les institutions et la population, de par son expertise et son implantation de base. Si le premier rôle tend vers une démocratie d’expert, le second est essentiel. Comme nous l’avons vu précédemment, le manque d’un relais entre la population et les institutions européennes crée un décalage important et nourrit le déficit démocratique. C’est donc bien par sa capacité d’information et d’influence que la société civile peut intervenir.

Un des problèmes fondamentaux est de savoir de quelle société civile on parle et quelle est la démocratie que l’on souhaite. Cette réflexion s’inscrit également dans la droite lignée de Paul Hirst où il existe une recherche de complémentarité entre la démocratie représentative et la démocratie associationniste. Toutefois, la société civile ne connaît que peu les modèles d’ accountablity et sa force démocratique est souvent remise en question. Dans un monde où la souveraineté et l’autorité deviennent spécialisées, distribuées et non-territoriales (distribution dans les réseaux de la société civile, les gouvernements régionaux, les mouvements, et aussi au niveau international), il faut construire un système où l’accountability réside dans les mécanismes de la démocratie représentative. Ainsi, on sépare la responsabilité opérationnelle de la responsabilité politique. Ceci permet, en pratique, à d’autres agents que les institutions politiques d’assumer les charges de la mise en œuvre de politiques publiques. Il n’en reste pas moins que les institutions représentatives gardent un haut degré de responsabilité, avec un contrôle sur la délégation de pouvoir. Une des conséquences peut être une diffusion de l’ accountability . En effet, la co- gestion de politiques publiques comporte le risque de déresponsabilisation et d’opacité sur l’application de la sanction. On peut aussi percevoir cet aspect comme positif par une diffusion plus large des critères démocratiques en englobant des acteurs qui jusqu’alors l’étaient peu. En d’autres termes, il s’agit de construire la gouvernance européenne à la croisée de la démocratie participative et de la démocratie représentative. La mixité des systèmes est une obligation dans le système européen pour composer avec les nombreux paradoxes et les différentes traditions parlementaires. Ainsi, on construit un système parlementaire dans un mode de fonctionnement proche de la concordance de Lijphart (voir chapitres 1 et 3).

291 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

2.2. De l’associationnisme au post-parlementarisme

Lors du chapitre 2, nous avons vu la proposition pluraliste énoncée par Hirst quant à la possibilité de créer une Chambre des intérêts en complément de la Chambre territoriale (Parlement). Au niveau européen, nous trouvons le Comité économique et social qui en rédigeant de nombreux rapports a mené une réflexion sur la place de la société civile et de la représentation fonctionnelle. Bien que le traité de Nice l’instaure véritablement dans le rôle de pont vers la société civile, dans le chapitre 6, nous avons pu voir aussi que malgré ses efforts, le CESE n’a pas réussi à modifier sa nature consultative. Cet échec nous pouvons le ramener à un élément essentiel, soit la portée intangible de la représentation parlementaire. Même mis à mal par une faible participation électorale, par la place de plus en plus importante des exécutifs, le Parlement européen demeure l’endroit de l’expression des ‘citoyens européens’.

Les chapitres précédents ont permis de montrer d’une part la faiblesse représentative du Parlement européen et la place de plus en plus importante octroyée par les institutions à la société civile. Les intergroupes loin d’être uniquement les représentants d’un pragmatisme de la députation sont aussi un élément de rencontre entre les groupes représentant la société civile et les élus. Notre analyse à ce sujet repose sur l’hypothèse que les partis politiques européens n’émergeront pas dans un futur proche, alors que la société civile organisée est déjà européenne. Il en ressort que l’analyse associationniste peut apporter une contribution dans ce débat.

Le paradigme étudié s’inscrit dans une société politique menée par les associations. Afin de résoudre les problèmes de légitimation - certains groupes pouvant prendre le dessus sur d’autres en fonction de leur capacité économique - il faut la mise en place d’agents de police. Ce rôle potentiel serait dévolu aux parlements qui se chargeraient du « monitoring and holding accountable specialised governance systems, and possibly addressing problems and issues of long-term global developments, the tensions and contradictions between sectoral developments, and overall social stabilisation » (Andersen et Burns, 1998, 248-249). En suivant ce principe, la société post-parlementaire donne deux rôles aux parlements : intégratif et constitutionnel. Ainsi, le Parlement a une fonction d’intégration générale et représente le peuple d’un territoire précis et il devient méta-souverain, car il régule les agents de souveraineté, ici les associations.

L’utilité de cette théorie et son application dépend en large part de la possibilité d’expression qu’offre l’Union européenne, et en particulier son Parlement, à la société civile. Le potentiel des associations ne peut se réaliser que s’il existe certaines conditions cadres. Seule l’exploration de ces dernières nous permettra de convenir d’une représentation mixte dans le cadre des réflexions sur l’Avenir de l’Union.

2.3. Le Parlement européen, lieu de meta-souveraineté

Notre modèle de réflexion sur l’incorporation de la société civile au sein de la gouvernance européenne se base sur l’article de Svein Andersen et Tom Burns, ‘ The European Union and the Erosion of Parliamentary Democracy : A Study of Post-

292 Démocratie associative et participative dans l’Union européenne parliamentary Governance ’ de 1998 et le rapport rendu à la Conférence des Présidents des Parlements de l’Union européenne par Tom Burns en 2000. Cette réflexion d’ensemble sur le rôle des parlements dans la nouvelle donne démocratique paraît entrer totalement dans le schéma de réflexion de la société civile et des questions de la représentation. Pour les raisons que nous avons vues, le Parlement européen en tant que ‘jeune’ parlement semble adéquat pour intégrer ces nouvelles réflexions sur le modèle démocratique. De plus, il s’agit d’appliquer un modèle sur la démocratie des organisations qui serait plus flexible tout en dégageant de la légitimité.

Pour les deux auteurs, le but est de démontrer que l’UE est une instance de gouvernance post-parlementaire, c’est-à-dire où les citoyens ont une place marginale dans les canaux formels de la représentation démocratique (1998, 226). En effet, l’Union européenne n’est pas un système où les gouvernants sont tenus responsables pour leur politique et action par les citoyens, et où les élites sont en compétition pour le pouvoir. Dans les faits, il s’agit d’un lieu caractérisé par une représentation nationale, une représentation des intérêts et une représentation de l’expertise (1998, 226). Ce mélange complexe est nécessaire pour faire marcher l’Union, mais elle est vulnérable aux critiques sur le rôle marginal de la démocratie représentative. De plus, la complexité de la société actuelle a permis une interpénétration des agences et de la société civile, ce qui fait qu’il n’y a plus de centres politiques clairement identifiables.

Par conséquent, on peut distinguer le gouvernement sur des bases de démocratie représentative et la gouvernance basée sur une variété de représentations et procédures. Comme nous l’avons vu, le Parlement reste le lieu défini et compris comme l’endroit où la volonté des citoyens se manifeste. Néanmoins, on doit composer, dans les systèmes politiques actuels, avec la percée d’acteurs privés ou semi-privés dans les politiques publiques. En quelque sorte, c’est la reconquête du pouvoir politique par les acteurs sociétaux. À cela s’ajoute le modèle néo-corporatiste et l’implication des groupes d’intérêts partout en Europe. Dès lors, la société complexe est devenue incompréhensible pour un parlement afin d’assumer la prise de décision globale dans cet ensemble sociétal redéfini.

L’enjeu se situe maintenant sur l’inclusion des acteurs intermédiaires dans le giron de la gouvernance afin de saisir la complexité et de ‘toucher’ un nombre plus important de personnes. Toutefois, il existe le risque que la démocratie des citoyens soit remplacée de facto par une démocratie des groupes d’intérêts et organisations représentatives. Le système de gouvernance post-parlementaire agit avec des organisations, par les organisations, pour les organisations. En d’autres termes, la souveraineté des experts prévaut sur la souveraineté populaire, car, actuellement, les politiques et les régulations sont légitimés par les connaissances des experts. Ainsi, logiquement, la législation communautaire est le résultat d’un lent processus de consultation et de négociation.

Les intérêts et leur expertise se manifestent pour tenter d’influer sur les politiques européennes avec comme premier endroit où agir, la Commission européenne en tant que tenante du monopole de l’initiative. Avec la co-décision améliorée à Amsterdam et les différents gains de compétences, la responsabilité politique finale est partagée entre le Conseil et le Parlement européen. Rappelons également que la Commission a initié depuis quelques temps un dialogue important avec les associations et groupes d’intérêts. De plus, il faut relever l’émergence de nouveaux intérêts comme les

293 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’ consommateurs ou les régions, les villes qui se forment comme lobbies. Les groupes agricoles et de l’industrie sont en nette régression alors que d’autres intérêts augmentent. Le système européen est plus orienté vers les lobbies que dans n’importe quel État membre. Les arrangements parlementaires sont ici remplacés par l’implication directe des parties concernées. On retrouve ainsi la base de la représentation spécialisée. En somme, la représentation, la participation, et l’influence politique ne sont pas basées dans l’UE sur la citoyenneté (Andersen et Burns, 1998, 231-235).

L’organisation de l’Union européenne est également accentuée par le phénomène de l’intervention multisecteur dans les domaines socio-économiques de la puissance publique et également l’intervention de nouveaux acteurs, notamment de la société civile qui se caractérise par une implication grandissante dans les modes de gouvernance. Ainsi, pour faire référence à l’équation de Gramsci, la société politique et la société civile s’interpénètrent. De plus, le contrôle n’est pas monopolisé par la puissance publique, mais cette dernière développe des stratégies de coopération. Elle joue un rôle d’intermédiaire ou de médiateur. Cette évolution érode et déstabilise les institutions politiques qui ont été efficaces.

C’est donc dans ce contexte que Andersen et Burns (1998, 237-239) font une proposition de réaménagement institutionnel qui permet de maximiser les critères de la démocratie, soit la représentation, la participation, la connaissance, l’innovation et le changement institutionnel. Leur proposition s’articule autour de quatre axes. Premièrement, la représentation est, d’abord, spécialisée, distribuée, et seulement par certains aspects, territoriale. On est face à un complexe représentationnel (État-nation, institutions nationales spécifiques, groupes d’intérêts, parlements, experts). Dans un deuxième temps, la souveraineté et l’autorité sont également spécialisées, distribuées et non-territoriales, notamment par la distribution dans les réseaux de la société civile, les gouvernements régionaux, les mouvements, et aussi au niveau international. Troisièmement, la responsabilité réside formellement dans le système de la démocratie représentative, tandis qu’en pratique, d’autres agents assument la responsabilité. Ainsi, les institutions représentatives ont un haut degré de responsabilité, mais leur autorité reste minime. Par conséquent, l’ accountability est diffuse. Finalement, la loi et les politiques publiques sont aussi différentiées et diffuses. Pour les auteurs, il s’agit de démontrer que la centralisation est une illusion dans la société moderne, et qu’il est nécessaire d’entrevoir le rôle des acteurs intermédiaires.

Partant du constat que de nombreuses négociations se font en-dehors de l’arène parlementaire – où d’ailleurs les décisions et la légitimité des lois votées par le Parlement, issues d’arrangements internes, ne sont pas suffisamment enracinées dans une société complexe – la proposition post-parlementaire cherche à démontrer l’intérêt de l’intégration des agents externes aux institutions afin de renforcer le rôle du Parlement qui, de manière paradoxale, pourrait se concentrer sur les éléments de sanction et de contrôle tout en laissant une ‘part de pouvoir’ officiellement à des acteurs externes. Ainsi, le Parlement reste le lieu ultime de la légitimité par son vote législatif et par un contrôle du rôle des agents externes. Il est aussi l’organe pouvant être sanctionné dans le cadre de l’ accountability . En d’autres termes, le modèle post- parlementaire inscrit la société civile dans la gouvernance en la plaçant sous la responsabilité d’un Parlement qui en échange autoriserait une compétence

294 Démocratie associative et participative dans l’Union européenne contraignante. Nous nous trouvons ainsi dans un mode complémentaire de gouvernance entre la représentation et la participation.

Néanmoins, en raison de notre culture ‘parlementaire’, l’institution parlementaire doit rester au centre de la vie politique et doit demeurer un symbole pour les citoyens. Toutefois, sa marginalisation semble inéluctable tant les besoins de la société semblent aller plus vite que les procédures législatives. C’est bien à cette problématique que le modèle post-parlementaire entend répondre.

Toutefois, ce modèle contient aussi des lacunes liées à la légitimation des conflits et aux problèmes d’intégration. En effet, certains groupes peuvent prendre le dessus sur d’autres en fonction de leur capacité économique, car la société civile est, également, le lieu des inégalités. Ce rôle de contrôle pourrait être rempli par le parlement qui ainsi arbitrerait les demandes et assumerait ces conséquences auprès des citoyens (se référer, notamment à Andersen et Burns, 1998, 248-249).

Ainsi, le Parlement a une fonction d’intégration générale, continue à représenter le peuple et devient ‘métasouverain’, car il régule les agents de souveraineté. C’est par cet angle que nous reprenons les intergroupes parlementaires européens comme pouvant assumer un rôle de sélection, de contrôle et d’approbation. Comme nous le verrons par la suite, le fait que le Parlement continue à fonctionner autour de commissions parlementaires semble essentiel à la démocratie représentative. Dans ce système, les intergroupes s’intègrent à ce modèle post-parlementaire en assimilant la démocratie représentative et la démocratie participative.

Dès lors, il s’agit d’introduire des éléments externes dans un cadre étendu de gouvernance qui permettrait à l’Union de sortir du cercle du déficit démocratique pour une meilleure transmission de ses actions auprès de la population et des desiderata de la population vers les institutions, et en particulier au Parlement européen. Ainsi, nous proposons une gouvernance européenne basée sur un modèle post-parlementaire où l’intégration de la société civile à la représentation devient une réalité. À cette fin, l’emploi des intergroupes parlementaires s’avérera précieux.

295 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

Chapitre 10 – L’espace politique des intergroupes parlementaires européens

1. Introduction aux intergroupes : un espace concurrentiel

Lors de l’analyse de l’espace juridique au chapitre 6, les limites des intergroupes dues aux outils réglementaires sont vite apparues. Dès lors, il faut inscrire la réalité de l’intergroupe dans un espace politique particulier propre au Parlement européen. Comme nous le verrons, les intergroupes sont intrinsèquement liés, notamment, à la société civile, aux intérêts des députés, à la structure du Parlement. La compréhension de l’approche réglementaire de l’intergroupe a permis un début de questionnement sur les principales problématiques que nous nous devons d’aborder dans ce chapitre. Il est nécessaire de rappeler que les règles de fonctionnement du Parlement européen existent pour approuver, réguler ou sanctionner un mode d’action propre, c’est pour cela que dans ce chapitre, nous proposerons une explication des raisons de l’émergence de certaines règles.

La partie politique s’appuie sur l’examen d’une hypothèse qu’on peut énoncer ainsi: les groupes politiques sont actuellement les acteurs dominants du Parlement et profitent de sa structure, afin d’asseoir une certaine emprise sur les députés. Cette domination est mise à mal par le développement des intergroupes parlementaires. Dès lors, les groupes politiques utilisent leur statut actuel pour limiter le développement des intergroupes, voire les contraindre à disparaître. Nous cherchons à vérifier cette hypothèse par une analyse de l’intergroupe et de son rôle au Parlement. Il faut aussi ne pas oublier la conclusion du chapitre 6 sur l’espace juridique qui donne des éléments de réponse sur la méthode choisie 248 pour limiter plus sévèrement les intergroupes.

Certains auteurs (Andeweg, 1995, 70-71) voient les intergroupes comme une plate- forme pour les futurs groupes politiques européens, d’où la raison de ce ‘combat’ entre ces derniers et les intergroupes, où chacun se bat pour sa place avec un avantage réel pour les groupes politiques. Ces derniers sont institutionnalisés et agissent dans le cadre du règlement. Les intergroupes suivent un peu le même historique que les groupes parlementaires, sauf qu’ils s’inscrivent dans une période où la structuration du pouvoir existe déjà. Alors que les groupes politiques ont pu se développer dès le début du parlementarisme continental et devenir les acteurs prépondérants de nos démocraties, les intergroupes se situent dans un secteur spécifique de la vie politique. Toutefois, l’espace est déjà occupé par différents types d’organismes officiels 249 ou officieux 250 . Ainsi, l’activité des intergroupes se situe à l’intersection de différents secteurs avec, d’un côté, le groupe politique, et, d’un autre, les commissions parlementaires, et finalement les groupes d’intérêts. Ces convergences et divergences dans l’espace politique entre les différents groupements confrontent nécessairement les intergroupes aux groupes politiques. C’est pour cette raison que ces derniers agissent dans le sens de la limitation des intergroupes, notamment en s’appuyant sur

248 Le terme ‘choisi’ s’applique car relatif à la décision de la Conférence des présidents, et de tout l’historique sous-jacent à cette décision. 249 Les groupes politiques, les commissions parlementaires, délégations parlementaires, et autres organes spécifiques prévus par les règlements internes des parlements. 250 Sous ce terme, on regroupe les groupes d’intérêts de toutes sortes (ONG, groupes industriels, partis politiques, associations, etc.)

296 L’espace politique des intergroupes parlementaires européens le fait qu’ils représentent un moyen pour les groupes d’intérêts de s’infiltrer dans le Parlement, et ajoutent une concurrence superflue aux commissions parlementaires.

297 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

2. La place des intergroupes au Parlement européen

L’analyse portera sur deux aspects principaux, à savoir les éléments constitutifs et le mode de fonctionnement de l’intergroupe. L’avant-projet du rapport Spiers avait au départ dans le titre uniquement le terme intergroupe , par la suite, la commission du règlement a fait changer le titre du projet d’intergroupes en groupements de députés . Quelle différence y a-t-il entre ces deux notions? Pour répondre à cette interrogation, il faut démontrer la spécificité des intergroupes en les comparant aux autres acteurs du Parlement. Cette analyse est nécessaire pour comprendre le milieu dans lequel ces intergroupes évoluent et, par la suite, pour pouvoir les différencier des autres acteurs.

2.1. Les intergroupes et groupes parlementaires européens

Paradoxalement, les groupes parlementaires ont connu une histoire similaire à celle des intergroupes actuellement. Toutefois, ils se sont formés et ont été reconnus au niveau national. En prenant la France comme exemple de cette évolution, on constate que le groupe politique est un acteur reconnu dans le règlement des assemblées depuis 1910. Néanmoins, pendant longtemps la représentation nationale n’a pu accepter les groupes politiques. En effet, le peuple dans son acte d’autorité délègue son pouvoir à un ensemble de députés, c’est le sens de la représentation nationale. Ainsi, le groupe politique ne peut être qu’un fractionnement du tout. La Constitution française de 1958 bouleverse cette notion en prévoyant dans son article 4 que « les partis et les groupements politiques concourent à l’expression du suffrage ». Ce renversement au cours du XXe siècle aura pour effet de propulser les groupes politiques sous les feux de la rampe et de faire que le dirigeant d’un groupe politique est, en règle générale, un personnage important de la vie politique. Au niveau européen, le président de groupe participe aux travaux de la Conférence des présidents, organe le plus important pour le fonctionnement interne.

Pour l’analyse comparative avec les intergroupes, nous choisirons cette définition plus complète du groupe politique : « le groupe parlementaire est la réunion, au sein d’une assemblée parlementaire et selon les règles établies par le règlement de celle-ci, d’un certain nombre d’élus qui, ayant en commun un certain idéal politique, envisagent de donner des solutions très voisines aux différents problèmes du moment » (Waline, 1961, 1178). Cette définition permet la mise en perspective des points communs et différences entre les intergroupes et groupes politiques. Un intérêt semblable est partagé entre les membres de ces groupes : ils se réunissent sur un idéal politique ou sur des questions particulières communes. De plus, les deux ne peuvent se prétendre être la représentation du peuple, mais seulement d’une partie. Ici, la notion de représentation nationale et la question de la représentation européenne sont similaires. Alors que l’eurodéputé représente d’une certaine manière son peuple 251 , en raison du mode de scrutin, le groupe politique européen et les intergroupes communautarisent les problématiques.

251 Voir à ce propos le chapitre 4, et également le jugement de la CJCE Isoglucose , CJCE (1980), Roquette frères contre Conseil, Aff. 138/79, rec.1980, 3333 (Isoglucose).

298 L’espace politique des intergroupes parlementaires européens

Au niveau des règlements, les groupes politiques et les intergroupes ont connu une même évolution. Maintenant les factions politiques sont reconnues, alors que les intergroupes sont toujours en quête de cette même reconnaissance. Le Parlement européen a, dès le début, reconnu l’action des groupes politiques et a commencé récemment à s’intéresser aux intergroupes 252 . La distinction principale se situe sur le fait que les premiers ont une existence officielle et les seconds ne sont que des groupes informels. La différence fondamentale entre ces deux types de réunions de députés se résume ainsi : « les premiers sont constitués sur une base partisane que récusent les deuxièmes. Plus précisément, les intergroupes apparaissent comme une création antithétique des groupes politiques » (Pontier, 1981, 1172). En conclusion, il faut relever que le fait que ces deux groupements soient totalement différents permet aussi de créer une complémentarité entre les deux, afin de donner un aperçu du tissu social plus important entre le lien ‘politique’ et le lien ‘civil’.

2.2. Les intergroupes et les commissions parlementaires

Également, nous trouvons des points communs entre la définition de l’intergroupe est celle de la commission parlementaire. L’intergroupe a pour but de travail un sujet précis tout en regroupant des députés de tous les groupes politiques. En effet, en raison de cette similarité, il est concevable de souhaiter réduire les intergroupes, notamment en raison des coûts qu’ils engendrent. Toutefois, la souplesse caractéristique des intergroupes et, surtout, un meilleur contrôle de l’agenda par les députés sont des différences essentielles avec les commissions.

Dans une commission parlementaire, le groupe politique organise des réunions et tient aussi un rôle en matière d’ordre du jour 253 . L’intergroupe offre une plate-forme d’action plus large et plus de liberté individuelle aux députés, avec un réel rôle d’avant-garde des problématiques, tandis que le Parlement européen est composé de vingt commissions et de deux sous-commissions parlementaires, leur imposant un ordre du jour qui réduit la capacité prospective de la délibération. Dès lors, l’action parlementaire se confine à un rôle plus réactif dépendant pour une large part des convocations liées aux impulsions de la Commission européenne. À un niveau législatif, cette inaction, due à la surcharge de travail, pose des problèmes sur le rôle avant-gardiste qu’aimerait jouer le Parlement européen. L’eurodéputé se trouve presque exclusivement dans une situation de lecture des documents de l’exécutif, et ne peut plus forcément assumer le rôle de ‘création législative’.

Les intergroupes donnent le temps de la réflexion 254 et du développement de thématiques parfois avant-gardistes. Nous donnerons en exemple les nombreux

252 Le Parlement européen a repris l’acquis commun des États membres en matière de groupes politiques. La reconnaissance ne posait pas de problèmes. Les intergroupes sont l’objet d’une opposition entre la tradition politique du Nord (Grande-Bretagne et Scandinavie) et celle du Sud (Espagne particulièrement). Le jour où un consensus apparaîtra sur la question au sein des différents parlements nationaux, les intergroupes devraient aussi évoluer au niveau européen. 253 Ce rôle important s’effectue par le biais des coordinateurs. Ils sont nommés par leur groupe dans les commissions avec pour charge « de répartir le travail et les rapports entre les groupes dans la commission » (Westlake, 1995, 236). 254 À ce propos, on peut élargir la réflexion sur le temps de la réflexion en nous référant à l’ouvrage de Majo Hansotte (2005) sur les intelligences citoyennes qui proposent pour une meilleure inclusion des

299 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’ intergroupes qui ont vu le jour au début des années quatre-vingts sur les problématiques de l’Europe du citoyen et de la protection des animaux. Ces intérêts étaient à l’époque mineurs ; ils sont devenus pour certains des thématiques de commissions parlementaires depuis Maastricht et, plus encore, depuis Amsterdam. Bien que l’évolution de la société n’est pas due exclusivement aux intergroupes, on ne saurait nier le rôle précurseur de certains intergroupes face à des intérêts peu ou pas représentés dans l’ agora européenne. En conclusion, les intergroupes jouent un rôle plus conceptuel et prospectif que les commissions parlementaires ne peuvent plus ‘physiquement’ assumer. De plus, ils touchent le plus souvent des intérêts minoritaires au sein du Parlement, et de ce fait jouent un rôle nécessaire.

2.3. Les relations entre les intergroupes et les groupes de pressions

Les groupes politiques se sont souvent posés en défenseurs de l’argent public, en arguant, notamment, du fait que les intergroupes sont des ‘chevaux de Troie’ des lobbies. En raison du financement public du Parlement européen en matière de salles de réunion et d’interprétation, il est concevable que l’utilisation de ces biens pour des raisons privées paraisse déplacée. Toutefois, le terme de lobby semble être employé très souvent de manière abusive. En inversant le raisonnement, on peut analyser le groupe politique comme un groupe d’intérêt, ou, du moins, comme un parent éloigné de celui-ci.

