direction régionale de l’Équipement d’Ile de

Réflexions sur l’avenir de l’Ile-de-France

Rapport du groupe de travail La place de la région dans le monde et en Europe

élaboré sous la responsabilité de Régis Baudoin Directeur Général de l’Agence Régionale de Développement Président du groupe de travail

décembre 2003

Réflexions sur l’avenir de l’Ile-de-France

Rapport du groupe de travail La place de la région dans le monde et en Europe

élaboré sous la responsabilité de Régis Baudoin Directeur Général de l’Agence Régionale de Développement Président du groupe de travail

décembre 2003

La place de la région dans le monde et en Europe

Avertissement aux lecteurs

La planification d’ensemble du développement et de l’aménagement de la région Île-de-France a été initiée avec le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région parisienne de 1965 ; ce schéma s’inscrivait dans la vaste réforme des institutions de la région capitale menée par Paul Delouvrier. Le schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de l’Île-de-France en 1976 et le schéma directeur de l’Île-de-France approuvé en 1994 ont assuré la continuité et l’adaptation de cet outil de mise en cohérence dans le temps et dans l'espace des politiques publiques qui contribuent au développement solidaire et à l’attractivité de l’espace régional.

La compétence d’élaboration du schéma directeur régional a été transférée au Conseil régional d’Île-de-France par la loi d’orientation et d’aménagement du territoire du 4 février 1995. Le code de l’urbanisme prévoit l’association de l’État et l’approbation par décret en Conseil d’Etat du schéma.

Sans préjuger de l'opportunité, de la date et des modalités d'éventuelles décisions de mise en révision du schéma directeur qui relèvent donc aujourd’hui du Conseil régional d’Île-de-France, la Direction régionale de l’équipement a engagé à la demande du préfet de région une démarche prospective sur des thèmes clés pour l’avenir de l’Île-de-France. Les dix thèmes ci-dessous ont été examinés par des groupes de travail réunissant des spécialistes invités intuitu personae, sous la présidence de personnalités pour l’essentiel extérieures à l’administration de l’État en Île-de-France.

Il a semblé utile d’assurer une diffusion appropriée de ces analyses et propositions techniques. Ces travaux réunissent chacun les réflexions d’un groupe d’experts et ne constituent, bien sûr, pas une prise de position de l’État. Ils sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs, à savoir les présidents des groupes de travail.

• Les nouvelles formes de planification de l’Île-de-France – président : Gérard MARCOU, professeur de droit public à l’université de I • La place de la région dans le monde et en Europe – président : Régis BAUDOIN, directeur général de l’Agence régionale de développement • La politique d'aménagement multipolaire du territoire régional – président : Daniel SENE, ingénieur général des ponts et chaussées • Les espaces périurbains et ruraux du schéma directeur – président : Alain DASSONVILLE, ingénieur général du Génie rural, des eaux et des forêts • Le développement économique à long terme de la région – président : Jean-Pierre MONNOT, directeur régional de la Banque de France • L’évolution des modes de vie et qualité de vie – présidente : Marion SEGAUD, professeur de sociologie à l’Université du Littoral • Les solidarités urbaines – président : Éric SCHMIEDER, inspecteur général des affaires sanitaires et sociales • La mobilité – président : François-Régis ORIZET, directeur délégué de la Direction Régionale de l’Équipement d’Île-de-France • La prise en compte dans la planification régionale de la gestion des ressources, des déchets, des nuisances, des risques et des crises – président : Victor CONVERT, préfet, président du Conseil d’administration de l’Institut National des Études de Sécurité Civile • La zone dense – président : Christian BOUVIER, directeur général de l’Établissement Public pour l’Aménagement de la Défense

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La place de la région dans le monde et en Europe

Ce rapport a été élaboré par un groupe de travail présidé par

Régis Baudoin, Directeur général de l’Agence régionale de développement, et dont les membres étaient :

Françoise Alouis, de la DATAR Françoise Courtois-Martignoni, de la Direction des affaires économiques et de l’emploi de la Ville de Paris Denis Deschamps, directeur du Centre régional d’observation du commerce, de l’industrie et des services de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Émilie Collet, de l’Agence régionale de développement Claude Gaudriault, ancien directeur de la division Économie et développement local de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France Michèle Gonnet-Chaubet, de la Préfecture de Paris Thomas Le Jeannic et Marie Cugny-Séguin de la préfecture de la région d’Île-de-France Dominique Lecomte, de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France André Rouquié, directeur du développement du Centre national de la recherche scientifique Serge Sadler, de la Direction régionale de l’équipement de la région d’Île-de-France Jean-Marie Stéphan, de la Direction régionale de l’agriculture et de la forêt Vincent Vicaire, de la Direction régionale de l’INSEE

Rapporteur :

Emilio Tempia, de la Direction régionale de l’équipement, avec les contributions de :

Pierre Bernard, de la Direction de l’enseignement supérieur du Ministère de l’éducation nationale Chong Thoong-Shin, représentant du Singapore Economic Development Board à Paris Frédéric Chouzenoux, de l’Agence régionale de développement Greg Clark, Director of Strategy – Development & Intelligence de la London Development Agency Bernard Etlicher, Délégué régional à la recherche et à la technologie d’Île-de-France Vincent Gollain, Directeur "Prospective et économie régionale" de l’Agence régionale de développement Serge Grégory, sous-directeur des relations extérieures de PSA Sir Peter Hall, Bartlett Professor of Planning, University College London Faculty of the Built Environment / Director, Institute of Community Studies Hervé Hibon, délégué aux Pme-Pmi au sein de la Direction de la stratégie et de l’action commerciale de l’ONERA Gérard Husson, président d’EADS Développement Yves Leclère, président - directeur général de Messier - Bugatti (Groupe SNECMA) et administrateur du Groupement des Industries Françaises Aéronautique et Spatiale (GIFAS), Patrick de la Morvonnais, du BIPE Michel Parent, de l’INRIA / IMARA Paulette Pommier, de la DATAR Fabrice Rigaux, du Centre régional d’observation du commerce, de l’industrie et des services de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Paul Rius, délégué général de l’Observatoire Régional de l’Immobilier d’Entreprise Anne-Marie Roméra, directrice de la Division économie et développement local de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région d’Île-de-France

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La place de la région dans le monde et en Europe

Francesc Santacana, directeur du plan stratégique de Barcelone Michel Thomachot, de la Direction régionale de l’équipement (DUSD/GSIG) Olivier Valin, du bureau d’ingénierie EDAG Eveline Vorms, du Centre régional d’observation du commerce, de l’industrie et des services de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Tadao Watanabe, de Akebono Brakes Tony Winterbottom, Director of Strategy – Implementation & Project de la London Development Agency

La publication du rapport a été assurée à la Direction régionale de l’équipement d’Île-de-France par

Yannis Imbert, avec la participation de

Alain Gaignet et Jean-Paul Muzet pour la cartographie

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La place de la région dans le monde et en Europe

Sommaire

1. Introduction...... 9

2. Aménagement et compétitivité de l’Île-de-France...... 11 2.1 Les prescriptions du schéma directeur de 1994 concernant les facteurs de compétitivité.....11 2.2 Les « territoires stratégiques » de développement de l’immobilier d’entreprise...... 14 2.3 Les choix d’implantation des grandes entreprises et l’offre d’immeubles de grande taille .....15 2.4 Les problèmes que posent le coût et la qualité de vie dans la région...... 17 3. L’Île-de-France face aux régions concurrentes...... 19 3.1 L’étude GEMACA de l’IAURIF ...... 19 3.2 Les études comparatives du CROCIS...... 20 3.3 Le classement du cabinet Healey and Baker (European Cities Monitor) ...... 21 3.4 L’analyse de l’European Investment Monitor ...... 22 3.5 La stratégie de développement du Grand Londres...... 22 3.6 Barcelone : aménager la métropole pour assurer son développement...... 24 3.7 Singapour : une stratégie basée sur la recherche et l’innovation...... 25 3.8 La Silicon Valley, métropole de l’innovation...... 26 4. Les perspectives de développement de l’économie régionale...... 31 4.1 La filière aéronautique / spatiale / défense ...... 31 4.2 Une filière automobile compétitive...... 33 4.3 Nouvelles sciences et technologies de l’information et de la communication : beaucoup d’acquis mais une visibilité internationale insuffisante ...... 34 4.4 L’Île-de-France , première région touristique mondiale...... 38 4.5 Le développement de la place financière de Paris ...... 40 4.6 Des services aux entreprises toujours dynamiques ?...... 42 5. L’enseignement supérieur, la recherche et la capacité d’innovation...... 45 5.1 Un enjeu national majeur de compétitivité...... 45 5.2 Un enjeu régional majeur...... 49 5.3 Assurer la compétitivité de l’enseignement supérieur et de la recherche ...... 53 5.4 Les possibilités de construction de nouveaux équipements universitaires ...... 54 5.5 Les difficultés de l’innovation en Île-de-France: l’exemple des biotechnologies ...... 56 5.6 Un atout à valoriser : le réseau hospitalier...... 58 6. Les industries de création ...... 61 6.1 Un grand passé, un dynamisme inégal...... 61 6.2 …mais aussi les premières entreprises mondiales...... 62 6.3 L’indispensable relance de la créativité ...... 66 7. Le rayonnement culturel et ses facteurs ...... 69 7.1 Le marché de la création artistique...... 69 7.2 Le développement culturel du territoire régional...... 71 8. Le « savoir aménager », facteur de compétitivité ...... 77 8.1 Améliorer l’accessibilité de la région et de ses territoires ...... 77 8.2 Développer la production de logements de qualité...... 81 8.2.1 La trop lente reconquête des espaces de renouvellement urbain ...... 81

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La place de la région dans le monde et en Europe

8.2.2 Organiser le développement des franges...... 82 8.3 Prévenir les inondations ...... 83 9. Les propositions...... 87 9.1 Relancer l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation...... 88 9.2 Assurer le développement équilibré des différents territoires de la région...... 88 10. Bilbliographie...... 89

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La place de la région dans le monde et en Europe

1. Introduction

L’Île-de-France est une métropole jouant des rôles spécifiques au niveau mondial, ou au moins européen.

Il est également clair que ces rôles ne sont pas des acquis, et que la région ne pourra continuer à les jouer que dans la mesure où elle saura faire face à des concurrents globaux ou spécialisés, qu’ils existent déjà ou qu’ils émergent dans les années ou les décennies à venir.

Par conséquent, l’Île-de-France ne peut se considérer comme dépositaires de rentes de situations, en quelque domaine que ce soit. Bien au contraire, il existe des observateurs avertis1 qui la classent plutôt au niveau des métropoles mondiales de second rang dans des domaines importants pour l’attractivité et la compétitivité de la région, et donc son développement futur. La région doit non seulement attirer ou, le plus souvent générer des activités nouvelles et des entreprises nouvelles, mais aussi conserver les activités et les entreprises qu’elle possède – et surtout leurs fonctions de direction et de création : sièges sociaux, directions industrielles et commerciales, centres de recherche, bureaux d’études…

Le développement économique de l’Île-de-France ne se fait pas au détriment des autres régions françaises : de par ses fonctions et la structure de son économie, l’Île-de-France est en exclusivement en concurrence avec les autres métropoles dont le rayonnement est – comme le sien – mondial ou au moins européen.

Certaines de ces métropoles sont proches : Londres, métropole mondiale s’il en est, possède des atouts souvent équivalents et parfois même supérieurs à ceux de l’Île-de-France, n’est qu’à moins d’une heure d’avion, et maintenant à peine plus de deux heures d’.

Des métropoles européennes « moyennes » comme Bruxelles, , Barcelone ou Milan sont également des concurrents de notre région en matière d’innovation ou de créativité, ou en tant que sièges d’entreprises et de filiales de multinationales couvrant l’ensemble des marchés de l’Union européenne. Les métropoles des nouveaux membres de l’Union - Varsovie, Prague, Budapest - peuvent déjà apparaître comme des concurrents pour certaines fonctions ou pour l’accueil d’entreprises mondiales.

Cette situation n’est pas absolument nouvelle. Elle est déjà été largement prise en compte par le schéma directeur de 1994 et par la politique d’aménagement du territoire. Ses conséquences en matière d’aménagement et de développement économique durable de l’Île- de-France n’ont peut-être pas été tirées instantanément. IL faut cependant souligner le fait que le Conseil régional est désormais un partenaire majeur de l’État par ses responsabilités nouvelles en matière de développement économique – notamment grâce à la création de l’Agence régionale de développement - d’aménagement et de transports.

Compte tenu de la situation qui vient d’être résumée, le présent groupe de travail se devait de réunir non seulement les compétences des services de l’État, mais aussi et surtout de ceux de la Région et d’autres institutions –chambres de commerce et autres – ayant pour vocation de veiller à la mise en valeur des potentiels de la région.

1 Telle Saskia SASSEN, qui a particulièrement insisté sur le rôle mondial de trois grandes places financières, et trois seules (voir The Global City : London, New York, Tokyo. Princeton University Press, 1991, 416 pages)

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La place de la région dans le monde et en Europe

Le présent groupe de travail n’a pas eu le monopole de ces réflexions. En particulier, le groupe sur le développement économique de l’Île-de-France a eu à aborder des thèmes parfois identiques, et a abouti à des conclusions similaires et à des propositions largement concordantes.

Le présent travail a consisté pour l’essentiel en des analyses sans fards des forces et des faiblesses de notre région, afin de faciliter, dans la mesure du possible, les décisions à prendre dans les prochaines années pour conforter l’Île-de-France et à mieux l’adapter à la concurrence, quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne. Ces analyses ne doivent pas pour autant faire oublier les atouts souvent exceptionnels de l’Île-de-France, dont l’inventaire très récent a été largement diffusé2. Mais il faut également bien connaître les problèmes auxquels la région est confrontée, pour bien les résoudre. Il faut en particulier préparer l’avenir des jeunes encore nombreux qui arriveront sur le marché du travail au cours des années à venir, résorber le sous-emploi et faire disparaître graduellement les grandes « poches » de pauvreté et d’exclusion qui subsistent même dans la plus riche des régions européennes.

Le rapport examine successivement les prescriptions en matière de compétitivité du schéma directeur et les difficultés, mais aussi les potentiels de leur mise en œuvre dans les différents territoires de la région, la position de l’Île-de-France face aux régions concurrentes, en Europe et dans le monde, les perspectives en matière de développement de l’économie régionale et les difficultés toujours inquiétantes en matière d’innovation et de renouvellement du portefeuille régional d’activités et d’entreprises, l’importance et le dynamisme des industries de création, le rayonnement culturel de la région et l’importance de mesures d’aménagement bien ciblées, bien conçues et mises en œuvre à temps.

Les propositions finales rappellent fortement la nécessité de mesures pertinentes en matière d’innovation et de développement équilibré de tous les territoires de la région.

2 Paris Île-de-France, une région attractive : la preuve par 5. Agence régionale de développement et Paris Île-de-France capitale économique, septembre2003, 16 pages

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La place de la région dans le monde et en Europe

2. Aménagement et compétitivité de l’Île-de-France

Le schéma directeur de 1994 part du constat que l’Île-de-France est une métropole planétaire. Les politiques d’aménagement et de développement qu’il propose sont autant de mesures destinées à sauvegarder et améliorer son rayonnement et son attractivité en visant à « l’excellence mondiale ».

Les mesures proposées concernent d’abord la place de l’Île-de-France – mais aussi « du pays tout entier » - dans le concert des nations européennes où il faut assurer la compétitivité des territoires. Face à ses concurrents, l’Île-de-France doit se donner une politique d’aménagement permettant la meilleure répartition des ressources immatérielles, des hommes et des activités. Il faudra par conséquent vérifier par rapport aux objectifs de compétitivité et de rayonnement de la région à atteindre à travers son aménagement équilibré la pertinence de choix tels que la continuité de la politique de développement polycentrique, le choix de centres d’« envergure européenne » à renforcer, la volonté de lancer le redéveloppement de la proche couronne, la poursuite et l’achèvement des villes nouvelles, le renouveau du tissu industriel, l’implantation des activités tertiaires dans de vrais pôles urbains, la consolidation de l’attractivité touristique et le développement de nouveaux pôles. Le bilan de la mise en œuvre du schéma directeur tant en matière de développement que d’aménagement est en cours d’élaboration par l’IAURIF. Dans ce premier chapitre, nous nous bornerons par conséquent à rappeler très rapidement les prescriptions du schéma de 1994 en matière de compétitivité, l’approche complémentaire de l’Agence régionale de développement en matière de stratégie de mise en valeur des 21 territoires qu’elle a identifiés, les critères des grandes entreprises en matière d’implantation dans les pôles de bureaux, et enfin le problème du coût et de la qualité de la vie dans la région, qui nous interpelle tant en matière de stratégies d’aménagement que de perspectives d’un développement qui ne peut être fondé que sur la capacité d’attirer et conserver les meilleures ressources humaines.

2.1 Les prescriptions du schéma directeur de 1994 concernant les facteurs de compétitivité

Le schéma directeur en vigueur est le premier à avoir fait expressément référence – dès la première page – à la compétitivité de la région.

Grâce aux sièges des grandes entreprises françaises et internationales, à ses pôles de recherche avancée, à ses sites d’échanges commerciaux, à la richesse de son patrimoine touristique et à sa vie culturelle intense l’Île-de-France a, en effet, une vocation européenne ou même, plutôt, mondiale. En Europe, elle est la seule métropole à disposer d’une « toile d’araignée » de lignes ferroviaires à grande vitesse et d’un grand aéroport ayant tout l’espace pour se développer.

L’Île-de-France a déjà su assurer une certaine spécialisation de ses territoires. La cité des affaires est à Paris et à la Défense, la recherche à Paris et à Saclay, la communication commerciale à Paris et à Villepinte. La vocation touristique de Paris en a fait la première ville

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La place de la région dans le monde et en Europe de congrès du monde, et Marne-la-Vallée est devenue l’un des premiers pôles touristiques européens.

Le schéma de 1994 affirme déjà que l’Île-de-France doit porter ses efforts sur l’excellence mondiale dans tous les domaines, qu’il s’agisse des industries à haute valeur technologique ou des secteurs à forte créativité, ou encore du tourisme d’affaires, de la place financière, de la vie culturelle.

La région doit également renforcer ses spécificités, promouvoir ses atouts naturels, jouer de ses qualités propres, à commencer par son rayonnement culturel, qu’aucune autre métropole ne peut revendiquer.

Il est rappelé que l’attractivité de la région sera d’autant plus forte que ses possibilités d’accueil seront diversifiées, et donc en mesure de satisfaire tous les besoins des entreprises en matière d’implantation géographique, de locaux, de services et de personnels.

Enfin, le schéma situe l’Île-de-France dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire, qui ne doit plus entraver la position concurrentielle de la région capitale face à ses concurrentes européennes. L’Île-de-France est d’ailleurs une composante de la politique d’aménagement harmonieux du territoire dont le schéma directeur est un premier exemple. Il vise en effet à éviter le gigantisme et à la concentration excessive en organisant une meilleure répartition des ressources immatérielles, des hommes et des activités tout en assurant la maîtrise de l’urbanisation, le contrôle de l’implantation des bureaux à travers l’agrément et le respect de l’équilibre emploi-logement.

Afin d’éviter les dysfonctionnements internes qui nuiraient aussi bien à la compétitivité de la région qu’à la qualité de vie de ses citoyens, le schéma directeur doit créer les conditions d’un meilleur équilibre entre l’habitat et l’emploi et d’une solidarité accrue entre les différentes composantes de la région. Le schéma empêche par conséquent les extensions en tache d’huile et vise à diminuer la congestion du centre et la dégradation de l’environnement en poursuivant l’organisation de l’espace urbain autour de pôles regroupant les grands équipements – universités, hôpitaux, édifices culturels, lieux de loisirs, administrations – et les commerces dans des lieux bien desservis par les transports collectifs.

Ce principe d’organisation polycentrique, qui remonte au schéma directeur de 1965, confirmé par celui de 1976, s’articule en pôles d’envergure européenne (Paris, La Défense, Roissy, Saclay, Marne-la-Vallée), en secteur de redéveloppement et en centres de villes nouvelles.

En matière de compétitivité sectorielle, le schéma rappelle que l’Île-de-France reste la première région industrielle française et se classe parmi les toutes premières régions européennes, grâce à la concentration des sièges des grandes entreprises et à un riche tissu d’entreprises petites et moyennes performantes appuyées par un potentiel exceptionnel de formation et de recherche.

Le schéma vise à maintenir une industrie puissante et innovante en offrant à tous les types d’entreprises les possibilités d’accueil diversifiées dont elles peuvent avoir besoin, avec des services adaptés aux activités de fabrication comme à celles de recherche.

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La place de la région dans le monde et en Europe

Le problème majeur à résoudre en matière d’aménagement de l’Île-de-France concerne l’implantation des activités tertiaires, que le schéma directeur limite, en principe, aux pôles urbains. En effet, le besoin de construction est évalué en moyenne à 1,1 million de m² par an pour la période 1990-2015, en extrapolant le rythme de la période 1975-1990. Compte tenu de la poursuite des mutations de l’industrie, les activités resteront les seuls à créer des emplois, et leur implantation est par conséquent un enjeu majeur de développement économique et urbain.

Aussi, pour faciliter la recherche d’un équilibre entre le centre et la périphérie, ces activités doivent être implantées dans les territoires ayant connu une croissance démographique et aussi dans ceux, de l’Est en particulier, affectés par le déclin de l’emploi industriel. Surtout, ces activités doivent former des pôles réellement « urbains » où l’habitat aura sa place.

Les hypothèses d’implantation de ces nouveaux pôles ont été déterminées en fonction de l’accessibilité par les transports en commun. Les pôles envisagés sont donc situés à Bercy et à Seine-Rive gauche – près des gares de Lyon et d’Austerlitz - ainsi que dans le secteur gares de l’Est et du Nord / portes de la Chapelle et de la Villette dans Paris, afin d’enclencher le rédeveloppement de la Plaine-Saint-Denis. Ailleurs en Seine-Saint-Denis, il s’agit de mettre en valeur les gares d’Eole, le secteur du Bourget et les abords de l’aéroport de Roissy, pôle d’envergure européenne ayant connu un développement très significatif de l’immobilier d’entreprise.

En banlieue plus lointaine, il s’agit d’assurer le développement du pôle du Val d’Europe et du centre de Sénart, ainsi que de Meaux et Melun. Au sud, les pôles d’Évry et de Massy sont à conforter, et les carrefours du RER que sont Juvisy et Brétigny peuvent avoir vocation à recevoir des implantations tertiaires. A l’Ouest, Saint-Quentin-en-Yvelines reste un pôle de développement important, tandis que les Mureaux et Mantes devraient contribuer à attirer des emplois tertiaires pour compenser les pertes entraînées par la modernisation de l’industrie. Dans le Val d’Oise, Cergy devrait poursuivre sa croissance avant d’être relayé par des pôles urbains de la vallée de Montmorency.

Le commerce doit contribuer au développement des centres, en s’inscrivant dans la ville, et non plus dans le désordre, le long des axes routiers ou dans des zones d’activités industrielles non prévues pour l’accueillir : l’armature commerciale doit être équilibrée à plusieurs échelles territoriales complémentaires allant du quartier aux principaux pôles intercommunaux.

Enfin, l’activité tertiaire majeure qu’est le tourisme en Île-de-France est pris en compte dans ses deux grands aspects, celui de la communication commerciale et du grand public. En ce qui concerne le tourisme d’affaires, il s’agit de sauvegarder la compétitivité de la région en matière d’expositions, en renforçant et en diversifiant le parc de Villepinte et en créant éventuellement dans les pôles les plus accessibles – Val d’Europe, Sénart, Massy – ou à développer en priorité : Plaine Saint-Denis, Seine Amont. Ces pôles ont également vocation à accueillir les équipements hôteliers qu’appelle la croissance régulière de la fréquentation de l’Île-de-France.

La compétitivité de la région doit être également conservée, en particulier, face aux risques naturels qui peuvent ralentir sévèrement son rythme de production. Le principal

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La place de la région dans le monde et en Europe risque est celui des inondations, pris en compte par le schéma directeur, mais avec des propositions qui ne paraissent plus à la hauteur de ses conséquences économiques.

2.2 Les « territoires stratégiques » de développement de l’immobilier d’entreprise

L’Île-de-France possède le premier parc d’immobilier d’entreprise d’Europe. Ce parc est par conséquent un sujet de première importance, un atout de premier ordre pour la compétitivité économique de la région. C’est un facteur-clé pour l’implantation des entreprises, et une source de profit pour les territoires de la région, grâces aux taxes, à l’emploi et à la mixité urbaine.

L’Agence régionale de développement analyse ce parc dans une optique « marketing » en prenant en compte l’ensemble de l’offre : bureaux, locaux mixtes, entrepôts. L’inventaire inclut l’offre en cours de réalisation et disponible d’ici 2004, ainsi que l’offre en projet, qui permet d’avoir une vue à plus long terme.

L’analyse de 21 « territoires stratégiques » est à la fois un inventaire de l’offre immobilière et une approche « marketing » mettant en évidence leurs atouts:

• qualité de l’environnement urbain, • grands équipements de commerce et de loisirs susceptibles d’améliorer la qualité de vie des salariés • offres de logements, • distance par rapport aux centres de décision définie en termes d’accessibilité par la route et les transports en commun • tissu économique (implantation des grandes entreprises) • enseignement supérieur (offre de personnels hautement qualifiés) et recherche.

Le parc de 45 millions de m² de bureaux offre aux investisseurs une liquidité attractive ainsi qu’une rentabilité parmi les plus élevées d’Europe (15,8 % en 2001). Aussi les investissements y ont-ils afflué : en 2002, la région était le deuxième pôle d’attraction après Londres, avec 7 milliards d’euros d’investissements immobiliers étrangers (contre 10 à Londres et 2 milliards à Francfort, troisième marché européen).

Les entreprises trouvent en Île-de-France une offre adaptée à l’ensemble de leurs besoins : immeubles haussmanniens ou neufs, tours ou immeubles bas de deux ou trois étages, ou encore immeubles de neuf ou dix étages, dans des quartiers traditionnels ou plus récents de bureaux. Cette offre peut aller de 100 à 760 euros / m² / an.

Aussi les transactions de bureaux en Île-de-France sont-elles les plus importantes d’Europe (1,5 million de m² de transaction en 2002 et une moyenne de 2 millions de m² depuis 1997, alors qu’à Londres, deuxième place européenne, 700 000 m² seulement ont été placés en 2002).

Le parc des locaux d’activités, estimé à 30 millions de m², permet d’accueillir l’ensemble des activités industrielles des PMI ou des grands groupes.

