Pouvoirs dans la Caraïbe Revue du CRPLC

11 | 1999 Cuba

Justin Daniel (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/plc/422 DOI : 10.4000/plc.422 ISSN : 2117-5209

Éditeur L’Harmattan

Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 1999 ISSN : 1279-8657

Référence électronique Justin Daniel (dir.), Pouvoirs dans la Caraïbe, 11 | 1999, « Cuba » [En ligne], mis en ligne le 30 octobre 2010, consulté le 06 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/plc/422 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/plc.422

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© Pouvoirs dans la Caraïbe 1

SOMMAIRE

Editorial Philippe Alain Blérald

Cuba Dossier thématique

Perfectionamiento et démocratisation : regard sur la constitution cubaine après la réforme de 1992 Emmanuel Jos

Cuba : mutations sociales et défis politiques Janette Habel

Cuban communities in the United States: migration waves, settlement patterns and socioeconomic diversity Jorge Duany

A propos de l’illicéité internationale de la loi Helms-Burton Xavier Laureote

Regards croisés sur la Caraïbe Dossier thématique

Recovering democracy: problems and solutions to the quagmire Ralph R. Premdas

L’immigration haïtienne au Venezuela : identité et intégration Alain Charier

Participative democracy or party/race consolidation Bishnu Ragoonath

Un discours de fragmentation : du versuiling à l’apartheid, Pays-Bas et Afrique du Sud, aller et retour Fernando Rosa Ribeiro

Forum

Réflexions sur un nouveau statut de la Guyane Thierry Michalon

Déchets techniques et réglementation Jean-Louis Millo

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Notes de lecture

Franck DURAND, Les collectivités territoriales et l’Europe : la place des autorités locales et régionales dans la construction européenne. Marc Janus

Christine CHIVALLON, Espace et identité à la Martinique : paysannerie des mornes et reconquête collective 1840-1960 Christian de Vassoigne

Béatrice BOISSARD, L’applicabilité des dispositions du GATT/OMC dans les départements français d’outre-mer, partie du territoire communautaire Jean-Michel Ragald

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Editorial

Philippe Alain Blérald

1 Quelque trente ans après le renversement du dictateur Fulgencio Batista, la Révolution cubaine a considérablement perdu de sa puissance d’attraction. Espérance déçue pour certains, trahie pour les autres, elle a cessé, à Cuba comme ailleurs, d’incarner l’utopie libératrice des pères fondateurs dans la lignée de José Martí ou d’Ernesto Che Guevara. Subsistent alors des interrogations sur la nature des institutions mises en place sous la double emprise du castrisme et de la bureaucratie, le mode d’exercice et la légitimité d’une autorité politique dont on annonce périodiquement la chute prochaine. Il faut dire que le régime cubain doit faire face, depuis une dizaine d’années, à de graves problèmes sur le plan économique. Dans un contexte de transition, semble-t-il, différée, il éprouve les pires difficultés à maintenir la balance entre la défense des « acquis révolutionnaires » et la nécessaire adaptation de sa stratégie à la suite de l’effondrement de ses alliés communistes d’Europe de l’Est.

2 La présente livraison de Pouvoirs dans la Caraïbe réunit les contributions de quelques uns des meilleurs spécialistes de Cuba. Loin de toute approche en forme de bilan et de toute prétention à l’exhaustivité, elle entend répondre aux interrogations du moment et tente d’éclairer des pans entiers de la réalité cubaine restés jusqu’alors dans l’ombre.

3 Dans un article remarquablement documenté, Emmanuel Jos remonte aux fondements idéologiques de la Constitution cubaine et révèle à quel point la réforme de 1992 a permis de la débarrasser de quelques scories tout en perpétuant la concentration du pouvoir. Cette fermeture politique s’accompagne d’une timide évolution sur le plan économique dont les conséquences sociales sont loin d’être maîtrisées, comme le montre Janet Habel.

4 On peut se demander si les flux migratoires entre Cuba et les Etats-Unis d’Amérique ne sont pas utilisés comme instruments d’aiguisement, parfois de dénouement, de crises initialement politiques, puis d’ordre économique, et ce tant du côté des autorités cubaines que du Département d’Etat. Ainsi que le suggère la riche contribution de Jorge Duany, la révolution cubaine se situe dans une dynamique géopolitique. L’auteur bouscule, par ailleurs, nombre d’idées reçues et conteste notamment la vision d’une communauté cubaine parfaitement homogène implantée aux Etats-Unis.

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5 Le problème des tensions entre Cuba est les Etats-Unis est également abordé, dans une perspective différente, par Xavier Lauréote qui s’interroge sur l’illicéité internationale de la loi Helms-Burton.

6 Le dossier sur Cuba est complété par des « regards croisés sur la Caraïbe » où des thèmes décisifs pour la région, tels que la construction démocratique à l’épreuve des conflits ethniques et communautaires (Ralph Premdas, Bishnu Ragoonath), la formation des identités dans l’immigration haïtienne au Venezuela (Alain Charier) sont traités, sans oublier l’article original proposé par Fernando Ribeiro et qui concerne indirectement la région.

7 Enfin, Pouvoirs dans la Caraïbe ouvre sa rubrique « Forum » à Thierry Michalon qui propose une intéressante réflexion sur la question statutaire en Guyane française et à Jean-Louis Millo, Directeur de la DIREN, qui fait le point sur la question des déchets à la Martinique.

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Cuba Dossier thématique

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Perfectionamiento et démocratisation : regard sur la constitution cubaine après la réforme de 1992

Emmanuel Jos

1 Parmi les nombreux écrits consacrés à Cuba, notamment en langue française, il en est très peu qui portent sur les aspects constitutionnels de son régime politique, notamment depuis la révision de 1992. La science économique et la science politique l’emportent largement sur le droit dans les rayons consacrés à Cuba. Pourtant, l’étude de la constitution cubaine offre diverses opportunités. Elle permet d’abord de s’interroger sur la signification de la constitution dans un régime comme celui-là. Elle permet ensuite de mieux appréhender les principes idéologiques et juridiques qui sont mis en avant par les dirigeants du pays et d’apprécier leur degré de spécificité. Elle permet enfin de formuler une hypothèse quant à la dynamique dans laquelle s’inscrit actuellement le régime cubain: transition démocratique ou réaffirmation et approfondissement de la ligne révolutionnaire empruntée depuis 1959?

2 La constitution actuelle de Cuba date de 1976. Elle a été révisée en 1992. Depuis la fin de la dépendance espagnole en 1898, ce pays a connu une succession de régimes politiques et de constitutions qui reflètent une vie politique troublée. Les aspirations à la liberté politique ont été contrariées à maintes reprises par la mise en place de pouvoirs autoritaires, souvent dépendants des Etats Unis d’Amérique.

3 Le cycle constitutionnel de l’Etat cubain commence avec la constitution de 19011. Bâtie sur le modèle américain, elle est appliquée, tant bien que mal, en dépit de la fraude et de la corruption, jusqu’en 1928, date à laquelle elle subit une réforme permettant la prorogation du mandat de président du général Gérardo Machado, qui ne tarde pas à instituer une dictature rigoureuse. La chute de Machado, le 12 août 1933, inaugure une période troublée et instable caractérisée par une succession d’actes constitutionnels émanant des détenteurs successifs du pouvoir.

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4 Au bénéfice des troubles de l’année 1933, Fulgencio Batista amorce son irrésistible ascension. Il devient chef de l’armée et installe à la présidence le colonel Carlos Mendietta. La constitution de 1901 est abrogée et remplacée par une constitution provisoire le 3 février 1934. Un nouveau texte provisoire est adopté le 11 juin 1935.

5 Pour faire droit aux aspirations démocratiques de plus en plus fortement exprimées, le 15 novembre 1939, est élue une assemblée constituante. Elle élabore un texte de 286 articles, emprunts de nombreux principes de la démocratie libérale: reconnaissance de droits individuels civils et politiques, mais aussi économiques et sociaux; contrôle de la constitutionnalité; recours au référendum; non continuisme (le Président est élu pour quatre ans et non rééligible avant huit ans); séparation des pouvoirs, exécutif bicéphale, bicamérisme, responsabilité ministérielle partielle devant les chambres, sans droit de dissolution. Promulguée le 5 juillet 1940, publiée au journal officiel le 8 juillet, elle entre en vigueur le 10 octobre. Constitution mixte (présidentielle, matinée de parlementarisme) « généreuse et audacieuse », selon M. Nicolas Graizeau2, consacrant le nationalisme, le droit social, et l’équilibre des pouvoirs, elle se révèle en « pratique inopérante »3 et devient davantage le symbole de l’idéal démocratique qu’un véritable instrument de gouvernement4.

6 La période 1940-1952 voit la prééminence du parti authentique de Grau San Martin. Batista interrompt le processus légal en prenant le pouvoir le 10 mars 1952. Sa dictature est renversée par la révolution des « barbudos », conduite par Fidel Castro et Ernesto Guevara, dit le Che, dans la nuit du 31 décembre 1958.

7 L’un des objectifs de la révolution est de rétablir l’ordre constitutionnel reposant sur la constitution symbole de 1940. Ce ne sera pas tout à fait le cas. La loi fondamentale de la République de Cuba promulguée le 7 février 1959, censée reprendre les dispositions de 1940, apporte en réalité de très profondes modifications, notamment dans le domaine des libertés: suspension du caractère inamovible du pouvoir judiciaire, abandon du principe de non-rétroactivité du droit pénal, suppression de toutes les charges électives, extension de la peine de mort aux délits politiques, suspension des garanties des droits individuels5. L’organe principal de l’Etat devient le Conseil des ministres. Il dispose du pouvoir législatif et même constituant. C’est lui qui désigne le Président de la République. Le pouvoir politique se trouve désormais concentré entre les mains des chefs de la révolution, et singulièrement de Fidel Castro. Celui-ci, jusque là ministre de la défense, devient Premier ministre par le décret du 16 février 1959. La présidence devenue formelle (elle ne conserve guère que son droit de veto suspensif) est exercée d’abord par Manuel Urrutia, et après sa démission, pour cause de divergence sur la radicalisation du processus révolutionnaire, par Osvaldo Dorticos Torrado.

8 Aidée en cela par les discours et les comportements de plus en plus hostiles du puissant voisin américain, la révolution « vert olive », fortement nationaliste, bascule dans le camp communiste en 1961.

9 Jusqu’au début des années 70, la construction du socialisme concerne principalement l’économie et l’organisation sociale. Dans le domaine économique, c’est notamment la réforme agraire, la réorganisation du système bancaire, la planification centrale, la réorientation du commerce extérieur. Dans le domaine social, c’est la mise en place des organisations de masse et du parti de la révolution. Au nombre des organisations de masse on note en particulier la Fédération des femmes cubaines, l’Union des pionniers, l’Association nationale des petits agriculteurs.

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10 Le Parti Uni de la Révolution socialiste naît en février 1963, sous le leadership de Fidel et de Raul Castro.

11 Le Parti Communiste Cubain (PCC) est créé en octobre 1965. Son Comité central comprend initialement 100 membres. Le Secrétariat en compte 9, et le Bureau Politique 8. Fidel Castro et son frère Raul contrôlent le pouvoir à tous les échelons. Ils sont respectivement premier et deuxième secrétaires.

12 Le 25 novembre 1972 l’organisation politique est modifiée. Un Comité exécutif du Conseil des ministres de 9 membres, avec à sa tête Fidel Castro, est crée. Chaque membre du Comité dirige un département ministériel. Cette rationalisation permet plus d’efficacité dans la gestion de l’Etat et introduit un élément de collégialité, qui n’enlève rien en pratique à l’autorité personnelle du « lider maximo ».

13 En 1974 est lancée dans la province de Matanzas une expérience de décentralisation qui servira de base pour l’institutionnalisation de la Révolution. La même année un projet de constitution est mis en chantier sur la base des orientations définies par le Bureau politique et le Comité exécutif du Conseil des ministres. L’année suivante se tient le premier congrès du PCC et le projet de constitution est soumis au Premier ministre. Le texte est publié le 11 avril 1975. Il est discuté par les syndicats et les principales organisations de masse. Il est soumis à l’avis du Congrès, puis au référendum le 15 février 1976. Il est approuvé par 97,7% des votants. La Constitution est promulguée le 24 février 1976. Elle entre en application tout de suite.

14 Les sources intellectuelles de cette constitution résident dans le nationalisme et surtout dans la doctrine marxiste-léniniste. Celle-ci est caractérisée notamment par la critique des libertés formelles, consacrées par les régimes de démocratie libérale, et par le rejet du principe de la séparation des pouvoirs auquel est préféré celui de la concentration du pouvoir entre les mains du prolétariat. La constitution stalinienne de 1936 sert de modèle aux constituants cubains de 19766. Ce choix traduit clairement le positionnement idéologique de Cuba, la détermination d’une « règle du jeu » théorique (compte tenu de la forte personnalisation du pouvoir, reconnue unanimement, à travers Fidel Castro) pour la vie politique du pays, mais il a aussi, et peut être surtout, une signification internationale. Comme le note M. Jean-Louis Seurin « le modèle stalinien de 1936… sera systématiquement repris par les gouvernements révolutionnaires qui se montraient soucieux de rompre leur isolement international »7.

15 Pendant dix ans (1976-1986) le régime ne connaît pas de changements notables. L’adoption d’une nouvelle constitution en URSS en 1977 n’entraîne pas d’adaptation mimétique à Cuba.

16 A partir du milieu des années 80, Cuba va de crises en crises et au début des années 90, beaucoup d’écrits pronostiquent la fin de Fidel Castro et de la Révolution cubaine8. D’ajustements économiques en ajustements politiques et institutionnels, le régime réussit à se pérenniser, mais demeure fragile.

17 Une accumulation de facteurs adverses génère, en effet, des crises successives auxquelles le régime doit faire face en amorçant un certain nombre de réformes, plus ou moins profondes9. La perestroïka et la glasnost, initiées par Gorbachev en Union soviétique, les contre-performances dues à la bureaucratisation, les comportements de corruption, l’accumulation de difficultés économiques générées par le blocus américain et un contexte économique international défavorable, l’exode des balseros, conduisent les dirigeants à rechercher la voie d’une nouvelle impulsion. Il ne sera toutefois

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question ni de restructuration ni de transparence, à l’instar du grand frère soviétique, mais de « rectification des erreurs et des tendances négatives »10.

18 Dans le domaine politique, il s’agit moins de changer d’orientation que de se remettre dans l’axe de la révolution.

19 Dans le domaine économique, il ne s’agit pas tout à fait de la mise en place d’un programme d’ajustement structurel selon les recettes du FMI et de la Banque Mondiale, compte tenu de l’inspiration néo-libérale de ceux-ci, mais il s’agit bien d’un programme de redressement fondé sur l’austérité. En 1986 la dette de Cuba vis à vis des pays de l’Ouest s’élève à 6 milliards de dollars et le pays a du la renégocier avec le Club de Paris.

20 Dans le domaine social, la réaffirmation des valeurs morales traditionnelles constitue une priorité.

21 Mais l’appareil dirigeant est bientôt lui-même sujet à une crise majeure. Le 12 juin 1989 le général Ochoa est arrêté pour corruption et malversation ainsi que d’autres officiers. Il est accusé d’avoir des liens avec des narcotrafiquants internationaux. Le 7 juillet il est condamné à mort par un tribunal militaire spécial ainsi que Antonio de la Guardia, Amado Padron et Jorge Martinez. La sentence est confirmée par le Conseil d’Etat, sous la présidence de Fidel Castro. L’exécution est annoncée par Granma le 13 juillet11.

22 Au début des années 90, l’implosion du bloc de l’Est, auquel Cuba était arrimé par des liens divers (accords commerciaux12, CAEM13 etc.) qui entraîne la perte dune série d’avantages économiques et stratégiques, le durcissement de l’attitude des Etats Unis à travers notamment la loi Torricelli (renforcée quelques années après par la loi Helms- Burton), les conséquences économiques désastreuses des intempéries, conduisent Fidel Castro et les dirigeants cubains à instaurer une période dite « spéciale » en temps de paix. Par analogie avec les périodes spéciales en temps de guerre, il s’agit de sauver la patrie en danger. Ceci passe par la mobilisation populaire pour faire face à la crise14. Des citadins sont envoyés aux champs pour renforcer la main d’œuvre agricole, les transports sont réduits, l’électricité est rationnée, l’usage de la bicyclette s’intensifie, le cheval prend parfois le relais du tracteur. Des changements apparaissent dans les orientations économiques du pays (introduction du dollar, accent mis sur le développement du tourisme, ouverture partielle au capital étranger).

23 Dans le domaine institutionnel, un certain nombre de modifications constitutionnelles, relayées par une nouvelle loi électorale, sont décidées au cours du quatrième Congrès du Parti. Des discutions sont organisées sur la réforme de la constitution, en 1991. Les modifications sont approuvées par l’Assemblée nationale du pouvoir populaire au cours de la onzième session ordinaire de la troisième législature qui se tient les 10, 11 et 12 juillet 199215.

24 Comment appréhender cette réforme institutionnelle? Traduit-elle un changement d’orientation idéologique? Amorce-t-elle une transition démocratique ou confirme-t- elle la ligne révolutionnaire des dirigeants cubains qui entendent promouvoir un autre type de démocratie, différent de celui qui prévaut dans la plupart des grandes puissances occidentales?

25 L’exégèse du nouveau texte constitutionnel de Cuba, et l’examen de la pratique, notamment en matière de droits de l’homme et d’élections, nous poussent à penser qu’il n’y a pas à Cuba de transition vers le modèle de la démocratie représentative, mais volonté de perfectionnement (perfectionamiento) du régime révolutionnaire ébauché en 1959. Ce parti pris d’organisation particulière du pouvoir s’inscrit délibérément dans

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une orientation idéologique déclarée, clairement explicitée dans le texte même de la constitution. La réforme de 1992 n’apporte pas sur ces différents points des changements radicaux. Elle reflète la volonté des dirigeants cubains de sauver leur système en l’actualisant. La question de fond demeure donc celle de l’appréciation de la démocratisation du régime cubain.

I - Une idéologie révolutionnaire déclarée : le « martisme-léninisme »

26 Deux idéologies imprègnent fortement, et explicitement, la constitution cubaine : le marxisme-léninisme et le martisme. La première est prépondérante dans le texte de 1976 et le reste après la révision de 1992, mais plus que jamais le culte voué à José Marti apparaît essentiel à côté de la référence à Marx, Engels et Lénine. La formule de M. Olivier Duhamel se justifie aujourd’hui plus encore qu’hier, c’est bien de « martisme- léninisme » qu’il s’agit à Cuba sous Fidel Castro16. Quelle relation y a-t-il entre ces deux doctrines? Le lien est celui de la Révolution. Les dirigeants cubains, Fidel Castro le premier, s’estiment les héritiers de ceux qui ont lutté pour l’indépendance de Cuba et se veulent communistes parce que révolutionnaires.

A - La fidélité réaffirmée au socialisme marxiste-léniniste

27 L’article premier de la constitution affirme sans ambiguïté que « Cuba est un Etat socialiste ». Il l’est clairement à travers les principes qui régissent sa vie politique, économique et sociale; il l’est dans la façon de reconnaître et d’organiser le régime des libertés publiques; il l’est dans les orientations essentielles de ses relations internationales. L’abandon du socialisme dans l’Europe de l’Est n’a pas conduit à une suppression de la référence mais à une sorte de dépoussiérage des formulations, traduisant une renonciation à des concepts devenus archaïques. La réforme constitutionnelle de 1992 n’apporte donc que des modifications secondaires au système, mais dans la mesure où les nouvelles formulations prennent de la distance avec la rédaction inspirée par la constitution soviétique de 1936, on peut y voir, toutes proportions gardées, une manière tardive de déstalinisation.

1 - Dépoussiérage partiel de la conception de l’Etat

28 La réaffirmation du caractère socialiste de l’Etat s’accompagne de l’abandon des formules qui tendaient à en faire un Etat de classe. En effet, là où la version initiale de l’article premier précisait qu’il était l’Etat « des ouvriers et des paysans, unis aux autres travailleurs manuels et intellectuels », la version révisée se contente de dire qu’il est l’Etat « de travailleurs », et ajoute « organisé avec tous pour le bien de tous », formule empruntée à José Marti17. L’abandon de la conception de classe apparaît plus nettement encore avec la suppression pure et simple du deuxième paragraphe de l’ancien article 4 qui disait: « le pouvoir du peuple travailleur repose sur l’alliance inébranlable de la classe ouvrière, des paysans et des autres couches laborieuses de la ville et de la campagne, sous la direction de la classe ouvrière ».

29 L’article 3 nouveau (rédaction 1992) renoue avec le vocabulaire constitutionnel classique. Il n’est plus dit que « tout le pouvoir appartient au peuple travailleur » mais que

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« la souveraineté réside dans le peuple ». La nouvelle formulation se rapproche des formulations classiques que l’on trouve dans la plupart des constitutions occidentales. Faut-il y voir un signe en leur direction, destiné à rendre le régime plus acceptable à leurs yeux?

30 Le Parti Communiste Cubain, parti unique, demeure l’avant-garde et la force dirigeante de la société et de l’Etat18. Il ne gère pas l’Etat. Ce n’est pas un parti de masse19. Ses membres sont recrutés selon une sélection stricte. C’est lui « qui organise et oriente les efforts communs vers les objectifs élevés de la construction du socialisme et l’avancé vers la société communiste ». Toutefois, il n’est plus présenté, depuis la révision de 1992, comme l’avant-garde de la classe ouvrière20, mais comme l’avant-garde de la nation cubaine, comme souligné supra. Là aussi est abandonnée la perspective de classe, devenue trop archaïque.

31 L’article 6 est, quant à lui, partiellement réécrit afin de gommer l’impression d’embrigadement de la jeunesse par le parti. L’accent est mis désormais sur la formation des jeunes à prendre des responsabilités pour le plus grand bien de la société cubaine.

32 D’après le texte constitutionnel, l’Etat socialiste cubain continue de reconnaître et d’encourager les organisations de masse et sociales qui ont émergé des luttes passées et qui continuent à jouer un rôle important dans la construction et la défense de la société socialiste.

33 Pour ce qui a trait aux relations internationales, l’article 11 de la constitution affirmait le rattachement de Cuba « à la communauté socialiste mondiale », autrement dit au bloc communiste. Consécutivement à la chute du communisme dans les pays de l’Est, cet énoncé a été purement et simplement supprimé. Pour la même raison, Cuba ne fait plus sien le principe de « l’internationalisme prolétarien », l’accent est mis désormais sur l’anti- impérialisme et l’internationalisme tout court21.

2 - Libéralisation économique à dose homéopathique

34 Pour ce qui est du système économique, après la réforme de 1992, on observe quelques modifications liées à l’évolution du contexte.

35 La constitution prend à son compte la perspective du développement durable et souligne le devoir de l’Etat et des citoyens de protéger l’environnement et les ressources naturelles du pays22. Le commerce extérieur n’est plus « assumé exclusivement par l’Etat »23. Celui-ci se contente désormais de le diriger et de le contrôler24.

36 Et surtout, l’article 23 reconnaît désormais la possibilité de propriété privée au sein des « entreprises mixtes »et « des sociétés et associations économiques qui se constituent conformément à la loi ». Une ouverture très nette est faite ainsi en direction des entreprises étrangères désirant investir à Cuba. Cette orientation est confirmée par la loi du 5 septembre 1995 sur les investissements, adoptée par l’Assemblée Nationale du Pouvoir Populaire, après de très nombreux débats. L’ouverture du pays au capital étranger reste, néanmoins, subordonnée à un certain nombre de principes: non atteinte à la souveraineté de l’Etat cubain; non-exploitation des travailleurs cubains; préservation des ressources naturelles de l’île; exclusion des secteurs de la santé, de l’éducation, et de la défense; socialisation des profits individuels25.

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37 Mais en dépit de ces modifications, le principe de base du régime cubain reste celui de la propriété socialiste de tout le peuple sur les moyens fondamentaux de production26, et la planification centrale demeure27.

3 - Relativité des droits civils et politiques et « précarisation » des droits économiques, sociaux et culturels

38 Dans le domaine des libertés publiques, l’accent est mis par le régime cubain sur les droits économiques et sociaux. Les droits civils et politiques ne sont pas ignorés. Ces derniers sont, toutefois, consacrés de façon relative et les premiers, après avoir représenté la vitrine de la Révolution, connaissent une certaine « précarisation », du fait de la conjoncture économique de plus en plus défavorable.

39 Sont théoriquement reconnus par la constitution cubaine la plupart des grandes libertés classiques telles que la liberté de parole, de la presse, de réunion, d’association, et de manifestation. Ces droits restent toutefois subordonnés aux exigences du socialisme. S’agissant de la liberté de la presse, l’article 53 affirme explicitement que sa reconnaissance se fait conformément « aux objectifs de la société socialiste ». Bien plus, au motif d’assurer aux citoyens l’exercice effectif de cette liberté « la presse, la radio, la télévision, le cinéma et les autres mass média appartiennent à l’Etat ou à la société, et ne relèvent en aucun cas de la propriété privée, ce qui garantit leur utilisation au service exclusif du peuple travailleur et dans l’intérêt de la société ».

40 D’une façon générale, l’article 10 de la constitution affirme l’obligation pour chacun de respecter strictement la légalité socialiste. L’infraction à ce principe est d’ailleurs punissable28.

41 L’application très large de ce principe contribue à rendre la situation des droits de l’homme à Cuba extrêmement préoccupante. Les rapports d’Amnesty International ne cessent de dénoncer les violations graves des libertés politiques et la pratique abusive de la peine de mort à Cuba29. De multiples résolutions des Nations Unies ont exprimé également l’extrême préoccupation de la communauté internationale30. La Communauté européenne, tout en se montrant favorable au développement des relations avec Cuba, se montre, elle aussi, très désireuse d’un progrès sur le terrain des droits de l’homme31.

42 Certes, on note favorablement l’inclusion, par la révision de 1992, d’un article 8 qui dit que « L’Etat reconnaît, respecte et garantit la liberté religieuse », alors que l’ancien article 54 prévoyait que « La loi réglemente les activités des institutionsreligieuses » et qu’il était « illégal et punissable d’opposer la foi ou la croyance religieuse à la Révolution ». Il y a un changement d’attitude incontestable du régime vis à vis de la religion, notamment catholique. Le Pape est reçu par Fidel Castro en 1998 et les chrétiens peuvent retrouver leurs pratiques liturgiques traditionnelles. Mais cette hirondelle ne fait pas le printemps des droits de l’homme à Cuba. Il reste que toutes les libertés peuvent être limitées, voire supprimées au nom de l’intérêt du socialisme, et c’est le Parti, et plus précisément son « lider » qui dit ce qui est bon pour le socialisme.

43 Par ailleurs, l’absence d’autorité judiciaire véritablement indépendante ne permet pas une protection efficace des libertés par les juges. Certes, la constitution cubaine affirme que « les juges sont indépendants dans l’exercice de leurs fonctions et ne doivent obéissance qu’à la loi »32, mais jusqu’où va l’indépendance effective de la justice dans ce système, quand

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on sait que les juges sont élus, et qu’ils peuvent être révoqués par ceux qui les ont élus33?

44 S’agissant de la réglementation des libertés en période exceptionnelle, la révision de 1992 esquisse apparemment un rapprochement avec les constitutions occidentales qui prévoient des modalités particulières pour ces périodes. Elle institue, en effet, un régime constitutionnel d’état d’urgence34. Toutefois, on observe que cet article ne vise pas à poser des garde-fous vis-à-vis d’un recours abusif à l’état d’urgence, ni à donner des garanties constitutionnelles minimales aux citoyens pendant cette période. Il donne pouvoir au Président du Conseil d’Etat (en l’occurrence Fidel Castro) pour déclarer l’état d’urgence, se contente d’énoncer de façon très large les cas où l’état d’urgence peut être déclaré (catastrophes naturelles et circonstances diverses où l’ordre intérieur, la sécurité du pays ou la stabilité de l’Etat se trouvent affectés), et confie à la loi le soin de préciser les conditions de forme pour la déclaration, les effets, la date d’achèvement, « de même que les droits et devoirs fondamentaux reconnus par la constitution dont l’exercice sera réglé de façon différente pendant la durée d’application de l’état d’urgence ».

45 Les dirigeants cubains se défendent en mettant en avant les performances en matière de droits sociaux, et justifient la suspension de certaines libertés par la légitime défense contre l’agression qu’ils subissent de la part des Etats Unis d’Amérique sous la forme d’un blocus économique et d’une propagande anti-castriste acharnée35.

46 De fait, une attention particulière est portée par la constitution cubaine sur la famille36, la condition féminine37, la santé38, l’éducation et la culture39, et les conditions de travail40. Dans la ligne de la critique marxiste du caractère formel des libertés bourgeoises, sont précisés par le texte les voies et moyens par lesquels ces libertés peuvent devenir effectives.

47 On a pu mettre au crédit du régime cubain la réalisation de performances remarquables et incontestables dans le domaine social et culturel. Les indicateurs en matière d’éducation et de santé ont été parmi les meilleurs au sein des pays en développement. En 1992, l’espérance de vie à la naissance était de 75,7 ans, le taux d’alphabétisation de 95,7%, il y avait un médecin pour 300 habitants41 le taux de scolarisation atteignait 97% pour le primaire, 93% pour le secondaire, tout cela en dépit d’un produit intérieur brut par habitant assez faible (3 400 $ EU en 1995)42. Les effets de la crise économique se font toutefois sentir de plus en plus. Dans ce nouveau contexte, il s’avère que les droits économiques et sociaux qui ont fait la fierté du régime et son attrait vis à vis de l’extérieur connaissent une précarité de plus en plus marquée. Le secteur de la santé est particulièrement touché. Les médicaments et le matériel médical commencent à manquer cruellement. La population cherche notamment un palliatif en se tournant vers les plantes médicinales43.

B - La valorisation du martisme

48 Les analyses de l’évolution du régime cubain pendant la dernière décennie l’ont peu souligné, pourtant il y a là un élément important pour la compréhension du régime : le martisme est devenu à Cuba une idéologie de premier plan. Il convient de s’interroger sur sa signification et sur sa fonction.

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1 - Amplification des références à José Marti depuis 1992

49 L’explicitation de la référence à José Marti dans la constitution cubaine s’affirme plus nettement après la révision de 1992. De façon très significative, alors que la version initiale du texte disait « Guidés par la doctrine victorieuse du marxisme-léninisme », la version révisée de 1992 énonce « Guidés par la conception de José Marti et les idées politico- sociales de Marx, Engels et Lénine ». Pour les auteurs du texte, il est clair qu’après l’implosion du communisme dans les pays de l’Est, il est devenu surréaliste de parler de « victoire du marxisme-léninisme ». Mais en dépit de l’échec d’un mouvement historique, les constituants cubains estiment qu’il demeure possible de réaffirmer leur attachement aux idées de Marx, Engels et Lénine. Ce faisant, ils mentionnent également José Marti.

50 Dans le corps de la constitution on retrouve très clairement la volonté d’un rattachement désormais plus explicite encore à l’esprit de José Marti avec la nouvelle formulation de l’article 5. Le texte initial disposait que « Le parti communiste de Cuba, avant-garde organisée marxiste-léniniste de la classe ouvrière, est la force dirigeante supérieure de la société et de l’Etat... ». Dans la version révisée de 1992, il est dit « Le parti communiste de Cuba, martiste et marxiste-léniniste, avant-garde de la nation cubaine, est la force dirigeante supérieure de la société et de l’Etat... ». On observe d’une part que le parti est qualifié de martiste en plus d’être marxiste léniniste, et d’autre part qu’il n’est plus présenté comme avant-garde de la classe ouvrière, ce qui est relégué au rang des archaïsmes, comme on l’a souligné supra, mais comme avant-garde de la nation cubaine, ce qui met clairement l’accent sur le versant nationaliste de l’idéologie du régime.

51 S’agissant de l’éducation et de la culture, la révision de 1992 fait apparaître que la politique dans ce domaine est fondée non plus sur « la conception scientifique du monde, établie et développée par le marxisme-léninisme »(version initiale de l’article 38) mais sur « les avancées de la science et de la technologie, et la conception marxiste et martiste, la tradition pédagogique progressiste cubaine et universelle ». Ici se confirme à la fois: la renonciation à l’archaïsme du socialisme scientifique au profit d’une prise en compte des avancées du monde moderne, et l’adjonction du qualificatif martiste à celui de marxiste.

2 - Aspects fondamentaux du martisme

52 Dans le texte constitutionnel amendé, deux caractéristiques essentielles du martisme se dégagent : le martisme est un humanisme, le martisme est ensuite un nationalisme révolutionnaire ouvert.

53 Le martisme est un humanisme. Le préambule de la constitution s’achève par la phrase suivante:

54 « Nous proclamons notre volonté de voir la loi des lois de la République présidée par ce profond désir, enfin réalisé, de José Marti:

55 « Je veux que la première loi de notre République soit le culte des Cubains à la dignité absolue de l’homme » ». Homme d’idéal, José Marti a lutté pour la liberté politique de son peuple au nom d’une vision universelle, celle de l’émancipation humaine.

56 Le martisme est un nationalisme révolutionnaire ouvert. Dans le préambule de la constitution cubaine, la référence à José Marti est tantôt implicite tantôt explicite. Elle est implicite dans le rappel de l’héritage « des patriotes qui, en 1868, entreprirent la guerre

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d’indépendance contre le colonialisme espagnol, et de ceux qui, dans un dernier effort, en 189544, assurèrent la victoire de 1898 ».

57 Le martisme peut être considéré comme une des versions latino-américaines du nationalisme et de l’anticolonialisme, à l’instar du bolivarisme. Leur nationalisme ne se fonde ni sur l’exaltation d’une race ni sur celle d’un peuple en tant qu’essence close sur elle-même, il se veut ouvert et solidaire. Il est l’expression d’un nationalisme ouvert, dans la mesure où la mise en valeur d’un atout de Cuba, à savoir sa tradition pédagogique progressiste, n’est pas présentée comme étant son apanage.

58 La référence à la conception martiste du nationalisme explique sans doute l’approche ouverte de la citoyenneté que l’on trouve dans la constitution cubaine. Les articles relatifs à cette question consacrent, en effet, très clairement le droit du sol45. On note, par ailleurs, que parmi ceux qui sont considérés comme citoyens cubains de naissance on trouve « les étrangers qui, en raison de mérites exceptionnels prouvés dans les luttes de libération de Cuba, ont été considérés comme citoyens cubains de naissance », et que parmi les citoyens cubains par naturalisation il y a « ceux qui ont participé à la lutte armée contre la tyrannie renversée le 1er janvier 1959, et qui peuvent le prouver dans les formes légales établies ». Il s’agit là de l’affirmation d’une citoyenneté découlant de la solidarité révolutionnaire.

