Emprise et déprise Une société en son territoire

Terrier général de l’Isle de Corse, Extrait du rouleau n°17 (, Tox, ), ADCS 1 C 159, vers 1780

L’extrait de ce célèbre et important Terrier général donne à lire à quelle réalité territoriale les géomètres des rois Louis XV et Louis XVI ont été confrontés lorsque la Corse est passée sous administration française dans les années 1770 : • L’espace de la communauté et le « village » • L’espace de la piève • L’espace des copropriétés des communautés • L’espace détenu par les familles et les individus

Le rapport entre les habitants et leur espace de vie est alors fondé sur une construction où le territoire, ici abordé sous l’angle de l’appropriation et des droits agraires sur les terres, est partie de l’identité de chacun. C’est de ce rapport au territoire dont la présentation qui suit entend discuter. Quelques préalables… Qui suis-je pour « parler » de ce sujet ? • Un professeur d’histoire • Un chercheur, historien de la ruralité, en particulier de la manière dont les sociétés du passé pensaient leur territoire et agissaient sur lui. • Un chercheur aux racines personnelles rurales, mais étrangères à la Corse (la Bourgogne, les rebords de l’Auxois et du Châtillonnais, c’est-à-dire un entre deux, les lourdes terres argileuses et marneuses qui bordent le Morvan, et les plateaux calcaires) : je ne suis donc pas un « familier » de l’île ! • Un chercheur qui applique les méthodes de la connaissance historique, c’est-à-dire d’abord celles qui permettent de restaurer le passé à travers les traces qui en demeurent dans le présent.

Quel sens attribuer au « territoire » ? Un système spatial et temporel, une alliance incarnée par des habitudes culturelles

Un système soumis au présent Des legs: Des héritages du passé - soutiennent la vie, - sont des repères -deviennent des blocages parfois ou des sources d’inspiration Les vivants face à leurs besoins Habitudes, attitudes, culture

Structures territoriales Le temps qui passe Mémoire Les défunts

Le territoire est un espace construit par la manière dont une société s’y enracine et s’y développe Les images des lieux : une présentation qui pèse sur la manière de voir : une re-présentation

Cristoforo Buondelmonti (né vers 1385) est un religieux originaire de Florence, dont les voyages lui permettent de rendre compte de l’état des îles méditerranéennes, surtout dans la mer Egée et la mer Noire (la Romanie). Florence possède alors de nouveaux intérêts commerciaux. La ville qui a annexé Pise en 1406 se présente comme l’héritière de cette cité et de ses droits.

Référence : Francesca Luzzati-Lagana, « Sur les mers grecques : un voyageur florentin du XVe siècle, Cristoforo Buondelmonti » dans Médiévales, 1987, n°12, p.67-77. Cristoforo Buondelmonte, Liber Insularum Arcipelagi,

manuscrit datant des années 1470 (BNF)

Fabius Licinius (Fabio Licinio 1521-1565, graveur), Cirnus sive insula est in mari ligustico

Ce graveur de cartes, peintre également, réalise ici une représentation qui renseigne sur sa manière de concevoir la Corse, ici la côte orientale, au milieu du XVIe siècle (1548) :

• La Corse est ligure à ses yeux. • Les lieux, mal situés, sont figurés selon un code graphique convenu qui permet de souligner : • La navigation légère • La méconnaissance de l’intérieur et des vallées • La zone des domaines (clos et cultivés) • La présence des forêts et du maquis (les arbres) • La place de la montagne, espace peu connu des étrangers • Les animaux sauvages (les cerfs notamment) • Quelques localités remarquables

Le regard du XVIIIe siècle se transforme avec l’intérêt des puissances européennes pour l’île.

Ici, carte possédée par le ministre de Louis XV, Antoine René de Voyer d’Argenson marquis de Paulmy (1722-1787). La carte date de 1741. Extrait.