Enfin, l’excellente situation géographique de l’Île-de-France et les disponibilités foncières ont suscité un développement remarquable des entrepôts, dont le parc atteint 20 millions de m² et offre des loyers compétitifs à l’échelle européenne.

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La place de la région dans le monde et en Europe

L’analyse permet de distinguer trois types de territoires:

Le « cœur de marché » - Paris Quartier central des affaires, La Défense, le Val-de-Seine, Versailles–Saint-Quentin, Roissy - qui ont une offre structurée et sont les locomotives de l’Île-de-France en matière d’immobilier d’entreprise.

Les territoires au développement accéléré - Paris Rive Gauche et Seine Amont, Plaine- Saint-Denis et quartiers du nord-est parisien - auxquels s’étend le « cœur du marché » - ainsi que Massy-Saclay, Cergy, Montreuil–Fontenay-Noisy-le-Grand, Val-de-Bièvre, Évry, Sénart, Marne-la-Vallée, qui connaissent une dynamique importante.

Les territoires en mutation à fort potentiel - Mantois-Les Mureaux, Orly, Poissy-Saint Germain, Vallée de Montmorency, Gennevilliers, Créteil - qui présentent des réserves foncières pouvant permettre l’accueil des entreprises à plus long terme.

2.3 Les choix d’implantation des grandes entreprises et l’offre d’immeubles de grande taille

Comment les professionnels choisissent-ils les types et les implantations des programmes de bureaux ? Les logiques de marché interrogent les aménageurs, l’État, la Région.

La relance des constructions, entre 1997 et 2000, a vu apparaître une nouvelle génération d’immeubles destinés aux grands établissements.

Entre 1989 et 1992, les immeubles de plus de 10 000 m², représentaient 40 % de la production totale de bureaux. Ils ont permis aux grandes entreprises de quitter des locaux haussmanniens situés à Paris pour s’installer principalement à l’Ouest. Avec la reprise en 1997, la production de grands immeubles est relancée. Les « plus de 10.000 m² » vont représenter 60 % des mises en chantier en 2000. Ils sont souvent précommercialisés et situés surtout à Paris et à l’Ouest, mais aussi au Nord de Paris, notamment autour du Stade de France, les promoteurs étant à la recherche du « prochain » grand pôle immobilier francilien.

En effet, les grandes entreprises veulent se réinstaller dans des immeubles aux larges plateaux aménagés à la demande, pouvant accueillir aussi bien des établissements importants que des unités plus petites désirant bénéficier de services communs.

Cette demande a suscité une offre nouvelle de bâtiments aux « normes » des grandes places tertiaires internationales que connaissent bien les investisseurs et qui leur assurent demande, rentabilité et possibilité de revente. Pour implanter ces bâtiments, il fallait :

• une grande disponibilité foncière, donc hors des secteurs les plus denses • l’autorisation d’adopter une architecture de grandes façades vitrées permettant d’éclairer des plateaux profonds. • une localisation privilégiée, proche du centre ou d’autres pôles reconnus, dans un marché actif justifiant des investissements pouvant atteindre 185 millions d’euros.

D’où la constitution rapide de pôles de100 à 150 000 m² de bureaux et pouvant atteindre si besoin est 300 000 à 500 000 m², pour que les entreprises puissent éventuellement

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La place de la région dans le monde et en Europe déménager sur place pour s’agrandir, ou se défaire de locaux sans risquer d’être confrontée à des problèmes de personnels.

Ces pôles exigent l’intervention ferme, constante et très significative d’un aménageur public stable pouvant assurer leur développement à travers plusieurs phases.

Face à l’offre disponible, ancienne ou nouvelle, il fallait chercher à savoir comment les entreprises font leurs choix en :

• analysant l’évolution de la demande placée de plus de 5.000 m² • réalisant une enquête auprès d’un échantillon d’établissements employant plus de 300 personnes ayant déménagé dans les 18 mois avant juillet 2002 et auprès d’entreprises n’ayant pas ou plus de projets de déménagement du fait de difficultés dont la nature était à établir • interrogeant trente directeurs immobiliers d’entreprises installées dans la région afin de tester une liste de critères d’implantation. Au total, d’après les estimations issues du redressement de l’échantillon d’enquête, la sous- population des « déménageurs » sur la période 2001-2003 serait d’environ 80, au sur une population totale d’environ 640 établissements privés de plus de 300 emplois de bureaux en Île-de-France. Les difficultés des entreprises les incitent à quitter Paris au profit de la première périphérie : au Nord les prix étaient moitié moindre qu’à La Défense ou à Paris. Le regroupement des fonctions est le principal motif de déménagement, à une époque où les fusions ou acquisitions faisaient encore sentir leurs effets, mais pour 7 % des entreprises il s’agissait de diminuer le poids des loyers et des taxes locales.

Les premiers critères de choix d’une implantation (13%),sont les transports, les télécommunications et la sécurité. Ce qui reflète l’insatisfaction pour de nouveaux emménagés en ce qui concerne la sécurité et le cadre de vie : elles en viennent même à attribuer moins d’importance à la proximité des partenaires, clients ou concurrents.

70 % des entreprises recherchent également la mixité dans l’habitat, les bureaux ne devant pas dépasser 25 % de la surface bâtie du pôle d’affaires, mais refusent la proximité de la logistique ou de l’industrie.

Les grandes entreprises souhaitent occuper entièrement des bâtiments de quelque 5 étages et de 10 000 et 50 000 m², pouvant permettre de réunir toutes les fonctions : direction générale, finance, direction commerciale, back office ou recherche et développement.

Mais elles privilégient le critère d’image, du quartier mais aussi du bâtiment « pour elles seules »

Si la croissance faible ou nulle de l’emploi devait persister, seul le renouvellement du parc justifierait de nouveaux investissements. Son renouvellement complet en cent ans représenterait un rythme de construction de 450.000 m² par an.

Il faut enfin noter qu’une intégration des bureaux à l’habitat permet d’imaginer des pôles tertiaires de taille relativement modeste bien insérés en milieu urbain et constituant un

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La place de la région dans le monde et en Europe réseau grâce aux transports en commun, à la voirie rapide et aux télécommunications à haut débit..

2.4 Les problèmes que posent le coût et la qualité de vie dans la région

Le BIPE vient de publier une étude collective sur les migrations résidentielles à l’horizon 2010 qui montre une érosion significative de l’attractivité de l’Île-de-France pour les ménages, tant chez les jeunes (25-39 ans) que pour ceux qui rapprochent la retraite (55-64 ans). L’enquête menée auprès d’échantillons significatifs de ces deux groupes a suscité des réponses tranchées indiquant une modification très sensible des comportements.

Le solde migratoire de l’Île-de-France n’est positif que pour les 15/24 ans. Or, l’enquête a fait ressortir la probabilité de fortes variations d’ici 2010, surtout pour les jeunes couples avec enfants. Il apparaît que les jeunes Franciliens privilégient, en matière de qualité de vie :

1. Le logement 2. La vie privée 3. Le cadre de vie 4. La nature 5. La possibilité d’élever les enfants dans de bonnes conditions 6. Les temps de transport 7. La diminution du stress

En ce qui concerne les intentions de mobilité à cinq ans, 59,9 % des jeunes actifs Franciliens veulent déménager, 91 % d’entre eux pour quitter la région.

Quant aux jeunes provinciaux, ils refusent massivement de migrer vers l’Île-de-France, en raison :

1. de l’impossibilité d’y trouver un logement individuel 2. ou même un logement tout court 3. du stress 4. du bruit et des pollutions 5. des temps de transport 6. du coût de la vie 7. de l’insécurité 8. de l’absence de volonté d’y faire carrière.

Seulement 42 % des jeunes actifs provinciaux veulent migrer, mais pour aller (dans l’ordre) en , Aquitaine, Languedoc ou Rhône-Alpes : L’Île-de-France est une région repoussoir (juste après le Nord – Pas-de-Calais). L’envie de quitter est particulièrement élevée chez les jeunes couples bi-actifs urbains et cultivés - dont 54 % veulent migrer, éventuellement à l’étranger – et les « solos », extra-professionnels, dont 65 % sont partants.

En ce qui concerne les « seniors », il y a 47 % de partants potentiels, dont 58 % veulent quitter la région pour :

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La place de la région dans le monde et en Europe

1. se rapprocher de la nature 2. trouver un climat plus agréable 3. quitter la ville ou la banlieue 4. s’installer dans une résidence secondaire (41 % de partants) 5. retourner au « pays » 6. trouver une plus grande sécurité 7. être proches d’équipements hospitaliers de qualité.

Les partants sont surtout chez ceux que le BIPE appelle les « verts », plus riches et possédant une résidence secondaire, qui sont presque tous (88 %) candidats au départ, vers le Sud-est (24 %), l’Ouest (21 %), le Centre (17 %) ou le Sud-ouest (10 %).

Si les départs que souhaitent les habitants se réalisent, il y aura des conséquences évidentes sur l’offre et la demande de logements, mais aussi d’équipements, notamment scolaires hospitaliers, ainsi que sur les personnels les plus qualifiés, qui auront souvent le choix de la région où ils voudront habiter.

Ce problème de l’attractivité des conditions de vie dans la région a été posé à plusieurs reprises et mérite d’être étudié attentivement.

Mais en n’oubliant pas que l’Île-de-France conserve des atouts à ne pas passer sous silence – d’autant que des chefs d’entreprises les rappellent en évoquant « la proximité de Fontainebleau et de la vallée de Chevreuse qui (…) permet de recruter assez facilement des scientifiques attachés à un certain mode de vie »3 - et à mettre en valeur.

Notamment en promouvant le développement modéré et « durable » d’une offre d’habitat aéré, pas trop éloigné des vallées ou des forêts.

Et bien desservi par des services ferroviaires de qualité et fiables.

3 Catherine DUCRUET. « La biotech fleurit dans le climat d’Île-de-France ». LesEchos.net, 5 mai 2003, p. I

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La place de la région dans le monde et en Europe

3. L’Île-de-France face aux régions concurrentes

En tant que « ville mondiale », l’Île-de-France n’est plus évaluée seulement dans le cadre national. Certes, il convient de tenir compte des signaux négatifs perceptibles en ce qui concerne le désir des provinciaux de s’y installer et de ses habitants de s’en aller. Au moment du départ à la retraite des générations du « baby boom », il convient, en effet, de se soucier de l’attractivité de la région, notamment auprès des personnes les plus qualifiées (l’étude de Patrick de la Morvonnais, du BIPE, est à prendre en compte) Surtout, il convient de comparer les performances de l’Île-de-France par rapport aux métropoles européennes et, dans la mesure du possible, d’autres continents.

3.1 L’étude GEMACA de l’IAURIF

Les résultats du projet GEMACA ont montré que la compétitivité macroéconomique de la région est en déclin relatif : faible dynamisme démographique, taux d’occupation particulièrement bas, faible croissance de l’emploi, dernier rang en ce qui concerne l’évolution du chômage, croissance lente :

• la région fonctionnelle de Paris est peu dynamique du point de vue démographique : ( + 0,32 % par an, contre + 0,93 % pour Londres, 0, 85 % pour la Randstad et même + 1,09 % pour Dublin et 1,02 pour Édimbourg)

• le rapport jeunes (- 25 ans) / vieux ( +65 ans) y est favorable (32,9/9,6, contre 39,4/9,6 à Dublin)

• le pourcentage de diplômés de l’enseignement supérieur (31,2 %) n’y est dépassé qu’à Londres (32,8 %) et à Bruxelles (32,5 %)

• en revanche le taux d’occupation y est particulièrement bas : Paris est au 11.ème rang sur 14 régions urbaines, avec un taux de 64,4 % contre 71,3 % à Londres et même 71,5 % à Édimbourg

• pour l’évolution de l’emploi Paris est au huitième rang (+0,8 % par an). Dublin est en tête avec + 6,5 % devant la Randstad (+3 %).

• en ce qui concerne l’évolution du chômage, Lille et Paris sont aux derniers rangs.

• les services représentent 79,1 % de l’emploi à Paris, à peine moins que dans la Randstad (80,8 %) et à Londres (79,6 %)

• en matière de PIB par habitant à parité de pouvoir d’achat, la région de Paris, avec 32177 euros en 1998 n’était dépassée que par celle de Francfort (Rhein-Main) avec 32945 euros

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La place de la région dans le monde et en Europe

• la croissance économique (+ 1,7 % par an entre 1995 et 1998) de la région de Paris paraît peu dynamique face à celles de Dublin (+ 10,5 %), de la Randstad (+ 4,2 %) ou de Londres (+ 4 %)

Les faiblesses de la région de Paris en matière de croissance démographique, de taux d’emploi, de chômage et de dynamisme économique constituent un signal d’alarme fort. En Europe du Nord-Ouest, Paris perd des places.

Les données recueillies constituent un signal d’alarme fort pour l’Ile-de-France, d’autant que les comparaisons internationales font ressortir la jeunesse de l’Île de France, et donc une demande future d’emplois.

Un tel constat conduit à préconiser le maintien d’une économie de production de biens et de services, et non pas seulement d’une économie de redistribution.

Il y a une érosion continue de la compétitivité de la région francilienne.

En particulier, l’Agence régionale de développement constate que même des métropoles européennes de second rang - Bruxelles, Munich, Milan, Barcelone, sont également des concurrents de notre région en matière d’innovation ou de créativité, ou en tant que sièges d’entreprises et de filiales de multinationales couvrant l’ensemble des marchés de l’Union européenne. Les métropoles des nouveaux membres de l’Union - Varsovie, Prague, Budapest - peuvent également déjà apparaître comme des concurrents pour certaines fonctions ou pour l’accueil d’entreprises mondiales.

3.2 Les études comparatives du CROCIS4

Ces études sont basées sur des analyses disponibles des facteurs de compétitivité de l’Île-de- France, qui reprend la définition donnée par la Commission européenne, pour laquelle la compétitivité d’une région est « la capacité à produire des biens et des services qui passent le test des marchés internationaux, tout en maintenant des niveaux de revenus élevés et durables »5.

Les facteurs de compétitivité pris en compte habituellement, et qui tendent à classer la région aux premiers rangs européens, font l’objet d’examens critiques salutaires. Ainsi l’accessibilité de la région, a priori excellente, doit-elle évidemment être appréciée en tenant compte de la congestion fréquente – presque permanente – du réseau routier : W.M. Mercer classe l’Île-de-France au trentième rang mondial en termes d’accessibilité, alors que Stockholm, première métropole européenne du classement, est au septième (Londres est au 55.ème rang : ce n’est pas surprenant).

En ce qui concerne le niveau de qualification de la population active, c’est encore Stockholm qui est en tête, avec 38 % d’actifs hautement qualifiés : l’Île-de-France n’est que dans la moyenne des grandes métropoles (27 %).

4 Centre régional d’observation du commerce, de l’industrie et des services de la CCI de Paris 5 Commission européenne. Rapport périodique sur la situation et le développement économique des régions de l’UE. 1999, cité in Anne TOURET ; « L’Île-de-France et les métropoles européennes. 2: la compétitivité régionale en question ». Enjeux Île-de-France, No. 34, décembre 2002

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La place de la région dans le monde et en Europe

L’attractivité de la région n’est pas non plus aussi solide qu’on pourrait l’imaginer au vu d’enquêtes d’opinion de chefs d’entreprises qui offrent apparemment leurs réponses sans y voir le moindre enjeu. En revanche, au moment de la décision, les implantations se font essentiellement dans une logique commerciale de conquête du marché régional et français. C’est ainsi que s’expliquent 96 % des arrivées d’industriels du logiciel et de sociétés de conseil de la « nouvelle économie », « l’Île-de-France étant d’abord et surtout considérée comme un gros marché »6.

Quant aux « grandes » décisions d’implantation, celles concernant les fonctions plus « nobles », comme les sièges sociaux, elles dépendent des perspectives d’élargissement immédiat ou plus lointain de l’Union européenne. Par conséquent, « les dirigeants de sociétés envisagent Moscou, Varsovie ou Prague comme lieux d’implantation ».

Enfin, même si la qualité du milieu urbain ou la « douceur de vivre » qu’offrent les activités culturelles et la tradition gastronomique favorisent l’Île-de-France, la congestion des réseaux dégrade incontestablement son « indice d’habitabilité »7 par rapport à des métropoles européennes « moyennes » comme Amsterdam, Francfort ou Bruxelles.

3.3 Le classement du cabinet Healey and Baker (European Cities Monitor)

Dans le classement des meilleures villes d’affaires du Cities Monitor, six villes se détachent habituellement avec : Londres puis Paris, et ensuite Francfort, Bruxelles, Amsterdam, Barcelone, plébiscitée pour sa qualité de vie8.

Paris doit son deuxième rang aux facilités d’accès aux marchés, à la qualification du personnel et aux réseaux de transport tant externes qu’internes, mais les chefs d’entreprises ayant permis d’établir ce classement regrettent ses inconvénients:

• niveau élevé des charges sociales • climat des affaires peu favorable • qualité et coût des bureaux • liaisons difficiles entre le centre et l’aéroport • diffusion lente de l’internet à haut débit • pollution En 2002, la qualité de la vie était considérée comme " facteur absolument essentiel " par 18 % des 506 chefs d’entreprises interrogés (contre 15 % en 2001). Le centre de l'Europe, et plus particulièrement Varsovie, est pointé comme future zone d'expansion.

6 Anne TOURET ; « L’Île-de-France et les métropoles européennes. 3 : les débats autour de l’attractivité régionale». Enjeux Île-de-France, No. 36, janvier 2003, p. 2, 4 7 calculé par W.M. Mercer et reproduit par A. TOURET, op. cit., p. 3 8 « Availability of Staff in Key factor for Location ». Cushman & Wakefield, Nov. 4 2002 (www.cushwake.com/ us/cw /news/media)

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La place de la région dans le monde et en Europe

3.4 L’analyse de l’European Investment Monitor

Le cabinet Ernst & Young vient de publier l’analyse des flux d’investissements dont ont bénéficié les villes européennes en 2002 :

Investissements internationaux / Nombre de projets par région en 2002

Londres 125

Île-de-France 64

Catalogne 61

Rhône-Alpes 41

Moscou 36

Stockholm 36

Provence 31

Madrid 29

Budapets 27

Amsterdam 26

0 140

source : ERNST & YOUNG. European Investment Monitor 2003 Report

L’Île-de-France a pris la deuxième place, qu’occupait la Catalogne en 2001. Mais l’année dernière a été médiocre pour l’ensemble de l’Europe, avec des créations d’emplois en diminution de 29 % par rapport à 2001. L’Île-de-France suit Londres de près (17 % du total européen contre 20 %) en ce qui concerne les investissements des fabricants de logiciels, qui sont le plus souvent des implantations commerciales, mais est loin derrière (13 % contre 30 %) pour les services financiers. Le plus inquiétant, c’est la faible attraction de la région pour les investissements en centres de recherche, dont bénéficient essentiellement la Catalogne (10 projets), Londres et la Provence (5 projets chacune).

3.5 La stratégie de développement du Grand Londres

Les études comparées doivent être affinées par l’analyse de cas, à commencer par celui de Londres, dotée depuis peu d’une « agence de développement » que l’État a voulu mettre en place en même temps qu’il créait une institution métropolitaine gérée par un maire élu au suffrage universel.

L’Agence disposait en 2002 d’un budget de 300 millions de £.

L’agence est chargée à la fois de la promotion de la métropole, des grands projets d’aménagement et de leur mise en œuvre. De plus, l’agence doit faciliter l’intégration des minorités ethniques et mettre en valeur les grands établissements de recherche, notamment en offrant des espaces pour y accueillir les entreprises créées par les chercheurs.

A partir de la fin de la guerre et jusqu’au début des années 80, Londres a connu une décroissance continue des emplois et de la population, que le gouvernement encourageait en

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La place de la région dans le monde et en Europe contrôlant les implantations d’industries et de bureaux et en construisant les villes nouvelles dans des périphéries de plus en plus éloignées (Milton Keynes, Peterborough, Northampton).

Les contrôles ont disparu et les villes nouvelles terminées, mais l’absence d’un gouvernement du « Grand Londres » ne permettait pas la mise en place d’une stratégie partagée. Les transports publics sont devenus de plus en plus insuffisants, les logements et les bureaux de plus en plus chers, et les inégalités sociales se sont exacerbées.

Les forces de Londres sont dans sa population hautement qualifiée et multiculturelle - 1,8 millions d’étrangers de 90 pays différents parlant plus de 300 langues –dans la présence de 13 510 entreprises étrangères (42% du total du Royaume Uni) et d’un centre financier mondial représentant un chiffre d’affaires de 30 milliards de £ par an et un tiers des opérations mondiales de change, et d’un pôle touristique qui attire 75% des visiteurs étrangers du pays.

Mais ses faiblesses sont loin d’être mineures :

• 14% des employeurs londoniens envisageant désirent s’en aller, ce qui peut faire perdre 500 000 emplois • taux de chômage double du niveau national • 1/3 des offres d'emploi difficiles à satisfaire parce que 25 % des actifs sont sans qualification • des transports vétustes : les 300 millions de passagers du métro ont perdu l’équivalent de 6 735 années de travail à cause des retards cumulés • la vitesse de circulation moyenne dans le centre est de 10 milles à l’heure • le taux de vacance des postes d’enseignants 3,5 fois plus élevé que dans les autres régions • 21% des élèves du secondaire ne parlent pas couramment l’anglais.

La stratégie de développement économique définie pour Londres a quatre grands objectifs :

1. Assurer la croissance économique en développant Londres comme centre mondial et capitale européenne d'affaires en s’appuyant sur ses acquis multiculturels, en conservant un large éventail d’activités, en encourageant la créativité et l’esprit d’entreprise, en modernisant les infrastructures 2. Développer les connaissances et les formations : enseignements post-scolaires et apprentissage, transferts de technologies, innovation, promotion du rôle des établissements d’enseignement supérieur 3. Encourager la diversité culturelle et assurer l’égalité des chances des minorités, qui offrir des avantages compétitifs dans leurs pays d’origine 4. S’assurer d’une croissance durable en réussissant la renaissance urbaine, en développant les activités environnementales, en encourageant les pratiques « vertes », en améliorant l’état de santé et la sécurité des Londoniens. Dès 2001, la London Development Agency a :

• aidé plus de 13 000 personnes à trouver un emploi et formé plus de 40 000, • aidé plus de 2 000 entreprises à s’implanter

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La place de la région dans le monde et en Europe

• récupéré et mis en valeur presque 300 hectares de terrains en friches, construit plus de 1.000 de logements et140 000 m² d’immobilier d’entreprise.

3.6 Barcelone : aménager la métropole pour assurer son développement

Le premier plan stratégique de Barcelone a été élaboré à partir de 1987 pour les Jeux olympiques de 1992, l’entrée dans l’Union européenne et faire face à la crise économique.

Ce premier plan a mis l’accent sur les infrastructures. Après les JO, le deuxième plan visait à conquérir de nouveaux marchés, tandis que le troisième plan porte essentiellement sur le développement du capital humain (connaissances, universités, recherche…).

La mondialisation altère le rôle des villes et des territoires, qui ne peuvent plus fonctionner de manière autonome. Pour la ville, la planification stratégique permet de lui donner des rôles significatifs, la stratégie étant le modèle d’organisation dont se dotent les territoires « pro-actifs ». La réflexion autour de plans stratégiques pour Barcelone a démarré en 1987.

Les trois premiers plans stratégiques de Barcelone étaient limités au territoire de la municipalité, recherchaient la participation pour parvenir à un consensus et assurer la coopération entre les secteurs public et privé.

Le premier plan a mis un accent sur les infrastructures, qui avaient été négligées sous le franquisme. Le deuxième, après les JO, cherchait à profiter de l’opportunité qu’offrait l’accès à de nouveaux marchés, notamment en Europe. Le troisième a commencé à mettre l’accent sur le capital humain (la connaissance, les universités).

.L’idée générale de ces plans a été de profiter de grands événements pour faire évoluer la ville. Le prochain événement, le « Forum Barcelona » de 2004, est à nouveau l’occasion de changer différents aspects de la ville : économiques, sociaux, urbains.

Barcelone a déjà fortement évolué physiquement. Linéaire à l’origine, la ville est devenue plus « ronde » avec la création d’une autoroute périphérique. L’aéroport a été doté d’une nouvelle piste. Une grande friche industrielle en front de mer a été transformée en quartier résidentiel balnéaire.

Les grands travaux vont se poursuivre : le port va être plus que doublé, et le « Forum 2004 » va être l’occasion de transformer un autre quartier. Le plan « 22@ » prévoit l’aménagement de198 ha pour attirer de nouvelles activités liées à la connaissance, avec notamment de gros investissements pour le câblage.

Le plan stratégique de l’aire métropolitaine regroupant 36 municipalités est un réseau polynucléaire de villes regroupant 3 millions d’habitants. Il repose sur les travaux de deux commissions d’experts de prospective et de stratégie, ayant abordé huit problématiques: élargissement de l’Union européenne, formation, recherche et innovation, vieillissement de la population, mobilité, notamment des marchandises, changements rapides, durabilité, réalité métropolitaine, population immigrée.

Cinq commissions thématiques ouvertes à toutes les institutions importantes de la cité ont examiné :

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La place de la région dans le monde et en Europe

1. Le capital humain (notamment les formations aux professions du futur) 2. La dynamique économique (culture entrepreneuriale, capacité d’assimilation de l’innovation, recherche, …) 3. Les transports ( qualité urbaine, mobilités des marchandises, …) 4. Le social ( solidarité, intégration, gouvernances, sécurité, …) 5. La mondialisation (relations avec la vallée du Rhône, nouveaux métiers, pôles méditerranéens…)

Le plan stratégique de l’aire métropolitaine est à cinq ans. Il vise à développer le réseau de transport, améliorer la liaison avec l’aéroport, atténuer les encombrements du réseau routier, mettre en place un réseau câblé, intégrer les universités dans les projets de développement économique, accroître l’offre de logements sociaux pour les immigrés, faciliter l’intégration des épouses des personnels expatriés…

Une idée force est de passer d’un plan stratégique à une ville qui « pense stratégiquement ». afin que les responsables puissent aborder le futur sans attendre un plan9.