En effet, comment qualifier un ensemble de députés qui agissent selon une même conception de la société sur des thèmes différents ? Le lobby est a priori une organisation avec un objectif (intérêt) défini. Mais cela exclut-il de facto les organisations ayant plusieurs objectifs pour la société ? L’étude de l’évolution historique démontre combien les politiques se sont méfiés des factions, suspectées de vouloir diviser l’unité démocratique. Au terme de cette évolution, les groupes sont devenus des interlocuteurs institutionnels indissociables de la vie politique, à tel point que personne ne pourrait qualifier un groupe politique de lobby. On peut rappeler ici l’émergence de l’écologie en Europe depuis vingt ans (Doherty et Geus, 1996, 1-15 ; Hix et Lord, 1997, 39-41). Au départ, il s’agissait plutôt de groupes de pression en matière environnementale; au fur et à mesure, ils se sont forgés une vision politique globale. Cette transformation démontre un lien tangible entre groupes d’intérêts et groupes politiques. Les intergroupes agissent, certes, sur un sujet donné, mais englobent des eurodéputés de plusieurs groupes politiques. Effectivement, on est plus proche de l’influence extérieure, du fait qu’une personne peut solliciter plus facilement un intergroupe selon le sujet (particulier) qu’un groupe politique (général). Pourtant, cette remarque s’applique également aux groupes politiques puisque les citoyens vont se tourner plus couramment vers eux en fonction de leurs affinités politiques 255 . Enfin, le risque de la mauvaise utilisation des fonds publics existe, et il est plus important en raison de l’influence externe. Toutefois, les garde-fous en matière de financement des partis politiques sont aussi extrêmement récents. Les différentes affaires juridico-politiques démontrent fréquemment l’actualité du problème. citoyens dans l’espace public de laisser un ‘temps citoyens’ pour enrichir la démocratie de toutes les ‘paroles’. 255 Selon les thématiques et ses opinions politiques, on se tournera de prime abord vers un groupe politique préférentiel. De cela découle un certain particularisme comparable à celui des intergroupes.

300 L’espace politique des intergroupes parlementaires européens

En se plaçant du côté des lobbyistes, il faut reconnaître que l’intérêt pour les intergroupes existe, mais il y a différentes manières d’intercéder auprès du Parlement européen, notamment par la connaissance des rapporteurs, des secrétaires généraux, et donc, l’intergroupe n’est qu’un moyen parmi d’autres. Les contingences matérielles qu’implique le nouveau règlement le rendent moins attrayant pour les lobbies intéressés 256 . L’exemple de l’intergroupe ‘ Automobile Users ’, disparu en fin de quatrième législature par le désengagement de l’association s’occupant du secrétariat, démontre un choix délibéré pour éviter le coût de mise en place d’un intergroupe. La Fédération internationale automobile/Alliance internationale du tourisme (FIA/AIT) estime susciter un intérêt plus grand chez les députés en organisant des réunions à l’extérieur du Parlement européen. En dernière analyse bien que cet intergroupe ait eu une certaine utilité 257 , son évaluation des besoins a démontré un impact plus important en organisant une plate-forme spécialisée, en réunissant des représentants de la Commission européenne, du Conseil de l’Union et des eurodéputés. Ainsi, l’argumentation sur les aspects extérieurs tombe ; elle a même des effets pernicieux par le fait qu’une association puissante sera encouragée pour défendre ses intérêts à l’extérieur, par rapport à une petite association en recherche de légitimité auprès du Parlement européen qui fera tout pour obtenir les signatures ou passer les obstacles liés à l’utilisation des salles de réunion. Par conséquent, il serait étonnant que les groupes politiques aient cherché à encourager un renforcement du lobbying externe moins contrôlable par la modification de la réglementation. Si on admet les intergroupes comme un mode de lobbying moderne et un moyen d’introduction de la société civile et des nouvelles thématiques, il faut constater que le développement dans un cadre contrôlé institutionnel semble plus adéquat au défi de la gouvernance européenne.

Alors que les raisons pour une meilleure insertion des intergroupes au Parlement européen sont importantes, les autorités du Parlement ont décidé de suivre une voie différente : celle de la limitation draconienne. Comme nous l’avons vu, on peut développer l’hypothèse que les groupes politiques, notamment les grands, perçoivent les intergroupes comme une concurrence, et cherchent par leur positionnement historiquement dominant et réglementaire à agir sur les intergroupes pour que cette concurrence disparaisse ou, du moins, s’amenuise. Ainsi, le développement d’une stratégie face au lobbying se doit d’être cohérent en recherchant le meilleur effet pour l’efficacité du Parlement et en respectant le principe de l’ouverture à la société civile. Néanmoins, celle-ci se doit d’être conditionnée, d’où la nécessaire analyse des cas pouvant répondre à une attente de la société civile et des eurodéputés, en respectant le cadre de la gouvernance.

256 D’autant plus qu’un groupe d’intérêt puissant n’aura aucune difficulté à développer des contacts avec des députés, mais aussi des commissaires européens et des représentants du COREPER. En termes de puissance et de coût relatif, l’intergroupe n’amène pas suffisamment aux puissants lobbies qui peuvent agir différemment. 257 Par exemple : amendements proposés par Alan Connelly (UK, PSE), ancien président de l’intergroupe, sur la directive 70/156/CEE relative à la protection des occupants des véhicules à moteurs et acceptés par le Parlement le 19 septembre 1996 (A4-0275/1996).

301 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

3. Caractérisation des intergroupes

Jusqu’ici, le degré d’analyse revenait à composer la liste de la définition par la négative des intergroupes en relevant ce qu’ils ne sont pas. Nous allons maintenant établir une liste positive où il s’agira de spécifier les caractéristiques propres des intergroupes. En s’appuyant sur les travaux de Jean-Marie Pontier (1981, 1172-1174), il nous paraît pertinent d’évaluer les données européennes par le biais du cas français. Les ressemblances sont assez frappantes.

Dans un premier temps, il faut reconnaître aux intergroupes une ‘absence de formalisme’. De celle-ci dérive la difficulté à analyser les intergroupes. Ils sont insaisissables dans la logique réglementaire des parlements. Cette souplesse est aussi nécessaire en raison des problématiques abordées qui sont le plus souvent évolutives. Toutefois, le dernier accord de la Conférence des présidents, qui institutionnalise à couvert les intergroupes, met en péril cette souplesse. Le formalisme devient un des problèmes essentiels au niveau européen. Malgré cela, l’étude des intergroupes « s’apparente à l’observation d’un théâtre d’ombres qui disparaissent sans laisser de traces » (Pontier, 1981, 1173). La deuxième caractéristique est la ‘spécialisation’ des intergroupes. Chacun s’occupe d’un domaine bien défini. Leur objet n’est pas de définir une politique générale. Ici, la notion d’idéal politique entre peu en ligne de compte.

La troisième caractéristique est l’aspect ‘non partisan’ des intergroupes. Les députés se retrouvent, quelles que soient leurs origines politiques sur un domaine particulier. L’intérêt de l’intergroupe en termes politiques réside sur ce point. Des députés de tous bords politiques viennent discuter d’un sujet pour le promouvoir. Ce dépassement des querelles politiques, parfois stériles, est une force pour les intergroupes. Toutefois, les intérêts développés touchent souvent plus des sensibilités politiques proches. En 2000, les intergroupes ‘Antiracism’, ‘ Capital taxation’ , et ‘Initiatives pour la paix’ étaient soutenus par les groupes PSE, les Verts et la GUE. À droite, les intergroupes ‘État hébreu-Europe’, ‘Chasse–pêche–environnement’, étaient soutenus par le PPE, l’ex- ELDR et l’UEN ou l’EDD. De même, l’accès libre est une nécessité pour tous. Il en découle une volonté de réunir un large nombre de députés, afin de représenter toutes les mouvances en lice au sein du Parlement, du moins les cinq plus importantes. L’utilité est de pouvoir réunir une majorité de suffrages en cas de besoin pour s’opposer à un projet de directive de la Commission ou pour faire adopter une résolution parlementaire.

Finalement, les intergroupes ont la particularité d’accueillir des personnes extérieures. Cette dernière caractéristique a servi certains groupes pour attaquer les intergroupes sous l’angle des lobbies. Les relations établies avec l’extérieur prennent le plus souvent l’aspect d’une nouvelle forme de contact avec le citoyen par le biais d’ONG. Plus les intergroupes chercheront des contacts, plus cela démontrera d’une certaine manière ce manque entre les parlementaires et la société civile. Bien entendu, il faut veiller à ce que les facilités parlementaires ne soient pas accordées à des groupes de pression, mais on ne peut se servir de cette raison pour interdire les contacts avec la société civile. Cette dernière caractéristique n’est pas essentielle à l’identification d’un intergroupe par rapport à d’autres groupements. L’établissement des éléments de différenciation, entre les intergroupes et les autres groupes, permet de mettre en

302 L’espace politique des intergroupes parlementaires européens

évidence certains éléments particuliers des intergroupes. Ces éléments explicatifs restent très externes aux modes de fonctionnement des intergroupes. L’étape suivante consiste à évaluer l’influence externe et l’influence interne des intergroupes au sein du Parlement européen.

303 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

4. Vers un ‘idéal-type’ des intergroupes

4.1. Proposition de typologies

Le fonctionnement d’un intergroupe est intrinsèquement lié au mode de vie du Parlement européen. Cette interaction informe le chercheur sur les conditions de formation et d’action de l’intergroupe. Le Parlement européen est une agora très individualisée. Dès lors, les intergroupes ont souvent été suscités par des députés qui, seuls, ont voulu assumer la charge d’un intergroupe. Les exemples d’Evelyne Gebhardt (DE, PSE) avec l’intergroupe ‘Bioéthique’ ou celui du député Paul Lannoye (BE, V) avec l’intergroupe ‘Médecine complémentaire’ sont révélateurs de ce mode de fonctionnement. D’autres peuvent se constituer suite au résultat de l’élection de membres d’une association 258 voulant diffuser leurs idées dans l’enceinte européenne.

Souvent les intérêts développés par les députés sont les mêmes que les objectifs d’une ONG. Dès lors, des synergies se créent en termes de secrétariat par exemple, en termes financiers beaucoup moins. En effet, le travail d’élus européens est un investissement lourd, et les assistants parlementaires ne peuvent pas toujours tenir un secrétariat interne de l’intergroupe. La facilité qu’offre une ONG structurée en matière de temps et d’efficacité est considérable. Aucune des deux parties n’est de surcroît lésée. Le député n’a pas à s’occuper des affaires administratives, si ce n’est des questions internes liées à l’octroi des salles, et des relations avec les groupes politiques, le Collège des questeurs, et l’administration. L’ONG a, elle, un accès au Parlement et peut développer les travaux sous un angle qui lui est le plus favorable. De plus, elle donne des informations de première main que les députés ne peuvent avoir 259 .

En outre, les intergroupes ne sont pas tous les mêmes et n’ont pas tous les mêmes buts, car la promotion d’un intérêt peut se faire de manière bien différente. Par conséquent, il en résulte la nécessité de les différencier par une typologie. Si l’on s’appuie sur l’étude de Jean-Marie Pontier qui observe la situation française (Pontier, 1982, 811), la représentation des intergroupes se divise en trois catégories: groupes d’amitiés, groupes d’études 260 et Amicales. Or, les ressemblances avec la situation du Parlement européen lors des quatre premières législatures paraissent être une bonne base d’analyse.

Les groupes d’amitiés ont pour but, de manière presque tautologique, de « permettre l’établissement de relations amicales avec les parlementaires d’autres pays » (Pontier,

258 L’intergroupe ‘Prévention active des conflits’ a été suscité par Bernard Kouchner. Lors de sa nomination en France au secrétariat à la Santé, l’intergroupe s’est arrêté. Il s’agit d’un cas limite entre un intérêt privé et le développement militant d’une problématique. On sait que Bernard Kouchner est cofondateur de Médecins sans frontières (MSF). 259 Se référer à la section sur le réseau d’information dans le rôle de l’eurodéputé, chapitre 4, section 4.1.3. 260 Le terme de groupe de travail est spécifique au fonctionnement de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le règlement de ces institutions interdit les intergroupes en tant que représentation d’un intérêt spécifique contraire aux principes quasi sacrés de représentation nationale. Le moyen que les députés ont trouvé pour contourner l’obstacle est la création de groupes de travail sur un sujet spécifique. Ces derniers bénéficient du soutien des institutions en termes de salles, et même de secrétariat. Nous reprenons l’expression dans cette étude: tant la situation française que l’étymologie de l’expression sont pertinentes pour la situation européenne.

304 L’espace politique des intergroupes parlementaires européens

1982, 811). Cette pratique est connue des Parlements nationaux grec et portugais où ce type de groupement est le seul qui soit reconnu 261 . Plus substantiel, les groupes d’études « sont constitués à partir d’un critère fonctionnel; ils expriment une certaine spécialisation des parlementaires. L’évolution des groupes d’études suit fidèlement l’évolution des interventions de la puissance publique » (Pontier, 1982, 811). Cette définition démontre bien comment la plupart des intergroupes au Parlement européen ont fonctionné. Au-delà de l’aspect des nouvelles sphères de la puissance publique, les intergroupes européens se sont souvent démarqués par leur capacité d’anticipation. Dès 1980-85, on trouve des intergroupes sur les problèmes de la santé, du social, de la protection des animaux. Au niveau européen, les députés ont voulu aller plus loin que ce qu’autorisent les traités. Par ailleurs, la prise en compte actuelle de ces intérêts autrefois mineurs n’est pas due au hasard. Témoin d’une évolution de la société civile, les intergroupes ont pu être prospectifs dans leur manière de travailler et d’amener les problématiques. Similairement, les groupes d’études se retrouvent dans les pays du groupe 3 et 4, et dans une moindre mesure du groupe 2 262 . Le dernier type d’intergroupe est l’Amicale qui regroupe des parlementaires et, parfois, des non- parlementaires (Pontier, 1982, 811) mus par une passion, dans le sens loisir, commune. Ainsi, une Amicale au Parlement européen serait plus proche des groupes de députés qui, par exemple, jouent au golf. Ce type de groupement existe dans quasiment tous les États membres, que ce soit sous la forme d’intergroupe ou non.

Les trois types d’intergroupe démontrent les différences qu’on peut trouver entre ces réunions de députés. La catégorie des intergroupes/groupes d’études est la plus prisée. Les eurodéputés n’ont que peu utilisé les différentes structures. Il existe toujours des cas limites où le domaine de l’intergroupe se situe entre le groupe d’études et l’Amicale. En exemple, je citerai l’intergroupe ‘Viticulture-Tradition-Qualité’. L’action de ce dernier est orientée d’une part vers la protection des vignerons lorsqu’elle touche, notamment, à la fiscalité, les appellations d’origine contrôlée (AOC). Parallèlement, les députés membres voyagent dans les pays producteurs pour effectuer des dégustations de vins locaux. Cette dernière activité, bien que nécessaire à la bonne connaissance du produit, reste plus proche de l’activité d’une Amicale que d’un groupe d’études.

Alors qu’en France, les intergroupes ont un secrétariat assuré par un fonctionnaire de l’Assemblée nationale, au niveau européen, cette facilité n’est pas attribuée. De plus, cette particularité de fonctionnement est vivement ressentie dans les groupes dit d’études, car ils sont orientés vers une thématique spécifique. En effet, il faut convier des invités, prendre le temps d’approfondir un domaine, trouver la documentation. La lourdeur du travail a créé une différenciation fonctionnelle entre les intergroupes / groupes d’études. On peut constituer quatre catégories. La première est celle où le secrétariat est pleinement assumé par une ONG ou une personne extérieure. La deuxième, dite mixte, consiste en une prise en charge partagée entre une personne physique ou morale, extérieure au Parlement européen, et un secrétariat d’un ou plusieurs députés. La troisième solution consiste dans le contrôle complet de l’intergroupe par des personnes internes au Parlement, députés ou groupes politiques. Enfin, il y a des cas où ces données de fonctionnement ne sont pas disponibles. Il est

261 Il faut se référer au tableau 6.1 qui dispose par catégories les États membres en fonction de leur législation avec les intergroupes. 262 Idem

305 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’ probable que ces intergroupes se partagent entre la catégorie dite mixte et celle de secrétariat interne (voir tableau 10.1).

4.2. Analyse de situation des intergroupes

Lors des précédentes législatures, le constat en matière d’intergroupes fut assez tranché. On ne dénombre pas moins de 56 intergroupes officiellement déclarés, dont 47 (83,9%) sont des groupes d’études 263 . Les autres catégories sont sûrement plus nombreuses, mais les députés n’ont pas cherché à obtenir la reconnaissance de leur intergroupe ou n’ont pas besoin d’utiliser les ressources du Parlement. En conclusion, le fait du nombre plus important des intergroupes/groupes d’études nous amène à définir l’intergroupe comme un groupement de députés issus de tout bord politique sur un thème défini. De surcroît, le besoin de reconnaissance est particulièrement sensible pour les groupes d’études. Les Amicales et les groupes d’amitiés peuvent travailler sans avoir nécessairement besoin de la structure parlementaire. Le fait qu’il y ait trop d’intergroupes ne signifie pas qu’il y ait un surcroît d’influence extérieure dans le Parlement, car dans la plupart des cas, les députés sont maîtres de leur agenda.

Depuis la cinquième législature et les nouvelles règles sur les intergroupes, le nombre est limité de façon draconienne 264 . Certains de ceux que nous avons connus durant la précédente législature continuent leur action sous une forme ad hoc. La nouvelle donne complique la tâche en matière de ‘traçabilité’ des intergroupes. Cette réglementation limite le champ d’action, et ne permet qu’une étude des intergroupes enregistrés. Les autres intergroupes non reconnus deviennent plus ou moins des groupements de députés 265 . En effet, la question des facilités accordées au Parlement européen va poser le problème de la tenue des sessions. Il faut rappeler qu’un intergroupe est caractérisé par sa tenue des séances dans l’enceinte du Parlement.

Lors de la cinquième législature, on a pu dresser le constat de la tendance au regroupement de plusieurs intergroupes en un seul (voir tableau 10.1). Le cas de l’intergroupe ‘Santé’ est remarquable. Les intergroupes ‘Forum santé’, ‘Médecines complémentaires’, et ‘Développement durable’ se sont unis afin d’être sûrs de pouvoir obtenir les signatures nécessaires. On assiste ainsi à la création d’un pôle ‘Santé’ au Parlement européen. L’intergroupe ‘Cinéma, politique audiovisuel et propriété intellectuelle’ en est un autre exemple. Toutefois, il s’agit d’une fusion entre un ancien intergroupe (audiovisuel) et un nouveau (propriété intellectuelle). Ces unions sont une résultante directe de la limitation des signatures. Certains intergroupes encore non reconnus devront probablement s’unir selon les thématiques, ou joindre un intergroupe existant afin d’obtenir les autorisations nécessaires. Les conséquences de ce développement sont de deux ordres: l’intergroupe devient une sorte de commission parlementaire titanesque où un nombre impressionnant de problématiques est abordé.

263 La remarque sur la qualité du groupe d’études et sa part d’Amicale pour certains s’appliquent pleinement. Toutefois, le nombre est tout de même pertinent. 264 Avec le système de la clef de répartition des signatures, on arrive à un maximum de vingt-six intergroupes (voir chapitre 6.4.2 et tableau 6.2), en lieu et place de cinquante-quatre (compte de novembre 1998, voir rapport Spiers PE221.685/revII). 265 A ce propos, il peut être utile pour le lecteur de consulter le site de l’eurodéputé Alain Lipietz (FR, V/ALE) concernant l’ancien intergroupe non-renouvelé Tiers secteur, et les conséquences qui s’ensuivent : http://lipietz.net/TiersSecteur/TIE_list.htm

306 L’espace politique des intergroupes parlementaires européens

Par la suite, c’est la manière dont les communications se feront à l’intérieur de l’intergroupe et l’ agenda-control qui assurera sa survie, et prouvera son efficacité. En donnant une certaine légitimité aux intergroupes, ceux-ci deviennent des acteurs de plus en plus importants au niveau parlementaire. Les nouveaux thèmes en développement sont dans le domaine économico-commercial, notamment l’OMC et la taxe Tobin. Cette évolution se développe au détriment des intergroupes qui s’occupaient des droits de l’homme, comme ceux sur les peuples indigènes. L’autre tendance est le maintien de quasi tous les intergroupes qui s’occupent du registre de politiques publiques, tels que la santé, la protection des consommateurs, et, bien sûr, le très puissant intergroupe sur la protection des animaux.

La sixième législature (2004-2009) est marquée par la reconnaissance de vingt-cinq intergroupes, soit cinq de plus qu’en 2000. Les groupes politiques ont ici profité de la nouvelle clef de répartition (voir tableau 6.2.) pour maximiser le nombre d’intergroupes. En effet, le nombre mathématique maximal est de vingt-six 266 . Les regroupements d’intergroupe sont ainsi moins présents que lors de la législature précédente. On retrouve également douze intergroupes déjà officiellement reconnus en 2000 qui continuent leur exercice en 2004, soit près de la moitié (48%). Sur l’ensemble des intergroupes nouvellement officialisés, huit ont eu une activité ‘officieuse’ lors des précédentes législatures. Il n’y a ainsi que cinq intergroupes nouveaux, dont deux trouvent leur source dans des regroupements auparavant existants (Globalisation et TUC). Sur les vingt intergroupes actifs et reconnus en 2000, sept sortent de la liste. Toutefois, certains continueront à oeuvrer officieusement à l’instar de l’intergroupe ‘Îles’.

Après l’élimination des groupes d’amitié, il ne reste plus que des groupes d’études. Ces derniers se trouvent ainsi dans une logique de développement des nouvelles problématiques au sein du Parlement. Également, on observe que les négociations pour l’obtention des trois signatures donnent lieu à des choix et des indications sur les priorités des parlementaires et des groupes politiques. En effet, même si l’intergroupe est un groupement officieux, la collecte des signatures donne lieu à un véritable choix qui éclaire sur les nouvelles priorités qui seront probablement également abordées en commission durant la législature. On observe ainsi un retour des questions liées à l’agriculture (notamment la viticulture), les questions de défense des minorités, la famille, la bioéthique et aussi un débat sur la frontière orientale de l’Union européenne, conséquence de l’élargissement, avec l’intergroupe ‘ Baltic Europe (& Kaliningrad)’ . Enfin, le nouvel intergroupe ‘Santé et Consommateurs’ renforce le pôle Santé au sein du Parlement européen avec en plus le lien avec la consommation. Cet intergroupe est soutenu par deux associations importantes, l’EPHA pour le pôle Santé, et le BEUC sur la consommation.

266 La distribution est probablement plus aisée avec le gain de deux pour le groupe ADLE (ex-ELDR) de 8 à 10, ainsi que le minimum de signatures donné à 5. Dans l’absolu, le nombre de signatures demeure inchangé (79), mais la distribution officielle évolue (21-21-8-8-8-5-4-4) à (21-21-10-8-8-6-5).

307 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

Tableau 10.1. Évolution des intergroupes officiellement enregistrés entre la Vème et la VIème législature 267

Secrétariat 2000 268 2004 ATD Quart Monde* ATD Quart Monde Animal Welfare* Welfare and Conservation of Animals Santé et médecine complémentaire, population, Santé et consommateurs** développement durable et démographie** Chasse, pêche et environnement* Chasse durable, biodiversité et activités Externe rurales Handicapés* Handicapés Third and Fourth Age* Ageing Constitution européenne Constitution européenne Paneuropéen* - Taxation du capital fiscalité, mondialisation -

Mixte Minority Language Traditional National Minorities, Constitutional Regions and Regional Languages Cinéma, audiovisuel et propriété Cinéma, politique audiovisuelle et diversité intellectuelle** culturelle Initiatives pour la paix Initiatives de paix Stateless Nations - Interne Antiracism/Antifascism Anti-Racism and Diversity Tibet* Tibet Grouped’études SOS Démocratie*** - Ciel et Espace* Ciel et Espace OMC/WTO - Îles*** - Baltic Europe Globalisation Conservation et développement durable*** Famille et protection de l’enfance*** N/D Droit des Gays et des Lesbiennes *** Presse, communication et liberté PME*** Tourisme*** Trade Union Coordination Urban – Logement Viticulture, tradition, qualité*** Groupe d’amitié Amitié avec l’État Hébreu Total 20 24 Source : Dutoit, 2003, 130 ; Corbett et al. , 2005, 178-179 ; PE360.492, 24 octobre 2005. Légende : * : intergroupe reconduit au moment du changement de système (clef de répartition) ; ** : intergroupe ayant survécu au changement de système grâce à un regroupement ; *** : Intergroupe ayant vécu ou continuant à vivre en-dehors de la réglementation officielle.

267 Pour une liste complète avec les intergroupes non enregistrés, voir Annexe 2 268 Cette liste des intergroupes ayant obtenu les trois signatures est soumise au conditionnel. En effet, les sources en la matière se contredisent ce qui prouve bien la confusion régnante. D’une part, j’ai en ma possession une liste émanant des groupes politiques en date du 5 mai 2000 avec dix-neuf intergroupes acceptés. Cette liste est confirmée par le site des eurodéputés verts français (http://www.transnat.org/elus-parlement-europeen.htm#carr4-2). Cette dernière à été établie fin 2000. Elle compte vingt intergroupes. Enfin, le rapport d’activités du parlement établi par la direction de la programmation des travaux parlementaires (PE 299.524) compte seize intergroupes officiels au 9 janvier 2001 en conformité avec la réglementation de la Conférence des présidents du 16 décembre 1999. Le problème se pose surtout quant à la liste établie par ce service qui relève deux intergroupes supplémentaires, ‘Protection de l’enfant et de la famille’, et ‘Viticulture, tradition et qualité’, qui auraient été reconduits. Par contre, plusieurs intergroupes disparaissent de la liste : ‘Ciel et espace’, ‘Santé’, ‘Constitution européenne’, ‘OMC’, ‘SOS Démocratie’, et ‘Îles’. Toutefois, cette dernière liste, même s’il s’agit de la plus officielle, ne sera que partiellement prise en compte en raison des informations et des recherches effectuées en 2002 qui tendent plutôt à confirmer les premières sources des groupes politiques.