59 Le nationalisme martiste se manifeste aussi dans l’affirmation de la pleine souveraineté de l’Etat cubain sur « tout le territoire national » aussi bien terrestre, îles y compris, que maritime et aérien, ainsi que sur son environnement et toutes ses ressources naturelles et vivantes contenues dans ces espaces46. Il en résulte que sont considérés comme « illégaux ou nuls les traités, pactes ou concessions qui ont été signés dans des conditions d’inégalité ou qui méconnaissent ou limitent sa souveraineté (celle de la République de Cuba) sur une portion quelconque du territoire national »47.

60 Le principe d’ouverture du nationalisme se traduit par ailleurs dans le texte constitutionnel cubain par un positionnement anti-impérialiste et internationaliste48. On note que le texte de 1992 met davantage l’accent sur l’attachement de Cuba aux grands principes du droit international, tels qu’ils sont énoncés dans la Charte des Nations Unies et d’autres traités internationaux auxquels Cuba est partie.

3 - La fonction de légitimation du martisme

61 Dans le contexte difficile des crises qui se succèdent, le régime risque de perdre de plus en plus son soutien populaire. Les dirigeants cubains trouvent dans le martisme un instrument de légitimation renouvelée de leur pouvoir. Il s’agit d’apparaître comme les héritiers de ceux qui ont lutté pour l’indépendance nationale. La Révolution castriste entend perpétuer et prolonger l’œuvre entreprise par les glorieux aînés. Trahir la révolution castriste, serait, en quelque sorte, trahir l’histoire.

62 La réaffirmation de la référence au marxisme-léninisme procède à l’évidence d’une volonté personnelle de Fidel Castro et des dirigeants qui lui sont proches. En revanche la valorisation du martisme rejoint sans aucun doute l’imaginaire populaire et est susceptible de renforcer les soutiens symboliques du régime.

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II - Continuité et changements dans les institutions politiques cubaines

63 La fidélité des dirigeants cubains aux principes du marxisme-léninisme a pour conséquence leur attachement indéfectible au mode d’organisation du pouvoir qui a vu le jour dans les pays communistes, et singulièrement en Union Soviétique. La révision de 1992 n’a pas apporté sur ce point des changements profonds. En revanche elle a innové en matière de dévolution du pouvoir. Faut-il y voir l’amorce d’une transition vers le modèle des démocraties occidentales? A certains égards les innovations rapprochent le système cubain de celui des démocraties occidentales, mais la portée essentielle de ces innovations demeure le renforcement d’un système cubain spécifique de dévolution du pouvoir. Il nous semble donc plus exact de parler de perfectionnement du système que de transition.

A - Le maintien d’une gestion unifiée du pouvoir politique

64 Le pouvoir d’Etat à Cuba comporte deux échelons : un échelon central et un échelon local qui se subdivise à son tour en provinces et municipalités. Les réformes n’ont pratiquement pas touché à l’organisation du pouvoir central, en dépit de certains changements de vocabulaire. Au second échelon quelques modifications sont intervenues.

1 - Statu quo au sommet

65 Le texteconstitutionnel de 1976 fait de l’unité du pouvoir et du centralisme démocratique deux principes essentiels de la démocratie socialiste49. La réforme de 1992 supprime la référence explicite à ces principes. Certes, ces expressions disparaissent mais l’organisation et le fonctionnement du pouvoir à Cuba restent inscrits dans la perspective de l’unification et de la centralisation du pouvoir. Il ne s’agit donc que d’une modernisation du langage. En effet la réforme n’a pas instauré la séparation des pouvoirs, et les éléments constitutifs du centralisme démocratique sont maintenus, à savoir: le caractère obligatoire des dispositions adoptées par les organes supérieurs de l’Etat pour les organes inférieurs; la nécessité pour les organes inférieurs de rendre compte de leurs actes et de leur gestion aux organes supérieurs; la liberté de discussion, l’exercice de la critique et de l’autocritique et la subordination de la minorité à la majorité50.

66 En l’absence d’une organisation fondée sur la séparation des pouvoirs, la logique organique prévaut largement sur la logique fonctionnelle.

67 L’organe suprême, chargé d’exprimer la volonté souveraine du peuple cubain, est l’Assemblée Nationale du Pouvoir Populaire (ANPP). Dans la pratique cette suprématie s’exerce très largement par son Conseil d’Etat (CE). Celui-ci comprend un Président, qui fait fonction de chef de l’Etat, un Premier Vice-président, cinq Vice-présidents, un Secrétaire et vingt trois autres membres. Un Conseil des ministres assure à Cuba la fonction gouvernementale, au sens d’organe exécutif et administratif51. Son Président est le chef du Gouvernement. Il comporte, par ailleurs, un Premier Vice-président, plusieurs Vice-présidents, les ministres, un secrétaire et d’autres membres que

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détermine la loi. Un Comité exécutif du Conseil des ministres comprend son Président, son Premier Vice-président, les Vice-présidents et les membres supplémentaires que le Président aura désignés. Le Comité exécutif peut exercer les compétences du Conseil des ministres entre ses sessions52.

68 Le dispositif est complété par l’existence d’un Tribunal populaire suprême, d’un Procureur Général et d’un Vice-procureur Général de la République.

69 Le pouvoir constituant appartient à l’ANPP, et à elle seule53. Les révisions sont adoptées par elle au vote nominal et à la majorité des deux tiers au moins de ses membres. Le référendum n’est prévu que dans trois cas: si la réforme est totale; si elle porte sur la composition et les pouvoirs de l’ANPP ou de son Conseil d’Etat; et si elle concerne les droits et les devoirs consacrés par la constitution54.

70 Le pouvoir législatif revient aussi en propre à l’ANPP55. Les autres organes ne le partagent pas mais peuvent y concourir par leurs initiatives: le Conseil d’Etat, le Conseil des ministres, les commissions de l’Assemblée, le Comité nationale de la Centrale des Travailleurs de Cuba, les directions nationales des organisations de masse, le Tribunal populaire suprême (en matière de justice), le Procureur général de la République (pour les questions relevant de sa compétence), et les citoyens eux-mêmes, pour autant qu’ils parviennent à être au moins dix mille pour présenter cette initiative56.

71 Les lois sont votées par les députés à la majorité simple. Il est toujours possible de les soumettre, si l’Assemblée le juge opportun, à l’adoption populaire. Il faut toutefois souligner ici que s’il est vrai qu’en droit l’acte déterminant du pouvoir législatif est le vote de la loi, en pratique l’influence majeure sur le contenu des textes revient à ceux qui les élaborent en amont. Les textes de loi sont généralement aujourd’hui le fruit d’une mise en forme technique par l’administration de la volonté politique du chef du gouvernement. Ceci est particulièrement vrai à Cuba, les lois y sont l’expression de la volonté politique du lider maximo.

72 Les lois entrent en vigueur à la date indiquée dans leur texte. Elles sont publiées au journal officiel de la République de Cuba.

73 En cas de nécessité, c’est le Conseil d’Etat qui est compétent pour donner une interprétation générale et obligatoire des lois en vigueur.

74 S’apparentent aux lois, mais avec rang inférieur dans la hiérarchie des normes, les décrets-lois. Il n’y a pas dans la constitution de répartition des matières entre lois et décrets-lois. Les décrets-lois se définissent donc comme les règles adoptées par le Conseil d’Etat dans l’intervalle des sessions de l’ANPP. Cette dernière peut révoquer les décrets-lois en totalité ou en partie, au moment de l’une de ses sessions57. Compte tenu de l’uniformité idéologique qui prévaut à Cuba, l’occurrence d’un rejet des décrets-lois est hautement improbable. Ce dispositif est favorable à la transformation de l’Assemblée en chambre d’enregistrement58.

75 Le pouvoir de décision budgétaire appartient à l’ANPP, le projet de budget étant élaboré par le Conseil des ministres.

76 Appartient à l’Assemblée, également, le pouvoir de décision en matière de planification du développement, à partir de projets élaborés par le Conseil des ministres.

77 Le Conseil d’Etat est chargé d’exécuter certaines décisions de l’Assemblée. Il prend, par exemple, les mesures nécessaires à l’organisation des référendums décidés par elle59.

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78 Le pouvoir exécutif-administratif est confié au Conseil des ministres. Il est le gouvernement de Cuba60. C’est lui qui assure la gestion de l’Etat au quotidien. Il prend toutes les mesures nécessaires pour la mise en application des textes normatifs: lois, décrets-lois, budget, plans de développement et autres. Il adopte pour cela les décrets ordinaires. Il dispose de l’administration. Celle-ci est structurée en départements, placés sous l’autorité des ministres.

79 Dans la conduite des affaires extérieures, l’ANPP n’a que des attributions restreintes. Elle approuve les lignes générales de la politique extérieure61. Elle décrète l’état de guerre en cas d’agression militaire, et approuve les traités de paix62. Son président a compétence pour organiser ses relations internationales63. Dans le domaine des relations extérieures les attributions essentielles se répartissent entre le Conseil d’Etat, son Président, et le Conseil des ministres. L’analyse de cette répartition met en lumière, plus encore que dans les autres domaines, le rôle prépondérant du Chef de l’Etat, Président du Conseil d’Etat, Chef du gouvernement, Commandant suprême des Forces armées révolutionnaires. En effet, outre le fait que les attributions collégiales respectives du Conseil d’Etat et du Conseil des ministres s’exercent sous son autorité, il dispose de pouvoirs propres.

80 C’est lui qui organise et dirige les activités du Conseil d’Etat ainsi que celles du Conseil des ministres. Avec le Conseil d’Etat, il décrète la mobilisation générale, déclare la guerre, signe la paix en substitution à l’Assemblée si nécessaire, désigne les représentants diplomatiques de Cuba, les démet de leurs fonctions, ratifie les traités, les dénonce. Avec le Conseil des ministres, il dirige la politique extérieure et les relations avec les autres gouvernements, approuve les traités avant de les soumettre à ratification, dirige et contrôle le commerce extérieur, pourvoit à la défense nationale, accorde l’asile territorial. Au titre de ses attributions propres, il reçoit les lettres de créances des chefs des missions diplomatiques étrangères, et assume le commandement suprême des Forces armées révolutionnaires.

81 Le pouvoir judiciaire n’est pas l’apanage des tribunaux. L’ANPP dispose en effet du pouvoir de juger en matière de constitutionnalité des lois, des décrets-lois, des décrets, et des autres dispositions générales64. En matière de loi, elle est donc clairement juge et partie.

82 Les juges jouissent d’une indépendance fonctionnelle, mais restent sous l’emprise du pouvoir politique qui les nomme et peut les révoquer. De plus le Conseil d’Etat a la faculté de donner des instructions au Tribunal populaire suprême.

83 Le Ministère public a en charge le contrôle de la légalité. Après la révision de 1992 il n’est plus précisé socialiste, ce qui laisse entrevoir une volonté de détacher quelque peu la justice de l’idéologie. Il doit veiller au respect par tous de la constitution (ceci a été ajouté en 1992), des lois et des autres dispositions juridiques. Il est, toutefois, subordonné à l’ANPP, mais à elle seule. Le Procureur général, quant à lui, doit rendre compte de sa gestion à l’ANPP, et reçoit des instructions directes du Conseil d’Etat.

2 - Innovations partielles à la base

84 A l’échelon local, le pouvoir est réparti entre les Assemblées Provinciales du Pouvoir Populaire (APPP) et les Assemblées Municipales du Pouvoir Populaire (AMPP). Elles participent à l’exercice du pouvoir d’Etat65. Le schéma institutionnel cubain est donc sur ce point différent de celui de la décentralisation telle qu’elle est instituée dans un

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pays comme la France, où les collectivités territoriales n’exercent pas de pouvoir d’Etat. Depuis 1992, ont été mis en place des Conseils populaires et des Conseils de défense provinciaux et municipaux, ainsi que des zones de défense. Les Conseils populaires sont constitués dans les villes, les villages, les quartiers et les zones rurales. Ils regroupent les délégués élus dans les circonscriptions et peuvent comprendre les représentants des organisations de masse et des institutions les plus importantes des secteurs concernés66. Leur fonction est de faire participer la population à la recherche des solutions aux problèmes qu’elles rencontrent, de dynamiser les actions de développement, et faciliter la coordination entre les acteurs. Celle des Conseils de défense est de préparer, en temps de paix, le pays à faire face aux situations de guerre, par une mobilisation générale, et en s’inscrivant dans le plan général de défense. Ces deux structures nouvelles s’expliquent par l’acuité des difficultés économiques rencontrées par Cuba depuis la perte de ses soutiens financiers et commerciaux du bloc de l’Est, et par la crainte renforcée d’une agression extérieure.

85 Les APPP, au nombre de 14, ont pour tâche notamment de faire appliquer les lois et autres dispositions adoptées par les organes centraux, de mettre en œuvre la partie du plan qui les concerne, d’adopter le budget de leur province, de contrôler l’administration provinciale (et les différents organismes qui s’y rattachent) dans les secteurs de l’éducation, de la santé, de la culture, du sport, de l’environnement, et de fortifier la légalité, l’ordre ainsi que la capacité de défense du pays.

86 Les AMPP, au nombre de 169, ont des attributions semblables aux APPP, mais circonscrites à leurs propres territoires. A la différence de ce qui se passe dans la plupart des pays, à Cuba les municipalités ne correspondent pas aux villes. En vertu de l’article 102 de la constitution, nouvellement rédigé, le découpage tient compte des nécessités en matière de relations économiques et sociales de la population et de la capacité à satisfaire les besoins locaux minimum67.

87 Les APPP et les AMPP disposent de Comités Exécutifs qui représentent ces assemblées pendant les inter-sessions. Ces organes permanents fixent l’ordre du jour des assemblées et organisent leurs travaux. Ils exercent un contrôle sur les activités sociales et économiques dans leur zone. Ils sont en relation directe avec les services administratifs de l’Etat sur place. Ceux-ci sont soumis à une double subordination: aux organes centraux et aux organes locaux du pouvoir d’Etat.

88 Pour contrebalancer les effets de la bureaucratisation, des Commissions de travail composées de délégués élus et de simples citoyens sont organisées. Elles réunissent des informations et rédigent des rapports sur la qualité des services sociaux ou sur les activités économiques territoriales. Elles peuvent s’auto-saisir ou agir sur demande des assemblées ou du Comité exécutif. Leurs recommandations peuvent être reprises par les instances de décision et devenir des obligations.

89 Pour favoriser la participation populaire au pouvoir68, des réunions de compte-rendu se tiennent tous les six mois dans les circonscriptions électorales. Elles sont présidées par le délégué de la circonscription. Celui-ci indique les actions qu’il mène. Un débat peut s’engager sur son compte-rendu. Les participants (généralement 50 à 60% des électeurs de la circonscription) peuvent aussi présenter des requêtes. Les échanges portent essentiellement sur les problèmes rencontrés dans la vie quotidienne.

90 Au total, le maintien du système de gestion du pouvoir établi depuis 1976 indique qu’il n’y a pas de transition dans ce domaine à Cuba. Les modifications intervenues dans les

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modalités de dévolution du pouvoir autorisent-elles, en revanche, à parler de transition?

B. - L’évolution du système électoral : transition démocratique ou perfectionamiento ?

91 Avant 1992, les électeurs désignaient les représentants aux assemblées politiques selon un système de paliers successifs. Etaient élus d’abord les membres des Assemblées municipales. Ceux-ci désignaient à leur tour les délégués aux Assemblées provinciales du pouvoir populaire d’une part, et à l’Assemblée nationale du pouvoir populaire d’autre part. Les juges étaient choisis à chaque échelon par les assemblées politiques69. Des innovations importantes ont été introduites par la révision de 1992 et par la loi électorale n° 72 du 29 octobre 1992. Comment qualifier ce réformisme? Certains y voient l’amorce d’une transition démocratique, autrement dit d’un rapprochement du système cubain avec les pratiques électorales des démocraties occidentales. Pour les dirigeants cubains, il n’en est rien. Il s’agit du perfectionamiento d’un système qui se veut spécifique et qu’ils considèrent comme une des manifestations les plus réussies de la transformation révolutionnaire de Cuba. Il s’agit donc d’un réformisme de consolidation, non de transition.

92 L’étude du système électoral cubain permet de confirmer son originalité marquée. Toutefois, son appréciation débouche, selon nous, sur des conclusions contrastées.

1 - Une spécificité marquée

93 La spécificité du système apparaît surtout dans le choix des candidats et à un degré moindre dans l’élection proprement dite.

94 Les membres des 169 Assemblées municipales du pouvoir populaire sont élus pour deux ans et demi. Les membres des 14 Assemblées provinciales du pouvoir populaire et les 601 députés de l’ANPP sont élus pour cinq ans.

95 A certains termes les trois assemblées sont renouvelées, il y a donc élections générales, à d’autres, seules les assemblées municipales le sont. On parle alors d’élections intermédiaires. Les dernières élections étaient des élections générales. Le processus de renouvellement des trois assemblées s’est déroulé sur neuf mois, entre le 13 juin 1997 et le 24 février 199870.

96 Le processus commence par les élections aux Assemblées municipales du pouvoir populaire. Elles sont convoquées par le Conseil d’Etat. Est mise en place aussitôt une Commission Electorale Nationale. Celle-ci veille à l’organisation des élections. Elle est présidée par le ministre de la justice et comprend par ailleurs un vice-président et quatorze membres. Ils sont nommés par le Conseil d’Etat, choisis parmi les personnalités publiques. Selon un système de concertation entre la base et le sommet des Commissions Electorales locales sont mises en place aux différents échelons. La subdivision va jusqu’aux circonscriptions. Elles étaient au nombre de 14 533 en 1997. Les Comités de la Révolution jouent un rôle important dans la proposition des membres de ces commissions. Le bénévolat est la règle. Les commissions de circonscription ont la charge d’effectuer les inscriptions sur les listes électorales. Le corps électoral cubain est composé des nationaux âgés de plus de seize ans. On note que la majorité électorale à Cuba est plus basse que dans la plupart des pays.

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97 Vient ensuite, l’une des phases les plus originales du système cubain à savoir le choix des candidats. Officiellement les candidatures aux assemblées municipales sont régies par les principes suivants: indépendance par rapport au parti et aux associations de masse, droit égal de tous les citoyens à être élus, droit de proposition ouvert à tous ceux qui figurent sur la même liste électorale. Pour mettre en œuvre ces principes, chaque circonscription est divisée en petites zones de nomination (au maximum 8) par les soins des Commissions électorales locales, sous le contrôle de la Commission électorale nationale. Sur convocation et sous la présidence de la Commission électorale de circonscription se tiennent, dans les lieux les plus aptes à rassembler les citoyens concernés, des assemblées publiques de nomination. Les citoyens y font leurs propositions et les justifient. Par vote à main levée le candidat de la zone est retenu. On peut être candidat dans plusieurs zones. Cette présélection par zones doit déboucher sur la désignation d’au moins deux candidats par circonscription. En pratique dans 88,7% des circonscriptions se dégagent deux candidats71.

98 Une information officielle, notamment sous forme d’affichage des curriculum vitae des candidats, tient lieu de campagne électorale.

99 Pour l’élection proprement dite le mode de scrutin s’avère assez classique, il s’agit d’un scrutin majoritaire à deux tours. Le vainqueur est celui qui réalise au premier tour plus de 50% des voix. Au deuxième tour, qui a lieu une semaine après, et auquel seuls les deux candidats arrivés en tête peuvent se présenter, la majorité relative suffit. La participation est généralement forte: 97,59% en 199772. En pratique les candidats sont élus dans la plupart des circonscriptions dès le premier tour. En 1995 il a fallu un deuxième tour dans 332 circonscriptions seulement. En 1997, ce nombre a sensiblement augmenté. Il est passé à 1 098 sur les 14 533 circonscriptions existantes73.

100 Avant la réforme de 1992, l’élection des délégués aux Assemblées Municipales du Pouvoir Populaire revêtait d’autant plus d’importance que ceux-ci avaient le privilège d’élire les membres des Assemblées provinciales et de l’Assemblée nationale. Désormais, et c’est la réforme essentielle, les élus de ces assemblées sont choisis directement par les électeurs au scrutin secret. Toutefois, il demeure que 50% des membres de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire doivent être des élus municipaux. Ceci conditionne une partie des candidatures.

101 Vu l’enjeu idéologique et politique plus important de l’élection des députés, le choix des candidats est plus encadré que pour les municipales. En effet, les candidatures sont proposées par les plénums des organisations de masse. Seuls les citoyens âgés d’au moins 18 ans sont éligibles. Les propositions sont recueillies par la Commission Nationale des Candidatures qui opère la sélection. Avant 1992, cette commission était présidée par un membre du PCC. Désormais, c’est la Centrale des Travailleurs cubains qui désigne son président.

102 Les membres des 14 Assemblées provinciales, et les 601 députés à l’Assemblée nationale sont élus le même jour selon le même mode de scrutin que pour les municipales. La participation est là aussi très forte et le nombre de bulletins blancs ou nuls demeure minime. En 1998 il a été recensé 94,98% de suffrages exprimés, 3,36% de bulletins blancs et 1,66% de votes nuls74.

103 Dès sa mise en place, l’ANPP élit son Président, son Vice-président et son Secrétaire, puis sont choisis en son sein les députés qui doivent siéger au Conseil d’Etat pour cinq ans. Celui-ci comprend, il convient de le rappeler, un Président, qui fait fonction de

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chef de l’Etat et de chef du Gouvernement, un Premier Vice-président, cinq Vice- présidents, un Secrétaire et vingt trois autres membres.

104 A l’issue des élections législatives du 24 février 1998, les 595 députés présents ont réélu Ricardo Alarcon Président de l’Assemblée et reconduit, sans surprise, à l’unanimité, Fidel Castro à la tête du Conseil d’Etat et son frère Raul Castro comme Premier Vice- président. Le reste du Conseil d’Etat a connu un renouvellement d’environ 45% de ses membres (14 nouveaux membres sur 31)75.

105 S’agissant du Conseil des ministres, qui assume, on l’a vu, la fonction gouvernementale, au sens d’organe exécutif et administratif, son Président est le chef de l’Etat (en l’occurrence Fidel Castro). Ses autres membres sont désignés par l’ANPP, sur proposition du Président du CE.

106 Le Président, les Vice-présidents et les autres membres du Tribunal populaire suprême sont aussi élus par l’ANPP, tout comme le Procureur Général et le Vice-Procureur Général de la République.

2 - Ombres et lumières du perfectionamiento

107 Le régime politique cubain est sans aucun doute l’un des régimes actuels les plus controversés. L’une des raisons de la difficulté à porter sur lui un regard neutre est qu’il s’agit d’un régime à très forte intensité idéologique, mais aussi affective.

108 Il y a dix ans, M. François Maspero notait déjà que les nombreux écrits sur Cuba allaient « des condamnations sans appel au nom de la démocratie et des droits de l’homme, jusqu’aux adhésions admiratives au nom du droit le plus élémentaire de l’homme à ne pas crever de faim, en passant par toutes les nuances de l’indulgence et des jugements balancés »76.

109 Les condamnations sans appel viennent, bien entendu principalement des Etats Unis d’Amérique. Ce pays livre, depuis de nombreuses années, une guerre sans merci au régime politique cubain. Dans le rapport de 1997 du Département d’Etat sur les droits de l’homme à Cuba on peut lire:

110 « Cuba est un Etat totalitaire contrôlé par le Président Fidel Castro, qui est chef de l’Etat, chef du gouvernement, Premier Secrétaire du Parti Communiste, et commandant en chef des forces armées. Le Président Castro exerce son contrôle sur tous les aspects de la vie cubaine, à travers le Parti Communiste et les organisations de masse qui lui sont affiliées, la bureaucratie gouvernementale, et l’appareil de sécurité d’Etat. Le Parti communiste est la seule entité politique légale, et le Président Castro approuve personnellement l’appartenance au Bureau Politique, groupe sélectionné qui dirige le Parti. Le Parti contrôle tous les postes gouvernementaux, y compris les fonctions judiciaires »77.

111 On note également que les lois dites Torricelli (1992) et Helms-Burton (1996) se veulent des lois sur le rétablissement de la démocratie à Cuba. La dernière s’intitule très précisément « Cuban Liberty and Democratic Solidarity (LIBERTAD) Act »78. L’article 201 de cette loi énonce les « mesures politiques en vue d’un gouvernement de transition et d’un gouvernement démocratiquement élu à Cuba ». Plus éclairant encore, l’article 206 précise les « conditions requises pour déterminer l’existence d’un gouvernement démocratiquement élu ». Selon les auteurs de la loi, il convient de mettre en place à Cuba un gouvernement issu d’élections libres et équitables (sous le contrôle d’observateurs internationalement reconnus, dans un processus où les partis d’opposition disposent des moyens de faire

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campagne, avec un plein accès aux médias), qui respecte les droits fondamentaux, et s’oriente vers un système économique obéissant aux lois du marché et fondé sur le droit de posséder des biens et d’en tirer les fruits. Ce gouvernement devra procéder aux réformes constitutionnelles nécessaires, mettre en place un système judiciaire indépendant et restituer aux Américains leurs biens ou leur verser un dédommagement équitable. Les intérêts américains ne sont donc pas oubliés dans l’énoncé des critères du gouvernement démocratique.

112 Pour l’essentiel la position américaine consiste à dénier tout caractère démocratique au régime cubain, et les réformes du début des années 90 ne sauraient être vues comme des avancées dans le bon sens. Le point de vue des dirigeants cubains est bien évidemment très différent.

113 L’orientation démocratique de la Révolution cubaine était affirmée au hasard d’une phrase dans la version de la constitution datant de 1976. Le préambule énonçait, en effet, que la Révolution, dirigée par Fidel Castro, avait « réalisé les transformations démocratiques ». Dans le nouveau contexte du début des années 90, les dirigeants cubains apparaissent soucieux d’affirmer très nettement le caractère démocratique de leur régime. Ainsi, la révision de 1992 offre une nouvelle rédaction de l’article 1. Là où il était écrit « La République de Cuba est un Etat socialiste d’ouvriers et de paysans, unis aux autres travailleurs manuels et intellectuels », on lit désormais « Cuba est un Etat socialiste de travailleurs, indépendant et souverain, organisé avec tous et pour le bien de tous, comme république unitaire et démocratique, pour la production de la liberté politique, la justice sociale, le bien être individuel et collectif et la solidarité humaine ».

114 A l’époque de la Révolution triomphante, les dirigeants cubains étaient portés à considérer leur régime comme un modèle à exporter, un idéal à imiter. Au début des années 90, ils réclament plus humblement le droit à la spécificité. Selon M. Arnold August, les Cubains ne présentent pas leur démocratie et leur processus politique comme un modèle pour les autres. Il cite à cet effet la déclaration de M. Ricardo Alarcon, président de l’ANPP, devant l’Assemblée générale des Nations Unies le 5 novembre 1997: « Nous ne voulons pas être vus comme un modèle. Nous respectons le droit des autres à développer leur propre système, tout comme nous demandons avec force que le nôtre soit respecté »79.

115 La réflexion des autorités cubaines sur la démocratie comporte deux aspects. Il s’agit selon eux d’éviter les contradictions du système représentatif et multipartisan tel qu’il a fonctionné à Cuba avant la Révolution: clientélisme, contrôle extérieur, corruption, inefficacité économique. Et il convient en revanche de favoriser une démocratie unitaire et participative.

116 Unitaire, car tous les citoyens doivent être mobilisés dans un même but. La société est perçue comme un tout homogène. Le multipartisme apparaît comme une source de division nuisible à la construction d’un ensemble solidaire. La démocratie n’apparaît pas ici comme un système de compromis entre les intérêts antagonistes présents dans le corps social80. L’exaltation de l’unité s’exprime dans cette déclaration de Fidel Castro rapportée par Mme Janette Habel: « L’idéal c’est l’unité d’opinion, l’unité de doctrine, l’unité des forces, et l’unité de commandement, comme dans une guerre »81.

117 Participative, car les citoyens sont associés étroitement à la dévolution et à l’exercice du pouvoir. Les autorités cubaines considèrent leur système électoral comme l’une des meilleures illustrations de ce type de démocratie.

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118 Pour les dirigeants cubains, les réformes récentes s’inscrivent dans la ligne du projet de la Révolution. Loin de traduire un changement d’orientation, elles sont dans la continuité des transformations amorcées dans les années 60 et prolongées dans les années 70.

119 Au-delà de ce clivage extrême – lecture américaine contre lecture cubaine – comment apprécier le système cubain sans faire œuvre partisane? Quel critère lui appliquer? A quoi faut-il le comparer? A la situation d’avant la Révolution? A d’autres pays en développement? Aux pays occidentaux développés?

120 Du point de vue de l’histoire des Caraïbes, les ombres et les lumières de la Révolution cubaine ont été très tôt appréciées par les leaders politiques de la région. Parmi ces appréciations, on peut rappeler, en particulier, celle d’Eric Williams, dans l’un de ses principaux ouvrages de référence, à savoir De Christophe Colomb à Fidel Castro: L’histoire des Caraïbes (1492-1969). L’auteur ne cache pas son admiration pour certains aspects du nouveau régime mais dénonce son orientation totalitaire. « Cuba – écrit-il – premier pays des Caraïbes à lancer avec succès un défi à la puissance des Etats-Unis dans l’hémisphère, chercha à établir un régime fondé sur l’indépendance nationale et la justice sociale sans oublier l’égalité raciale… l’envers de la médaille est que Cuba est aussi le premier pays des Caraïbes à introduire un régime totalitaire dans la région, même si le Nouveau Monde peut sembler n’être qu’une collection de dictatures brutales et néfastes »82. Pour Eric Williams le régime cubain ne saurait être classé, au moment où il écrit, parmi les régimes démocratiques. Son jugement serait probablement peu différent aujourd’hui.

121 Parmi les questions de fond, il y a, en effet, celles de savoir à quelle conception de la démocratie on se réfère, et en quoi consiste un processus de démocratisation. La doctrine est abondante sur ce point83, et il convient de se situer.

122 On retiendra, avec M. Guy Hermet, que la démocratie comporte à la fois un aspect procédural et un aspect substantiel. Elle réside écrit-il dans « la possibilité effective pour les gouvernés de choisir et de renverser leurs dirigeants par le truchement d’élections suffisamment compétitives, tenues à intervalles réguliers et obligatoires, par surcroît non entachées de fraude massive ou de violence contre certains candidats tout autant que contre les électeurs. Elle suppose simultanément le développement de normes juridiques qui protègent les citoyens contre l’arbitraire du pouvoir… Elle requiert, enfin, la mise en œuvre de politiques ou, plutôt, d’un projet global, visant à appuyer le progrès civique, culturel et matériel de la population… »84. On admettra volontiers aussi avec lui qu’ « elle apparaît également comme une tâche toujours inachevée, non seulement dans les pays qui s’y convertissent aujourd’hui mais, aussi, dans ceux qui estiment, à tort évidemment, l’avoir édifiée de longue date »85.

123 Pour le même auteur, « la démocratisation désigne l’abandon d’un mode de gouvernement autoritaire au profit d’un régime libéral, reposant sur le consentement des gouvernés »86. C’est l’aspect procédural. Il convient donc d’ajouter qu’un processus de démocratisation sur le plan substantiel rejoint finalement le développement dans la mesure où il inclut l’amélioration des conditions de vie de la population87.

124 Il résulte de ces positionnements qu’aucun régime n’est exempt de reproches, mais il en est sans doute qui en méritent plus que d’autres.

125 Nous retiendrons qu’il convient sans conteste de déplorer l’excessive personnalisation du régime cubain à travers Fidel Castro. Le non-respect de certaines libertés fondamentales apparaît des plus inacceptables88. Le contrôle indirect du Parti sur la dévolution du pouvoir, à travers les organisations de masse, en particulier les Comités

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de la Révolution, nous semble aussi évident. Et l’instauration de l’élection des députés au suffrage universel direct, et au scrutin secret, ne revêt pas la portée démocratique que l’on serait tenté spontanément de lui conférer, compte tenu du fait que cette réforme s’inscrit dans un cadre non pluraliste.

126 En revanche, il nous semble que le régime cubain peut retenir positivement l’attention, en tant que lieu d’expérimentation de modalités originales de participation populaire. Le processus mis en place pour le choix des candidats et l’élection des délégués aux Assemblées Municipales, par exemple, mérite davantage qu’un rejet en bloc, pour raison de leurre démocratique. Une équipe de chercheurs de l’université de Porto Rico l’a bien compris en y consacrant une étude fondée sur une enquête de terrain. Il en ressort des conclusions contrastées89.

127 Haroldo Dilla, Gerardo Gonzalez Nunez et Anna Teresa Vicentelli constatent d’abord que ce processus se déroule dans un climat de liberté. Ils reconnaissent que beaucoup d’élus sont en pratique des membres du PCC, mais que le choix des électeurs n’est pas conditionné en premier lieu par des considérations idéologiques. Les Cubains se déterminent avant tout à partir de critères éthiques et relationnels. Les qualités humaines des candidats à la candidature ou des candidats, priment sur leur appartenance ou pas au Parti. En revanche, ce système qui entend éviter la démagogie, la mercantilisa-tion du suffrage, la division de la population, le clientélisme, ne s’avère pas très efficace pour faire émerger des leaders dynamiques et capables d’affronter les défis du pouvoir. Le système, en interdisant de véritables campagnes électorales n’est pas propre à faire émerger des hommes nouveaux, il favorise ceux qui sont déjà connus dans le système. Il débouche par ailleurs sur une sous-représentation des femmes. Mais, il faut le reconnaître, la difficulté à renouveler les élites et la sous-représentation féminine n’est pas propre au système cubain.

128 Au début des années 90, la plupart des observateurs pronostiquaient la chute de Fidel Castro et la fin de la Révolution cubaine. Dix ans après, Fidel Castro et son régime sont encore en place, même si ils apparaissent fragilisés. La longévité du régime s’explique, nous semble-t-il, par deux facteurs principaux, l’un externe, l’autre interne.

129 Le facteur externe est l’attitude délibérément hostile de la puissance américaine, qui loin d’engendrer la perte de soutiens au régime, à tendance à souder chaque fois davantage les Cubains autour de Fidel Castro. Les lois Torricelli et Helms-Burton ont été paradoxalement des atouts pour le régime qui n’a pas eu de mal à stigmatiser devant l’opinion publique interne et mondiale, l’agression délibérée, et internationalement illicite, de la super puissance mondiale contre un petit pays des Caraïbes.

130 Le facteur interne est celui de la nature particulière du régime. Tous les observateurs reconnaissent le rôle central joué par Fidel Castro. Les uns parlent d’autoritarisme, de communisme bureaucratique, de caudillisme, de dictature militaire, voire de totalitarisme90. Les autres identifient l’existence d’un régime original fondé essentiellement sur le charisme de Fidel Castro, et préfèrent parler de « castrisme ». L’originalité du régime cubain nous semble effectivement avérée, mais, selon nous, plus encore que de « castrisme », à Cuba, c’est de « fidélisme » qu’il s’agit. Nous sommes en présence d’un régime sans doute à forte intensité idéologique, mais, nous l’avons souligné, à très forte intensité affective.