3.7 Singapour : une stratégie basée sur la recherche et l’innovation

Comme Barcelone, Singapour10 attache une grande importance à l’enseignement supérieur, à la recherche et aux facteurs favorisant l’innovation, à commencer par une fiscalité favorable aux entreprises et aux cadres de haut niveau. Depuis son indépendance, Singapour a connu une croissance époustouflante: son PIB est passé de 2.15 milliards de $ locaux en 1960 à 153 en 2001. L’état est devenu un grand centre financier, un pôle commercial régional majeur, le port le plus actif du monde et un grand centre d’investissements étrangers, avec le meilleur « climat » asiatique des affaires, selon The Economist Intelligence Unit (2002). D’après le World Economic Forum, Singapour aurait même le meilleur potentiel d’innovation du monde. Singapour se veut une « serre d’entreprises » capable d’accélérer leur croissance de l’idée initiale, à la création, a l’émergence puis à la mondialisation (encore rare). Mais il y a la présence de 6.000 multinationales, et surtout les participations financières (ou « co- investissements) ou le capital de part que peuvent apporter l’agence de développement (EDB). Pour assurer le renouvellement permanent de la “serre”, les 115 fonds de capital risque (13,7 milliards de $ locaux), les incubateurs, les « accélérateurs d’affaires » sont là, ainsi que les incitations à la recherche et à l’expérimentation, les aides à la mise sur pied de partenariats industriels ou internationaux. Plusieurs incubateurs accueillent les investisseurs étrangers (India Centre, Japan Business Support Centre, Korea Venture Acceleration Centre). Singapour a attiré plus de 90,000 cadres étrangers de haut niveau, et pour mieux former ses étudiants a facilité l’installation de filiales de dix grandes universités11.

9 D’après un exposé de Francesc SANTACANA, directeur du plan stratégique de Barcelone, le 27 septembre 2002 10 exposé de CHONG THOONG-SHIN, représentant du Singapore Economic Development Board à Paris, le 27 juin 2002

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La place de la région dans le monde et en Europe

L’organisation des douze centres de recherche publics est un modèle en matière d’efficacité économique. Au départ, l’État finance les programmes à 100 %, mais définit les stratégies technologiques et de recrutement. Dans un délai de cinq ans, les centres doivent démontrer leur capacité à survivre en trouvant sur le marché 50 %-des fonds qui leur sont nécessaires.

L’État ne se désengage pas pour autant : il explore d’autres territoires. Ainsi a-t-il lancé un plan à 15 – 20 ans pour investir 15 milliards de $ dans une “ville scientifique” nouvelle de 194 hectares consacrée à la recherché dans les sciences de la vie et les technologies de l’information qui renforcera considérablement l’image de Singapour en tant que haut lieu mondial de la recherche disposant d’une « masse critique » de compétences de haut niveau – savants, chercheurs mais aussi entrepreneurs.

Afin de conserver ses élites, Singapour a lancé une politique d’équipement culturel, avec l’ouverture d’un premier centre, l’Esplanade - Theatres on the Bay, en octobre 2002

3.8 La Silicon Valley, métropole de l’innovation

L’économie de la Silicon Valley a été modelée depuis un demi-siècle par une série de vagues d’innovations12, lancées par les investissements dont a profité la recherche militaire pendant la guerre de Corée, qui ont jeté les bases de la vague suivante – celle des circuits intégrés – relayée par les ordinateurs personnels et enfin par internet. Cette dernière vague est allée bien au-delà des dot.com :

11 INSEAD, Johns Hopkins University, Massachusetts Institute of Technology, Georgia Institute of Technology, Wharton School of the University of Pennsylvania, University of Chicago Graduate School of Business, Technische Universiteit Eindhoven, Technische Universität München 12 « Preparing the Next Silicon Valley. Opportunities and Choices”. www.jointventures.org, juin 2002, 30 pages

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La place de la région dans le monde et en Europe

Les vagues d’innovation ayant assuré le développement de la Silicon Valley depuis 1950 (d’après The Silicon Valley Edge : A Habitat for Innovation and Entrepreneurship. Stanford University Press, 2000)

Aujourd’hui, la Silicon Valley - qui a su rebondir après chacune des crises de croissance qu’elle a connues – n’est pas encore sortie des difficultés engendrées par la fin de la bulle internet.

Chacune des vagues d’innovation du passé a laissé derrière elle un réseau de talents, de fournisseurs, d’investisseurs, d’infrastructure constituant un terrain d’innovation de plus en plus fertile, grâce notamment aux aides que les grandes entreprises ont le plus souvent accordées à la création des « jeunes pousses » qui allaient mettre sur le marché les innovations ayant un potentiel commercial. Ce furent d’abord les communications militaires qui eurent des applications civiles, puis les fabricants de microprocesseurs (Fairchild, puis, évidemment, Intel, ainsi que AMD ou NS), ensuite les rédacteurs de logiciels ou les fabricants de stations de travail travaillant autour de Hewlett-Packard ou Apple ou profitant des savoirs et savoir-faire induits par leur présence, auxquels s’ajoutèrent dans les années 90 les géants de l’internet – tels Cisco ou Netscape, ou encore 3Com, Oracle ou Sun Microsystems.

La capacité d’innovation de la région a donc été basée au moins autant sur la présence de ces entreprises déjà grandes ou capables de croître très rapidement que sur les savoirs concentrés dans ses centres de recherche et ses universités. Les responsables de la Valley réuni en une institution de droit privé13 – faute d’institutions publiques couvrant l’ensemble de son territoire – estiment donc que les bases de la prochaine vague d’innovation sont déjà en place. Selon eux, cette vague naîtra de la combinaison des trois grands domaines technologiques dont la Valley s’est fait une spécialité mondiale – à des degrés divers : l’« info tech », le « nano tech » et le « bio tech ».

13 Joint Venture : Silicon ValleyNetwork

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La place de la région dans le monde et en Europe

A leurs yeux, les avantages compétitifs de la Valley seraient décisifs , en en faisant un habitat spécial pour l’innovation et l’esprit d’entreprise. Ces avantages, ce sont des réseaux denses et souples de relations entre les entrepreneurs, les investisseurs en capital risque, les chercheurs universitaires, les juristes, les conseillers en toutes disciplines, les salariés extrêmement qualifiés capables de transformer très vite les idées en produits et services vendables, de manière à être toujours au sommet de la courbe d’innovation.

Pour bien préparer, l’avenir, la Valley réorganise ses réseaux de recherche pour mieux assurer l’émergence de synergies effectives : à Stanford, le Bio-X Center intègre les facultés de médecine, de sciences et d’ingénierie pour utiliser tous les outils informatiques d’analyse dans la recherche moléculaire, cellulaire, sur les tissus et les organes. Le QB3 Institute for Quantitative Biomedical Research associe toutes les forces de trois universités de l’Etat en matière de recherche en biologie, informatique, physique, chimie et ingénierie dans l’un des instituts d’innovation fondés par le gouverneur de la Californie.

Cependant, rien n’est acquis d’avance. La Valley pourrait bien se retrouver dans la situation de Pittsburgh, qui était il y a cent ans un centre d’innovation technologique sans rival, mais s’est engagée dans une très longue spirale de déclin dès les années 30. Cette crainte de se trouver à l’écart de la prochaine vague d’innovation n’est pas sans fondement : la dernière vague et ses excès ont laissé des séquelles sérieuses, telle, en particulier, l’impossibilité pour la jeune génération - celle des entrepreneurs qui créeront (ou ne créeront pas) la prochaine vague d’entreprises innovantes – de trouver à se loger convenablement dans l’aire métropolitaine.

Un premier bilan de l’évolution de la Valley vers la prochaine vague d’innovations a été publié14. La Silicon Valley, ce sont aujourd’hui 2,3 millions d’habitants et 1,35 million d’emplois, après une baisse de 9 % en dix huit mois, entre janvier 2000 et juin 2001, une baisse des salaires de 6 % (pour se retrouver proche de celui de 1998), une baisse de 42 % des capitaux apportés par les investisseurs et du nombre d’entreprises cotées, 393, nombre également proche de celui de 1998.

Entre 1992 et 2001, les bases économiques de la Valley ont sensiblement changé : la part de la production de logiciels et des services informatiques dans l’emploi est passée de 7 à 21 %, mais cette branche a été la première à souffrir de la récession, en perdant 21 % de ses effectifs en dix-huit mois. Autres indicateurs négatifs : le taux de locaux (bâtiments de recherche et bureaux) vacants est passé de 4 % à 20 % entre 2000 et 2002, et les loyers de 43 à 14 £ au m²…La dynamique des entreprises a beaucoup souffert : le nombre de « gazelles » (entreprises cotées ayant connu une croissance de 20 % par an pendant quatre ans) a diminué de 30 à 9 entre 2000 et 2002. Mais il y a toujours 393 entreprises cotées dans la Valley.

Cependant, la région a vu croître le niveau de qualification de ses actifs, dont 41 % avaient au moins un diplôme universitaire en 2000, contre 32 % en 1990 et le nombre de diplômés des disciplines scientifiques et techniques a augmenté de 18 %, grâce aux étudiants asiatiques (plus nombreux que les Blancs) et aux femmes (27 % des diplômés).

Autre signe positif : la productivité continue à augmenter (en 2002 : 184.300 $ par emploi, plus du double de la moyenne nationale, 82.300 $). Mais les conditions de vie ne sont pas

14 Collaborative Economics. “Joint Venture’s 2003 Index of Silicon Valley : Measuring Progress Toward the Goals of Silicon Valley 2010”. www.jointventure.org, 43 pages

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La place de la région dans le monde et en Europe attrayantes. L’offre de logements est en baisse sensible, et l’offre de logements à des prix abordables reste nettement insuffisante. La densité augmente pour lutter contre la surconsommation d’espace, mais seuls 30 % des logements (et 29 % de l’immobilier d’entreprise) sont à proximité des gares ou des couloirs d’autobus. Aussi 75 % des déplacements se font-ils en voiture individuelle. Malgré l’extension du réseau ferré régional (BART) et des tramways, seuls 7 % des actifs utilisent les transports en commun, et 16 % le covoiturage.

Il va de soi que la Silicon Valley n’a pas le monopole de l’innovation. D’autres entreprises que celles de la Valley peuvent être à la pointe des solutions innovantes, consistant en d’autres approches de l’offre technologique et de la manière de la proposer aux clients potentiels. Non plus sous forme de produits ou services isolés, mais en intégrant le matériel, le logiciel et le conseil en des solutions absolument nouvelles – et complètes. Cette approche met le client – et non la technologie – au cœur de l’offre, mais impose un type d’entreprise lui-même innovant, réunissant l’informatique « classique » de pointe – le matériel, les logiciels et les conseils d’IBM, en l’espèce, et le conseil en gestion (PwC Consulting). Le lieu de cette innovation n’est pas la Silicon Valley, mais le siège d’IBM, à Armonk, dans l’aire métropolitaine de New York15.

En revanche, la Silicon Valley joue toujours son rôle de grande « maternité » d’entreprises innovantes. Certes les investissements en capital risque se sont effondrés. Le point haut atteint au deuxième trimestre 2000 était de 9,68 milliards de $. Au premier trimestre de 2003, les investissements n’étaient plus que de 1,27 milliards. Mais cette évolution mérite des commentaires :

• la Silicon Valley a encore attiré au début de cette année exactement le tiers (33,4 %) des capitaux à risque investis aux États-Unis • le montant des investissements du premier trimestre 2003 est égal aux niveaux de 1996-97, qui marquaient le début de la « bulle internet »16 • les entrepreneurs, beaucoup plus expérimentés – et prudents – que ceux de la « bulle » se passent quand ils le peuvent des apports en capital, qui peuvent aboutir rapidement à la perte du contrôle de leur entreprise. Ils préfèrent s’autofinancer, quitte à croître beaucoup moins vite – et à prendre moins de risques17.

La Silicon Valley n’a pas apparemment besoin des commandes publiques pour survivre, même de celles qui étaient inespérées. Certes, les entreprises se réjouissent de l’augmentation de leurs commandes publiques, notamment militaires (telle celle concernant la « visualisation de la guerre urbaine » chez Silicon Graphics). En effet, ce sont les investissements des entreprises – d’abord américaines - qui « tirent » l’ économie de la Valley : ces investissements sont trente fois plus importants que ceux du gouvernement fédéral18.

15 “The Tech Industry : Is Big Blue the Next Big Thing ?”. Economist.com, June 19th 2003 16 Matt MARSHALL. « Venture Funding Slides in the Valley ». www.siliconvalley.com, Apr. 29, 2003 17 Matt MARSHALL. « Burned Up or Burnet Out, They Elect to get By on Their Own ». www.siliconvalley. com, May 19, 2003 18 Eric LESER. « Les commandes publiques, une manne inespérée pour la Silicon Valley ». Le Monde, 18 mars 2003

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La place de la région dans le monde et en Europe

4. Les perspectives de développement de l’économie régionale

L’étude de la DATAR sur les villes européennes19 a mis en évidence le caractère très diversifié de l’économie francilienne.

L’analyse de ses perspectives de développement ne peut donc pas être exhaustive. Elle va seulement porter sur les secteurs les plus importants de la région.

4.1 La filière aéronautique / spatiale / défense20

La France occupe la première place européenne dans ce secteur industriel, et l’Île-de-France est la première région française, grâce à son potentiel de recherche et à la qualité de ses infrastructures régionales (malgré, selon certains industriels, les insuffisances de son réseau routier21 et du transit aéroportuaire). Près de 50 % des ingénieurs et cadres sont en Île-de- France ainsi que la moitié des 7.000 chercheurs.

La recherche aéronautique et spatiale a besoin de personnel hautement qualifié pour que le secteur puisse conserver sa capacité d’innovation face à ses concurrents américains (qui bénéficient d’un budget de défense atteignant déjà 2,8 % du PIB en 2001), anglais (budget égal à 2,3% du PIB) et allemands (nettement moins favorisés, avec un budget militaire n’atteignant que1,1% du PIB). Les ingénieurs et chercheurs français sont d’excellente qualité, bien meilleurs que les Américains. Mais, contrairement à leurs concurrents, même britanniques, les industriels français ne bénéficient plus de la part des pouvoirs publics français d’un soutien généreux à leurs investissements en matière de recherche, que les membres du GIFAS doivent autofinancer à hauteur de 50%. De plus, les intérêts les poussent à publier leurs travaux, alors que les industriels, doivent protéger par le secret les résultats de leurs recherches afin de les appliquer à leurs produits., ce qui induit d’ailleurs des coûts de protection exorbitants des sites industriels.

Le premier industriel européen, EADS emploie 9 500 en Île-de-France : à son siège, dans les centres recherche de ses filiales (), dans les sièges de filiales (Astrium à Vélizy, MBDA à Châtillon et Vélizy également) ou des établissements industriels (fabrication de lanceurs spatiaux aux Mureaux).

La filière aéronautique est pénalisée par le coût et la qualité de la vie en Île-de-France, ce qui encourage les cadres à partir en province et rend de plus en plus difficile de les faire venir d’autres régions. La filière a souffert en 2002 des difficultés que connaissent la plupart des marchés de l’aviation civile. Le chiffre d’affaire l’industrie aéronautique et spatiale française a diminué

19 Céline ROZENBLAT, Patricia CICILE. Les villes européennes. Analyse comparative. Montpellier, Maison de la géographie, 2002, 94 pages 20 D’après des rapports de Yves LECLERE, président directeur général de Messier-Bugatti (Groupe SNECMA) et Administrateur du Groupement des Industries Françaises Aéronautique et Spatiale (GIFAS), Gérard HUSSON, président d’EADS Développement et Hervé HIBON, délégué aux Pme-Pmi au sein de la Direction de la stratégie et de l’action commerciale de l’ONERA 21qui supporte mal la comparaison avec ceux de métropoles américaines moyennes comme Cincinnati ou Miami

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La place de la région dans le monde et en Europe de 5% sur les marchés civils (- 10% en national, et - 3% à l’exportation), et les commandes de 27%. Malgré une progression de 9 % des marchés militaires (+12% en national et +2% à l’exportation), le chiffre d’affaires global est en baisse de 2 %.

Il faut rappeler que les activités civiles ont progressé de 125% en valeur entre 1995 et 2001,

Ces derniers moins, le repli du dollar est venu affecter la compétitivité de la filière, la majorité de ses coûts étant en euro.

La réduction de l’emploi a déjà été de 3,5% en 2002, et devrait se poursuivre en 2003, avec une réduction prévisible des emplois directs de l’ordre de 3%.

Confrontés à ces problèmes, les membres du GIFAS (syndicat de l’industrie aérospatiale) rappellent que «les positions acquises sur les différents marchés, dans un environnement très fortement concurrentiel, l’ont été au prix d’un effort des industriels dans les domaines de la R & D, la mise en place de coopérations et de partenariats stratégiques, etc… pour améliorer leur compétitivité et leur présence sur les marchés étrangers mais également grâce au soutien politique de l’État »22. Les industriels font part de leurs inquiétudes depuis un certain temps, en soulignant que l’industrie de défense est un « atout pour la France » : « industrie de haute technologie à forte valeur ajoutée » qui « représente une importante source de richesse pour notre pays ». « Technologiquement, elle constitue un formidable défricheur qui irrigue l’ensemble de l’économie française »23. Inquiétude majeure : l’écart entre les moyens de recherche dont disposent les industriels européens et américains, déjà de 1 à 8, et même de 1 à 15 dans la recherche militaire spatiale24.

Il est certain que le développement de l’industrie américaine de défense est spectaculaire. Cette année, les crédits de recherche du Pentagone vont encore augmenter de 17 %, et les commandes de matériels de 15 %. Le budget américain de défense va atteindre 400 milliards de $. Les entreprises françaises sont pratiquement exclues de ce grand marché : EADS et Thalès ne réalisent que 1 % de leur chiffre d’affaires outre Atlantique. Parmi les industriels européens, seul BAE est bien implanté aux États-Unis, où il réalise 21 % de ses ventes (grâce à des filiales gérées sur place pour des raisons de sécurité) et où il participe au plus grand projet de tous les temps, celui du F-35, qui promet 200 milliards de $ de commandes.

Grâce aux succès d’Airbus, confirmés au dernier salon du Bourget, EADS tire 98 % de ses bénéfices de sa grande filiale. Mais des signes laissent penser que la rationalisation des principaux acteurs de l’industrie européenne de défense pourrait se faire à moyen terme, peut-être avec la fusion de EADS et Thalès, mais aussi de BAE et Boeing ou Lockheed-Martin25. Des opérations d’une telle envergure ne seraient pas sans conséquences sur le potentiel de l’industrie francilienne de défense.

22 GIFAS Info, No. 1689, février-mars 2003 23 Philippe CAMUS. “Introduction au rapport 2002 du CIDEF: “L’industrie de défense: un atout pour la France”. Défense nationale, VoL. 58, août-septembre 2002, pp. 177-78 24 Philippe CAMUS, Rainer HERTRICH, Denis RANQUE, Mike TURNER. « Défense européenne: il est grand temps d’agir!”. Le Monde, 29 avril 2003, pp. 1-16 25 ”Revamping Fortress Europe : Europe’s Defence Companies Are Flying Towards Rationalisation”. Economist.com, June 19 2003

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La place de la région dans le monde et en Europe

4.2 Une filière automobile compétitive

L’Île-de-France fait partie des quatre ou cinq métropoles mondiales de l’automobile. Le développement des groupes PSA et s’appuie sur une forte base dans la région comprenant le siège social, la direction générale, les directions commerciales et les bureaux d’études, mais aussi des unités de fabrication. Mais ces dernières ont essaimé à travers le monde, pour se situer au cœur des marchés : Europe occidentale et maintenant centrale, Asie, Amérique latine.

Les deux grands constructeurs français font ainsi bénéficier la région de leur mondialisation, qui progresse pour l’un comme pour l’autre.

Ainsi le dispositif industriel de PSA est-il actuellement en fort développement. Le groupe possède déjà 14 usines terminales qui produisent 14.000 véhicules par jour, et autant d’usines de mécanique qui fabriquent 15.000 organes mécaniques par jour. Le renforcement du potentiel du groupe va se faire en Europe Centrale, afin de rapprocher les usines de marchés en pleine expansion : PSA ouvrira une nouvelle usine en République Thèque en 2005, en partenariat avec Toyota.

En 2002, le groupe a utilisé 77 % de sa capacité, et a dû créer quatre équipes pour que les usines fonctionnent sans arrêt.

PSA investit 3 milliards d’euros par an, pour spécialiser les plates-formes par type de véhicule, et non plus par marque, rechercher la meilleure efficacité industrielle en optimisant les flux amonts et de transport des véhicules, améliorer la rentabilité en réduisant le nombre de pièces des véhicules et facilitant leur montage.

En Île-de-France, le groupe emploie 28.000 personnes, sur un effectif total de192.000. Il y possède sa direction générale, ainsi que les directions commerciales de et de Citroën, ses centres de design (Citroën à Vélizy), informatique (Achères), de recherche et développement (Carrières sous Poissy et La Garenne), d’achats (à La Défense et transfert programmé à Poissy) et de distribution de pièces détachées (Citroën à Sénart).

PSA veut rationaliser ces implantations en les regroupant davantage à Poissy, où il construit de nouveaux immeubles sur ses réserves foncières.

PSA a également deux grandes usines de montage dans la région, à Aulnay et à Poissy ainsi que deux sites de fabrication : Asnières (hydraulique) et Saint-Ouen.

La vocation automobile de l’Île-de-France attire des entreprises du monde entier. Ainsi le constructeur japonais d’ensembles de freins Akebono (40 % du marché japonais et 30 % du marché américain) a-t-il installé son centre de développement européen à Gonesse, à proximité de l’aéroport de Roissy et des liaisons internationales mais surtout près de Paris et de sa vie culturelle pour pouvoir attirer les ingénieurs japonais devant d’assurer la qualité des produits, bien que sa clientèle soit exclusivement allemande.

Quant au bureau d’ingénierie allemand EDAG, dont le siège est à Fulda en Bavière et qui emploie 3.600 personnes dans 27 pays, il est venu travailler avec les constructeurs et équipementiers français. Il s’est installé en 1994, à Saint-Quentin-en-Yvelines (Voisins-le- Bretonneux) pour être à proximité des directions techniques de PSA et du Technocentre de

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La place de la région dans le monde et en Europe

Renault. Et continue à se développer (une centaine d’emplois dans deux ou trois ans contre 58 actuellement) même si la pression sur les coûts l’oblige à délocaliser une partie du travail de conception en Asie : son informatique est maintenant en Malaisie. Néanmoins, les tâches de conception nécessitent une implantation à proximité des clients.

Un seul problème : les difficultés d’accès à Saint-Quentin depuis Roissy pour les cadres du siège allemand.

En matière de recherche, il y a des travaux sur « l’automobile du futur » dans le centre de l’INRIA de Rocquencourt26, spécialisé dans les STIC (sciences et techniques de l’information et de la communication). Le projet « IMARA » (« Informatique, mathématiques et automatique pour la route automatisée »), financé par le PREDIT, y est réalisé en collaboration avec l’INRETS, le LCPC et le LIVIC (pistes d’essais de Satory). Il a pour objet l’application des STIC au transport routier. Il faut rappeler que, comme tous les projets de l’INRIA, il doit assurer le transfert de ses résultats (grâce à cette obligation, l’INRIA est à l’origine de la création d’une cinquantaine d’entreprises innovantes, dont certaines cotées au NASDAQ).

En ce qui concerne la conception des véhicules du futur, l’Île-de-France bénéficie du réseau constitué par les grands organismes de recherche : INRIA, INRETS, ENS des Mines de Paris, LCPC, CEA dans le grand pôle des Yvelines qui comprend également les laboratoires des grands constructeurs et les pistes d’essais de Satory. Mais les équipes restent encore éparpillées. De plus, elles souffrent de difficultés de coordination et de la faiblesse des crédits, contrairement à leurs homologues japonaises.

4.3 Nouvelles sciences et technologies de l’information et de la communication : beaucoup d’acquis mais une visibilité internationale insuffisante

L’Île-de-France reste évidemment l’un des grands centres mondiaux dans les nouvelles sciences et technologies de l’information et de la communication.

Outre les sièges de trois grands opérateurs – dont, cependant, le développement international n’a été que partiellement réussi dans un cas, et encore modeste dans les deux autres cas - l’Île- de-France possède également l’une des grandes entreprises industrielles majeures de l’équipement téléphonique : Alcatel. Comme ses concurrents étrangers, celle-ci a beaucoup souffert de la chute brutale de la demande, et ses ventes ne sont apparemment pas encore stabilisées. Seul le marché de l’ADSL a tendance à se développer, mais il ne représente que 7 % de ses ventes. De plus, ses marges restent plus faibles que celles de ses concurrents, et ne pourront s’améliorer qu’avec le développement du haut débit et, à terme, de la transmission optique, qui sont ses points forts27.

L’entreprise a cédé une bonne partie de ses sites de fabrication pour se consacrer essentiellement à la recherche et à la création de nouveaux produits et services pour « valoriser auprès de ses clients opérateurs sa capacité d’innovation », comme le souligne son président, qui rappelle également que les ingénieurs et techniciens représentent déjà les deux tiers de ses

26 Qui emploie 600 personnes, et présenté des difficultés d’accès (30 minutes de trajet depuis Versailles) 27 Vincent COLLEN. « Après sa restructuration, Alcatel doit renouer avec la croissance ». Les Echos, 19 mai 2003, pp. 34-35

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La place de la région dans le monde et en Europe salariés (contre 10 % pour les ouvriers). Mais même ces personnels de haut niveau ne sont pas à l’abri des mesures qu’impose la concurrence mondiale. Alcatel a déjà transféré certaines activités américaines des États-Unis au Canada, 30 % moins cher. De plus, l’entreprise doit tenir compte du fait que les ingénieurs chinois reviennent au quart de leurs homologues européens : « des pays à faible coût comme l’Inde, la Chine ou la Roumanie prennent une part significative dans le développement de logiciels… La compétition est mondiale, avec une montée en puissance de la Chine dans tous ces domaines ». Heureusement, « la place de la France, qui est et reste grande, repose sur la compétence de ses ingénieurs, qui doivent conserver une longueur d’avance, grâce à la qualité de leur formation et à leur talent dans l’innovation »28.

La France reste effectivement compétitive dans les domaines de la technologie nécessitant ces ingénieurs de haut niveau et innovants. Ainsi l’Île-de-France vient-elle d’être choisie par Altis Semiconductor (IBM/Infineon) pour investir 170 millions d’euros dans un centre de recherche, face à la concurrence de régions allemandes, américaines et asiatiques, pourtant prêtes à offrir des primes plus généreuses29.

Cette décision est d’autant plus importante qu’il s’agit de mettre au point une nouvelle génération révolutionnaire de mémoires semi-conducteurs : les MRAM – Magnetic Random Access Memories.