308 L’espace politique des intergroupes parlementaires européens

4.3. La pratique des intergroupes : Quatre études de cas

Après avoir défini les contours des intergroupes, il faut étudier leur efficacité et leur mode concret de fonctionnement. L’analyse qui suit se base sur la sélection de quatre exemples types, selon les différentes formes et structures adoptées par les intergroupes durant les dernières législatures. Les cas choisis sont des cas-indices dans un domaine. Le groupe sur la protection des animaux est un des plus anciens intergroupes existants, et surtout l’un des plus efficaces, si l’on se réfère à la littérature sur le Parlement européen (Abélès, 1992, 324-30 ; Corbett et al. , 1995, 175- 178 ; Costa, 2001, 344-351 ; Westlake, 1995, 206). L’intergroupe ‘Constitution européenne’ est nouvellement créé avec un long passé fédéraliste dont les racines remontent à 1947. De plus, le secrétariat de l’intergroupe est assuré de façon mixte. Ceci est également le cas de l’intergroupe suivant, celui maintenant dédié à la santé et aux consommateurs. Le cas de la santé est intéressant à deux titres. Premièrement, il s’agissait d’un des premiers intergroupes fusionnés en 2000, avec un élargissement en 2005 à la thématiques des consommateurs. Deuxièmement, comme nous le verrons, la santé est une thématique importante dans le cas des futurs agents de souveraineté. Finalement, le groupe Kangourou est un exemple intéressant, car il se situe à la limite de ce qu’est un intergroupe et de ce qui ne l’est pas. Comme nous le verrons, ce groupe n’est pas un véritable intergroupe, mais une association internationale sans but lucratif (AISBL). Le choix de l’intégrer dans l’étude des intergroupes se justifie pour deux raisons : En premier lieu, la nature du groupe Kangourou est ambiguë. En effet, tant par sa composition que par son action, il répond à la définition de l’intergroupe. Ensuite, la littérature sur le sujet (Abélès, 1992, 332 ; Corbett et al. , 1995, 171) le classe comme un intergroupe, bien que les membres du Kangourou s’en défendent.

L’analyse des intergroupes se fera sur la base du modèle proposé par Richard Corbett, Francis Jacobs et Michael Shackleton (1995, 175-178). La grille d’analyse propose un découpage en trois étapes. Premièrement, le sujet doit être clairement identifié par ses buts et objectifs. Deuxièmement, l’historique et la structure politique de l’intergroupe permettent un affinement de l’étude de l’influence. Finalement, les méthodes de travail adoptées par ces différents intergroupes et leur efficacité respective termineront l’ensemble de l’analyse. Bien que difficilement comparable en raison des formes multiples prises par les intergroupes, il apparaît nécessaire d’utiliser une grille d’analyse qui permette de rendre le plus objectivement un compte-rendu du travail fourni par les intergroupes.

En conclusion l’analyse de ces cas s’avère nécessaire pour étudier la pertinence de la proposition de l’inclusion de la société civile dans la gouvernance européenne. En effet, dans le cas où il n’existerait ni enjeu ni utilité, l’ensemble de la thématique devrait être redéfini dans un cadre différent que celui des intergroupes ou nous devrions revoir le rôle prétendu de la société civile.

309 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

4.3.1. Intergroupe ‘Bien-être et protection des animaux’ 269

Sujet d’étude. – L’objectif de l’intergroupe est « to discuss European and international animal welfare issues and, where appropriate, take initiatives which can lead to legislation »270 . Deux options se dégagent de cet objectif de promotion de la défense des animaux: d’une part, l’information des députés et, de l’autre, une politique de mise sous pression pour conduire à une nouvelle législation. L’action de l’intergroupe est choisie, car elle regroupe des députés de divers partis et, surtout, venant de diverses commissions, en particulier Environnement, agriculture, pêche, et Industries. En outre, cet intergroupe est soutenu formellement 271 par les groupes PPE- DE, PSE, et les Verts/ALE.

Historique. – L’intergroupe existe depuis 1983. Il est soutenu au niveau du secrétariat par l’ Eurogroup for Animal Welfare 272 . Cette association regroupe différentes sociétés nationales de protection des animaux (SPA) 273 . La structure de cet intergroupe est très forte. La mise en place d’une plate-forme commune aux SPA des pays de l’Union a eu pour effet de renforcer les revendications de ces associations. L’Eurogroup a vu le jour en 1980 comme coordinateur de ces différents mouvements (Corbett et al. , 1995, 175). Au-delà d’un effort de coordination, il a désormais très nettement pour objectif de promouvoir la protection des animaux par tous les moyens 274 , et sert d’intermédiaire entre la société civile et les députés sensibles à ces préoccupations. Le mandat de l’Eurogroup est plus large que l’action vers le Parlement. En parallèle, il agit aussi en tant que lobby envers toutes les institutions (Abélès, 1992, 330).

Structure, accessibilité, membership. – Les rencontres de l’intergroupe sont patronnées par l’Eurogroup. En général, le directeur de l’Eurogroup et une personne chargée du secteur politique sont présents. En plus du procès-verbal des réunions, l’Eurogroup publie aussi un bulletin, dit EuroBulletin, énumérant pour les membres, notamment, l’ensemble des problématiques abordées par le Parlement, les questions posées, les futures actions de la Commission. L’administration de la plate-forme bruxelloise pour les animaux est très forte et très bien structurée. L’action étant autant interne qu’externe, les membres de l’Eurogroup sont avertis des travaux parlementaires. Il est aussi présent pour aider les députés dans la rédaction et la formulation de résolutions (Abélès, 1992, 329). L’intergroupe est ouvert à tous les députés du Parlement européen. En 1995, la moyenne de fréquentation est entre 20 et 30 députés, bien que la liste des députés intéressés soit plus longue (Ibid., 330 ; Corbett et al. , 1995, 176).

269 On peut trouver des informations utiles sur les activités de l’intergroupe sur le site ‘officiel’ : http://www.eurogroupanimalwelfare.org/intergroup/intergroup.htm 270 Issu d’une plaquette présentant ‘ Eurogroup for Animal Welfare ’, 1995. 271 C’est-à-dire selon les trois signatures requises pour l’acceptation officielle de tout intergroupe au sein du Parlement européen. 272 Eurogroup for Animal Welfare, 1999, Annual Report , 1999; et site internet: http://www.eurogroupanimalwelfare.org 273 En 1995, il regroupait douze SPA de onze pays différents (Belgique, Allemagne, Danemark, Espagne, France, Grèce, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Grande-Bretagne, et The World Society for the Protection of Animal de Londres). Selon Marc Abélès, il s’agit des douze plus puissantes organisations (1992, 329). 274 Selon la même plaquette: Lobbying for animal welfare legislation: Eurogroup works towards the introduction, implementation and enforcement of animal welfare legislation in the European Union .

310 L’espace politique des intergroupes parlementaires européens

La participation à l’intergroupe est relative au sujet abordé (Abélès, 1992, 330), et on peut aussi constater un intérêt différent entre les députés de l’Europe du Nord et ceux du Sud. Ainsi, les députés britanniques, irlandais, allemands et néerlandais fréquentent assidûment les réunions de l’intergroupe, notamment en raison de l’abondance du courrier qu’ils reçoivent et, donc, de la sensibilité de leur électorat sur cette problématique, tandis qu’on constate aussi un intérêt moindre de la part des Espagnols, des Français et des Grecs (Corbett et al. , 1995, 176). Finalement, on doit aussi relever que l’assise de cet intergroupe va au-delà des trois groupes signataires en incluant les groupes ex-ELDR et GUE par une présence au bureau.

Méthodes de travail. – Les réunions ont lieu à Strasbourg une fois par mois. Chaque député y est invité. Le droit de parole est réservé aux seuls députés durant les réunions. Toutefois, des intervenants externes assistent aux réunions 275 . L’agenda de l’intergroupe est déterminé selon l’actualité de la législation en cours devant le Parlement ou sur les projets de la Commission européenne. L’ordre du jour peut concerner également des sujets généraux sur lesquels les membres souhaiteraient susciter une action parlementaire. De plus, l’intergroupe dispose d’une forte capacité de mobilisation en cas de proposition allant à l’encontre des projets visant à sauvegarder les animaux. Il est indéniable que l’intergroupe concentre son influence sur les travaux de la commission de l’environnement et, d’une certaine manière, sur la Commission européenne (Abélès, 1992, 329). En règle générale, les salles sont mises à disposition par le groupe politique qui détient la présidence. Une traduction en anglais, en français et en allemand est assurée en tous les cas, tandis que les procès- verbaux ne sont disponibles qu’en français et en anglais. L’intergroupe agit sur une base consensuelle, et non en fonction de votes à la majorité. Le secrétariat de l’intergroupe établi à Bruxelles se déplace à Strasbourg durant les sessions, et dispose d’un stand dans l’enceinte du Parlement (Corbett et al. , 1995, 177).

Efficacité et résultats. – Le rôle de l’intergroupe a été très important. Par ailleurs, les groupes de protection des animaux peuvent observer une tournure favorable de la situation à l’égard des animaux. En effet, sous l’action, entre autres, de l’intergroupe et de l’Eurogroup, le Traité d’Amsterdam a intégré une déclaration significative dans ce domaine 276 . Le succès indéniable de l’intergroupe est surtout visible dans le domaine de l’interdiction d’importer dans l’ensemble de l’Union des produits issus de bébés phoques (Abélès, 1992, 325). L’action sur les fourrures a aussi eu un grand retentissement. L’intergroupe a réussi à obtenir 272 signatures contre les fourrures (Corbett et al. , 1995, 177). La déclaration qu’il a élaborée fut discutée en commission et adoptée en séance plénière par le Parlement. L’attention européenne fut aussi attirée notamment sur les méthodes d’arrachage des cuisses de grenouilles, du traitement des truites, ainsi que le transport des animaux de boucheries, et les filets dérivants. (Costa, 2001,347). Certains domaines eurent des résultats moins probants, notamment dans le domaine des sports cruels, tels que la corrida. En réponse à l’action de l’intergroupe Protection des animaux, un intergroupe pour la tauromachie (Abélès, 1992, 328) s’était constitué afin de préserver cette ‘tradition méditerranéenne’ (Echegut, 1996, 14 ; Perrin, 1991, 12). Une preuve du succès de cet intergroupe sur la protection des animaux est qu’il n’a pas que des amis. Depuis 1985, l’intergroupe ‘Chasse, pêche et environnement’, soutenu par l’organisation FACE, se

275 En 1999, l’intergroupe a reçu, entre autres, Mireille Cossy (OMC) et Caroline Jackson (présidente de la commission de l’environnement). 276 Protocole N°10 (Amsterdam), Protocole N° 24 (Maastricht).

311 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’ bat pour préserver ses traditions. Selon le questionnaire remis à cet intergroupe, il a vraiment été mis en place pour faire contre-poids à l’action de certains députés contre ce que les anglo-saxons appellent les fieldsports .

4.3.2. ‘Constitution européenne’ 277

Sujet d’étude. – L’intergroupe a pour objectif de « doter l’Europe d’une constitution […] élaborée par les représentants des citoyens européens 278 , qui doivent décider sur un pied d’égalité avec les gouvernements nationaux »279 . Afin d’atteindre cet objectif, le bureau de l’intergroupe a établi les exigences suivantes: « - une nouvelle méthode permettant la participation effective du Parlement européen à la révision des traités, - la constitutionnalisation de l’Union européenne, - un dialogue entre le Parlement européen et les parlements nationaux sur cette constitutionnalisation, - un large débat avec les citoyens et la société civile sur les orientations constitutionnelles de l’Union »280 . Cet intergroupe est formellement soutenu par les groupes PPE-DE, PSE et ADLE.

Historique. – L’intergroupe est en lui-même très récent. Il a été lancé en juillet 1999 à l’initiative de quatorze députés appartenant au PPE, PSE, ex-ELDR, les Verts, et la GUE. Toutefois, il est dans la mouvance des intergroupes fédéralistes tels qu’ils existaient sous le nom de Club du Crocodile. La relance de l’intergroupe est due à l’impulsion de Jo Leinen (DE, PSE), président de l’Union européenne des fédéralistes (UEF). Celle-ci a été créée en décembre 1946, et s’est aussitôt rendue célèbre par l’organisation de son premier congrès à Montreux, en août 1947. Traversant des années de turbulences, l’UEF revient dans l’arène politique européenne en 1950 pour développer le thème d’un ‘pacte fédéral européen’, avant de lancer en 1956-60 une campagne pour le Congrès du peuple européen 281 . Elle regroupe aujourd’hui plusieurs mouvements fédéralistes dans quatorze pays 282 . Également, l’intergroupe a un long et riche passé derrière lui. En effet, Altiero Spinelli a créé le Club du Crocodile qui œuvrait très fortement en faveur d’une Europe fédérale. À la mort de son initiateur en 1986 fut créé l’intergroupe fédéraliste pour l’Union européenne. Les eurodéputés participants à cet intergroupe furent ceux qui pensaient que l’Acte unique n’allait pas assez loin (Corbett et al. , 1995, 173) En quelque sorte, l’intergroupe Constitution européenne est au sein du Parlement l’héritier de cette tradition fédéraliste.

Structure, accessibilité, membership. – Le secrétariat est assuré par l’UEF. Le président de celle-ci, on l’a vu, n’est autre que Jo Leinen. Les mailing lists,

277 On trouve des informations sur le site, patronné par l’UEF, http://fr.federaleurope.org/index.php?id=3398 (mise à jour fin 2006). 278 Il ne faut pas se tromper. Les fédéralistes européens ne souhaitent pas une Europe plus citoyenne. Ils partent du constat que seule la représentation garantit aux citoyens un processus démocratique. Dès lors, un intergroupe Référendum européen aurait aussi sa place dans le cadre du Parlement. 279 Invitation à la première réunion de l’Intergroupe Constitution européenne . 280 Communiqué de presse, 16 septembre 1999. 281 Historique tiré du site http://www.eurplace.org/orga/uef/origines.html 282 Belgique, Allemagne, Grèce, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Autriche, Pologne, Portugal, Suisse et Royaume-Uni.

312 L’espace politique des intergroupes parlementaires européens convocations, et probablement les réservations de salles, dépendaient en 2000 du secrétariat de Monica Frassoni (IT, V). L’intergroupe est ouvert à tous les députés. La liste des députés intéressés compte près de 170 représentants. Les jours de réunion, on compte en moyenne une trentaine de députés. Le record a été établi lors de la première réunion où ont été élaborés les objectifs: près de soixante députés étaient présents. L’audience fluctue naturellement selon les sujets abordés. La structure de la participation par États reflète les orientations nationales. Les plus présents sont les Allemands et les Italiens. Pour ces derniers, la raison est probablement liée au référendum pro-européen du 18 juin 1989 où l’acceptation populaire se montait à 88 % avec une participation de 85% 283 . Les moins présents sont les Danois et les Britanniques. Dans cet intergroupe aussi, le bureau est composé de députés issus des cinq groupes politiques les plus importants en nombre, pour les mêmes raisons que dans l’intergroupe précédent.

Méthodes de travail. – Les réunions de l’intergroupe sont mensuelles et se tiennent à Strasbourg. Les invitations sont distribuées à tous les députés et par voie d’affiches. Il existe aussi une mailing list par laquelle des personnes extérieures au Parlement peuvent être informées des actions de l’intergroupe. À l’intérieur de l’intergroupe, nous ignorons comment se passent les prises de paroles. Selon les éléments en nos mains, il est fort probable que les députés ont seuls le droit à la parole.

Efficacité et résultats. – Il est encore un peu tôt pour juger de l’efficacité de cet intergroupe. Actuellement, il travaille sur plusieurs voies afin de parvenir à son objectif, comme la co-décision constitutionnelle, la mise en place d’un site internet de débat contradictoire sur la Constitution européenne 284 , et, également, la collaboration avec des intergroupes fédéralistes d’autres parlements, notamment le Parlement italien.

Historiquement, le Club du Crocodile, intergroupe fondateur, avait obtenu en 1984 la création d’une commission des affaires institutionnelles. Or, cette dernière a été à l’origine des propositions du Parlement pour le Traité sur l’Union européenne qui se transforma en négociation pour l’Acte unique (Corbett et al. , 1995, 173). Depuis 1999, cette commission est devenue celle des affaires constitutionnelles 285 . En outre, l’intergroupe s’est signalé lors de la Conférence intergouvernementale de Nice par l’organisation de manifestations sur place en vue de promouvoir les objectifs fédéralistes (Vacca, 2001, 8-9). De plus, les eurodéputés membres de l’intergroupe ont lors de leur dernière réunion du 14 février 2001 marqué leur volonté par un appel portant le titre ‘Oui à une constitution européenne, Non à l’esprit de Nice’ 286 . Pour la mise en place d’une Constitution, l’intergroupe est chargé d’établir un lien entre l’UEF et la Convention, notamment par le biais d’un intergroupe fédéraliste au sein de cette dernière 287 . En outre, il est intéressant de relever que le rapport du Parlement

283 C2D: http://www.c2d.unige.ch/INTER/votedetails.msql?Code=724. C’est un exemple unique de référendum dans un pays de l’Union où le sujet est la mise en œuvre future d’une Constitution européenne. 284 Dans une certaine mesure, il faut se référer à la campagne lancée pour une Constitution européenne sur le site : http://www.euraction.org/ 285 Cela répond encore mieux aux volontés des fédéralistes européens qui souhaitent la mise en œuvre d’un travail constitutionnel pour l’Union. 286 Tiré du site http://www.mfe.it/mfe3/jefinfo/jefinfo-inglese/info16022001.txt 287 Les jeunes européens - France, Convention sur l’avenir de l’Europe , n°2, 9 mai 2002, p.3.

313 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’ européen sur le Conseil européen de Laeken et l’avenir de l’Union (A5-0368/2001) est cosigné par Jo Leinen, et que ce même rapport recommande l’écriture d’une Constitution européenne. À l’instar des protecteurs des animaux, l’action des fédéralistes rencontre aussi une opposition au sein du parlement avec l’intergroupe, maintenant ‘officieux’, ‘SOS Démocratie’ de Jens-Peter Bonde (DK, IND/DEM) qui lui est un fervent défenseur des États-nations et se met en porte-à-faux de l’intergroupe fédéraliste 288 .

4.3.3. ‘Santé et médecine complémentaire, population, développement durable et démographie’ / ‘Santé et consommateurs’ 289 depuis avril 2005

Sujet d’étude. – Cet intergroupe est une résultante des règlements. En effet, l’intergroupe a été créé par fusion dans le courant de l’année 2000. Auparavant, il existait trois intergroupes différents, un s’occupant des médecines complémentaires (depuis 1995), un autre du développement durable, et enfin un de la santé en général (depuis 1990). Formellement soutenu par les groupes PPE-DE, PSE et les Verts/ALE, cet intergroupe est un pôle de discussion important sur la santé en Europe. Il est intéressant de relever l’histoire de cet intergroupe il est l’exemple type des regroupements ayant eu lieu en 2000. Également, il faut relever que depuis 2005 l’intergroupe ‘Santé’ a ajouté la composante ‘consommateur’ afin de renforcer la présence des thématiques jointes dans les commissions du Parlement.

Historique. – Si la formation de cet intergroupe est récente, ses composantes sont installées dans le Parlement depuis quelque temps déjà. L’intergroupe ‘Forum santé’ est né en 1990 sous l’impulsion d’une députée européenne d’alors, Adriana Ceci (IT, GUE). Une plate-forme regroupant différentes associations du monde de la santé s’occupait du secrétariat de ce groupe. Il s’agit de l’Alliance européenne pour la santé publique (EPHA). Les médecines complémentaires sont apparues sur la scène européenne en 1995, lors du débat sur les éléments-traces. Paul Lannoye (BE, V) a développé un intergroupe s’occupant de ces problématiques en collaboration avec l’association Procomed, aujourd’hui disparue. Les trois intergroupes ne pouvaient pas forcément trouver les trois signatures nécessaires individuellement, d’où une union pour la continuation de l’activité. En parallèle, l’intergroupe ‘Consommateur’, soutenu par le Bureau européen des consommateurs (BEUC), agit au Parlement européen depuis 1989. En 2000, il ne fait pas partie de la liste des intergroupes enregistrés, mais continue son activité. Ainsi, c’est en s’unissant avec l’intergroupe ‘santé et médecine complémentaire, population, développement durable et démographie’ devant ‘Santé’ que les unions de consommateurs trouvent un intergroupe enregistré.

Structure, accessibilité, membership. – Comme nous l’avons vu, l’intergroupe ‘Forum santé’ a été soutenu dès l’origine par l’EPHA 290 . Celle-ci agit d’ailleurs en parfaite transparence sur les activités de l’intergroupe, elle gère son site internet et publie une newsletter . Au niveau organisationnel, l’intergroupe fonctionnait par le biais de groupes de travail, avec un secrétariat différent selon le groupe de travail concerné.

288 Le site http://www.bonde.com/?sid=540 peut fournir des informations complémentaires en la matière. 289 Le site officiel de l’integroupe est : http://intergroup.epha.org 290 voir: http://www.epha.org

314 L’espace politique des intergroupes parlementaires européens

Nous manquons d’informations pour affirmer si EPHA s’occupait de l’intergroupe en général ou uniquement du groupe de travail ‘Santé’. La partie consommateur est gérée par le BEUC 291 . En général, la participation aux réunions est ouverte à tous les députés du Parlement, et les groupes de travail reçoivent souvent des intervenants externes selon les problématiques abordées. L’intergroupe compte actuellement un peu moins de soixante membres provenant de tous bords politiques.

Méthodes de travail. – Avant 2005, cet intergroupe étant un amalgame de plusieurs, la présidence était partagée entre trois députés, chacun s’occupant d’un groupe de travail qui était, en réalité, l’ancien intergroupe, à savoir Forum Santé, Médecines complémentaires et Développement durable. Maintenant, nous trouvons une co- présidence, et un bureau comptant onze vice-présidents.

Efficacité et résultats. – L’évaluation des résultats est encore difficile. Toutefois, nous pouvons citer les résultats obtenus durant la précédente législature par les intergroupes ‘Santé’ et ‘Médecines complémentaires’. Ce dernier a surtout joué un rôle informatif sur les développements de cette médecine. Le rapport de Paul Lannoye sur le statut des médecines non-conventionnelles (A4-0075/97) a été très suivi au sein de l’intergroupe. De plus, de nombreuses propositions de réglementations sont passées devant l’intergroupe avec des invités de nombreux organismes de santé en Europe, permettant un meilleur niveau de compréhension entre le rapporteur et la société civile. Le Forum santé a eu aussi un rôle très informatif. Toutefois, sur certaines problématiques, il a cherché des alliances, avant 2005, avec l’intergroupe sur la protection des consommateurs, notamment sur la question du tabac 292 et des produits chimiques. La partie développement durable de cet intergroupe a contribué à l’adoption en procédure de conciliation du rapport ayant pour titre : ‘Environnement: évaluation des incidences de certains plans et programmes’ 293 .

4.3.4. Groupe ‘Kangourou’ 294

Sujet d’étude. – La particularité de ce regroupement de députés est de ne pas être un intergroupe. C’est une association internationale sans but lucratif (AISBL). La sélection de cette association dans l’étude de cas est due à l’activité surprenante du groupe Kangourou. De plus, beaucoup l’associent à un intergroupe (Abélès, 1992, 332 ; Corbett et al. , 1995, 171). L’objectif de cette association est de promouvoir la libre circulation dans l’Union. Le nom de Kangourou a été choisi en raison de cet objectif, symboliquement représenté par ce mammifère qui peut sauter au-dessus des barrières.

Historique. – Il fut fondé en 1979 sous l’égide de Basil de Ferranti, entrepreneur britannique, député conservateur au Parlement européen de 1979 à 1988 et ancien président du Comité économique et social. Il s’agit donc, aux côtés du Club du

291 voir http://www.beuc.org 292 Il est présomptueux d’attribuer le développement au niveau européen du combat contre le tabac à ses deux associations. Toutefois, nous ne pouvons nier un rôle du fait du poids de ces intergroupes. 293 Référence du rapport : PE A5-0196/2000 et PE A5-0177/2001, informations de http://www.transnat.org/elus-parlement-europeen.htm#carr4-2 294 On trouvera des informations intéressantes sur le site officiel du groupe : http://www.kangaroogroup.org/

315 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

Crocodile, de l’une des plus anciennes réunions de députés. Le groupe Kangourou ne reçoit aucune aide directe du Parlement européen. Toutefois son secrétariat est établi dans le bâtiment Eastman 295 à Bruxelles.

Structure, accessibilité, membership. – Du fait de son statut associatif, le groupe Kangourou doit respecter certaines règles. Il est composé d’un secrétariat exécutif et des membres du bureau. La présidence du secrétariat est assumée par une personne qui n’est pas députée. Les membres se partagent entre des députés et des industriels. Tous les députés peuvent accéder aux réunions du Kangourou. Il suffit de s’acquitter d’une modique somme pour prendre part aux réunions. Par ailleurs, le financement du groupe est assuré par les membres. L’ensemble de la députation européenne reçoit les informations du groupe Kangourou par voie de courrier ou par voie d’affichage. Apparemment, l’ensemble des groupes politiques suivent les travaux du groupe. Les clivages n’existent pas vraiment, malgré des thématiques proches de l’industrie.

Méthodes de travail. – Le groupe Kangourou organise plusieurs repas-conférences lors des réunions de Strasbourg et une grande manifestation bisannuelle. Le groupe publie aussi un bulletin d’information, que reçoivent les membres du groupe. Il est d’usage que les réunions soient organisées dans un des restaurants du Parlement à Strasbourg et que la grande manifestation ait lieu dans une ville qui ne soit pas obligatoirement Bruxelles ou Strasbourg. Des invités du monde académique, des entrepreneurs, des personnalités politiques nationales prennent souvent part à ces repas pour faire part de leurs expériences aux députés. Six groupes de travail préparent les réunions du groupe. Il s’agit des groupes: European Free Sky ; European Food Agency ; European Company Statute ; Innovation ; Telecoms & Information Society ; Taxation.