131 Le « fidélisme » repose sur le modèle relationnel du frère91. L’utilisation du prénom permet d’établir une relation de proximité affective de caractère familial, d’où découle un attachement rendant difficile une éventuelle rupture du lien. Parmi les soutiens du

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fidélisme, il y a incontestablement, outre celui généré par la propagande organisée92, une part d’adhésion populaire librement consentie. Celle-ci vient du fait que Fidel Castro s’est identifié, et a identifié fortement la Révolution, à ce qui est considéré par les Cubains comme le meilleur de leur histoire, à savoir la lutte pour l’émancipation de Cuba par rapport à toute forme de domination externe. Il a fondé sa légitimité sur l’histoire. Fidel Castro a assimilé son œuvre à celle de José Marti et des autres héros nationaux. Il s’est efforcé d’incarner aux yeux du peuple cubain le rejet du lourd passif des régimes corrompus d’avant 1959. Le « fidélisme » tend donc à faire corps avec l’identité cubaine.

132 Dans ce contexte, la constitution cubaine représente, on l’a vu, un outil idéologique important, tout autant qu’un moyen de fixer la règle du jeu en matière d’accession et d’exercice du pouvoir93. Cette constitution et la législation électorale qui la complète n’ont pas échappé au courant de réforme qui a traversé Cuba. Mais, il s’est agi, nous l’avons souligné, d’un réformisme de consolidation et non de transition. Quoique fragilisé, le « fidélisme » se trouve réaffirmé.

NOTES

1. Voir : Ramon Infiesta, Historia constitutional de Cuba, La Havane, Editorial Cultural, S.A., 1951, 399 p. Dans cet ouvrage, l’auteur s’intéresse principalement au constitutionnalisme à Cuba pendant la période coloniale, il analyse les courants annexionnistes, réformistes, autonomistes et séparatistes pendant cette période, et termine son parcours par la présentation de la constitution de 1901 puis de l’amendement Platt qui institue un contrôle des Etats Unis sur Cuba. Voir aussi : Andrés Maria Lazcano Y. Mazon, Las constituciones de Cuba, Madrid, Ediciones Cultura Hispanica, 1952 ; « Corpus constitutionnel », Recueil universel des constitutions en vigueur, Cuba, Tome III, Chapitre 3, Leiden, E. J. Brill, 1983, 67 p. 2. Nicolas Graizeau, « Genèse, exégèse et pratique de la constitution de 1940 », in Cuba sous le régime de la constitution de 1940, sous la direction de James Cohen et Françoise Moulin Civil, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 23-58. 3. Ibidem. 4. Cette dualité entre le symbole démocratique et l’efficacité gouvernementale se vérifie particulièrement s’agissant de la constitution haïtienne de mars 1987. 5. Voir Tisca Jan F., « Constitutions of communist Party States », p. 256 et ss. 6. Sur l’évolution du constitutionnalisme soviétique voir : « L’union soviétique », numéro spécial de Pouvoirs, n° 16, 1978 ; Maurice Lesage, Le système politique de l’URSS, 1987 ; Patrice Gélard, La constitution de l’URSS, 1991 ; Daniel Colas, Les constitutions de l’URSS et de la Russie, 1997. 7. Jean-Louis Seurin, « Des fonctions politiques des constitutions, pour une théorie politique des constitutions » in Le constitutionnalisme aujourd’hui, sous la direction de Jean-Louis Seurin, Paris, 1984, p. 51. 8. Jean-François Fogel, Bertrand Rosenthal, Fin de siècle à la Havane, Seuil, 1993 ; Irving Horowitz et alii, Cuba communism 1959-1995, Transaction Publischers, 1995. 9. Voir Ramonet Ignacio, « Cuba : Rénovation de la Révolution ? », Le Monde diplomatique, septembre 1985, p. 2-4.

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10. Voir discours de Fidel Castro, Granma, 11 janvier 1987, pp. 2-5 et 1 er février 1987, pp. 2-4. Voir aussi Janette Habel, Rupture à Cuba, le castrisme en crise, Paris, La Brèche, 1989, en particulier le Chapitre III « Crise sociale, bureaucratisation et rectification ». Pour marquer l’originalité du processus cubain, la population a utilisé l’expression de « castroïka » cf. Denis Hautin-Guiraut, « Cuba à l’heure de la "castroïka" », Le Monde, samedi 25 juin 1986, p. 1 et 3. 11. Voir la chronologie dans Conflict and change in Cuba, edited by Enrique A. Baloyra and James A. Morris, p. 314. 12. Voir Crosnier Marie-Agnès, « La dépendance économique de Cuba », Le Courrier des Pays de l’Est, n° 239, avril 1980, p. 3-40. 13. Voir Perez Silvia, « Cuba en el CAME, una integración extracontinental », Nueva Sociedad, septiembre/octubre, 1983, n° 68, p. 131-139. 14. Voir Janette Habel, « Rectification dans la rectification ? », Problèmes d’Amérique Latine, n° 99, janvier mars 1991, p. 3-16 ; Alfred Padula, « Cuban Socialism », in Conflict and change in Cuba, op. cit. , p. 31-34. 15. Granma, 11 juillet 1992, p. 1-4 ; 13 juillet 1992, p. 3 ; 8 novembre 1992, p. 2. 16. Olivier Duhamel, « Castro », in Les grands révolutionnaires, Les feux de l’Amérique latine, Martinsart, 1978, p. 229, Robert Escarpit avait lui aussi souligné l’importance du martisme à Cuba, en écrivant dans Le Monde du 9-10 mai 1976 : « Le cas de José Marti est étrange. La pensée clairvoyante et forte de ce républicain libéral a été intégrée à l’idéologie de la révolution cubaine comme le signe spécifique de son identité. On parle couramment de « marxisme-léninisme- martianisme », et il n’est pas interdit de penser que c’est par le dernier terme que la doctrine s’enracine le plus profondément dans la conscience nationale ». 17. Liceo de Tampa, 26 novembre 1891. 18. On trouvera une version française des Statuts du Parti Communiste de Cuba dans « Corpus Constitutionnel », Recueil universel des constitutions en vigueur, Cuba, Tome III, Leiden E. J. Brill, 1983, p. 55-64. 19. Conformément à la conception léniniste du parti définie notamment dans Que Faire ? 20. Ancien article 5. 21. Article 12. 22. Article 27. 23. Ancien article 18. 24. Nouvelle rédaction de l’article 18. 25. Arnold August, Democracy in Cuba and the 1997-98 elections, Canada, Editorial José Marti, 1999, p. 227. 26. Article 14. A noter que les petits agriculteurs ont la propriété de leurs terres (article 19), et que chacun garde ses propriétés d’usage personnel (article 21). 27. Article 16. 28. Article 62. 29. Voir par exemple : Rapport annuel d’Amnesty pour 1998, p. 148-151. Voir aussi : Antoine Spire, « Le pouvoir absolu du lider maximo », La chronique d’Amnesty, n° 131, 1997, p. 16-17. Dans cet article, M. Spire qui est journaliste dénonce en particulier l’absence de liberté de la presse à cuba. Il écrit notamment : « pour l’autorité cubaine, les droits à la libre expression se résument à la glorification de la révolution de 1961 ». Il note que des centaines de personnes sont incarcérées pour délit d’opinion, que les journalistes sont harcelés, emprisonnés ou condamnés à l’exil. Selon lui, La population se clochardise, la prostitution, notamment estudiantine, se généralise, la délinquance et la mafia gagnent du terrain. 30. La Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies a prorogé le mandat du Rapporteur spécial chargé d’examiner la situation des droits de l’homme à Cuba par sa résolution 1996/69 du 29 avril 1996. Sur la base de son rapport (E/ CN. 4/1997/53) elle a adopté le 16 avril 1997 la résolution 1997/62 par 19 voix contre 10 et 24 abstentions (vote par appel nominal). Dans cette

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résolution la Commission se déclare préoccupée par la permanence à Cuba de violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales énumérés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, tels que les libertés de pensée, de conscience et de religion, d’opinion et d’expression, de réunion et d’association ainsi que les droits associés à l’administration de la justice. La Commission se déclare aussi consternée par la violation du droit à la vie commise par le Gouvernement cubain lorsqu’il a abattu deux aéronefs civils non armés le 24 février 1996. Elle demande au gouvernement cubain d’autoriser les partis politiques et les organisations non gouvernementales à exercer librement leurs activités dans le pays en réformant la législation dans ce domaine ; de mettre fin à l’emprisonnement de militants des droits de l’homme, d’ouvrir les prisons aux organisations humanitaires non gouvernementales, et de libérer les nombreuses personnes qui ont été arrêtées pour activités politiques. Elle invite, enfin le gouvernement cubain à veiller à ce que les droits des travailleurs soient garantis, notamment dans le cadre de système de négociation collective indépendants et généralisés. 31. Danielle Perrot, « La Communauté européenne et le développement démocratique en Amérique Latine », Cahiers de l’Administration Outre-mer, n° 6/7, 1994-1995, p. 63-77. En décembre 1996, l’Union européenne a adopté une position commune stigmatisant le non respect des droits de l’homme à Cuba. Toutefois, dans le cadre de la négociation du nouvel accord avec les Etats ACP devant faire suite à la convention de Lomé IV, Cuba a obtenu le statut d’observateur, rompant ainsi son isolement, l’UE se réservant la possibilité d’ouvrir avec le gouvernement de ce pays un dialogue politique tendant à améliorer la situation. 32. Article 122. 33. Article 126. 34. Article 67. 35. « Le message de cuba sur les Droits de l’homme », discours du Vice-président Carlos Lage à Genève devant la Commission des Droits de l’homme des Nations Unies, Granma, 28 mars 1999, p. 10-13. Ce texte stigmatise notamment l’adoption contre Cuba des lois Torricelli et Helms- Burton. 36. Chapitre IV. 37. Article 44. 38. Article 50. 39. Chapitre V. 40. Articles 45 à 47. 41. Les médecins cubains sont les rares spécialistes de certaines maladies telles que le vitiligo. 42. PNUD, Rapport sur le développement humain, 1998, et Maryse Roux, Cuba, Karthala, 1997, p. 5 et 79-82. 43. Ces difficultés sont au premier plan des préoccupations de la population lors des réunions avec les délégués de leurs circonscriptions, voir August, op. cit., p. 382-401. 44. Le 19 mai 1895 José Marti est tué au combat. Sur José Marti, voir, entre autres, Jean Lamore, José Marti et l’Amérique, Paris, L’Harmattan, 2 vol. , 1986. 45. Articles 28 à 33. 46. Il s’agit là d’une revendication chère aux pays du tiers monde cf. Dominique Rosenberg, Le principe de souveraineté des Etats sur leurs ressources naturelles, Paris, LGDJ, 1983, 395 p. 47. Article 11. 48. Article 12. 49. Article 66. 50. Article 68. 51. Article 95. 52. Article 97. 53. Article 70. 54. Article 137.

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55. Article 70. 56. Article 88. 57. L’Assemblée nationale du pouvoir populaire tient deux sessions par an. Leur durée minimale n’est pas précisée. Elles sont convoquées par son Président. La tenue de sessions extraordinaires peut être décidée par le Conseil d’Etat. 58. Corpus Constitutionnel, op. cit., p. 24. 59. Article 90 e. 60. Article 95. 61. Article 75 h. 62. Article 75 i. 63. Article 81 d. 64. Article 75 c. 65. Article 103. 66. Article 104. 67. Ainsi, la capitale La Havane ne constitue pas un ensemble municipal, et n’a pas de maire comme beaucoup de grandes villes dans le monde. La cité de La Havane constitue en revanche une province. 68. Sur la participation populaire au pouvoir à l’échelon municipal à Cuba voir les travaux du Centre d’Etudes pour les Amériques, en particulier l’article de Haroldo Dilla, Gerardo Gonzalez Nunez, Anna Teresa Vicentelli, « Participación y desarollo en los municipios cubanos », in Cuba en crisis, Jorge Rodriguez Beruff (compilador), Editorial de la universidad de Puerto Rico, 1995, p. 59-100. 69. Sur le système tel qu’il résulte de la constitution de 1976, voir André et Francine Demichel, Cuba, dans la série Comment ils sont gouvernés, Paris, L.G.D.J., 1979, p. 135-205 et 287-333. 70. Voir annexe. 71. Arnold August, op. cit., p. 270. 72. Ibidem, p. 295. 73. Ibidem. 74. Ibidem, p. 360-361. 75. Voir Granma, 8 mars 1998, p. 3. 76. Préface de l’ouvrage de Janette Habel, Ruptures à Cuba, op. cit., p. 25. 77. Cité par August, op. cit., p. 234. 78. Texte publié par les Documents d’actualité Internationale, n° 16 du 15 août 1996, p. 674-689. Sur ce texte voir Lowenfeld A., Agora, « The libertad Act. Congress and Cuba : the Helms-Burton Act », AJIL, 1996, p. 418 et s ; Glacett B., « Title III of the Helms-Burton Act is consistent with international law », AJIL, 1996, p. 434 et s. ; Jean-Marc Sorel, « Remarques sur l’application, extraterritoriale du droit national à la lumière de la législation américaine récente », Revue Juridique de l’Ouest, 1996, 18 p. ; Brigitte Stern, « Vers la mondialisation juridique ? Les lois Helms-Burton et d’Amato- Kennedy », RGDIP, 1996/4, p. 979-1003. 79. August, op. cit., p. 250. 80. Sur cette conception de la démocratie voir Thierry Michalon, « A la recherche de la légitimité de l’Etat », RFDC, 34, 1998, p. 289-313. 81. Janette Habel, Ruptures à Cuba, op. cit., p. 129. 82. Eric Williams, De Christophe Colomb à Fidel Castro : L’histoire des Caraïbes, (1492-1969), Paris, Présence Africaine, 1975, p. 535-536. L’auteur consacre, par ailleurs, un chapitre au Castrisme, p. 505-524. 83. Voir par exemple : Olivier Duhamel, Les démocraties, régime, histoire, exigences, Seuil, 1993 ; Dominique Gaxie, La démocratie représentative, Clefs, Montchrestien, 1993 ; Alain Touraine, Qu’est ce que la démocratie ?, Fayard, 1994.

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84. Guy Hermet, Culture et démocratie, UNESCO, Albin Michel, 1993, p. 31-32. 85. Ibidem. Les regards critiques sur les démocraties libérales occidentales ne manquent pas, voir entre autres un regard de l’intérieur : Alain Minc, L’ivresse démocratique, Gallimard, 1995. Ne manquent pas non plus les critiques portant sur l’occidentalisation du monde par l’implantation systématique et généralisée partout du modèle occidental de la démocratie représentative. Voir dans ce sens : Sous la direction de Sophia Mappa, Développer par la démocratie ? Injonction occidentale et exigences planétaires, Karthala, 1995. 86. Guy Hermet, Le passage à la démocratie, Presse de la Fondation Nationale de Sciences Politiques, 1996, p. 25. 87. Emmanuel Jos, « Démocratisation et développement dans la Caraïbe », CAOM, n° 4, 1991, p. 7-32. 88. Après quelques mesures en faveur des prisonniers d’opinion adoptées en 1998 (voir le Rapport d’Amnesty International de 1999), depuis le début de l’année 1999, la situation des dissidents et des journalistes apparaît des plus préoccupante et traduit un durcissement du régime. Ce durcissement s’explique sans doute par sa fragilisation. Il provoque des réactions de plus en plus nombreuses de la part des milieux intéressés. Ainsi le 17 juin 1999, vingt-cinq organes de presse européens, considérant qu’il s’agissait d’une atteinte intolérable à la liberté d’opinion et d’expression, ont demandé la libération de trois journalistes emprisonnés à Cuba pour outrage envers le président Fidel Castro et comportement socialement dangereux. 89. Haroldo Dilla, Gerardo Gonzalez Nunez, Anna Teresa Vicentelli, op. cit., p. 73-81. 90. Sur certaines de ces qualifications, voir Alain Blérald, « Les lectures critiques du castrisme : autoritarisme et bureaucratie », CAOM, 1993, p. 48-57. 91. Une comparaison stimulante nous semble intéressante à faire entre le fidélisme et le gaullisme. Le gaullisme est fondé sur le modèle du père et le fidélisme sur le modèle du frère. Par ailleurs, on peut observer que De Gaulle et Fidel Castro ont cultivé leur image de libérateur, de chef, y compris militaire, et ont voulu asseoir leur légitimité sur l’histoire en s’identifiant aux héros fondateurs de l’identité nationale. Tous les deux ont montré une hostilité au régime des partis, mais là où Castro a mis fin à leur libre constitution, De Gaulle a cherché à construire un système susceptible de transcender les effets pervers des partis, « mal inhérent au gouvernement libre » (selon Tocqueville, cité par Claude Emeri, dans Démocratie, autorité, stabilité, in De Gaulle en son siècle, (1. Dans la mémoire des hommes et des peuples), publié par l’Institut Charles De Gaulle, Paris, Plon et La Documentation Française, 1991, p. 204. La comparaison est d’ailleurs esquissée par Fidel Castro lui-même dans une interview au sujet de De Gaulle, reproduite dans l’ouvrage cité De Gaulle en son siècle, p. 50-57. 92. Le fidélisme puise assez largement sa force dans l’utilisation du verbe. Il s’agit en quelque sorte d’une “logocratie”. Janette Habel parle de « gouvernement de la parole » (Rupture à cuba, op. cit. , p. 129). Les discours de Fidel, reproduits et massivement diffusés par les médias officiels, durent généralement plusieurs heures. Un véritable culte est organisé autour de la personne de Fidel. 93. Pour reprendre la terminologie bien connue de Max Weber (Le savant et le politique, tr. 1959, éd. 10/18, p. 102-103), on peut dire que la constitution apporte un complément « légal-rationnel » au pouvoir « charismatique » de Fidel Castro, le culte des héros du passé et la volonté de s’inscrire dans leur sillage apportant, dans une certaine mesure, la dimension « traditionnelle ».

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RÉSUMÉS

La constitution cubaine de 1976 et la loi électorale qui la prolonge ont été modifiées dans le contexte des crises successives qu’a connu le régime de Fidel Castro au début des années 90.Ces modifications ont eu pour objet essentiel tout d’abord de mettre l’accent dans le domaine idéologique sur le martisme à côté du marxisme-léninisme, lui-même réaffirmé ; ensuite de donner davantage de pouvoirs aux citoyens de base, en leur permettant notamment de désigner désormais les députés à l’Assemblée Nationale du Pouvoir Populaire au suffrage directe et par vote secret. S’agissait-il de l’amorce d’une transition vers la démocratie libérale ? Assurément pas. Il s’est agit en réalité de perfectionamiento, c’est à dire d’approfondissement de la ligne révolutionnaire suivie par Cuba depuis 1959. La nature du régime cubain a donc peu évolué et continue de susciter controverses et appréciations très diverses.

The 1976 Cuban Constitution and the subsequent election act were amended within the context of the successive crises experienced by the Fidel Castro regime in the early 1990s. These amendments aimed essentially at focusing on the ideology of Martí-ism alongside the newly reaffirmed Marxism/Leninism; also at increasing power for basic citizens, in particular, enabling them henceforth to designate elected representatives to the Popular Power National Assembly by direct and secret vote. Was this the beginning of a transition toward liberal democracy? Certainly not. In reality, it was the process of perfectionamiento, that is, a deepening of the revolutionary orientation followed by Cuba since 1959. The nature of the Cuban regime was, therefore, able to develop and continues to incite much controversy and very diversified evaluations.

INDEX

Keywords : castrism, constitution, democratization, elections, human rights, marti-ism, perfectionamiento, pluralism, rectification, socialism Index géographique : Cuba Mots-clés : castrisme, constitution, démocratisation, droits de l’homme, élections, fidélisme, martisme, marxisme-léninisme, participation populaire, perfectionamiento, pluralisme, pouvoir local, rectification, réformisme constitutionnel, socialisme, unité

AUTEUR

EMMANUEL JOS Professeur de droit public Université des Antilles et de la Guyane

Pouvoirs dans la Caraïbe, 11 | 1999 32

Cuba : mutations sociales et défis politiques

Janette Habel

Les raisons d’une résistance

1 « Will Castro fall ? » s’interrogeait-on aux Etats-Unis après la chute du mur de Berlin. « L’an prochain à La Havane » assurait-on à Miami... Au début des années 1990 après la chute de l’URSS, Cuba semblait totalement isolée sur le plan international. A l’instar de nombreux observateurs Ronald Linden affirmait que « sans changement du cours suivi par les Etats de l’Europe de l’est ou sans changements à Cuba même, cet isolement continuerait »1. Les quelques années écoulées depuis ont infirmé ce jugement.

2 A force de ne voir dans le castrisme qu’un goulag tropical, les médias ont fait du régime cubain un épouvantail totalitaire dont seule la répression politique à l’égard de ses opposants expliquerait la survie.

3 S’agissant de Cuba, il faut donc se méfier des pronostics. Comment expliquer cette résistance ? Par la stratégie de la direction cubaine ? Si l’on en croit Fidel Castro, c’est la fermeté des principes qui a permis de « tenir ». Mais la réalité des faits et des politiques suivies montre que certains de ces « principes » sont mis à mal.

4 L’appui populaire dont a bénéficié la Révolution Cubaine s’explique par les deux composantes qui l’ont inspirée : la défense de la souveraineté nationale et la justice sociale. Le sentiment national reste aujourd’hui vivace bien que chez certains intellectuels et dans la jeunesse on minimise son importance en privilégiant l’existence d’une cubanité dont l’île n’aurait pas le monopole. On ne parle plus des « gusanos » (les « vers de terre », nom donné aux « traîtres » qui partaient au début de la révolution) et nécessité oblige, on organise des conférences sur la Nation et l’Emigration. Mais on continue à craindre l’hégémonisme du Nord « revuelto y brutal » comme disait José Martí. Le souvenir de l’oppression et des humiliations subies au XXème siècle (dont la base de Guantánamo est un symbole) donnent au discours castriste une légitimité qui n’est pas factice, dans une population majoritairement noire moins sensible aux attraits

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de l’« American way of life ». Le renforcement de l’embargo nord-américain depuis la crise avec les lois Torricelli et Helms-Burton ne peut que conforter cette défiance.

5 Cependant les conquêtes sociales sont mises à mal par dix ans de période spéciale, de réformes économiques marchandes. L’austérité des uns contraste avec l’enrichissement des autres. La réflexion et les débats politiques sont figés, laissant le champ libre à la parole d’une Eglise catholique pourtant minoritaire. Le marché encadré par l’ordre étatique, objectif avoué de certains hiérarques, produit déjà ses effets désagrégateurs.

Ravages du marché et fracture sociale

6 Les bouleversements économiques qui affectent le pays depuis presque dix ans – la « période spéciale » consécutive à l’effondrement de l’URSS a été décrétée en août 1990 – ont profondément ébranlé la stabilité de l’île. Le processus de libéralisation économique cubaine a été rapide si l’on tient compte du fait qu’il n’a vraiment commencé qu’il y a cinq ans, en 1993. Au delà des différences de situation, rappelons pour mémoire que l’ouverture économique en Chine date de 1978 et au Viêtnam de 1986.

7 Pour faire face à la crise, le gouvernement cubain a combiné ouverture économique et centralisation autoritaire sans offrir néanmoins de perspective stratégique à long terme. Bénéfiques pour certains secteurs de l’économie et secondairement pour l’appareil du Parti, les réformes adoptées ont provoqué une dislocation idéologique et sociale profonde. De nouveaux acteurs sont apparus qui suscitent la protestation des laissés pour compte de l’ordre antérieur. « Le secteur vert – celui des dollars – progresse, il permet chaque fois plus de choses, il envahit les boutiques et d’autres domaines. Mais le salaire, l’aide sociale diminuent et si on me paye en pesos, qu’est ce que je vais devenir avec mes pesos face à ceux qui ont accès aux dollars ? ». Cette interrogation2 d’un Havanais reflète bien le fossé que crée dans la société cette pyramide inversée qui place au bas de la hiérarchie sociale les anciens cadres privilégiés du régime, médecins, ingénieurs, professeurs, qui gagnent moins que des travailleurs non qualifiés.

8 Il existe désormais des enfants ou des vieillards sous-alimentés parmi les catégories les plus défavorisées de la population, alors que des fortunes personnelles s’accumulent par ailleurs. Au cours de l’enquête menée par Guillermo Milán, chercheur à l’Institut de Philosophie de La Havane, cette polarisation sociale apparaît nettement. Si 15 % des personnes interrogées se considèrent comme extrêmement nécessiteuses, 4 % estiment que tous leurs besoins sont satisfaits. Parmi les autres personnes interviewées, ce sont les problèmes économiques qui sont le plus souvent mentionnés : les bas salaires, le coût élevé de la vie, les problèmes de transport et de logement. Ces indications sont corroborées par la tendance à la concentration des dépôts dans les Caisses d’Epargne : les dépôts des gros épargnants ont augmenté alors que ceux des petits ont diminué (les soldes supérieurs à 10 000 pesos représentaient 36 % de l’ensemble en 1994 et 43 % en 1996, alors que les soldes inférieurs à 2 000 pesos sont passés pendant la même période de 22 % à 15 %)3.

9 Dans les années 1980, 95 % de la population active était employée par l’Etat. On estime aujourd’hui à 20 ou 25 % selon les auteurs4 la proportion de la force de travail employée dans le secteur privé légal ou informel depuis les réformes des années 1990. Louer une chambre, vendre des pizzas ou du café dans les rues, permet d’arrondir les fins de mois.

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Plus rentables sont les petits restaurants privés ou les réparations domestiques ou mécaniques effectuées par des ouvriers qualifiés. Enfin les revenus apportés par la prostitution sont parfois considérables. Dans ces conditions, à quoi servent un salaire ou des diplômes ? Il devient prioritaire de rétablir une certaine logique dans la hiérarchie des salaires et des revenus.

10 Quant au plein emploi il n’est plus qu’un souvenir : l’emploi public s’est réduit de 15 % entre 1993 et 19965. Des analystes de la CEPAL estiment que le chômage – sous-emploi et chômage déclaré calculés sur la base des niveaux de productivité de 1989 – atteignait 34,1 % en 19966 ce qui équivaut à la nécessité de créer des emplois pour plus d’un million de personnes. Un problème aggravé par l’écart entre le niveau de qualification existant et les propositions d’emploi disponibles d’une part, et par la faible disponibilité de logements qui limite la mobilité de la main-d’œuvre d’autre part.

11 C’est dans ce fossé entre les principes proclamés par le régime et la réalité quotidienne que s’infiltrent de nouvelles « valeurs » mercantiles ou spirituelles.

L’idéologie de l’Eglise en progrès

12 Le voyage du Pape a permis d’élargir les marges de manœuvre de l’Eglise catholique pourtant traditionnellement minoritaire. Pour la première fois un contre-pouvoir existe, dont l’autonomie et l’influence internationale n’ont pas d’équivalent. Pour la première fois, les Cubains ont entendu dans les médias un discours – celui de Jean-Paul II mais aussi (surtout) celui de P. Meurice Estiù Archevêque de Santiago de Cuba – critiquant publiquement le système de Parti unique. Or non seulement cette contestation politique est restée sans réponse mais l’Eglise apparaît désormais plus crédible que la dissidence qui n’a jamais eu de programme à long terme. Elle incarne une cohérence idéologique, sociale, économique différente du régime. Elle tente, à la différence de la dissidence, de ne pas laisser le monopole du nationalisme au pouvoir en s’opposant avec fermeté à l’embargo américain tout en dénonçant les méfaits du néolibéralisme. Elle préconise la réconciliation nationale tout en critiquant les extrémistes de Miami. Elle met à profit le scepticisme qui affecte le marxisme officiel depuis l’effondrement du socialisme réel en offrant une « spiritualité » dont l’absence apparaît comme un des grands échecs du régime.

13 Sur le plan social la hiérarchie catholique insiste sur la nécessité de reconstruire une société civile. L’Evêché de Pinar del Rio s’emploie avec succès à animer des « Cercles de formation civiques », réunions de débat et d’échanges. L’Eglise cubaine donne un certain appui aux syndicats chrétiens indépendants par le biais de la CLAT (Confédération Latino-américaine des Travailleurs). Le secrétaire général d’un petit groupe de syndicalistes, Pedro Pablo Alvarez Ramos, invité au 11ème congrès de la CLAT en novembre 1998 à México fut autorisé à y participer. Cependant la CISL s’inquiète dans son bulletin de l’existence possible dans les zones franches de « maquiladoras »7 à Cuba, « de la répression anti-syndicale, du problème posé par le système de paiement en dollars des salaires dans les entreprises mixtes et de l’embauche préférentielle » tout en dénonçant l’incapacité du syndicat officiel, la CTC, « d’abandonner son rôle de complice du pouvoir ».

14 Enfin Caritas bénéficie de l’aide et des dons des Eglises étrangères en premier lieu de celles des Etats-Unis, d’Allemagne, ou du Canada. L’assistance apportée aux plus pauvres dans les paroisses, en renforçant le sentiment d’appartenance à une

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communauté solidaire, a accru le prestige du clergé investi dans les tâches humanitaires. Les prêtres insistent sur la nécessité de revaloriser la famille. Ils sont écoutés, car l’échec des « écoles à la campagne » où les carences de l’encadrement scolaire ont provoqué des difficultés relationnelles chez les adolescent(e)s, l’absence de repères et l’instabilité familiale en cette période de crise préoccupent les parents et les éducateurs.

15 Sur le plan économique, les propositions faites sont empreintes d’une grande prudence. Elles présentent cependant l’initiative privée et le marché comme étant plus efficaces voire plus démocratiques que l’économie de commandement désormais perçue comme un échec.

16 Si l’on ajoute à l’ensemble de ce dispositif les relais internationaux dont dispose le Vatican, on comprend l’espace potentiel que peut occuper la seule institution indépendante du pouvoir.

La nomenklatura et les « camarades investisseurs » (H. Dilla8)

17 La décentralisation et la réforme des entreprises donnent un pouvoir important aux gérants d’entreprises et aux directeurs : si l’on en croit Vasquez Montalbán9, Eusebio Leal – historiador de la Ciudad et responsable de l’aménagement de la vieille Havane – a depuis 1994 les mains libres pour faire et défaire ce qu’il veut dans le centre historique de la capitale, « ce qui d’après ses amis et ses ennemis en a fait le premier entrepreneur de Cuba de par les affaires qu’il a développées et dont les bénéfices servent à restaurer la ville »10.

18 La bureaucratie d’Etat n’est pas homogène mais elle est sous contrôle. Fidel Castro garde la main mise absolue sur l’appareil d’Etat même si la gestion de la politique économique lui échappe en partie. Il a la capacité de concilier des intérêts contradictoires entre le personnel de gestion dont les compétences économiques sont nécessaires et le personnel d’encadrement moins compétent mais qui assure un contrôle politique indispensable. L’une des difficultés politiques induites par les réformes économiques tient à la restructuration des entreprises d’Etat et des ministères dans la mesure où elle implique une rationalisation des effectifs et des compétences (ou des incompétences) susceptibles de provoquer des oppositions durables chez les cadres administratifs. Ces derniers ne sont favorables aux réformes que dans la mesure où elles ne compromettent pas leur statut social. Entre les « camarades investisseurs »11 qui veulent généraliser leurs succès économiques et les camarades conservateurs chargés d’assurer la stabilité du pouvoir politique, l’harmonie est provisoire.

19 Au delà des différences, l’hostilité rencontrée par le premier Ministre Zhu Rongji en Chine, dont le programme prévoit la diminution de 50 % des cadres des entreprises d’Etat12 (remettant en cause le « bol de riz en fer » la garantie de l’emploi) fait réfléchir les responsables cubains qui suivent de près – bien qu’ils s’en défendent – l’expérience chinoise. L’instabilité sociale est un problème crucial pour un pays qui ne dispose pas, il s’en faut de beaucoup, des ressources de l’empire du Milieu. L’une des incertitudes de l’après-castrisme tient à la capacité du successeur désigné, Raoul Castro d’assurer l’avenir du régime. Certes le Ministre des Forces Armées est aussi le deuxième

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secrétaire du Parti et l’imbrication des deux institutions est grande surtout au sommet de l’Etat : six militaires sont membres du Bureau Politique (le quart de ses membres) mais si l’armée est fortement investie sur le plan économique, c’est le PCC qui a en charge l’appareil administratif national, provincial et municipal, et les organisations de masse qui encadrent l’ensemble de la population.

20 Or la réalité militante du parti, sa vie interne et sa cohésion se sont considérablement affaiblies avec la crise.

21 Les dirigeants cubains ont toujours justifié par l’agression américaine et la volonté annexionniste cachée de Washington l’existence d’un parti unique comme seule garantie d’unité et de cohésion nationales. En 1997 évoquant l’Afrique et ses problèmes d’unité nationale, Fidel Castro déclarait : « Les pays sont aujourd’hui plongés dans le chaos, ils sont divisés en de nombreuses fractions, en de nombreux partis, c’est ce qu’on a exigé d’eux. En Afrique même les tribus ont été transformées en partis. Nous, nous avons fait le contraire : nous avons transformé les partis en une tribu, c’est à dire en une seule famille »13. Justifiant ainsi au nom de la résistance nationale le monolithisme interne au Parti lui-même, le patriarche conduit à son inéluctable affaiblissement.

22 Certes on ne saurait sous-estimer les difficultés de construction d’un Etat-île-nation à proximité de la première puissance impériale dont la Présidence est soumise au puissant lobby de la bourgeoisie cubaine exilée. Mais comme le constate María López Vigil, observatrice attentive de la réalité cubaine et directrice de la revue centroaméricaine ENVÍO, les conséquences de la symbiose parti-Etat sont de plus en plus négatives. Elle rapporte ces propos : « Le Parti en ces dernières années s’est réduit à une direction au sommet qui a un lien direct avec l’Etat. C’est ce groupe dirigeant (dirigencia cupular) qui conduit et oriente les changements qui ont lieu à Cuba et qui affectent le portefeuille, l’esprit et l’âme de toute la société ». « Qui affectent ma vie, tu comprends, et je n’en ai qu’une seule » proteste son interlocuteur. Il regrette qu’un grand nombre de militants du Parti, étrangers à ce groupe dirigeant, attendent : « ils sont capables, ils veulent participer, travailler et faire part de leurs opinions, mais voyant qu’ils ne peuvent rien faire, rien changer, et qu’ils n’ont aucune influence ils s’aigrissent. Et deviennent indisciplinés. Au delà de ces militants il y a la masse de la population qui n’est pas militante mais qui reste révolutionnaire, des Cubains et des Cubaines qui veulent, peuvent et doivent participer et qui sont aussi dans l’expectative »14.

23 « Au fur et à mesure que se construisait le Parti unique, auquel très peu d’intellectuels eurent accès, celui-ci commença à assumer le rôle d’un cerveau unique qui décidait pour tout le monde, qui effectuait tous les choix. Le parti unique fut l’un des éléments les plus destructeurs de ce lien entre les intellectuels et le processus historique qui avait lieu dans le pays » écrit l’essayiste cubain Lisandro Otero qui vit aujourd’hui au Mexique15 et se déclare partisan d’un « socialisme efficace ».