Cette décision a été prise, en particulier, du fait de la proximité du campus universitaire d’Orsay, où l’effet GMR (giant magnetoresistance) a été découvert il y a une dizaine d’années. En effet, Altis entend renforcer son partenariat avec les laboratoires franciliens, tel l’Institut d’électronique fondamentale dont les équipes sont réputées pour leur expertise en nanomagnétisme. Cette implantation illustre donc le rôle majeur de l’Île-de-France dans les nanotechnologies. Elle met également en évidence la compétitivité de la région en matière d’accueil d’activités de pointe, grâce à son tissu très dense d’écoles d’ingénieurs et de formations universitaires à la recherche scientifique et technologique.

L’implantation d’Altis confirme que l’Île-de-France reste avec Londres l’un des deux pôles européens majeurs en matière de sciences et techniques de l’information où il y a bien eu création d’entreprises innovantes et d’équipes de recherche avant et pendant la « bulle » financière récente de la filière. L’Île-de-France bénéficie de son poids économique et démographique, de son accessibilité interne et avec le reste de l’Europe, de la qualité de sa vie urbaine30, de son potentiel « high tech », de son immobilier d’entreprise diversifié et de qualité. Et aussi d’infrastructures performantes : 650.000 km de fibre optique, accès au haut débit ADSL, réseaux câblés permettent 3,5 millions de prises. Sans oublier l’existence d’une forte demande de la part de ses activités financières, des sièges sociaux, de la logistique.

Malgré ces atouts, la région souffre d’une visibilité internationale insuffisante Les politiques incitatives publiques y ont été lancées un peu tardivement, et elle paraît moins compétitive que Londres31.

28 Vincent COLLEN, Philippe ESCANDE. « Serge Tchuruk :Alcatel est devenu une entreprise de recherche et développement. Les Echos, 16 juin 2003, pp. 4-5 29 Charles FLEMING. « Overcoming Misperceptions ».The Wall Street Journal Europe, 3 juin 2003, p. A3 30qui en fait la première région touristique du monde 31enquête réalisée par le cabinet Healey & Baker

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La place de la région dans le monde et en Europe

Les réseaux restent encore à mettre davantage en valeur. C’est un problème assez général, qui passe d’abord par une plus grande utilisation des réseaux par les particuliers. L’accès à large bande permet de trouver de nouveaux clients qui utilisent plus intensément le réseau, notamment pour le commerce en ligne, échanger de gros fichiers et l’accès à des sources de loisirs.

Aussi le ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie et la ministre déléguée à l'Industrie ont-ils pris une initiative destinée à relancer la production de contenus32. avec six dirigeants d'entreprises françaises, leaders dans les industries de communication33. dans le cadre du plan gouvernemental de développement de l'accès à Internet à haut débit, qui grâce à la baisse de 30 % des tarifs a permis une croissance du marché de l'Internet rapide la plus forte d'Europe.

Pour que l'objectif de 10 millions d'abonnés au haut débit en 2007 soit atteint, ces six grandes entreprises ont décidé de stimuler collectivement l'essor de nouveaux services, après avoir expérimenté à Paris et à Lyon la diffusion de télévision et de services vidéo interactifs sur le réseau téléphonique. Le haut débit devrait permettre à la France de devenir une vitrine des technologies de communication, en offrant à tous les Français de nouveaux services interactifs et aux fournisseurs de contenus des opportunités de nouvelles prestations.

Des services nouveaux peuvent effectivement se créer et se répandre grâce aux réseaux : accès à la vidéo, télévision interactive, intégration des médias : l’exemple du FastWeb de Milan délivre en même temps et sur la même fibre optique de la vidéo à la demande, des données et le téléphone numérique à ses abonnés34. D’autres services peuvent être envisagés : cours universitaires en direct en ligne, conseils financiers, e-commerce interactif, échanges de radiographies entre praticiens et cliniques. Mais ces services ne sont encore cités qu’à titre d’hypothèses35.

En Île-de-France, les réseaux sont déjà très développés mais n’autorisent pas encore partout un accès au haut débit. D’après l’inventaire établi fin 2002 par l’Observatoire régional des télécommunications pour la DATAR36, 97 % de la population et 98 % des entreprises régionales peuvent accéder à une technologie à haut débit, mais seulement 82 et 84 % respectivement en Seine-et-Marne. De plus, seules 65 % de la population et 76 % des entreprises peuvent mettre en concurrence deux opérateurs « haut débit ». La concurrence ne joue que pour 28 % des habitants et des entreprises de Seine-et-Marne et seulement 14 et 15 % respectivement de celles du Val d’Oise ou 18 et 19 % de l’Essonne. Dans les Yvelines, en revanche, 42 % de la population et 48 % des entreprises peuvent faire jouer la concurrence.

Il faut néanmoins relativiser l’importance des réseaux en matière de développement de l’offre. Même dans la Silicon Valley, les réseaux sont trop coûteux. Mais les entrepreneurs savent profiter de l’innovation : pour éviter de

3217 Fevrier 2003. « Développement de l'accès à Internet à haut débit. 6 groupes industriels français d'engagent pour des contenus et des services ». www.minefi.gouv.fr 33 Thierry Breton (France Télécom), Charles Dehelly (Thomson), Patrick Le Lay (TF1), Grégoire Olivier (Sagem), Denis Ranque (Thalès) et Serge Tchuruk (Alcatel) 34 Scott BEARDSLEY, Andrew DOMAN, Pär EDIN. “Making Sense of Broadband”. The McKinsey Quarterly, 2003, no. 2 35 Op. cit. 36 Extrait du rapport ORTEL édition 2002 – communication du 19 juin 2003. www.ortel.fr

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La place de la région dans le monde et en Europe

passer sous les fourches caudines de la ville de Palo Alto - qui lui demandait de payer 10.000 $ l’autorisation de se brancher sur le réseau municipal de fibres optiques - un jeune entrepreneur local profite gratuitement de la connexion WiFi à 10 mégabits de son voisin 37 !

En ce qui concerne les productions de l’Île-de-France, les données montrent qu’elles ne sont pas encore à la hauteur des ambitions. Ainsi, en 2002, y avait-il environ 1800 entreprises liées au développement, à la fabrication ou la distribution de logiciels et de progiciels dans la région, représentant plus de 80 000 emplois, localisés surtout à Paris et dans les Hauts de Seine (70 % des entreprises et plus de 80 % des salariés). Malheureusement, l’Île-de-France reste fondamentalement un vaste marché d'importation, notamment dans le secteur «logiciel», en provenance des États-Unis (60 %), d’Asie (28 %) et de l’Union européenne (8 %). Le principal obstacle au développement des entreprises serait le manque de ressources financières pour la conquête des marchés étrangers pour compenser l'atonie du marché national et régional.38.

En effet, le savoir et le savoir-faire nécessaires à la création de logiciels existent bien en Île- de-France : la première entreprise mondiale de logiciels de conception et de gestion du cycle de vie des produits, Dassault Systèmes est née et s’est développée dans la région. Ses ventes ont atteint 774 millions d’euros en 2002, année au cours de laquelle l’entreprise a connu la plus forte croissance du marché tant en produits de conception et de gestion du cycle de vie (PLM) dans le segment innovant des solutions de gestion de données produit et de collaboration (PDM) : 25 % dans les deux segments. Et grâce à la qualité de ses produits, l’entreprise ne souffre pas du retournement du marché39.

Le développement des entreprises des nouvelles sciences et technologies de l’information et de la communication paraît mériter des mesures incitatives fortes. Il faut rappeler qu’en Corée:

1. le gouvernement souhaite atteindre un investissement annuel de 3 % du PIB dans la recherche et le développement des technologies de l’information, en appuyant les efforts portant sur 100 « technologies-clés »,40

2. l’État soutient les « jeunes pousses » du secteur - ainsi que celles des secteurs des biotechnologies et des nanotechnologies - par une aide pouvant atteindre 250.000 $ sous forme de garanties de crédits destinés à leurs investissements et au fonctionnement pendant la période initiale41. 3. les activités « internet » devraient atteindre une valeur ajoutée de 46 milliards de $ en 2003, grâce en particulier au développement de l’e-commerce, facilité par les connexions à large bande dont bénéficie déjà quelque 72 % de la population du pays42.

37 Matt MARSHALL. « Burned Up or Burnet Out, They Elect to get By on Their Own ». www.siliconvalley. com, May 19, 2003 38Fabrice RIGAUX. « L’industrie du progiciel et du logiciel en Île-de-France ». Enjeux Île-de-France, CROCIS, No.52 , avril 2003, 4 pages 39 « Dassault Systèmes Is the Fastest Growing Company in Product Data Management According to CIMData”. www.3ds.com. April 7, 2003 40 « IT R&D to Account for 3 % of GDP ». http://english.chosun.com, Jan 22, 2003 41 « Knowledge-Based Start-ups Set to Enjoy Government Assistance ». Ibid., Jan 23, 2003 42 « Internet Industry to Make W 55 Trillion ». Ibid., Feb. 20, 2003. Le chiffre concernant l’accès au haut débit a été cité par M. André SANTINI, co-président de la commission des nouvelles technologies de l’Assemblée Nationale dans une émission de BFM le 21 juin 2003

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La place de la région dans le monde et en Europe

4.4 L’Île-de-France , première région touristique mondiale43

Le rapport du Conseil d’analyse économique sur la compétitivité de la France a rappelé fort opportunément qu’en matière de services, une seule spécialisation émerge: le tourisme44. Mais ce rappel ne va pas sans regrets : « la spécialisation dans le tourisme, véritable manne pour la balance des paiements, ne s’appuie ni sur la dotation en travail qualifié, ni sur l’innovation ; la France tire plutôt parti de son avantage absolu (espace, diversité des paysages, ruralité, climat). Cette spécialisation peut inquiéter dans un contexte d’imbrication croissante des activités industrielles et de services dans les secteurs les plus porteurs de croissance ». Certes, mais la spécialisation de l’Île-de-France dans le tourisme ne découle pas de services peu qualifiés. Elle repose sur des activités de haut niveau qui auraient pu être également rappelées, d’autant qu’elles en font la première région touristique française.

En effet, Paris est la première ville de congrès au monde. Pour les foires et salons, l’Île- de-France reste la première région européenne, malgré la concurrence de quelques grandes villes allemandes ou italiennes. Quant au tourisme « grand public », il représente 60 % de l’activité hôtelière régionale. Grâce au grand nombre de visiteurs qu’elle reçoit, l’Île-de- France possède deux fois plus de chambres que Londres ou New York, bien que le développement de sa capacité hôtelière se soit heurté et se heurte encore au coût du foncier.

Île-de-France / Capacité des hôtels / Nombre de lits / 2002

2* : 50924 3* : 44636

1* : 6673 4* + Luxe : 23646 0 étoiles : 15344

source : www ;insee .fr/fr/region/tabcomp/RGTOU001htm / graphique DRE Île-de-France En Île-de-France, le tourisme d’affaires est d’abord individuel, avec des séjours de courte durée. C’est néanmoins le plus rentable du fait du pouvoir d’achat et des possibilités de dépense de ces visiteurs.

Le tourisme d’affaires organisé est également très développé dans la région, en particulier en ce qui concerne les séminaires d’entreprises, point fort de l’Île-de-France, qui peut offrir une grande variété de lieux d’accueil dans tous ses territoires, notamment dans les hôtels

43 Ce chapitre est basé sur un rapport de Jean-Luc MARGOT-DUCLOT, Directeur général du Comité régional du tourisme (CRT), présenté le 27 juin 2002 44 Michèle DEBONNEUIL, Lionel FONTAGNE. Compétitivité. Paris, Conseil d’analyse économique, 2003, page 47

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La place de la région dans le monde et en Europe exploités par les chaînes. Mais il y a des différences qualitatives entre l’offre de Paris et celles de la Grande Couronne. De plus, ce segment de marché a souffert de l’introduction des « 35 heures », qui a réduit les jours exploitables dans l’hôtellerie de 7 à 3 ou 4 et provoqué l’effondrement de la fréquentation en fin de semaine et pendant les vacances scolaires.

Les congrès et salons bénéficient de l’image très forte de Paris, « capitale mondiale » des congrès et qui possède un palais de grande taille et de grande qualité à la Porte Maillot, bâti - et agrandi récemment - par la Chambre de commerce de Paris.. Mais l’Île-de-France commence à souffrir de nouvelles métropoles de congrès, notamment autour du Pacifique (Singapour, Sydney, où les manifestations internationales conduisent souvent les entreprises à s’y implanter) mais aussi en Europe, où Londres, Milan ou Barcelone accueillent de plus en plus de congrès et de salons45.

En ce qui concerne les foires et salons, l’Île-de-France est la première métropole européenne, et concentre 90% de l’offre française (550 000 m² sur 600 000). Mais souffre de la concurrence d’un certain nombre de villes allemandes tout aussi bien équipées, et bientôt aussi de Milan, qui construit un nouveau grand centre de foires et salons. De plus - comme le rappellent avec force les professionnels - les foires allemandes bénéficient de dépenses de promotion 12 à 15 fois supérieures à celles des foires françaises, ainsi que de l’appui des ambassades fédérales à travers le monde.

L’Île-de-France est également une destination de voyages « incentives » (de promotion) notamment à l’occasion du lancement de nouveaux produits ou modèles. Il s’agit d’un marché en forte croissance et très rentable. Mais l’offre régionale est limitée par des exigences qui ne peuvent descendre en dessous de 3 étoiles et 100 chambres, et par la capacité globale sur un même site, nettement inférieure à celle de Las Vegas (100.000 chambres).

Le tourisme d’affaires est une activité fortement capitalistique. 80 % de l’offre hôtelière de l’Île-de-France est égale ou supérieure à 2 étoiles, et la région possède quelque 1.300 salles de conférences (mais seulement 20 % des hôtels en sont équipés). La construction de nouveaux hôtels et la rénovation du parc existant représentent quelque 1,5 milliard d’euros par an.

Les touristes qui viennent dans la région pour leurs affaires dépensent cinq fois plus que les autres. Ils induisent beaucoup plus de créations d’emplois directs dans l’hôtellerie :

Hôtels de luxe : 4-5 étoiles 1 emploi / 1 lit Hôtels 3 étoiles 1 emploi / 15 lits Hôtels 0 à 1étoile 1 emploi / 100 lits Ces touristes induisent un grand nombre d’emplois indirects, dans le commerce, les transports et dans d’autres domaines : ainsi les hôtels de luxe sont-ils parmi les principaux donneurs d’ordres de l’artisanat de luxe national pour les constructions et les rénovations dans le style « art de vivre français ». Au total, les activités liées au tourisme représentent 292.000 emplois en Île-de-France, selon les estimations de l’Observatoire régional du tourisme46.

45 CROCIS, Observatoire régional du tourisme. Le tourisme d’affaires en Île-de-France et dans les métropoles européennes : point de la situation. No. 1, septembre 2003, 4 p. 46 www.ortif.info

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La place de la région dans le monde et en Europe

Comme toutes les régions, l’Île-de-France a adopté un schéma du tourisme et des loisirs pour la décennie 2000-2010. Le schéma prend particulièrement en compte les clientèles d’affaires et prévoit le développement de sept pôles territoriaux, ainsi que des programmes de formation et des actions en matière qualité de l’offre et de signalétique. Le contrat de plan État - Région finance des projets, dont le développement du tourisme fluvial.

Enfin, le tourisme en Île-de-France est pris en compte par le schéma directeur dans ses deux grands aspects, celui de la communication commerciale et du grand public.

En ce qui concerne le tourisme d’affaires, il s’agit de sauvegarder la compétitivité de la région en matière d’expositions, en renforçant et en diversifiant le parc de Villepinte et en créant éventuellement pôles d’expositions dans les centres les plus accessibles – Val-d’Europe, Sénart, Massy – ou à développer en priorité : Plaine-Saint-Denis, Seine-Amont.

Ces pôles ont également vocation à accueillir les équipements hôteliers qu’appelle la croissance régulière de la fréquentation de l’Île-de-France en offrant des charges foncières plus modérées que celles des quartiers touristiques centraux actuels, qui sont devenues trop élevées pour l’hôtellerie moyenne (2 et 3 étoiles).

4.5 Le développement de la place financière de Paris

Une étude de la DATAR vient de rappeler l’importance de la place financière de Paris, qui représente la deuxième concentration européenne de banques internationales, loin derrière Londres, mais devant Francfort.

L’étude s’intéresse surtout à la fonction bancaire de la place, pour souligner l’importance du processus de concentration, qui aboutit à la création de réseaux internationaux s’appuyant sur la métropole financière principale de chacun des grands pays dont le réseau organise par la même l’espace économique européen47.

D’autres faits et données concernant la place de Paris méritent également d’être rappelés.

La dernière enquête régionale sur l’emploi (31/12/2000) a recensé 270.500 salariés dans les activités financières, dont le développement a repris à la fin des années 90. Les effectifs ont crû dans les assurances dommages, les caisses d’épargne et les organismes de gestion de fonds de valeurs mobilières48.Ce sont le plus souvent des emplois hautement qualifiés (39 % de cadres et professions intellectuelles supérieures). Les activités financières sont concentrées à Paris (58,1 % des salariés) et dans les Hauts-de- Seine (20,8 %), mais après des décennies de glissement vers La Défense, les grandes entreprises du secteur ont amorcé la création de quelques petits pôles à l’est : Bercy-Paris Rive Gauche, Fontenay-sous-Bois, Noisy-le-Grand.

Les salariés franciliens représentent 38 % des effectifs nationaux : bien moins qu’il y a une trentaine d’années (45 % en 1975) : il y a eu délocalisation des emplois vers les régions

47 Céline ROZENBLAT, Patricia CICILLE, op. cit., pp. 30-31 48 IAURIF et al. Géographie de l’emploi, pp. 44-45. La place financière a fait l’objet d’une analyse détaillée in Vincent GOLLAIN. Les activités financières en Île-de-France. Paris, IAURIF, avril 2002, 22 pages

40

La place de la région dans le monde et en Europe françaises. Il faut également rappeler que la place de Paris est la deuxième de l’Union européenne, avec 5,4 % de l’emploi financier de l’Union, contre 8,3 % à Londres, 2,7 % dans la Randstad et 2,2 % à Francfort.

Les activités de la place se répartissent entre banques et organismes de crédit (58,2 % des salariés), compagnies d’assurance (28,2 %) et auxiliaires financiers (13,6 %).

La place forme un cluster (« district » de services), communauté d’acteurs complémentaires – des institutions financières implantées dans un territoire restreint à proximité des sièges d’entreprises grandes et moyennes, des administrations assurant la gestion de la vie économique et des centres de formation de plus haut niveau dont les meilleurs élevés essaiment dans toutes les places financières du monde.

L’avenir de la place paraît mieux assuré qu’il y a quelques années face à la concurrence des autres places européennes.

En effet, la bourse est devenue la première du continent depuis la création d’Euronext – qui réunit les bourses d’Amsterdam, Bruxelles, Paris et Lisbonne, ainsi que le LIFFE – en 2000. D’autant que l’ouverture de la place de Paris sur le monde est devenue évidente : les investisseurs étrangers y possèderaient plus du tiers des capitaux qui y sont placés. Près de cinq cents banques étrangères s’y sont implantées - à peine moins qu’à Londres. La gestion collective (SICAV et FCP) y est particulièrement importante, ainsi que l’offre d’obligations de grandes entreprises, mieux implantées qu’à Londres.

La place de Paris bénéficie également de l’offre d’excellents ingénieurs et mathématiciens, qui devraient pouvoir faciliter l’introduction de produits financiers innovants49, ainsi que de la qualité et de la variété du patrimoine immobilier de bureaux, qui ont fait l’objet de rénovations très récentes.

A l’avenir, la place de Paris pourrait profiter des futurs fonds de pension à la française, grâce auxquels une épargne particulièrement abondante serait mobilisée pour le financement de la création et du développement des entreprises – donc de l’emploi – au lieu d’être immobilisée dans les instruments de dette.

Rappelons également l’importance des sièges sociaux des entreprises50, le plus souvent clientes des établissements financiers de la place et dont les titres sont dans la plupart des cas cotés sur Euronext : Paris et Londres regroupent à elles deux près de 40 % des entreprises européennes faisant plus de cinq milliards d’euros de chiffre d’affaires (Londres devance légèrement Paris)51.

49 « A Non-Random Walk Through Financial Innovation : Four Titans Explain How It Occurs ». July 30 – August 12, 2003. http://knowledge.wharton.upenn.edu Même les banques de detail reconnaissent maintenant l’importance de l’innovation (voir par exemple Stefan TOMKE. « R&D Comes to Services : Bank of America’ Pathbreaking Experiments”. Harvard Business Online, April 1 2003, R0304E, 9 pages) 50 et l’importance de les conserver 51 Céline ROZENBLAT, Patricia CICILLE, op. cit., pp. 28-29

41

La place de la région dans le monde et en Europe

4.6 Des services aux entreprises toujours dynamiques ?

Le secteur des services aux entreprises est une spécificité de l’Île-de-France, où il représente le quart du secteur tertiaire52 et 15 % de l’emploi salarié53, et 45,4 % de la valeur ajoutée.

Les activités de conseils professionnels et techniques aux entreprises sont la branche majeure, avec la moitié de l’emploi et 54 % de la valeur ajoutée. Elles ont bénéficié de l’expansion des conseils informatiques liée aux échéances de l’an 2000 et de l’introduction de l’euro ainsi que de la « bulle » des télécommunications et d’internet. En quatre ans, entre 1998 et 2001, l’emploi dans ce dernier secteur a augmenté de 20 %, et la valeur ajoutée de 23 %.

La croissance est une tendance lourde au moins décennale : entre 1989 et 1998, les services aux entreprises avaient créé 176.000 emplois en Île-de-France.

Il faut néanmoins s’interroger sur la durée de cette tendance. En effet, les résultats des années 2002 et 2003 risquent de faire apparaître – comme dans la plupart des pays très développés – une destruction d’emplois de haut niveau dans ces secteurs, du fait des difficultés que connaissent les donneurs d’ordres, dont les plus grands – dans les télécommunications, la finance, l’industrie – ont leur siège en Île-de-France. En effet, le chiffre d’affaires global des services informatiques a baissé de 3 % en 2002, et la baisse pourrait être du même ordre cette année.

De plus, les signes avant-coureurs d’une vague de délocalisations sont apparus. Certes, le phénomène est encore réduit en Île-de-France, si les délocalisations sont bien limitées à quelque 1,5 % du chiffre d’affaires des services informatiques, selon l’évaluation du syndicat professionnel Syntec-Informatique54. Les entreprises américaines auraient déjà délocalisé 30 % des prestations informatiques, avec une croissance de 20 % par an. En Europe, l’appel à des prestataires d’autres continents – surtout indiens – n’atteindrait que 5 % du marché, mais avec une croissance de 40 % en 2003 selon le cabinet Gartner.

Des entreprises de premier plan délocalisent : Cap Gemini Ernst & Young emploie 600 personnes dans sa filiale indienne, Valtech prévoit d’y recruter un millier de collaborateurs (contre un total de 800 en 2002), Atos Origin a également déjà 600 employés à Mumbai. Selon le cabinet Gartner « dans le secteur des technologies de l’information, la mondialisation étant inéluctable, toute entreprise qui n’y recourra pas perdra sa compétitivité ».

Certes, les entreprises françaises sont spécialisées dans le conseil qui nécessite d’être à proximité des clients, plutôt que dans l’édition de logiciels, facilement exportable. Mais des entreprises installent des filiales dans des pays proches – Roumanie, Maroc, Espagne – ou simplement dans des capitales régionales – Nantes, Toulouse, Clermont-Ferrand, Lille – où les salaires sont moins élevés, le personnel moins mobile, et les loyers modestes. Cap Gemini

52 Evelyne VORMS. « Les services aux entreprises en Île-de-France : un secteur toujours dynamique ». Enjeux Île-de-France, No. 56, juin 2003, 4 pages 53 IAURIF et al. Géographie de l’emploi 2000, p. 46 et suiv. 54 Gaëlle MACKE. « Après l’industrie, le secteur des services commence à délocaliser ». Le Monde, 23 avril 2003

42

La place de la région dans le monde et en Europe estime que 30 % de son chiffre d’affaires peut être réalisé à partir de sites plus ou moins lointains55.

Pour une métropole mondiale le développement du secteur des services aux entreprises est un enjeu majeur. De ce développement dépend en grande partie l’attractivité future de l’Île-de-France pour l’implantation des sièges sociaux des grandes entreprises, la croissance des activités financières ou la relance de l’innovation. Des efforts considérables seront à faire pour que des services tels que les cabinets internationaux d’avocats d’affaires, les consultants en gestion des entreprises ou les cabinets de conseil en propriété industrielle puissent atteindre des densités et une qualité proches de celles qu’ils ont à Londres, voire à New York.

55 Gaëlle MACKE, op. cit Alain Ruello. « Le marché des sociétés de services informatiques devrait encore reculer en 2003 ». Les Echos, 4-5 avril 2003, p. 17

43

La place de la région dans le monde et en Europe

5. L’enseignement supérieur, la recherche et la capacité d’innovation

Dans ces domaines encore totalement centralisés, mais qui sont de la plus haute importance pour la compétitivité future de l’économie régionale, l’Île-de-France dépend des choix nationaux, et des débats en cours sur la compétitivité de la France, qu’il faut commencer par rappeler.

5.1 Un enjeu national majeur de compétitivité

La théorie de l’avantage comparatif est ancienne : elle date de 1817.56 Elle a été affinée pour prendre en compte l’existence d’« économies externes » découlant de la diffusion de connaissances produites ou accumulées dans les entreprises ou les centres de recherche d’un pays, ou plutôt d’une métropole ou d’un « district industriel » qui leur procurent des avantages comparatifs particulièrement significatifs et marqués57.

La prise de conscience des enjeux est plus ou moins claire selon les pays. La première puissance économique mondiale est particulièrement avertie de l’importance de ses universités, de ses programmes de recherche et de sa capacité d’innovation : la presse française en conclut même que « l’Amérique a fait de la recherche une machine de guerre »58, grâce à une « une philosophie privilégiant sans pudeur les élites et la spécialisation, aux liens étroits avec les entreprises et les financements privés » et aussi à l’équipe de la Maison Blanche « dont la mission consiste à définir et à coordonner la stratégie du pays en matière de recherche ».

Cette stratégie existe depuis longtemps, et a eu notamment pour effet de conforter la capacité des universités américaines à « attirer les talents et les moyens », ce qui fait dire à Sir Richard Sykes, ancien président d’une très grande entreprise pharmaceutique, que « les grandes universités des Etats-Unis écrèment les meilleurs étudiants et chercheurs du système éducatif mondial en leur offrant des conditions de vie et de travail incomparables. Même pour les entreprises européennes, cela commence à poser problème », d’autant que d’après une recherche de l’université Warwick (Coventry), « sur les 1.200 scientifiques les plus réputés dans le monde, plus de 700 se trouvent aujourd’hui » dans les universités américaines privées (MIT, CalTech, Princeton, Harvard, Stanford) mais aussi publiques (Californie, Minnesota, Michigan).