Efficacité et résultats. – Le groupe Kangourou a joué un rôle important dans le développement de standards européens communs, des réductions des droits de douane, ainsi que dans la mise en œuvre du marché interne en 1992. La dernière conférence annuelle du groupe s’est tenue à Bruxelles en 2001 sur les questions du marché intérieur et du marché global. Depuis, le groupe Kangourou ne fait plus de grandes conférences annuelles, remplacées par des ‘visites’ (la dernière a eu lieu en septembre 2005 en Slovénie). Comme le suivi de l’actualité par le Kangourou est crucial, il organise des Brussels debates et des Strasbourg lunch . On constate que ce groupe bénéficie d’une très bonne information et touche un grand nombre de députés grâce à l’aspect prestigieux du groupe Kangourou (Abélès, 1992, 332). Néanmoins, les quatre libertés ne sont plus le sujet principal du groupe. On perçoit un développement vers des sphères plus actuelles où des problématiques nouvelles se développent, telles que le statut de l’entreprise européenne, l’innovation technologique, la génétique, le e-commerce, etc. L’efficacité du groupe est aussi liée à la qualité des participants. Il n’est pas rare de trouver des ministres, des industriels, des commissaires européens lors des repas du Kangourou.

295 Il s’agit d’un bâtiment en annexe du Parlement européen.

316 L’espace politique des intergroupes parlementaires européens

4.3.5. Synthèse et éléments sur l’efficacité des intergroupes

Les quatre exemples d’intergroupes permettent de faire une brève synthèse des éléments communs ou différenciateurs de ce type de groupement. L’accès libre est une nécessité pour tous. Il n’existe pas de coût pour un député lors de son entrée dans un intergroupe. Ce ne fut pas toujours le cas; l’intergroupe fédéraliste avait une carte de membre à un coût relativement élevé. Il découle de ce libre accès une volonté de réunir un nombre large de députés, afin de représenter toutes les mouvances en lice au sein du Parlement, du moins les cinq plus importantes. L’utilité est de pouvoir ‘récolter large’ en cas de besoin pour s’opposer à un projet de directive de la Commission ou pour faire adopter une résolution parlementaire.

Il s’ensuit que l’information est un terme important. Tous les intergroupes essaient d’informer au mieux les députés sur leurs activités, leurs prochaines réunions, etc. C’est un moyen important de se faire connaître, et aussi de montrer le travail produit dans le cadre du suivi des procédures et de l’influence sur ces dernières. Il n’existe pas de clubs. Chacun est libre de s’informer et de faire le tri entre les activités.

Une des grandes divergences est le mode de fonctionnement où l’on voit des méthodes de travail différentes avec des conditions matérielles qui peuvent aller du secrétariat externe à celui du député ou des sources de financement différentes. Aucun ne travaille de la même manière et sans doute pas sur un pied d’égalité. D’une manière générale, l’étude de cas a permis de répondre à une des interrogations sur les intergroupes afin de définir leur rôle. Ont-ils véritablement une action ? La réponse a été apportée au fur et à mesure de l’exposé. Dès lors, cette action a-t-elle une efficacité ? Nous l’avons vu, les intergroupes sont efficaces. Il est toujours très difficile d’affirmer, en se référant à une législation d’ores et déjà adoptée, que le mérite en revient à un intergroupe. Le processus législatif communautaire est complexe, et les rapports d’intérêts moins aisés à appréhender. En se basant sur un questionnaire 296 remis à certains responsables, on peut faire une brève évaluation des efficacités respectives.

Sur les quinze intergroupes analysés, six évaluent avoir eu une action concrète attestée par des exemples 297 . Quatre estiment avoir eu un rôle important dans la réflexion du Parlement européen. Seuls cinq intergroupes jugent avoir eu des effets très moyens, voire nuls. Toutefois, on remarque que près de 50% des intergroupes contactés jugent qu’ils ont eu un poids réel dans une décision. Ceci est très important dans le cadre de la nécessité de tenir cette démarche. Deux tiers des intergroupes estiment avoir été utiles dans la réflexion du Parlement européen. Ces éléments succincts sont des éléments que l’on peut faire valoir contre ceux qui tiennent les intergroupes pour des instances inutiles.

Les exemples développés dans l’étude des cas nous permettent de dresser une liste des types d’influences utilisés par les intergroupes au sein du Parlement européen. La catégorisation s’effectue autours de trois axes : l’aspect procédural, l’aspect

296 Le questionnaire est mis dans l’annexe 3. L’envoi et le dépouillement ont été faits principalement en 2000 pour étudier la modification de réglementation et les impacts sur l’usage des intergroupes. 297 Création d’un groupe de travail au sein de la Commission; nouvelles lignes de budget; rejet d’une directive; adoption de réglementation; résolutions parlementaires; réforme de politiques communautaires (par exemple PAC).

317 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’ fonctionnel, et l’aspect institutionnel. Le premier aspect est relatif aux procédures existantes au sein du Parlement européen et de leur utilisation par les intergroupes. Cet aspect est notamment lié à la capacité de mobilisation de réunion des intergroupes. Comme nous l’avons vu au chapitre 4, le règlement interne du Parlement contient de nombreuses règles applicables uniquement par les groupes politiques ou un groupe de trente-sept députés. Dans ce cadre, nous retiendrons principalement, la possibilité de présenter des amendements et des résolutions en séances plénières, ainsi que la possibilité d’adresser des questions écrites ou orales à la Commission européenne dans le but de la contraindre à agir (Costa, 2001, 347). Lors de l’analyse des trois exemples, nous avons vu que les intergroupes cherchent à s’imposer en utilisant les procédures du Parlement afin de faire preuve de son efficacité. Pour citer un autre exemple, l’intergroupe ‘Tibet’ présente régulièrement une résolution sur les actions de la Chine dans cette région. Il en va de même pour l’intergroupe ‘Protection des animaux’ comme nous avons pu le voir. D’autres moyens qualifiés de procéduraux sont relatifs au changement de nom et de nature d’une commission parlementaire telle que la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen sous l’influence des fédéralistes.

Le deuxième axe est basé sur les fonctions importantes au sein du Parlement européen. Il faut se rappeler par exemple que le président du Parlement européen est une personnalité qui jouit d’un pouvoir important sur les débats. Dans ce cadre, les députés les plus sollicités sont les rapporteurs, les coordinateurs et les spécialistes. Ces personnes représentent les clefs de l’influence pour un groupe extérieur 298 , car ce sont elles qui vont établir l’ordre du jour, écrire un rapport discuté en commission ou, de par leur connaissance d’une matière particulière, seront écoutées par leurs pairs peu au courant de tel ou tel sujet (Corbett, 1995, 62). Ces députés prennent une importance, particulière pour les intergroupes. Sur cet aspect, on peut rappeler les citations de divers rapports relevant l’action d’intergroupes, tel que le Rapport A4- 0222/1997 sur l’intergroupe ‘Peuple indigènes’ ; Rapport A4-0118/1998 sur l’intergroupe ‘Îles’ ; Rapport A4-0488/1998 sur l’intergroupe ‘SOS Europe’. Cet axe est essentiel pour la survie des intergroupes attendu que le plus fort du travail législatif s’effectue en commission et le pouvoir d’influencer une de ces dernières est un élément important. En outre, les intergroupes ont des liens privilégiés avec certaines commissions où l’influence en leur sein se fait plus forte, dans ce cas, Olivier Costa parle de ‘duplication’ (2001, 346-7). Un cas récent rappelle le rôle des intergroupes et leurs influences sur le fonctionnement du Parlement. En effet, en octobre 2006, une mission d’information de la délégation ad hoc Sahara du Parlement a été annulée par le Maroc en raison de la présence de deux eurodéputés membres de l’intergroupe Sahara occidentale, alors même qu’il ne fait pas partie de la liste officielle du Parlement (voir annexe 2).

Finalement, la possibilité d’auditionner des Commissaires européens ou d’agir auprès du pays exerçant la Présidence de l’Union est un facteur important de l’influence qu’exercent les intergroupes du Parlement envers les autres institutions, car cela donne une crédibilité à leur action. Cet axe est qualifié d’institutionnel en raison notamment de la volonté d’afficher une action différente du Parlement envers l’extérieur et notamment envers la Commission et le Conseil. Dans le cas d’étude,

298 Terme qui recoupe tous les groupes agissants à l’extérieur du Parlement européen, tels que les lobbies, ONG, associations de citoyens, etc.

318 L’espace politique des intergroupes parlementaires européens

‘Constitution européenne’ se charge d’être présent sur le terrain des manifestations lors des grandes réunions européennes pour rappeler les enjeux fédéralistes. On peut aussi relever que certains intergroupes invitent fréquemment des Commissaires européens ainsi que des représentants ministériels de la présidence en cours de l’Union pour connaître les objectifs de cette dernière. Cet aspect est peut-être le plus problématique pour les instances régulatrices du Parlement. En effet, dans ce cas, il s’agit d’une représentation diffuse et officieuse du Parlement envers l’extérieur. Il faut se souvenir que le règlement dans le temps a toujours insisté pour tenir les intergroupes pour des organismes non représentatifs envers l’extérieur des positions du Parlement européen. Après une séance avec un intergroupe, il s’est produit plusieurs fois le cas de conférenciers ne revenant pas devant une commission pour tenir un même exposé. Ce problème est loin d’être négligeable en terme d’image et aussi de crédibilité pour les organes officiels du Parlement (Corbett et al. , 2000, 159).

En conclusion, l’apport des intergroupes bien que difficilement quantifiable est une réalité. En amplifiant cette remarque, il faut aussi constater que c’est également un succès pour les associations participant au sein des intergroupes. Dès lors, une recherche institutionnelle du rapport à la société civile et au pluralisme doit se faire sur cette base. C’est ce que nous proposerons par la suite. Néanmoins, l’aspect positif doit être vu aussi dans une perspective critique quant au risque politique. Cela ne sera qu’après l’étude de ces éléments que nous pourrons fonder notre proposition.

319 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

5. Contextualisation : Société civile et risques politiques des intergroupes

5.1. Points principaux et perspectives d’analyse des intergroupes

Un des aspects importants de notre analyse est de relever que les intergroupes sont composés par des élus, mais ne sont pas des structures parlementaires. Dès lors, il faut se poser des questions relatives aux coûts politiques, voire démocratiques de cette structure. Pour les groupes politiques, les intergroupes sont des contraintes. En effet, en termes de discipline de vote et de cohésion dans une aussi grande assemblée, tout groupement peu contrôlable devient vite un problème pour le secrétariat d’un groupe, notamment pour ceux des deux plus grands (PSE, PPE-DE). De plus, le fait que les députés puissent sans contrôle favoriser cette activité, alors que les commissions sont distribuées dans les groupes selon des enjeux de pouvoir complexes, peut nuire aux réunions de groupes. Enfin l’aspect électif entre en ligne de compte. Comme le notent Ural Ayberk et François-Pierre Schenker (1998, 734), « des considérations électorales amenèrent les parlementaires à prêter attention à des points de vue nouveaux, ceux des consommateurs, des défenseurs des droits de l’homme et des sociétés protectrices d’animaux par exemple ». Les députés peuvent se prévaloir d’une action associative très forte dans les intergroupes et dès lors s’imposer à leurs partis pour le positionnement sur la liste électorale en dépit d’un avis de groupe, ou directement auprès des électeurs selon le mode de scrutin. Toutefois, il faut relativiser cela en proportionnant les intergroupes face aux groupes politiques qui ont un poids structurel nettement plus important. Dès lors, le risque est plus d’ordre organisationnel que politique.

Est-ce que cette structure redistribue l’influence extérieure au sein du Parlement ? Il faut d’abord relever que les groupes d’intérêts peuvent se différencier de nombreuses manières quant aux accès soit en étant intégrés dans le processus décisionnel, par exemple le dialogue social avec l’UNICE et la CES qui en fait des acteurs privilégiés (Ayberk et Schenker, 1998, 748-750 ; Hix, 1999, 197-198), soit en déployant de nombreux moyens comme les grandes entreprises qui ont leur siège ou une antenne bruxelloise dans le but d’influencer les décideurs européens. Moins bien dotés, on trouve un certain nombre d’ONG organisées de manière fédérative ou via une antenne au niveau européen. Leur entrée dans le système décisionnel est difficile, car elles ne sont ni représentatives d’un ensemble corporatif (patronat, syndicat) ni dotées de forts moyens financiers. Ce dernier élément les désavantage dans le cadre d’un système pluraliste de la représentation des intérêts. Néanmoins, le système concurrentiel européen en matière d’intérêt a un avantage, celui de la pluralité des accès dont un des accès privilégiés des ONG est le Parlement européen. Toutefois, un groupe d’intérêts puissant n’aura que peu de difficultés à développer des contacts avec des députés, mais aussi des commissaires européens et des représentants du COREPER. En termes de puissance et de coût relatif, l’intergroupe n’apporte pas suffisamment d’efficacité aux puissants lobbies qui peuvent agir différemment.

Ainsi, rappelons-le, la question de l’utilité et de l’influence des intergroupes peut être résumée en trois points. Premièrement, en raison de sa souplesse, cette structure permet l’expression des opinions souvent minoritaires au sein du Parlement européen. Dès les années quatre-vingt, des intergroupes ont évoqué la question des politiques publiques, et grâce à leur travail, ces enjeux sont pour une part devenus prioritaires au sein de l’Union. Deuxièmement, l’intergroupe est non partisan ce qui permet

320 L’espace politique des intergroupes parlementaires européens d’entreprendre un travail plus efficace, en rassemblant les députés partageant les mêmes intérêts, bien que n’étant pas du même parti ou de la même tendance politique. Sur ce point, la commission parlementaire a cela en commun avec les intergroupes à la nuance près qu’un député devra défendre une position de groupe en commission, ce qui n’est pas le cas dans un intergroupe. En troisième lieu, il est spécialisé, ce qui permet à des eurodéputés, pour diverses raisons, de faire un travail visible qui ait des répercussions compréhensibles aux yeux des citoyens, notamment par le biais d’une association (Costa, 2001, 346).

L’analyse et l’importance présumée des intergroupes dépendent , par conséquent, de l’angle de vue que nous pouvons résumer de deux manières. Ainsi, pour les instances régulatrices du Parlement européen le but est de mettre l’intergroupe le plus possible dans une position d’instance officieuse qui doit éviter de provoquer une publicité autour de ses débats au risque de créer une confusion avec les instances officielles. De même, on peut considérer qu’il est perçu comme « au mieux un ‘exutoire’ sans utilité, au pire une formalisation des lobbies ou l’instrument des ambitions politiques de leurs créateurs » (Costa, 2001, 350). Au-delà la nécessité organisationnelle d’un parlement aussi important, le débat se porte aussi sur le principe de proscription du mandat impératif comme le relève l’article 2 du règlement interne. Au contraire, les partisans des intergroupes au sein du Parlement voient l’utilité de cette structure en terme électoral, mais aussi comme un moyen de représenter des intérêts peu pris en compte. Toute interdiction ou réglementation est perçue comme une restriction de leur liberté. Dans une certaine mesure, les intergroupes reflètent le problème que rencontrent les tentatives de mêler la société civile et le monde politique. En d’autres termes, comment chercher l’intérêt général en introduisant des méthodes de réflexions liées à un groupement en particulier.

5.2. Une nouvelle place pour la société civile

La problématique-clef de cette étude est celle de la représentativité. Les intergroupes répondent-ils à cette logique ou se placent-ils en porte-à-faux face à ce concept démocratique ? Lors du déroulement de ce travail, nous avons pu apprécier le manque de représentativité des groupes qui correspondent plus à un clivage partisan qu’à une nécessité de représentation. Au-delà du critère de représentativité, l’efficacité prime dans les parlements actuels. Le travail des groupes politiques pleinement accepté et le rôle prépondérant du parti politique dans le choix des candidats révèlent cette tendance. Un système parlementaire organisé sans les groupes politiques paraît impossible. Lointain est le temps de la représentation nationale comme aboutissement de la volonté populaire. On constate à travers l’évolution des parlements que la tendance vers l’efficacité confirme l’évolution de la pensée dominante d’être ‘bien gouvernés’.

L’intergroupe se trouve dans la même problématique. Peut-on dès lors affirmer que les groupes politiques sont essentiels et participent à l’expression du suffrage du peuple, tandis que les intergroupes, cachés et propres à semer la dissension, seraient à bannir ? Pourtant, le groupe politique était dans une situation analogue, il y a encore cent ans de cela. La confusion que sèment les intergroupes est propre au groupe politique, mais n’entre pas dans la définition de la représentativité. Toutefois, l’implication de cette structure dans les problèmes concrets de la société civile

321 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’ démontre que les députés travaillant dans un intergroupe font plus que répondre à un clivage politique. Malgré tout, le problème du fractionnement du pouvoir reste entier.

Les problèmes liés à l’imbrication des groupes d’intérêt dans la structure des intergroupes sont réels. Toutefois, ne serait-il pas mieux de définir les intergroupes, leur permettre une activité, et ainsi mieux les contrôler? De plus, cet argument est tendancieux. Les relations entre le monde ‘politique’ et le monde ‘civil’ sont difficiles à décrypter. À une certaine époque qui n’est pas si lointaine, les partis politiques étaient liés, notamment, à des syndicats, des associations, des groupements industriels. Ces réseaux nécessaires à la bonne compréhension de la vie des citoyens s’épuisent de par de trop nombreuses affaires politiques. Par conséquent, il semble essentiel de réfléchir autour de la place de nouveaux relais participant à l’agrégation générale. Ainsi, la structure non partisane peut aider à un développement réel entre la société civile et le monde politique, au sens des députés.

Le problème lié à l’information est essentiel. Nous avons vu les particularités des intergroupes. Ces derniers offrent aux députés une information indispensable, selon les problématiques. Toutefois, il faut reconnaître selon les intergroupes la partialité de l’information. Néanmoins, l’avantage de la structure étudiée est son aspect informel, ouvert aux associations de taille moyenne subordonnées à la défense d’intérêts guère développée au sein du Parlement européen. De là découle l’intérêt pour un député souhaitant s’informer de prendre part aux travaux d’un intergroupe. En résumé, il faut admettre que l’information est complexe et un mélange entre ces sources informatives serait une solution pratique pour les députés, afin qu’ils puissent rédiger un rapport le plus complet possible.

Dans le même ordre d’idées, l’efficacité institutionnelle passe peut-être par un savant dosage entre les groupes politiques, les commissions parlementaires et les intergroupes. Tous ces éléments ont des limites. Dès lors, une complémentarité pourrait permettre de mener un travail plus efficace et de diversifier les réseaux à l’intérieur et à l’extérieur du Parlement européen. Comme nous l’avons vu, les clivages dans les assemblées sont de deux ordres: partisan et technico-politique. La meilleure réponse possible aux citoyens n’est pas l’une ou l’autre, mais une alternative composée de ces deux variables. Le groupe politique répond au premier clivage, la commission parlementaire au second. L’inclusion sous certaines conditions de la société civile, comme par exemple avec les intergroupes, pourrait placer ces clivages sous un angle intermédiaire. Institutionnellement, cela ajouterait certes des lourdeurs au système politique, mais peut-être aussi cela conférerait plus de ‘lisibilité’ au Parlement. La réponse à ce problème est essentielle pour une meilleure participation des citoyens au processus électoral parlementaire.

Les intergroupes peuvent avoir l’ambition de devenir des groupes politiques, mais ne pourront pas supplanter les partis nationaux. Si une réunion de députés est de facto un groupe, la voie de formation et de reconnaissance d’un groupe est d’une autre nature. Les questions sont d’ordre essentiellement politique. Qu’est-ce qu’un groupe ? Quelle est la nature de l’attachement du député à son groupe ? Idéologique ou technique ? Le cas du groupe TDI est révélateur du problème des partis nationaux à vouloir se constituer de manière ‘inter-nationale’, et non de manière ‘supra-nationale’. La non- existence d’un réel système de partis politiques européens a pour conséquence l’épuisement des groupes politiques fondés sur une base partisane. Pour preuve, les

322 L’espace politique des intergroupes parlementaires européens eurodéputés non inscrits ont toujours été nombreux, les attachements de certains députés à certains eurogroupes ne reflètent pas la nature de l’engagement national face au peuple 299 . Par exemple, le vote pro-européen pour un parti peut se trouver trahi par le rattachement à un groupe politique dominé par des eurosceptiques (comme l’alliance entre le PPE et le DE). Néanmoins, la logique parlementaire européenne veut que ces regroupements se fassent tout de même, car, de façon pragmatique pour exister, il faut être membre d’un groupe si possible puissant, afin d’avoir une structure plus efficace et des soutiens plus grands dans l’action parlementaire, notamment pour les rapports, les amendements, et les élections internes.

5.3. Vers une réorganisation de la représentation

Les traités de Maastricht et d’Amsterdam le rappellent: « Les partis politiques au niveau européen sont importants en tant que facteurs d’intégration au sein de l’Union. Ils contribuent à la formation d’une conscience européenne et à l’expression de la volonté politique des citoyens de l’Union » (article 191, ex 138a CE). L’absence d’un parti politique européen entraîne une série de conséquences pour le rôle du groupe politique. Dans les parlements nationaux, le groupe politique regroupe les députés élus sous une même étiquette partisane dans l’ensemble des circonscriptions. Au niveau européen, la réalité est toute autre. Les groupes politiques regroupent des partis nationaux qui parfois se sont affrontés sur le plan national, voire qui sont en complet désaccord. Dès lors, l’électorat peut ne pas comprendre l’enjeu européen, ni le sens de l’élection européenne. Les résurgences nationales sont trop fortes pour mener une véritable action européenne au niveau des partis. Rudy Andeweg parle plutôt ‘ of a 79 (national) party system than of a nine (transnational) party system in the European Parliament ’ (Andeweg, 1995, 65). Cette remarque pose le problème de savoir s’il ne vaut pas mieux pour l’Europe que les partis nationaux se désengagent de la politique européenne pour laisser le champ à des partis purement européens. En d’autres termes, les partis s’organisent soit d’une manière ‘supranationale’ afin de développer des antennes dans chaque pays de l’Union, soit ils trouvent une autre possibilité d’organisation.

L’intergroupe peut être un nouveau moyen de compléter les groupes politiques avec une plate-forme fonctionnaliste. Au lieu de se retrouver selon des bases politiques encore mal établies, les députés se réuniront en fonction d’un intérêt commun sur un ensemble de problématiques. Ce mode de fonctionnement peut être avantageux en terme d’ouverture envers la société civile. Car, comme le constate Rudy Andeweg, les partis politiques sont de plus en plus éloignés de la société ‘réelle’. De plus, les liens que représente le parti politique entre le citoyen et la représentation sont brisés au niveau européen. Mieux que tout autre organisme, l’intergroupe permet à ses membres d’établir des contacts avec, par exemple, des ONG, des personnes extérieures, et des députés nationaux. Ces contacts sont aussi privilégiés, car informels. Le lien s’établit donc d’une autre manière.

Il ne s’agit pas d’utiliser n’importe quel intergroupe pour la promotion des groupes politiques européens. Pour Rudy Andeweg (1995, 70), les intergroupes concernés sont

299 En 1999, François Bayrou (UDF) et Alain Madelin (Démocratie libérale) siégeaient au sein du PPE- DE, alors que leurs arguments de campagne étaient quelque peu différents.

323 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’ ceux qui abordent des problématiques européennes et les grandes questions institutionnelles. L’exemple des groupes Kangourou et Constitution européenne paraît être une solution d’avenir pour les futurs partis politiques européens. En extrapolant, le groupe des Verts est issu de groupes d’intérêts écologistes durant les années soixante-dix et quatre-vingts. Ces derniers auraient eu intérêt en cas de non- représentation à créer des intergroupes, ce qui ne fut pas le cas en raison de l’importance des problématiques environnementales qui ont donné une dimension politique importante aux partis verts. L’idée que les intergroupes se développent en groupes politiques est réalisable, mais elle ne concerne pas l’ensemble des intergroupes actuels. Une redéfinition des intergroupes en rapport au sujet abordé devra se faire à terme.

Finalement les intergroupes peuvent être une plate-forme pour un développement différent de la politique européenne organisée autour des grands enjeux tels que la libre circulation, le fédéralisme, etc. L’originalité de l’organisation proposée est l’aspect trans-party (Andeweg, 1995, 71). Les députés seront élus sur des bases différentes en tant que fédéralistes, par exemple. L’opinion publique est difficile à prévoir, mais les chances qu’un véritable débat public sur l’Europe s’ensuive sont tout de même plus élevées que de perdurer dans une voie qui paraît toujours nationale, et jamais européenne. Les conséquences d’un nouveau type d’organisation qui s’appuierait en partie sur les intergroupes seraient la mise à disposition progressive d’un secrétariat pour éviter des influences externes trop marquées, car la transparence reste un maître-mot face à ce défi 300 .

Il ressort de cette analyse sur la place des intergroupes la nécessité de développer une modélisation sur la possible représentativité de la société civile. Cet élément du questionnement sur ce nouveau type de représentation au niveau européen se place au centre de la réflexion européenne depuis le Traité de Maastricht. Seule une étude de la société civile en Europe pourra développer la pertinence des intergroupes dans le cadre d’une nouvelle gouvernance et d’un nouveau type de représentation.

300 L’exemple du modèle finlandais est à reprendre. Dans ce pays, les groupes d’intérêts/intergroupes peuvent être très présents dans le fonctionnement institutionnel. Ceci est autorisé en raison de la grande transparence qui existe; elle permet ce mode d’action qui est souvent occulté dans d’autres pays européens.

324

Chapitre 11 – Des commissions parlementaires ‘associatives’ ?