24 L’Armée pourrait-elle être un relais politique fiable en cas de crise ? Le pouvoir a su gérer jusqu’alors les tensions qui auraient pu surgir de deux phénomènes concomitants : le retour des cinquante mille soldats cubains d’Angola d’une part (après la signature de l’accord Tripartite entre l’Angola, Cuba et l’Afrique du Sud en décembre 1988) et la reconversion économique d’une partie des militaires privés de vocation internationale et soumis à des restrictions budgétaires sans précédent impliquant la diminution de ses effectifs d’autre part. Alors que l’armée cubaine occupait la deuxième

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place en Amérique latine après le Brésil, en 1995 ses effectifs avaient diminué de moitié environ par rapport à 199016.

25 L’exemple des entreprises gérées par l’armée était depuis longtemps donné en exemple. Les entreprises dépendant du MINFAR avaient obtenu pour la seule année 1987 une augmentation de 27 % de la productivité, en flexibilisant l’organisation de la production et la fixation des salaires17.

26 C’est ce rôle pilote utilisant des critères de rentabilité capitalistes dans la gestion de ses entreprises qui a facilité la reconversion des officiers dans les joint ventures et l’investissement d’une partie des militaires dans les activités agricoles ou touristiques dépendant du MINFAR, les plus anciens partant à la retraite. « Mas vale frijoles que cañones » (il vaut mieux produire des haricots que fabriquer des canons) avait déclaré Raoul Castro en avril 199318.

27 Sur les marchés agricoles ou lors de la zafra, les militaires sont omniprésents. Dirigée par un général vice-ministre des FAR et membre du Bureau politique, l’entreprise Gaviota gère des hôtels, des entreprises mixtes, des plages, des centres de loisirs. Au Bureau Politique, ils détiennent des postes clés : le sucre, les transports, les communications...

28 Cette réinsertion n’est cependant pas générale : certains officiers sont restés à l’écart et il n’est pas rare de rencontrer tel capitaine de l’Armée Rebelle faisant office de chauffeur de taxi, voire même un Commandant de la Sierra Maestra obligé de louer une chambre dans sa maison pour gagner quelques dollars. Mais comment ce nouveau rôle économique va-t-il modifier la conscience de la grande muette ? L’armée cubaine est issue de l’Armée Rebelle et nombre de ses cadres sont encore vivants, à commencer par son fondateur. Elle a été jusqu’alors fidèle aux idéaux de la lutte insurrectionnelle mais beaucoup de ses cadres ont été formés à l’école soviétique. Mais ses fonctions sont aujourd’hui tout autres et ces nouveaux gestionnaires trouvent leur fierté dans la rentabilité et l’efficacité économique obtenues grâce à une discipline militaire qui n’est pas généralisable à toute la société quelle qu’en soit la tentation.

29 Pourtant, dans l’ensemble, l’Armée est apparue comme le promoteur des réformes économiques, comme une institution stable et professionnelle, efficace, ayant fait preuve d’une grande capacité d’adaptation aux nouvelles conditions sans vouloir jouer un rôle politique.

Vous avez dit société civile ?

30 Le concept de société civile avait été évoqué par F. Castro en 1992, mais il n’est apparu dans un texte officiel à Cuba qu’en 1996 dans un rapport très polémique de Raoul Castro prononcé au nom du Bureau Politique. Le Deuxième Secrétaire du Parti et Ministre des Forces Armées mettait en cause les centres de recherche, en particulier le Centre d’Etudes sur l’Amérique (CEA19), et certaines ONG accusés de former une cinquième colonne sous influence américaine et de faciliter ainsi l’application du « track two » (carril dos20), en contribuant à saper de l’intérieur l’unité nationale au profit des intérêts américains.

31 En octobre 1997, le Vème Congrès du PCC allait rectifier cette analyse : le thème de la société civile était mentionné sous une forme positive... assorti de l’adjectif « socialiste », témoignant comme le constate le chercheur cubain Haroldo Dilla21 de « la

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volonté de la bureaucratie de contrôler la société civile, de décider de qui en fait partie et de qui en est exclu et d’exercer ainsi une sorte de contrôle administratif sur son évolution ».

32 Les craintes de voir émerger des secteurs de la société échappant au contrôle du pouvoir ne datent pas de la crise. L’un des traits marquants du système cubain est d’avoir contribué de façon exceptionnelle à la promotion sociale de ses citoyens, en élevant leur qualification professionnelle, pour bloquer ensuite leur épanouissement par un contrôle politique et social sévère. La crise économique a aggravé le phénomène dès lors que sont apparus de nouveaux acteurs sociaux établis à leur compte, légalement ou dans le secteur informel, échappant à la tutelle de l’Etat22.

33 En d’autres termes, comme l’affirmait le chercheur Hugo Azcuy « la nécessité d’une expression plurielle de la société cubaine s’est accentuée au cours des dernières années de crise » et « la reconnaissance d’un espace social autonome doit être mise en rapport à Cuba avec la perte relative de la part de l’Etat de sa capacité de satisfaire entièrement les besoins de la population, et d’autre part avec l’apparition d’une économie privée »23.

34 Le « rôle recteur » de l’Etat et du Parti unique se heurtent ainsi à une contradiction majeure : en refusant d’accepter cet espace social autonome, le pouvoir se prive des moyens démocratiques de contrebalancer les effets des réformes marchandes. Celles-ci combinées au monopole du parti, engendrent corruption et délinquance, alors que n’existent ni transparence ni mécanismes de contrôles et que le secret bureaucratique protège les fraudeurs. Il ne reste au gouvernement que le recours à la répression pour lutter contre la délinquance, les délits, les vols dans le secteur d’Etat.

35 Souvent analysée comme un symbole de décomposition et une perversion immanente, la corruption est d’abord le résultat de la dollarisation, de l’autonomie croissante laissée aux « managers ». A une échelle plus limitée elle est l’expression des stratégies de survie utilisées par la population : marché noir, prostitution ou délinquance. Si les discours officiels – en particulier ceux de Fidel Castro – font état des difficultés du pays, ils restent vagues et imprécis concernant les souffrances des secteurs les plus fragilisés de la population. La façon dont le Commandant en Chef a évoqué la prostitution comme le produit d’une coquetterie féminine est révélatrice : « Personne ne peut prétendre être dans la détresse ici et une paire de chaussures à talons hauts, un soulier de luxe, un parfum séduisant, un nouveau vêtement ne peuvent compromettre l’honneur et la survie d’une nation »24. L’impossibilité de s’alimenter plus de deux semaines (dans le meilleur des cas et mal de surcroît) avec la libreta (carnet de rationnement), l’existence d’un sous-emploi massif et la déqualification profession-nelle font que les catégories les plus vulnérables de la population connaissent une grande pauvreté : c’est le cas des vieillards lorsqu’ils ne bénéficient pas de soutiens familiaux, des mères célibataires avec des enfants, des noirs qui ne reçoivent pas de remesas de l’étranger car l’exil est majoritairement blanc, des chômeurs qui ne disposent que de 60 % de leur salaire (en pesos), ou de ceux qui se trouvent dans des régions où les retombées du tourisme ne se font pas sentir. Le maintien – mais aussi la dégradation – des services sociaux gratuits ne suffit pas à éviter la misère. On assiste bien dans certains cas à la destruction du tissu social antérieur. Il y a désormais dans la crise des gagnants et des perdants, même si le régime cherche encore à protéger ces derniers.

36 Le viol des normes sociales, les suicides, l’émigration sont la conséquence de cette situation. Face au désarroi et à la démoralisation, certains chercheurs évoquent une désorientation sociale voire des phénomènes d’anomie25. Le journal de la CTC «

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Trabajadores » a exprimé sa préoccupation face à la corruption croissante et la démotivation des salariés26.

37 Comme dans toutes les crises sociales, la jeunesse, les artistes, les intellectuels réfractent ces tensions. En 1998 un nouvel incident est venu ébranler la confiance des milieux artistiques après que le Commandant en Chef a critiqué le film Guantanamera, œuvre du célèbre réalisateur Tomas Gutierrez Alea mort depuis deux ans, tout en avouant ne pas avoir vu le film concerné. « Quelle est cette île triste et noire ? » s’interrogea alors l’écrivain Abilio Estevez27.

38 Bien que toujours faible, la dissidence se montre plus audacieuse depuis le voyage du Pape. Des rassemblements protestataires ont eu lieu lors de plusieurs procès. Les participants étaient peu nombreux mais les répercussions plus importantes que par le passé. Publiée en février 1999, la « Loi de protection de l’indépendance nationale et de l’économie cubaine » vise entre autres à limiter l’expression politique publique des journalistes indépendants. Le procès de quatre dirigeants28 du Groupe de Travail de la Dissidence Interne emprisonnés depuis juillet 1997 a confirmé le renforcement de la répression. Accusés par le procureur d’atteinte à la sécurité de l’Etat et de sédition, les quatre sont considérés coupables d’avoir servi les intérêts des Etats-Unis, encouragé l’abstention électorale et voulu faire obstacle à la tenue du Vème congrès du PCC et à la visite de Jean-Paul II. Qualifiés par le journal Granma de véritables « traîtres à la nation, au peuple et à ses valeurs », l’éditorialiste souligne que « pour mener à bien ses plans de subversion interne les Etats-Unis paient des agents, organisent et financent des groupes, encouragent des leaders qui ne sont connus qu’à l’extérieur mais totalement ignorés dans le pays »29.

39 Il est vrai que les « quatre » ont appelé les entrepreneurs étrangers à ne pas investir à Cuba. Ce faisant, ils sapent la possibilité de gagner un appui populaire et montrent les limites d’une dissidence incapable de défier Fidel Castro sur le terrain de la souveraineté nationale. Mais on ne peut assimiler ces appels à une atteinte à la sûreté de l’Etat. Et que penser d’un pouvoir qui contrôle tous les médias et ne peut riposter ? L’argument des dirigeants selon lesquels le pays est en guerre et ne peut se permettre le luxe d’un débat n’est pas recevable. Aussi grave soit-il – et il ne saurait être question ici de le minimiser – l’embargo ce n’est ni la guerre ni un « génocide », terme employé par F. Castro. Ne faut-il pas plutôt chercher dans les dysfonctionnements structurels de l’appareil d’Etat et dans l’impasse politique où se trouve la direction cubaine l’explication de ses choix autoritaires ?

Quel projet à long terme ?

40 Quand on demande aux responsables cubains quel est leur programme, leur projet à long terme, les réponses sont évasives. Interrogé en 1993 lors d’un séminaire organisé par l’IRELA (Instituto de Relaciones Europeo – latinoamericanas – dont le siège est à Madrid), Carlos Lage s’était livré à une explication alambiquée et peu convainquante30 :

41 « On dit beaucoup que nous n’avons pas de programme, de nombreux amis nous le disent, beaucoup de personnes expriment cette préoccupation et nous devons réfléchir sur ces opinions, nous devons tenir compte de ces critères, nous sommes d’accord pour en prendre acte et nous le faisons. Je dis cependant que nous aspirons à un système socialiste, c’est à dire un système où la production soit propriété étatique, c’est à dire un système d’égalité sociale, de justice sociale. Dans ce système socialiste, dans les

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conditions où nous devons le développer aujourd’hui, nous devons concevoir, promouvoir car nous l’estimons utile (conveniente) une participation croissante du capital privé, principalement en association avec la propriété d’Etat socialiste, en recherchant de surcroît la technologie et les marchés ; la pratique de ces dernières années nous a montré que c’était possible. Dans ce système socialiste nous devons donner une place importante à la production coopérative, essentiellement dans l’agriculture, pour stimuler et motiver davantage la participation de tous ceux qui sont intéressés à la production ».

42 Quant à Fidel Castro comment voit-il le moment présent ? De ses différents discours on peut déduire qu’il analyse la période actuelle comme un recul négatif mais nécessaire compte tenu des rapports de force mondiaux. « Le monde est un gigantesque casino, le monde est un chaos » a-t-il déclaré lors de la réunion de l’Association des Etats de la Caraïbe (AEC) à St Domingue en avril 199931. Au cours de cette marche arrière, il faut préserver les conquêtes essentielles de la Révolution – pour lui, le pouvoir politique – en attendant des jours meilleurs permettant de reprendre la construction du socialisme. Sans doute n’avait-il pas prévu au début des années 1990 que la crise serait aussi longue et ses ravages aussi profonds alors qu’il entre dans sa soixante treizième année. De quoi sera fait l’après-castrisme ? Un leadership sans partage, l’absence de contre-pouvoirs pendant quatre décennies, des institutions taillées sur mesure pour le Commandant en chef, une population démoralisée, La Havane quadrillée, ne préparent pas l’avenir.

Une expérience historique inédite

43 L’expérience cubaine sanctionne l’échec de l’étatisme : la collectivisation des moyens de production n’est pas à elle seule un projet politique viable parce que le seul changement de propriété ne présente aucune garantie contre la confiscation du pouvoir, que ce soit par la haute administration ou par une bureaucratie faisant un usage inefficace des richesses. Le problème posé est celui de la délégation de pouvoir ou du partage des pouvoirs, de la participation des citoyens, des salariés, des usagers impulsant un socialisme participatif que les nouvelles divisions sociales entre salariés et nouveaux travailleurs indépendants, entre blancs et noirs rendent encore plus incertain à Cuba.

44 L’objectif des autorités économiques est de maintenir la propriété étatique des moyens de production. Mais comment concilier gestion capitaliste des entreprises, ouverture au monde extérieur et monopole du Parti unique ?

45 Les mesures de libéralisation prises entre 1992 et 1995 l’ont été sous la contrainte et la nécessité, la situation devant retourner à la « normale » une fois la « période spéciale » passée. Mais que signifierait un retour en arrière après la disparition du bloc soviétique ? Comment l’économie du pays va-t-elle s’adapter à la mondialisation ? A quelles conditions est-il possible d’approfondir les réformes économiques en sauvegardant le régime et le système politique en vigueur comme le souhaitent ses dirigeants ? Le système résistera-t-il au danger de se voir dépassé par des réformes économiques dont les conséquences sociales ne manqueront pas d’acquérir une dynamique propre après la disparition de son fondateur ? Le vide institutionnel actuel pourrait-il être comblé par une démocratisation sociale et politique sauvegardant les acquis fondamentaux de la Révolution cubaine instaurant – expérience inédite – un

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socialisme rénové ? Ou la révolution cubaine connaîtra-t-elle le sort tragique de la première République Haïtienne ?

NOTES

1. C. Mesa-Lago, Cuba after the Cold War, University of Pittsburgh, 1993, p. 51. 2. Manuel Vasquez Montalbán, Y Dios entró en La Habana, Ed. El Pais Aguilar, 1998, Madrid, p. 29. 3. CEPAL, La economía cubana, Fondo de Cultura Económica, México, 1997. 4. Cf. Nacla, Mars-avril 1999, p. 18 et 24, La revue Temas (n° 11, p. 42) l’estime à 22 % en 1994. 5. H. Escaith, « Cuba pendant la "période spéciale" : ajustement ou transition ? », à paraître dans les Cahiers des Amériques latines, 1999. 6. CEPAL, La economía cubana, Fondo de Cultura Económica, México, 1997, p. 188. 7. Usines d’assemblage, sous-traitance. 8. Haroldo Dilla, « Comrades and investors : the uncertain transition in Cuba », Socialist Register, 1999. 9. Manuel Vasquez Montalbán, Y Dios entró en La Habana, Ed. El Pais Aguilar, Madrid, 1998. 10. Manuel Vasquez Montalban, Ibid. 11. Haroldo Dilla, « Comrades and investors : the uncertain transition in Cuba », Socialist Register, 1999. 12. International Herald Tribune, 17/18 avril 1999. 13. Cité par María López Vigil, Revue Envío, n° 184, juillet 1997, Managua. 14. Ibid. 15. La Vanguardia, 19 avril 1999, Mexico. 16. Phyllis Greene Walker, « Cuba’s revolutionary armed forces : adapting in the new environment »,Cuban Studies, n° 26, University of Pittsburgh, p. 61. 17. H. Escaith, « Cuba pendant la "période spéciale" : ajustement ou transition ? », à paraître dans les Cahiers de l’Amérique latine, 1999. 18. El Sol (Mexico), 21 avril 1993. 19. Le Centre d’Etudes sur l’Amérique regroupait de nombreux chercheurs et publiait une revue – « Cuadernos de Nuestra America » – appréciée pour le sérieux de ses articles et la qualité de ses analyses critiques. La revue n’est plus reparue depuis 1996 et les principaux chercheurs du centre, le directeur et le directeur adjoint ont été dispersés dans d’autres institutions. 20. La diplomatie américaine favorise désormais les contacts « de peuple à peuple » comme tactique subversive plus efficace que la confrontation. 21. Haroldo Dilla, « The virtues and misfortunes of civil society », NACLA, Report on the Americas, n° 5, mars/avril 1999. 22. Chercheur au CEA Hugo Azcuy est mort d’un infarctus en mars 1996 après le discours accusateur de Raoul Castro. 23. Temas, n° 4, La Havane, 1995. 24. Fidel Castro, Granma, 8 janvier 1999. 25. D’après une enquête de l’Institut de Philosophie 30 % des personnes interrogées pensent que le capitalisme est une alternative sociale qui leur permettrait de s’accomplir en tant qu’individus (Nacla mars/avril 1999, p. 35). 26. Trabajadores, n° 23, Mai/juin 1998.

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27. Auteur de Tuyo es el reino (Ce royaume t’appartient) paru en France aux éditions Grasset, 1999. 28. Wladimiro Roca, Marta Beatriz Roque, Felix Bonne, René Gomez Manzano. 29. Cuban Review, avril 1999, p. 1. 30. Revista de Estudios Europeos, n° 29/30, juin 1994, La Havane. 31. Dépêche Reuters, 18 avril 1999.

RÉSUMÉS

La crise qui affecte l’île depuis presque dix ans a profondément ébranlé la société cubaine. L’adoption de réformes économiques marchandes a provoqué une dislocation idéologique et sociale profonde. Pour faire face à l’essor de la corruption et de la délinquance conséquences de la libéralisation économique, le gouvernement cubain a renforcé la répression. L’impasse politique où se trouve la direction cubaine explique ses choix autoritaires. Mais en refusant d’accepter tout espace social autonome le pouvoir se prive des moyens démocratiques de contrebalancer les effets pervers des réformes qui ne manqueront pas d’acquérir une dynamique propre. Seule une démocratisation sociale et politique pourrait permettre de sauvegarder les acquis fondamentaux de la Révolution en évitant les périls d’une transition dangereuse.

The crisis affecting the island for the past ten years has profoundly upset Cuban society. The adoption of commercial economic reform has provoked deep ideological and social dislocation. To face the rise of corruption and criminality, the consequence of economic liberalization, the Cuban government has strengthened its repressive practices. The political impasse that the Cuban administration finds itself in explains its choosing the path of authority. But, by refusing to accept any type of autonomous social environment, the government deprives itself of a democratic means of counterbalancing the perverse effects of reform which will ineluctably acquire their own dynamic drive. Social and political democratization alone can enable the safekeeping of the fundamental privileges of the Revolution while avoiding the risks of a dangerous transition.

INDEX

Index géographique : Cuba Mots-clés : Castro Fidel, transition Keywords : Castro Fidel, transition

AUTEUR

JANETTE HABEL Maître de conférences Université de Marne-la-Vallée Institut des Hautes Etudes d’Amérique latine

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Cuban communities in the United States: migration waves, settlement patterns and socioeconomic diversity

Jorge Duany

1 Cuba is one of the top migrant-sending countries to the United States. In 1996, the island represented the seventh source of all immigrants to that country (26 466 persons). Moreover, Cuba was the fourth country of origin of the foreign-born population of the United States in 1990. In that year, the U.S. Census Bureau found 1 053 197 persons of Cuban ancestry, the second largest group of Hispanics after Mexicans and Puerto Ricans. In 1997, the Current Population Survey estimated that 1 258 000 Cubans were living in the United States1. The latter number represents about 11 percent of the island’s population. This massive, recent, and continuing flow of people has drawn much attention from the mass media, scholarly researchers, and policy-makers, particularly in the context of Cold War tensions between Cuba and the United States.

2 The Cuban exodus since 1959 can be divided into four main stages: the Golden Exile (1959-1962), the Freedom Flights (1965-1973), the Mariel boat lift (1980), and the balsero crisis (1994) (see Figure 1). In addition, one may trace the beginnings of large-scale Cuban emigration in the last third of the nineteenth century (1868-1900) and its continuation during the first half of the twentieth (1900-1958). This periodization highlights the shifting socioeconomic composition of the migrants, the impact of various junctures in the relations between the United States and Cuba, and the development of the Cuban Revolution itself. The Cuban-American population is extremely diverse in both class background and current status, partly as a result of the various phases of the Cuban diaspora. For instance, upper- and middle-class refugees predominated in the first two waves of the post-revolutionary exodus (1959-1962 and 1965-1973), while lower-class immigrants predominated in the latter two waves (1980 and 1994). Lisandro Pérez has aptly compared the Cuban diaspora to the peeling of an

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onion, in which successive layers of migrants draw increasingly on the core of the Cuban population2.

Figure 1

Stages in cuban migration to the united states since the cuban revolution

Phase Dates Landmark events Estimated number of immigrants

Golden Exile January 1959- From the triumph of the 250 000 October 1962 Revolution to the Missile Crisis (22,9% of the total)

Suspension of November 1962- From the end of the Missile 74 000 (6,8 %) regular migration November 1965 Crisis to the opening of Camarioca port

Freedom Flights December 1965- From the closing of Camarioca 300 000 (27,6 %) April 1973 to the end of the airbridge

Arrivals through May 1973- From the end of the airbridge to 38 000 (3,5 %) other countries March 1980 the opening of Mariel harbor

Mariel exodus April- From the opening to the closing 125 000 (11,5 %) September 1980 of Mariel

Renewal of regular October 1980- From the end of Mariel to the 154 000 (14,2 %) migration December 1991 reduction of visas

Increase in January 1992- From the reduction of visas to 51 000 (4,7 %) undocumented July 1994 the balsero crisis migration

Balsero crisis August- From the lifting of Cuban 36 000 (3,3 %) September 1994 restrictions to migrate to the U.S.-Cuban agreements

Renewal of regular October 1994- From the U.S.-Cuban 60 000 (5,5 %) migration December 1996 agreements to the present

3 Another source of diversity within Cuban-American communities is geographic location. Before 1959, Cuban immigrants clustered in cigar-making centers like Ybor City and Key West in south Florida, and in New York City. Since 1959, Cubans in the United States have concentrated in four major types of settlements: (1) the Cuban ethnic enclave of Miami; (2) the Cuban-American community of West New York-Union City, New Jersey; (3) the middleman minority group in San Juan, Puerto Rico; and (4) other communities scattered in New York, California, Illinois, and elsewhere. In addition, sizeable Cuban populations exist in Mexico, Venezuela, and Spain3. Each community has its own character, history, and relation with the host society.

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4 In this article, I will sketch the principal migration waves from Cuba to the United States during the twentieth century, especially since 1959, and trace their historical background in the nineteenth century4. My focus will be on the changing socioeconomic characteristics of the migrants over time as well as their spatial distribution in the United States. I will show that, throughout the past four decades, the émigrés have become more and more representative of Cuban society with regard to income, occupation and education (but not so much with regard to race or color and region of origin-they are still predominantly white and urban). In the second part of the article, I will analyze the differences and similarities in the settlement patterns of Cubans in Miami, West New York-Union City, San Juan, and other cities. In particular, I will argue that it is a mistake to take the ethnic enclave in Miami as the prototype for the experiences of all Cubans in exile. Actually, Cuban Miami represents a singular and probably unique case of immigrant settlement and adaptation.

5 The third section of the essay will briefly examine the socioeconomic profile of the Cuban population in the United States and conclude that stereotyped images of its material success have little basis on academic research. Instead, Cuban-Americans face many of the same challenges as other recent immigrants in the United States and elsewhere. Among these challenges is the question of developing a hybrid cultural identity that maintains transnational linkages to the homeland as well as to the adopted country. My main thesis, which will be further developed in the final section of this article, is that the tendency among scholars and journalists to represent Cuban exiles as a prosperous and privileged group has led them to neglect key aspects of that community, such as the high degree of internal differentiation with regard to social class, political ideology, residential location, and other variables. As a result, more nuanced and finely grained portraits of the Cuban diaspora should take into account its socioeconomic diversity, historical complexity, and physical dispersion.

I - Historical Phases of the Cuban Diaspora

A - The Pre-Revolutionary Cuban Exodus

6 Prior to the Cuban Revolution of 1959, a steady stream of Cubans had moved to the United States. Large-scale emigration began in earnest with the Ten Years’ War in Cuba (1868-1878), accelerated during the Spanish-Cuban-American War (1895-1898), and proceeded during the twentieth century. Between 1869 and 1900, nearly 33 000 Cuban immigrants were admitted in the United States (see Table 1). In the mid-1870s, some 12 000 Cubans resided there. Most of them were either political refugees or working- class migrants such as artisans and laborers in the tobacco industry. By the early 1900s, Cubans had established immigrant colonies in Key West, Tampa, New York City, and New Orleans, mostly as a result of political and economic turmoil on the island5.

Table 1

Cuban immigrants admitted to the united states, 1869-1996, by decades

Years Number

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1869 -1870 3 090

1871-1880 8 221

1881-1890 21 528

1891-1900 25 553

1901-1910 44 211

1911-1920 25 158

1921-1930 15 901

1931-1940 9 571

1941-1950 26 313

1951-1960 78 948

1961-1970 208 536

1971-1980 264 863

1981-1990 144 578

1991-1996 94 936

Total 971 407

U.S. Department of Justice, 1996, Statistical Yearbook of the Immigration and Naturalization Service; Pérez, « Cuban Catholics in the United States ».

7 During the first three decades of the twentieth century, several crises in the international market for sugar and tobacco, as well as violent upheavals in the fragile Cuban republic, caused large movements of people to the United States. Emigration was substantially reduced during Gerardo Machado’s dictatorship (1924-1933) and the Great Depression. In the 1930s, the number of Cubans admitted to the United States declined to less than 10 000 persons. However, the Cuban tradition of sending political exiles to the north continued unabated. During the 1940s and 1950s, tens of thousands of Cubans sought better economic opportunities and political refuge in the United States. This is the period recreated in the semi-biographic accounts of Miguel Barnet, La vida real (1984), and Oscar Hijuelos, The Mambo Kings Play Songs of Love (1989). The migration of Cuban musicians, artists, and athletes was especially noteworthy. By 1958, about 40 000 Cubans lived in the United States, mostly in New York City6. Out of nearly one million Cuban immigrants registered between 1869 and 1996, 258 494 or almost 27 percent arrived before 1960. Thus, the exodus had a history of almost one hundred years on the eve of the Cuban Revolution.

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B - The Golden Exile, 1959-1962

8 The massive flow of Cuban refugees began with the overthrow of Fulgencio Batista’s dictatorship (1952-1958). Starting in January, 1959, the first to leave the country were the military officers, political leaders, government workers, large landowners, and entrepreneurs closely identified with Batista. As the Revolution became progressively more radical, disillusioned members of the middle class such as professionals, technicians, managers, and administrators joined the diaspora. Many of these groups were negatively affected by revolutionary policies geared toward the redistribution of wealth, such as agrarian reform, urban housing reform, and nationalization of foreign assets7. The period from 1959 to 1962 has been dubbed the « Golden Exile » because most of the refugees came from the upper and middle strata of Cuban society. The majority were urban, middle-aged, well-educated, light-skinned, and white-collar workers. At this stage, political, social, and religious reasons were the primary motivations to leave the country. Nearly 23 percent of all Cuban exiles (or 250 000 persons) fled to the United States during the first wave of post-revolutionary migration8.

9 Until January, 1961, when the U.S. government broke diploma-tic relations with Castro’s Cuba, exiles could fly directly from Havana to Miami on commercial flights. Between 1 600 and 1 700 Cubans arrived in the United States per week during this period9. The refugees consisted primarily of nuclear families admitted to the United States on a temporary basis (through visa waivers) because they thought they would soon return home. They tended to remain in Miami because of its geographical proximity to Cuba, because of the exiles’ prior familiarity with Florida, and because that city became the center of anti-Castro activity. In April, 1961, the military fiasco of the Bay of Pigs invasion initiated a new era in Cuban exile politics: the Revolution was here to stay; exile was no longer a transitory status.

10 The Cuban Missile Crisis of October, 1962, interrupted the large-scale migration of Cubans to the United States. Illegal migration correspondingly increased, mostly by small craft and makeshift vessels; an estimated 6 700 boat people (balseros) arrived in Florida between 1962 and 196510. In addition, nearly 56 000 Cubans migrated to the United States from other countries like Mexico and Spain, which maintained diplomatic relations with Cuba. In the aftermath of the Bay of Pigs invasion and the Missile Crisis, tensions between Cuba and the United States escalated even further. Commercial transportation between the two countries was suspended until September, 1965, when the Cuban government unilaterally opened the port of Camarioca, allowing some 5 000 persons to leave the country.

C - The Freedom Flights, 1965-1973

11 Camarioca ushered in a new migration wave from Cuba to the United States. Diplomatic negotiations between Washington and Havana created an airlift between Varadero and Miami from Decem-ber, 1965, to april, 1973: the so-called Freedom Flights that took from 3 000 to 4 000 Cuban refugees per month to the United States. This stage totaled about 300 000 refugees, nearly 28 percent of the exodus between 1959 and 199611. Most Freedom Flights exiles had relatives already living in the United States, so that kinship networks played an important role in the process of migration and resettlement. So did

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the Cuban Refugee Program, established in 1961, which helped relocate many of the exiles outside Miami and eased their transition to a new life.

12 A change in the socioeconomic composition of the émigré population was well under way by 1973. Although the exiles still over-represented the upper social strata, they were more diverse with regard to income, occupation, education, and residence in Cuba. As the proportion of professionals and managers among the émigrés declined, the proportion of blue-collar and service workers increased12. Shifts in the refugee flow reflected the growing impact of revolutionary programs on wider segments of the Cuban population, such as small-scale vendors and artisans13. During this stage, the middle and lower occupational sectors – such as clerical and sales employees – came to predominate among Cubans in the United States. Like their immediate predecessors, the migrants settled primarily in the Miami metropolitan area, recreating the heterogeneous social structure of their homeland almost entirely. By 1970, Miami had replaced New York as the capital of Cuban America.

13 In April, 1973, the Freedom Flights ended, reducing Cuban migration to a mere trickle. Only about 38 000 Cubans arrived in the United States between 1973 and 1979, mostly via other countries, including Jamaica and Venezuela, which reestablished diplomatic relations with Cuba14. This group of migrants had two major destinations – Miami and New York – where they could find relatives and friends, as well as work. Although the exodus slowed down during this period, it displayed an increasing socioeconomic diversity. By the end of the 1970s, ideological and material incentives to emigrate were practically inseparable15. Cubans increasingly resembled labor migrants from countries such as Mexico or the Dominican Republic, driven abroad by their desire to improve their standards of living. The main difference was that the U.S. government defined Cubans as political refugees and most of the others as economic migrants16.

D - The Mariel Exodus of 1980

14 The mass migration of Cubans from Mariel harbor to Key West, Florida, took place between April and September of 1980. The sudden and dramatic outflow partly resulted from the visits of more than 100 000 exiles to Cuba in 1979, which familiarized their relatives with economic opportunities in the United States. The immediate cause of the boat lift was the take-over of the Peruvian embassy in Havana by more than 10 000 Cubans. Fidel Castro resented that the Peruvian government failed to return some Cubans who had invaded the embassy requesting political asylum. So he removed its police custody and exhorted all those wishing to leave the country to go to the embassy. In a reprise of Camarioca, the Cuban government opened the port of Mariel, near Havana, for those who could be picked up by relatives living abroad. When the exiles arrived in Mariel on boats and ships, the Cuban government forced them to take unrelated persons, some of whom had spent time in prisons and mental hospitals.

15 Contrary to media reports, less than two percent of the marie-litos (as they were pejoratively labeled) were common criminals, although about 25 percent had been in jail for various reasons, including violating the Cuban law of peligrosidad, or « dangerous behavior » such as engaging in public homosexuality, vagrancy, and antisocial acts17. Approximately 125 000 Cubans arrived in Key West during the Mariel boat lift, representing about 12 percent of the exodus between 1959 and 1996. Most of the marielitos were young, single males; many were black or mulatto; the majority were of

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working-class background and had less than a high-school education. In Havana, the government officially branded the refugees as escoria (scum) and lumpen because it considered them antisocial and counter-revolutionary elements. In Miami, where most of the marielitos eventually settled, the exodus deepened the rifts between « old » and « new » immigrants. Date of departure from Cuba – before or after 1980 – became a symbol of one’s social status. The diminutive term marielito itself reflected the public scorn accorded to the new immigrants, both in Cuba and in the United States.

16 The Mariel exodus transformed Miami’s Cuban community. Approximately 13 percent of the marielitos was classified as black or mulatto, compared to only three percent of the exiles in 1973. The occupational structure of Cuban Miami became even more hetero-geneous than before as more blue-collar and service workers entered the local labor market. Mariel refugees faced longer periods of unemployment, low-paid work, and welfare dependence than earlier migrants18. As a result of the Mariel exodus, the exile community in Miami became much more representative of the entire Cuban population. Furthermore, « the sudden influx of more than 85 000 Mariel refugees in the Miami area has created major problems in housing, unemployment, and apparently crime as well »19. As Alejandro Portes has pointed out, « The few thousand delinquents and mental patients put by the Cuban government aboard the boats stigmatized not only the entire Mariel exodus, but the pre-Mariel exile population as well »20. In 1981, a Gallup poll showed that Americans perceived Cubans to be the second less desirable group of neighbors after religious cult members21.

17 Cuban emigration slowed down after 1980 because the U.S. government no longer considered all Cubans to be political refugees. Between 1981 and 1990, about 145 000 Cuban immigrants were admitted to the United States, compared to nearly 265 000 during the 1970s22. After Mariel, Cubans were labeled « entrants (status pending) », an ambivalent category that placed them in a legal limbo for an indefinite period and did not provide the special benefits accorded to those granted political asylum. To qualify as refugees, applicants had to prove a « well-founded fear of persecution » in their home country. Only some groups of Cubans, such as former political prisoners, were now eligible for refugee status. Most were labor migrants, such as blue-collar and service workers, reflecting the socioeconomic composition of the Cuban composition more accurately than before. Ideological dissidence with Castro’s policies was less common among the émigrés of this period.

18 Migration remained a thorny issue in U.S.-Cuban relations during the 1980s. In December, 1984, both governments signed an agreement allowing the migration of up to 20 000 Cubans per year. But the Cuban government quickly suspended the agreement to protest the launching of Radio Martí in Miami in may, 1985. Consequently, thousands of Cubans moved to other countries, such as Panama and Jamaica, where they hoped to obtain visas to the United States. Others attempted to reach Florida by boat or overstayed their temporary visit permits. The stage was set for another migratory crisis.