En France, le Conseil d’analyse économique du Premier ministre a consacré le « noyau dur » de son rapport récent sur la compétitivité aux facteurs « hors prix » : qualité des produits et caractère innovant des produits et des services59. Pour rappeler que « seuls des progrès dans les deux domaines de l’innovation et de la qualité sont garants d’une progression des revenus » et que dans le cadre de la mondialisation, les entreprises implantent leurs activités sur des différents selon les avantages comparatifs de chacun d’eux « siège européen à

56 David RICARDO. The Principles of Political Economy and Taxation 57 Paul A. KRUGMAN. “Myth and Realities of U.S. Competitiveness”. Science, Vol. 254, 8 Nov. 1991, pp. 811-815990 Michael PORTER. The Competitive Advantage of Nations. New York, Basic Books, 1990 B. ARTHUR. Scientific American, Vol. 262, 1990, p. 92 58 Titre de l’article de Eric LESER publié dans Le Monde du 18 mars 2003 59 Michèle DEBONNEUIL, Lionel FONTAGNE. Compétitivité. Juin 2003, 255 pages

45 La place de la région dans le monde et en Europe

Bruxelles, services administratifs et comptables à Londres, centre de R&D à Sophia- Antipolis, centre de design à Milan… »60.

Pour rappeler également que l’Europe dans son ensemble avait décroché « dans les technologies liées à l’information et à la communication, à l’exception peut-être temporaire du téléphone », ayant « omis de rechercher les gains d’innovation, avec pour conséquence une faiblesse des gains de productivité globale des facteurs », s’enfermant « dans une logique smithienne de gains tirés de l’étendue du marché, opposée à une logique schumpétérienne de destruction créatrice qui est celle des États-Unis »61.

Pour rappeler aussi, au passage, que « l’effort d’innovation ne peut être ramené au ratio de R&D au PIB », tout comme « l’accumulation de capital humain ne dépend pas que des taux de scolarisation ».

Le rappel le plus important est que la « compétition est technologique » 62.

En effet, « la compétitivité prix n’est pas la compétitivité : vendre moins cher n’enrichit pas la nation ». Aussi la dimension hors prix de la compétitivité est celle qui compte, et qui être privilégiée à travers les efforts de qualité d’innovation, de service.

La France est bien spécialisée dans les produits de qualité, donc très coûteux (3,7 le prix mondial pour les vêtements), et réalise 45 % de ses exportations dans le haut de gamme. Mais « les produits français tirent avantage de leur notoriété et de leur design, plus que de leur contenu en innovation ». Dès lors, les entreprises françaises ont du mal à « se positionner sur l’amont des cycles de vie des produits, où sont concentrées les rentes d’innovation »63.

D’où la position moyenne – voire médiocre – de la France en ce qui concerne la part des produits de haute technologie dans les exportations manufacturières. Cette position est corrélée à l’intensité relativement faible de la recherche dans l’industrie :

60 selon une étude d’ERNST & YOUNG citée p. 16 : Baromètre2002 : attractivité du site France. 61 p. 18, citation d’un article de Daniel COHEN : »Le déclin de l’Europe ? ». Le Monde, 10 septembre 2002 62 Titre du chapitre 6, pages 54-60 63 R. FEENSTRA, A. ROSE. “Putting Things in Order: Trade Dynamics and Product Cycles”. Review of Economics and Statistics, Vol. 82, No.3, 2000, pages 369-82 (cité page 56 du rapport Compétitivité)

46 La place de la région dans le monde et en Europe

Corrélation entre l’intensité de la recherche industrielle et la part des produits high tech dans les exportations

Source : OCDE. La nouvelle économie : mythe ou réalité. Le rapport de l’OCDE sur la croissance. 2001

Et en effet, la faiblesse de la France découle en l’espèce de la part modeste des dépenses de recherche financées par le secteur privé (54%, contre 66 % en Allemagne, 68 % aux États- Unis, 72 % au Japon) et peut-être aussi de leur valeur absolue : 17 milliards de $, contre respectivement 34 en Allemagne, 71 au Japon, 180 aux Etats-Unis.

En conclusion, « le constat d’un déficit de compétitivité en matière technologique doit donc être fait pour la France ». Le niveau modeste d’innovation qui en découle, notamment dans le secteur des sciences et techniques de l’information, explique le décalage en matière de croissance de la valeur ajoutée au cours de la première moitié des années 90 : 1,09 % par an en France, 2,35 % aux États-Unis.

En effet, seulement 40 % des entreprises industrielles et 38 % de celles des services aux entreprises sont considérées comme innovantes. Aussi les produits radicalement nouveaux introduits entre 1998 et 2000 ne génèrent que 9 % du chiffre d’affaires de l’industrie.

Ces entreprises peu innovantes, mal valorisées, tombent dans le portefeuille d’entreprises étrangères à la recherche de parts du marché français et européen. Dès 1993, 48 % des entreprises ayant de 500 à 1.000 salariés avaient déjà au moins 20 % du capital dans des mains étrangères, qui contrôlent déjà aujourd’hui 28 % de l’emploi industriel français (contre 18 % en Grande Bretagne, 12 % en Italie et seulement 6 % en Allemagne). Surtout, la France n’a de positions industrielles fortes que dans les secteurs arrivés à maturité : automobile, sidérurgie, chimie fine. Les réussites dans l’aéronautique et la

47 La place de la région dans le monde et en Europe pharmacie sont des exceptions qui n’ont pas été imitées dans d’autres secteurs de haute technologie64.

Le Conseil d’analyse économique rappelle à la fin du rapport65 que les pouvoirs publics disposent de leviers pour agir sur les facteurs de compétitivité :

1. Formation initiale et formation tout au long de la vie, en premier lieu, 2. Capacité à attirer les personnels étrangers les mieux formés et d’éviter le départ des plus qualifiés 3. Aides publiques à l’innovation 4. Protection de la propriété intellectuelle 5. Cadre réglementaire de la vie économique 6. Attraction des firmes étrangères à fort potentiel de retombées technologiques.

Le rapport du Conseil d’analyse économique a été approfondi, en ce qui concerne la compétitivité de l’enseignement supérieur et la recherche, par une analyse approfondie du Cercle des économistes et d’Europlace66. Le rapport renvoie aux conclusions (en matière fiscale) et aux méthodes d’évaluation (les trente indicateurs proposés pour bâtir un tableau de bord de la compétitivité de l’économie française) de Michèle Debonneuil et Lionel Fontagné, et constate que ces indicateurs montrent que la France se retrouve au dessous de la moyenne du G7 pour six indicateurs du capital humain sur huit, six indicateurs de l’innovation sur treize et sept indicateurs des nouvelles technologies sur neuf.

Or, « la France doit se battre sur le créneau qu’elle a vocation à occuper : celui des activités riches en innovations et en savoir, activités qui sont consommatrices de talents », qu’elle ne parvient pas à attirer. Au contraire, elle exporte ses diplômés de plus haut niveau : « parmi les personnes récemment expatriées, la proportion de Français ayant le niveau du doctorat est de 9 %, ce qui est quatre fois supérieur au taux national ». En revanche, parmi les immigrés récents en France, il n’y avait que 13,7 % de diplômés de l’enseignement supérieur, contre 40,8 % en Grande Bretagne et 45,2 % aux États-Unis. En continuant à accueillir « une forte main d’œuvre non qualifiée, la France risque d’être conduite à accepter le choix d’une spécialisation dans des secteurs d’activité (…) où la concurrence se joue, en premier lieu, sur (…) les coûts de production ».

Parmi les experts interrogés, Patrick Arthus (CDC) souligne que la recherche-développement est bien une question essentielle, mais elle « n’est pas un problème de budget », mais d’ « efficacité ». Ainsi la France ne couvre-t-elle que 60 % de ses besoins en brevets, contre 400 % pour la Suède, et il serait par conséquent « nécessaire d’envisager la réforme des institutions publiques de recherche ».

En effet, il apparaît que les pays qui enregistrent de bonnes performances en matière de recherche sont ceux qui ont réussi à se doter de pôles d’excellence (en Europe, il n’en est

64 Jean-Louis LEVET. Chef du service du développement technologique au Commissariat général du Plan. « Compétitivité accrue, puissance amoindrie ». Les Echos, 22 mai 2003 65 Chapitre 7 : « Politique de compétitivité : Propositions », page 60 et suiv. 66 Michel DIDIER, avec Sylvie DUCHASSAING, Denis FERRAND, Gérard MAAREK, et Michel MARTINEZ. Former et attirer les talents : un enjeu majeur pour la place financière et la compétitivité française. Juin 2003, 116 pages

48 La place de la région dans le monde et en Europe guère qui puissent être comparés à ceux constitués autour des universités américaines67), qui font une proportion élevée de leurs recherches dans l’industrie.

En matière de recherche, la grande différence entre la France et les autres pays c’est que la recherche française se fait dans le cadre de grands organismes administratifs nationaux avec des chercheurs à vie, dans les autres pays en finançant des projets universitaires par contrat. Or, le système français paraît avoir atteint ses limites, ne pouvant plus recruter les jeunes sans créer de nouveaux postes – ce qui se heurte désormais aux contraintes budgétaires. De plus, le système rend très difficile le passage du public au privé, et donc le transfert le plus aisé des connaissances produites dans un secteur comme dans l’autre.

Il faut noter que le système français d’enseignement supérieur change progressivement de nature. Depuis vingt ans, son évolution se caractérise par une très forte progression des effectifs des écoles de commerce et de gestion, des formations scientifiques courtes et des écoles d’ingénieurs, les effectifs des universités connaissant, en revanche, la croissance la plus modeste. Les gouvernements successifs et les nouveaux bacheliers ont donc privilégié et préféré les filières autres que celles des universités:

L'enseignement supérieur en France: croissance des effectifs, 1980/2001 (%)

400 343

257,6

165,4 119,2 74,3 55,5

0 Universités Classes IUT Ecoles STS Ecoles de préparatoires d'ingénieurs commerce

source : Direction de la programmation et du développement / calculs et graphique : DRE Île-de-France

5.2 Un enjeu régional majeur

L’Île-de-France est la première région technologique européenne en termes de dépôts de brevets, mais la capacité potentielle d’innovation de la région ne se traduit pas en un grand nombre de créations d’entreprises innovantes.

Le problème de l’innovation a déjà été posé par le schéma directeur en vigueur, qui a pour la première fois pris en compte l’enseignement supérieur et la recherche. Concernant l’université, les perspectives ont été limitées par le plan « Université 2000 » alors que le schéma directeur couvre la période 1990 2015. De plus, « Université 2000 » n’avait que deux objectifs : créer les quatre universités des villes nouvelles et de réaliser des IUT, dont l’Île-de- France était insuffisamment pourvue.

67 Op. cit., annexe 3, page 96

49 La place de la région dans le monde et en Europe

Pour la recherche, les objectifs concernent la mise en valeur du pôle majeur de Massy- Saclay et des centres de recherche des trois autres « pôles d’envergure européenne » de Paris, de la Défense et de Marne la Vallée, ainsi que la création progressive de nouveaux pôles pour redévelopper les territoires de Seine Amont et de la Plaine St Denis.

L’enseignement supérieur et la recherche sont des enjeux très importants pour la compétitivité et l’avenir de l’Île-de-France. Face à la décroissance constante de l’emploi industriel, l’Île-de- France doit continuer à développer ses services aux entreprises, plus particulièrement en matière d’innovation, tout en assurant un haut niveau de qualification aux jeunes arrivant sur le marché du travail, notamment en matière scientifique et technique. Il convient de se rappeler constamment que l’Île-de-France est en concurrence avec les métropoles les plus innovantes du monde : la Silicon Valley, Boston ou Helsinki dans le domaine des sciences et technologies de l’information et de la communication, San Diego, New York, Londres ou Bâle en ce qui concerne la pharmacie et les biotechnologies, Seattle ou Munich pour l’aéronautique et l’espace

La réalisation des objectifs du schéma directeur a été tentée à travers le plan « Université du troisième millénaire » qui a pris en compte les opérations de proche couronne (La Villette – Plaine Saint-Denis) du schéma directeur, mais celles-ci restent à mettre en œuvre, les investissements ayant été concentrés à Paris, notamment pour mettre en sécurité les bâtiments du campus de Jussieu.

Jussieu est l’un des deux grands pôles franciliens de sciences exactes. Mais, enclavé dans des quartiers résidentiels très denses, il ne permet guère d’y organiser des synergies avec le monde de l’entreprise en y accueillant les nouvelles entreprises innovantes, et encore moins des centres de recherche industriels.

Le développement de l’innovation dans la région dépend donc d’un réaménagement progressif des grands pôles d’enseignement supérieur scientifique et de recherche en sciences exactes et en technologie.

Pour engager ce réaménagement, le rapport préparatoire du plan « U3M – Île-de-France » prévoyait le transfert de Paris VII à la Villette et en Plaine Saint-Denis, qui devaient également accueillir un pôle à forte composante technologique, dans la Cité des sciences des sciences et de l’industrie68 et dans les terrains libres ou libérables des environs. Une grande université de technologie pouvait, de plus, y être constituée en regroupant des laboratoires du CNAM et le l’ENSAM.

Le financement de ce plan a été retardé par le coût des travaux de Jussieu et le transfert de Paris VII à Paris Rive Gauche, qui ont mobilisé tous les moyens de l’État et des collectivités territoriales, mais un rapport du Sénat vient de rappeler les incertitudes qui pèsent encore sur le montant total des travaux de Jussieu – qui pourraient atteindre un total de 1,2 milliards d’euros – et sur les délais de leur réalisation, et de souligner de nouveau l’intérêt d’une relocalisation de Paris VI permettant à la fois d’échapper aux coûts futurs de l’opération de Jussieu et de créer d’un vaste pôle d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation en Plaine-Saint Denis.

68 dont une travée (sur quatre) est encore vide

50 La place de la région dans le monde et en Europe

Le transfert de Paris VI offrirait également une opportunité de renforcer le site scientifique et technologique de Marne-la-Vallée, en y implantant des filières universitaires complètes autour de l’un des sites de la prestigieuse « université technologique » qui naîtra de la fusion de l’École des mines de Paris, de l’Ecole nationale des ponts et chaussées et des autres grandes écoles qui pourraient les rejoindre.

La compétitivité de l’Île-de-France pourrait par conséquent être considérablement renforcée par des mesures (rappelées dans les propositions) consistant à :

• Développer les possibilités d’accueil des entreprises innovantes et des centres de recherche autour du pôle du plateau de Saclay • Réorganiser l’implantation de Paris pour autoriser également l’accueil des « jeunes pousses » et des centres de recherche à proximité des grands établissements scientifiques parisiens sur les sites moins denses et « mutables » de la Villette et de la Plaine Saint-Denis • Renforcer les sites universitaires de Marne-la-Vallée et éventuellement de Cergy en y organisant les développements des troisièmes cycles qui n’ont pas bougé de Paris, mais qui pourront être plus mobiles non seulement pour assurer une solution rationnelle du problème que pose Jussieu, mais aussi dans le cadre des évolutions qu’autoriseront les très nombreux départs à la retraite d’enseignants chercheurs au cours des toutes prochaines années. • Mettre en œuvre les mesures pour assurer la relance des créations d’entreprises innovantes et – plus encore – pour faciliter leur survie et leur développement, qui devra vraiment permettre de créer beaucoup d’emplois de haut niveau. Les réflexions prospectives en cours à l’ANRT69 et ses travaux sur les différents rapports disponibles70 rappellent les mesures nécessaires.

Le défi des années à venir consistera à porter les grands pôles universitaires régionaux au niveau européen, voire mondial.

Il y a un grand retard à résorber non seulement en matière d’organisation et de réaménagement - qui vont être évoqués dans le chapitre suivant - mais aussi en matière de patrimoine immobilier. Le président du Conseil régional a d’ailleurs fait état71 du caractère impressionnant du défi, compte tenu de l’état de ce patrimoine.

En plus de la restauration des bâtiments, il faudra également envisager de construire pour se rapprocher des normes américaines dont les franciliennes restent très éloignées, comme l’a rappelé un chercheur averti72 :

69 Cf. discours de M. Jean-François DEHECQ, Président de l'ANRT, à l'occasion du Déjeuner annuel de l'ANRT du 31 janvier 2003 70 accessibles sur le site de l’ANRT : http://www.prospective-innovation- fr.org/synthese_rapports/index5.htm 71 aux 2.èmes rencontres de la compétitivité, organisées par le Cercle des économistes et Europlace, en partenariat avec le Conseil Régional le 5 juin 2003 72 Rémy PRUD’HOMME. « De l’espace réservé aux étudiants : l’ école des chefs ». Le Figaro, 4 décembre 2002

51 La place de la région dans le monde et en Europe

m² par étudiant

ENA 150

Kennedy School of Government 30

Princeton 52,17

U. Pennsylvania 40,92

Harvard 34,22

Columbia 18

université Créteil 4

0 150

sources : Rémy PRUD’HOMME, Le Figaro, 4 décembre 2002 et Charles BAGLI, The New York Times, 30 juillet 2003

Le défi est évidemment financier.

Les réactions permanentes de rejet des tentatives de remise à niveau de l’organisation des universités ont découragé l’Etat d’y investir73, au point que la France consacre chaque année « davantage d’argent public à subventionner le transport ferroviaire qu’à faire marcher l’enseignement supérieur »74.

La comparaison des dépenses annuelles établie par l’OCDE montre bien le retard de la France, par rapport au Canada, aux États-Unis et un certain nombre de pays petits ou moyens – Suède, Danemark, Australie, Irlande, Pays Bas – qui ont bien compris l’importance de l’enseignement supérieur et qui, de plus, sont apparemment en mesure de mieux le gérer que des pays plus grands comme la France, l’Allemagne ou la Grande Bretagne :

73 Le Conseil Régional n’a pas été vraiment encouragé non plus. Son président a rappelé récemment que « les universités ont des besoins financiers importants alors que leurs dirigeants n’acceptent en aucun cas de discuter des finalités ou de l’emploi de ces financements que nous leur apportons. Refusant un partenariat équilibré fondé sur la discussion, les établissements veulent l’argent que nous leur offrons sans accepter de rendre compte de son usage ».

Alors que « le patrimoine universitaire francilien est le pire de France, du fait de son délabrement ».

Jean-Paul HUCHON, conclusion des 2 ièmes Rencontres de la compétitivité : Accélérer les réformes, attirer les activités à forte valeur ajoutée. Le Cercle des économistes et Paris-Europlace, 5 juin 2003, p. 23 des actes 74 Rémy PRUD’HOMME, op. cit.

52 La place de la région dans le monde et en Europe

Enseignement supérieur : dépenses en % du PIB

2,5 2 1,5 1 0,5 0

s e a i gne Unis s-B tral mark - France y Irlande us Canada lema A . Bretagne Al Pa Dane Etats Gr

fonds publics fonds privés

source : OCDE: Education at a Glance 20002 (graphique reconstitué d’après The Economist, 16 novembre 2002, p. 35)

5.3 Assurer la compétitivité de l’enseignement supérieur et de la recherche

La recherche publique en Île-de-France se situe désormais dans l’« espace européen de la recherche », dont les crédits de programmes thématiques seront attribués aux régions les plus performantes, disposant de réseaux allant de l’enseignement supérieur à l’industrie, de la recherche fondamentale à l’innovation dans un continuum passant par les transferts de technologie et la formation continue.

Dans ce contexte, la région se doit de renforcer ses points forts et de définir une stratégie de développement de ses points faibles en cherchant des alliances avec des centres de recherche d’autres régions françaises, telle Midi-Pyrénées pour la recherche aéronautique (bien que 60 % des chercheurs soient en Île-de-France).

Les universités acceptent cette logique d’alliances, et ont engagé le processus d’une coopération multilatérale qui pourrait se révéler rapidement constructive, d’autant qu’elle commence par les travaux de passage au système européen « LMD » -licence, master, doctorat – qui devrait également permettre une mise en cohérence de l’offre de formation des universités de la région dans le cadre d’une carte plus « lisible ».

Le séminaire organisé à Versailles le 11 et 12 septembre 2003 par les dirigeants des dix-sept universités franciliennes, , est la première étape de la démarche, qui devra assurer la rationalisation de l’offre de formation « grâce à la mise en relation des établissements par la recherche », comme l’a rappelé le directeur de l’enseignement supérieur. En effet, si « un grand établissement peut encore aujourd’hui envisager d’être, seul, une force de frappe européenne, demain, cela ne sera plus possible ». Et s’« il n’existe pas d’établissement sans activité scientifique, la recherche n’est pas nécessairement fondamentale, elle peut être aussi

53 La place de la région dans le monde et en Europe en aval et participer au développement local »75. La coopération peut également se développer avec les écoles, qui renforcent rapidement leurs activités de recherche, en même temps que les universités se professionnalisent. Enfin, les universités parisiennes elles-mêmes sont prêtes à encourager des « parcours de formation » dont les cycles supérieurs pourraient se dérouler dans les universités périphériques.

Une nouvelle géographie de l’enseignement supérieur et de la recherche pourrait se dessiner selon une logique d’organisation de sites, toujours dans le cadre d’un système unitaire mais autorisant chacun des sites à se développer en renforçant ou créant ses spécificités pour devenir « visible » au moins au niveau européen, sinon mondial. Sans exclure évidemment des coopérations entre sites différents : « demain on ne sera plus obligé de spécifier que Paris VI et Polytechnique coopèrent, ce sera naturel »76.

L’organisation de quelques grands sites de recherche régionaux permettrait sans doute de faire émerger des « pôles d’excellence » atteignant la « masse critique » grâce à la proximité d’établissements publics et de chercheurs du secteur privé, et même éventuellement – comme dans la Silicon Valley – la présence des centres de décision des entreprises, des consultants et même d’établissements de fabrication.

5.4 Les possibilités de construction de nouveaux équipements universitaires

Le rapport du Sénat sur le patrimoine immobilier des universités77 pose de nouveau le problème de leur prise en compte dans le cadre de l’aménagement de l’Île-de-France.

La répartition géographique des universités est particulièrement déséquilibrée dans les disciplines scientifiques exactes. En effet, par sa concentration de chercheurs et ses formations à la recherche, le campus de Jussieu reste le principal pôle régional. Les équilibres entre Paris et la périphérie, entre le sud-ouest et le nord-est de la région sont encore à établir : l’Île-de-France n’a que deux grands pôles scientifiques :

• Paris : les universités du Quartier Latin, bientôt Paris Rive Gauche et surtout Jussieu • l’université d’Orsay et les grandes écoles du plateau de Saclay.

Plus des deux tiers (68,6 %) des étudiants en troisième cycle des disciplines scientifiques sont encore inscrits dans les universités parisiennes. Plus de la moitié de ces étudiants parisiens (52,1 %) sont à Paris VI (Jussieu), les autres dans les universités du Quartier Latin et à Paris VII, qui doit être transféré dans le nouveau quartier de Tolbiac :

75 Exposé de M. Jean-Marc MONTEIL, directeur de l’enseignement supérieur, au séminaire de Versailles 76 Toujours selon M. MONTEIL 77 Jean-Léonce DUPONT. Le patrimoine immobilier universitaire. Rapport d’information 213 (2002-2003). Sénat. Commission des affaires culturelles. 19 mars 2003

54 La place de la région dans le monde et en Europe

Un redéploiement et un fort développement des disciplines scientifiques sur des sites relativement étendus présenterait d’autant plus d’intérêt qu’il permettrait d’organiser des synergies avec le monde de l’entreprise et accueillir les nouvelles entreprises innovantes dans des espaces moins contraints que ceux du Quartier Latin : grâce à la station d’Éole prévue et au tramway allant jusqu’à Villetaneuse via Saint-Denis dont elle doit être tête de ligne, un nouveau pôle universitaire à la Villette pourrait amorcer la constitution d’un axe majeur de rééquilibrage et de développement, et autorisait également la création de résidences universitaires et d’une nouvelle Cité internationale.

Il permettrait aussi d’engager la création d’un vaste pôle d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation en Plaine-Saint Denis pour en accélérer le renouvellement économique et urbain.

Afin de préparer l’élaboration de projets opérationnels, la Direction Régionale de l’Équipement a réalisé dès mai 2000 une étude exploratoire du quartier de la Villette qui évalue les possibilités d’y construire des locaux universitaires et des résidences. Les terrains appartenant à l’État autour du parc et de la Cité des sciences et de l’industrie permettraient de bâtir tout de suite 232.500 m² de locaux universitaires et 139.300 m² de logements d’étudiants et de chercheurs.

D’autres possibilités de construction de locaux ont également été mis en évidence dans le cadre des recherches menées pour le vice-chancelier des universités de Paris sur les

55 La place de la région dans le monde et en Europe possibilités de réutilisation de sites appartenant à l’État : Muséum (îlot Buffon – Poliveau), château de , travée inoccupée de la Cité des sciences et de l’industrie (25.000 m²)78.

Le développement de l’offre immobilière universitaire sur des sites offrant les possibilités de construction nécessaires à l’organisation de partenariats est un enjeu particulièrement important.

En effet, les interactions entre agents économiques localisés dans un même lieu peuvent être considérées à la source du progrès technique et de la croissance79. Il est probable que la transmission de la connaissance, tout particulièrement de la connaissance « implicite », exige une certaine proximité géographique80 en particulier pour que la recherche universitaire puisse générer effectivement l’activité d’innovation des petites entreprises. L’étroite proximité géographique des universités scientifiques et des entreprises potentiellement innovantes pourrait donc être une condition du succès des politiques publiques visant à stimuler et diffuser l’innovation.

Les besoins potentiels de nouveaux locaux pour l’enseignement supérieur scientifique et technique et la recherche paraissent tels que des experts suggèrent même de construire des locaux « en blanc » à affecter ensuite aux établissements – universités, écoles ou autres - les plus ambitieux et dynamiques, et donc les plus à même d’accepter les défis de l’avenir.

5.5 Les difficultés de l’innovation en Île-de-France: l’exemple des biotechnologies

La « première initiative d’envergure » associant la recherche fondamentale et les entreprises industrielles a été menée dans le domaine des sciences de la vie, avec la création du Génopôle d’Évry (1998). Ce site s’est bien développé : il compte aujourd’hui (2003) 24 laboratoires académiques, des grands équipements tel le Génoscope, le Centre nationale de génotypage et la banque de données Infobiogen ainsi qu’une quarantaine d’entreprises pour un total de quelque mille six cents emplois81.