1. Fondements des commissions ‘associatives’

Il ressort principalement des parties précédentes que deux éléments clefs sont mis en avant. D’une part, le Parlement doit rester l’élément central de légitimité et la sanction ultime de la législation et, d’autre part, on doit intégrer des éléments de la société civile dans la gouvernance générale. Ce dernier élément est renforcé par l’absence d’organisation enracinée dans la population qui fait remonter l’information comme devraient le faire les partis politiques. En prenant l’hypothèse que ces derniers ne prendront pas la place des partis nationaux lors des élections européennes, on doit développer d’autres cheminements. Également, l’introduction d’une ‘Chambre des intérêts corporatifs’ semble inadéquate et dépassée (voir le chapitre 2 sur le pluralisme et les propositions anglaises formulées par Hirst), même si, pour partie, le CESE remplit cette charge. Néanmoins, ce n’est pas une Chambre Haute ni un organe décisionnel, du fait de son rôle uniquement consultatif, malgré ses efforts durant les dix dernières années. En d’autres termes, la représentation fonctionnelle n’a jamais véritablement pu s’imposer au sein du triangle institutionnel.

La reconnaissance de la société civile organisée entre, ainsi, d’une part, dans un cadre consultatif de partenariat civil et social (vestige de l’ancien dialogue social) au sein du CESE et, d’autre part – par ses action de lobbying – elle interpénètre la sphère institutionnelle décisionnelle. Chacune des deux institutions principales (Commission et Parlement européen), avec un avantage à la Commission, a tenté de reprendre à son compte les propositions associatives et de les inclure dans le processus de consultation. En raison de la faible participation et du débat récurrent sur le déficit démocratique, le Parlement se trouve affaibli tout en disposant de procédures renforcées. Par conséquent, il s’agit de rechercher des moyens d’améliorer la input legitimacy . Également, le développement de cet aspect passe par une réflexion sur de nouveaux organes qui sont plus en adéquation avec les problématiques de la société civile, que ne peuvent l’être, par exemple, les commissions parlementaires 301 , lieu principal de l’étude de la réglementation.

En l’absence de partis européens, la clef de notre nouveau modèle se fonde sur une proposition associative basée sur le travail existant des intergroupes. Il s’agit ainsi de compléter le travail des commissions par le travail de commissions parlementaires ‘associatives’ composées d’élus et de représentants de la société civile. Il est évident que l’analyse des intergroupes est ici essentielle pour matérialiser cette proposition. En effet, de nombreuses questions ont été évoquées lors de l’étude de cas des intergroupes, dont deux reviennent constamment, celles de la représentativité et de la légitimité. Dans une certaine mesure, la désignation des intergroupes par la clef de répartition est un pas significatif vers une reconnaissance des priorités et du choix des thématiques. Ainsi, le Parlement par le biais de ses élus et des groupes politiques donne une indication de préférences.

301 Pour illustrer ce propos, il est intéressant de relever la récente polémique au sein de la Conférence des présidents sur le choix de la majorité (de droite, PPE-DE, ADLE et UEN) de refuser le passage des deux sous-commissions, droits de l’homme et défense, au statut de commission parlementaire. Cela démontre la difficulté au sein du Parlement européen de mettre en avant certaines thématiques ou de modifier l’ordonnancement du Parlement (voir Agence Europe du 13 juillet 2007).

325 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

Cette proposition semble pouvoir s’appliquer au cas européen car pour de nombreuses raisons mentionnées dans cette étude, le Parlement européen est un cas unique que l’on ne retrouve pas au sein des États membres. En effet, le système parlementaire est déjà ‘rodé’ et a évolué vers un contrôle poussé de l’exécutif. Le Parlement européen a une évolution contraire par un développement des compétences législatives et un contrôle de l’exécutif embryonnaire. De surcroît, l’idée européenne recoupe aussi des clivages différents des clivages classiques ‘gauche-droite’. Bien que ces derniers demeurent structurants pour l’identification du public et garantissent par un équilibre dans la démocratie représentative, de nouveaux clivages peuvent apparaître comme celui, au niveau méta entre fédéraliste et intergouvernementaliste ou, comme celui, au niveau local, entre les régions et les anti-régionalistes.

On peut également appuyer notre démarche sur un nouveau mécanisme que le Parlement européen met en œuvre en phase test en 2007. Il s’agit, comme nous l’avons vu, du projet ‘ Agora citoyenne’ voté en juin 2006. Pour rappel, il s’agit d’organiser au sein du Parlement un forum permanent de la société civile sur des thématiques choisies par la Conférence des présidents (changement climatique, dimension sociale de l’UE et les jeunes pour 2007) avec des intervenants désignés par les commissions parlementaires en charge du dossier. Il s’agit donc bien de réunir la démocratie participative dans le cadre de la démocratie représentative d’une manière structurelle. Pour l’initiateur du projet, Gérard Onesta (FR, V/ALE), l’ agora devra se réunir trois à quatre fois par an deux jours à Strasbourg avant les séances plénières devant traiter du sujet en cours. C’est donc un organisme officieux agissant sous le pilotage du Parlement européen (rapport Onesta, disponible sur http://www.onesta.net et PE368.803/CPG/COMPLE). En conclusion, ce projet s’inscrit pleinement dans notre axe de recherche qui propose la mise en place de commissions parlementaires ‘associatives’.

De même que dans le projet Agora , notre proposition aurait le double avantage de canaliser le lobbying et de donner une visibilité à l’action des élus par le biais des regroupements associatifs. Néanmoins, il faudra lever le problème de la modélisation qui va suivre sur les questions de la sélection et de la représentativité des associations. À cette fin, nous utiliserons l’argument de l’Union qui pousse les associations au regroupement en réseau, car ce sont donc bien à travers des réseaux européens organisés que peut se développer une démocratie associative complémentaire à la démocratie représentative.

À des fins d’analyse, nous distinguerons trois éléments essentiels. Le premier élément est celui de la sélection et de la représentativité des organisations appelées à collaborer dans ce nouveau schéma. Le second consiste à re-découper les problématiques des intergroupes en fonction des clivages européens. Finalement, nous aborderons la question du fonctionnement des commissions ‘associatives’ au sein du Parlement européen. Nous verrons en quoi cela reprend l’idée de la démocratie associative, et s’inscrit dans une logique post-parlementaire.

Finalement, la difficulté de la discussion qui va suivre est de se tenir hors de la tentation normative. En effet, la finalité de ce travail est d’analyser une évolution de la démocratie parlementaire européenne. Dès lors, comme il s’agit d’une observation d’un phénomène non existant, il y a une part de normativité. Ainsi, notre modèle se

326 Des commissions parlementaires ‘associatives’ ? construit finalement sur l’ensemble de notre thèse, car, en définitive, il s’agit de trouver un équilibre entre empirisme, théorie et normativité.

327 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

2. La représentativité comme méthode de sélection

2.1. Identification des critères de représentativité

Lors des parties précédentes, nous avons examiné les différentes propositions de critères de représentation que les institutions souhaitaient mettre au point. De ces travaux, il apparaît que les éléments mis en avant par le CESE soient les plus développés. En se basant sur deux avis, celui de 2002 - CES 357 - et le dernier en date CESE 240/2006, nous allons revoir les critères d’application pour la mise en place des commissions ‘associatives’. Pour rappel, il est utile de revenir sur le fait, que, outre le critère d’efficacité, les avis font état de la question des réseaux. Cet élément est central dans notre réflexion. En effet, fort du constat que la société civile s’est organisée plus vite que les partis politiques, sa principale force se concrétise via des réseaux ou des plate-formes d’action commune qui permettent une agrégation des demandes. Pour éviter une mauvaise compréhension, il faut aussi rappeler ce qui constitue la société civile. En effet, la sélection d’organismes via les critères de représentativité dépend en large part de la définition de la société civile que nous avons retenue. Pour notre part, la société civile se définit dans l’idée d’association. On peut même avancer que les associations et la société civile sont des termes interchangeables pour les raisons exposées plus tôt (voir page 271). Néanmoins, il convient de rappeler, bien que parfois acteurs associatifs, nous avons exclus de notre définition de la société civile des groupements, comme les forces du marchés, les syndicats, les partis politiques, les groupements religieux, les associations professionnelles.

En reprenant les travaux du CESE, on constate que les critères mis en avant par le CESE sont importants, car, en premier lieu, ils sécurisent la question de l’intérêt général – critique essentielle du rôle de la société civile dans la gouvernance – et ils abondent dans le sens des réseaux. En deuxième lieu, comme déjà remarqué, la société civile est une clef de compréhension importante pour développer des logiques agrégatives, d’imputabilités et de ‘propagation de l’idée européenne’.

Ces éléments sont renforcés dans les critères d’évaluation donnés par le CESE. Hormis les questions formelles de communiquer les statuts, nous retiendrons trois critères. Premièrement, il faut garantir un fonctionnement démocratique interne et transparent des associations, car leurs modalités de fonctionnement doivent être démocratiques, transparentes et impliquer, notamment, la notion de accountability des organes dirigeants vis-à-vis des organisations membres. Deuxièmement, il faut que l’organisation soit implantée dans plus de la moitié des États membres. Cette condition de reconnaissance est présente dans de nombreux documents. Ainsi, la discussion tourne plus sur le nombre d’États que sur l’utilité, apparemment évidente, de cette mesure, car elle garantit le réseau vertical. Troisièmement, la question de l’expérience et de la reconnaissance acquise (réputation) est importante afin de donner de la crédibilité à son action d’une part auprès des institutions et d’autre part auprès des citoyens.

328 Des commissions parlementaires ‘associatives’ ?

Il faut également reprendre les critères imposés aux partis politiques européens 302 afin de se faire une idée plus claire de la spécificité des associations dans la gouvernance européenne. En effet, les partis politiques européens, pour être reconnus en tant que tels, doivent avoir la personnalité juridique dans un État membre, être présents dans au moins un quart des États membres, respecter les principes fondamentaux, et participer, ou du moins en avoir l’intention, aux élections européennes. Les critères sont ainsi fortement différents notamment dans l’appréciation de la question de la démocratie interne et de la réputation. Toutefois, cela s’explique logiquement par une attente et une nature différente, car les partis politiques sont les rouages habituels de la vie politique représentative dans les États membres et permettent les regroupements des députés selon des affinités idéologiques. Par conséquent, la comparaison, dans l’absolu, serait inutile dans le sens que l’essence des partis politiques et de la société civile est fondamentalement différente.

Cependant, au niveau européen, cette différence a tendance à s’amenuiser. En effet, la société civile et les partis politiques ont en commun leur place dans l’agrégation des demandes, l’un par son implication au niveau européen et l’autre par sa place historique dans la démocratie. Il demeure que l’exigence de représentativité est par nature différente. En effet, les partis sont en concurrence pour conquérir le pouvoir par le biais des élections, alors que la société civile cherche à ‘imposer’ de manière concurrentielle ou coopérative des choix aux autorités et ne connaît pas de processus électif externe. C’est pour cela que les critères de démocratie interne, d’imputabilité, de remise des comptes et de réputation sont essentiels.

Tableau 11.1. Critères de représentativité au niveau européen

Référentiel Éléments Interne Transparence Démocratie interne (comité élu, rapport annuel,…) Responsabilité envers les membres Formel Présence dans un nombre substantiel d’États membres Externe (appui à l’agrégation des demandes) Réputation Crédibilité

L’application du tableau 11.1 se fait également pour les réseaux présents au niveau européen (cf. tableau 8.3). Il est cohérent que les critères de représentativité soient applicables à tous les membres de la société civile, de la simple association implantée dans divers pays à la plate-forme d’associations. En effet, il est d’autant plus important d’être attentif aux critères ici qu’il s’agit dans la plupart des cas de réseaux souhaités par les institutions, notamment par la Commission, afin de structurer le dialogue civil.

Pour reprendre brièvement les critères énoncés, il faut relever que les plus complexes à évaluer sont ceux relatifs à la réputation et à la crédibilité. Dès lors, il est essentiel de pouvoir s’appuyer sur les connaissances acquises par les institutions des organisations de la société civile. De même, il faut également se pencher sur la

302 Pour le détail des mesures pour la reconnaissance des partis politiques européens, voir le règlement 2004/2003 CE relatif au statut et au financement des partis politiques européens.

329 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’ reconnaissance interne à la société civile des associations leaders . Néanmoins, le système doit rester assez souple pour permettre l’arrivée de nouveaux entrants. Pour le reste des éléments, comme nous l’avons déjà remarqué, il est impossible de fonder la démocratie fonctionnelle sur des éléments non-démocratiques. Par conséquent, les associations devront se conformer à des principes essentiels qui les crédibilisent face aux autres acteurs.

L’application des critères est également complexe car il faut savoir à quel acteur on les oppose. En effet, on constate que l’UE peut avoir trois interlocuteurs issus d’une même organisation. Par exemple, en utilisant le tableau 11.2, l’UE peut débuter des consultations avec une section nationale de Greenpeace, soit avec la section européenne, soit la plate-forme, Green 10, dont Greenpeace est membre. Dans notre analyse, il est essentiel que chaque étage d’une association réponde aux critères de représentativité si elle ambitionne d’intervenir dans le champ décisionnel européen.

Schéma 11.2. Organisation des associations européennes

Platefo rme ou fédération européenne : Green 10

Organisation faîtière européenne : Greenpeace -Unité européenne

Organisations nationales et régionales : Greenpeace, section XYZ

2.2. Procédure de sélection des organisations représentatives

Les critères étant ce qu’ils sont et en admettant la grande flexibilité existante dans le domaine des groupements de la société civile, le problème se pose notamment sur la question de ‘qui’ sélectionne et octroie le statut de ‘organisation représentative de la société civile’. Jusqu’à maintenant, chaque institution pose ses propres critères (voir notamment le chapitre 7 de ce travail). Dans le cadre de ce travail, nous proposons que cela soit le Parlement européen qui soit en charge de l’application des critères avec une possibilité de recours auprès de la CJCE. En effet, il semble intéressant que l’organe d’attribution du statut de parti politique européen et celui d’‘organisation représentative de la société civile au niveau européen’ soit le même. Le projet ‘Agora citoyenne’ du Parlement européen propose que le choix des organisations externes se fasse par les commissions compétentes, car elles sont le mieux à même de connaître les acteurs des dossiers.

Les commissions ‘associatives’ devraient connaître la même procédure de sélection et d’admission des externes que pour les commissions régulières. Dès lors, l’organe central du choix serait la Conférence des présidents qui devrait soumettre pour approbation ses propositions devant l’assemblée plénière. Par conséquent, le choix – ‘impossiblement’ objectif – par les parlementaires est garanti par la sanction populaire

330 Des commissions parlementaires ‘associatives’ ? lors des élections si la méthode de sélection était détournée. Cet élément associerait fortement la démocratie représentative et la démocratie participative par un contrôle commun.

Les problèmes d’application que nous avons soulevés lors de la question des partis politiques européens (cf chapitre 5) restent d’actualité. A priori , le CESE semble l’organe institutionnellement et conventionnellement le mieux placé pour effectuer ce contrôle. D’autant plus que c’est sur la base de ses travaux que les critères sont choisis. Toutefois, deux éléments l’éliminent dans le nouveau cadre démocratique. Premièrement, le CESE a échoué dans sa tentative de devenir une institution à part entière (passage d’une compétence consultative à une compétence obligatoire) et, d’autre part, son soutien au dialogue social qui réunit les forces du marché fait de cette institution un instrument classique et complémentaire de la démocratie représentative.

D’autre part, la Commission du fait de son champ de compétences exécutives et de sa composition ne peut prétendre agir dans ce cadre. En effet, le fait de détenir le monopole de l’initiative législative conduirait dans son choix à s’orienter en fonction de ses besoins. Les différents éléments discutés dans le cadre du Livre blanc et de la base CONNECCS rappellent cette logique. Le renouveau démocratique ne peut porter que sur la base d’une institution ayant de véritables compétences décisionnelles et ancrant sa représentativité dans la diversité de l’Europe. Dès lors, il ne peut s’agir que du Parlement européen.

Ainsi, le Parlement se verrait confier une tâche régulatrice dans le cadre de la démocratie participative que seul son pluralisme (politique et nationalités) donne en garantie d’impartialité. Comme nous le verrons plus tard, la sélection des associations est prépondérante dans le mécanisme d’imputabilité et d’implication des citoyens au niveau de l’Union européenne. Il reste à définir quelles peuvent être les thématiques abordées dans les commissions ‘associatives’ ainsi que leur fonctionnement. Le premier complétera les éléments de sélection, le deuxième permettra de développer l’argumentation sur la gouvernance et le fonctionnement du modèle.

331 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

3. Problématique et thématique des commissions parlementaires ‘associatives’

3.1. Identification des thématiques applicables

Outre la méthode de sélection et l’établissement de critères de représentativité, la création de commissions parlementaires ‘associatives’ est liée à l’établissement de thématiques qui ne peuvent être en tout point similaire à celles des commissions parlementaires traditionnelles. Pour identifier les différentes classifications possibles, nous avons recensé, comme le tableau 11.3 le démontre, différentes catégorisations offertes par les institutions européennes. Ainsi, les trois premières sont l’œuvre de la Commission européenne en utilisant trois sources différentes : la base CONNECCS, les directions générales (DG) de la Commission, et l’index des politiques sur la page d’accueil d’europa.eu. Le but du croisement des ces trois sources est d’identifier les politiques prioritaires de la Commission ainsi que de relever les possibles déficits avec les commissions du Parlement européen (colonne 4). L’autre source, d’origine parlementaire, utilisée est celle des intergroupes. Pour la suite du propos, il semble important de pouvoir se pencher sur les recoupements possibles. Finalement, le CESE fournit une liste des réseaux européens impliqués dans la représentativité. Cette liste thématique permet de voir quelles sont les problématiques retenues par l’instance ‘représentante de la société civile’.

Il faut ajouter à ces catégories les Titres XI à XX du traité de Nice qui comprend : la politique sociale, éducation, formation professionnelle et jeunesse ; Culture ; Santé publique ; Protection des consommateurs ; Réseaux transeuropéens ; Industrie ; Cohésion économique et sociale ; Recherche et développement technologique ; Environnement ; Coopération au développement. Ces titres font partie du corpus ‘nouveaux droits du citoyen’ (titre de XI à XIV) et sont plus empreints du dialogue civil que du dialogue social. Par ailleurs, essentiels au débat, ces thèmes sont soumis à la codécision et, donc, font l’objet d’une procédure significative au sein du Parlement européen.

En outre, c’est dans le traité qu’il faut trouver les objets de politiques générales qui doivent ensuite être réalisées. En observant la liste du tableau 11.3, trois autres thématiques semblent ressortir : il s’agit de la promotion de l’idée européenne, les droits de l’homme et la politique régionale (cohésion économique et sociale). Le premier élément est considéré dans sa dimension du débat pro- et anti- fédéraliste. En effet, c’est un débat structurant qui dépasse les thématiques énoncées. Le deuxième représente une part importante de l’action associative au niveau international. Finalement, le troisième exprime des visions régionalistes très présentes au sein du Parlement.

Ces différents éléments donnent ainsi un vaste panorama des politiques publiques européennes et, notamment de celles intéressant au plus près le citoyen. De plus, la sélection des thématiques se fait dans le cadre de la procédure de co-décision. En effet, s’il existe des commissions associatives, il faut également que leurs travaux puissent être intégrés dans le cadre communautaire le plus exigeant, afin d’impliquer les groupes externes. Néanmoins, on peut se faire l’écho de la critique de Virgilio Dastoli à propos du CESE pour sa volonté d’institutionnaliser la société civile, alors que cette dernière doit prospérer également hors-cadre pour agir et susciter de nouvelles thématiques (2002, 34-35).

332 Des commissions parlementaires ‘associatives’ ?

Cette critique est importante dans cette modélisation. Toutefois, le législateur européen a loisir, au fur et à mesure de l’évolution de la société, de s’adapter à de nouvelles problématiques et de promouvoir de nouvelles commissions. C’est à cette fin que nous proposons un cadre souple qui peut être rediscuté au sein du Parlement pour le choix des sujets à développer au sein des commissions ‘associatives’. De plus, le traité ou la future Constitution peut entraîner des dynamiques nouvelles sur certaines thématiques.

En outre, comme nous l’avons déjà noté, notre proposition est un complément à la démocratie représentative 303 . Ainsi, il est également utile de ne pas vouloir traiter de manière exhaustive toutes les thématiques possibles dans ces nouveaux organes. En effet, cela paralyserait leur action et diminuerait leur intérêt pour les élus et la société civile. Il est important que, comme dans le cas des commissions régulières, le choix des thématiques soit aussi un révélateur d’un signal politique sur les priorités de l’Union, du moins du Parlement.

303 En termes de complémentarité, il faut rappeler la décision de la CJCE de 1998, arrêt UEAPME qui statue que « le respect du principe de la démocratie, sur lequel l’Union est fondée requiert – en l’absence de participation du Parlement européen au processus d’adoption d’un acte législatif – que la participation des peuples à ce processus soit assurée de manière alternative , en l’occurrence par l’intermédiaire des partenaires sociaux […] » [en gras par l’auteur]

333 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

Tableau 11.3. Les différents domaines d’intérêts et leur classement selon les institutions

CONNECS DG et services de la Index thématique - Commission Secteur société civile, Intergroupes http://ec.europa.eu/civil_socie Commission européenne Politiques de l’Union parlementaire régulière CESE officiellement enregistrés ty/coneccs/listedomaine.cfm? http://ec.europa.eu/dgs_fr.htm http://ec.europa.eu/index_fr.ht (en italique les officieux) CL=fr m Affaires sociales Emploi, affaires sociales et Emploi et politique sociale Emploi et affaires sociales Services sociaux/Lutte contre ATD Quart égalité des chances la pauvreté et l’exclusion Monde/Ageing/Famille et sociale/Représentation des protection de l’enfance/Trade intérêts des familles Union Coordination Affaires économiques et Affaires économiques et Économie et monnaie Affaires économiques et GLOBE financières monétaires monétaires Agriculture et développement Agriculture et développement Agriculture Agriculture et développement Viticulture, tradition et rural rural rural qualité/ Land Use and Food Policy/Fruits et légumes Aide humanitaire Aide Humanitaire Aide humanitaire Aide humanitaire Commerce extérieur Commerce (extérieur) Commerce extérieur Commerce international Globalisation Concurrence Concurrence Concurrence Culture Éducation et culture Culture/Audiovisuel et médias Culture et éducation Art et Culture Camino de Santiago Domaine d’intérêt général de Affaires institutionnelles Affaires constitutionnelles Promotion de l’idée Constitution européenne/ SOS l’UE européenne Démocratie Droits de l’homme Droits de l’homme Droits de l'homme Défense des droits humains Antiracisme et diversité/Roma Rights Développement Développement Développement Développement Coopération et développement Education Éducation et culture Education, formation et Culture et éducation Education et formation/ Cinéma, politique jeunesse Représentation de la jeunesse audiovisuelle, et diversité culturelle Elargissement Élargissement Elargissement Europe Balti que Emploi Emploi, affaires sociales et Emploi et politique sociale Emploi et affaires sociales Volontariat égalité des chances Energie Transports et énergie Energie Industrie, recherche et énergie Forum for the Future of Nuclear Energy Entreprises Entreprises et industrie Entreprises Économie sociale PME/ Économie sociale /Mining Environnement Environnement Environnement Environnement, santé Protection de l’environnement Welfare and conservation of publique et sécurité Animals /Chasse durable, alimentaire biodiversité et activités rurales/Conservation et développement durable

334 Des commissions parlementaires ‘associatives’ ?

Fiscalité Fiscalité et union douanière Fiscalité Justice et affaires intérieures Justice, liberté et sécurité Liberté, sécurité et justice Libertés civiles, justice et Promotion et défense des Law Enforcement, Organised affaires intérieures droits citoyens Crime and Terrorism Marché intérieur Marché intérieur et services Marché intérieur/douanes Marché intérieur et protection Kangourou des consommateurs Politique régionale Politique régionale Régions (politique régionale) Développement régional Tradition, Minorités, Régions constitutionnelles et langues régionales/Europe baltique/ Iles Protection des consommateurs Santé et protection des Consommateurs Marché intérieur et protection Défense des intérêts des Santé et Consommateur consommateurs des consommateurs consommateurs Pêche Pêche et affaires maritimes Pêche et affaires maritimes Pêche Recherche Recherche Recherche et innovation Industrie, recherche et Bioéthiques énergie/Biotechnologie Relations extérieures Relations extérieures Relations extérieures/Politique Affaires étrangères/Sécurité et Initiatives de étrangère et sécurité défense paix/Tibet/ Sahara occidental/European abroads/Friends of Free Iran Santé Santé et protection des Santé publique/Alimentation Environnement, santé Assurance maladie et Santé et consommateurs (sécurité) publique et sécurité protection sociale/Santé Consommateur/ Cancer alimentaire publique Société de l’information Société de l’information et Société de Presse, communication et médias l'information/Audiovisuel et liberté médias Transports Transports et énergie Transports Transports et tourisme Ciel et Espace/Tourisme Budget Budgets Contrôle budgétaire Emploi, affaires sociales et Droits de la femme et égalité Défense des droits des Droit des Gays et égalité des chances des genres femmes lesbiennes/ Progressive Women Pétitions Emploi, affaires sociales et Lutte contre la Handicapés égalité des chances discrimination/Intégration des handicapés et des minorités Urban-Logement Ecumenical Prayer Breakfast Sports/Montagne/Amis du Football

335 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

3.2. L’implication des thématiques au sein du Parlement européen

Précédemment, nous avons statué que le choix de la sélection et de l’application des critères dépendrait du Parlement européen. Il en va de même pour la délimitation du nombre de commissions et de leurs thématiques. Dès lors, le choix de thématiques peut devenir un argument de campagne électorale et impliquer les associations dans le débat public. Il est également probable que l’introduction de débats thématiques orientés sur les politiques publiques européennes permette le développement d’un intérêt (électoral et participatif) des citoyens européens envers leur Parlement européen. Le choix de thématiques permet dès lors également le processus de ‘remise des comptes’ avec des sanctions possibles contre un parti ou un leader moins en phase sur les thématiques en cours au sein de la société civile, et, ainsi, indirectement, cela pourrait contribuer à développer un débat sur les thèmes principaux et la raison de leur choix lors des élections.