E - Balsero Crisis of 1994

19 After a sharp decline in the 1980s, the exodus recovered its pace during the 1990s as a result of growing economic and political hard-ship in Cuba. Between 1991 and 1996, a total of 94 936 Cuban immigrants were admitted to the United States. In addition,

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13 147 rafters arrived from Cuba between January of 1991 and July of 199423. In august of 1994, the number of refugees broke all records since the Mariel exodus. By the end of that month, the U.S. Coast Guard had rescued 21 300 Cubans near the coast of Florida. The so-called balsero crisis involved about 36 000 Cuban rafters interdicted at sea at the height of the exodus between august 13 and September 13, 1994.

20 Technically, the balseros were undocumented migrants because they left Cuba without authorization. Until august, 1994, the U.S. government had welcomed them as political refugees fleeing Castro’s authoritarian regime. However, the Clinton administration increasingly perceived the balsero crisis as a national security threat that could quickly become « another Mariel »: that is, a prolonged, massive, and chaotic boat lift from Cuba to the United States. To prevent such a situation, President Clinton decided to return all future refugees to Cuba. From the standpoint of the Cuban government, the crisis also had the potential to destabilize the island’s internal security and international image, as the august 5, 1994 riots in downtown Havana clearly showed. Both governments therefore moved swiftly to address the crisis through a series of bilateral measures, beginning in Septem-ber, 1994. In May, 1995, the U.S. and Cuban governments renewed the 1984 agreement to allow the migration of 20 000 Cubans per year, in addition to a special lottery of 5 000 new visa applications. The balsero crisis had been temporarily solved.

21 The immediate antecedents of the crisis are clear in hindsight. In July, 1991, the U.S. State Department announced the temporary suspension of tourist visas for Cubans due to a backlog of 28 000 applications. Many Cubans overstayed these visas and did not go back home, thus becoming undocumented immigrants in the United States. Moreover, the U.S. Interests Section in Havana only granted 3 250 immigrant visas between 1991 and 199324. Illegal exits from Cuba therefore became the primary means of migrating to the United States during the early 1990s. These were the worst years of the so-called Special Period in Time of Peace in Cuba, characterized by a sharp decline in economic growth, a dramatic decrease in living standards, a rise in social tensions, and unmet demands for political reform25. Migratory pressures accumulated rapidly, including large sectors of the Cuban population, such as service workers, professionals, and the growing unemployed. In august, 1994, when the Cuban government temporarily lifted all restrictions to leave the country, thousands of Cubans attempted to do so on improvised boats and rafts, especially from the port of Cojímar, near Havana. Cuban scholars have recently estimated that between 636 000 and a million more Cubans would migrate if allowed to do so26.

22 In the 1990s, material deprivation and family reunification became increasingly salient reasons for migration27. Thus, the contem-porary Cuban diaspora is less of a politically motivated exile and more of an economically motivated migration, as in much of the Caribbean region. A recent sample of balseros, detained in their attempt to leave Cuba, still over-represented the white, male, urban, and educated population of the island28. Most of the respondents were manual workers, especially in transportation and communications, although many were professionals, technicians, and administrators. The majority said they wanted to leave the country for economic or personal reasons29; most had relatives and friends living abroad. A surprising proportion (21 percent) were members of the Cuban Communist Party or the Communist Youth Union; not surprisingly, nearly a third (29 percent) were unemployed. Altogether, the data suggest

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that current emigration reflects the profound economic crisis that affects all strata of Cuban society.

23 The United States continued to accept unauthorized migrants from Cuba until august 19, 1994, when President Clinton ordered the U.S. Coast Guard to transfer the rafters to U.S. military bases in Guantánamo and Panama. Thus, the Clinton administration reversed the traditional open-door stance toward Cuban migration and began a series of major policy shifts, such as intercepting, detaining, and repatriating the rafters. This transformation in the official treatment of Cubans in the United States signaled an attempt – not entirely successful – to develop a coherent immigration and refugee policy in the post-Cold War period. More particularly, it was a political response by the Clinton administration to long-standing criticism of U.S. preference toward Cuban over Haitian boat people. Hence, analysts have begun to write about the « Haitianization » or « Caribbea-nization » of U.S. Cuban migration policy30. For the first time since 1959, Cubans leaving their country without visas were considered illegal aliens subject to deportation, just like Haitians, Dominicans, or Salvadoreans. This policy shift represents the beginning of the end of the special status of Cuban immigrants in the United States.

24 In sum, the Cuban exodus has undergone several distinct stages during the past four decades. Emigration began with the disaffected sectors of the Cuban Revolution, initially concentrated in the most privileged groups of pre-revolutionary society (especially urban, upper – and middle – class whites). But the subsequent deterioration in U.S.-Cuban relations, together with faltering economic conditions on the island, produced a much more heterogeneous Cuban-American popula-tion in its social, economic, and political origins. This trend toward the diversification of Cuban émigrés became evident during the Freedom Flights (1965-1973) and especially after Mariel (1980). During this period, working-class, dark-skinned, and rural migrants left Cuba in larger numbers than before. In the 1990s, the economic crisis deepened the migratory potential and even impacted formerly pro-revolutionary segments of the population. Except for peasants and blacks, current émigrés represent a wide cross-section of Cuban society. Finally, economic motives have become as important as political ones during the latter phases of the exodus.

II - American Communities: Similarities and Differences

25 Within their primary places of destination, Cuban immigrants have carved out distinctive niches, especially in south Florida, northeastern New Jersey, and the metropolitan area of New York. In 1990, the top five Cuban settlements in the United States were Miami, Los Angeles, West New York-Union City, New York City, and Tampa (see Table 2). In addition, a smaller number of Cubans (about 17 000) lives in San Juan, Puerto Rico. Cuban communities are also notable in Madrid, Caracas, and Mexico City, but little has been published about them31. For some time now, Miami has had more Cuban residents than Santiago de Cuba, Cuba’s second city. Outside of Miami, West New York-Union City in New Jersey is the single largest Cuban settlement in the United States, although the Los Angeles-Anaheim-Riverside consolidated metropolitan area now has more Cuban residents.

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Table 2

Geographic distribution of the cuban population in the United States, 1990

State Number of Cubans Percent of Cubans

Florida 675 786 64,2

New Jersey 87 085 8,3

New York 77 016 7,3

California 75 034 7,1

Illinois 17 165 1,6

Other states 121 111 11,5

Total 1 053 197 100,0

State Number of Cubans Percent of Cubans

Metropolitan area

Miami, Florida 561 868 53,3

Los Angeles, California 60 302 5,7

Union City-West New York, 57 604 5,5 New Jersey

New York, New York 57 019 5,4

Tampa, Florida 33 933 3,2

Other areas 282 471 26,8

Total 1 053 197 100,0

U.S. Bureau of the Census, 1990, Census of the Population of the United States.

26 Each of these communities remains connected to the Cuban homeland through specific spatial practices, such as renaming streets and schools, establishing businesses with the same names as in the home country, redecorating inner and outer spaces, establishing hometown associations, and organizing parades and festivals based on Cuban traditions. In Little Havana, Cubans rechristened Calle Ocho in honor of the Miami Sound Machine. In San Juan, they built condominiums with Cuban names like Varadero and Comodoro, and opened restaurants like Kasalta or Havana’s. In Union City, Mariel refugees recently organized a rumba group at the Esquina Habanera restaurant32. In Madrid as well as in San Juan and earlier in Tampa, the émigrés formed social clubs like Casa Cuba; and in Caracas, they founded the Church-supported Unión de Cubanos en el

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Exilio, which soon expanded to Miami, Union City, and other centers of the diaspora. Initially deterritorialized identities have taken hold across national boundaries through such settlement patterns.

27 In Miami as well as in New York City, Cuban immigrants tend to live apart from non- Hispanic whites, blacks, and even other Latinos33. Even where they share the same neighborhoods with other ethnic and racial groups – such as Nicaraguans in Sweetwater or Colombians in Queens –, Cubans tend to remain socially encapsulated in their own communities. Although residential segregation has many pernicious effects, it allows for the consolidation of Cuban barrios and the transformation of the urban landscape along transnational lines. It also makes possible some degree of political representation through concentration in certain electoral districts. Since the 1970s, Cubans in the United States have been increasingly empowered, partly as a result of their extreme clustering in south Florida and northern New Jersey.

A - Miami’s Cuban Enclave

28 With nearly 562 000 Cubans in 1990, Miami is the undisputed center of the Cuban exile. Little Havana stretches across scores of blocks southwest of downtown Miami, around Calle Ocho, toward the suburban area that Cubans affectionately call la sagüesera. Another large Cuban enclave is found in Hialeah to the north of Dade County. In 1990, sixteen percent of all Cubans in the county lived in the core of Little Havana and another 22 percent lived in Hialeah34. In Miami, Cuban-American culture thrives through numerous commercial Spanish-language signs and mass media, coffee shops, grocery stores, restaurants, social clubs, political organizations, Catholic and Afro- Cuban yard shrines, artistic and musical activities, and the popular Calle Ocho Festival. The shrine to Our Lady of Charity, the patron of Cuba, located in downtown Miami, embodies the diasporic identity of Cubans in exile35.

29 The Cubans of Miami have formed a tightly knit community that resists physical and cultural dispersion. Kenneth Wilson and Alejandro Portes associate this pattern of residential segregation with the enclave economy and its high proportion of Cuban- owned businesses that prefer to hire Cuban employees and serve mainly the needs of the émigré community. In several essays, Portes has defined the enclave as a spatial concentration of ethnic enterprises and residences with a wide variety of economic activities and a large ethnic market that competes with the dominant economy36. According to this definition, the Cuban enclave of Miami has expanded dramatically over the past four decades. In 1977, Cubans owned 7 336 businesses in the Miami- Hialeah area, most of them in services, retail trade, and construction. By 1992, Cubans owned 46 900 firms in the Miami metropolitan area. The city now has the second largest concentration of Hispanic-owned businesses in the United States after Los Angeles37.

30 Although the exiles’ political activities continue to focus on Cuba, they show increasingly more interest in the United States. Because less than half of Miami’s Cubans were U.S. citizens in 1978, they held few elective offices and had little bargaining power relative to their numbers. By 1997, more than half of all foreign-born Cubans in the United States had become U.S. citizens38. Once they naturalize and register to vote, Cuban-Americans tend to support the Republican Party and its conservative ideology. The exiles have recently organized as a pressure group to defend

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their interests in U.S. society. As a result, their voice has been heard more clearly in local, state, and national arenas. In 1985, for example, the city of Miami elected its first Cuban mayor, Xavier Suárez. With the establishment of the Cuban American National Foundation in 1981, the exiles’ political clout in Washington increased considerably, particularly during the Reagan and Bush administrations. During the 1980s, three Cuban Americans were elected to the U.S. House of Representatives, two from southern Florida (Lincoln Díaz-Balart and Ileana Ros-Lehtinen) and one from New Jersey (Bob Menéndez).

B - West New York-Union City, New Jersey

31 The second Cuban concentration in the United States is in Hudson County, New Jersey, across from New York City. In 1990, nearly 58 000 Cubans lived in the West New York- Union City area, where a Cuban community has existed even before 1959. Here, too, the exiles have created a strong ethnic community that protects them from personal and social disorganization, although scholars have debated whether they have constituted an economic enclave such as the one in Miami. For instance, the residential pattern of Cubans in West New York-Union City is much more dispersed than in Miami, and their occupational distribution is much more concentrated in blue-collar jobs in light manufacturing. At any rate, the Bergenline Avenue of Union City bustles with Cuban restaurants, grocery stores, bakeries, music stores, and other businesses catering primarily to Cuban émigrés39.

32 Cubans in northeastern New Jersey are primarily employed as factory operatives and service workers. Many were members of the lower class in Cuba, but others were professionals and managers who were forced to accept lower-status jobs in the United States. As Rafael Prohías and Lourdes Casal put it, « The high percentage of blue-collar and manual workers in West New York suggests a community in which emigration has meant an even more catastrophic loss of status than for Miami refugees »40. However, initial downward occupational mobility has been a common experience for Cubans in the United States, especially those arriving in the early 1960s.

33 The Cuban community in West New York-Union City remains strongly identified with its culture of origin. This allegiance to Cuban identity is partly due to the predominance of foreign-born immigrants, but also to the proliferation of Cuban organizations in the area. West New York-Union City has many Cuban-owned businesses41; several newspapers and tabloids like La Tribuna, El Clarín, and Ultima Hora; a host of Church- related voluntary associations, like the Unión de Cubanos en el Exilio; and even right- wing terrorist organizations like Omega 7. The net result of all these ethnic associations has been to slow down the exiles’ cultural assimilation while fostering their adaptation to American society. Just as Miami is known for its Little Havana, West New York-Union City is known for its Little Santa Clara, because many migrants from the former province of Las Villas (now Villa Clara) have settled in the area42.

C - Other Cuban Communities in the United States

34 In other cities, such as Los Angeles or Chicago, Cubans are more affluent but more thoroughly acculturated to American society than in either Miami or West New York. In Milwaukee and Indiana-polis, for example, most exiles quickly adjusted to their new

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occupations and regained their former Cuban status43. On average, Cubans have higher incomes, educational levels, and occupational skills in states like Illinois and California than in Florida and New Jersey. Unfortunately, little detailed information is available for Cuban communities outside the main centers of the diaspora44.

35 Aside from Dade County, Florida, the New York metropolitan area has the largest Cuban population in the United States. In 1990, over 57 000 Cubans lived in New York City alone. Prior to the Revolution, Cubans were the second most numerous Latino group in New York City, after Puerto Ricans. Since 1959, many Cubans continued to move to New York and settled primarily in Washington Heights, in northwest Manhattan. By 1970, the majority of New York Cubans lived in upper-middle class neighborhoods like Jackson Heights in Queens45.

36 Wherever they reside, Cuban-Americans exhibit a lack of social integration with other Hispanic immigrants such as Puerto Ricans and Dominicans. They are often physically removed from other minorities because they tend to live in the suburbs of metropolitan areas, whereas the latter are largely confined to inner-city districts. Even when they share the same neighborhoods, as in Washington Heights, Latinos usually cross national lines only in public places such as parks, schools, markets, and churches46. In the last three decades, Cubans have been moving out of New York and New Jersey and into Florida, as part of a resettlement pattern characteristic of the entire Cuban population in the United States.

D - The Cuban Middleman Minority in Puerto Rico

37 Compared to the two major Cuban communities in the United States, the Cubans of Puerto Rico are a small population – 19 736 persons or less than two percent of all the émigrés in 1990. But they deserve special attention because they display yet another adaptive strategy among Cubans in exile. The Cubans who moved to San Juan were even more over-representative of the propertied classes in their country of origin than those who moved to the U.S. mainland. For example, the Cuban-born population in Puerto Rico has a much larger share of upper-status workers, such as managers and professionals, than in the U.S. mainland (see Table 3). Cuban immigrants also have higher income and educational levels than the Puerto Rican-born population. And they tend to live in upper-middle class neighborhoods within the San Juan metropolitan area47.

Table 3

Occupational distribution of Cubans in the United States and Puerto Rico, 1990 (in percentages)

Occupation United States Puerto Rico

Managerial and professional 20,4 36,2

Technical, sales, and administrative support 33,4 42,7

Precision production, craft, and repair 12,3 8,5

Operators, fabricators, and laborers 8,0 5,1

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Service 14,9 5,9

Farming, forestry, and fishing 1,0 1,6

Total 100,0 100,0

U.S. Bureau of the Census, 1990 Census of the Population of the United States; 1990 Census of Population and Housing: Social and Economic Characteristics, Puerto Rico.

38 Cubans in San Juan come predominantly from Havana, Santiago, and other major Cuban cities. Prior to the Revolution, most of them were employed in the service sector of those urban centers, primarily as white-collar workers such as professionals and managers. Many émigrés had entrepreneurial experience in Cuba; some took capital and marketable skills to Puerto Rico. To a large extent, their economic adaptation depended on their ability to transfer past resources, both economic and social, to a new environment. For example, many early refugees established credit with U.S. banks with which they had conducted business in Cuba. Others formed commer-cial partnerships with friends and relatives who had moved to San Juan. Although many exiles suffered an initial loss of occupational status in Puerto Rico, most regained it within a single decade. In brief, an important sector of the Cuban petty bourgeoisie was reconstituted in San Juan between 1960 and 1970.

39 The Cubans of Puerto Rico function primarily as a middleman minority, a culturally distinctive group specializing in the selling of goods and services within the host society. Like other middleman minorities, Cubans entered the middle and higher levels of commerce and in some cases virtually monopolized entire sectors of trade and services, such as small shops, bakeries, food retailing, the mass media, real estate, and advertising. They gained a special access to occupations that were either above the reach of the majority of the Puerto Rican population or beneath the dignity of the local elite, filling a status gap between dominant and subaltern classes. Like other middleman minorities, Cubans in Puerto Rico are almost exclusively urban dwellers; unlike ethnic enclaves, they do not concentrate spatially in a single residential district. Nor do they focus on an ethnic market, like Cubans in Miami, but rather cater to the larger economy. Finally, in contrast to the situation in south Florida, Cuban enterprises in San Juan tend to employ a majority of non-Cubans, except in positions of trust.

40 Cubans’ incorporation into the Puerto Rican labor market has been different from other locales in the U.S. mainland. While Cubans in Miami have established an economic enclave, those in West New York-Union City have developed a working-class community, and others have been absorbed into the primary labor market, Cubans in Puerto Rico have assumed a distinctive commercial and entre-preneurial role. They have invested most of their capital and labor in retail trade and business services, primarily as managers, adminis-trators, sales and clerical workers. Most work for themselves, for their compatriots, or for other foreigners. In sum, Cubans in San Juan fit the occupational profile of a middleman minority.

41 The comparison between Cubans in Puerto Rico and in the U.S. mainland suggests that linguistic and cultural factors can shape immigrants’ socioeconomic incorporation. Among other things, Cuba and Puerto Rico share a tropical insular geography, a

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common colonial history dominated by Spain, an Afro-Caribbean cultural heritage, a predominantly Catholic religion, and a Creole dialect of the Spanish language. Such similarities have made Cubans’ adaptation to Puerto Rico much easier than in the United States. In contrast, Cuban-Americans have faced a predominantly white, Anglo- Saxon, and Protestant establishment. Hence, the ethnic boundaries between Americans and Cubans are much sharper than the ones dividing Cubans from Puerto Ricans. Such cultural differences such be explored further as contributing causes of the various paths followed by the Cuban diaspora48.

42 To recapitulate, the Cuban migrant experience differs widely from place to place. In Miami, Cubans have created an institutionally complete community that provides an alternative to the secondary labor market as well as to mainstream American culture. In West New York-Union City, they have formed a tight ethnic community that has facilitated their adjustment to the new society. In Puerto Rico, the Cuban middleman minority shows signs of increasing assimilation through intermarriage and cultural interpenetration. Elsewhere, the exiles have quickly integrated to the occupational structure and cultural identity of the United States. In short, the Cuban exodus varies greatly across space as well as time and should not be generalized from the unique case of Miami.

III - The Current Socioeconomic Profile of the Cuban- American Population

43 The most recent Census data allow a comparison of the basic characteristics of Cubans, other Hispanics, and non-Hispanics in the United States (see Table 4). The data reveal striking differences and some similarities among the three groups. Compared to the other two groups, the Cuban population is much older, has more males than females, and has a larger percentage of married couples. On most counts, Cubans resemble more closely the non-Hispanic population than the Hispanic population. For instance, Cubans have fewer female-headed households, are better educated, have lower unemployment rates, earn higher incomes, and have a lower poverty level than other Hispanics. Thus, Cuban-Americans are a relatively advantaged group among U.S. Latinos. They also fare well in comparison to other minorities, such as African-Americans and Asian Americans49.

Table 4

Selected socioeconomic characteristics of cubans, all hispanics, and non-hispanics in the united states, 1997

Characteristic Cubans All Hispanics Non-Hispanicsa

Median age 40,8 26,1 35,5

Percent female 46,5 48,7 51,3

Percent married 57,3 53,8 56,6

Percent female-headed households 12,5 19,7 12,0

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Percent completed high school 65,2 54,7 84,8

Median earnings in 1996, females ($) 16 356,0 11 830,0 16 459,0

Percent below poverty level in 1996 17,3 29,4 11,8

Percent completed college 19,7 10,3 25,2

Percent unemployed 6,1 9,2 5,2

Median earnings in 1996, males ($) 22 650,0 16 284,0 26 943,0

44 a Includes both whites and blacks of non-Hispanic origin. U.S. Bureau of the Census, 1997 Current Population Survey.

45 Most sociological and anthropological studies of Cuban exiles have highlighted their socioeconomic success in the United States and Puerto Rico. In a recent review of the literature, Silvia Pedraza50 noted three prevalent lines of explanation for this success: the privileged class origins of early Cuban migrants, leading to the creation of an enclave economy in Miami; the definition of Cuban exiles as political refugees by the U.S. government; and the unusually high participation of Cuban women in the U.S. labor force. Each of these explanations stresses the distinctive characteristics of Cuban exiles vis-à-vis other immigrants, especially Latinos in the United States. Because of this emphasis on the exiles’ unique success, important facets of the Cuban-American experience have been overlooked. Among other issues, the persistence of social inequality within Cuban communities in the United States has not been adequately researched51.

46 Returning to Table 4, several problematic trends can be identified. In 1997, fully one- third of the Cuban-American population had not completed high school, compared to less than one-third among the non-Hispanic population. Similarly, less than one-fifth of the Cubans had finished college, compared to one-fourth of the non-Hispanics. Furthermore, unemployment and poverty rates were much higher for Cubans than for non-Hispanics. Finally, median earnings among Cuban males were substantially lower than among non-Hispanic males, and slightly lower among Cuban females than among non-Hispanic females. The available data suggest that most Cubans have not yet bridged the gap with the general population of the United States.

47 Moreover, the overall statistics of the Cuban-American population hide significant internal cleavages. Although Cubans approximate the national income, occupational, and educational norms, economic success remains a mirage for many of them. In 1997, nearly one-fourth of the émigrés earned less than $ 10 000 and over one-sixth lived under the poverty level. Less than one-fourth of all Cuban-Americans held high-status jobs such as managers and professionals; almost half were part of the lower strata of operators, laborers, and service workers. Finally, more than one-fifth had less than an eighth grade education52. These figures do not agree well with the rags-to-riches stories that one commonly finds in journalistic reports on Cuban migrants.

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48 On the contrary, many Cubans have suffered a loss of occupatio-nal status or have undergone a process of proletarianization in the United States. It is not unusual to find a Cuban lawyer selling used cars in Miami, or a trained teacher working as a seamstress in a West New York factory. When the marielitos and balseros are brought into the picture, the success stories of self-made Cuban businessmen become more scanty. As I have shown, these last two migrant waves consisted of people with less educational and occupational skills than the first two waves; they looked more and more like traditional labor migrants in search of higher standards of living. Even before Mariel, the émigré population of lower class extraction had increased as a result of continuing material scarcity in Cuba.

49 In sum, Cuban exiles are located at all levels of the U.S. occupational structure; they come from all sectors of their home society; they are a heterogeneous group economically, socially, and politically as well. This profile renders simplistic class explanations of the exodus grossly inadequate. The retired aged couple living modestly in Little Havana is no less typical of Cuban Americans than the well-to-do family living in plush Coral Gables. It is a mistake to think of Cuban migration exclusively as a white urban elite of ideologically conservative exiles. Extreme right-wing organizations such as the Cuban-American National Foundation do not adequately represent the views of most Cubans in Miami and elsewhere53. As I argued before, it is equally wrong to hold that the ethnic enclave in Miami is the dominant form of incorporation for Cuban immigrants in the United States. The Miami enclave is certainly the most prominent Cuban-American community, but it is by no means the only one, nor can its characteristics be easily extrapolated to other Cuban settlements in New Jersey, New York, Puerto Rico, and elsewhere.

Conclusion

50 To restate my main thesis, the legend of the Golden Exile does not do justice to the complex and diverse experiences of Cubans in the United States. Although much has been written about Cuban refugees, a good deal of it has been biased and inaccurate. The U.S. mass media and some academic researchers have tended to perceive the immigrants as a modern-day version of the American dream. Because they flee a Communist regime – the last one in the western hemisphere –, Cuban exiles have often been portrayed as noble heroes caught in the Cold War between Cuba and the United States. As a general rule, they have been praised for their entrepreneurial spirit, work ethic, and thirst for freedom, as well as their leading role in the conversion of Miami from a quiet tourist resort into a booming trading and financial center. With some variations on a recurring theme, the Cuban success story has been told and retold in many influential academic, policy-making, and journalistic circles.

51 However, recent research on the Cuban population in the United States does not support the idealized image of the Golden Exile. First of all, most Cuban-Americans are not wealthy, well-educated, and highly skilled, especially when compared with non- Hispanics. Nor have they been without problems in adjusting to life in the United States. Cuban-Americans share the difficulties of many other immigrant groups, such as learning a new language, overcoming ethnic discrimination, gaining access to public services, organizing them-selves as a pressure group, reconstructing family ties, and forging a new cultural identity. Secondly, the Cuban exodus during the past four

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decades has followed the changing fortunes of the Cuban Revolution and its relations with the United States. As I have argued throughout this article, successive migration waves drew deeper into the middle and lower strata of Cuban society. Whereas the early refugees came predominantly from the privileged classes of pre-revolutionary Cuba, many marielitos and balseros came from the disadvantaged sectors of post- revolutionary society. As the Cuban government itself recognized (although using derogatory terms), the gusanos (worms) of the first waves became the escoria (scum) after Mariel.

52 Finally, U.S. policy toward Cuban migration has changed dramatically over the last forty years. As the title of a recent book on the topic notes, Cubans were transformed from « welcome exiles » in the 1960s to « illegal migrants » in the 1990s54. The long- term impact of this policy shift on the Cuban-American population remains unclear. A prominent sociologist, Lisandro Pérez, has predicted « the end of exile » as it is now known among Cubans in the United States55. Current trends suggest that Cuban- Americans are making the ideological transition from political refugees to an ethnic minority group56. Should this pattern continue, Cubans will no longer perceive themselves as unique, exceptional, or radically distinct from other Latino or Caribbean immigrants in the United States. Clearly, they have lost the symbolic value they once had for the federal government during the heyday of the Cold War against Communism.

NOTES

1. U.S. Department of Justice, 1996, Statistical Yearbook of the Immigration and Naturalization Service, electronic document, http://www.ins.usdoj.gov/-stats/299.html, 1997 ; U.S. Bureau of the Census, 1990, Census of the Population of the United States, electronic document, http :// www.venus.census.gov.cdrom/lookup, 1998 ; U.S. Bureau of the Census, 1997, Current Population Survey, electronic document, http ://www.census.gov.population/www/socdemo/hispanic/ cps97, 1998. 2. See Pérez Lisandro, « Cubans in the United States », Annals of the American Academy of Political and Social Science 487, 1986, pp. 126-137. 3. The Cuban exile population outside the United States was estimated to be 168 000 persons in 1994. See Milán Acosta Guillermo C., « Estimado de la población cubana residente en el exterior », in Universidad de La Habana, Centro de Estudios de Alternativas Políticas, Anuario CEAP 1995 : emigración cubana, Havana, CEAP, 1996, pp. 11-17. 4. This article incorporates and updates much of the material presented in my earlier texts on the topic. See Cobas José A. and Duany Jorge, Cubans in Puerto Rico : Ethnic Economy and Cultural Identity, Gainesville, University Press of Florida, 1997 ; Duany Jorge, « The Recent Cuban Exodus in Comparative Caribbean Perspective », in Tulchin Joseph S., Serbín Andrés, and Hernández Rafael (eds), Cuba and the Caribbean : Regional Issues and Trends in the Post-Cold War Era, Wilmington, Del., Scholarly Resources, 1997, pp. 141-162 ; and Duany Jorge, « The Fear of Illegal Aliens : Caribbean Migration as a National and Regional Security Threat », in Tulchin John S. (ed), Cooperative Security in the Caribbean, Wilmington, Del., Scholarly Resources, forthcoming.

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5. On nineteenth-century migration from Cuba to the United States, see Pérez Louis A. Jr., « Cubans in Tampa : From Exiles to Immigrants, 1892-1901 », Florida Historical Quarterly 57, 1978, pp. 129-140 ; Poyo Gerald E., « With All, and for the Good of All : The Emergence of Popular Nationalism in the Cuban Communities of the United States, 1848-1898 », Durham, N.C., Duke University Press, 1989 ; Poyo Gerald E., « The Cuban Experience in the United States, 1865-1940 », Cuban Studies 21, 1991, pp. 19-36 ; Pérez Lisandro, « Cuban Catholics in the United States », in Dolan Jay P. and Vidal Jaime R. (eds), Puerto Rican and Cuban Catholics in the U.S., 1900-1965, Notre Dame, Ind., University of Notre Dame Press, 1994, pp. 147-247 ; and Nancy Raquel Mirabal, « “Con sus manos y sus ardientes corazones :” Race and Gender in the Cuban Migration and Settlement of Women in the U.S. During the Late Nineteenth Century and Early Twentieth Centuries », paper presented at the Second Annual South Florida Symposium on Cuba, Cuban Studies Association, Miami, September 13-14, 1997. 6. Barnet Miguel, La vida real, Madrid, Alianza, 1984 ; Hijuelos Oscar, The Mambo Kings Play Songs of Love, New York, Farrar, Strauss, Giroux, 1989 ; Pérez, « Cuban Catholics in the United States », op. cit. ; Boswell Thomas D. and Curtis James R., The Cuban-American Experience : Culture, Images, and Perspectives, Totowa, N.J., Rowman & Allanheld, 1984, p. 41. 7. For historical overviews of the Cuban Revolution, see Thomas Hugh, The Cuban Revolution, New York, Harper, 1977 ; Azicri Max, Cuba : Politics, Economics, and Society, London, Pinter, 1988 ; Pérez- Stable Marifeli, The Cuban Revolution : Origins, Course, and Legacy, New York, Oxford University Press, 1993 ; and Mesa-Lago Carmelo, Breve historia económica de Cuba socialista, Madrid, Alianza, 1994. 8. For studies of this period, see Fagen Richard, Brody Richard A. and O’Leary Thomas, Cubans in Exile : Disaffection and the Revolution, Stanford, Stanford University Press, 1967 ; Portes Alejandro, « Dilemmas of a Golden Exile : Integration of Cuban Refugee Families in Milwaukee », American Sociological Review 49, n° 3, 1969, pp. 383-397 ; Amaro Nelson and Portes Alejandro, « Notas para una sociología del exilio : situación y perspectivas de los grupos cubanos en EEUU », Aportes 23, 1972, pp. 7-24 ; Clark Juan M., The Exodus from Revolutionary Cuba (1959-1974) : A Sociological Analysis, Ph. D. dissertation, University of Florida, 1975 ; Comité Estatal de Estadísticas (República de Cuba), Estadísticas de migraciones externas y turismo, Havana, Editorial Orbe, 1982 ; Pedraza-Bailey Silvia, « Cuba’s Exiles : Portrait of a Refugee Migration », International Migration Review 19, n° 1 (1985), pp. 4-34 ; and Pedraza Silvia, « Cuba’s Refugees : Manifold Migrations », in Pedraza Silvia and Rumbaut Rubén G. (eds), Origins and Destinies : Immigration, Race, and Ethnicity in America, Belmont, Ca., Wadsworth, 1996, pp. 263-279. 9. U.S. Department of Justice, Our Immigration: A Brief Account of Immigration into the United States, Washington D.C., U.S. Government Printing Office, 1978, p. 18. 10. Ackerman Holly and Clark Juan M., The Cuban Balseros: Voyage of Uncertainty, Miami, Cuban American National Council, 1995. 11. U.S. Department of Justice, Our Immigration, op. cit., p. 18 ; Clark, op. cit. 12. Portes Alejandro, Clark Juan M. and Bach Robert L., « The New Wave: A Statistical Profile of Recent Cuban Exiles to the United States », Cuban Studies/ Estudios cubanos 7, n° 1, 1977, pp. 1-32. 13. In March-April, 1968, for example, the so-called « Revolutionary Offensive » nationalized more than 58 000 small businesses, such as street food outlets, restaurants, and bars. See Pérez- Stable, op. cit., pp. 117-118 ; Azicri, op. cit., p. 132. 14. Boswell and Curtis, op. cit., p. 50. 15. Bach Robert L., « The New Cuban Exodus : Political and Economic Motivations », Caribbean Review 11, n° 2, 1982, pp. 22-25, 58-60 ; Portes Alejandro and Bach Robert L., Latin Journey : Cuban and Mexican Immigrants in the United States, Berkeley, University of California Press, 1985. 16. Pedraza-Bailey Silvia, Political and Economic Migrants in America: Cubans and Mexicans, Austin, University of Texas Press, 1985.