Toutefois, l’impact des efforts faits dans ce domaine sur l’innovation industrielle est encore limité. L’Île-de-France souffre des difficultés que connaît la France en matière d’innovation, surtout dans les secteurs paraissant les plus porteurs d’espoirs. L’étude récente d’Ernst & Young montre, en particulier la faiblesse des engagements financiers : 6 entreprises nouvelles

78 M. Christian SAUTTER, adjoint au maire de Paris chargé du développement économique, soulignait dans le Journal du net du 17 avril 2003 que la Cité des sciences et de l’industrie comportait « un mystère : depuis son inauguration en 1986, la quatrième travée du bâtiment n’a jamais été exploitée » et ajoutait que « cette fameuse quatrième travée, de 25.000 m2 » pourrait accueillir des « initiatives en faveur des nouvelles technologies ». 79 Pierre-Philippe COMBES et al. « Origine et ampleur des inégalités spatiales de salaire en France », en annexe à Michèle DEBONNEUIL, Lionel FONTAGNE. Compétitivité, pp. 163-183 Robert LUCAS. « On the Mechanics of Economic Development ». Journal of Monetary Economics, No. 22, 1988, pp. 3-42, cite par COMBES et al., p. 166 80 J.Vernon HENDERSON. Urban Development : Theory, Fact and Illusion. Oxford, Oxford University Press, 1988/1997, 256 pages et A. CICCONE, R. HALL. “Productivity and the Density of Economic Activity”. American Economic Review, 1996, pp. 329-355, cités par COMBES et al., p. 167 81 Catherine DUCRUET. « L’Île-de-France organise sa matière grise ». LesEchos.net, 16 juin 2003, p. I

56 La place de la région dans le monde et en Europe en tout et pour tout financées par le capital –risque en 2002, contre 13 en 2001, et à peine 2 financements d’amorçage contre 982. Le nombre d’entreprises plafonne à 233. De plus, celles- ci ont du mal à croître, alors que les 331 entreprises britanniques atteignent un chiffre d’affaires global de 3 milliards d’euros, avec d‘excellentes perspectives de développement (129 produits en clinique – dont 23 en phase III – contre 15 en France et un seul en phase III)83.

Il a été rappelé84 qu’aujourd’hui, 40% des produits biomédicaux sont d’origine biotechno- logique, et que d’ici 10 ans, ils pourraient en représenter 100%. Dans le domaine de la pharmacie traditionnelle, où ces produits n’atteignent encore que 10%, les biotechnologies devraient autoriser une division par 3 ou 4 les délais de mise sur le marché.

Il y a quelque 1.800 entreprises en Amérique du Nord pour 165.000 emplois, 1.450 entreprises en Europe et 135.000 emplois, et 350 dans le reste du monde, essentiellement la Corée du Sud et le Japon. En France, le secteur a été quelque peu ignoré pendant les années soixante-dix et quatre-vingt, les pouvoirs publics n’ayant guère appuyé les efforts de recherche du secteur privé. Il y a néanmoins à peu près 200 entreprises exerçant une activité directement liée aux biotechnologies.

Biotechnologies / Chiffre d'affaires / milliards de $

25 23,6

2,964 1,082 0,904 0,828 0 USA Gr, Bretagne Allemagne Canada France

source : DELOITTE, TOUCHE TOHMATSU, 2003

L’analyse ci-dessus du cabinet Deloitte Touche Tohmatsu vient de confirmer la domination américaine du secteur. Les entreprises américaines de biotechnologies réalisent un chiffre d’affaires de 23,6 milliards de $, contre 0,828 pour leurs concurrentes françaises, qui auraient bien les compétences scientifiques mais pas les moyens financiers de se développer, faute de partenariats avec les grandes entreprises pharmaceutiques. De plus, les efforts des pouvoirs publics se traduiraient par une prolifération de génopoles et d’incubateurs, qui entraînent le

82 L’indicateur ChaussonFinance du capital risque recense 296 millions d’euros investis en Île-de-France en 2002. Cette somme n’est pas modeste, et elle représente 56 % des montants investis en France. 232 entreprises (de tous les secteurs) en ont bénéficié. Mais il faut rappeler que la Silicon Valley, a encore attiré 1,27 milliards de $ d’investissements au cours du seul premier trimestre 2003, soit 5 fois plus que le montant investi en Île- de-France au cours de toute l’année dernière 83Catherine DUCRUET. « Les sociétés de biotechnologie européennes résistent à la pénurie de financement ». LesEchos.net, 16 juin 2003, p. III 84 Fabrice RIGAUX. « Les biotechnologies industrielles en Île-de-France ; l’Île-de-France dans l’Europe « biotech » ». Enjeux Île-de-France, No. 35, janvier 2002, 4 pages

57 La place de la région dans le monde et en Europe saupoudrage de moyens financiers restreints, alors qu’il conviendrait d’encourager un nombre réduit de pôles d’excellence85.

En Île-de-France il y a surtout une forte présence commerciale d’entreprises étrangères. En termes d’emploi, les biotechnologies ne représentent que 7.000 actifs localisés surtout dans les Hauts de Seine, à Paris et en Essonne (notamment au Génopôle). La concentration à Paris est due à la forte présence des centrales d’achats du secteur hospitaliser, celle des Hauts de Seine est liée à l’importance des laboratoires pharmaceutiques.

Il faut également rappeler que le secteur agro-alimentaire est massivement pénétré par les bio- technologies. Quant aux biotechnologies environnementales (traitement des déchets, de l’eau et des métaux) implantées dans le Val de Marne, à Paris, dans les Hauts de Seine, les Yvelines et l’Essonne, elles pourraient devenir importantes pour des raisons de sécurités civile et militaire.

L’ensemble du secteur régional est marqué par la prépondérance d’entreprises sous licence et le grand nombre d’importateurs qui recherchent la proximité des centrales d’achat et apprécient la position géographique de la région du point de vue logistique. L’Île-de-France est donc bien davantage un marché pour les entreprises étrangères qu’un lieu d’innovation ou de production. Les efforts des pouvoirs publics – telle la création de l’incubateur de jeunes entreprises de l’Hôpital Cochin - devront donc s’intensifier et s’approfondir.

5.6 Un atout à valoriser : le réseau hospitalier

L’Île-de-France a un avantage compétitif en matière de recherche clinique : son système hospitalier de haut niveau, qui facilite indubitablement les essais86. Cet avantage peut être exploité. En effet, les essais cliniques sont très coûteux : pour la phase 4, il faut 3.000 patients et une dépense individuelle de 10.000 euros.

L’Île-de-France a une population nombreuse et d’une grande diversité ethnique : il s’agit d’un bassin de recrutement de patients (« catchment area ») de tout premier ordre pour la recherche clinique, en particulier pour les protocoles complexes et les maladies plus rares87. La région a aussi la première plate-forme hospitalière d’Europe, avec 39 établissements appartenant à un seul organisme, l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, dont les 25.000 lits en font le premier centre européen d’essais cliniques, entouré par 90 % des prestataires (« Contract research organizations ») installés en France.

La région bénéficie également de la taille du marché pharmaceutique français, due à une consommation qui détient la première place mondiale : de ce fait, la France a également la première place européenne en matière de dépenses de santé, avec 9,5 % du PIB. Mais la France est également le troisième exportateur mondial de produits pharmaceutiques, avec 13 milliards d’euros de ventes à l’étranger (41 % de la production), ce qui permet à l’industrie nationale de consacrer 3,5 milliards d’euros à la recherche.

85 analyse du rapport de Pierre ANHOURY, de Deloitte Touche Tohmatsu, in Alain PEREZ. « Les biotechnologies françaises en mal de taille critique ». Les Echos, 4-5 juillet 2003 p. 39 86 Vincent GOLLAIN, Catherine HUGUET, Frédéric FAIVRE. Conduire des essais cliniques en Île-de- France. Bioteam Paris Région. mars 2003, 26 pages 87 Wolfgang SCHAUB. « Consider Geography When Choosing Investigative Sites». Applied Clinical Trials, Vol. 11, No. 3, mars 2002, pp. 68-72

58 La place de la région dans le monde et en Europe

La renommée de la recherche pharmaceutique française remonte à la découverte du vaccin contre la rage, qui a permis la création de l’Institut Pasteur, où ont été découverts aussi bien le vaccin contre la tuberculose et le virus de l’immunodéficience humaine. Récemment, le génopôle d’Evry a décrypté la première carte du génome humain, et l’équipe du Génoscope celle du chromosome 14.

L’avenir est particulièrement prometteur pour la recherche sur le cancer, grâce au plan du gouvernement qui a déjà permis d’augmenter ses budgets de 250 % en 2003 et devrait aboutir sous peu à la création d’un Institut national sur le cancer pour coordonner la recherche et les essais cliniques.

Ces essais sont facilités en France, les praticiens hospitaliers consacrant 50 % de leur temps à la recherche, ce qui facilite l’accessibilité des chercheurs aux patients, augmente les possibilités de recrutement et permet d’organiser des réseaux d’experts.

La France est particulièrement compétitive en matière de coût des études cliniques : elle est au second rang européen, juste après la Belgique, grâce à l’absence de contrepartie financière pour les patients se prêtant à la recherche médicale. De plus, ce principe garantit la qualité des données recueillies, les patients ne participant qu’à une seule étude.

Enfin la législation française a défini un cadre juridique des études cliniques à la fois rigoureux, simple et lisible, ne nécessitant que l’avis d’un seul comité d’éthique et autorisant une ouverture facile et rapide des centres d’études. La législation française a d’ailleurs servi de référence pour l’élaboration de la directive européenne d’avril 2001, dont l’entrée en vigueur en 2004 n’entraînera donc pas de changement majeur des pratiques françaises.

59

La place de la région dans le monde et en Europe

6. Les industries de création

6.1 Un grand passé, un dynamisme inégal

Les « industries de création » sont plus que jamais un moteur de l’économie métropolitaine dont l’élément clé sont les possibilités d’échanges d’information qu’elles offrent 88. Les entreprises de ces industries sont des facteurs essentiels du rayonnement et de l’économie de l’Île-de-France. Or, un chercheur qui les analyse depuis longtemps laisse penser qu’il y aurait un problème spécifiquement francilien de déclin de ces « industries »89. En effet, ce qu’il appelle « économie culturelle » de Paris aurait souffert depuis un siècle, et spécialement depuis la seconde guerre mondiale, d’une certaine perte de vitesse, au point d’avoir été dépassée par de nouveaux points focaux (« hubs ») de cette économie mondiale : Los Angeles, Tokyo, la « troisième Italie ».

Ce chercheur admet néanmoins que Paris reste un site majeur pour de nombreux types d’industries créatives et de productions culturelles – l’habillement et la bijouterie d’un côté, le cinéma et le disque de l’autre. Paris dispose toujours de réseaux très denses de créateurs, d’actifs hautement qualifiés, de syndicats professionnels qui peuvent encore s’appuyer sur des traditions restées vivantes et des réputations de savoir-faire héritées de longs passés dans la plupart des industries créatives de « biens symboliques » - dans l’habillement comme dans la maroquinerie, dans l’édition comme dans la parfumerie, dans les cosmétiques comme dans le mobilier, dans la bijouterie comme dans le cinéma, le disque ou le multimédia. De plus, les entreprises bénéficient de biens publics – monuments et musées, galeries d’art et grands évènements culturels – qui donnent à la région une image d’une puissance à peu près unique.

Cependant la comparaison avec d’autres métropoles ou districts d’industries créatives ne serait pas favorable à l’Île-de-France, dont les petites entreprises n’auraient pas eu le même dynamisme que leurs concurrentes italiennes, étant pénalisées par les difficultés d’accès au capital et par la pénurie permanente de personnel bien formé. Quant aux pouvoirs publics, ils se seraient cantonnés dans une attitude défensive de protection de l’exception culturelle et abandonné, ce faisant, une grande partie du « patrimoine » qu’étaient les traditions des métiers de création, en particulier des articles dits « de Paris ». Même les entreprises du comité Colbert perdraient des parts de leurs marchés respectifs90. Leur succès plutôt relatif serait dû au non respect d’un certain nombre de conditions par ces entreprises :

• Existence de lieux de formation et d’établissements de recherche pour l’innovation. Cette condition n’est satisfaite que pour un certain nombre d’activités, qui ont leurs écoles – l’Institut français de la mode pour l’habillement, la FEMIS pour le cinéma, l’Université du luxe pour le Comité Colbert – ou reçoivent l’appui

88 Le développement des métropoles : moteurs, hiérarchies, structures, thème de la rencontre avec sir Peter Hall. Direction régionale de l’équipement, 18 juin 2002 89 Allen J. SCOTT (Department of Geography, University of California, Los Angeles). Note The Cultural Economy of Paris, 1999, 29 pages Ce travail a été repris dans un livre ambitieux, couvrant les activités créatives à travers le monde : Allen J. SCOTT. The Cultural Economy of Cities: Essays on the Geography of Image-Producing Industries. Los Angeles, University of California Press, 2000, 256 pages 90 Allen SCOTT cite à ce propos Louis BERGERON (Les industries du luxe en France. Odile Jacob, 1998)

61 La place de la région dans le monde et en Europe

d’organismes publics ou interprofessionnels de recherche : Centre technique du bois et de l’ameublement pour le mobilier, Centre technique du textile et de l’habillement

• Existence de salons professionnels capables d’attirer les acheteurs du monde entier, tels ceux organisés par la Fédération française du prêt-à-porter féminin

• Volonté de prendre des risques industriels pour entreprendre et innover

• Capacité d’exporter en vendant dans le monde entier.

Ces conditions ne seraient satisfaites que pour un petit nombre de branches91.

6.2 …mais aussi les premières entreprises mondiales

En fait, les industries créatives ont deux catégories d’entreprises permettant de combiner au mieux - selon les produits, les marchés et les circonstances – deux grands types d’intrants, le travail de création d’une part, les activités « classiques » de toute entreprise d’autre part. Il y a donc d’une part des entreprises petites ou au plus moyennes privilégiant la création, et d’autre part des multinationales assurant la fabrication et la vente, même – et surtout – au détail92.

L’Île-de-France a eu la chance de voir un certain nombre de ses entreprises croître ou en mesure de « fédérer » des concurrents pour devenir des multinationales.

L’Oréal

Le premier cas exemplaire de croissance est évidemment l’Oréal, numéro un mondial des cosmétiques. Exemplaire d’abord par la taille atteinte : un chiffre d’affaires mondial de 14,288 milliards d’euros en 2002. Mais aussi par la hausse continue du profit annuel, qui a encore augmenté de 18,5 % l’année dernière, après dix-huit années consécutives de croissance à deux chiffres (alors que les ventes n’ont augmenté « que » de 4,8 %). Exemplaire par sa capacité d’innovation et sa vigilance concernant la qualité des produits. Exemplaire enfin par la découverte permanente de l’existence de nouveaux marchés et de nouvelles niches : ainsi la part des ventes dans les pays émergeants dans son chiffre d’affaires est-elle passée de 6,8 % à 16,7 % au cours de la dernière décennie. « Le reste du monde qui croît deux fois plus vite que les pays développés : il y a là « un immense réservoir de croissance future, sur lequel L’Oréal est particulièrement bien positionné » constatait Lindsay Owen-Jones en commentant les derniers résultats. De plus, « les pays développés hors Japon évoluent presque au rythme de l’ensemble du marché cosmétique. Ce dernier phénomène, « le plus remarquable » s’explique notamment par l’extension régulière de l’âge des consommatrices : il y a vingt ans, la moitié des femmes utilisaient une crème de soin ; aujourd’hui la proportion est de deux tiers. Elle pourrait atteindre 80% à l’horizon 2015. ». Et il y a encore bien d’ « autres moteurs de croissance, le développement du marché des

91 Selon des travaux déjà anciens, telle la recherche de Dominique TADDEI et Benjamin CORIAT, Made in France : l’industrie française dans la compétition mondiale, de 1993 92 Richard CAVES. Creative Industries: Contracts between Art and Commerce. Cambridge, MA, Harvard University Press, 2000, 464 pages

62 La place de la région dans le monde et en Europe produits pour hommes ainsi que l’aspiration générale à la qualité, qui renforcent la tendance d’un marché dont la croissance régulière « est possible et pour longtemps. »

Surtout, « l’Oréal a, année après année, « surperformé, » avec une croissance supérieure de 50 à 100% à celle du marché global. La surperformance du groupe repose sur sa stratégie – priorité à la croissance interne, investissement dans la recherche et la qualité, concentration sur un nombre limité de métiers et de marques, développement international – ainsi que sur un positionnement systématique sur tous les segments du marché qui croissent plus vite que la moyenne. Ainsi le pari des pays émergents est en train de payer (…). Autre exemple, celui des catégories de produits. Aux Etats-Unis, le marché global a progressé de 15,5% ces quatre dernières années – mais le maquillage a augmenté de 29,7% et les shampooings professionnels de 26,2% (…). « L’Oréal est constamment à l’affût de nouveaux segments de consommation » - comme celui, prometteur, des compléments alimentaires cosmétiques, plus communément connus comme « pilules de beauté… »

« Enfin, L’Oréal a « trié, consolidé et clarifié son portefeuille de marques. Elles ne sont pas encore toutes implantées dans tous les pays, mais sont toutes capables de l’être, sans changement de positionnement ou de circuit de distribution. » De quoi garantir les économies d’échelle qui, ajoutées aux progrès réalisés en termes de coûts de production, favoriseront l’amélioration régulière des marges, dont « la poursuite nous paraît être un objectif à la fois nécessaire et possible.» L’outil de production de l’entreprise s’adapte évidemment en permanence pour faciliter son développement. Cinq usines ont été fermées l’année dernière. En Europe, les marques grand public (L’Oréal, Paris et Garnier) n’ont plus, respectivement, que quatre et cinq sites de fabrication pour alimenter – en flux tendus – l’ensemble des marchés du continent. L’usine de Montréal, affectée aux produits professionnels a doublé sa capacité et obtient des coûts comparables aux usines européennes, tandis que l’usine américaine de Solon « a spectaculairement amélioré ses performances ». Pour suivre la croissance des ventes sur les nouveaux marchés, l’outil de production s’y développe ou s’y réorganise :

• doublement de la production de l’usine de Suzhou en Chine, qui devient la première base industrielle asiatique et entraîne la fermeture du site australien

• fermeture de l’usine L’Oréal d’Afrique du Sud au profit de l’usine Carson, qui produit à la fois pour l’Afrique et l’Europe

• doublement de la capacité de l’usine polonaise pour alimenter tous les marchés d’Europe de l’Est et la Russie

• en Amérique latine, concentration de la production au Brésil et fermeture de l’usine Argentine.

L’Oréal se prépare d’autant mieux à l’avenir qu’elle est l’une des entreprises « clairvoyantes » ayant le mieux maîtrisé les méthodes et les outils de la prospective en se dotant des moyens d’ « imaginer l’inimaginable »93.

93 Jean-Claude LEWANDOWKI. « L’Oréal : « imaginer l’inimaginable ». Les Echos – Management, 15 octobre 1996, pages 37-38

63 La place de la région dans le monde et en Europe

Elle va aussi continuer à bénéficier de la croissance d’une industrie qu’elle domine en réalisant déjà quelque 10 % de ses 160 milliards de ventes actuelles94. D’immenses marchés s’ouvrent aux cosmétiques : la Chine, la Russie, la Corée, le Brésil, bientôt l’Inde.

Seul problème : c’est une industrie qui n’investit que 2-3 % de son chiffre d’affaires dans la recherche (contre 15 % pour l’industrie pharmaceutique. L’essentiel de ses dépenses - de 15 à 25 % selon les entreprises - sont absorbées par la promotion des ventes. La croissance de ces dépenses a commencé à provoquer l’érosion des marges, et à mettre les plus faibles (Revlon) en grande difficulté95.

LVMH

« Fruit d’alliances successives entre des entreprises qui, de génération en génération, ont su marier tradition d’excellence, passion créative, ouverture au monde et respect absolu de leurs clientèles, LVMH fonde son leadership sur un patrimoine unique dans son univers concurrentiel, dont le cœur est constitué de marques de luxe à la longévité et au rayonnement exceptionnel »96.

Grâce à ses marques et à leur histoire souvent longue, LVMH, bien que de création récente (1987, contre 1909 pour l’Oréal), est déjà la première entreprise mondiale des produits de luxe, avec un chiffre d’affaires de 12,690 milliards d’euros et 56.000 personnes à travers le monde, dont 63 % basés hors de France. Ce qui est logique : un tiers du chiffre d’affaires est réalisé en Europe, un autre tiers en Amérique, le troisième en Asie.

LMVH réunit une soixantaine de marques, dans cinq secteurs d’activités : vins et spiritueux, mode et maroquinerie, parfums et cosmétiques, montres et joaillerie, distribution sélective – avec 1.500 magasins à travers le monde.

La croissance de ses marques phares, qui s’est poursuivie en 2002 est le résultat d’une stratégie de concentration des investissements sur ou Parfums Christian , qui progressent en chiffre d'affaires et plus encore en rentabilité – la croissance du résultat opérationnel a été de 57 % en trois ans - et gagnent de nouvelles parts de marché. Les marques de montres et joaillerie, notamment TAG Heuer, Christian Dior, Zenith, Chaumet, développent leurs ventes à un rythme supérieur à celui de leur marché.

La politique d'innovation est l'un des facteurs qui ont fortement porté la croissance du groupe grâce au succès du lancement de la montre Tambour de Louis Vuitton, du parfum Dior Addict, de Givenchy pour Homme, ou de la montre Riva Sparkling signée Christian Dior… L’ événement architectural et commercial qu’a été l'ouverture de la " maison " de Louis Vuitton à Tokyo Omotesando est aussi une innovation, et un symbole, celui de la réussite exceptionnelle de la marque au Japon. En effet, malgré la baisse des ventes d’articles de luxe au Japon (qui devraient passer de 11,38 milliards de $ en 2001 à 10,32 milliards cette année),

94 “Pots of Promise: An Industry Driven by Sexual Instinct Will always Thrive”. Economist.com, 22 mai 2003, 6 pages . 95 Ibid. Voir aussi Claudine BAYLE (Richelieu Finance). “Les parfums” et “Les cosmétiques”. www.abc- luxe.com 96 LVMH. Rapport annuel 2002, page 14

64 La place de la région dans le monde et en Europe

LVMH a augmenté les siennes de 15 % en 2002, malgré des prix supérieurs de 40 % à ceux affichés à Paris97.

Les difficultés de la distribution sélective sont en voie de disparition, malgré la conjoncture défavorable, étaient particulièrement concernées. DFS a retrouvé son équilibre d'exploitation et a réalisé une forte croissance de son résultat opérationnel en Europe et devrait atteindre son objectif de rentabilité aux Etats-Unis en 2003.

L'innovation se poursuit en 2003. Louis Vuitton vient ainsi de lancer une ligne de sacs conçue avec l’artiste japonais Takashi Murakami. Christian Dior, Givenchy, , Kenzo préparent de nouveaux parfums et cosmétiques; les marques horlogères ont présenté des nouveautés importantes. De Beers LV a inauguré sa première boutique à Londres, avec sa première collection de sept lignes de bijoux en diamants

L’innovation est au coeur de l’entreprise : « La dynamique exceptionnelle de LVMH repose essentiellement sur la triple dimension intemporelle, globale et créative de ses marques stars » qui doivent s’inscrire « dans le flux perpétuel des tendances et des nouvelles sensibilités ». LVMH joue le rôle « d’incubateur de réussite » en soutenant la progression de chacune des entreprises de son portefeuille, les laissant libres de définir une stratégie appropriée, dans « le respect de ses racines et de son territoire » afin qu’elles restent des créateurs en osmose avec leurs univers, grâce à la qualité des dirigeants qu’il peut choisir et surtout à « l’allocation des investissements nécessaires à un développement mondial, en particulier ceux destinés à la maîtrise de leur distribution, impératif stratégique qui permet de préserver le statut de marque de luxe ».

A noter que LVMH a créé dès 1991 à l’ESSEC une chaire d’enseignement et de recherche en management des marques de luxe afin de transmettre aux étudiants les savoir-faire managériaux appliqués aux spécificités des différents métiers du luxe, et contribué ainsi à l’élaboration et à la mise en place du MBA in Luxury Brand Management en anglais.

Hermès

Hermès est une multinationale monomarque dont la réussite également d’être rappelée. Aujourd’hui elle vend dans le monde entier ses accessoires de cuir, carrés et cravates – mais aussi ses vêtements, ses bijoux, ses montres, ses parfums, ses accessoires de table et de salle de bain, avec un chiffre d’affaires de 1,242 milliards en 2002, dont 31 % grâce à la maroquinerie, 26 % dans l’habillement, 12 % dans les articles pour la maison ( « art de vivre ») et 9 % dans l’horlogerie. 44 % de ses ventes se font en Asie – dont 29 % au Japon – 38 % en Europe et 3 % dans le reste du monde.

Hermès emploie 5361 personnes (au 31/12/2002).

Ses ventes ont diminué de 6 % au début de 2003 (janvier-avril) à cause de la hausse de l’euro face au yen et au dollar et de la diminution des flux touristiques due aux difficultés économiques et à l’épidémie de SRAS en Asie, mais elles devraient néanmoins progresser par rapport à 2002 pour l’année entière. Les investissements seront également en hausse, de 60 %98.

97 « Can the High End Hold its Own ? ». www.businessweek.com, 30 6 2003 98 Reuters, 3/6/2003 19h49

65 La place de la région dans le monde et en Europe

Richemont

L’Île-de-France a aussi au moins une grande multinationale étrangère du luxe, Richemont, numéro deux mondial avec chiffre d’affaires de 3,65 milliards d’euros. En effet, Richemont possède Cartier, acquise en 1970, qui représenterait 50 % de ses profits dans les produits de luxe99.

Les difficultés actuelles de Richemont (baisse de 5 % des ventes, baisse de 46,3 % du résultat opérationnel) montrent – s’il en était besoin - l’importance décisive de la créativité. Faute d’un renouvellement assez rapide et brillant de ses produits, le dernier exercice de Cartier n’a apparemment pas été à la hauteur des attentes des dirigeants du groupe et des marchés financiers. De plus, Cartier a inauguré un nouveau siège prestigieux – mais a dû repousser de six mois l’ouverture de son magasin – phare (700 m²) des Champs-Elysées.

Quant à la relance de la créativité, elle va se faire grâce au recrutement de designers italiens et espagnols100. Ce qui peut poser le problème des écoles parisiennes, d’autant que Richemont vient d’annoncer la création d’une école de design à Milan101.