En se basant sur les intergroupes ayant obtenus l’agrément en 2004, on peut utiliser cette liste pour fixer les préférences des groupes politiques. En effet, la clef de répartition permet de faire ce constat : les thématiques retenues relèvent bien d’un choix. Dès lors, le tableau 11.4. fait état d’un relevé de la situation actuelle avec les intergroupes connus, les associations/réseaux retenus par le CESE dans le cadre thématique choisi. Comme nous l’avons vu, dans le cadre du projet ‘Agora citoyenne’, c’est la Conférence des présidents qui choisit des thématiques annuelles. Cette pratique a l’avantage de ‘coller’ à l’actualité et de rendre extrêmement vivant le travail au Parlement européen. Paradoxalement, il faut également que cela s’inscrive dans une logique de permanence des thématiques. En d’autres termes, il s’agit de concilier la nécessaire évolution des problématiques par une ré-évaluation en début de législature, mais aussi de trouver des éléments de permanence qui permettent un travail en profondeur. L’intérêt du tableau 11.3. est justement de trouver les points de permanence dans le cadre de politiques publiques.

Ainsi, il ne s’agit pas de faire de la promotion d’intérêts mais bien de débattre avec une place plus importante aux interlocuteurs. On constate des visions contrastées dans le cas de la promotion de l’Europe entre fédéralistes et eurosceptiques, de même dans l’environnement entre la protection des animaux et les promoteurs de la chasse. Il apparaît rapidement que ce type de débat doit être encouragé afin de permettre la pluralité sur les différentes thématiques et sous-thématiques. Les conditions de participation restant toujours liées aux éléments de représentativité exprimés ci- dessus. Le tableau 11.4 souligne également les manques dans certaines thématiques, notamment l’emploi ou la concurrence où des intergroupes pourraient être présents. Par conséquent, l’octroi de nouvelles compétences pourrait permettre un ré- investissement associatif.

Dès lors, c’est en s’impliquant de manière conséquente dans ces problématiques présentes depuis longtemps que le Parlement européen peut pérenniser des relations avec la société civile avec un réel impact sur la décision. Cet aspect modifie les rapports au sein du Parlement, mais aussi entre les associations. En effet, la logique de collaboration va évoluer vers une logique délibérative. C’est d’ailleurs la raison principale de l’attention particulière portée à la représentativité (vecteur de légitimité) et aux thématiques (européanisation).

336 Des commissions parlementaires ‘associatives’ ?

Tableau 11.4. Thématiques retenues et liens avec les intergroupes

Thèmes Sélection d’intergroupes Associations ou Réseaux officiellement enregistrés (en associatifs italique les officieux) Promotion de l’idée européenne Constitution européenne/ SOS Mouvement européen international Démocratie Droits de l’Homme Antiracisme et Groupe de contact des droits diversité/Tibet/Initiative de paix humains 304 /Roma Rights Politique sociale ATD Quart Monde/Ageing/Famille ATD Quart Monde/ Fédération et protection de l’enfance/Trade européenne des associations Union Coordination/Urban- travaillant avec les sans-abri Logement / Économie sociale/ (FEANTSA)/ Réseau européen de Volontariat lutte contre la pauvreté (EAPN)/ Réseau européen d’action sociale (ESAN)/ Comité européen des associations d’intérêt général (CEDAG)/ Comité européen de coordination de l’habitat social (CECODHAS)/ Centre européen de Volontariat (CEV)/ Caritas Europe/ ETWelfare/SOLIDAR/ Bureau de Liaison de la Croix-Rouge/ Eurodiaconia/ Association européenne des promoteurs de services pour les personnes handicapées (EASPD)/ Conférence européenne permanente des coopératives, mutualités, associations et fondations (CEP- CMAF) Éducation, formation professionnelle Plate-forme « Éducation et société et jeunesse civile »/Forum européen de la jeunesse Culture Cinéma, politique audiovisuelle et Forum européen pour les arts et le diversité culturelle/Presse, patrimoine (FEAP) communication et liberté/ Camino de Santiago Santé publique Santé et consommateurs/ Alliance européenne pour la santé Handicapés/ Cancer publique (EPHA) Protection des consommateurs Santé et consommateurs Bureau européen des Unions de consommateurs (BEUC) Réseaux transeuropéens Ciel et Espace/Tourisme - Industrie PME/Viticulture, tradition, qualité - Cohésion économique et sociale Tradition, Minorités, Régions - constitutionnelles et langues régionales/Europe baltique/ Iles Recherche et développement Bioéthiques - technologique Environnement Welfare and Conservation of Green 10 305 Animals/Chasse durable, biodiversité et activités rurales /Conservation et développement durable Coopération au développement Confédération européenne des ONG d’urgence et de développement (CONCORD) Source : Pour la colonne 3, CESE 240/2006

304 Amnesty International ; Human Right Watch ; Terre des Hommes ; OMCT ; FIDH ; … 305 Comprend : Bureau européen de l’environnement (EEB) ; Birdlife International ; Climate Action network Europe (CAN Europe) ; les Amis de la terre ; Greenpeace-Unité européenne ; Fonds mondial pour la Nature (WWF) ; Fédération européenne pour le Transport et l’environnement (T&E) ; Internationale des Amis de la Nature (IAN) ; European Public Health Alliance Environment Network ; CEE Bankwatch.

337 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

Ainsi, une commission associative ‘promotion de l’idée européenne’ pourrait voir le jour avec des débats entre les associations nommées et des élus. L’élément supplémentaire, comparé à l’intergroupe fédéraliste, consiste à permettre la tenue de débat contradictoire avec des élus eurosceptiques que l’on voit de plus en plus importants et, aussi de tenir des hearings , avec des associations eurosceptiques. Dans un autre domaine, on peut également illustrer le propos avec la commission associative ‘environnement’ qui regroupera des intérêts très différents. Par contre, il faudra un agenda clair pour éviter des collisions avec la commission parlementaire concernée. Toutefois, la commission associative se concentrera uniquement sur cette thématique et permettra une meilleure vision prospective que la commission classique en raison des surcharges importantes dues à la planification du traitement des actes proposés par la Commission. Ainsi, les commissions associatives seraient un espace de discussion de futurs actes législatifs, mais permettraient également d’anticiper les évolutions sociétales.

Finalement, il reste à observer le fonctionnement effectif de ces commissions ‘associatives’. Nous avons indiqué les moyens de sélection et les thématiques. Ces deux derniers permettent de donner les éléments concrets de réflexion. En effet, développer un argumentaire sans cela ne permettrait pas de contenir correctement le sujet. Bien que donnant des indices, il reste à voir le plus important, soit l’implication concrète de la société civile européenne dans la gouvernance européenne par le biais du Parlement européen.

338 Des commissions parlementaires ‘associatives’ ?

4. Mode de fonctionnement des commissions ‘associatives’

Tant au niveau de la composition que du fonctionnement, les commissions ‘associatives’ sont proches du modèle des intergroupes. Hormis l’officialisation de la démarche associative, les commissions ‘associatives’ permettent aussi de donner une ‘interaction de légitimité’. En effet, la participation croisée de la société civile et des élus va permettre à l’un de gagner en visibilité et en démocratie (cf. critères de représentativité) et à l’autre d’accéder à une meilleure connaissance des besoins des citoyens. Dès lors, la légitimité input devrait aller vers une amélioration pour les parlementaires et, par l’établissement des critères de représentativité, la légitimité de la société civile devrait s’accroître.

Les auditions et les conférences avec la société civile utilisées par le Parlement européen sur des sujets précis seraient donc établies de manière permanente en son sein. Comme nous l’avons déjà signalé, les commissions associatives complètent, et ne remplacent pas, les commissions parlementaires classiques. Ces dernières restent nécessaires en raison de l’étude de thématiques demeurant hors de la sphère des intérêts de la société civile ou se rattachant à des domaines réservés aux élus, comme la commission du budget. De plus, comme le résume le tableau 11.5, le contrôle du système demeure aux mains des élus tant sur la proposition de commissions associatives que sur le vote final d’un acte législatif. Les associations participent dans les commissions associatives à niveau égal avec les élus. Néanmoins, les rapports de commission en plénière ne peuvent être le fait que des députés. La raison principale est la nécessité de démocratie. En effet, on doit garantir que le citoyen puisse choisir son délégué et le sanctionner. Seul le suffrage universel le permet, car la capacité de représentation des associations demeure partielle.

Néanmoins, il est important de préserver la mixité de fonctionnement qui est caractérisée par une double fonction, celle de l’administration et les capacités externes. En effet, ces commissions seraient administrativement gérées par le Parlement européen comme toutes les commissions. Toutefois, nous pouvons admettre un fonctionnement lié à l’agenda tenu en partie de manière externe.

L’idée générale défendue dans cette thèse est la complémentarité des acteurs. Il nous semble que celle-ci ne peut être assurée que dans un cadre institutionnel exigeant. Il apparaît également que la responsabilité principale du pilotage doit rester aux mains d’élus qui sont directement accountable envers les citoyens. La démarche démocratique au sein de la société civile s’organise d’une autre manière dans le cadre de la participation des membres.

339 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

Tableau 11.5. Schéma sommaire de l’organisation des commissions associatives

Élections européennes

Formation du Parlement européen avec les nouveaux élus

Validation des thématiques et des critères de représentativités

Formation des commissions Formation des commissions associatives parlementaires

Travail de commissions (saisines, Travail de commissi ons (saisines, rapports, hearings…) rapports, hearings…)

Séance plénière (uniquement des élus)

4.1. De l’élection…

Bien que n’intervenant pas directement dans le cadre du suffrage universel, la société civile, par le biais des commissions ‘associatives’, peut modifier les techniques électives actuellement en cours pour l’élection européenne. En effet, les accords électoraux devront se faire sur une base plus large en regroupant des réseaux associatifs qui s’engageront réciproquement pour participer à l’élection de l’un ou l’autre parti en fonction des possibilités offertes par la suite au sein du Parlement. Par ce biais, la plate-forme électorale des partis se trouvera élargie et devra prendre en compte des éléments ‘européanisants’ plus importants. Il en découle qu’on peut trouver ici un effet d’européanisation de la campagne électorale et des partis qui auront ainsi intérêt à reprendre les manifestes des partis européens dans leur campagne afin d’associer un maximum d’acteurs.

De manière ponctuelle, certaines associations font paraître dans les newsletter à leur membres les actions des eurodéputés et les positions des partis. Sur cette base, elles encouragent à voter pour certains. Il s’agit dès lors bien de structurer cette capacité des associations à intervenir dans la vie politique, notamment lors des élections. Les démarches existantes démontrent le potentiel pour une action structurée des associations. Il s’agit aussi de contenir l’intérêt particulier par cette démarche publique. En effet, les associations peuvent s’affronter mais devront démontrer également leur capacité à se réunir dans un but d’approfondissement des affaires publiques.

340 Des commissions parlementaires ‘associatives’ ?

Une fois le Parlement élu et en fonction des rapports de pouvoirs, le Parlement va procéder lors de son installation à la mise en place des différentes instances. Comme nous l’avons vu la création des commissions associatives dépend exclusivement d’une décision du Parlement européen selon la procédure de la clef de répartition. L’avantage déterminant est celui de pouvoir en limiter le nombre et, également, de faire un choix de priorités. Ainsi, la mise en place s’inscrit dans une logique parlementaire. En cela, les commissions associatives diffèrent des suggestions du voucherism à la Schmitter (distribution en fonction du nombre d’adhésion, priorité choisie par le peuple) ou des agents de souveraineté agissant quasi -exclusivement dans un cadre réglementaire (se référer au tableau 11.6). Ici, au lieu que cela soit l’ensemble des citoyens qui distribuent les voucher , c’est la législature qui est responsable du choix des associations.

4.2. … au mode de fonctionnement

De manière générale (voir tableau 11.5.), les commissions ‘associatives’ seraient formées en début de législature sur proposition de la Conférence des présidents, choix ratifiés en séance plénière. En effet, attendu qu’il s’agit d’un mécanisme spécial qui engendre une participation extérieure, il fait sens que l’ensemble des députés puissent participer aux choix des thématiques et des critères de représentativité. Il est probable que, sans accord entre le PPE et le PSE, le choix d’une majorité puisse modifier à chaque législature les critères. Cet aspect peut permettre une meilleure politisation des politiques à mettre en valeur en raison même de ce choix. Durant cette phase de mise en place, le Parlement établira la liste des associations qui seront présentes de manière permanente au sein des commissions ‘associatives’. La société civile non retenue ou considérée non-eurocompatible peut, toujours, comme d’autres participants externes, être appelée à participer selon les thématiques dans le cadre d’auditions.

Après la phase de mise en place, il y a la formation des commissions associatives avec les députés et la société civile selon une clef de répartition. Par la suite, ce mécanisme agit au sein du Parlement européen comme toutes commissions, à la différence qu’une partie des commissaires ne pourra pas participer au vote, réservé aux élus. Cette proposition instaure une prolongation du rôle des intergroupes et s’appuie sur l’idée de ‘l’ agora citoyenne’.

Une fois en place, les commissions associatives ne différeront des autres commissions que sur la place importante que vont prendre des acteurs extérieurs. Toutefois, elles participeront aux avis et aux rapports parlementaires. Le mode d’expression lors des retours de commissions en plénière et la décision demeurent dans le champ parlementaire classique. En aucune mesure, les commissions associatives ne peuvent se substituer à un personnel politique élu. Ici, il s’agit de canaliser le lobbying dans une phase plus transparente pour le citoyen et les acteurs externes.

341 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

Tableau 11.6. Les différents modes d’association à la société civile

Commissions Agora Agent de Voucherisme Intergroupes associatives citoyenne souveraineté Voucher , Parlement décision par le Parlement Procédure de européen et Parlement Parlements peuple en européen et partis sélection groupes européen nationaux fonction des politiques politiques membres Pas de Participation à Pas de compétences Participation à la mise en compétences propres la mise en Essentiellement Compétences œuvre de propres (liens avec œuvre de parlementaires politiques (auditions, les grandes politiques publiques discussions) thématiques publiques annuelles) Société civile Eurodéputés, Associations remplissant les associations remplissant les Eurodéputés, conditions de au sens Acteurs critères de la associations au Société civile représentativités général, Charte (cf sens général énoncées dans ce experts, tableau 2.1) chapitre académies Sources : Andersen et Burns, 1998 ; Schmitter, 2000 ; tableau construit par l’auteur

La réalité du fonctionnement s’inscrit dans la logique de l’intergroupe. Dès lors, l’aspect novateur et essentiel se résume dans la procédure de sélection et dans l’association de la société civile et des partis sur des plate-formes électorales européennes.

En reprenant le tableau 11.6., on observe que les commissions associatives diffèrent des propositions inscrivant la société civile dans la gouvernance. L’aspect essentiel est l’inscription de ces dernières dans le travail parlementaire. En effet, les travaux sur la société civile ont pour l’instant surtout porté sur la manière d’inclure cet acteur dans l’architecture d’ensemble. Souvent les propositions se sont accordées sur le travail d’expertise apporté par la société civile. Dès lors, elle devient un auxiliaire de l’exécutif dans la procédure de consultation, voire, pour certains, un agent d’application des mesures. Le débat important sur le dernier point n’a que peu été poussé sur le rôle des parlements, si ce n’est par les tenants du post-parlementarisme et de la démocratie associative, ainsi la proposition de commissions parlementaires associatives est nouvelle et s’inscrit dans ce mode de pensée.

En effet, le Parlement européen demeure le répondant auprès du peuple par le biais d’élections et des outils de la démocratie représentative. De plus, nous complétons cette représentation imparfaite du pluralisme européen avec la démocratie participative. Comme nous l’avons vu, on adjoint également des conditions pour donner l’accès à la sphère parlementaire. Les travaux de Philippe Schmitter sur le voucherism proposent également un nombre de conditions pour avoir accès au système des voucher . Le tableau 2.1 reprend ses différents éléments. On constate que le souci principal de l’auteur se situe autour des conditions démocratiques et sur les garanties que la puissance publique peut apporter. Toutefois, il semble essentiel de considérer la délimitation des problématiques de manière préalable afin de ne pas faire double emploi avec certaines politiques publiques. De plus, nous ajoutons des conditions européennes comme l’obligation de présence dans plusieurs États. Dès

342 Des commissions parlementaires ‘associatives’ ? lors, la conditionnalité permet de combiner différents éléments afin d’être complet tant au niveau des garanties démocratiques qu’au niveau de l’accessibilité.

Le post-parlementarisme engage la société civile sur la voie des agents de souveraineté. Cette idée répond en de nombreux points au défi pluraliste de l’intégration des territoires. Toutefois, la construction du rôle de la société civile n’est pas toujours évidente surtout par rapport à la puissance publique. En effet, le principe essentiel est de garder les parlements comme ultimes décideurs afin de leur redonner un rôle de vision d’ensemble. Les aspects techniques seraient réglés par l’administration, l’exécutif et cette nouvelle catégorie, les agents de souveraineté non étatique. Autant, il nous semble important de garder l’idée fondamentale du rôle ultime du Parlement afin de garantir le processus représentatif et d’ accountability , autant le rôle donné aux agents de souveraineté doit être mieux encadré. En effet, certains acteurs de la société civile travaillent déjà dans le cadre de la gouvernance et de la mise en place de politiques. C’est pourquoi il semble novateur d’inclure la société civile dans le Parlement en employant la base connue des intergroupes.

Un autre aspect de différence est sur la procédure de sélection. Au lieu de respecter la non-ingérence mutuelle de Schmitter, nous proposons un choix politique. En effet, le Parlement doit rester maître de ses choix et de ses priorités. Néanmoins, comme les commissions parlementaires peuvent évoluer au niveau des dénominations voire des compétences, il semble juste de placer la société civile sous la même conditionnalité. Les arguments de souplesse voulus par les promoteurs de la société civile et de réponse rapide et adéquate à la population doivent ici prendre toute leur place. En effet, les commissions parlementaires ‘associatives’ seraient rediscutées en début de chaque législature afin de répondre de manière adéquate aux souhaits de l’électorat dans des domaines où les politiques publiques sont faibles ou sur des intérêts globaux minoritaires (voir plus haut) comme le font actuellement les intergroupes.

343 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

5. Analyse critique et mise en perspective des commissions associatives

L’analyse critique des commissions ‘associatives’ s’appuie sur les points principaux étudiés dans ce travail, soit la représentation, l’agrégation, l’associationnisme, la société civile et l’intérêt général. En effet, l’objectif analytique de ce travail est d’explorer une nouvelle voie de fonctionnement pour la démocratie représentative en raison des multiples contraintes existantes, notamment dans l’Union européenne.

En premier lieu, la représentation, et, dans une certaine mesure, la représentativité sont abordées ici en reprenant les éléments développés essentiellement dans la première partie. Nous reprendrons ceux de Pascale Dufour qui permettent de placer notre proposition sur un schéma théorique de la représentation. Par ailleurs, les questions de la représentativité se posent à deux niveaux, celui des élus et celui de la société civile, d’où une incursion dans ce domaine semble également nécessaire. En second lieu, la question maîtresse de l’agrégation des demandes sera abordée. En effet, la quasi -absence de partis politiques européens a conduit la réflexion sur les chemins de l’étude des conditions et des possibilités pour la mise en place de nouveaux relais entre le citoyen et les institutions (chapitre 5).

Troisièmement et quatrièmement, la question de l’associationnisme (chapitre 2 et chapitre 9) et l’étude de la société civile dans l’Union européenne (chapitre 7 et 8) permettent de revenir sur les aspects ‘institutionnalisants’ de notre étude. En effet, d’une part, c’est l’existence au sein du pluralisme de la théorie de la démocratie associative qui a permis le développement de notre étude et, d’autre part, c’est l’existence d’un discours européen structuré sur la société civile qui inscrit cette dernière à l’ordre du jour. Ainsi, on assiste à un rapport de réciprocité. Il est pour cela nécessaire de revenir sur ces deux éléments dans le cadre des commissions ‘associatives’, et, de reprendre les éléments de son inscription dans le cadre de la gouvernance européenne.

Cinquièmement et finalement, l’inscription d’un nouvel organe au cœur du cadre législatif de l’Union européenne avec l’inclusion d’acteurs extérieurs doit répondre à la question de l’intérêt général, d’autant plus que les acteurs mis en avant sont l’idéal- type de la représentation des intérêts particuliers. Le débat est ici crucial, car sans intérêt général la démocratie se meurt. Par conséquent, nous reviendrons sur différents chapitres et leur développement quant à l’intérêt général et la société civile.

En conclusion, l’analyse de questions clefs permettra la construction d’un nouveau modèle ‘démocratique’ au sein de l’Union européenne par la mise en œuvre des commissions ‘associatives’. Ainsi, sur la base des développements précédents, nous établirons les principes de notre modèle.

5.1. Représentation (et représentativité)

Nous délimiterons la question de la représentation dans le cadre du losange représentatif ébauché par Pascale Dufour (2004) (se référer au chapitre 1/Tableau 1.2). En effet, du point de vue de l’auteur la représentation politique s’inscrit dans une rencontre entre quatre pôles. C’est à cette condition que se développe une possible entrée dans le cadre légitimant de la décision. L’auteur caractérise son point de vue en

344 Des commissions parlementaires ‘associatives’ ? délimitant les quatre pôles ainsi : une procédure de délégation de pouvoir, le partenariat dans le cadre des politiques publiques, la logique de confrontation, et l’auto-représentation de la citoyenneté.

Les commissions ‘associatives’ répondent à un mélange des quatre axes. Ainsi, elles s’inscrivent dans un système de délégation de pouvoir inscrit en accord avec les instruments de représentativité tels qu’énoncés plus haut. De plus, la délégation de pouvoir se fait également dans le cadre des associations. Dans l’ensemble parlementaire, l’élection d’un député demeure centrale attendu que c’est le parlement élu qui vote au final la loi. Bien qu’il ne s’agisse pas de la mise en place d’une politique publique, la contribution des associations au choix des députés est une partie importante du choix et du développement de certaines politiques publiques. L’ensemble du système débute forcément dans une phase de confrontation qui doit se conclure par une phase de travail commun au sein de l’organe public. Finalement, ces mouvements membres de la société civile partent souvent du principe de la citoyenneté.

Le choix du nouveau modèle représentatif reste entier. En effet, d’une part, nous avons la représentation classique avec un processus électif. Ce dernier a été perçu comme insuffisant dans le cadre européen en raison d’un manque de participation aux élections et de l’absence de partis européens. La réponse à ce déficit peut intervenir de multiples manières. Bien qu’actuellement structurellement faible, les partis politiques européens peuvent devenir incontournables dans le futur, pour autant qu’un modus operandi soit trouvé avec les partis nationaux. Dans l’attente, les regards se tournent vers la société civile européenne placée par les institutions comme un possible complément à la démocratie représentative. Dès lors, notre modèle se construit sur une base commune où on doit assurer d’une part la représentation en tant que délégation de pouvoir (élection) et d’autre part la représentativité de la société civile sur la base d’une procédure (sélection).

L’union de la représentation et de la représentativité est un enjeu complexe. En effet, l’une est perçue comme une relation verticale, alors que la deuxième est une relation horizontale. Est-ce que les faire se rencontrer ne les dénature pas plus qu’il les renforce ? La situation idéale serait bien entendu un positionnement de complémentarité où le manque des uns serait complété par les autres. Toutefois, la jonction de l’élu et de l’associatif est plus une relation complexe qu’une relation aisée en raison de son aspect normatif. En effet, l’objectivité est peu assurée et la démocratie interne des associations est difficilement vérifiable. Cette dernière condition est absolument nécessaire pour reconnaître le rôle des associations dans le processus démocratique. En effet, le manque de représentativité externe et de représentation interne porte un coup fatal au processus proposé.

Un autre risque est celui de délégitimer l’élu. Si les associations prennent trop de pouvoir, l’élu aura de plus en plus de difficultés à faire reconnaître son statut. Il est essentiel que le rôle de chacun soit établi. Cela peut porter également préjudice au développement politique envisageable comme une circonscription européenne ou des partis européens avec un programme imposé. En effet, le risque politique de placer en avant les associations peut dénaturer l’ensemble du processus démocratique.

345 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’

5.2. Agrégation

Dans le chapitre 5, nous relevions la pertinence d’un système à deux niveaux. Au lieu de considérer le parti politique agissant au niveau européen et un parti politique national, nous évoquions la possibilité d’inclure les intérêts pluralistes. La proposition des commissions ‘associatives’ conduit la réflexion vers un système à trois acteurs et à deux niveaux (voir tableau 11.7). En effet, la proposition associative ne contredit pas la possibilité d’avancer sur des partis politiques européens, attendu qu’elle complète la démocratie représentative. De plus, l’activité des partis nationaux demeure intacte. Ainsi, nous pouvons construire un schéma de travail pour l’agrégation des demandes.

Tableau 11.7. Nouveau trio agrégatif

Acteur Action Parti politique européen uniquement au niveau européen et élection au PE Parti politique national uniquement national, appui lors de l’élection au PE Société civile européenne représentation des intérêts au niveau européen

Comme nous l’avons vu avec le tableau 3.1., chacun des acteurs impliqués amène une légitimité et une représentation différentes au niveau européen. De plus, l’organisation institutionnelle de l’UE conduit à des éléments de proximité parfois plus importants avec la représentation des intérêts que la représentation classique. Dès lors, l’agrégation des demandes doit se compléter de manière différente que dans l’État national.