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17. Clark Juan M., Lasaga José I. and Roque Rose M., The 1980 Mariel Exodus: An Assessment and Prospect, Washington, D.C., Council for Inter-American Security, 1981, p. 7. Based on Cuban sources, two Cuban researchers estimated that over 45 percent of the marielitos had criminal record, but 40 percent of those « crimes » would not be penalized in the United States. See Hernández Rafael and Gomis Redis, « Retrato del Mariel: el ángulo socioeconómico », Cuadernos de Nuestra América 3, n° 5, 1986, pp. 124-151. 18. Portes Alejandro, Clark Juan M. and Manning Robert D., « After Mariel: A Survey of the Resettlement Experiences of 1980 Cuban Refugees in Miami », Cuban Studies/Estudios cubanos 15, n° 2, 1985, pp. 37-59. 19. Clark et al., op. cit., p. 12. 20. . Portes Alejandro, « The Rise of Ethnicity: Determinants of Ethnic Percep-tions Among Cuban Exiles in Miami », American Sociological Review 49, n° 3, 1984, p. 394. 21. The Miami Herald, January 21, 1982, p. 15A. 22. U.S. Department of Justice, 1996, Statistical Yearbook of the Immigration and Naturalization Service, op. cit. 23. . U.S. Department of Justice, 1996, Statistical Yearbook of the Immigration and Naturalization Service, op. cit. ; Ackerman and Clark, op. cit. 24. Rodríguez Chávez Ernesto, Emigración cubana actual, Havana, Editorial de Ciencias Sociales, 1997. 25. For surveys of the economic crisis in Cuba during the 1990s, see Rodríguez Beruff Jorge (ed), Cuba en crisis : perspectivas económicas y políticas, Río Piedras, Editorial de la Universidad de Puerto Rico, 1995 ; Hoffman Bert (ed), Cuba : apertura y reforma económica. Perfil de un debate, Caracas, Nueva Sociedad, 1995 ; Carranza Valdés Julio, Gutiérrez Urdaneta Luis, and Monreal González Pedro, Cuba : la reestructuración de la economía. Una propuesta para el debate, Caracas, Nueva Sociedad, 1997 ; Comisión Económica para América Latina y el Caribe, La economía cubana : reformas estructurales y desempeño en los noventa, Mexico City, Fondo de Cultura Económica, 1997. 26. Aja Díaz Antonio, Milán Acosta Guillermo C. and Díaz Fernández Marta, « La emigración cubana de cara al futuro : estimación de su potencial migratorio y algunas reflexiones en torno a la representación de los jóvenes en su composición », in Universidad de La Habana, Anuario CEAP 1995, op. cit., pp. 142-163 ; Rodríguez Chávez Ernesto, « El flujo emigratorio cubano, 1984-1995 : balance y perspectivas », paper presented at the workshop on « The Caribbean Diaspora : The Present Context and Future Trends », University of Puerto Rico, Río Piedras, May 2, 1997. 27. Rodríguez Chávez, op. cit. ; Martín Consuelo and Pérez (Guadalupe), Familia, emigración y vida cotidiana en Cuba, Havana, Editora Política, 1998 ; Arboleya (Jesús), Havana Miami : The US-Cuba Migration Conflict, Melbourne, Australia, Ocean Press, 1996. 28. Martínez Milagros et al., « Los balseros cubanos : un estudio a partir de las salidas ilegales », Havana, Editorial de Ciencias Sociales, 1996. 29. Once in Guantánamo or in the United States, most rafters say that their primary motivation was the desire for freedom and release from state control. See Ackerman and Clark, op. cit., pp. 30-31. 30. Duany, « The Recent Cuban Exodus », op. cit. ;Rodríguez Chávez, op. cit. ;Grosfoguel Ramón, « Migration and Geopolitics in the Greater Antilles », Review 20, n° 1, 1997, pp. 115-145. 31. See Martín Consuelo and Romano Vicente, La emigración cubana en España, Madrid, Fundación de Investigaciones Marxistas, 1994 ; Aja Díaz Antonio, « La comunidad cubana en Venezuela », paper presented at the International Workshop on « The Cuban Community Abroad : Profiles and Processes in the Nineties », Center for the Study of Policy Alternatives, University of Havana, June 20-22, 1996. 32. Knauer Lisa Maya, « Las culturas de la diáspora : rumba, comunidad e identidad en Nueva York », Temas 10, 1997, pp. 13-21.

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33. Boswell Thomas D., The Cubanization and Hispanicization of Metropolitan Miami, Miami, Cuban American National Council, 1995 ; Conway Dennis, Bigby Ualthan and Swann Ronald S., « Caribbean Migrant Experiences in New York City », paper presented at the XIII International Congress of the Latin American Studies Association, Boston, Massachusetts, October 1986. 34. Boswell, The Cubanization and Hispanicization of Metropolitan Miami, op. cit. 35. Tweed Thomas A., Our Lady of Exile: Diasporic Religion at a Cuban Catholic Shrine in Miami, New York, Oxford University Press, 1997. For recent studies of Cuban Miami, see González Pando Miguel, The Cuban Americans, Westport, Conn., Greenwood Press, 1998 ; García María Cristina, Havana USA : Cuban Exiles and Cuban Americans in South Florida, 1959-1994, Berkeley, University of California Press, 1996 ; Pérez-Firmat Gustavo, Life on the Hyphen : The Cuban-American Way, Austin, University of Texas Press, 1994 ; Portes Alejandro and Stepick Alex, City on the Edge : The Transformation of Miami, Berkeley, University of California Press, 1993 ; Grenier Guillermo and Stepick Alex III (eds), Miami Now ! Immigration, Ethnicity, and Social Change, Gainesville, University Press of Florida, 1992 ; and Jorge Antonio, Suchlicki Jaime and Leyva de Varona Adolfo (eds), Cuban Exiles in Florida : Their Presence and Contribution, Miami, University of Miami, North-South Center, 1991. 36. Wilson Kenneth and Portes Alejandro, « Immigrant Enclaves : An Analysis of the Labor Market Experiences of Cubans in Miami », American Journal of Sociology 86, n° 2, 1980, pp. 295-319 ; Portes and Bach, op. cit. ;Portes Alejandro and Manning Robert D., « The Immigrant Enclave : Theory and Empirical Examples », in Nagel Joane and Ozlak Susan (eds), Competitive Ethnic Relations, Orlando, Fla., Academic Press, 1986, pp. 47-68 ; Portes Alejandro, « The Social Origins of the Cuban Enclave of Miami », Sociological Perspectives 30, n° 4, 1987, pp. 340-372 ; Portes Alejandro and Jensen Leif, « What’s an Ethnic Enclave ? The Case for Conceptual Clarity », American Sociological Review 52, 1987, pp. 768-770. 37. Díaz-Briquets Sergio, « Cuban-Owned Businesses in the United States », Cuban Studies/Estudios cubanos 14, n° 2, 1984, pp. 57-64 ; U.S. Bureau of the Census, Survey of Minority-Owned Business Enterprises : Hispanic, Washington, D.C., U.S. Government Printing Office, 1996. 38. U.S. Bureau of the Census, 1997 Current Population Survey, op. cit. 39. On Cubans in West New York-Union City, see Rogg Eleanor Meyer, The Assimilation of Cuban Exiles : The Role of Community and Class, New York, Aberdeen, 1974 ; Rogg Eleanor Meyer and Santana Cooney Rosemary, Adaptation and Adjustment of Cubans : West New York, New Jersey, New York, Fordham University, Hispanic Research Center, 1980 ; Prieto Yolanda, « Cuban Women in the U.S. Labor Force : Perspectives on the Nature of Change », Cuban Studies 17, 1987, pp. 73-92 ; Knauer Lisa Maya, « Eating in Cuban : Place-Making, Consumption and Imagined Geographies », unpublished manuscript, Program in American Studies, New York University, 1998. 40. Prohías Rafael J. and Casal Lourdes, The Cuban Minority in the U.S.: Preliminary Report on Need Identification and Program Evaluation, Washington, D.C., Cuban National Planning Council, 1974, p. 65. 41. In 1992, the Jersey City and Bergen-Passaic metropolitan areas of New Jersey had 2 705 Cuban-owned businesses. U.S. Bureau of the Census, Survey of Minority-Owned Business Enterprises, op. cit. 42. Rogg and Santana Cooney, op. cit., pp. 18-19. 43. Portes, « Dilemmas of a Golden Exile », op. cit.; Casal Lourdes and Hernández Andrés R., « Cubans in the United States: A Review of the Literature », Cuban Studies/Estudios cubanos 5, n° 2, 1975, pp. 25-51. 44. See Amalia Lucía Cabezas, « The Cuban Community in Los Angeles », paper presented at the International Workshop on « The Cuban Community Abroad: Profiles and Processes in the Nineties », Center for the Study of Policy Alternatives, University of Havana, June 20-22, 1996.

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45. Santana Cooney Rosemary and Contreras María Alina, « Residence Patterns of Social Register Cubans : A Study of Miami, San Juan, and New York SMSAs », Cuban Studies/Estudios cubanos 8, n° 2, 1978, pp. 33-49. 46. See Rodríguez Orlando, « A Sociodemographic Profile of the New York Region Cuban Population », paper presented at the First Conference on Cuban and Cuban-American Studies, Cuban Research Center, Florida International University, October 9-11, 1997 ; Duany Jorge, Quisqueya on the Hudson : The Transnational Identity of Dominicans in Washington Heights, New York, Dominican Studies Institute, City University of New York, 1994 ; Domínguez Virginia, « Show Your Colors : Ethnic Divisiveness Among Hispanic Caribbean Migrants », Migration Today 6, n° 1, 1978, pp. 5-9 ; and Cohn Michael (ed), The Cuban Community of Washington Heights in New York City : A Report, New York, Brooklyn Children’s Museum, 1967. 47. Santana Cooney and Contreras, op. cit. For more details on Cubans in Puerto Rico, see Cobas and Duany, op. cit., and Esteve Himilce, El exilio cubano en Puerto Rico: su impacto político-social, 1959-1983, San Juan, Raíces, 1984. 48. . I have developed these points elsewhere, for the case of Cubans in Puerto Rico. See Duany Jorge, « Two Wings of the Same Bird ? Contemporary Puerto Rican Attitudes Toward Cuban Immigrants? », unpublished manuscript, Department of Sociology and Anthropology, University of Puerto Rico, Río Piedras, 1997. 49. See the data collected by the U.S. Census Bureau, 1997 Current Population Survey, op. cit. 50. Pedraza Silvia, « Cubans in Exile, 1959-1989 : The State of the Research », in Fernández Damián J. (ed), Cuban Studies since the Revolution, Gainesville, University Press of Florida, 1992, pp. 235-257. 51. An exception to this trend is Valdés Paz Juan and Hernández Rafael, « La estructura de clases de la comunidad cubana en los Estados Unidos », Cuadernos de Nuestra América 1 (1983), pp. 5-35. 52. U.S. Bureau of the Census, 1997 Current Population Survey, op. cit. 53. For instance, recent public opinion polls show that a growing proportion of Cubans in Miami advocates some form of dialogue with the Cuban government, although many continue to support the tightening of the U.S. trade embargo against Cuba. See Grenier Guillermo J., Gladwin Hugh and McLaughlin Douglas, Views on Policy Options Toward Cuba Held by Cuban-American Residents of Dade County : The Results of the Second 1991 Cuba Poll, Miami, Institute of Public Opinion Research and Cuban Research Institute, Florida International University, 1992. 54. Masud-Piloto Félix, « From Welcome Exiles to Illegal Migrants: Cuban Migration to the U.S. », 1959-1995, Lanham, Md., Rowman and Littlefield, 1996. 55. Pérez Lisandro, « ¿ Fin del exilio cubano ? », paper presented at the XX International Congress of the Latin American Studies Association, Guadalajara, Mexico, April 17-19, 1997. 56. See Duany Jorge, « Neither Golden Exile nor Dirty Worm: Ethnic Identity in Recent Cuban- American Novels », Cuban Studies 23, 1993, pp. 167-183.

RÉSUMÉS

Cet article aborde les principales phases de la migration cubaine vers les Etats-Unis au XXème siècle, spécialement après 1959, et retrace ses origines historiques au XIXème siècle. L’auteur insiste sur l’évolution des caractéristiques socio-économiques des émigrés ainsi que sur leur répartition spatiale aux Etats-Unis. Il montre que les émigrés sont devenus, au cours des quatre

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dernières décennies, de plus en plus représentatifs de la société cubaine, du point de vue des revenus, de l’emploi et de l’instruction, mais pas en ce qui concerne la race ou la couleur et la région d’origine : ils sont prioritairement blancs et urbains. La seconde partie de cet essai analyse les différences et similitudes entre le mode d’incorporation des Cubains à Miami, West New York- Union City, San Juan et d’autres villes. En particulier, l’auteur estime que c’est une erreur que de considérer l’enclave ethnique de Miami comme un modèle de l’expérience de tous les Cubains en exil. La dernière partie du travail examine brièvement le profil socioéconomique de la population cubaine aux Etats-Unis pour conclure que les images stéréotypées de son succès au plan matériel ne trouve guère confirmation dans la recherche académique. Au contraire, les cubain-américains font face à plusieurs défis communs à d’autres immigrants récents aux Etats-Unis et ailleurs. Parmi ces défis, il y a la question de l’identité culturelle hybride, laquelle maintient des liaisons transnationales entre le pays natal et le pays d’adoption.

This article sketches the principal migration waves from Cuba to the United States during the twentieth century, especially since 1959, and traces their historical background in the nineteenth century. The author focuses on the changing socioeconomic characteristics of the migrants over time as well as their spatial distribution within the United States. He shows that, throughout the past four decades, the émigrés have become more and more representative of Cuban society with regard to income, occupation, and education (but not so much with regard to race or color and region of origin – they are still predominantly white and urban). The second part of this article analyzes the differences and similarities in the settlement patterns of Cubans in Miami, West New York-Union City, San Juan, and other cities. In particular, the author argues that it is a mistake to take the ethnic enclave in Miami as the prototype for the experiences of all Cubans in exile. The last section of the essay briefly examines the socioeconomic profile of the Cuban population in the United States and concludes that stereotyped images of its material success have little basis on academic research. Instead, Cuban-Americans face many of the same challenges as other recent immigrants in the United States and elsewhere. Among these challenges is the question of developing a hybrid cultural identity that maintains transnational linkages to the home-land as well as to the adopted country.

INDEX

Index géographique : Cuba, Etats-Unis Keywords : Cuban immigration, Cuban-American communities, Cubans in the United States, ethnic enclave Mots-clés : communautés cubano-américaines, Cubains aux Etats-Unis, enclaves ethniques, immigration cubaine

AUTEUR

JORGE DUANY Department of Sociology and Anthropology University of Puerto Rico, Río Piedras

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A propos de l’illicéité internationale de la loi Helms-Burton

Xavier Laureote

Introduction

1 Les Etats-Unis mènent depuis plus d’une trentaine d’années une politique consistant à isoler Cuba afin de faire tomber le régime castriste mis en place après la révolution de 1959.

2 Des premières mesures américaines de restriction des échanges économiques avec Cuba étaient intervenues en 1960. Ces mesures furent renforcées par le Président Kennedy en 1962, dans un contexte de Guerre Froide, suite à l’incident de la Baie des cochons. La politique d’embargo des Etats-Unis à l’égard de Cuba n’a pas cessé avec l’effondrement du bloc communiste. Au contraire, cette politique a été renforcée en 1992 avec l’adoption du « Cuban democratic act »prévoyant des sanctions à l’égard de toutes les filiales étrangères de sociétés américaines ne respectant pas l’interdiction de commercer avec Cuba. En 1996, avec le « Cuban liberty and democratic act », les Etats-Unis tentent de donner le coup de grâce à un régime cubain en déroute. Cette loi plus connue sous les noms de « Libertad act »ou« Loi Helms-Burton »étend l’embargo contre Cuba à l’ensemble de la planète en sanctionnant toute activité économique avec l’île, qui serait basée sur l’utilisation des biens confisqués par le régime cubain, lors des nationalisations de 1959, aux personnes détenant aujourd’hui la nationalité américaine. Votée par le Congrès américain le 3 janvier 1996, la loi Helms-Burton n’a été adoptée par le Président des Etats-Unis que le 24 février suite à la destruction par la chasse cubaine de deux cessnas américains le 24 février 1996. Cet incident a provoqué d’autant plus d’émoi aux Etats-Unis que les victimes appartenaient à la puissante communauté américaine d’origine cubaine. Cette communauté particulièrement hostile au régime castriste a joué de tout son poids, en pleine campagne électorale, afin que le gouvernement américain adopte le Libertad act. Le Président Bill Clinton, candidat aux nouvelles élections présidentielles de novembre 1996, après avoir désapprouvé le projet

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de loi, a dû se résoudre à l’adopter par crainte de perdre ses appuis dans les Etats de Floride et du New Jersey, fiefs de la communauté cubaine en exil.

3 La loi Helms-Burton a pour objectif déclaré la chute du régime castriste et l’instauration d’un « gouvernement de transition et d’un gouvernement démocratiquement élu à Cuba » (article 201). Cet objectif politique est clairement précisé par le titre II de la loi intitulé « Aides à un Etat cubain libre et indépendant ». Ce titre définit le nouveau cadre juridique des relations bilatérales entre les Etats-Unis et Cuba et procède à unedescription du nouveau gouvernement que les américains souhaitent voir s’établir dans l’île. Ce gouvernement ne devra comprendre « ni Fidel Castro ni Raul Castro ». Ce devra être un gouvernement résultant d’élections libres, avec multipartisme ; un gouvernement respectueux des droits de l’homme. Il faudra en outre, que ce soit un régime libéral, reposant sur une économie de marché fondée sur le plein exercice du droit de propriété. Ce gouvernement devra par ailleurs progresser « de manière significative en ce qui concerne la restitution aux ressortissants américains (...) des biens pris par le gouvernement cubain à ces ressortissants (...) à compter du 1er janvier 1959 ou l’octroi à ces ressortissants (...) d’un dédommagement équitable... » (article 206 al 6).

4 L’originalité de la loi Helms-Burton par rapport aux précédentes lois d’embargo américaines, tient à l’étendue des mesures visant à garantir son application. Le titre premier sur le « renforcement des sanctions internationales contre le gouvernement Castro » procède à une extension à l’ensemble de la communauté internationale des mesures américaines d’interdiction ou de contrôle de l’aide économique, technique et financière apportée à Cuba. Sont visés : les aides provenant des institutions financières internationales (article 104), ou des Etats indépendants issus de l’ex-Union soviétique (article 106) et, plus généralement, tous les échanges commerciaux avec Cuba et l’assistance à Cuba de la part d’autres pays étrangers (article 108). Toutes ces interdictions d’aide étrangère à Cuba sont assorties de mesures visant à garantir leur application. Il s’agit essentiellement de sanctions économiques allant de la réduction ou du retrait de l’aide américaine aux Etats contrevenants, à la fermeture du marché américain aux produits finis ou semi-finis provenant de Cuba après transit dans un Etat tiers. Des sanctions peuvent aussi être prises à l’encontre des institutions financières internationales qui violeraient l’interdiction américaine d’aide à Cuba. Afin que le dispositif mis en place par la loi soit encore plus efficace, le titre premier confie au Président la charge d’une mission diplomatique visant notamment à obtenir une coopération accrue des gouvernements étrangers à l’embargo (article 102) et la non réintégration de Cuba par l’organisation des Etats américains (article 105).

5 Les dispositions les plus remarquables de la loi Helms-Burton sont sans conteste celles des deux derniers titres. Le titre III, sur la « protection des droits de propriété des ressortissants des Etats-Unis » interdit à toute personne(any person), dans le monde de prendre part au « trafic » de biens confisqués par le régime cubain lors des nationalisations de 1959 à des personnes ayant à ce jour la nationalité américaine. La définition des activités concernées est particulièrement large. En effet, « une personne se livre au trafic de biens confisqués si sciemment ou intentionnellement : • (i) elle vend, transfère, partage, offre, gère ou écoule d’une autre manière un bien confisqué ou en fait le courtage, ou achète, loue, reçoit, possède, gère, utilise ou acquiert d’une autre manière un bien confisqué ou détient une participation ; • (ii) elle se livre à une activité commerciale utilisant un bien confisqué ou en tirant profit d’une autre manière ;

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• (iii) elle occasionne, ordonne, participe à un trafic ou tire profit d’un trafic tel que défini en (i) ou (ii) par l’intermédiaire d’une autre personne, sans l’autorisation du ressortissant des Etats-Unis, quel qu’il soit, qui détient un droit sur ce bien. » (art. 4(13)B de l’introduction de la loi).

6 Afin de donner effet à l’interdiction du « trafic » le titre III accorde aux ressortissants américains actuels, y compris les immigrés cubains naturalisés après 1959, la possibilité de poursuivre devant les tribunaux américains toute personne se livrant au trafic de biens leur ayant appartenu avant 1959 (article 301 al. 11). Les sanctions financières encourues peuvent être très lourdes et atteindre le triple de la valeur du dommage subi par le ressortissant américain (article 302).

7 Afin d’étendre l’effet de la loi, notamment aux personnes ne disposant pas d’avoirs suffisants aux Etats-Unis, le titre IV fait opposition à l’entrée des étrangers sur le territoire américain. La portée du dispositif mis en place par la loi ne doit pas être sous estimée car pratiquement toutes les entreprises cubaines ont été nationalisées après la révolution. Ces entreprises étaient essentiellement détenues par des Américains et des Cubains aujourd’hui exilés aux Etats-Unis.

8 Il convient de signaler que face à l’hostilité déclarée de la communauté internationale à l’égard de la loi Helms-Burton et en particulier des dispositions du titre III, l’application de ces dernières a toujours été suspendue par le Président des Etats-Unis conformément aux pouvoirs que lui confère l’article 306(b) de ce texte.

9 La loi viole de façon manifeste de nombreux principes et règles de droit international. C’est pourquoi, elle a été condamnée par une doctrine majoritaire, comme manifestation des excès de l’unilatéralisme des Etats-Unis. Mais, l’illicéité due à la violation des règles internationales en vigueur présente un caractère plus ou moins grave selon que les normes transgressées ont un caractère plus ou moins contraignant. Bien que le système juridique international n’admette aucune hiérarchie entre les sources formelles de droit, il existe une hiérarchie entre les normes. Il conviendra d’examiner les différentes normes internationales auxquelles la loi Helms-Burton porte atteinte, en identifiant celles susceptibles d’avoir le caractère universel et impératif du jus cogens. C’est donc à un exercice de détermination de la « nature de l’illicéité » de la loi Helms-Burton que nous allons procéder. L’ambition de cet article est de permettre au lecteur de mieux appréhender le phénomène dont procède la violation par la législation américaine des normes internationales en vigueur. Il s’agit en d’autres termes de permettre à chacun de se faire une opinion éclairée sur la question et de saisir les termes et les enjeux du débat quelle suscite.

10 Afin de mieux circonscrire notre exposé et pour lui assurer une plus grande clarté nous développerons la question de l’illicéité de la loi Helms-Burton suivant la distinction classique en droit international entre contenu et portée de l’acte étatique.

I - L’illicéité de la loi Helms-Burton quant à son contenu

11 La dernière législation américaine contre Cuba viole à l’évidence un certain nombre de conventions auxquelles sont partie les Etats-Unis. Parmi ces nombreuses conventions figurent notamment celles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), de l’Organisation pour la Coopération et le Développement Economique (OCDE), de

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l’Accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA), de l’Organisation des Etats Américains (OEA) et une multitude d’autres conventions commerciales signées entre les Etats-Unis et leurs partenaires économiques dans un cadre bilatéral. Ces violations sont contraires au principe général de droit international « pacta sunt servanda » selon lequel les conventions conclues entre parties obligent ces dernières dans toute l’étendue des obligations auxquelles elles ont consenties. Certes, la portée très relative de ce principe et les difficultés liées à sa mise en œuvre en font un vœu pieux. Mais l’inobservation d’une norme juridique par les sujets qu’elle vise n’induit pas la nullité de cette norme. Par l’adoption de la loi Helms-Burton dont les dispositions nient les obligations de l’Etat américain à l’égard de tous ses partenaires économiques, l’actuel gouvernement des Etats-Unis s’est rendu coupable de violation d’un principe essentiel du droit international public. La même analyse s’impose naturellement en ce qui concerne les nombreuses chartes constitutives d’organisa-tions internationales auxquelles la dernière législation américaine contre Cuba porte atteinte.

12 Les conventions constituent une source essentielle du droit international. Mais leur caractère consensuel et leur portée relative amènent à les considérer comme des normes d’autorité inférieure du moins par rapport aux normes d’application générale dont le respect s’impose à tous les acteurs de la société internationale sans que leur consentement soit nécessaire. Outre les engagements internationaux souscrits par les Etats-Unis auxquels la loi Helms-Burton porte atteinte, il convient de s’interroger surtout sur les principes généraux de droit international mis en cause par cette législation.

13 En ce qu’elle prétend provoquer l’élection d’un nouveau gouvernement cubain, la loi Helms-Burton viole les principes universellement admis de souveraineté et de non- intervention (A). Par ailleurs cette loi méconnaît les règles internationales communément admises en matière de responsabilité des Etats et de nationalisations (B). En outre elle porte sérieusement atteinte à la liberté de circulation des personnes (C).

A - Violation des principes de souveraineté et de non intervention

14 Le principe de non intervention d’un Etat dans les affaires d’un autre Etat n’est pas mentionné dans la charte des Nations Unies. Seule est explicitement interdite l’utilisation ou menace d’utilisation de la force, contraires au principe fondamental de souveraineté posé à l’article 2. Une grande incertitude subsiste toutefois quant à la portée de cette interdiction et son exact contenu. Cette question suscite, depuis l’élaboration de la charte de l’ONU, un débat acharné entre les Etats favorables à une interdiction limitée à l’usage de la force armée, et ceux aspirant à une interdiction plus générale de tous les moyens de pression, y compris économiques, susceptibles de servir les prétentions hégémoniques des grandes puissances. La question de l’étendue du principe de non-intervention constitue, encore à ce jour, l’un des enjeux les plus importants du débat Nord-Sud. L’embargo imposé à Cuba, par les Etats-Unis depuis quatre décennies, en toute impunité, en est une illustration frappante.

15 Bien que les mesures de contrainte économique ne constituent pas en elles mêmes des infractions dans le système juridique mis en place par la charte des Nations Unies, le recours à de telles mesures peut devenir illicite s’il aboutit à une intervention dans les affaires d’un Etat. C’est du moins, ce qu’affirment un certain nombre de textes

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internationaux qui prohibent très explicitement certaines utilisations de la contrainte économique, comme étant contraires au principe de non intervention1. Certes la règle posée est floue et sa portée semble d’autant plus relative que les textes dans lesquels elle apparaît ne visent qu’une partie de la communauté internationale. Mais il semble qu’une analyse plus poussée de la situation conduise à une autre conclusion. L’Assemblée générale des Nations Unies en dépit du mutisme de la charte sur cette question a adopté de nombreuses résolutions condamnant « l’usage de mesures économiques,(...) ou de toute autre nature pour contraindre un Etat à subordonner l’exercice de ses droits souverains et pour obtenir de lui des avantages de quelque sorte que ce soit »2. La première résolution de l’Assemblée générale à avoir ainsi étendu le principe de non- intervention aux actes de contrainte économique date de 1965. Il s’agit de la résolution 2131 (XX) du 21 décembre 1965 portant Déclaration sur l’admissibilité de l’intervention dans les affaires intérieures des Etats et la protection de leur indépendance et de leur souveraineté. Depuis, l’Assemblée générale a régulièrement adopté des résolutions allant dans le même sens, manifestant clairement et avec constance sa réprobation de tout recours à des mesures économiques, comme moyen de contrainte. Ainsi, malgré les incertitudes qui subsistent quant à sa portée exacte il faut admettre qu’il existe dans le droit international une norme coutumière qui prohibe l’utilisation par tout Etat de mesures économiques tendant à restreindre la liberté souveraine d’un autre Etat. En effet, bien qu’elles soient dépourvues de valeur juridique contraignante, ces résolutions adoptées par l’Assemblée générale constituent de par leur nombre, leur fréquence, leur continuité, et l’unité de leur contenu, un élément essentiel de l’apparition de règles coutumières qu’il appartient au juge d’interpréter et de consacrer en droit positif.

16 Compte tenu de la position relativement claire prise par l’organe le plus représentatif de la société internationale sur la question du recours aux mesures de contrainte économique, il aurait été logique que le juge international fasse ici preuve de clarté lui aussi. Mais sur ce point, la jurisprudence de la Cour Internationale de Justice (C.I.J.) semble réserver quelque mauvaise surprise. Loin de conférer au principe de non- intervention une autorité accrue qui aboutirait à l’interdiction formelle des mesures de contrainte économique dans le droit international positif, la Cour procède à une interprétation très permissive de ce principe.

17 Adoptant une interprétation téléologique de la charte, la C.I.J. procède systématiquement à un rapprochement entre principe de souveraineté et principe de non-intervention, le premier constituant l’essence et la finalité du second. Par une sorte de lecture a contrario du texte de la charte, la Cour considère que toute intervention dans les affaires d’un Etat qui ne porte pas atteinte à sa souveraineté est conforme au droit international. De manière générale, la jurisprudence internationale assimile systématiquement souveraineté et indépen-dance. La Cour Internationale de Justice estime ainsi, que parmi les droits souverains de l’Etat figure le droit de choisir librement son système politique, économique et social. C’est la raison pour laquelle la communauté internationale dans son ensemble et la quasi-unanimité de la doctrine condamne la loi Helms-Burton dont l’objectif déclaré est la chute du régime castriste.

18 Mais, la relation établie par la C.I.J. entre principe de souveraineté et principe de non- intervention est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. A l’occasion de l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la Cour après avoir rappelé les différentes formulations du principe de non-intervention, a énoncé la conception qu’elle s’en fait dans les termes suivants : « ... d’après les

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formulations généralement acceptées, ce principe (de non-intervention) interdit à tout Etat ou groupe d’Etats d’intervenir directement ou indirectement dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre Etat. L’intervention indirecte doit donc porter sur les matières à propos desquelles le principe de souveraineté des Etats permet à chacun d’eux de se décider librement. Il en est ainsi du choix du système politique, économique, social et culturel et de la formulation des relations extérieures. L’intervention est illicite lorsqu’à propos de ces choix qui doivent demeurer libres, elle utilise des moyens de contrainte »3.

19 Il apparaît clairement qu’aux termes de l’interprétation du principe de non- intervention retenue par la Cour, toutes les mesures unilatérales prises par un Etat à l’encontre d’un autre ne sauraient constituer une atteinte illicite à ce principe. Certes toute intervention directe constituée par le recours à la force ou une exécution d’une mesure économique unilatérale sur le territoire d’un autre Etat viole le principe de non-intervention. Mais, s’agissant des interventions indirectes, seules celles constituant un moyen de contrainte effective seront analysées comme violations du principe de non-intervention. Il s’agira donc de distinguer entre la simple pression exercée de façon licite et la contrainte dont l’effectivité avérée sur la souveraineté étatique sera jugée incompatible avec le droit international.

20 Il est difficile de discerner les circonstances exactes dans lesquelles des mesures économiques unilatérales constitueraient une contrainte telle, qu’elles portent atteinte au principe de non-interven-tion. Dans l’affaire du Nicaragua la Cour a estimé que les mesures économiques prises par les Etats-Unis ne pouvaient, même au regard des objectifs poursuivis par les Américains, être considérées comme portant atteinte au principe de non-intervention. Ces mesures étaient pourtant particulièrement contraignantes pour l’Etat nicaraguayen. Elles comportaient, outre l’interruption en avril 1981 de l’aide économique apportée au Nicaragua, une réduction, en septembre 1983, de 90 % du quota d’importation de sucre nicaraguayen aux Etats-Unis et en mai 1985 un embargo total interdisant tous les échanges commerciaux entre les Etats-Unis et le Nicaragua avec fermeture aux navires et aéronefs nicaraguayens de tous les ports et aéroports américains. L’objectif affiché de ces mesures étant de contraindre l’Etat nicaraguayen à changer de cadre d’organisation politique et institutionnel, on pouvait s’attendre à ce que la Cour de justice les juge illicites. La décision rendue dans cette affaire surprend d’autant plus que la formule employée par le juge est particulièrement laconique : « La cour ne peut considérer les mesures économiques mises en cause comme des violations du principe coutumier de la non-intervention »4. Cette formule ne répond pas explicitement à la question de savoir si des mesures économiques peuvent ou non porter atteinte au principe de non-intervention en certaines circonstances, notamment quand elles affectent sérieusement l’équilibre et la souveraineté d’un Etat. Toutefois, compte tenu de l’ampleur des mesures économiques de répression qui avaient alors été prises contre le Nicaragua, il semble qu’il faille plutôt interpréter la décision de la CIJ comme excluant la contrainte économique du champ d’application du principe de non intervention. Faute d’être satisfaisante, cette interprétation est la seule que l’on puisse logiquement et objectivement retenir. Dès lors, la loi Helms-Burton renforçant l’embargo contre Cuba doit être jugée conforme au principe de non-intervention dans toutes ses dispositions y compris celles renforçant et complétant le boycottage secondaire institué par le Cuban Democracy Act de 1992.

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B - Violation des règles internationales relatives aux nationalisations

21 La loi Helms-Burton autorise, dans son titre III, les ressortissants américains à intenter devant les tribunaux des Etats-Unis des actions en dommages et intérêts contre les étrangers ayant directement ou indirectement bénéficié de l’utilisation de biens nationalisés sans indemnité par le gouvernement cubain au moment de la révolution cubaine. Selon la loi, il s’agit de pénaliser des sociétés qui sont réputées se livrer au « trafic » (trafficking) de biens confisqués par Cuba à des citoyens américains. Il convient de signaler que la plupart des citoyens concernés sont en fait des Cubains ayant acquis la nationalité américaine après 1959, suite à leur exil après la révolution.

22 Le dispositif ainsi mis en place par la législation américaine est contestable pour trois raisons.

23 Premièrement, les dispositions de la loi méconnaissent les règles d’imputabilité applicables en matière de responsabilité internationale. En effet, le droit international reconnaît à tout Etat le droit de procéder à des nationalisations sur son territoire. Ce droit est considéré comme une prérogative attachée à l’exercice normal de la souveraineté étatique. Le non respect des conditions liées à la procédure de nationalisation – à savoir, essentiellement, la juste indemnisation des propriétaires – peut entraîner la responsabilité de l’Etat fautif. Mais, la validité du transfert de propriété au profit de ce dernier ne peut être remise en cause. Or, en dépit du principe qui vient d’être énoncé, la loi Helms-Burton récuse la validité des nationalisations cubaines des années soixante pour ouvrir aux anciens propriétaires des biens nationalisés une action en réparation à l’encontre des cessionnaires ou des actuels utilisateurs de ces biens. Ce faisant, la loi américaine opère une sorte de translation de la responsabilité internationale, de l’Etat cubain à des personnes à qui ne peuvent être juridiquement imputés les agissements de ce dernier. Ce « lien de transitivité » comme le qualifie Jean-Marc Sorel5,n’est ni admis par le droit international ni reconnu dans la pratique internationale.

24 En second lieu, la loi procède rétroactivement à une requalification de l’acte de nationalisation cubain à l’égard des exilés cubains naturalisés aux Etats-Unis après 1959. Le gouvernement cubain ne saurait avoir commis un acte contraire au droit international en nationalisant des biens appartenant à ses propres nationaux. Il est en effet admis qu’une nationalisation ne touchant pas un étranger, ne peut constituer un acte internationalement illicite6. Il n’est déjà pas admissible, au terme du droit positif actuel, qu’un Etat puisse se faire « justicier du monde » et sanctionner de sa propre initiative les actes des gouvernements étrangers, fussent-ils internationalement illicites. Il est à fortiori intolérable qu’un Etat s’immisce dans les affaires intérieures d’un autre, en sanctionnant les actes pris par ce dernier à l’égard de ses nationaux. La requalification des nationalisations cubaines ainsi opérée par la loi Helms-Burton, bafoue le principe de souveraineté fondement de l’ordre juridique international en vigueur.