L’auteur a figuré les zones agricoles les plus actives et essayé de localiser les villages, mais une telle carte reste éloignée du réel des lieux Un territoire organisé selon une logique de complémentarité des lieux Liens avec d’autres territoires

Le rapport au territoire • Une complémentarité des diverses contrées • Une densité humaine d’autant plus faible que l’activité est dédiée à l’élevage et l’occupation Le maquis, les espaces forestiers, les sentiers… saisonnière • Une présence qui concerne l’ensemble du L’espace de la bergerie territoire, pour des activités occasionnelles ou continues • Une présence manifestée par la toponymie, les L’espace de la « cabane » balises du territoire (aires, ruines, bâtiments, rochers remarquables, ancrage des légendes, abris connus…) Le déplacement périodique pour certaines activités

L’espace du bâtiment rural

L’espace du village et des quartiers

L’espace de la bergerie et des cultures saisonnières

Poggio di Nazza, « Paysage rustique », vers 1910 Le maquis, les espaces forestiers, les sentiers… (MUCEM n° inventaire 012194) Les appuis de l’occupation humaine

Type Forme Occupation Abri Grotte, roche, ou Occasionnelle et la « belle étoile » ponctuelle de l’espace Cabane Occupation Emprise de sommaire pour longue durée, des travaux de exploitation longue durée temporaire Bergerie Point d’appui Emprise de saisonnier pour le longue durée, pâturage occupation saisonnière, espace étendu du pâturage Bâtiment rural Point d’appui pour Emprise de le matériel et le longue durée, travail des terres fréquentation régulière Four à pain Toujours présent Emprise de dans les lieux longue durée, occupés sur la activité parfois longue durée saisonnière Maison Demeure du Emprise séculaire, groupe familial marque d’un Poggio di Nazza, « Paysage rustique », vers 1910 groupe familial (MUCEM n° inventaire 012194) dans la communauté Des lieux pour accompagner les travaux agricoles dans les contrées : bergerie, cabanes, bâtiments ruraux, abris, grottes…

Source : MUCEM n° inventaire 012395 Bâtiment rural et une aire, Tallone (1857) (ADCS 3 P F1 320/11)

Publicité Liebig, vers 1925 (MUCEM inventaire 1996.40.292.6). La bergerie corse est ici stéréotypée pour parler aux consommateurs. Le style s’appuie sur ce qui est alors en vogue : le « type corse »

Bergerie de Nursoli, Isolaccio-di-Nazza Cabanes de Pruno, Isolaccio-di-Nazza (1863) (ADCS 3 P F1 135/27) (1863) (ADCS 3 P F1 135/28) Un monde rural où l’occupation s’amplifie jusqu’à la fin du XIXe siècle

Temps antique: Le XVIIIe siècle : Le milieu du XIXe siècle : Le début du XXe siècle : La côte est valorisée puis le Le temps des affrontements L’apogée contemporaine L’accumulation des reflux de l’occupation renvoie d’une ruralité dynamique déséquilibres socio-économiques la plage à une zone annexe

Vue aérienne depuis le sud de l’agglomération antique d’Aléria (au premier plan), au sommet du plateau du fort d’Aléria, avec au second plan le Tavignano et l’étang de Diane (cliché pris en 2012, document/cliché Extrait du Terrier général de l’Isle de Corse, vers 1775 (ADCS1 C 161) : Le Coll. Territoriale de Corse/Sébastien Aude balloïde photo). Article de Arnaud Fort d’Aléria, la citerne, le cirque, les tombeaux et partout les terres Coutelas et Franck Allegrini-Simonetti, « Une capitale méconnue : la ville cultivables romaine d’Aléria (Corse) et sa parure urbaine », Mélanges de l’Ecole française de Rome, Varia, 2017, 129-2

Un marqueur de cette occupation tient à la céréaliculture, à la viticulture, à l’arboriculture, entre plaine et montagne

La céréaliculture imprime sa marque vers 1860 à travers l’abondance des aires de battage des épis (balises rouges) Le lavage du blé vers 1910 (MUCEM, inventaire n°012407) Oliviers et vignes se sont développés dans les paysages dans les années 1820-1860

Vignes (violet), oliviers (verdâtre), jardins, mais aussi moulins (balises en bleu foncé, le clair = en ruine) témoignent de l’intense activité agricole vers 1860. Les fours à pain (balises vertes) sont nombreux.