6.3 L’indispensable relance de la créativité

« Les bonnes années ont conduit à un sentiment de contentement », selon le nouveau patron de Richemont. Les problèmes ne vont pas disparaître avec une hypothétique départ d’une nouvelle croissance : en effet, « le marché du luxe devenu mature »102. Et il exige davantage d’innovation. Le succès de Louis Vitton est dû au moins en partie à ses innovations : les nouveaux produits représentent à eux seuls 15 % de ses ventes, et les renaissances de Burberry, ou de Christian Dior démontrent également l’importance de la créativité103.

L’initiative de Richemont concernant la création d’une école de design pose le problème du niveau des formations. Il y a quelques années, il était peut-être encore légitime de penser que tout allait bien, même pour les formations du secondaire104.

Une réflexion sur l’amélioration des formations offertes par l’Etat, la Ville de Paris ou le secteur privé mériterait d’être engagée, en prenant également en compte les autres facteurs de succès dans chacune des activités de création. En effet, en matière de design, le succès des industriels italiens repose certes sur la formation, introduite dans le cursus de l’école

99 „Anne-Laure ROBERT. « L’empire Richemont repris en main ». La Tribune, 5 juin 2003, pp. 28-29 Nadine BAYLE. « Richemont va réduire ses coûts et ses effectifs ». Les Echos, 6-7 juin 2003 p. 15 100 Johann RUPERT “Nous nous sommes sans doute endormis sur nos lauriers”. La Tribune, 5 juin 2003 101 Véronique LORELLE. “Les groupes du luxe rivalisent à coups d’innovations et de divas”. Le Monde, 23 juin 2003 102 Antoine COLONNA, analyste de Merrill Lynch, cité par V. LORELLE, op. cit. 103 V. LORELLE, op. cit. 104 Lors d’un débat sur les « métiers d’art et les industries de création » au Conseil de Paris, un conseiller pouvait ainsi affirmer « le lycée Nicolas Flamel qui prépare à des diplômes de bijouterie-joaillerie, le lycée Maximilien- Vox qui prépare aux carrières de l’industrie graphique et le lycée Lucas-de-Nehou qui forme des spécialistes des arts et techniques du verre bénéficient d’une réputation d’excellence. L’école Boulle pour le meuble, l’école Estienne pour les arts graphiques et l’école Duperré pour la mode et le design jouissent quant à elles d’une réputation internationale amplement justifiée ». Bulletin municipal officiel, No. 3, 29 mai 1997, page 229

66 La place de la région dans le monde et en Europe d’architecture de l’université technique de Milan dès les années 30 et perfectionnée au fil des ans, mais aussi sur un évènement – l’exposition triennale - destiné à faire connaître les créations au monde entier, sur des revues diffusant l’image des nouveaux produits en temps presque réel à tous les marchés de la planète, et aussi sur une classe d’entrepreneurs capables d’assurer la fabrication industrielle et la distribution des meubles et objets.

Aujourd’hui, c’est la Chine qui est en train de créer les conditions d’une telle réussite. D’abord à travers la formation : en ouvrant deux cents écoles à travers le pays, d’où sortent déjà huit mille diplômés par an, dont les meilleurs vont se perfectionner dans les meilleures écoles américaines ou européennes. Ensuite en profitant de l’existence d’entrepreneurs qui ont jusqu’ici fabriqué en copiant, mais qui – comme les Japonais dans les années 70 et les Coréens depuis dix ans – tentent de conquérir de nouveaux marchés et d’ajouter de la valeur à leurs produits en offrant des modèles originaux à tous les grands distributeurs (à commencer par le premier, l’Américain Home Depot) en passant du « Made in China » au « Designed in China »105.

Quelques mesures de relance de la créativité viennent à l’esprit :

• Développement de filières de formation de haut niveau (« World Class ») intégrées aux grandes écoles à vocation industrielle ou aux universités relancées dans tous les domaines de la création – habillement, cosmétiques, parfumerie, mobilier, objets industriels, automobile… • Mise en place dans ces filières d’options « création d’entreprises » afin de relancer les vocations d’entrepreneur, et de donner aux futurs chefs d’entreprise une formation permettant de réduire significativement les risques d’échecs. • Mieux assurer la diffusion des produits innovants des jeunes entreprises par l’organisation d’exposition spécialisées ou des « mini salons » thématiques dans les métropoles mondiales donnant accès à des importants ou prometteurs. • Faciliter le développement, dans certains domaines, de revues professionnelles à diffusion mondiale publiées en plusieurs langues (comme c’est déjà le cas pour les grands journaux de mode féminine). • Encourager la création de sites d’information et de vente en ligne accessibles aux clients étrangers, donc rédigés en plusieurs langues.

La créativité devra être stimulée ne serait-ce que pour que les entreprises établies puissent faire face à la concurrence du « nouveau luxe pour les masses » qui veut s’imposer sur le marché mondial106.

105 Frederik BALFOUR. “Designed in Italy ? No, in China”. www.businessweek.com, July 7, 2003 106 Michael J. SILVERSTEIN, Neil FISKE. „Luxury for the Masses“. Harvard Business Online, April 1 2003, R0304C, 10 pages

67

La place de la région dans le monde et en Europe

7. Le rayonnement culturel et ses facteurs

7.1 Le marché de la création artistique

Dans son histoire monumentale Cities in Civilization, Sir Peter Hall consacre un chapitre entier à la création artistique à Paris107, en l’attribuant d’abord à l’héritage de l’Ancien Régime – l’Etat ayant joué les mécènes depuis la décision de François I d’introduire l’art de la Renaissance en France – et ensuite au projet modernisateur du capitalisme du Second Empire.

L’Etat ne joue plus qu’imparfaitement le rôle qu’il a pu avoir dans le passé en matière de création artistique, sans avoir su pour autant mettre en place les conditions pour que cette création continue à se maintenir et à se développer - en particulier en Île-de-France - en tenant compte d’un fait essentiel : « Le seul marché qui existe et qui ait un sens, c’est le marché privé. Le marché institutionnel est un faux marché. Or, en France, il prend toute la place. Il obsède les artistes, qui préfèrent négocier avec les institutions (…) plutôt que d’aller dans les foires ou rencontrer les collectionneurs privés et des artistes étrangers qui pourraient les aider à exposer dans leurs pays 108».

En tout cas, les lieux du marché mondial de l’art ne sont plus en Île-de-France. Il y a deux ans, un rapport du Quai d’Orsay aboutissait à des conclusions sans équivoque. La France n’alimente plus guère les lieux où s’expose la création : « la présence des artistes français contemporains est non seulement très faible dans les collections permanentes des grandes institutions culturelles internationales, qui se caractérisent par ailleurs par une très forte concentration des nationalités représentées (ce phénomène bénéficiant essentiellement à deux pays, l’Allemagne et surtout les États-Unis) ou même dans leurs expositions temporaires, mais cela est d’autant plus marqué que la période considérée est récente »109. L’auteur du rapport met également en question les pouvoirs publics : « L’attitude des institutions françaises est parfois suicidaire : le soutien public va à un art qui n’a pas de marché. Il est difficile de faire comprendre ce comportement à l’étranger. Il est aussi difficile de faire admettre un art qui est jugé beaucoup trop intellectuel et qui ne donne que fort peu à voir. Vu de l’étranger, l’art français passe pour beaucoup trop bavard et prétentieux, négligeant le visuel et la forme au profit de textes philosophiques. Enfin, en France, montrer de la peinture est tenu pour absurde »110.

Aujourd’hui le marché de la création artistique paraît modeste en Île-de-France. Une étude du Ministère de la culture et de la communication (Département des études et de la prospective)111 recensait 137 galeries d’art contemporain à Paris. Plus de la moitié (74) d’entre elles avaient un chiffre d’affaires de moins d’un million de francs, et seules 28

107 Sir Peter Hall. Cities in Civilization. New York, Pantheon, 1998, chapitre 6, “The Capital of Light”, pages 238 108 Philippe DAGEN. « Anne de Villepoix, galeriste militante ». Le Monde, 29-30 septembre2002 109 Alain QUEMIN. Le rôle des pays prescripteurs dans le marché de l’art contemporain. Paris, Ministère des affaires étrangères, 2001, 170 pages. Cf. Philippe DAGEN. « Le lent effacement de l’art français sur la scène mondiale ». Le Monde, 9 juin 2001, p. 26 Alain QUEMIN. L’art contemporain international : entre les institutions et le marché ‘le rapport disparu). Paris, Éditions Jacqueline Chambon / ArtPrice, septembre 2002, 270 pages 110 interview de Alain QUEMIN, Le Monde, loc. cit. 111 « Les galeries d’art contemporain en 1999 ». Développement culturel, No. 134, octobre 2000, 8 pages

69 La place de la région dans le monde et en Europe avaient vendu pour plus de 3 millions d’œuvres. Ces galeries étaient le plus souvent de création récente, ce qui exprime la fragilité de ce type d’entreprises : en effet, la crise du début des années 90 a fait disparaître 70 % des entreprises recensées par l’Art Diary en 1988. Ces galeries vendent peu aux institutions (10 % du chiffre d’affaires, et encore moins aux entreprises (5 % des ventes). En revanche, elles exportent, malgré leur petite taille. Les ventes à l’étranger représentent 36 % du chiffre d’affaires, et même plus de 50 % pour 36 % d’entre elles (les plus grandes). En ce qui concerne le rôle des pouvoirs publics, le Ministère se fait l’écho des critiques des galeristes, qui reprochent à l’État « la mise en place d’un circuit de légitimation des artistes, parallèle au leur, à travers sa politique d’achat (…). L’art français serait dès lors perçu à l’étranger comme un art officiel, n’offrant aucune garantie quant à l’existence d’une véritable demande privée » et opposent cette situation à celles que connaissent leurs concurrents allemands ou suisses, appelés à collaborer avec les centres publics d’art contemporain « dès l’élaboration des projets ».

En fait, les « types » de créativité ne sont plus ceux de la Belle Époque parisienne et favorisent les marchés plus développés et mieux organisés112.

Le marché mondial de l’art est maintenant dominé par Londres et New York, où même les grandes entreprises françaises vendent leurs collections quand elles sont en difficulté. C’est à New York que se sont installées les grandes salles de vente de niveau mondial, ce qui explique que près de la moitié des ventes aux enchères se fassent aux États-Unis, la France n’occupant qu’une troisième place bien modeste au niveau mondial, selon les dernières données (2001/2002) :

Le ventes aux enchères par pays (%)

autres pays 13 %

Allemagne 3 %

France 7 % Etats-Unis 44 %

Gr. Bretagne 33 %

source : www.art-sales-index.com / graphique réalisé par la Direction régionale de l’équipement

Le marché de l’art est en déclin, et les ventes aux enchères, qui avaient atteint environ 2,8 milliards de $ en 1999-2000, ne se sont plus élevées qu’à 2,3 milliards en 2001-2002. De plus, les tentatives de développement du commerce de l’art par les ventes en ligne ont

112 David W. GALENSON. Painting Outside the Lines : Patterns of Creativity in Modern Art. Cambridge, MA. Harvard University Press, 2001, 251 pages, et Masterpieces and Markets: Why the Most Famous Paintings Are Not by American Artists. NBER Working Paper No. W8549, October 2001

70 La place de la région dans le monde et en Europe apparemment échoué, et le dernier grand site survivant - sothebys.com – vient de fermer113. En ce qui concerne les galeries, la crise atteint sévèrement Londres, qui vient de perdre récemment son plus grand marchand de tableaux impressionnistes, son principal galeriste d’art contemporain et a vu un marchand allemand acheter l’une de ses plus anciennes galeries (fondée en 1760), tandis que sa plus ancienne, fondée en1660, est en voie de disparition progressive. Deux des plus grandes galeries ont enregistré une baisse des deux tiers de leur chiffre d’affaires au cours des années 90. Mais Londres reste le premier centre mondial du marché de l’art, grâce à ses salles de ventes, ses experts, ses galeries114. Même si les ventes des peintures les plus recherchées se font aux enchères à New York, Londres domine les marchés des arts décoratifs : mobilier, argenterie, bijouterie, céramiques.

La place de Paris devrait mériter une stratégie de relance visant à reconquérir une partie du terrain perdu au profit de Londres et de New York.

Une telle stratégie pourrait s’appuyer sur le point fort du commerce de l’art en France, celui des biens mobiliers d’occasion115, qui fait vivre non seulement des milliers d’antiquaires mais également une bonne partie des artisans d’art, grâce aux travaux de restauration. Dans les bonnes années, quelque 70 % des ventes de biens d’occasion se font à l’exportation.

Cette stratégie pourrait également mettre encore mieux en valeur les grands pôles commerciaux parisiens de la rue du faubourg Saint-Honoré, du Village Suisse, du faubourg Saint-Germain, et plus encore du marché aux Puces de Saint-Ouen, qui reçoit quelque quatre millions de visiteurs en année « normale », avec un chiffre d’affaires de l’ordre 300 millions d’euros pour les antiquités et la brocante116.

7.2 Le développement culturel du territoire régional

L’État a continué à jouer son rôle de moteur du développement culturel de l’Île-de-France au cours du dernier quart de siècle en multipliant les grands établissements culturels : Centre Pompidou, Cité des sciences et de l’industrie, Musée d’Orsay, Grand Louvre, Cité de la musique, Opéra de la Bastille, Bibliothèque nationale de France, bientôt Musée des arts premiers

Mais sans vraiment prendre en compte l’aménagement de la région : ces grands établissements sont tous implantés dans Paris, et la Fondation Pinault sera le premier grand équipement culturel de proche banlieue. Le problème de l’animation culturelle des « banlieues », c’est-à-dire des territoires hors Paris, où vit 80 % de la population de l’Île-de- France - et où il y a deux tiers des emplois - reste entier.

113 « A Fragile Canvas ». Economist.com, 19 mai 2003 114 « Let the Bad Times Roll. Peace, Prosperity and Are Undermining London’s Art Business”. Economist.com, 24 janvier 2002 115 Yann GAILLARD. Marché de l’art : les chances de la France. Paris, Sénat, Commission des finances, Rapport d’information N. 330, 1999 116Jean-Paul LEBAS. Problèmes et perspectives du pôle commercial et touristique Saint-Ouen – Clignancourt. Rapport No. I Diagnostic et hypothèses. Paris, Partenaires Développement. Paris, Partenaires développement pour la Direction régionale de l’équipement, 21 mars 2000,58 pages

71 La place de la région dans le monde et en Europe

Les contraintes du développement culturel de l’ensemble du territoire régional ne sont pas à oublier. En effet, la construction de grands établissements culturels, le transfert ou l’agrandissement des grands établissements existants ont augmenté brutalement les coûts de fonctionnement : la Bibliothèque nationale de la rue de Richelieu avait un budget annuel de 69 millions d’euros, la Bibliothèque Nationale de France en recevait 168 l’année dernière. Le budget du Louvre est passé de 45 à 119 millions d’euros (mais 26 % des salles sont fermées au public, selon la Cour des Comptes), celui de l’Opéra de Paris a doublé en dix ans pour atteindre 91 millions. La Cour des Comptes a noté une croissance de 36 % des dépenses de personnel du Centre Pompidou. Aussi évoque-t-on dans la presse la nécessité d’un « dialogue avec le privé » par le développement des fondations et du mécénat117, les quatre grands établissements parisiens (Bibliothèque, Louvre, Opéra, Centre Pompidou) consommant 22 % des 2,6 milliards du budget du ministère118.

De plus, les chantiers parisiens se poursuivent ou s’ouvrent : musée des arts premiers, restauration du Grand Palais, création de la Cité de l’architecture au Palais de Chaillot.

Ces contraintes ne sont pas forcément éternelles. Les coûts de fonctionnement découlent des frais de personnels, qui peuvent être réduits avec les départs massifs à la retraite qui s’annoncent et avec des recherches plus systématiques de gains de productivité.

En effet, les investissements paraissent encore nécessaires pour faire face à la concurrence d’autres métropoles, et aussi pour que la culture devienne, comme à Bilbao, le facteur déterminant de « projet de ville » ambitieux, notamment dans les secteurs de redéveloppement119.

Rappelons la concurrence.

Londres s’est donné un nouveau musée, la Tate Modern, en réhabilitant une centrale électrique monumentale, a agrandi le British Museum et s’apprête à réaménager la National Gallery. De plus, à Londres la « culture » revêt maintenant un aspect global, allant des théâtres, musées et salles d’exposition à la mise en valeur de tous les patrimoines, à la production artistique contemporaine, à la télévision, au cinéma, à la photographie, l’édition, le design, la mode et au renouveau des espaces urbains120.

Les projets les plus ambitieux sont à Washington, où la Smithsonian Institution, qui est déjà – avec ses 16 musées -le plus grand complexe culturel du monde, s’apprête à investir un milliard de $ de subventions du gouvernement fédéral en bâtissant, près de l’aéroport international Dulles, une annexe géante de son musée de l’air et de l’espace, qui reçoit déjà un million de visiteurs par mois.

Washington va également doter la galerie d’art Corcoran d’une aile nouvelle (pour 150 millions de $). Le Newseum (« musée des média ») va déménager et tripler son espace avec un budget d’investissement de 400 millions de $. Tous les projets sont destinés à en faire une

117 Emmanuel DE ROUX. « Derrière la grogne des institutions, l’immobilisme du ministère ». Le Monde, 29 janvier 2002 118 « Enquête sur les mammouths de la culture ». Le Monde, 24-25 mars 2002, pp. 28-29 119 Voir également les stratégies culturelles développées dans d’autres métropoles (par exemple celle de Bilbao analysée par la DGUHC : « Bilbao : la culture comme projet de ville ». Projet urbain, No. 23, 2001) 120 Pietro VALENTINO. « La cultura riparte dai distretti ». ilsole24ore.com, 17 juin 2001

72 La place de la région dans le monde et en Europe métropole culturelle majeure au niveau mondial – et un « lieu de pèlerinage culturel » pour les citoyens américains121.

A Séoul, la culture est un élément majeur d’innovation pour le développement économique à travers:

1. la création d’un établissement public destiné à assurer un « appui systématique » aux industries du contenu122 2. le financement de « prototypes culturels », en particulier pour la télévision numérique 3. la création d’un « centre de ressources » pour les contenus culturels 4. la construction d’une « ville du multimédia numérique » en proche banlieue pour accueillir les entreprises multinationales, les grandes entreprises coréennes et les start- up pouvant tirer profit des réseaux à haut débit pour innover dans les domaines des logiciels et des contenus multimédias culturels, scientifiques, techniques et financiers123.

A Manchester, l’« industrie culturelle » a pu assurer la reconversion de l’économie après le déclin et la disparition du textile, et où des musées nouveaux à l’architecture extrêmement séduisante créent des cœurs dans les vieilles banlieues industrielles en perdition. Le succès du « Lowry » à Salford (Michael Wilford, architecte – coût 106 millions de $)a attiré à proximité l’annexe locale du Musée de la guerre, de Daniel Libeskind124 (qui vient de gagner le concours pour la reconstruction du quartier du World Trade Center à New York).

Pour assurer le développement culturel du territoire régional, un travail pionnier de l’IAURIF125 suggère la création de nouveaux pôles d’exposition et de vente en périphérie en formulant l’hypothèse de synergies entre des lieux d’exposition publics et des galeries privées.

Un nouveau pôle culturel ambitieux est en chantier à Vitry, pour accueillir la collection du Fonds départemental d’art contemporain du Val-de-Marne, voulue par l’ancien président du Conseil général. Ce pôle comprendra notamment 3 950 m² d’espaces d’exposition - dont 2 600 m² pour la collection - un auditorium de 150 places pouvant devenir une salle de cinéma d’art et d’essai, ainsi qu’un jardin public de 10 000 m², qui accueillera des expositions de sculptures en plein air.

Pour que ce projet puisse jouer le rôle d’entraînement qu’il doit avoir pour assurer le renouvellement urbain et économique d’un vaste secteur de la rive gauche de la Seine en amont de Paris, il reste à élaborer une stratégie ambitieuse de création d’un paysage de pôle urbain central, d’association et d’intégration de lieux d’accueil et réunion, de développement d’habitats relativement denses et de haute qualité

121 Elizabeth OLSON. “Washington’s Museums Are in Expansion Mode”. The New York Times, 29 mai 2003 122 www.kocca.or.kr/english/introduction et www.korea.net/kwnews (Korean Government Homepage) 123 www.dmc.seoul.kr 124 CABE (Commission for Architecture and the Built Environment) Library. The Lowry, Salford. 2002 125 Samuel BARGAS, Anne-Marie ROMERA. “Les tendances du marché de l’art en France et en Ile-de- France”. Note rapide sur l’économie, IAURIF. No. 187, mars 2002, 6 pages

73 La place de la région dans le monde et en Europe

Le pôle en voie de création sur l’Île Seguin à Boulogne peut servir de modèle. En effet, la municipalité a commencé par faire approuver un plan de référence définissant les règles à respecter par tous les opérateurs intervenant sur l’île. L’élaboration rapide du plan local d’urbanisme permettra à la fondation Pinault, qui sera l’équipement phare de l’île, de déposer son dossier de demande de permis de construire.

Afin de renforcer durablement le rayonnement intellectuel et économique de Boulogne et du Val-de-Seine, la fondation sera le premier grand équipement d’une Cité des sciences et des arts à vocation internationale comprenant à la fois des établissements d’enseignement, des laboratoires de recherche et des entreprises de haute technologie. Ce qui devrait assurer un développement en symbiose du progrès scientifique et de l’innovation industrielle. De plus, La Fondation Pinault, futur haut lieu d’animation culturelle locale mais aussi internationale par ses espaces de congrès et ses lieux d’hébergement hôtelier ou résidentiel, aura aussi une annexe commerciale pour promouvoir la diffusion de la création artistique126.

Des pôles analogues à celui de l’Île Seguin peuvent trouver place dans d’autres secteurs de renouvellement économique et urbain ou dans les villes nouvelles. L’un d’eux pourrait être constitué par le Musée de l’air et de l’espace du Bourget, dont la mise en valeur est prévue127. Actuellement, ce musée est peu accessible ? De plus, il est situé sur une plate- forme aéroportuaire réservée à l’aviation d’affaires - que le grand public ne fréquente donc pas – et avec laquelle le musée n’a pas de liens. Enfin, il est isolé par rapport au milieu urbain environnant. Afin d’atteindre un rayonnement mondial, comme l’est son homologue de Washington, et aussi jouer son rôle de levier du redéveloppement économique de ce secteur en déclin de la Plaine de France, le musée doit donc être désenclavé, devenir un élément fort d’un nouveau paysage urbain et le point focal de ses principaux espaces publics et boulevards nouveaux ou réaménagés. Il a donc été inscrit au programme d’actions de l’Établissement public d’aménagement Plaine de France, dans le cadre de l’« insertion territoriale de la plate-forme aéroportuaire » qui prévoit non seulement la rénovation du musée mais également le repositionnement économique des zones d’activités, la desserte en transports en commun, la requalification de la RN2/RN17, l’ouverture sur le parc de la Courneuve et la création du pôle tertiaire de la gare du Bourget prévue au schéma directeur. L’Établissement public est bien conscient des enjeux patrimoniaux, culturels et technologiques de ce projet, du rayonnement que pourrait avoir un musée de grande qualité, et de l’impact économique qu’aurait une participation active des entreprises de l’aéronautique et de l’espace à son développement, puis à ses activités.

Enfin, une opportunité majeure de création d’un nouveau pôle culturel se présentera à terme, quand le Centre Pompidou devra construire un second bâtiment en Île-de-France pour exposer des collections qui s’enrichissent constamment128.

126 Jean-Pierre FOURCADE. « Rééquilibrer Boulogne-Billancourt », « Val-de-Seine : prestige et rayonnement », « L’Île Seguin : un grand projet urbain », in Architecture & urbanisme : Île-de-France, l’ambitieuse, mai2003, pages 124, 122-123, 1301-131 127 Elle a fait l’objet du rapport demandé par le Premier Ministre à MM. LE MIERE, contrôleur général des Armées, et J.-F. DE CANCHY, inspecteur général des Affaires culturelles (avril 2003) 128 comme l’a indiqué M. Jean Jacques AILLAGON quand il présidait le Centre (Cf. Le Monde, 24-25 mars 2002, p. 29

74 La place de la région dans le monde et en Europe

L’étude de l’IAURIF suggère également de réaliser des résidences de créateurs du type « Villa Médicis » et « couvent des Récollets ». Il conviendrait également d’explorer les potentialités locales de création de pôles résidentiels, plus classiques et de droit privé comme ceux qui existent à Paris depuis des décennies (Cité internationale des Arts, « Montmartre aux artistes », la « Ruche », la « Cité des fleurs »). En effet, « il faut une politique pour attirer les artistes en France, comme les États-Unis y ont réussi depuis 1945 et comme Paris l’a si bien fait auparavant»129.

129 Alain QUEMIN, in Le Monde, 9 juin 2002

75

La place de la région dans le monde et en Europe

8. Le « savoir aménager », facteur de compétitivité

En présentant130. la stratégie de développement économique de la région dans le cadre d’un schéma directeur d’un nouveau type, le président de l’Agence régionale de développement, M. Bernard Attali, a insisté sur la nécessité de prendre en compte la préférence des entreprises -et notamment celles des secteurs de pointe - pour les métropoles « moyennes » - moins de trois millions d’habitants – offrant de meilleures conditions de vie et de travail.

Aussi la stratégie doit-elle avoir comme finalité le développement économique durable de la région, non seulement par le renforcement de ses atouts mais aussi en y encourageant les politiques pouvant pallier au mieux les handicaps constatés.

A cet égard, l’Île-de-France doit conserver « la capacité à conduire et à mener à terme des projets d’aménagement de grande envergure», l'organisation de sa croissance urbaine dans le cadre des schémas directeurs étant un modèle « remarquable du point de vue de l'organisation du transport, de la prospective et de la capacité de planning urbain et de développement »131.

Malgré cette réussite de l’aménagement, il reste de très gros retards à résorber, notamment en matière de transport : « la quasi-totalité des flux saturés sont est-ouest, nous ne mesurons pas à quel point le déséquilibre est-ouest continue de s'aggraver… dans les Hauts-de-Seine, depuis 20 ans, il a été créé 5 fois plus d'emplois que d'habitants nouveaux alors lorsqu’en Seine Saint-Denis, il a été créé 0,4 emplois pour un habitant nouveau » 132.

Par conséquent, si l’acquis des politiques des schémas directeurs adoptés depuis 1965 est à sauvegarder - tant en matière d’infrastructures de circulation et de transport que de construction de villes nouvelles ou de nouveaux pôles urbains - mais il faudra mieux assurer les équilibres entre les différentes parties de la région, entre le(s) centre(s) et les périphéries, entre une banlieue et l’autre.