25 Troisièmement, la compétence confiée par la loi Helms-Burton aux tribunaux américains, pour connaître des réclamations relatives aux nationalisations cubaines exclut l’application de la doctrine de l’Act of Stategénéralement observée aux Etats-Unis. Selon cette doctrine, un Etat ne peut mettre en cause l’acte souverain d’un Etat étranger réalisé sur son propre territoire. Elle a été formulée pour la première fois dans

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l’affaire Underhill v. Hernandez, et n’a cessé d’être appliquée dans la jurisprudence américaine postérieure notamment dans la célèbre affaire Cuba v. Sabbatino. La doctrine de l’Act of State n’est pas d’application universelle, d’ailleurs la plupart des pays l’ignorent. Les véritables fondements de cette doctrine se trouvent ailleurs que dans le droit international, car celui-ci ne tranche pas la question du contrôle par les tribunaux nationaux de la licéité internationale des actes des Etats étrangers. La doctrine reste divisée sur cette question. Selon certains auteurs, comme B. Stern, « l’absence de contrôle d’un acte étranger ayant épuisé ses effets sur le territoire (...) semble sinon une façon de se référer aux règles internationales de répartition des compétences, du moins une façon d’appliquer le principe international de la souveraineté de l’Etat et de la territorialité de son ordre juridique »7. En tout état de cause, le fait que la loi Helms-Burton exclut l’application aux actes de nationalisation cubains de la doctrine de l’Act of State n’entache pas cette loi d’illicéité internationale. Mais, il contribue à mettre en cause la bonne foi des Etats-Unis.

C - Violation de la libre circulation des personnes

26 L’une des mesures les plus spectaculaires de la loi Helms-Burton réside dans l’interdiction d’accès au territoire américain formulée au titre IV à l’encontre des dirigeants, cadres ou actionnaires majoritaires des entreprises qui se sont livrées au trafic des « biens confisqués à des américains ». Cette mesure s’étend aux conjoints et aux enfants mineurs des personnes visées. La plupart des auteurs ont dénoncé ces dispositions qu’ils considèrent comme une utilisation abusive par les Etats-Unis de leur pouvoir de réglementer l’accès à leur territoire. Cette utilisation par le gouvernement américain de sa compétence souveraine en matière de police des frontières est d’autant plus condamnable qu’elle viole certains engagements conventionnels auxquels sont tenus les Etats-Unis, notamment le principe de libre circulation des hommes d’affaires dans le cadre de l’ALENA. Toutefois il semble que la liberté de circulation des personnes soit encore une notion beaucoup trop vague en droit international général.

27 Les textes internationaux sont très prudents en la matière. La Déclaration Universelle des droits de l’Homme précise dans son article 13 que « toute personne a droit de quitter tout pays, y compris le sien et de revenir dans son pays ». Il y a pour tout individu un droit de sortie qui revêt un caractère absolu. En revanche, il n’y a de droit d’entrée que pour les nationaux. On retrouve la même idée dans le Pacte de 1966 sur les droits civils et politiques dont l’article 12 fixe le droit de sortie pour tous en son alinéa 2 mais n’affirme le droit d’entrée que pour les nationaux dans l’alinéa 48. Tout cela montre à l’évidence que la liberté d’aller et venir au-delà des frontières n’est pas considérée en droit des gens comme une liberté fondamentale. La règle de principe demeure celle de la compétence discrétionnaire de l’Etat dans la détermination des conditions d’entrée des étrangers sur son territoire.

28 De la confrontation des dispositions de la loi Helms-Burton aux normes internationales en vigueur, il ressort que, non seulement les Etats-Unis violent des conventions auxquelles ils sont partie, mais que de plus ils méconnaissent un certain nombre de principes généraux du droit international. Cependant, de toutes les normes mises en cause par la législation américaine, aucune ne revêt la force et l’autorité du jus cogens. Au contraire, le droit semble ici plutôt insaisissable et assez permissif. Cette première

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constatation explique sans doute que les principales récriminations faites à la loi visent essentiellement sa portée.

29 En effet, de tous les griefs soulevés à l’encontre de la loi Helms-Burton, plus que ceux tirés de l’illicéité internationale de son contenu, ce sont surtout ceux relatifs à son extraterritorialité qui mobilisent le plus la communauté internationale et la doctrine. Qu’en est-il de l’extraterritorialité de la loi Helms-Burton ?

II - L’illicéité de la loi Helms-Burton quant à sa portée

30 La constatation d’une infraction à une norme juridique, quelle qu’elle soit, suppose que soit préalablement définie de façon claire le contenu et l’étendue de cette norme. Or précisément, le plus grand flou demeure quant à la réglementation internationale applicable aux normes extraterritoriales des Etats.

31 Afin d’apprécier la conformité ou non de la loi Helms-Burton aux règles internationales relatives à l’application extraterritoriale du droit, il paraît nécessaire de dégager, dans un premier temps, les normes effectivement applicables au cas d’espèce (§. 1). Alors, ensuite il sera possible à l’aune de ces seules règles pertinentes du droit positif d’établir l’éventuelle infraction commise par la législation américaine (§. 2).

A - Le régime juridique applicable à l’extraterritorialité : multiplicité des règles et permissivité du droit

32 La question de la jouissance et de l’exercice par les Etats et les organisations internationales – en particulier les organisations d’intégration économique comme les Communautés européennes – de compétences extraterritoriales, a donné lieu à une abondante littérature juridique. A l’inverse de la vulgate médiatique qui ne cesse d’affirmer l’illicéité internationale de toute application extraterritoriale du droit, l’ensemble de la doctrine s’accorde à reconnaître que la réalité est éminemment plus complexe. En effet, quelques principes ont été dégagés en matière d’extraterritorialité. Mais le cadre juridique dans lequel doivent s’exercer les compétences extraterritoriales des Etats est encore imparfait. Il en ressort que face à cette norme juridique en gestation (1) le droit applicable demeure, pour l’instant, insaisissable et permissif (2).

1 - Une norme en gestation

33 En 1927, la Cour Permanente de Justice Internationale (C.P.J.I.) a dégagé, dans l’Affaire du Lotus, quelques principes de base qui constituent, encore à ce jour, le seul vrai fondement du droit positif en matière d’extraterritorialité. La Cour affirme, en substance, que chaque Etat peut exercer sa compétence normative en vue de réglementer des situations extérieures à son territoire. Seule la compétence d’exécution – parce qu’elle exprime l’exercice de la puissance étatique – est en principe strictement territoriale. La distinction entre compétence normative et compétence d’exécution a été reprise par certains auteurs comme instrument d’analyse pour qualifier les actes des Etats et déterminer le régime juridique dont ils relèvent9.Mais cette distinction, semble désormais obsolète, tant la question a gagné en complexité. La doctrine a d’ailleurs, mis en lumière la difficulté qu’il peut y avoir à distinguer les mesures de contrainte immatérielle, telles les menaces de sanctions, relevant d’une

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compétence normative « potentiellement illimitée » des actes de contrainte matériels relevant d’une compétence d’exécution limitée au territoire10.

34 En définitive, l’interdiction de l’exercice extraterritorial de la compétence d’exécution est la seule norme impérative admise avec certitude par l’ensemble de la doctrine à la lecture de l’arrêt de la CPJI. De cette constatation et compte tenu de l’accent mis par la cour sur la grande permissivité du droit international, certains auteurs comme Pierre Mayer ont déduit qu’il n’existe aucune norme internationale limitant la compétence normative des Etats. Le professeur Mayer opère en effet une distinction entre la compétence normative elle-même, et l’exercice de cette compétence. Selon lui, si l’exercice effectif de la compétence normative est en pratique limité par la souveraineté des Etats, il en va différemment de la compétence qui, elle, est illimitée. Les Etats disposeraient donc virtuellement d’une compétence normative à l’égard de toute situation quelle qu’elle soit et quels qu’en soient les éléments constitutifs. Un Etat X serait donc tout à fait compétent à réglementer les relations qu’entretiennent un Etat Y sur son propre territoire avec ses propres nationaux. Certes la norme ainsi émise par l’Etat X risque de n’être pas reconnue par l’Etat Y et son application en pâtira. Mais dans le cas contraire, selon la thèse avancée par Mayer, la norme édictée par X et appliquée par Y sur son territoire à l’égard de ses nationaux serait conforme au droit international. Le droit international ainsi interprété tolérerait de véritables délégations de compétence souveraine entre Etats. Dans un tel système l’effectivité de la mise en œuvre de la norme extraterritoriale dispense de toute interrogation sur la validité de cette norme. Autrement dit, si un Etat parvient à obtenir d’autres Etats, que toutes les normes qu’il édicte soient appliquées par eux indépendamment des situations visées, aucune norme de droit international ne saurait s’y opposer. Cette analyse doit bien évidemment être écartée comme totalement contraire aux préceptes essentiels du droit international contemporain fondé sur l’égalité souveraine des Etats. Comme le rappelle la Cour Permanente de Justice Internationale le moins que l’on puisse demander à un Etat « c’est qu’il ne dépasse pas les limites que le droit international met à ses compétences »11.

35 En l’absence de règles impératives limitant l’utilisation extraterritoriale par les Etats de leur compétence normative, il faut se reporter aux règles générales de répartition de compétence entre Etat. Le respect de ces dernières implique nécessairement que la compétence normative des Etats ne puisse être illimitée. Le fait même, que tous les Etats invoquent systématiquement un ou plusieurs titres de compétence pour justifier l’utilisation extraterritoriale de leur compétence normative semble indiquer qu’il existe une coutume de droit international selon laquelle l’extraterritorialité des normes étatiques doit être fondée sur des titres de compétence valables pour être internationalement licite.

36 Quels sont les titres de compétence, susceptibles de fonder la licéité d’une loi extraterritoriale ?

37 Dans la multitude des titres de compétence revendiqués çà et là, il convient de distinguer entre les titres « traditionnels » et les titres en voie de consécration. Sous le vocable « titres traditionnels » il est fait référence aux titres communément admis, par les Etats et la doctrine, tout au moins dans leur principe. Les deux principaux chefs de compétence de l’Etat reconnus par l’ensemble de la communauté internationale sont le rattachement territorial et le lien personnel. Il est incontesté que l’Etat dispose d’une compétence normative exclusive à l’égard des biens et personnes situés sur son territoire ou des événements se produisant sur celui-ci. Il n’est pas non plus contesté

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que l’Etat a compétence en vertu du droit international pour légiférer à l’égard de ses nationaux où qu’ils se trouvent. On reconnaît encore, aux Etats une compétence extraterritoriale relative aux services publics qui inclut traditionnellement les services diplomatiques et consulaires, les unités militaires en territoire étranger et les services culturels et sociaux installés en territoire étranger12. En outre, il semble généralement admis que l’Etat puisse réprimer les actes commis à l’étranger et portant atteinte à ses intérêts les plus fondamentaux. On parle alors de mise en œuvre de compétences extraterritoriales fondées sur le principe de protection. Bien qu’il ne fasse pas l’unanimité13, ce principe semble reconnu par la doctrine majoritaire. Enfin, dernier titre de compétence apparu sur la scène internationale : le principe d’universalité. Il ouvre à tous les Etats une compétence pénale, pour réprimer les crimes et délits internationaux contraires aux intérêts les plus fondamentaux de communauté internationale, indépendamment de la nationalité de l’auteur de l’infraction et du lieu où elle a été commise. Le bien fondé d’une telle compétence pénale universelle n’est guère contestée. Elle est même perçue par certains auteurs comme un progrès. D’autres y voient même plus qu’une faculté, une obligation d’agir, mise à la charge des Etats en leur qualité de gardiens de la gestion et de la défense des intérêts fondamentaux de la communauté internationale. En tout état de cause le principe d’universalité est actuellement reconnu par le droit international qui en fait une application de plus en plus large14.

38 A côté des titres traditionnels de compétence acceptés par un nombre significatif d’Etats et/ou d’auteurs, on voit apparaître d’autres titres de compétence extraterritoriale qui pour être encore contestés n’en sont pas moins largement utilisés. C’est en particulier le cas de la Théorie des effets.

39 Enoncée pour la première fois aux Etats-Unis par le juge Learnet Hand, en 1945 dans l’arrêt Alcoa, la théorie des effets consiste à reconnaître au législateur américain une compétence normative extraterritoriale à l’égard de situations qui, bien qu’ayant lieu en territoire étranger sans relation directe apparente avec les Etats-Unis, ont des effets néfastes, directs, substantiels et prévisibles, sur le territoire américain15. La jurisprudence et la doctrine américaine ont ensuite adopté une conception plus limitative de la théorie des effets, n’autorisant l’exercice de la compétence normative extraterritoriale, que si les effets sur le territoire national ont été voulus par les auteurs de la situation incriminée et si cette dernière est généralement condamnée par le reste de la société internationale.

40 Malgré l’effort de rationalisation de la théorie des effets, entrepris sous l’impulsion de la doctrine américaine, les Etats-Unis ne cessent d’étendre en pratique le champ d’application de cette théorie. D’abord cantonnée au droit de la concurrence, la théorie des effets est de plus en plus utilisée comme fondement général de droit international pour justifier une bonne partie de la politique extérieure du gouvernement américain. C’est cet exercice de juridiction rampante qui a amené la communauté internationale et en particulier la Communauté Européenne à critiquer fermement la théorie et son utilisation par les Etats-Unis.

41 Il semble toutefois que faute d’avoir, véritablement, obtenu consécration en droit international, la théorie des effets bénéficie aujourd’hui d’un assentiment général quant à son principe. Cette tendance déjà perceptible à la fin des années soixante dix16, s’est confirmée avec l’infléchissement de la position communautaire sur la question. En effet, il est apparu, à l’occasion de l’affaire« Pâtes de bois » dont était saisie la Cour de

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Justice des Communautés européennes, que la Commission européenne entend désormais recourir à la théorie des effets pour justifier l’exercice extraterritorial de sa compétence normative. Bien que la Cour de justice des communautés se soit abstenue de définir une position claire du droit communautaire sur l’application de la théorie des effets, il ressort de l’arrêt rendu en l’espèce que cette théorie est tout à fait admise dans le système du traité de Rome comme titre de compétence extraterritoriale17. La théorie des effets peut donc aujourd’hui être considérée comme un titre de compétence extraterritoriale à part entière, tout au moins en droit de la concurrence.

2 - Un droit insaisissable et permissif

42 La multitude des critères constituant la norme internationale applicable et l’absence de consensus tendent à favoriser l’unilatéralisme.

43 « La doctrine concernant l’application extraterritoriale de la législation nationale demeure indécise. Des principes uniformes ou universellement admis font défaut à cet égard. Quant à l’interprétation et à l’application des principes qui existent, elles sont essentiellement laissées aux tribunaux dans chaque cas d’espèce et elles varient selon le domaine ou la question en litige ». C’est en ces termes que M.P. Srenivasa Rao décrivait l’état de la question de l’application extraterritoriale du droit, devant la Commission du Droit International, en 199318.

44 Les solutions proposées par les juridictions des Etats s’avèrent malheureusement partielles et insuffisantes dans la mesure où le juge interne a pour mission de prendre en compte l’intérêt privé des parties, ce qui n’est guère propice à une résolution satisfaisante des conflits de souveraineté19. Certains Etats ont tenté, avec plus ou moins de succès, de « codifier » leur pratique de l’application extraterritoriale de leur droit. Ainsi le Restament of Law réalisé par un institut privé, l’Américain Law Institute procède à un recensement systématique des principes juridiques admis aux Etats-Unis comme cadre d’exercice légal de la compétence normative extraterritoriale américaine. Mais, les quelques recensements effectués sont encore insuffisants pour permettre une harmonisation des législations nationales.

45 Malgré les défaillances des institutions internationales compétentes et la prédominance des initiatives étatiques menées sans concertation, on peut discerner actuellement une tendance générale à la rationalisation du recours à l’extraterritorialité des législations nationales. Sans qu’on puisse parler de règlement global de la question, on observe une amorce de solution avec la création de mécanismes concertés. Mais l’avancée la plus prometteuse, dans la construction d’un droit international régissant la compétence normative extraterritoriale des Etats, tient à l’émergence de principes généraux de droit acceptés par tous ; ainsi le principe du « rattachement raisonnable ».

46 Ce principe permettrait d’apprécier la licéité internationale d’une norme extraterritoriale en fonction du caractère plus ou moins étroit du rattachement de la situation visée par la norme avec l’Etat auteur de celle-ci. Seul un rattachement suffisamment étroit, donc « raisonnable » permettrait ainsi de fonder la licéité internationale d’une norme extraterritoriale. Le principe du « rattachement raisonnable » jouerait en quelque sorte un rôle modérateur dans le recours aux divers titres de compétence des Etats. Ce principe n’est pas totalement nouveau en matière d’extraterritorialité et l’idée que les actes juridiques doivent être tempérés par la

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« raison » a toujours existé en droit international. On peut citer le principe de proportionnalité énoncé à l’article 51 de la charte des Nations Unies, en matière de légitime défense, ou encore le « principe de précaution » qui s’impose de plus en plus aux Etats en matière de responsabilité pour risque dans le domaine des dommages éventuels à l’environnement. Le principe de rattachement raisonnable est défendu par une bonne partie de la doctrine20 et reconnu sous diverses formes par la plupart des Etats. La Cour internationale de justice a aussi admis que l’exercice extraterritorial par l’Etat de sa compétence normative est soumis à une « obligation de modération et de mesure »21.

47 En tout état de cause la notion de rattachement raisonnable ne semble pas avoir de contenu précis. Elle ne renvoie pas à une attitude spécifiée, un comportement type auquel doivent se conformer les Etats dans l’exercice de leur compétence normative. Le principe du rattachement raisonnable vise, en somme, à ce que de l’extrême ténuité des éléments de rattachement à l’ordre juridique de droit interne ne résulte pas leur disparition totale.

48 Dans le jeu international des ambitions étatiques antagoniques le droit tente de s’imposer par la voie de la raison. Mais, tout porte à croire que les prétentions nationales diverses ont leurs raisons que la raison ignore ! La seule attitude commune, qui puisse actuellement être dégagée, est que chacun juge raisonnable ses excès les plus fous ! Les Etats-Unis s’octroient avec l’adoption de la loi Helms-Burton, une prérogative exorbitante au regard du droit commun régissant la société internationale. Toutefois, la licéité internationale de cette loi ne pourrait être valablement mise en cause sur le moyen unique tiré de son extraterritorialité.

B - L’extraterritorialité de la loi Helms-Burton : de l’imprécision du droit à l’unilatéralisme de droit

49 La multitude des critères constituant la norme applicable à la compétence extraterritoriale des Etats et l’absence de consensus au sein de la communauté internationale favorisent, nous l’avons vu, l’unilatéralisme. C’est à la faveur de cet unilatéralisme dominant que les Etats-Unis fondent la licéité internationale de leur nouvelle législation contre Cuba sur un certain nombre de critères de compétence, qui faute de faire l’unanimité ont été admis par la doctrine et une part significative de la communauté internationale, à savoir : la théorie des effets, la protection de la sécurité nationale et le principe d’universalité.

50 La loi Helms-Burton recourt, notamment dans son article 301(9) à la théorie des effets pour justifier, dans son titre II, le dispositif mis en place pour sanctionner les ressortissants étrangers « coupables » de trafic. La rédaction du texte de la loi américaine n’appelle pas de commentaire particulier quant à la formulation de la théorie des effets qui y est retenue s’agissant du caractère voulu, prévisible ou réalisé de l’effet incriminé. Par contre, l’appréciation des faits, à laquelle procède la loi, n’emporte pas conviction. Il est douteux, en effet, que l’utilisation passée et actuelle des biens cubains nationalisés en 1959 puisse avoir des effets directs et substantiels sur le territoire américain. C’est, en tout cas, l’opinion que partagent les détracteurs de la loi Helms-Burton en écartant toute justification de la compétence extraterritoriale des Etats-Unis par application de la théorie des effets. Mais, en l’absence de définition par le droit international les critères de détermination des caractères directs et

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substantiels des effets susceptibles de fonder la compétence extraterritoriale d’un Etat, une telle opinion ne peut pas être considérée comme un argument juridique suffisant.

51 L’analyse juridique visant à contester la licéité internationale de la loi Helms-Burton aux seuls motifs que l’extraterritorialité de celle-ci ne repose pas sur un rattachement territorial ou personnel suffisant avec les Etats-Unis, est insatisfaisante même si l’on nie toute valeur juridique à la théorie des effets pour ne retenir que les titres traditionnels de compétence extraterritoriale des Etats. En effet, cette analyse oublie de prendre en compte les titres de compétence que sont le principe de protection et le principe d’universalité. C’est pourtant sur le principe de protection de la sécurité nationale des Etats-Unis que la loi Helms-Burton fonde tout son dispositif.

52 L’article 101(4) de la loi développe l’idée que le régime castriste et la politique qu’il mène actuellement dans le domaine nucléaire, de même que les flux de réfugiés qu’il provoque en direction des Etats-Unis, constituent une menace réelle pour « la santé et la sécurité du peuple américain » et la sûreté des Etats-Unis. Le caractère nécessairement subjectif que revêt l’appréciation des faits en pareilles circonstances rend tout argumentaire juridique incertain, tant la règle de raison, et les techniques d’évaluation qui s’y rattachent, sont ici inadaptées. L’histoire des relations américano-cubaines démontre en effet qu’il existe aux Etats-Unis une véritable hantise de l’invasion communiste. Dès lors, si le recours à un balancing test européen (ou canadien ou mexicain) dans l’appréciation des sanctions de la loi Helms-Burton Cuba privilégierait l’ampleur disproportionnée des dommages occasionnés aux sociétés étrangères, au regard des objectifs assignés par la loi et aux effets raisonnablement escomptés (la démocratisation du régime cubain), il est vraisemblable que ce même balancing test pratiqué cette fois aux Etats-Unis accorderait la prééminence à l’obsession de sécurité liée à la perception d’une menace cubaine réelle ou supposée dans l’opinion et la vie publique américaines.

53 Enfin, la loi Helms-Burton, notamment l’article 116, fonde ses dispositions normatives sur la nécessité de lutter contre les actes de terrorisme international auxquels le gouvernement cubain est accusé de se livrer ou de prendre part. Le raisonnement suivi par le législateur américain repose sur l’idée que le régime castriste en prenant part à des délits internationaux notamment des actes terroristes, menace tout à la fois la paix mondiale et la sécurité nationale des Etats-Unis. Des lors, les Etats-Unis ont, en vertu, tant du principe de protection que du principe d’universalité, compétence à tout mettre en œuvre pour contraindre le gouvernement cubain à cesser ses pratiques illicites. Dans la mesure où l’on admet que le « trafic » des biens nationalisés contribue à renforcer le régime castriste ennemi en lui fournissant une source substantielle de revenus, il faut admettre sans nécessité de recours à quelque titre de compétence territorial ou personnel, que les Etats-Unis peuvent, suivant la logique qui vient d’être exposée, sanctionner le trafic en cause. Le raisonnement ainsi proposé par le législateur américain dans l’article 301(6) de la loi, même s’il présente quelques faiblesses, n’est pas dépourvu de pertinence. Aucune contre-argumentation sérieuse ne semble pourtant avoir été formulée à ce niveau.

54 Avant de clore cette étude sur l’extraterritorialité de la loi Helms-Burton, il convient de signaler que le sort des sanctions prévues par ce texte ne peut être dissocié de celui des dispositions normatives dont elles garantissent le respect et l’efficacité. Si la démonstration de l’illicéité internationale des dispositions normatives de la loi n’est pas faite de manière convaincante alors il ne pourra être admis que les sanctions mises

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en œuvre territorialement soient illicites. Seules les sanctions prévues par le titre III de la loi semblent sérieusement contestées au regard des règles de répartition de compétence entre Etats. L’article 103 du titre Premier de la loi interdisant, à titre de sanction économique, tout financement d’origine américaine à une personne qui trafique, n’est pas extraterritorial puisqu’il relève de la réglementation par les Etats- Unis des flux commerciaux et financiers qui ont lieu sur leur territoire. La réglementation par un Etat des termes selon lesquels les échanges commerciaux doivent avoir lieu sur son marché, relève de la compétence territoriale de cet Etat. La licéité internationale de l’article 108 ne peut donc être mise en cause au regard des règles de répartition de compétence entre Etats. Il en va de même pour les sanctions prévues au titre IV de la loi, à savoir le refus d’accès au territoire prononcé à l’encontre des « trafiquant » et de leur famille. Un Etat est en effet seul compétent à réglementer l’accès à son territoire.

Conclusion

55 De la confrontation de la loi Helms-Burton avec le droit positif international en vigueur il ressort que ce dernier est en réalité très lacunaire. Entre un principe de non- intervention plus proche de l’interdiction du recours à la force armée que de l’encadrement juridique des mesures de pression économique et la quasi inexistence d’une norme internationale régissant la compétence normative extraterritoriale des Etats, il apparaît que la dernière législation américaine contre Cuba ne viole aucune norme de jus cogens. Cependant, l’illicéité de cette loi ne fait pas de doute puisqu’elle méconnaît de nombreux engagements conventionnels contractés par les Etats-Unis ainsi que les règles de responsabilité et d’intérêt à agir communément admises par l’ensemble de la communauté internationale en matière de nationalisations.

56 L’adoption de la loi Helms-Burton et la constatation de la prolifération des mesures de blocage prises par la communauté internationale à son encontre conduisent à certaines observations.

57 D’abord cette loi révèle l’échec de la politique de restrictions menée par les Etats-Unis à l’égard de Cuba depuis un quart de siècle. Elle confirme l’inefficacité des mesures d’embargo comme moyens de sanction des autorités gouvernementales d’un Etat. Bien plus que les régimes politiques en place, il ressort de la pratique que les populations civiles sont toujours les principales victimes des mesures d’embargo économique. Les exemples irakien et cubain tendent même à accréditer l’idée que l’embargo imposé à un Etat peut aboutir au renforcement du pouvoir en place, fut-il autoritaire.

58 Ensuite, la loi Helms-Burton et les mesures de blocage prises à son encontre confortent la tendance, observée depuis quelques années, au développement d’une nouvelle forme d’« unilatéralisme » dans le fonctionnement de la société internationale. On assiste à la consécration de facto de l’acte unilatéral comme source de droit international. Faute de disposer d’un dispositif normatif satisfaisant la société internationale reste impuissante face à cette modélisation des actes hétéronormateurs des Etats. A terme, ce processus remet en cause la conception classique d’égalité souveraine des Etats sur laquelle repose tout l’ordre juridique international actuel.

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NOTES

1. L’une des premières formulations claires du principe de non intervention se trouve dans l’article 19 de la charte de l’Organisation des Etats Américains (O.E.A.) selon lequel « Aucun Etat ne peut appliquer ou prendre des mesures coercitives de caractère économique et politique pour forcer la volonté souveraine d’un autre Etat et obtenir de celui-ci des avantages quelconques ». 2. Extrait de la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale des Nations Unies du 24 octobre 1970 portant Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et coopération entre Etats. 3. C.I.J., Rec. 1986, § 207, p. 108. 4. C.I.J., Rec. 1986, § 245, p. 126. 5. Sorel Jean-Marc, « Remarques sur l’application extraterritoriale du droit national à la lumière de la législation américaine récente », Revue juridique de l’Ouest, n° 1996/4. Les juridictions françaises ont déjà eu l’occasion de se prononcer sur des cas similaires. La Cour d’appel de Paris a ainsi considéré que les acquéreurs d’avoirs nationalisés sans indemnité n’étaient pas fautifs et la Cour de cassation a confirmé cette position. (Voir : Civ. 1ère, 20 octobre 1987 : Société internationale des planta-tions d’hévéas et Société Lao export et associés, Bull civ. 1.198). 6. Ainsi, la cour européenne des droits de l’homme a-t-elle estimé dans l’affaire Lightgow et autres v Royaume-Uni, 8 juillet 1986, que les principes de droit international ne s’appliquent pas pour la nationalisation par un Etat des biens de ses propres nationaux. 7. Stern B., « L’extraterritorialité revisitée où il est question des Affaires Alvarez-Machain, Pâte de bois et quelques autres », AFDI, 1992. 8. Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, New-York, 19 décembre 1966. 9. Stern B., « Quelques observations sur les règles internationales relatives à l’application extraterritoriale du droit », AFDI, 1986, p. 11. 10. Demaret P.,« Les affirmations de compétence extraterritoriale aux Etats-Unis », L’application extraterritoriale du droit économique, Cahier du CEDIN n° 3, Paris, Montchrestien, 1987, pp. 41-49. 11. CPJI, Affaire du Lotus, arrêt du 7 novembre 1927, Rec. 1927, Série A, n° 10, p. 18. 12. La compétence nationale repose bien ici sur le critère de service public et non sur un rattachement personnel ou autre, car cette compétence s’exerce aussi à l’égard des étrangers qui participent aux services publics concernés. 13. La Communauté Européenne a refusé de reconnaître au principe de protection valeur de titre de compétence susceptible de fonder la licéité internationale de normes extraterritoriales (CEE Note sur les mesures américaines dans l’affaire du Gazoduc Euro-Sibérien). 14. Citons à titre d’exemple la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer signée à Montego Bay le 10 décembre 1982 dont l’article 119 reconnaît aux Etats un pouvoir d’action unilatérale aux fins de conservation des ressources biologiques de la haute mer. 15. Alcoa, USV Aluminium Co of America, 148 F 2nd 416 (2nd Cir. 1945). 16. Témoins de cette tendance, l’article VI de la Résolution de l’I.D.I. prise lors de la session d’Oslo, en septembre1977, dans lequel est implicitement reconnu le principe de l’utilisation de la théorie des effets comme titredecompétence extraterritoriale :« La compétence de réglementation, de contrôle et de sanctions des pratiques restrictives de concurrence des entreprises multinationales fondées en tous cas sur le lieu où ces pratiques sont accomplies, ne devrait en outre être retenue en fonction de leurs effets, que si ceux-ci présentent, sur le territoire de l’Etat considéré un caractère intentionnel, au moins prévisible, substantiel, direct et immédiat ». 17. CJCE, « Affaire Pâte de bois », arrêt du 27 septembre 1988 ; texte in Revue trimestrielle de droit européen, 1989, p. 341. Sur cette affaire, voir : Christoforou Théofanis, « Le champ d’application territorial du droit communautaire de la concurrence : l’arrêt "pâte de bois" », Revue des affaires

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européennes, 1990, 1, p. 5. Stern Brigitte, « L’extraterritorialité revisitée où il est question des affaires Alvarez-Machain, Pâtes de bois et quelques autres », AFDI, 1992. 18. Rapport sur la question de l’application extraterritoriale de la législation nationale, CDI, A/ CN.4/454, p. 77. 19. Voir Kinsch P., Le fait du prince étranger, Paris, LGDJ, 1994, 608 p. 20. Voir Mann F.A., The doctrine of juridiction in international law, RCADI 1964, I. vol. 111, p. 49. On le trouve également chez des auteurs comme Brownlie, Meesser, Verdross ou Simma. En France, le principe fut défendu par Virally (RCADI 1983-V, vol 183, pp. 9 à 382, p. 97) ou Combacau (Droit international public, Paris, Monchrestien, 1993, p. 347). 21. CIJ, Affaire Barcelona Traction, Rec. 1970, p. 105.

RÉSUMÉS

La guerre économique que mènent les Etats-Unis contre Cuba depuis près d’un demi-siècle a pris une dimension symbolique telle, que ni l’opinion publique ni la classe politique américaines ne semblent envisager un changement de stratégie. La loi Helms-Burton adoptée par les Etats-Unis en 1996 vise comme les législations précédentes des années soixante et quatre-vingt-dix à isoler Cuba afin de faire tomber le régime castriste. Déterminés à faire échec à la politique cubaine de libéralisation des échanges et d’incitation des investissements étrangers sur l’île, les Etats-Unis procèdent avec la loi Helms-Burton à une extension de leur politique d’embargo à l’ensemble de la communauté internationale. Cette attitude a provoqué l’indignation de l’ensemble des Etats qui ont aussitôt dénoncé l’illicéité internationale de cette législation. Une analyse juridique rigoureuse conduit cependant à des conclusions beaucoup plus nuancées. En l’état actuel du droit positif international, seule une illicéité internationale partielle de la loi dans son contenu semble avérée. Quant à sa portée extraterritoriale, certainement la plus critiquée, aucune prescription internationale clairement formulée ne semble s’y opposer.

The economic war waged by the United against Cuba for near half a century has taken on such a symbolic dimension that neither public opinion nor the American body politic seem to envisage a change of strategy. The Helms-Burton law voted by the United States in 1996 aims, as did prior legislation in the sixties and nineties, at isolating Cuba to provoke the collapse of the Castries regime. Determined to defeat the Cuban policy of free trade and attacting foreign investment to the island, with the Helms-Burton act the United States proceeds to extend the embargo policy worlwide. Such an attitude has provoked a sense of indignation among all countries, who promptly denounced the international illicitness of such legislation. However, careful legal examination leads to rather nuanced conclusions. In the present state of substantive international law, only partial international illicitness of the law’s content seems to be established. With respect to its extraterritorial scope, certainly the most criticized, no clearly formulated international stipulation seeems to oppose it.

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INDEX

Index géographique : Cuba Keywords : embargo, extra-territoriality, Helms-Burton act, international illicitness Mots-clés : embargo, extra-territorialité, illéicité internationale, loi Helms-Burton

AUTEUR

XAVIER LAUREOTE Doctorant en droit Membre du CRPLC

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Regards croisés sur la Caraïbe Dossier thématique

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Recovering democracy: problems and solutions to the Guyana quagmire

Ralph R. Premdas

1 In 1992 when free and fair elections were conducted for the first time since 1964 in Guyana, a brief euphoric moment of positive change was simultaneously accompanied by a set of long term difficulties which five years later would return to haunt the nation reducing its democratic prospects to shambles. The Carter Center was the midwife which delivered the electoral triumph overseeing a deeply embedded proclivity of the ruling Peoples National Congress (PNC) to rig elections. While this benefitted Guyanese in restoring democracy, the change failed to alter the fundamentals of the Guyanese institutional order which in the first instance accounted for the communal strife. More specifically, the Carter people in their intense preoccupation with sanitizing the mechanical minutiae of the electoral machinery, lost sight of the perverse political institutions involving zero-sum competition for office which virtually conferred total control of the state to one community denying participation to the defeated other. A new government was erected on an old discredited order akin to an incompetent physician who uses Band-Aid to cure cancer. The facts of the case suggest that the Carter people had enough leverage to compel the victor in the elections to initiate meaningful reform of the political system as a condition for ratification of its victory. Rather, a faint undertaking by the Peoples Progressive Party (PPP) to establish a government of national unity and reform the constitution was accepted without the means to enforce these promises. The PPP proceeded merrily to ignore these undertakings, failed to put in place an inclusive cross-party government and engaged in dilatory tactics about constitutional reform. While it did succeed in restoring much health to the economy giving this item first priority, it effectively ignored the political apparatus against which it chafed for decades while out of power. One can therefore argue that what was accomplished in the 1992 elections was simply a change of governing decision-makers from the PNC to the PPP under the same system that had done irreparable harm to the Guyanese people. After the 1997 general elections which

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the PPP won by successfully mobilising the Indian bloc vote, the chicken came home to roost. The defeated PNC decided to camouflage the fear of its permanent exclusion from power and possible subordination of the African community forever, by contesting the accuracy of the election results and taking to the streets. Following the demonstrations of the PNC which continued to command solid African solidarity, a virtual brokenback state has prevailed with the defeated PNC in control of the main cities, the public bureaucracy and the all of the coercive forces, police and army included. The PPP has the rest but literally governs within the jaws of the Opposition strongholds in the capital city, Georgetown. At one level, it can be argued that the PNC alone is responsible for the stalemate that now has crippled economic investment and placed daily Indian-African relations on a razor’s edge. While at this level, there is some truth to this argument, at a more fundamental level, the problem points to the deficiencies of the zero-sum constitutional order which has exacerbated inter-ethnic malaise and crippled the authoritative centers of decision-making undermining their legitimacy in the eyes of one of the two ethnic communities which need to cooperate if the state should survive and prosper. A CARICOM brokered peace has now pointed its attention to reforming the constitutional system. A facilitator has been appointed to ensure that the effort at reform is not strangled by dilatory tactics or partisan obstructionism by either the PPP or the PNC. This paper offers an analysis of the fundamental problems of the Guyanese political order and suggests directions in which change towards inter-ethnic reconciliation and political consociation may proceed. Before I go on, it will be useful to look briefly at certain theoretical and comparative aspects of resolving communal conflicts generally since this will bear heavily in the outcome of the talks to find a solution to the Guyana quagmire.