L’expansion agricole est d’autant plus forte que la population atteint un niveau soutenu, que les marchés absorbent les produits et que la crise de l’oïdium (vigne) est jugulée.

Les archives plus anciennes insistent sur l’importance des cultures dans cette région : *Froment, orge, seigle, lin ; *Vigne et olivier dans une moindre mesure vers 1780; * Châtaigniers Dans les années 1770, au moment de la prise en main de l’île par la , l’agriculture de cette région est déjà reconnue comme diversifiée et riche (Extraits issus de l’enquête dite « de Choiseul », 1769)

demi- Année Piève village population feux feux vin huile blé orge miel seigle lin châtaignes chèvres chevaux mûlets ânes bœufs vaches moutons

1769 Rogna 131 12 17 1 1 1 1 1 1 111 15 23 37 11 20

1769 Rogna 189 34 14 point 1 1 point 1 point 130 38 13 51 57 43

1769 Rogna 129 21 5 peu 1 1 1 1 peu 90 16 26 37 21 99

1769 Rogna 149 27 5 peu 1 1 1 1 1 1 156 16 5 14 16 15 50 Piedicorte-di- 1769 Rogna Gaggio 470 70 34 peu 1 1 1 1 1 1 70 4 3 17 13 100

1769 Castello 840 138 44 1 1 1 1 1 1823 0 0 27 295 1313

1769 Castello 275 53 11 du bon vin 1 1 1 1 1 1 1 639 79 2 4 73 106 699

1769 Castello 226 33 12 le vin s'y fait très aigre 1 1 1 1 1 1557 66 4 3 67 145 1347 Lugo-di- 1769 Castello Nazza 381 67 26 bon vin peu 1 1 1 1 1 751 104 18 7 67 147 682 Poggio-di- 1769 Castello Nazza 376 65 17 point 1 1 1 1 1 648 57 18 85 418 1769 Verde Linguizzetta 351 415 45 1 24 42 33 183 1769 Serra Moïta 426 56 4 200 7 2 16 63 28 201 1769 Serra 196 28 5 52 11 23 30 30 5 1769 96 93 1 1 9 18 183 Une démographie marquée par un réel développement mais aussi une mutation

Le territoire qui débouche sur la Données démographiques d’après les relevés des documents d’archives plaine d’Aléria vers 1780 rassemble 1769 vers 1780 1818 1846 1931 Pic démographique des communautés qui relèvent de 187 plusieurs pièves : Aléria 73 777 • Rogna : Pancheraccia, Ampriani 98 103 156 168 94 1846 Giuncaggio, Antisanti, Antisanti 189 225 435 686 655 1846 Pietraserena, Piedicorte-di- Campi 159 280 285 150 1846 Gaggio Casavecchie 120 267 • Serra : Moïta, Matra, Zuani, Ghisoni 840 1196 850 1513 1583 1931 Ampriani, Tallone 608 1232 • Verde : Linguizzetta, Tox Giuncaggio 129 155 224 325 505 1931 • Castello : Vezzani, Pietroso, Linguizzetta 351 287 349 613 531 1846 Ghison, Lugo-di-Nazza, Poggio- Lugo-di-Nazza 381 422 419 427 512 1931 Matra 150 247 277 361 1931 di-Nazza Moïta 426 526 329 719 659 1846