Il convient de rappeler ici trois problèmes majeurs d’aménagement, à prendre compte pour que le développement économique de la région puisse se poursuivre dans de bonnes conditions : améliorer l’accessibilité des parties de l’Île-de-France pénalisées parla congestion du réseau routier, accroître l’offre de logements de qualité, et mettre l’économie de la région à l’abri des risques naturels.

8.1 Améliorer l’accessibilité de la région et de ses territoires

L’Île-de-France supporte bien la comparaison avec les autres grandes villes mondiales en matière d’accessibilité. L’étude parallèle des économies des régions de Londres et de Paris réalisée il y a quelques années133 a montré un net avantage de l’Île-de-France en matière de productivité régionale grâce à l’accessibilité de ses territoires. Cet avantage s’explique par une population d’actifs potentiels beaucoup plus grande pour les employeurs implantés au

130 devant la Commission de l’aménagement du territoire du Conseil régional 131 Jean-Paul BAILLY, président de la RATP, devant la Commission de l’aménagement du territoire du Conseil régional, le 9 juillet 2002 132 toujours Jean-Paul BAILLY lors de l’audition du 9 juillet dernier 133 CEBR, ŒIL, Tony TRAVERS. Two Great Cities: A Comparison of the Economies of London and Paris. Corporation of London, août 1997, 181 pages

77 La place de la région dans le monde et en Europe cœur de l’agglomération, et un nombre d’emplois potentiels également beaucoup plus grand pour les actifs habitant dans le noyau central. De plus, le nombre d’heures perdues – et donc improductives - dans les déplacements routiers paraissait bien moindre en Île-de-France grâce à sa périphérie beaucoup plus récente et donc assez bien irriguée par le réseau autoroutier.

Mais le schéma directeur de 1994 a rappelé les difficultés de circulation et l’importance des encombrements des voies rapides. Depuis, la situation n’a pas pu vraiment être améliorée.

Certes, la dernière enquête sur les transports réalisée en 1997 laisse pressentir un certain nombre de ruptures de tendances – renforcements de bassins locaux de déplacements, baisse du budget-temps consacré par les Franciliens à leurs déplacements. Mais elle laisse aussi percevoir une forte croissance des déplacements non contraints.

Surtout, l‘augmentation de la population ne s’est pas localisée là où elle paraissait souhaitable, c’est-à-dire aux 2/3 dans l’agglomération ; elle ne s’y est localisée que pour 1/3. Quant à l’emploi, il se desserre également mais dans des proportions moindres : les Hauts- de-Seine et les Yvelines ont connu une forte dynamique.

Evolution de l'emploi entre 1990 et 99 par rapport aux prévisions 1990- 2015 du schéma directeur (%)

57,56 60

43,51

40 32,77 25,83 19,68 20

-9,8 -4,41 0 - s i is - r n e e l-de- Oise in in ' s-de- Pa a ine-et Marne V l d Se e Marne Se Yvelines St.De Essonne S

-20 Haut Va

Il y a une polarisation effective autour du Val d’Europe, de Saint-Quentin-en-Yvelines et de la Défense : le centre économique de la région s’est déplacé vers l’ouest, au point que la Défense a d’ores et déjà atteint les prévisions 2015 en nombre d’emplois.

En ce qui concerne la mobilité, il y a des facteurs certains d’accroissement de la demande :

• les déplacements quotidiens augmentent. davantage à la périphérie là où les Franciliens vont habiter, et où les déplacements en voiture sont plus nombreux.

• même si l’augmentation de la circulation en véhicules-kilomètres est deux fois inférieure à celle prévue ( +1,3% par an contre +2,5%), elle se poursuit

78 La place de la région dans le monde et en Europe

• en petite couronne, les échanges s’intensifient, les phénomènes de congestion et de nuisances dues aux voitures croissent parallèlement: comme en témoignent l’augmentation de la circulation sur A86 et sur les voies urbaines

• en grande couronne, la voiture devient le mode hyper-dominant de transport et conditionne le mode de vie.

Ces facteurs agissent actuellement dans un contexte de décalage entre les prévisions du schéma directeur et les financements effectifs des infrastructures prévues, qui induit un décalage entre l’évolution de la demande de transports et celle de l’offre, essentiellement en ce qui concerne la route. Les autoroutes radiales connaissent des points de congestion particulièrement durs, à l’instar du tronc commun A4 A86, ce qui provoque d’importantes nuisances dans le tissu urbain environnant, les automobilistes tentant d’éviter les encombrements.

En ce qui concerne la compétitivité économique de l’Île-de-France, deux indicateurs d’évolution de la demande méritent une attention particulière :

1. l’évolution des déplacements professionnels 2. la croissance du trafic routier de marchandises.

En ce qui concerne le premier indicateur, il y a une croissance généralisée des déplacements professionnels, qui est substantielle là où s’est localisé le développement économique récent (Hauts-de-Seine, Yvelines, Seine-et-Marne). La diminution des déplacements dans l’Essonne reste à expliquer.

Evolution des déplacements professionnels, 1991-97

26,8 30 24,5 21,9 19 17,7 13,2 13,1 15 10,2 10,7 7,7 4,3 1,1 -3,6 0 -3,3 Paris92939477917895 -15 -8,3 -18,3 -30

internes entrants/sortants

Quant à la croissance du trafic routier de marchandises, elle a déjà créé un problème spécifique de circulation des poids lourds issus des plates-formes logistiques qui s’égrènent de A4 jusqu’à A6 ; l’absence d’A87 rend le maillage particulièrement déficient, en particulier en Seine-et-Marne. C’est un inconvénient majeur, compte tenu de la place de l’Île-de-France dans le système de transport européen, dans le grand corridor de la Grande Bretagne, des Pays-Bas, du nord de l’Allemagne et de la -Belgique vers l’Espagne et

79 La place de la région dans le monde et en Europe le Maghreb. En effet, le trafic routier de marchandises a crû de 37,6 % entre 1994 et 2002, malgré une baisse conjoncturelle forte en 1997-98 :

Evolution du transport routier de marchandises en Île-de-France

250 244

228,1 222,9 217,8

205 203 195,2

177,3 176,7

150 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2001 2001 2002

source : SES/SITRAM / graphique : DRE Île-de-France

Enfin, l’Île-de-France étant également l’une des toutes premières destinations du monde, au plan économique et touristique, les infrastructures et leur exploitation actuelles et futures devront tenir compte de ce fait majeur134.

Par conséquent, en matière d’accessibilité :

1. il est important de conserver l’avantage compétitif de l’Île-de-France vis-à-vis de Londres, son premier concurrent européen.

2. il est important d’éviter que l’Île-de-France finisse par être connue au niveau européen pour ses encombrements, comme elle l’est déjà au niveau national, ce qui ne manquerait d’avoir des conséquences sur son avenir économique et sa fréquentation touristique.

3. il est encore plus important de réduire le retard qu’a maintenant l’Île-de-France en matière d’accessibilité mais aussi de qualité de vie par rapport à des métropoles européennes « moyennes » comme Munich ou Barcelone, où les distances sont moindres, les autoroutes bien moins encombrées et donc les temps de parcours beaucoup plus réduits.

4. les investissements en matière d’infrastructures, toujours très élevés, ne pouvant augmenter indéfiniment, il conviendra de faire en sorte que le développement des pôles d’emploi n’exige pas constamment de nouveaux investissements. Ce développement pourrait être l’objet d’études obligatoires d’impacts sur la circulation, les transports, la demande de logement avant toute autorisation de projet significatif.

134 pour toutes les questions d’accessibilité, de circulation et de transport, voir le rapport Mobilité de François- Régis ORIZET

80 La place de la région dans le monde et en Europe

5. la circulation de voitures particulières et de véhicules commerciaux continuant d’augmenter régulièrement, il convient de relancer les investissements autoroutiers, seule possibilité de réduire les encombrements et les pollutions sévères de l’atmosphère qu’ils ne manquent pas d’engendrer.

8.2 Développer la production de logements de qualité

En matière de construction de logement, l’Île-de-France connaît depuis une décennie un retard sévère par rapport aux prévisions du schéma directeur.

D’où une pénurie grave et la hausse rapide des prix et des loyers.

De plus, la population se plaint d’une qualité de vie médiocre due à un habitat qui ne correspond pas à ses aspirations, et encore moins à celles des candidats éventuels à l’installation dans la région.

Enfin, les entreprises tirent la sonnette d’alarme : le coût, l’insuffisance et la qualité encore souvent médiocre de l’offre de logements risquent, en effet, de nuire très sérieusement au développement de l’Île-de-France.

Il y a donc urgence.

Or, l’offre foncière, qui seule permettra de construire les logements qui manquent, paraît nettement insuffisante, et parfois même bloquée.

8.2.1 La trop lente reconquête des espaces de renouvellement urbain

Cette reconquête paraît bien démarrer pour le renouvellement économique, notamment en Plaine Saint-Denis, mais elle ne concerne pratiquement pas la production de logements.

Le problème vient d’être posé d’une manière claire par les chercheurs interrogés par l’IAURIF135. D’abord, il s’agit d’un problème ancien qui a été largement ignoré : entre 1975 et 1990, une commune des rives de la Seine qui avait décidé de ne laisser construire que des logements sociaux en a réalisé… cinq fois moins que la commune de la rive opposée dont la production de logements sociaux était limitée à 10 % du total. De plus, sa politique exclusivement « sociale » prive la commune de ressources fiscales. Aussi, alors que la ville de Paris a construit deux nouveaux ponts sur la Seine, les communes en amont ne parviennent pas à financer de nouveaux ouvrages pour réduire leur espacement, qui est aujourd’hui de cinq kilomètres. Ce qui ne facilite pas leur accessibilité136.

135 Gérard LACOSTE et al. Les apports de la recherche urbaine. IAURIF, 2003, 5 volumes. Voir en particulier, Vol. 4, Aménagement et projet urbain : Marc SAUVEZ. « Faisabilité des opérations d’aménagement et localisation en région Île-de-France », pages 23- 24 Vincent RENARD, Bernard COLOOS. « Quels outils pour la stratégie de mise en œuvre du schéma directeur ? L’impact des marchés fonciers et immobiliers », 18 pages 136 Marc SAUVEZ, op. cit.

81 La place de la région dans le monde et en Europe

Aussi une recherche a-t-elle été entièrement consacrée aux instruments de mise en oeuvre du schéma directeur, notamment par « une politique d’offre foncière adéquate par rapport aux marchés immobiliers »137.

En effet, « l’absence de conséquences juridiques directes du schéma directeur ne permettent guère de se rapprocher des objectifs fixés, que ce soit en termes de renouvellement urbain ou de mixité sociale ». De fait, « c’est la politique des collectivités locales qui est la source première de la « pénurie foncière ». D’où la nécessité d’une planification régionale « contraignante pour les communes », pour que, comme en Allemagne138 ou aux Pays-Bas, la planification régionale autorise une programmation de la production foncière et de la récupération des friches surtout pour l’habitat.

Au préalable, il conviendrait d’identifier les niveaux de pression foncière que subissent les différents territoires de la région en élaborant une cartographie des valeurs foncières et des rendements des investissements immobiliers pour avoir une « lisibilité » satisfaisante du marché permettant de bâtir des stratégies pertinentes de mise en œuvre du schéma directeur.

Surtout, ces chercheurs soulignent que dans une situation de pénurie qui entraîne une perte significative du pouvoir de se loger dans la région, les politiques menées et les moyens qu’elles mettent en oeuvre doivent nous interpeller et nous conduire à la recherche d’une autre approche. Celle pourrait être constituée par la création d’une agence de régulation analogue à celle des télécommunications qui prendrait en compte l’impératif d’intérêt général en évaluant en permanence l’adéquation de l’offre à la demande et pourrait imposer les mesures propres à éviter la flambée des prix fonciers – et donc du logement – notamment en rétablissant le marché dans les quartiers « malades » où les interventions publiques restent nécessaires139.

8.2.2 Organiser le développement des franges

Compte tenu des blocages de la reconquête urbaine par l’habitat, la construction de logements ne peut actuellement se développer qu’aux franges de l’espace métropolitain. Par conséquent, s’il est un domaine où le schéma directeur doit être modifié, et certainement amélioré, c’est celui de l’organisation de l’offre dans des territoires d’extension urbaine.

Les réflexions sur l’aménagement des espaces périurbains140 ont permis de suggérer un transfert des possibilités d’urbanisation prévues à la lisière de l’agglomération vers des espaces plus éloignés, autour des bourgs.

Cette suggestion mérite d’être retenue et affinée. Elle peut se traduire concrètement par

137 Vincent RENARD et Bernard COLLOS, op. cit. 138 A Stuttgart, en particulier, la communauté métropolitaine (Verband Region Stuttgart / VRS) qui réunit 179 communes et 5 arrondissements (Kreise), élabore des plans à respecter par les communes, dont les plans d’urbanisme doivent être conformes au plan de la communauté. Voir Christian LEFEVRE, « La coopération entre acteurs publics dans la planification stratégique dans les métropoles européennes », in IAURIF, op. cit., n. p. Voir également Vincent RENARD, Chapitre « Planification urbaine et décision d’ouverture à l’urbanisation », in 2001 plus, No. 53, 2000, p. 11 139voir également Antoine GIVAUDAN. « Spéculation foncière et prospérité urbaine ». Etudes foncières, No. 100, nov.-déc. 2002, pp. 18-19 140 voir le rapport de Alain DASSONVILLE

82 La place de la région dans le monde et en Europe

1. la création de gros bourgs bien desservis par le train, dont les noyaux seraient des bourgs ou villages existants, bâtis autour d’une gare. Dans le cadre d’un objectif général de développement durable, cette solution offrirait aux habitants la possibilité réelle de choisir - même dans des territoires périurbains éloignés – entre les transports en commun et la voiture particulière.

2. la mise en valeur des gares des lignes ferroviaires électrifiées et en cours d’électrification, telle Paris – Provins – Troyes par la création de ces bourgs, sans investissement ferroviaire supplémentaire majeur

3. la liaison vers les gares parisiennes, mais aussi, pour les bourgs le long des lignes de l’Est – Paris-Provins, mais aussi Paris–Coulommiers – vers les nouveaux pôles majeurs d’emploi que sont Eurodisney et surtout Roissy, en empruntant l’interconnexion TGV, qui est loin d’être saturée, et à laquelle ces lignes peuvent être raccordées sans investissements démesurés

4. l’organisation des bourgs agrandis ou nouveaux selon les principes de la qualité urbaine et du développement durable : noyau central dense avec les principaux équipements et les emplois propice aux déplacements à pied, une première couronne d’habitat dense pour les personnes seules et les ménages sans enfants, une deuxième couronne de maisons de ville organisées selon les principes des villas parisiennes du dix-neuvième siècle141 ou certaines solutions innovantes des villes nouvelles142, enfin une quatrième couronne plus aérée, paysagée un peu à la manière du Vésinet143 mais avec une desserte dense de pistes cyclables144 et des transports en commun adaptés, du type « Allobus » (qui fonctionne avec succès depuis cinq ans autour de la plate-forme aéroportuaire de Roissy145).

8.3 Prévenir les inondations

La compétitivité de la région doit être protégée face aux risques naturels qui peuvent freiner brutalement ses activités. Le principal risque est celui des inondations.

Il a été pris en compte par le schéma directeur. mais en rappelant simplement les remèdes du passé que sont la réglementation relative aux zones submersibles ou inondables et les barrages de régulation. Ces remèdes restent plus que jamais nécessaires. Mais ils n’éliminent pas le risque de voir la production régionale baisser de manière significative en cas d’inondation grave, du fait de la submersion des lieux de travail, des commerces, des

141 Jean-Paul GIRARDOT, Michel ROUTIN, Bernard ROULEAU. « Paris discret ou le guide des « villas parisiennes ». Cahiers de la recherche architecturale, No. 3 spécial, 1978, 123 pages 142 Emilio TEMPIA. Ville nouvelle de Cergy-Pontoise. Concours de maison de ville à Jouy-le-Moutier. Cahiers de l’IAURIF, No. 47, octobre 1977, 96 pages 143 Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France. Le Vésinet : modèle français d’urbanisme paysager, 1858/1930. Paris, Imprimerie nationale, 1989, 144 pages 144 A Fribourg-en-Brisgau, l’aménagement de quelque 500 km de pistes cyclables a permis d’augmenter la part du vélo dans les déplacements de 18 % à 38 % entre 1976 et 1999, la part de la voiture particulière diminuant de 60 % à 37 %. Voir Anne BAUER. « Energie : Fribourg, cité modèle. Solaire et urbanisme vert à l’heure allemande ». Les Echos, 30 juin 2003, p. 51 145 Cahiers de l’IAURIF, No. 136, 2003, pages 134-135

83 La place de la région dans le monde et en Europe

équipements situés en rez-de-chaussée et plus encore du fait des impossibilités de circuler, de faire fonctionner les transports ferroviaires – dont le métro – et les réseaux de distribution d’électricité, de télécommunications et d’eau potable.

Le réassureur Münchener Rück a calculé146 que les inondations par les crues de l’Elbe, de la Vltava et du Danube de l’été 2002 ont: provoqué des pertes de 18,5 milliards de $.

Une crue des cours d’eau du bassin de la Seine analogue à celle de 1910 pourrait avoir des conséquences similaires : en effet, une diminution de 10 % du produit régional de l’Île-de-France représenterait à elle seule une perte de plus de 40 milliards d’€147. Compte tenu des dégâts constatés en Allemagne en 2002 et des pertes probables d’exploitation des entreprises, il se pourrait que les estimations actuelles du coût d’une crue analogue à celle de 1910 - de l'ordre de 10 milliards d’€ - soient nettement en dessous de la réalité possible. A Londres, le coût d’inondations que pourraient provoquer la Tamise est estimé à 30 milliards de £, soit quelque 45 milliards d’€148.

Les inondations de 2002 ont incité Münchener Rück à évaluer les risques que posent les « mégavilles » aux (ré)assureurs149. Le système de coefficients d’évaluation fait apparaître une position relativement peu favorable de l’Île-de-France, non pas seulement du fait des risques naturels réels pris en compte mais surtout du fait du montant de son énorme capital fixe, qui serait exposé aux dommages. Quant aux risques eux-mêmes, ils sont réels dans la mesure où les réassureurs évaluent les pertes maximales à partir d’une probabilité millénaire d’évènements catastrophiques.

Les risques naturels sont également pris en compte dans l’évaluation des métropoles mondiales que font les sociétés de conseils (telle Mercer Human Resources) pour les entreprises qui doivent choisir un site d’implantation.

Des projets de protection en amont par des barrages mobiles - comme ceux mis en place à Londres et en Zélande, et bientôt à Venise150 - pourraient être pleinement justifiés.

La nécessité d’assurer le développement durable de la région exige l’adoption de mesures efficace de prévention pour la protéger des effets les plus coûteux des catastrophes naturelles.

Ce qui suppose une analyse technique débouchant sur un optimum protégeant l’avenir, comme l’a rappelé le rapport du groupe de réflexion sur les risques.

Cette analyse technique approfondie reste à faire. Il convient d’en envisager le contenu dans ses grandes lignes afin d’en préparer et d’en accélérer la réalisation.

146 Münchener Rück. Topics 2002. Annual Review : Natural Catastrophes 2002, p.2 147 Le produit régional brut était de 430,183 milliards d’€ en 2002 148 “The Penalties of Ignoring the Risks. The Environment Agency / Thames Region, 23/1/2003 149 « A Natural Hazard Index for Megacities », op. cit., pp. 33-39 150 Certains pays voisins ont fait mieux à cet égard, avec les barrages mobiles qui protègent Londres ou la Zélande – et bientôt Venise – des risques d’inondations.

84 La place de la région dans le monde et en Europe

En matière de protection contre les inondations, il y a eu innovation majeure – la construction de barrages mobiles – qui paraît beaucoup plus efficace et facile à mettre œuvre que les interdictions de bâtir dans les territoires inondables.

Cette innovation a été introduite aux Pays Bas par le « plan Delta » dont l’objectif était d’éviter la répétition des inondations catastrophiques du 31 janvier 1953, qui avaient fait 1835 morts en Zélande. La solution des barrages mobiles parut la plus logique et la plus efficace, dans la mesure où elle permettait d’éviter des travaux monumentaux de reconstruction et de surélévation des digues de protection des îles du delta.

A Londres, le barrage mobile de la Tamise protège 125 km², quelque 400.000 logements et locaux d’entreprises représentant quelque 80 milliards de £ de capital fixe. Mis en service en 1982, il a été utilisé 86 fois entre 1983 et 2003 pour protéger les quartiers bas de la ville, dont 14 fois au cours de la première quinzaine de janvier de 2003. Le maire de Londres, Ken Livingstone, estime que sa ville a de la chance d’être protégée par l’un des meilleurs systèmes de défense du monde.

Venise sera un jour prochain le troisième site protégé par des barrages mobiles, posés en l’espèce dans les quatre passes d’entrée de sa lagune afin de protéger la ville de marées catastrophiques analogues à celle qui l’a dévastée le 9 novembre 1966. Le gouvernement italien actuel a enfin pu prendre la décision de construire ces barrages, prévus pour des marées maximales de 2 mètres151.

En ce qui concerne la protection de Paris et de son agglomération des crues de la Seine, l’une des hypothèses à étudier pourrait être la construction d’un barrage mobile sur un site en amont de Montereau, à l’entrée de la plaine de la Bassée, où il devrait être possible de stocker pour quelques jours à peu près un milliards de m² cubes d’eau152. Il s’agit d’une plaine vouée en bonne partie à l’exploitation des sables et graviers, qui se transforme donc progressivement en un milieu naturel de plans d’eau et de forêts alluviales. Ce milieu ne subirait pas de dommages du fait d’une inondation de courte durée. La présence d’un bourg, de villages et de hameaux doit évidemment être prise en compte, et leur protection assurée.

D’autres hypothèses de solutions peuvent et doivent être envisagées et étudiées, à condition qu’elles puissent effectivement assurer, par leur mise en œuvre, la protection contre la catastrophe économique et financière d’une crue millénaire.

151 « Prima pietra per il MOSE – Venezia 14 maggio 2003 ». www.governo.it Voir également le site http://www.salve.it/it/soluzioni/acque/f_mose.htm 152 En situant la crête du barrage à peu près à la cote de niveau 62

85

La place de la région dans le monde et en Europe

9. Les propositions

La stratégie de développement économique de la région dans le cadre d’un schéma directeur d’un nouveau type présentée153 par le président de l’Agence régionale de développement, M. Bernard Attali, part du constat de l’affaiblissement de l’Île-de-France, de la spirale de déclin dans laquelle sont plongés certains territoires de la région et de la crise frappant certains des secteurs les plus dynamiques telles la finance et les nouvelles technologies de la communication, de l’absence d’une image économique forte de la région dans les médias internationaux, de la vulnérabilité de certains secteurs industriels et d’une offre insuffisamment compétitive pour attirer les quartiers généraux des entreprises ou les activités financières.

Elle prend également en compte la préférence des entreprises notamment celles des secteurs de pointe, pour les métropoles « moyennes » - moins de trois millions d’habitants – offrant de meilleures conditions de vie et de travail, qui risque de faire s’étioler le potentiel régional de cadres et chercheurs de haut niveau.

La stratégie doit avoir comme finalité le développement économique durable de la région., en en renforçant les atouts et en y encourageant les politiques pouvant pallier au mieux les handicaps constatés.

La première priorité est donnée au développement de l’offre de formations de haut niveau et au soutien de la recherche, qui pourront avoir un « un impact considérable » pour le développement économique de l’Île-de-France.

La stratégie doit également « rendre plus lisible le territoire francilien et son évolution à long terme » en affichant « une vision, une ambition sur un nombre volontairement restreint de secteurs d’avenir » dont l’Agence aura à assurer la promotion.

Il conviendra également de conserver la capacité à conduire et à mener à terme des projets d’aménagement de grande envergure.

Pour le développement des différents territoires de la région, la stratégie doit créer les conditions d’une « forte et durable coordination des interventions économiques » qui aurait notamment le mérite d’envoyer des signaux tout à fait essentiels aux futurs investisseurs, et permettrait à l’Agence régionale de développement de leur proposer toute une gamme de « produits territoriaux » à promouvoir.

Les propositions se situer dans le cadre de la stratégie de l’Agence régionale de développement, qui est l’acteur public chargé du développement de l’économie régionale.

Cette stratégie est un complément du schéma directeur plutôt qu’une alternative. Le besoin d’un cadre « urbanistique » ne disparaît paraît : le développement doit s’inscrire dans le territoire régional, qu’il faut continuer à aménager.

Les propositions doivent donc suggérer les manières d’insérer les différents éléments de la stratégie de développement dans le territoire régional :

153 Devant la Commission de l’aménagement du territoire du Conseil régional

87 La place de la région dans le monde et en Europe

9.1 Relancer l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation

Ce développement est la priorité numéro un. Il peut s’inscrire dans les pôles du schéma directeur : centres d’excellence européenne, secteurs de renouvellement urbain, pôles universitaire et de recherche des villes nouvelles.

Il devrait à moyen terme permettre de constituer des pôles majeurs de recherche et d’innovation ayant une « visibilité » mondiale, et regroupant - sur des sites de première ou grande couronne suffisamment étendus - des troisièmes cycles scientifiques et technologiques, des grandes écoles, des centres de recherche industriels et des entreprises innovantes exploitant les résultats des laboratoires.

Ces pôles devraient également avoir des filières de formation de haut niveau pour les cadres d’entreprises multinationales, les industries de création ou les entreprises de la place financière de Paris.

9.2 Assurer le développement équilibré des différents territoires de la région

Les déséquilibres persistent et tendent à s’aggraver entre les territoires dont le développement se poursuit et ceux qui ne parviennent pas à échapper au déclin.

Les choix d’implantation n’ont pas suffisamment pris en compte les problèmes d’accessibilité, de transport, de logement.

Toutefois, ces constats ne posent pas tant le problème du cadre de l’aménagement régional qu’est le schéma directeur que celui de l’adéquation des moyens de sa mise en œuvre, qui paraissent à repenser, à rendre sensiblement plus efficaces.

Pour éviter les déséquilibres, la vérification des impacts des implantations d’établissements paraît s’imposer en matière de circulation, de transport, de logement.

Les investissements doivent être relancés pour l’amélioration du réseau routier dont les problèmes de congestion sont évidents.

Ils doivent être également relancés pour le logement, tant locatif qu’en accession, en repensant l’offre foncière périphérique, et en assurant l’arrivée sur le marché de l’offre des secteurs de renouvellement économique et urbain.

88 La place de la région dans le monde et en Europe

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