Si l’agrégation par les partis demeure nécessaire, et notamment sur les demandes nationales, l’agrégation des questions européennes du point de vue des intérêts est également essentielle. La seule consultation est insuffisante. En effet, la société civile organisée en réseau européen remplace presque les partis au niveau de son rôle classique de relais. Comme le signalait Delwit (2000), si les partis n’agissent pas au niveau proprement européen, une autre structure risque de prendre leur place. Il faut ajouter à cela que la structure particulière de l’Union européenne conduit inexorablement à la réflexion sur une autre structure en raison d’une limitation des politiques publiques et de l’orientation ciblée des choix politiques.

La construction d’une Europe politique ne peut se faire qu’en tenant compte de l’ensemble des acteurs. De plus, le mandat du parlementaire n’est pas toujours clair face à ce qu’il représente (se référer au chapitre 4). Ceci conduit à une agrégation nationale 306 , mais pas forcément européenne. Comme nous l’avons vu au cours de ce travail, le seul réseau pleinement européen agissant par délégation et avec autonomie se situe au sein de la société civile.

306 Il faut sur ce sujet se souvenir de l’étude de Christopher Lord (2004) sur la question de ce que représentent les eurodéputés (tableau 4.5).

346 Des commissions parlementaires ‘associatives’ ?

5.3. Associationnisme

Le rapport avec la théorie associationniste est évident. En effet, il s’agit de donner un processus représentatif institutionnel à la représentation des intérêts. Forts de la remarque, Railway is as real as Lancashire , nous entrons dans la logique associative. Toutefois, la proposition maximaliste serait la création d’une véritable ‘Chambre des intérêts’, ce que nous n’avons pas suivi. Cette proposition importante offre la possibilité à une autre voie de l’analyse, celle d’un renforcement du CESE, ce qui, comme nous avons pu l’observer, n’a abouti que très partiellement.

Au-delà de la faiblesse institutionnelle, un autre élément est à verser en défaveur du CESE sur la question de la pratique du lobbying auprès des institutions décisionnelles. En effet, les réseaux associatifs cherchent à devenir des interlocuteurs reconnus de la Commission dans le cadre des consultations, et aussi à influencer le Parlement (groupes d’intérêts, intergroupes, etc). Il est essentiel pour la crédibilité du système de donner un rôle de décision, transparent et démocratique à certains groupements représentatifs de la société civile.

La logique débattue ici accorde une ‘place décisionnelle non ultime’. En effet, les commissions débattent et décident, mais la décision ultime revient aux élus lors de la séance plénière. De plus, les domaines d’activités et les intervenants sont décidés par les élus qui souhaitent débattre de certaines thématiques en priorité. Dès lors, le projet de commission associative semble répondre à deux demandes, celle de la société civile et celle de la gouvernance européenne. Les thématiques déjà abordées permettent de penser qu’un certain pluralisme va s’exprimer. Il demeure que certaines associations économiques exclues du concept de société civile devront continuer leur travail de lobbying pour se faire entendre, ce qui n’exclut pas l’organisation d’audition au sein des commissions ‘associatives’ qui permettrait l’expression de toutes les diversités.

5.4. Société civile, démocratie et intérêt général

La question récurrente dans le débat des commissions ‘associatives’ demeure celle de la démocratie. À cette dernière, il faut également se pencher sur les aspects de l’incorporation d’une structure souple par nature à une démarche parlementaire inscrite dans le règlement d’organisation.

Hormis tous les critères de sélection et de reconnaissance de la société civile comme étant européenne et apte à participer, il demeure la question essentielle de l’intérêt commun et celui de la démocratie. En effet, souvent les associations réclament la transparence dans les institutions gouvernementale sans pour autant l’appliquer elles- mêmes. De plus, le jugement du respect des critères est soumis à une certaine subjectivité. Le modèle proposé valide une sélection par des élus. Ces derniers sont souvent membres d’une association et pourraient avoir tendance à valider des choix personnels et non des choix institutionnels.

La critique de Rossteutscher (2000) sur le modèle associatif ainsi que les différentes critiques de Jean-François Bayart (2001) et Béatrice Pouligny (2001b) sur le rôle des ONG dans la gouvernance internationale peuvent se retrouver ici. En effet, l’intérêt

347 Quatrième partie – Vers des commissions parlementaires ‘associatives’ particulier reste par nature particulier même si l’assemblage avec d’autres en réseau et la sanction des élus permettraient une évolution vers l’intérêt commun.

L’intérêt général doit être préservé par la sanction d’une assemblée élue. La construction d’un autre modèle pose des problèmes démocratiques importants. L’imposition de la démocratie dans les associations avec des critères qualitatifs et quantitatifs semble être la seule voie raisonnable. Le Livre Blanc sur la gouvernance rappelle également cette nécessité pour permettre une meilleure inclusion de la société civile. C’est en rassemblant les critères de la société civile et en délimitant le cadre de son action qu’on peut construire notre modèle.

Tableau 11.8. Le nouveau modèle démocratique

Élection Moment privilégié de la délégation de pouvoir. C’est toujours une lutte entre les partis avec une participation plus importante d’organisations de la société civile dans la campagne. Toutefois, elles ne sont pas directement soumises au vote. Intérêt public Afin de garantir l’intérêt public, les organisations de la société civile doivent répondre à un certain nombre de critères. De plus, c’est le Parlement nouvellement élu qui va définir un certain nombre de thématiques pour les commissions associatives. Agrégation L’agrégation est complétée par la présence des organisations de la société civile au sein du Parlement. Du fait de leur présence européenne, elles peuvent devenir un relais plus efficace que les partis tels qu’ils sont actuellement organisés. Accountability La remise des comptes s’effectue de la même manière. Ce sont les élus qui sont soumis à la sanction populaire sur leur action et également sur leur choix de priorités ‘associatives’. Il s’agit dès lors d’une accountability populaire indirecte pour les organisations de la société civile. Elles sont comme à l’accoutumée dépendante de l’assemblée générale de leurs membres. Ici, c’est une accountability limitée directe. Légitimité La combinaison du choix des acteurs non-élus par des élus et l’amélioration de l’agrégation des demandes devraient renforcer la légitimité du Parlement européen dans sa part input (assise identitaire plus importante) et dans sa part ouput (le choix de politiques publiques et leur mise en place ont été fait par un plus grand nombre d’acteurs). Transparence Les conditions d’accès au Parlement et de travail dans les commissions sont soumis aux conditions existantes en la matière. De plus, les associations doivent publier leur statut, les procès-verbaux de leurs assemblées générales, et une liste des membres du bureau. Représentation La représentation demeure essentiellement dans sa mouture actuelle. On l’étend à de nouvelles organisations mais qui ne sont pas élues par le peuple. Représentativité La représentativité est améliorée du fait de l’intégration d’un plus grand nombre d’acteurs dans le processus parlementaire.

L’élaboration de ce nouveau modèle se trouve ainsi résumée dans le tableau 11.8. En reprenant les conditions et les garanties démocratiques classiques, il s’agit de démontrer les points forts et l’intérêt de cette nouvelle proposition. Deux idées forces sont principalement mises en avant. Premièrement, l’originalité principale est l’inclusion d’acteurs externes au sein du Parlement. Deuxièmement, ces acteurs externes complètent la représentation. En effet, il ne s’agit d’aucune manière de supplanter les acteurs politiques classiques. Dès lors, la recherche est surtout sur l’amélioration du modèle représentatif en se basant principalement sur les idées pluralistes et d’intégration de la représentation associative. Il s’agit également de démontrer que sous certaines conditions un acteur non-élu peut contribuer à la gouvernance générale sans remettre en cause les institutions généralistes élues.

348 Des commissions parlementaires ‘associatives’ ?

C’est donc de ces constats que découle le reste. Dès lors, le modèle de commission ‘associative’ ne dépend pas de l’existence ou non de parti politique européen. En effet, les organisations de la société civile peuvent être intégrées sur l’une ou l’autre plateforme. Toutefois, il apparaît qu’un parti européen permettrait de renforcer la dynamique identitaire européenne. Les deux points importants en termes de risque démocratique sont la garantie de l’intérêt général et la question de la représentation. Sur le premier point, l’intérêt général doit faire l’objet d’attention permanente notamment en assurant les conditions de sélectivité de la société civile. De plus, le choix de la thématique par le Parlement européen permet de garantir les décisions prises par la représentation classique.

Ainsi, nous plaçons la représentation territoriale au-dessus de la représentation des intérêts pour l’équilibre de l’architecture de l’ensemble. Donc, si le Lancashire is as real as railways , on doit plutôt formuler que Lancashire is more real than railways . Ceci a l’avantage de placer un ordre de fonctionnement et de sélection. Cela nous amène également au second point quant à la représentation. En effet, nous avons ici deux types d’acteurs, un élu et l’autre non-élu. Il est cohérent pour préserver l’ensemble de donner une prédominance au premier. Toutefois, les questions d’agrégation et de représentativité ne sont réellement possibles qu’en permettant un véritable rôle au second. De plus, il ne s’agit pas d’organiser des élections type prud’homal pour garantir la représentation des intérêts. Le cadre général ici implique un choix différent sur la manière dont la représentation s’effectue (priorité à l’élu) et sur la manière dont les intérêts pluralistes sont pris en compte (inclusion des intérêts). En d’autres termes, il s’agit de compléter la représentation, voire de l’améliorer, sans enlever l’essentiel de ce qui fait la représentation.

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Conclusion générale

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Conclusion générale

1. Rappel de la démarche méthodologique et des hypothèses introductives

En introduction, nous avons délimité la question principale de notre travail qui consiste à s’interroger sur le rôle de la société civile au sein du Parlement européen et à identifier sa place dans le système de représentation. Par ailleurs, notre questionnement théorique a dû tenir compte de la particularité de l’Union européenne tant au niveau institutionnel que sociétal. En effet, au sein de l’UE, on trouve une multitude d’identités, symbole d’un fort pluralisme. Ainsi, nous devons prendre en considération les particularités de la représentation européenne, perçue comme complexe, car l’UE n’est pas un État classique, même si elle en possède quelques fonctions. Par ailleurs, en raison des particularismes institutionnels, il y a une analyse différente à adopter dans les études européennes des structures fondamentales (partis, institutions) et informelles (société civile) que dans les études nationales.

En nous fondant sur la littérature scientifique ébauchant cette perspective, notre approche conçoit une solution nouvelle basée sur la structure des intergroupes que nous avons appelé les commissions parlementaires ‘associatives’. Pour arriver à un tel choix, l’appui de notre réflexion s’est faite autour d’hypothèses introductives (voir tableau 12.1).

12.1. Tableau des hypothèses et références principales de l’analyse

Hypothèse 1 Le processus parlementaire européen est de nature Chapitre 3 différente que le processus parlementaire national. Hypothèse 2 Les partis politiques européens ne trouveront pas Chapitre 5 leur place dans l’espace politique européen de la même manière que dans l’espace national. Hypothèse 3 La société civile peut être perçue comme un futur Chapitre 7 intermédiaire crédible dans la gouvernance européenne entre le citoyen et les institutions. Hypothèse 4 La représentation européenne aboutie se concrétise Chapitre 9 dans l’approche pluraliste et post-parlementaire. Hypothèse 5 La démocratie participative et la démocratie Chapitre 11 représentative sont conciliables.

Dès lors, il convient de rappeler notre première hypothèse stipulant que le processus parlementaire européen est irréversible et de nature différente que celui au niveau national. En s’appuyant principalement sur le chapitre 3, nous avons dépeint l’évolution du Parlement européen et, notamment, les gains de pouvoir progressifs. La solution théorique que nous avons retenue est celle décrite par Paul Magnette (1999), d’un système semi-parlementaire. En effet, l’Union européenne et son Parlement n’entrent pas dans les schémas classiques de l’étude des parlements, d’où l’emploi de cette nouvelle catégorie.

De surcroît, il est apparu que le Parlement européen, toujours en phase de développement, évolue quasiment à contre-sens des parlements nationaux. Ainsi, alors que ces derniers s’occupent essentiellement du contrôle de l’exécutif, le Parlement européen se concentre presque exclusivement sur ses compétences

352 Conclusion générale délibératives. Par conséquent, le contrôle de l’exécutif reste encore marginal au regard des compétences parlementaires européennes, comme en témoigne l’emploi de la censure envers la Commission européenne (voir tableau 3.4.). Néanmoins, la croissance des compétences au profit du Parlement européen est un fait indéniable qui donne raison à la thèse du parlementarisme européen. On peut même considérer ces compétences comme des acquis. En effet, les États membres ne pourraient que très difficilement revenir en arrière, car cela marquerait, entre autre, un changement de doctrine. Nous avons vu que le parlementarisme reste, sous bien des égards, l’approche privilégiée.

Dans ce contexte, bien que critique face au système démocratique de l’UE, la Cour constitutionnelle allemande statue dans son arrêt Maastricht qu’il s’agit d’une situation transitoire jusqu’à ce que le Parlement européen soit pleinement un parlement au sens où l’ ethos rejoindrait le demos formel. Il s’agit d’arriver à un niveau équivalent des parlements nationaux et, ceci afin de garantir les principes démocratiques aux citoyens européens. Toutefois, l’agencement institutionnel particulier de l’UE conduit à une parlementarisation différente qui s’inscrit entre un parlementarisme souhaité et un régime de concordance de fait marqué par un Parlement en croissance constante et une logique du consensus entre les groupes.

Par ailleurs, notre deuxième hypothèse (H2) considère que les partis politiques européens ne trouveront pas leur place dans l’espace politique européen de la même manière que dans l’espace national. La question de l’agrégation des demandes et la manière dont elle s’effectue est ici cruciale. En effet, l’indice de représentativité, soit le taux de participation aux élections, est faible au niveau européen, notamment en raison de l’engagement des partis politiques principalement dans l’espace public national. Cela conduit naturellement à considérer les élections européennes comme étant de second ordre. Par conséquent, seul un débat européen, qui s’épargne les clivages nationaux, peut redonner du sens et la possibilité aux électeurs de s’intéresser aux affaires européennes.

La création récente du statut de parti européen s’inscrit dans ce contexte. Toutefois, la voie choisie laisse le chercheur perplexe. En effet, lors des dernières élections européennes, les partis dotés du statut européen n’ont pas conduit à une meilleure participation électorale. Force est donc de constater que le débat public ne s’est pas, encore, européanisé. Pour cela, il faudrait que les partis nationaux s’engagent sur une voie d’abandon de compétences pour les élections européennes au profit d’une plate- forme supranationale. Néanmoins, l’élément identitaire et les différences idéologiques entre les partis des différents États membres rendent quasiment impossible cette évolution.

Dès lors, si les partis politiques européens ne peuvent occuper une place similaire à celle des partis nationaux, leur rôle particulier dans l’espace politique sera nécessairement pris par d’autres entités, notamment les organisations intermédiaires, car comme nous l’avons déjà cité, « à défaut de l’exercice de contrôle ou de médiation, les partis politiques s(er)ont supplantés par d’autres organisations, notamment les groupes de pression. À ce jour, les fédérations européennes ne médiatisent que faiblement voire pas du tout les desiderata de(s) citoyen(s) et les choix effectués par l’exécutif européen » (Delwit, 2003, 104). En effet, l’UE d’après Maastricht ne peut plus fonctionner sans relais politiques entre les citoyens et les

353 Conclusion générale institutions et, comme la politique se défie du vide, il y aura des organisations qui occuperont cette place dans ‘l’espace politique européen’.

Ainsi, trois possibilités sont envisageables, soit les partis politiques européens prennent l’avantage et s’imposent lors des débats européens, soit ils s’effacent au profit d’autres structures, soit nous restons dans le statu quo avec des manifestes européens et une campagne essentiellement nationale. Dans tous les cas, nous nous trouvons dans un système de superposition des partis avec des instances nationales à forte identité en concurrence avec des instances européennes encore faibles. C’est pour cela que si le parti européen peut théoriquement agir, il ne peut occuper la même place que celle détenue par les partis politiques dans l’espace politique national.

En énonçant que la société civile est une option crédible dans la gouvernance européenne en tant qu’intermédiaire entre le citoyen et les institutions, la troisième hypothèse [H3] complète la deuxième. En effet, l’espace dont les partis politiques sont absents rencontre forcément d’autres acteurs. Dans ce contexte, notre analyse nous a conduit à prendre en compte l’acteur ‘société civile’, notamment en nous référant aux discours institutionnels quant au futur rôle de cet acteur, les nombreuses auditions, et la place que le Livre Blanc sur la gouvernance lui octroie. En outre, la société civile a été discutée par de nombreux auteurs (entre autres : Hirst, 1989 ; 1993 ; 1994 ; 1997 ; Delwit, 2003 ; Bader, 2001a ; Schmitter, 2000 ; Andersen et Burns, 1998 ; Thuot, 1998) comme un possible complément à la démocratie représentative, ce qui est d’autant plus envisageable quand l’acteur monopolistique de la représentation, les partis politiques, est absent. En se basant sur les travaux existants sur la question, nous avons soutenu cette hypothèse sur l’impossible retour en arrière quant à la présence, au minimum, de la société civile au sein de la gouvernance européenne, et ceci malgré le fait que son rôle peut être instrumentalisé par les institutions. En effet, au-delà du discours, les pratiques des institutions comme la Commission, le Parlement européen ou le CESE ont véritablement instauré un nouvel interlocuteur dans le cadre de la représentation du citoyen européen.

Toutefois, ce nouvel acteur en tant que relais pose des problèmes importants en termes de démocratie, de représentation et de conception de l’intérêt général. C’est pour cela que contenir la société civile dans une définition claire avec des critères de représentativité est essentiel à toute analyse, sans quoi elle ne pourrait être reconnue comme un intermédiaire crédible. Dans ce débat, notre thèse propose des critères stricts (voir tableau 11.1.) qui permettent de délimiter de quelle société civile nous parlons. La définition de l’acteur ‘société civile’ s’inscrit dans un mouvement intellectuel complexe où une définition reconnue par tous n’existe pas. Dans le chapitre 8, l’objectif a été de proposer des critères de définition qui sont résumés dans le tableau 8.2. qui a eu pour conséquence l’élimination en tant que membre de la société civile, notamment, les syndicats, les forces du marchés et les partis politiques. D’une manière générale, la société civile s’identifie autour d’acteurs n’ayant pas encore des participations quasi -institutionnelles dans la puissance publique. À notre sens, cela fait partie de ce renouveau représentatif.

Également, il faut aussi comprendre la modification du rapport au Parlement entre les citoyens et le politique dans l’espace public ce qui conduit à réfléchir à un nouveau cadre d’action pour les parlementaires. C’est pour cela que nous avons posé l’hypothèse [H4], qui considère qu’une représentation européenne aboutie ne se

354 Conclusion générale concrétisera pleinement ‘que’ dans une ère post-parlementaire (voir tableau 12.2.), sans quoi perdurera un système de représentation imparfait.

En nous basant sur les études associationnistes, nous pouvons construire un modèle démocratique qui, loin d’affaiblir la puissance publique, la renforce, notamment le Parlement, en s’appuyant sur des agents de souveraineté externes (société civile). C’est de cette manière que le Parlement pourrait revenir pleinement aux tâches essentielles en laissant des questions plus techniques à d’autres organes. En quelque sorte, il s’agit de revenir au politique, au sens de la décision de portée générale, en misant sur l’apport ponctuel d’un nombre d’intervenants plus importants en raison de la complexité de la société. Dans ce contexte, les commissions parlementaires ‘associatives’ s’inscrivent comme une contribution à ce débat. Elles auraient un rôle de débat, mais également de mise en œuvre d’éléments plus techniques afin de décharger les commissions parlementaires classiques. Par conséquent, ces dernières pourront se recentrer sur les questions clefs des affaires européennes et effectuer des choix de politique générale. La représentation imparfaite décrite dans l’hypothèse [H4] est liée à l’hypothèse [H2]. En effet, il faut développer de nouveaux relais qui correspondent au mode politique européen. C’est dans ce contexte que la société civile peut développer un rôle dans la gouvernance européenne.

12.2. Les modèles démocratiques comparés

Démocratie représentative Démocratie fonctionnelle formelle Il existe différentes formes d’espace Le Parlement est la principale de délibération, un élément-clef est institution. le citoyen organisé.

Représentant et gardien des Parlement, demos Parlement comme meta- valeurs démocratiques souverain, citoyenneté démocratique (ou organisée). Agents Demos , Parlement (élus Parlement, gouvernement, et partis), gouvernement société civile, ONG, organisations intergouvernementales, citoyen démocratique. Espace public de délibération Parlement, demos Parlement, société civile, espace et de débat public formel ou informel établi par des agents autonomes ou délégués par la puissance publique. Forme de délibération Délibération parlementaire Formes multiples de la délibération démocratique, dont les commissions ‘associatives’, pour autant qu’elles se fassent dans le respect des règles générales de la démocratie avec libre accès, transparence, et l’ accountability . Source : Commission européenne, AS/D(2000) ; tableau traduit, modifié et mis en forme par l’auteur

Finalement, l’hypothèse [H5] postule que la démocratie participative et la démocratie représentative sont conciliables. Il est même d’ailleurs souhaitable de les réunir plutôt que de les opposer. Cette hypothèse correspond à l’esprit général de ce travail, et s’inscrit, également, comme un fil rouge entre les associationnistes du XIXe siècle et les études de la démocratie européenne. En effet, l’idée de conciliation au sein de la

355 Conclusion générale démocratie des différents modes est un élément important, car seule la combinaison de ces deux modes peut contribuer à améliorer la légitimité d’un système hybride.

En se basant sur nos hypothèses, nous pouvons maintenant reprendre notre question générale libellée ainsi : la société civile européenne n’est-elle qu’un rassemblement de groupes d’intérêts ou porte-elle un renouveau du modèle représentatif capable d’engendrer des intérêts généraux et participant à des décisions de législature ? Après analyse, et en développant une conditionnalité pour l’action de la société civile, nous pouvons répondre positivement à la deuxième partie de la question et proposer un cadre pour ce renouveau du modèle représentatif.

L’élargissement du cadre démocratique de l’UE doit permettre une meilleure inclusion des différentes composantes des sociétés européennes. En effet, une des motivations fondamentales à ce travail est la question de l’ input legitimacy . Il s’agit d’élargir l’espace politique européen à de nouveaux relais entre le citoyen et les institutions européennes afin d’inscrire le débat au sein d’un espace public toujours en voie de création. En d’autres termes, la reconnaissance par les citoyens d’une identité européenne dépend de l’établissement de lieux de débats qui sont actuellement peu présents. Par conséquent, la société civile organisée a la capacité de participer à la construction européenne pour autant que nous maintenions les conditions démocratiques classiques comme les élections, la recherche de l’intérêt général, l’agrégation, l’ accountability , la représentation et la représentativité (se référer au tableau 11.8.). À notre avis, ce n’est qu’ainsi et uniquement ainsi que nous pourrons dépasser le débat sur le déficit démocratique, et répondre au défi du pluralisme dans l’UE (États-nations, langues, régions, conditions socio-économiques,…).

356 Conclusion générale

2. Une nouvelle approche de la société civile – ‘ New times for old ideas ’307

Pour aborder notre problématique, nous avons choisi l’approche associationniste qui permet d’observer, sous l’angle des associations, de nouvelles potentialités en termes de représentation. En résumé, la représentation fonctionnelle permettrait de combler un défaut représentatif de la société, notamment en mettant en place une Chambre des corporations au même titre qu’il existe une Chambre territoriale afin d’améliorer la représentation en tant qu’image-miroir de la société. Nous avons vu néanmoins les nombreuses difficultés de l’application complète de ce principe en raison de l’action du lobbying, des questions sur la préservation de l’intérêt général et la difficile sélection des associations. Il n’en demeure pas moins que les différentes visions théoriques allant de l’associationnisme au néo-corporatisme ont mis en relief que l’identification à une société donnée au sens identitaire passe également par l’engagement de la société civile, notamment dans son acception associative. Dès lors, pour reprendre l’idée du Livre Blanc sur la gouvernance, on doit employer dans l’UE les principaux identifiants, comme les partis politiques, les médias et la société civile, afin de comprendre la citoyenneté européenne complexe.

En d’autres termes, paradoxalement, c’est l’emploi d’une théorie développée à la fin du XIXe qui permet d’appréhender la complexité de l’UE et entrouvre de nouvelles perspectives théoriques, en raison de l’argumentation autour des associations (la société civile organisée) comme un moyen d’identification à un espace donné qui caractérise l’approche associationniste.

Il ressort de notre recherche que la société civile européenne organisée peut jouer un rôle important dans la gouvernance, et, cela dépend beaucoup des critères de représentativité employés qui sont, dans ce cas, cruciaux en termes de légitimité. En effet, l’absence de cette dernière disqualifierait les perspectives démocratiques. En définissant la société civile, nous avons fait ressortir des critères exploitables qui sont de l’ordre de cinq se répartissant sur trois niveaux (voir tableau 11.1) : au niveau interne (transparence, démocratie interne, responsabilité envers les membres), au niveau formel (présence dans un nombre substantiel d’États membres) et au niveau externe avec la réputation de l’association (renommée et valeur de l’expertise).

Les éléments sélectionnés sont basés sur le croisement des différents critères émis par les institutions européennes, notamment la Commission et le CESE. Nous appliquons également en partie les critères applicables à la reconnaissance des partis politiques européens (exigence de présence dans les États membres). Bien que classiques dans leur forme, ces critères sont essentiels à notre analyse. En effet, sans ces derniers, il n’y aurait pas de possibilité d’implication démocratique. Dès lors, l’emploi de ces éléments est une garantie de légitimité.

L’application des critères de représentativité devrait être le fait de l’organe directement élu, en l’occurrence le Parlement européen. Dans le cadre du dialogue social ou de la base de données CONNECCS, la sélection est basée sur des critères de l’institution responsable, le CESE ou la Commission. Dès lors, pour la représentation

307 Cette expression est employée par Hirst (1993, 112-117) pour qualifier le nouveau rôle de l’associationnisme dans la démocratie, et elle semble bien adaptée à la situation de notre étude.