Pancheraccia 131 189 223 290 542 1931 C’est une zone caractérisée par Piedicorte-di-Gaggio 470 521 589 232 666 1931 l’existence de droits au profits de Pietraserena 149 167 243 362 604 1931 nombreuses communautés Poggio-di-Nazza 376 442 574 909 853 1846 Prunelli-di-Fiumorbo 308 260 690 1160 1931 Les données démographiques méritent Serra-di-Fiumorbo 348 559 553 1846 prudence : Tallone 203 274 297 388 1931 • Tous les habitants inscrits sur les listes ne sont Tox 362 333 369 536 1931 pas toujours des résidents permanents Vezzani et Petroso 501 893 • Autonomisation de certains territoires 384 353 644 744 1931 (Aghione, Aléria, Ghisonaccia) : la plaine, la Zuani 196 239 237 357 540 1931 proximité des axes routiers. Vezzani 656 957 835 1846 • Maintien au moins jusque vers 1860 du Pietroso 450 494 533 1931 7051 7829 11854 15467 dynamisme des zones de culture liées au village de la moyenne montagne • Accroissement du nombre de ménages liés à des fonctions de service et au retour de fonctionnaires, de militaires, au village. Un territoire remanié sur le plan des structures communes

Vers 1780, le rapport au territoire repose sur l’articulation de droits qui permettent aux ménages et aux communautés d’accéder à des ressources complémentaires. Le rapport à la terre est inscrit dans une pluralité de droits : • Chaque communauté dispose d’un espace propre sur lequel sont prélevées les ressources fiscales et le nécessaire pour assurer les dépenses communes. Cet espace est également celui sur lequel la communauté décide de certaines règles qui lui sont propres. • Les communautés disposent fréquemment de droits sur des territoires plus lointains (la plaine), en propre ou conjointement avec d’autres communautés (des copropriétés, avec des droits identifiés pour chacune ou pas). La zone d’Aléria est significative de cette situation. • Les usages, maintenus depuis les Statuts civils (fin XVIe siècle), reconnaissent aux particuliers la possibilité d’exploiter des zones de maquis, voire de faire entrer ces zones dans leur patrimoine, et de planter des châtaigniers sur des terres laissées vacantes créant une situation de « propriété arboraire » qui coexiste avec la propriété d’un autre particulier ou d’une communauté (propriété simultanée)

Pancheraccia et Giuncaggio

Communes des Trois places de Ruspugliani

Pianello Recomposition des territoires municipaux entre 1824 et 1870 Zuani

Vivario Création de la municipalité d’Aléria en 1824

Communes de la piève de Castello

Domaine d’Aléria Création de la municipalité d’Aghione en 1864 La situation entre en tension avec les principes administratifs que la Révolution puis l’Empire (1789-1814/5) retiennent pour la nouvelle structure administrative, dans le cadre d’un jacobinisme centralisateur :

Ces principes sont, en résumé, vers 1815 :

DANS L’ORDRE DE LA PHILOSOPHIE DE LA PROPRIETE • Le refus de la « propriété simultanée » : un territoire, dans l’idéal, doit être soumis au principe de la propriété privée, pleine et entière, excluant la coexistence de droits au profit d’entités différentes sur un même terrain. • La promotion légale d’une perception purement privative de la propriété implique la lutte contre les droits d’usage. • La nécessité de déterminer un propriétaire pour chaque portion de l’espace afin d’établir une base pour le paiement des contributions (foncières surtout) : il s’agit d’établir le cadastre fiscal.

DANS L’ORDRE ADMINISTRATIF • L’établissement du cadastre nécessite de déterminer de manière impérative le ressort de chaque commune, sous la tutelle d’une municipalité: la contribution est payée dans la perception municipale dont relève un bien foncier. • L’organisation uniforme du territoire en municipalités administrant des communes dont le territoire doit être homogène. • Chaque municipalité est responsable de l’exercice de la police rurale, municipale et administrative de son ressort. Les autorités municipales édictent des arrêtés pour encadrer les activités dans le ressort municipal. • Le domaine public est redéfini comme l’ensemble des éléments territoriaux placés sous la responsabilité des autorités publiques. Il repose sur les propriétés relevant de la gestion municipale ou domaniale [forêts], dont les revenus doivent être gérés directement par une entité publique, et les éléments du domaine public permettant la vie quotidienne [les routes].

CE QUI IMPLIQUE : • En finir avec une structure territoriale héritée de l’ancienne société • Combattre les usages et pousser les populations à transformer [ou renoncer à] des activités liées à un ordre juridique qui articule une pluralité de droits sur l’espace • Ce qui débouche sur des tensions puissantes dans les localités et sur une déstructuration progressive des anciens cadres de vie, l’un des éléments qui expliquent la « déprise » sur certains territoires et la réorganisation des activités. Car en impactant une structure territoriale qui permet de vivre par la complémentarité des terrains, des équilibres de vie sont impactés. Un cas exemplaire ici : le remaniement de la plaine orientale autour d’Aléria

Les motifs de l’administration supérieure :

1) Mettre en valeur des terres reconnues aptes aux céréales 2) Eliminer la malaria, les eaux stagnantes, les marais, voire les étangs côtiers : maintien depuis les années 1770 jusqu’aux années 1860 de la logique de l’aménagement des plaines littorales (logique reprise dans les années 1950). 3) Stabiliser les populations : 1861, session du Conseil général de Corse, sous la présidence du préfet : vœu « qu’un nouveau canton soit créé à Aléria. Ce serait là un moyen de plus pour attirer les populations de la montagne vers la vaste et riche plaine d’Aléria, et les y faire établir d’une manière définitive; un pareil résultat serait sans doute considérable ».

Quels intérêts ? a) Fixer la population en quête de ressources loin des massifs montagneux et des forêts, que les autorités veulent placer pleinement sous le contrôle des Domaines. Réduire ainsi le risque d’un pâturage plus important dans des massifs qui retiennent son attention à l’heure où le bois est une ressource recherchée par les marchés. b) Faire basculer les populations vers une activité sédentaire agricole et restreindre le pâturage. c) Remanier les anciens cadres de l’existence pour en finir avec les revendications de droits sur les espaces littoraux d) Accélérer l’assainissement des terres côtières. C’est l’époque de nouveaux grands projets pour aménager la plaine alluviale du Tavignano.

L’enjeu foncier du littoral du Fiumorbo et du Tavignano au XIXe siècle : un cas d’école dans la pression pour restructurer le territoire

Extraits du rapport du préfet de Corse au ministère de l’Intérieur, 5 octobre 1825, AN F(I) 1298

1824 : création de la municipalité d’Aléria à partir de Moïta, , Zuani.

Octobre 1825 : proposition du préfet de Corse de coloniser la plaine d’Aléria en établissant des colonies de réfugiés grecs, dans le contexte de l’insurrection contre les Ottomans • Référence à l’expérience de Carghèse • Idée que les Grecs savent travailler des terres comparables • Idée que le sol est fertile mais inexploité et qu’il peut rendre pour un grain semé 12 à 15 grains. • Idée que dans le Fiumorbo et la plaine d’Aléria les friches attendent d’être valorisées

1845 : création de la municipalité de Ghisonaccia à partir de Lugo-di-Nazza

1862 : Ouverture du pénitencier agricole de Casabianda, racheté par l’Etat à l’ancien propriétaire des lieux

27 avril-4 mai 1864 : loi qui distrait des territoires du Gatti-di- et de Vezzani la commune d’Aghione « sans préjudice des droits d’usage ou autres qui peuvent être respectivement acquis »

1866: création de la municipalité de Casavecchie à partir de et . Des enjeux économiques liés à la valorisation du littoral

Extrait de l’analyse du rapport du Service hydraulique de Corse par le Années 1850-1860 : la grande œuvre chef du service hydraulique au ministère des Travaux publics, 9 mai 1866 consiste à entreprendre l’assainissement (AN F14 / 6043) des plaines littorales, pour chasser la malaria et développer l’agriculture. 11 juin 1854 : estimation des travaux pour assainir Aléria : 183 000 francs. Report. 24 juillet 1866 : travaux de Migliacciario autorisés, moyennant le partage de la plus- value réalisée sur les terrains entre l’Etat et les propriétaires.