357 Conclusion générale fonctionnelle, il semble cohérent que cela soit le Parlement qui prenne la responsabilité de la surveillance de la bonne application de la représentativité des associations impliquées. Il y a ainsi une hiérarchie entre la représentation territoriale et la représentation fonctionnelle, en défaveur de cette dernière, en raison de la délégation de souveraineté formelle conférée par l’élection au suffrage universel. En effet, nous avons vu que la démocratie est en grande partie légitimée par une procédure, et celle qui fait foi actuellement est l’élection au suffrage universel. Dès lors, une hiérarchie s’instaure naturellement.

Il ressort, donc, de notre analyse que le renouveau de la représentation européenne passe par une implication de la société civile au sein du Parlement européen. De plus, en raison des spécificités des institutions, il nous semble que l’Union européenne est un bon laboratoire pour tester ce type de problématiques et d’hypothèses. En effet, les parlements nationaux connaissent aussi des pratiques comme les intergroupes et le lobbying. Toutefois, ce sont les partis politiques qui détiennent les clefs de l’identifiant social, ce qui n’est pas le cas au niveau européen.

Ainsi, ce qui ressort de l’application de l’approche associationniste au cas pratique européen conduit à intégrer la société civile dans le Parlement européen. En raison de son statut consultatif, le CESE ne semble pas pouvoir devenir une Chambre des intérêts comme auraient pu le souhaiter les associationnistes anglais, et, la Commission utilise principalement la société civile dans le cadre de la comitologie et de l’expertise. En conséquence, le Parlement demeure la seule institution légitime pour ce renouveau représentatif.

Fort de ces remarques, notre proposition finale consiste en la création de commissions parlementaires ‘associatives’. En se référant au fonctionnement des intergroupes et au lancement de l’‘ Agora citoyenne’, il s’agit d’institutionnaliser un rôle délibératif permanent de la société civile dans un cadre contraignant. Néanmoins, comme l’accès à la plénière reste l’apanage des élus, nous avons opté pour une solution liée aux commissions parlementaires. En définitive, la société civile, sur la base des critères de représentativité énoncés plus haut et la procédure de sélection élaborée, devient plus qu’un partenaire, un quasi co-législateur.

La critique de notre proposition porte essentiellement sur les critères d’application démocratique, soit la sélection des acteurs et la garantie de l’ accountability . Le premier point est dépendant des eurodéputés, et, ainsi, permet une certaine transparence de la décision. Néanmoins, l’interrogation demeure autour de la société civile présente au niveau européen cependant non retenue comme participante. Cela est d’autant plus important pour les groupes eurosceptiques ainsi que pour le rôle politique d’acteurs non reconnus comme les syndicats (voir tableau 8.2.). Il existe ainsi un risque de concurrence négative entre les organisations de la société civile avec pour conséquence un risque de perdre une partie de son autonomie. C’est pour cela que le garde-fou du choix par la représentation territoriale élue est important. En effet, avec les clivages politiques et la présence de tous les États membres, on peut trouver un équilibre dans les décisions. À l’instar du rapport Tsatsos, nous proposons également une procédure judiciaire auprès de la CJCE en cas de désaccord sur la sélection (voir tableau 12.3). Car, tant les garanties démocratiques par la société civile sont importantes, tant le respect du principe d’équité par les institutions est essentiel.

358 Conclusion générale

Schéma 12.3. Schéma de la décision d’attribution

Conférence des présidents : définition des thématiques et sélection des critères

Confirmation des choix en séance plénière à Litige sur la décision par des la majorité qualifiée députés, voire par des organisations de la société civile

Saisine et décision par la CJCE

Mise en place des commissions parlementaires ‘associatives’

Le deuxième aspect, soit l’ accountability , est plus délicat. En effet, la remise des comptes est ce qui permet aux électeurs de juger de leurs représentants en fonction des décisions prises. Ici, seuls les élus peuvent être sanctionnés. Pour la société civile, elle ne peut agir directement attendu que ses membres ne sont pas élus. Dès lors, le fonctionnement démocratique sera ici indirect.

Ce constat nécessite une grande réflexion sur les modalités de sanction, nécessaires au fonctionnement démocratique. Dans notre analyse, nous avons opté pour que l’organe de sélection, soit le Parlement européen, puisse également sanctionner les associations ne respectant pas le code de conduite des commissions. Ainsi, nous répétons la logique qui veut que la représentation contrôle l’ensemble du processus.

En général, nous pouvons reprendre différentes critiques (voir chapitre 2) faites à l’associationnisme. En effet, notre application peut dans une certaine mesure comporter des risques démocratiques. Néanmoins, nous estimons que l’intégration de la société civile permet de compenser ces risques en améliorant la représentation générale de la société. Par ailleurs, une autre critique peut être faite sur l’aspect ‘optimiste’ de la théorie associationniste qui perçoit nécessairement l’action de la société civile comme positive, alors qu’il demeure toujours un risque inhérent à la nature des groupes externes que les intérêts particuliers puissent prendre le dessus. C’est pourquoi les critères de sélection doivent être stricts et contraignants afin de prévenir ce risque. Finalement, au vu de l’analyse, on peut relever que l’inclusion d’acteurs externes va contribuer à améliorer la prise en compte des différents niveaux de la société, des interactions en son sein, et également à redynamiser le processus politique avec une meilleure prise en compte du pluralisme dans l’UE.

359 Conclusion générale

3. Développements potentiels et perspectives de la recherche

L’expérience que mène actuellement le Parlement européen dans le cadre de l’‘ Agora citoyenne’ est une étape importante qui confirme les perspectives ébauchées dans ce travail sur le futur de la société civile au sein de la gouvernance européenne, et, en particulier, au Parlement européen. Il s’agit d’une modification importante de la perception du rôle de la société civile et, également, des groupes d’intérêts dans une démocratie représentative. Cette initiative remet également au centre du débat la question de la représentation fonctionnelle comme un complément de la représentation territoriale. Dans notre perspective, il s’agit du principal axe de recherche à développer les prochaines années dans le cadre de la démocratisation de l’UE.

En effet, la rediscussion du ‘contrat social’, et, en particulier la question de la délégation de la souveraineté, est au cœur de notre étude. Il s’agit, comme l’évolution historique l’a démontré depuis le XIXème, de proposer une nouvelle étape. La place des groupes parlementaires, des partis de masse, l’avènement du suffrage universel ont été les gains progressifs du vingtième siècle. La rupture entre le citoyen et la politique institutionnalisée semble être de plus en plus présente dans nos sociétés. Dès lors, le retour à l’idée de l’association politique au sens de Tocqueville, permet de redonner une place à l’engagement de tous dans la société.

Par extension, cette place peut être donnée à la société civile européenne qui se trouve, par défaut, au centre de l’enjeu démocratique de l’Union. Entre autres, une des raisons en est le rejet du traité constitutionnel et la méfiance croissante exprimée par les eurosceptiques qui implique une redéfinition des liens entre les citoyens et les institutions. En la matière, aucune voie ne peut être négligée. Ainsi, le développement parallèle de fédérations de partis européens actives lors des élections, de médias européens et d’un exécutif européen ‘élu’ sont indéniablement complémentaires. De même, la complémentarité et l’assemblage de la société civile et de l’institution parlementaire ont souvent été sous-estimées par la littérature scientifique, alors que c’est une réelle contribution au débat démocratique. Dans ce contexte, les intergroupes au Parlement européen n’ont fait que trop rarement l’objet d’études.

Redonner du sens au lien entre les institutions et le citoyen européen est une des motivations de cette recherche. En effet, il s’agit de l’ouverture d’un débat public, précurseur d’un véritable espace public européen. Si l’on reprend les thèses de Habermas, cela serait une phase importante dans la construction de l’identité européenne commune.

Au départ cette thèse s’est appuyée sur un travail de DEA sur les intergroupes au Parlement européen. Cette première étude de ce sujet a permis une réflexion d’ensemble sur la manière dont s’organise la démocratie dans l’UE, et, en particulier, autour de la représentation et de la représentativité. En se basant sur ce travail préparatoire, on a pu réfléchir sur une des modalités d’amélioration du lien entre les citoyens et les institutions en développant les acteurs intermédiaires. Finalement, c’est assez naturellement que notre analyse a abouti à la proposition des commissions parlementaires ‘associatives’, car cela permet de donner du sens aux textes des institutions, à la pratique de l’expertise, aux attentes de la société civile et formalise

360 Conclusion générale les intergroupes. Par ailleurs, le projet ‘ Agora citoyenne’ du Parlement européen entre pleinement dans cette réflexion de l’inclusion des acteurs intermédiaires sans remettre en question le rôle central du Parlement européen.

En conclusion, cette proposition semble être une ouverture de la réflexion sur d’autres champs de l’analyse des approches démocratiques et de l’européanisation. De plus, la recherche du ‘sens’ a été une exigence importante à la lecture des textes des institutions. Il nous a paru que l’inclusion de la société civile dépassait le cadre déclaratoire. Ainsi, la mise en pratique est devenue inévitable. En essayant d’éviter les biais du ‘normatif’, les différents objets analysés et les propositions se fondent sur des éléments étayés dans notre recherche. Pour nous, il s’agissait de réfléchir à un nouveau modèle démocratique avec de nouveaux acteurs, car la démocratie représentative est encore en développement, comme le démontrent les nombreuses études sur le sujet.

Dans ce contexte, la commission parlementaire ‘associative’ est un premier pas vers ce renouveau démocratique et vers une redéfinition du ‘contrat social’. L’Europe politique, à notre sens, ne pourra se faire qu’à ce prix.

361

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Bibliographie générale

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1. Sources

1.1 Institutions européennes

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1.1.3. Conseil européen

Conseil européen, PE313.424, L’Avenir de l’Union européenne. Déclaration de Laeken , Bruxelles, 15.12.2001.

1.1.4. Conseil de l’Union européenne

Acte portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct, annexé à la décision du Conseil du 20 septembre 1976 (décision 76/787/CECA, CEE, Euratom).

Décision du Conseil du 25 juin 2002 et du 23 septembre 2002 modifiant l’acte portant élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom (2002/772/CE, Euratom), JOCE L 283/1.

Règlement (CE) n. 2004/2003 du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relatif au statut et au financement des partis politiques au niveau européen, JOCE L 297/1-4.

*Protocole relatif aux conditions et modalités d’admission de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne, JOCE L 157/29-45, 21.6.2005.

*Acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondé l’Union européenne, JOCE L 157/203-220, 21.6.2005.

1.1.5. Cour de Justice des Communautés européennes

CJCE (1980), Roquette frères contre Conseil, Aff. 138/79, rec.1980, 3333.

TPI (2001), Groupe TDI contre Parlement européen, Affaires jointes T222/99, T327/99 et T329/99, rec.2001, II-2823 (et rec.1999, p.II-3397).

CJCE (1998), UEAPME contre Conseil, Aff. T-135/96, 17 juin 1998.

CJCE (1998), « Programme d’action communautaire contre l’exclusion sociale – Financement – Base légale » opposant la Grande-Bretagne (soutenu par l’Allemagne, le Conseil et le Danemark) contre la Commission (soutenu par le Parlement européen), Affaire C-106/96, rec. 1998, I-2729.

1.1.6. Parlement européen

1.1.6.1. Rapports sous lettre A

A3-0415/1993 : Vecchi Luciano, Parlement européen, commission du règlement, de la vérification des pouvoirs et des immunités, Application de l’article 4 du Règlement européen, concernant la participation aux séances et aux votes .

366 Bibliographie générale

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A4-0218/1995 : Nordmann Jean-Thomas, Parlement européen, commission du règlement, de la vérification des pouvoirs et des immunités, Transparence et intérêts financiers des députés (annexe I du règlement du Parlement européen ).

A4-0177/1996 : Nordmann Jean-Thomas, Parlement européen, commission du règlement, de la vérification des pouvoirs et des immunités, Deuxième rapport sur la modification de l’annexe I du règlement concernant la Transparence et intérêts financiers des députés , 30 mai 1996.

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A5-0252/2000 : Corbett Richard, Parlement européen, commission des affaires constitutionnelles, Rapport sur des modifications du règlement du Parlement destinées à garantir l’équilibre des droits entre députés à titre individuel et groupes , 19 septembre 2000.

A5-0343/2000 : Watts Mark Francis, Parlement européen, commission de la politique régionale, des transports et du tourisme, Rapport sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 95/21/CE du Conseil concernant l’application aux navires faisant escale dans les ports de la Communauté ou dans les eaux relevant de la juridiction des États membres des normes internationales relatives à la sécurité maritime à la prévention des pollutions et aux conditions de vie à bord des navires , 20 novembre 2000.

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1.1.6.3. Autres

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European Parliament UK Office (http://www.europarl.org.uk) http://www.europarl.org.uk/guide/Gelectionfacts.htm

3.2. Partis politiques, intergroupes et groupes d’intérêt

Bureau européen des Unions de consommateurs (http://www.beuc.org) European Public Heatlh Alliance (http://www.epha.org) Les fédéralistes européens (http://www.euraction.org/) Mouvement fédéraliste européen, Italie, (http://www.mfe.it/mfe3/jefinfo/jefinfo- inglese/info16022001.txt) Plate-forme social des ONG européennes (http://www.socialplatform.org) Worst EU Lobby (http://www.worstlobby.eu)

3.2.1. Groupes parlementaires au Parlement européen, partis et sites politiques

Groupe du Parti populaire européen (Démocrate-chrétiens) et des Démocrates européens (http://www.epp-ed.eu/home/fr/default.asp?lg1=fr) Groupe socialiste au Parlement européen (http://www.socialistgroup.eu/) Groupe Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe (http://www.alde.eu/) Groupe Union pour l’Europe des Nations (http://www.uengroup.org/home.html)

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Groupe des Verts/Alliance libre européenne (http://www.greens-efa.org/index.htm) Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (http://www.guengl.eu/showPage.jsp) Groupe Indépendance/Démocratie (http://indemgroup.org/) Groupe Identité, Tradition, Souveraineté (http://www.its-pe.eu/)

Parti populaire européen (http://www.epp.eu/) Parti socialiste européen (http://www.pes.org/) Parti européen des Libéraux, Démocrates et Réformateurs (http://www.eldr.org/) Parti démocrate européen (http://www.pde-edp.net/main/_pde/) Parti Vert européen (http://www.europeangreens.org/) Parti Démocratique des Peuples d’Europe - Alliance Libre européenne (http://www.e-f-a.org/home.php) Parti de la Gauche européenne (http://www.european-left.org/) Alliance des démocrates indépendants en Europe (http://www.adieurope.org/) EUDemocrats (www.euro-nat.com)

La commission internationale des Verts français (http://www.transat.lesverts.fr) Site de Gérard Onesta, député européen (http://www.onesta.net) Site d’Alain Lipietz, député européen (http://lipietz.net/)

3.2.2. Intergroupes

Ageing (http://www.age-platform.org/EN/article.php3?id_article=320) Anti-Racism and Diversity (http://www.enar-eu.org/anti-racism-diversity-intergroup/) Chasse durable, biodiversité et activités rurales (http://www.face- europe.org/Intergroup/IG.htm) Conservation et développement durable (http://www.ebcd.org/EPISD.html) Constitution européenne (http://fr.federaleurope.org/index.php?id=3398) Droit des gays et lesbiennes (http://www.lgbt-ep.eu/news.php) Handicapés (http://www.edf-feph.org/apdg/index-en.htm) Initiatives de Paix (http://www.quaker.org/qcea/intergroup/index.html) PME (http://www.othmar-karas.at/ok.php?ok=the_sme-intergroup.php) Quart-Monde (http://www.atd-quartmonde.org/Le-Comite-Quart-Monde.html) Santé et consommateurs (http://intergroup.epha.org/) Tibet (http://eutibet.typedpad.com) Tourisme (http://www.margiesudre.com/IntergroupeTourisme.htm) Urban – Logement (http://www.urban-logement.eu) Welfare and Conservation of Animals (http://www.eurogroupanimalwelfare.org/intergroup/intergroup.htm) Forum for the Future of Nuclear Energy (http://www.nuclearspin.org/index.php/European_Parliament_Forum_for_the_Future _of_Nuclear_Energy) Groupe Kangourou (http://www.kangaroogroup.org/) Land Use and Food Policy (http://www.lufpig.eu) Law Enforcement, Organised Crime and Terrorism (http://www.organisedcrime.info) SOS Démocratie (http://www.bonde.com/?sid=540) Paneuropean working group (http://www.epaneurope.eu) Volontariat (http://www.cev.be/intergroupEP.htm)

394 Bibliographie générale

3.2.3. Liens ‘cassés’

Union européenne des fédéralistes (http://users.skynet.be/uefnet/communique_presse_conseil_nice_uef_boissiere.htm) (http://www.eurplace.org/orga/uef/origines.html)

3.3. Autres

Blog ‘Coulisses de Bruxelles, UE’ par Jean Quatremer, Libération (http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/) Centre d’études et de documentation sur la démocratie directe (http://www.c2d.unige.ch) http://www.c2d.unige.ch/INTER/votedetails.msql?Code=724

European Navigator (http://www.ena.lu/europe/union-europeenne/depuis-election- directe-parlement-europeen-1979.htm) Elections around the World (http://www.electionworld.org)

395

396

Annexes

397

Annexe 1

Source : Conférence des présidents du Parlement européen, DV\383432EN.doc

398

Annexe 2 : Liste complète des intergroupes

Dénominations Président Soutiens ONG Site de l’intergroupe 1. Intergroupes officiellement enregistrés Ageing Lambert van Nistelrooij (NL, PPE-DE AGE – Plate-forme http://www.age-platform.org/EN/article.php3?id_article=320 PPE-DE) PSE européenne des UEN personnes âgées Anti-Racism and Claude Moraes (UK, PSE) PSE ENAR – Réseau http://www.enar-eu.org/anti-racism-diversity-intergroup/ Diversity ADLE européen contre le GUE/NGL racisme Baltic Europe Christopher Beazley (UK, PPE-DE - - PPE-DE) PSE ADLE Chasse durable, Michl Ebner (IT, PPE-DE) PPE-DE FACE http://www.face-europe.org/Intergroup/IG.htm biodiversité & IND/DEM activités rurales UEN Ciel et Espace Philippe Busquin (BE, PSE) PPE-DE - - PSE GUE/NGL Cinéma, politique Ruth Hieronymi (DE, PPE- PPE-DE - - audiovisuel et DE) PSE diversité cuturelle GUE/NGL Conservation et Struan Stevenson (UK, PPE- PPE-DE EBCD – European http://www.ebcd.org/EPISD.html développement DE) PSE Bureau for durable IND/DEM Conservation & Development Droit des Gays et Michael Cashman (UK, PSE ILGA-Europe http://www.lgbt-ep.eu/news.php Lesbiennes PSE) ADLE V/ALE Famille et protection Marie Panayotopoulos- PPE-DE - - de l’enfance Cassiotou (GR, PPE-DE) IND/DEM UEN Globalisation Glyn Ford (UK, PSE) PSE - - V/ALE GUE/NGL

399

Handicapés Richard Howitt (UK, PSE) PPE-DE Forum européen des http://www.edf-feph.org/apdg/index-en.htm PSE personnes handicapées ADLE GUE/NGL Initiatives de Paix Tobias Pflüger (DE, GUE) PSE QCEA – Quaker http://www.quaker.org/qcea/intergroup/index.html Caroline Lucas (UK, V/ALE Council for European V/ALE) GUE/NGL Affairs Intergroupe Jo Leinen (DE, PSE) PPE UEF – Union des http://fr.federaleurope.org/index.php?id=3398 fédéraliste pour la PSE Fédéralistes européens Constitution ADLE européenne PME Othmar Karas (AT, PPE-DE) PPE-DE - http://www.othmar-karas.at/ok.php?ok=the_sme-intergroup.php PSE IND/DEM Presse Jean-Marie Cavada (FR, PSE - - ADLE) ADLE V/ALE Quart-Monde Inigo Mendez de Vigo (ES, PPE-DE ATD Quart Monde http://www.atd-quartmonde.org/Le-Comite-Quart-Monde.html PPE-DE) PSE GUE/NGL Santé et Pilar Ayuso Gonzalez (ES, PPE-DE BEUC – Bureau http://intergroup.epha.org/ Consommateur PPE-DE) PSE européen des Union de Béatrice Patrie (FR, PSE) V/ALE Consommateurs/ EPHA – European Public Health Alliance Tibet Thomas Mann (DE, PPE- PPE-DE - http://eutibet.typedpad.com DE) V/ALE UEN Tourisme Margie Sudre (FR, PPE-DE) PPE-DE - http://www.margiesudre.com/IntergroupeTourisme.htm PSE ADLE Trade Union Stephen Hughes (UK, PSE) PPE-DE ETUC – European - Coordination PSE Trade Union GUE/NGL Confederation

400

Traditional national Csaba Sandor Tabajdi (HU, PPE-DE - - Minorities, PSE) PSE Constitutional ADLE Regions and Regional Languages Urban - Logement Jean-Marie Beaupuy (FR, PPE-DE - http://www.urban-logement.eu ADLE) PSE ADLE Viticulture, tradition, Astrid Lulling (NL, PPE- PPE-DE - - qualité DE) IND/DEM UEN Welfare and Neil Parish (UK, PPE-DE) PPE-DE Eurogroup for http://www.eurogroupanimalwelfare.org/intergroup/intergroup.htm Conservations of PSE Animals Animals V/ALE Intergroupes non enregistrés et actifs Forum for the Future Edit Herczog (HU, PSE) PSE NuclearSpin http://www.nuclearspin.org/index.php/European_Parliament_Forum_for_the of Nuclear Energy Piia-Noora Kauppi (FI, PPE- PPE-DE _Future_of_Nuclear_Energy DE) Volontariat Marian Harkin (IR, ADLE) ADLE CEV – Centre http://www.cev.be/intergroupEP.htm Gisela Kallenbach (DE, V/ALE européen du V/ALE) volontariat Kangourou Karl von Wogau (DE, PPE- PPE-DE - http://www.kangaroogroup.org DE) Land Use and Food (NL, PSE) PSE - http://www.lufpig.eu Policy Law Enforcement, Bill Newton Dunn (UK, PPE-DE - http://www.organisedcrime.info Organised Crime and PPE-DE) Terrorism SOS Democracy Jens Bonde (DK, IND/DEM) ID - http://www.bonde.com/?sid=540 Fruits et Légumes Béatrice Patrie (FR, PSE) PSE AREFLH - Joseph Daul (FR, PPE-DE) PPE-DE

401

GLOBE Dagmar Roth-Behrendt (DE, PSE GLOBE-EU - PSE) Anders Wijkman (SE, PPE- PPE-DE DE) Montagne Catherine Guy-Quint (FR, PSE Association - PSE) PPE-DE Européenne des Élus Boguslaw Sonik (PL, PPE- de Montagne DE) Sports Christopher Heaton-Harris PPE-DE ENGSO - (UK, PPE-DE) Amis du Football Christopher Heaton-Harris PPE-DE - - (UK, PPE-DE) Bioéthiques Hiltrud Breyer (DE, V/ALE) V/ALE - - Camino de Santiago Cristina Gutiérrez-Cortines PPE-DE - - (ES, PPE-DE) Janelly Fourtou (FR, ALDE) ADLE Ines Ayala Senders (ES, PSE PSE) Cancer Aalozj Peterle (SI, PPE-DE) PPE-DE - - Économie sociale Philippe Busquin (BE, PSE) PSE - - Europeans Abroad Jean-Louis Bourlanges (FR, ADLE - - ADLE) Friends of Free Iran Paulo Casaca (PT, PSE) PSE - - Stephen Stevenson (UK, PPE-DE PPE-DE) Iles Manuel Medina Ortega (ES, PSE - - PSE) PSE Teresa Riera Madurell (ES, PSE) Mining Bernhard Rapkay (DE, PSE) PSE - - Progressive Women Lissy Gröner (DE, PSE) PSE - - Roma Rights Katalin Lèvai (HU, PSE) PSE - -

402

Sahara Occidental Karine Scheele (AT, PSE) PSE - - Carlos Carnero González PSE (ES, PSE) Ecumenical Prayer - - - Breakfast

Source : PE360.492, Corbett et al. 2005 178-179 et recherche personnelle

403

Annexe 3 : Questionnaire on intergroups at the European Parliament

Étude effectuée entre janvier et mars 2000, ce questionnaire a été remis à tous les députés, élus de la cinquième législature, membres du bureau d’un intergroupe lors de la quatrième législature. De plus, certaines associations ont reçu une copie du questionnaire afin de recouper au mieux les informations. Ce travail a été effectué avec l’aide de l’association ECAS à Bruxelles. Sur vingt-cinq questionnaires distribués aux eurodéputés, seuls huit sont revenus. Par contre, les groupes d’intérêts ont quasiment tous participé (dix sur quatorze).

1. General Information

Name of the Intergroup:…………………………………………………………….…

Creation date:………………………………………………………………………….

Was it created to respond to a special need? If so please give details: ………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………

2. Objectives

What are the objectives of the intergroup? ………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………

What subjects does the intergroup cover in the fields that directly interest the European citizens? ………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………

What results have been obtained, if any? ………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………

3. Composition of the Intergroup

President:………………………………………………………………………………

Vice-President(s):……………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………

Other members:…………………………………………………………………..…… ………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………

404

4. Practical Information

How often do you have meetings and where are they held? …………………………………………………………………………………………

The secretariat: Contact person:………………………………………………… Organisation:…………………………………………….……... Address:………………………………………………….……... Tel/Fax/email:…………………………………………………...

5. Any further comments ………………………………………………………………………………………… ………………………………………………………………………………………… ………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………

405