Toutefois, dans un premier temps, les bureaux du ministère des Travaux publics Cela dit les travaux se heurtent aux habitudes communautaires anciennes. La estiment qu’il faut prioritairement ouvrir guerre de 1870, puis la crise des années 1880-1900 détournent les énergies. des routes vers l’intérieur à partir des ports maritimes « qui sont toujours les premiers Juillet-Novembre 1911 : Projet de loi relatif à l’assainissement de la côte orientale et les véritables jalons de la civilisation ». de la Corse présenté par la Chambre des députés et examiné par le Sénat. Assainir, peupler et fortifier le littoral sont trois impératifs, du Fiumalto au Fiumorbo: « après

l’exécution de ces travaux, la population agricole descendra des montagnes de Moïta et Pietra-di-Verde, où elle se réfugie maintenant, pendant l’été. »

Extrait du rapport du Sénat, par le sénateur Gabrielli, 29 novembre 1911

La guerre suspend ces projets jusque dans les années 1930, puis de nouveau du fait de la guerre, dans les années 1950 Pour comparaison : les territoires du golfe du Valincu sont impactés par un puissant remaniement territorial La déprise concerne dès les années 1870 les communautés de la montagne comme le souligne le cas du Haut-Taravu

Palneca vers 1880

Cozzano vers 1880 Pour conclure ce parcours…

L’examen de la situation territoriale de cet ensemble au Les années 1860 forment comme le crépuscule d’une période de cours du XIXe siècle fait apparaître une dynamique croissance pour des motifs divers qui se conjuguent : générale : 1) L’emprise des communautés se manifeste dans une 1) La hausse démographique porte les systèmes d’accès aux ressources intégration de tous les terroirs à l’existence. Il à leur limite momentanée, dans un contexte où l’économie continentale faudrait insister sur le signal qu’en donne la se transforme et impacte en retour les flux qui pouvaient soutenir toponymie, en lien avec les « histoires » singulières l’essor de la Corse. qui s’enracinent dans tel ou tel lieu. Pour mémoire : 2) L’action déterminée des autorités publiques, relayées parfois sur les récits abondants des actes de « bandits » renvoient place, conduit à briser les cadres collectifs de l’existence pour y systématiquement aux lisières des habitats, au maquis, substituer une trame administrative nouvelle dont les effets indirects et transforment l’espace hors emprise agricole en un sont : refuge, ce qui participe de l’intégration du « saltus » a) Briser la complémentarité des espaces soumis aux (espace « sans valorisation céréalière ou culturale ») à communautés un espace vécu et considéré. b) Soustraire des terrains au pouvoir des communautés qui 2) L’emprise des communautés implique une répartition peinent à y maintenir leurs droits puisque ces zones relèvent fonctionnelle des terroirs en groupes plus ou moins d’autres pouvoirs municipaux. longuement intégrés à la vie quotidienne (la forêt c) Retirer également des ressources financières aux municipalités s’oppose en ce sens au jardin) qui perdent l’emprise sur les territoires remaniées (territoires 3) Cette répartition fonctionnelle se transforme sous agricoles et forestiers) l’effet de plusieurs facteurs : 3) La conjonction de crises nouvelles : a) Le mouvement démographique a) Les maladies de la vigne b) Les conditions de la production, notamment b) La mévente agricole qui se généralise dans les années 1880 en lien avec les possibilités techniques et c) Le départ vers d’autres carrières de ceux qui ne voient plus commerciales un avenir dans l’agriculture c) Les conditions politiques (sécurité, instabilité) et légales (les normes et leurs transformations Toutefois, le mouvement qui tend à créer la déprise dans les campagnes ne en lien avec le type de pouvoir) doit pas cacher qu’il s’agit d’un retournement lent et long d’une structure qui a connu bien d’autres heurts et malheurs. Dans le contexte actuel de d) Les conditions environnementales, auxquelles « retour au local », de quête de « réassurance », de promotion du « bon », du les sociétés répondent par des systèmes « sain », du « vrai », les villages ont beaucoup à valoriser, en remobilisant leurs particuliers (les plages sont longuement atouts, réels, et en mettant à profit la mémoire qui fait que les anciens ne cessent fréquentées hors saison de propagation du jamais vraiment d’inspirer les vivants, en toute société. paludisme) MERCI ! Fabien Gaveau