2 The crux of the problem pertains to the establishment of a generally acceptable, just, and democratic government in the midst of deeply distrusting communal components in Guyana and similar states including Trinidad and Suriname in the Caribbean. Implicated in all of this are vexing issues related to status and recognition of the ethno- cultural communities which express fears of discrimination and domination as well as charges of skewed state policies regarding resource allocation. Short of destroying the state, the basic task is to design a framework of government that will accommodate the divergent claims of the respective communities for equity and representation, the way they see it. In part, the point about this paper is precisely to explore the possibilities of designing such a system. There are numerous cases of failed efforts in finding a formula for inter-ethnic accommodation, but there are a few success stories which offer some hope. Insights offered in this paper derive in part from examining these cases. Many of the solutions that work tend to be short term and ad hoc. However there are enough of these to offer insights into what may be done in certain circumstances bearing in mind the limits of cross-cultural transfers of social technology.

3 In most multi-ethnic states, the mode of regulating communal strife varies over time ranging from periods of oppression to moments of accommodation. Cultural pluralism tends to throw up persistent problems in establishing stable inter-sectional co- existence. Peaceful accommodative practices appear to be rare events and when they do occur they tend to be of relatively short duration. Generally, from the evidence, it is clear that the most prevalent policies and practices that states apply in coping with cultural diversity points to domination and repression. Sometimes drastic measures are employed to destroy « once and for all » rival ethno-cultural divisions through

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assimilation, genocide, population expulsion or partition. As a general rule, these modes of ethnic conflict management tend to be counterproductive. Multi-ethnicity and cultural diversity persist and rarely can they be entirely erased or suppressed.

4 The history of most multi-ethnic states is a veritable repository of varied experiments and experiences in regulating inter-communal living. The solutions span a repertoire ranging from power-sharing and consociation on the conciliatory side of a continuum to communal oppression and exploitation on the domination side. There are many modalities in between as Figure I shows.

FIGURE I

Negative side

[genocide – assimilation – partition – forced population transfer-forced domination/repression – legal hegemonic domination]

Positive side

[consociation – bargaining – decentralization – balance arbitration – multi-culturalism – liberal democracy]

5 Most polyethnic states have evolved a pattern of inter-communal regulation which, however stable, tends to undergo periodic crises and breakdowns. In a single case history, various modes of ethnic conflict resolution including a wide range of contradictory and inconsistent modalities on the continuum from left to right can be discovered. Very often a multi-ethnic state which searches for a solution to its communal crisis may discover insights from its own experience and history rather than in alien imports. In the case of Guyana, there was a period in 1953 of inter-ethnic accomodation which offers insights into the practical possibilities of reconciliation.

6 What I am also saying is that in the end whatever policy proposals are recommended to regulate and resolve an inter-ethnic crisis should not be treated as the transfer of mere technical devices that can be conveniently and neutrally inserted in an ethnic conflict to provide a quick fix. Each strategy of ethnic conflict resolution is not only culture specific to a substantial extent but it tends to embody a contest over cultural claims and the distribution of symbolic and material values. This is the fulcrum on which turns issues of equity in claims and counter claims among ethnic communities in conflict1. At bottom, the issues and the mode of resolution are political, cultural and ethical. This should point towards a critical process of formulating policy options that are at once cognizant of and sensitive to cultural contexts. Before we proceed to set forth a diagnosis and prescription for Guyana’s ethnic malaise, it will be useful to provide a background into the society and its politics.

I - The Making of an Ethnic State and the Structuring of Communal Identities

7 Essential to the analysis of Guyana’s communal strife is the creation of an « ethnic state », a concept that alludes to the descensus in the social demographic structure

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created by colonialism. The multi-ethnic state in Guyana, as in many parts of the Third World, was a colonial artifact. State and nation were not co-terminus entities; rather, the colonial state deliberately spawned an ethnically segmented social and cultural fabric. The role of the state in the creation of the underlying conditions of communal conflict is therefore critical to an understanding of Guyana’s difficulties. In looking at the state, attention is focused not only the policies related to the formation of a multi- ethnic society, but also on the political institutional apparatus through which state power is contested. Specifically, this refers to the competitive parliamentary system that was engrafted onto Guyana as part of the state apparatus and that engaged parties in zero-sum struggles for power.

8 Guyana is a multi-ethnic Third World state situated on the north-coast shoulder of South America. Although geographically part of the South American land mass, culturally it falls within the Caribbean insular sphere marked by plantations, monocrop economies, immigrant settlers, and a colour-class system of stratification2. The country is populated by six ethnic solidarity clusters – Africans, East Indians, Amerindians, Portuguese, Chinese and Europeans. A significant « mixed » category also exists, consisting of persons who have any combination of the major groups. Racial and ethnic categories are apprehended in a rather peculiar way among Guyanese. In the popular imagination, everyone is placed within a communal category which, as anthropologist Raymond Smith has noted, « is believed to be a distinct physical type, an entity symbolized by a particular kind of ‘blood’« 3.

9 Hence, even though objectively there is a wide array of racial mixtures, a person is soon stereotyped into one of the existing social categories to which both « blood » and « culture » are assigned a defining role. In a « we-they » dynamic, each person accepts his/her assignment to a communal category which in turn separates and establishes individual and collective identity from other similar groupings. From this, a society of ethno-cultural compartments has emerged with various forms of inter-communal antagonisms of which the African-Indian dichotomy dominates all dimensions of daily life.

Table 1

Ethnic Distribution of the Guyanese Population

Ethnic Group Per Cent of Total

Indians 51,4

Africans 30,5

Mixed Races 11,0

Portuguese & Europeans 1,2

Chinese 0,2

Amerindians 5,3

Ministry of Information : 1980 Census.

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10 Nearly all of Guyana’s 850 000 people are concentrated on a 5 to 10 mile belt along the country’s 270-mile Atlantic coast. The multi-ethnic population is loosely integrated by an indigenous creole culture which has evolved from the admixture of experiences of the immigrant population during the last two hundred and fifty years of Guyanese history. Sub-cultural patterns of consciousness are dominant in identity formation even while social integrative institutions are not entirely non-existent. In moments of inter-ethnic confrontation and conflict, the strong sub-cultural patterns threaten to burst the society asunder at its ethnic seems. The inter-play of integrative centripetal institutions such as commonly shared schools along with the fissiparous ethnic cultural features such as different religious faiths have created a split national personality.

11 Slavery and indenture were the twin bases on which successful colonization of the climatically harsh tropical coasts occurred. A work force of culturally divergent immigrants was recruited to labour on plantations in the New World. The different patterns of residence, occupation, and political orientations by the imported groups reinforced the original differences of the settlers laying from the inception of colonization the foundations of Guyana’s multi-ethnic politics.

12 By the beginning of the 20th century, certain features were clearly embedded in the social system. A communally-oriented, multi-ethnic society was being fashioned and institutionalized. Several layers of cleavage appeared and reinforced each other. Hence, separating East Indians and Africans were religion, race, culture, residence, and occupation. Multiple coinciding divergencies deepened the divisions without the benefit of a sufficiently strong set of countervailing integrative forces. To be sure, most immigrants participated in varying degrees in a commonly shared school system, national laws, colour-class stratification system and experiences in suffering. At an elementary level there was even a measure of shared cross-communal class unity at places where Indians and Africans worked such as certain factories or labour gangs. But these were few and far between. The trajectory of social organization was firmly launched from the multi-layered foundations set in the colonial period. These patterns would be sustained by voluntary associations that were formed.

13 The logic of the communal society implanted in Guyana pointed to a future of inevitable sectional strife. Not only were many layers of fairly distinct communal divisions erected, but in the absence of equally strong rival overarching integrative institutions, the immigrant groups viewed each other from the perspective of their respective compartments with misinformed fear and much hostility. The colonial pie was small, most of it allocated to the governing European coloniser element occupying the top echelon of the colour-class stratified system. Of the remaining jobs and other opportunities, the non-white segments fought among themselves for a share. African- Indian rivalry for the few scarce values of the colonial order would feature as a fundamental source of inter-communal conflict from the outset of the creation of the multi-tiered communal society. It would be sustained by a deliberate policy of divide and rule but would be mitigated by the urban-rural pattern of residence especially of Africans and Indians respectively. What had evolved assuming the pretensions of a society was an order based on sustained and manipulated communal conflict without any prospect of overcoming these basic divisions in the foreseeable future. Institutionalised division and embedded conflict were the defining features of the system in perpetuity. Or so it seemed even at the end of the nineteenth century.

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14 The twentieth century would witness the unleashing of new forces which would erode and eliminate the seemingly permanently set colonial structures of dominance in Guyana. The mutual antagonisms shared among the subjugated ethnic elements would be diverted towards a unique opportunity to unite against the plantation society and its rulers. In particular, Indians and Africans under the leadership of sectional charismatic leaders acting in unison under the umbrella of the same political party would commence a shared struggle to uproot the colonial oppressors. Against the trajectory of a divided society consigned to perpetual internal strife dominated by a manipulative coloniser, a new tidal force of unity was unleashed in the independence movement. A common enemy in colonialism impelled the emergence of cross-communal leadership which mobilised non-white workers and others to challenge the plantocracy, the colour-class value system, the unjust distribution of jobs and privileges and all the other iniquitous aspects of the multi-ethnic immigrant society. A multi-ethnic independence movement called the People’s Progressive Party (PPP) was formed under the leadership of two charismatic sectional leaders, one an African () and the other, an Indian (). They successfully won the first elections, but almost immediately after victory engaged in a rivalry over sole leadership of the PPP. In the end, this led to a fatal split in the independence movement along ethnic lines. The two leaders parted company, formed their own party, and thereafter Guyana was transposed into a territory riven by deep and destructive ethnic and racial politics.

15 The moment of opportunity to build a new basis of inter-group relations and a new society was lost when the two sectional leaders parted company, formed their own party and pursued their own ambition for personal acclaim and power. The moment of reconciliation is a rare event in a multi-ethnic state suffused with all sorts of underlying predispositions for ethnically-inspired divisive behaviour. What makes the loss of that opportune moment even more unbearable is the following sequence of events in which the old divisions embedded in the social structure were exploited and exacerbated by a new form of mass politics. A new type of party emerged constructed on the discrete ethnic fragments into which the old unified party had broken. Mass politics invited rival mass organizations to capitalize on ethnic loyalties for votes. The new system of politics was adopted from a model of political competition derived from European contexts marked by an underlying unity and consensus. Many colonies with fragmented ethnic sections were bequeathed political institutions designed around adversarial zero-sum politics. The new parties in Guyana were encouraged to design vote-getting campaign strategies aimed at capturing a government and vanquishing an opponent as in a war of all against all. To win is to conquer; to lose is to die. Ethnic conflicts that are organized and acted out in an arena of partisan competition bound by zero-sum rules of rivalry tend to exacerbate the underlying deep divisions of the society. Party organization and electoral competition together consign an ethnically multi-layered polity to a route destined to self-destruction. It seems that once the moment of reconciliation is lost, the ethnic monster is unleased in the theatre of mass politics wrecking uncontrolled havoc negating all efforts at development.

A - Political Parties, Apanjaat Politics and Civil War

16 In Guyana, like other Third World multi-ethnic states, competitive parties formed around a nucleus of members from one or another sub-system, do not serve to unify the society or to establish legitimate authority. In those societies which are relatively

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well integrated already bound by a widely shared body of basic values, political parties have served as effective linkages between the identity of citizens and the policies of decision-makers at all levels of government. Competitive parties that are formed from exclusive ethnic blocs in internally fragmented states such as Guyana do not serve as agents of national integration and do not mobilise energies and scarce resources for national development. Instead, they exacerbate the underlying cleavages and sectionalism. The way they organize their lives and those of their constituents in a competitive arena of zero-sum stakes results in the wreckage of all human endeavour aimed at developmental amelioration. The new competitive parties in Guyana illustrate this well.

17 Following the historic split of the national independence party, the PPP, two new factional parties emerged around the leadership of Dr. Jagan and Mr. Burnham. Each claimed the mantle of the old popular and victorious PPP so that at least temporarily there was a Burnhamite and a Jaganite PPP. Later, the Burnhamite faction would alter its name to the People’s National congress (PNC hereafter), while the Jaganite faction retained the PPP label (PPP for Jagan’s faction hereafter). After the 1955 split, a general scramble commenced between the Jaganite and Burnhamite factions to ensure that Indians and Africans respectively stayed with their ethnic leaders. This occurred at the same time that each partisan grouping proclaimed its adherence to socialist ideals and programmes.

18 Notwithstanding the appeals of the PPP and PNC for supporters in all classes and from all communities, the reality was that each party attracted virtually only Indians or only Africans. With the historic split in 1955, the coalition of African and Indian votes that supported the old PPP was destroyed. Progressively from 1955 to the present, Africans and Indians not only consolidated and completed their move to the Burnham (later Hoyte) and Jagan respectively, but also, and most importantly, ethnic declarations for these leaders and their personalistically – led parties by the Indian and African communities became overt and vociferous.

19 Sectional identification with the two major parties became a fundamental fact of contemporary Guyanese politics. Paradoxically, in a political field of self-declared socialist parties, class criteria as a determinant of party identification was practically negligible or absent. Apanjaat, the local colloquial term for « vote for your own kind », was the dominant factor which governed the political choices of nearly all Guyanese. Everyone expected an Indian to support and vote for the PPP and an African for the PNC.

20 The fateful fall into the spiral of intensifying ethnic politics will also be facilitated by the role of voluntary associations after the 1955 leadership split of the independence movement. Thereafter the relationship between political parties and voluntary associations accentuated the continued ethnic bifurcation in the Guyanese cultural system. All major economic and cultural intermediate associations became affiliated directly or indirectly with one or another of the political parties in Guyana. The rigidity of this close affiliation was underlined by the consistent similarity of policy positions on issues of public concern between particular parties and specific interest groups. To a substantial extent this was inevitable, since historically each section gravitated to and developed around a particular occupation. The large economic organizations such as trade unions and the more important cultural groups such as religious associations are

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identified today by the public as belonging to the « blackman », the « Coolie », or the « Potagee ».

21 The spiral of intensifying ethnic conflict slowly but inexorably exacerbated by the way the political parties organized the lives of their constituents, the manner in which election campaigns were waged, and the method by which voluntary associations were enlisted in the struggle for communal ascendancy, led almost inevitably to cataclysmic inter-ethnic confrontation and civil war. Between 1961 and 1965, the screws of communal conflict were slowly tightened so that few persons could escape being a coopted participant in a system of mutual communal hate. Inter-ethnic relations especially between Africans and Indians were increasingly marked by covert contempt and deceptive distrust. The elements of an impending explosion were registered first in the fear of ethnic domination of Indians by Africans and of Africans by Indians. A new drama was unfolding in which the main motif was a struggle for ethnic ascendancy compounded by a politically instigated terror of internal communal colonisation. While inter-ethnic interaction was still carried on in the familiar routine of daily life, the same persons in the privacy of their homes and communities enacted a script of racist and communal antipathy drawing every day perilously close to open conflagration. In public, the political drums continued surreptitiously to beat on the theme of ethnic claims and exclusivity; in public interaction each side had contrived a set of secret intra-communal symbols, idioms and nuanced expressions to silently communicate group solidarity erected on an understanding of collective contempt for the other side. Dual roles and schizophrenic personalities dwelt simultaneously in an ethnically split society. Forced to live together by the designs of a colonial conqueror, the sectional elements possessed no experience for inter-communal accommodation. Introduced mass politics was betrayed by sectional leaders jockeying for power. A moment of opportunity for reconciliation and reconstruction was squandered and the innocence of legitimate inter-ethnic suspicion was nurtured into a monster obsessed with the fear of communal dominance. One cleavage after another that separated the ethnic segments – race, traditional values, religion, residence and occupation – was reinforced by a mode of modern mass ethno-nationalist politics that drove the society to the brink of self-destruction.

22 After the 1961 elections, in the aftermath of an intensively organized ethnicised election campaign and with the promise of independence soon thereafter, the victory by Cheddi Jagan’s Indian – based PPP posed a fundamental threat to the survival of Africans, Mixed Races, Europeans, Amerindians, Chinese and Portuguese. The system of electoral politics enabled the victor in a zero-sum game of competition to assume complete control of the resources of the government. The chance – even a slim one – that this power could be perversely applied to systematically and permanently exclude political and communal opponents was all that was necessary to mobilise massive and crippling opposition to any ethnically-based government. In the multi-layered communal order established by the colonial power, an inter-dependent economy of specialised parts, each part dominated by one ethnic group, was institutionalised. No ethnic group could live without the other.

B - The PNC Regime and the Institutionalising of Ethnic Domination

23 After the historic 1964 elections which witnessed the defeat of Jagan’s PPP, the new coalition of Forbes Burnham and Peter D’Aguiar acceded to power. No attempt was

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made by the two largest sectional parties, the PPP and the PNC, to forge a grand coalition in a new government of national unity. Neither Burnham nor Jagan would serve in a subordinate role to each other even though a grand coalition needs not involve a hierarchy of leaders. The trajectory of events after the 1955 leadership split clearly indicated that Jagan and Burnham held irreconcilable personal and programmatic differences. The upshot was a re-affirmation of the plural society expectation if not prescription of a system of government based on ethnic domination. It would not be until the middle 1970s that the two leaders would be forced by circumstances to come close to reconciliation.

24 From mid-1968 onwards, Burnham would preside over a minority government kept in office by repeated electoral fraudulence and a politicized and ethnically sanitized army and police. Needless to point out, democracy was now dead; its crucial vehicle of representation through fair elections, was tampered with. Legitimacy was lost; the state coercive machinery was the main guardian of the illegal PNC regime. A minority party seized power. No colonial or external power had aided the PNG in rigging the 1968 elections. The colonial precedents of manipulating democratic devices to serve imperial interests were well learnt by the Burnham government. Guyana had come full circle from colonial domination, to freedom and back to domination, this time of one non-white group dominating another.

25 Towards the end of 1969, then, the PNC regime proclaimed a socialist framework for Guyana’s reconstruction. In 1970, Guyana was declared a « Cooperative Republic ». From private enterprise, the economy was to be founded on cooperatives as the main instrument of production, distribution, and consumption. But crises continued to bedevil the regime. The government ran a gauntlet besieged by high unemployment (30%), under-employment (36 - 40%), double-digit inflation, demonstrations, boycotts, strikes, and later on as a result of the Arab-Israeli war, prohibitive fuel costs. A vicious cycle of poverty was created by a pattern of polarised and unstable ethnic politics inter-mixed with the salve of socialist rhetoric and programmatic justifications.

26 Between 1971 and 1976, the government nationalised nearly all foreign firms bringing 80% of the economy under state control. This unwieldy public sector supplied the job opportunities necessary to quell the increasing demands of PNC supporters for equitable participation in the economy. State corporations proliferated but most were placed under an umbrella state agency called GUYSTAC which controlled twenty-nine corporations and several companies valued at (G) $ 500 million. Government ministries increased from twelve in 1968 to twenty-one in 1977. The government also ran five banks, three bauxite companies, and a gigantic sugar corporation which at one time dominated the country’s entire economy. These public agencies were staffed overwhelmingly by the regime’s communal supporters. The police, security and armed forces, in particular, were expanded to protect the besieged PNC government.

27 The judiciary also came under the PNC’s regime’s direct influence. The appointment of judges and magistrates was routinely based on party loyalty. Thus, the use of the courts to challenge the legality and constitutionality of decisions of the regime was futile. The overall policy output of the PNC regime, even if it were to be interpreted foremost in socialist terms, pointed indisputably to ethnic favouritism and preference. The polarisation of the two main ethnic races was probably attributable as much to ethnic chauvinism among PNC activists as to PPP boycotts and strikes against the government. The economic situation had deteriorated so badly that towards the end of the 1970s,

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the impact reverberated adversely on everyone alike, regardless of ethnic membership. Strikes and demonstrations and other challenges to Burnham’s power increasingly came from all ethnic segments including Africans. The arsenal of coercive powers previously used against Indians was now used against African dissidents also.

C - The Critical Elections of 1992 and a Change of Regime

28 After three decades of struggle by an array of forces, the ruling PNC government was forced to hold free and fair elections in 1992. Forbes Burnham had died in the early 1980s and was succeeded by Desmond Hoyte who continued the practice of rigging elections. This was however brought to an abrupt halt in 1992. The Atlanta Carter Center For Democratic elections was mainly responsible for persuading the PNC regime to submit itself to the voice of the electorate. In previous elections, the ruling regime was virtually permitted to rig elections since this assured the West of a loyal ally in the Cold War context. With the advent of Gorbatchev and perestroika, however, and the subsequent disintegration of the USSR, the PNC government was shorn of its Cold War shield of protection. In a new international order of human rights and democracy, the United States and the West abandoned their support of authoritarian anti-communist regimes and actively promoted governments based on free and fair elections. PNC was coerced by its Western backers to convene free and fair elections. On October 5, 1992, after two postponements that prolonged the constitutional life of the PNC government by two years, the elections were finally held. The outcome was dramatic. The PPP in coalition with a minor party defeated the PNC bringing to a close nearly three decades of illegitimate rule in Guyana.

29 The 1992 elections were about the elections – its authenticity and its honesty. President Hoyte had argued that previous elections in which the PNC had declared itself the victor were fair and honest and he therefore had no doubt of the PNC being returned to power in new elections. It was this claim that stood at the centre of the elections, that is, that the PNC had always acquired power legitimately. The opposition parties however equated free and fair elections with the defeat of the PNC and argued for the role of an external an adjudicator to oversee new elections in Guyana. In a series of prolonged challenges to the machinery that the PNC had utilised to retain power in the past, ranging from the control of the Electoral Commission to the printing of ballot boxes and the counting of the votes at centralised locations, the PNC grudgingly made concessions and lost control of the election machinery. Shred by shred, integrity was restored to the electoral process. In the struggle for procedures to ensure free elections, the issue of free elections transparently conducted under the scrutiny of international observers became prominently internationalised. President Hoyte was cornered by his boast that the PNC was not afraid of free and fair elections. Eventually it was too late and even though there was attempt to disrupt the elections at the very last minute, free elections were conducted and the outcome was the defeat of the PNC.

30 The october 5, 1992 elections attracted eleven contesting parties of which the three most significant were the PNC, the PPP, and the Working Peoples’ Alliance [WPA]. The Guyanese electorate consisted of 385 000 voters. The voters were organised into ten regions and on election day, they cast their ballots for both the national parliament and the ten regional councils. The two elections were entwined because the sixty-five member unicameral national legislature was constituted of fifty three seats elected

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nationally and the remainder elected by the regional councils. Voting was conducted along a system of proportional representation.

31 As the campaign unfurled, ethnic polarisation of voter preference became evident. The results of the elections confirmed the pattern of communal voter choice. Given another opportunity, the Guyanese electorate decided to allow their choice of parties to be dictated by race and ethnicity. The WPA which was a descendant of the cross- communal coalition that Walter Rodney had mobilised in the 1970s to oppose the PNC dictatorship was literally decimated at the polls in the reassertion of ethnic voter preference on october 5. It obtained only one seat from the national poll and another from the regional councils for a total of two seats in parliament. The victorious PPP- Civic coalition garnered 36 seats in parliament. The defeated PNC obtained 26 seats in parliament. One seat was held by .

32 When the Jagan-led government moved into office, everyone had expected it to share power with the other opposition parties such as the WPA. This did not happen however in part because, the PPP in command of an absolute majority of seats in parliament, did not see it fit to distribute a significant ministerial portfolio to anyone. It preferred to keep control over its cabinet and the direction of the government. In the end, the WPA which had done so much to remove the PNC from power was entirely excluded from power. This meant that the PPP, representing almost entirely the Indian electorate, on acceding to office, virtually represented only one section of the multi-ethnic fabric of Guyana. In a very real sense, the elections of 1992 did not succeed in structurally altering the proclivity for ethnic politics in Guyana. In the victory of the PPP, cross- communal legitimacy was not achieved. A broken public will fractured ethnically entails a dark future for the PPP regime. Had the PPP sought to recruit the WPA to its fold, it would have conferred on itself a measure of cross-communal legitimacy. The Jagan-led PPP stands unmistakably as an Indian party with Africans, like the Indians under PNC rule, effectively excluded. It would be only a matter of time when the African-based PNC would submit the PPP to the same sort of acts of non-cooperation that the PNC endured at the hands of the PPP in the past.

33 The 1997 general elections would provide the occasion and opportunity for the PNC confrontation with the PPP.

D - The Trauma of the 1996 Elections and the Ensuing Quagmire

34 The PPP lasted in power for five years up to December 1997, an event which many thought was not too likely. It lost its leader, Cheddi Jagan, who died of a heart attack in 1996 and was temporarily succeeded by Prime Minister Hinds. Much of the economy was brought back to health with stability in the currency restored and economic growth steady. In the economic area then, the PPP had performed with excellence given the bankrupt state of the economy upon acceding to power in 1992. What the PPP failed to achieve happened in the political arena in bringing the two ethnic communities together. Governing by the new Jagan-led government was made relatively easy because of the fact that the Afro-Guyanese community was thrown into disarray upon the PPP gaining victory. Its ranks were sundered when the PNC split apart into a Desmond Hoyte faction and a Hamilton Green faction. For much of the first few years of PPP rule, the PNC was impotent to seriously distract the government. Hamilton Green, a former deputy leader of the PNC, was ejected by Hoyte from the PNC

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and he proceeded to form a separate party which would enter into a loose alliance with the ruling PPP.

35 The main area of PPP failure resided in forming a government of national unity across the ethnic divide that separated Indians from Africans. The PPP had promised to form such a government during the historic campaign to oust the PNC from power in 1992. On winning, as pointed out, the PPP made few concessions to its erstwhile ally, the WPA which had succeeded in winning only two seats in Parliament. Yet, it was the WPA which spearheaded much of the opposition to the PNC during the latter’s long repressive rule. The WPA, the PPP, and several other groupings cooperated to bring down the PNC regime. Upon acquiring office, the PPP however failed to share power with its erstwhile electoral allies. From the outset, then, the PPP lost many influential Guyanese by relying mainly on its own party apparatus and a so-called « civic group » to administer the state. To add to the loss of the WPA, the PPP dragged its feet in reforming the « imperial constitution » against which it inveighed for the past decade and a half. The PPP focused instead on reforming the economy which it successfully achieved.

36 The neglect of the political aspects of power in the reconciliation of PPP and PNC followers came back to haunt the PPP after five years in power. Hoyte had weathered the challenge from the Hamilton Green section of the old PNC following gaining complete control of the African population which was now mobilized against the PPP. Without Cheddi Jagan but under the leadership of his widow, Janet Jagan, the PPP mounted a powerful campaign to gain office again in 1997. The PNC having recouped knew that even if it succeeded in mobilizing the vast majority of Africans, it would in all likelihood still fail to win a majority of seats in Parliament. The PPP benefitted from a decisive demographic shift in favor of an Indian majority and the persistence of communal sentiments in shaping voter preference. In effect, the PNC and its followers faced a permanent minority condition in a polity and society that was deeply polarized and with main ethnic communities unwaveringly distrustful of each other.

37 The 1997 elections saw a PPP victory which the PNC was unwilling to accept on a variety of subterfuges. The PNC supporters practically seized Georgetown claiming that they had in fact won the elections which the PPP had rigged. Independent recounts showed that the PNC supporters were wrong; the PNC did lose. But, what was at stake was not merely an arithmetic count of ballots but the fate of a section of the Guyanese people who felt that they were doomed to permanent discrimination under a PPP dispensation. The facts of the PPP term in office suggested that on balance the PPP was did not overly discriminate against Afro-Guyanese. The facts were irrelevant however; the PNC interpreted the facts for its supporters and these facts portrayed the PPP as a racist Government. Controlling Georgetown and the loyalty of the public service and the coercive forces. the PNC was in a position to nullify the election results of 1997 unless it could gain some access to power. Hovering over the PNC intransigence was a fact that made reconciliation very difficult. During its demonstrations and riots to nullify the results of the elections, widespread violence against Indians eventuated. It was in some ways reminiscent of the 1963-64 period when communal violence wreaked havoc on the country’s social fabric leaving deep scars and memories of hurt. In 1998, the violence was also very injurious to continued communal amity. Intersectional distrust had regained the upperhand in daily interethnic discourse.

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38 The stalemate as pointed out in the introduction of this paper led to the appointment of an external facilitator to assist Guyanese political leaders in re-doing their constitution so as to establish an equitable regime in which everyone will feel at home and identify with. In the remaining parts of this paper I take up this theme offering an analysis and advancing recommendations to establish a political order that can restore confidence and democracy in a government for Guyana.

39 Guyana can rescue itself from the ravages of ethnic instability only by altering the zero-sum exclusionary features of its political system. On this subject, much will be said in the concluding chapter.

II - Diagnosis and Prescription

A - A Zero-Sum Competitive Parliamentary System

40 When Guyana obtained independence, the state apparatus that was bequeathed to the local rulers was the most highly articulated and developed set of institutions in the entire society. However, it was trammelled by an institutional political apparatus that tended to accentuate the ethnic segmentation in the society. A particular variant of the imported parliamentary system fashioned on the zero-sum electoral and party system in Britain played a major role in structuring and institutionalizing ethnic conflict and competition in the state. In Britain, a body of consensual values had evolved nationally serving as a means to moderate rivalry over the values of the state. Guyana lacked such a system of settlement over basic issues. The rival parties, linked to discrete ethnic clusters, confronted each other in a manner similar to military warfare over fundamental issues on the form of the society, economy and polity. The salient issue was that the mode of conflict resolution in collective decision-making that was adopted tended to encourage the formation of ethnic groupings which in turn competed for outright control of all the values of the state. Zero-sum parliamentary contests do not encourage sharing or fixed proportions. This meant that the stakes were high in the contest for political power and victory viewed as conquest. A system of pre-arranged results with guaranteed minimum rewards would have tended to depoliticise the intensity and stakes in the contests enabling the defeated a share in the polity and society. This is particularly important in a setting where the constituent elements in the population are cultural communities which share few overarching traditions and institutions. There is controversy, to be sure, over the prescription of pre-established shares as a device to regulate ethnic conflict, but this tends to occur in societies such as the United States and Canada which are already relatively integrated. The social structure of these societies bear little resemblance to the fissiparous features which characterize the plural societies in the Third World.

41 The zero-sum parliamentary contest takes place in the electoral process resulting in a rising crescendo of ethnic tensions over successive elections thereby exacerbating the sectional divisions that already exist. But this not the full extent of zero-sum competition for power. The repercussions permeate all aspects of inter-group relations in spheres of social inter-action and daily cross communal communications which previously were benign. The zero-sum electoral struggle, in effect, spills over into and permeates all areas of life adding to communal fear, suspicion and stereotyping. To

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contain the competition over power by eliminating zero-sum electoral struggles is to constrain and contain the ravages of ethnic strife in a strategic area of political life.

42 Could not the system of zero-sum competition for exclusive control of the state be supplanted by an alternative order based on power-sharing? The post-WW II shows how this option availed itself and was lost. In the independence movement, the opportunity was created for a formula for sharing office. The PPP headed by Jagan and Burnham was however too preoccupied with winning the first general elections under universal adult suffrage than with inventing a formula for sharing power. Besides, it was not clear that the PPP would win the elections. Moreover, while the popular euphoria in political campaigning submerged all fears and anxieties between Africans and Indians, it was probably unwise to open the potentially contentious issue of power-sharing and resource allocation and invite unnecessary internal friction in the independence movement.

43 For all of these reasons, no attempt was made to develop a formula for the sharing of power. This is a familiar situation which was also enacted in many multi-ethnic Third World countries that mounted unified struggles for independence. In Guyana, almost immediately after virtual victory over the antecedent colonial regime, the independence party was riven by divisive squabbles over power. Because the jockeying was between the two major charismatic ethnic leaders, Cheddi Jagan and Forbes Burnham, the rivalry assumed a communalist connotation to followers. As the internal struggle continued, correspondingly the inter-ethnic mass following was fractured. Inter-elite intransigence triggered a situation that they literally lost control over. The opportunity to establish a stable formula for power sharing was overcome by events. Once fed into popular emotions, the chance of rational solution was greatly diminished.

44 In Guyana, the opportunity for power sharing was lost to a new order marked by open zero-sum rivalry. After this, the fear of ethnic domination became part of the vocabulary of inter-ethnic interaction. Stated in this way, the stakes in the competition became co-terminus with both the survival of an ethnic group and the state itself. Through a few fortuitous events, one section acquired power and retained it through the armed forces and fraudulent elections. Thereafter, ethnic repression and discrimination ensued and was met by collective ethnic retaliation. A spiral of violence and counter-violence had created a situation in which all prosperity ceased.

B - Resource Allocation

45 Apart from the fact that the state was created and marked by a system of ethnic stratification from the outset and at independence lacked a consensus over its basic institutions, it was also in its totality the most well-equipped and endowed apparatus in the society. In many ways, the state was larger than the society. Anyone who captured it could overwhelm the society bringing it to the service of its own particular interests. Civilian institutions were weak and fragmented and could not rival the state as a countervailing force. The ecclesiastical bodies were divided, the political parties were polarized and the voluntary associations weak and dependent. The main rival political parties, each representing one or the other of the major ethnic groups, recognized the value of capturing the government in its entirety. State power was so overwhelmingly powerful concentrated and centralized that it could be used as an instrument for promoting personal ambition as well as ethnic domination, even genocide. It was this

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sort of predisposing situation in which basic institutional consensus was absent and in which ethnic mass parties operated that invited ethnic politics in its extreme pathological form.

46 The cultural pluralism, the absence of overarching values and institutions, and the implanting of zero-sum political competitive institutions can together be conceived as the predisposing factors that laid the foundation of ethnic conflict in the state with its attendant destructive effects on all development efforts. The factors that triggered ethnic conflict were clearly identifiable but occurred at different times during the evolution of the problem. These factors were: (1) colonial manipulation; (2) introduction of mass democratic politics; and (3) rivalry over resource allocation. It is necessary to conceive of the problem cumulatively in which these factors at different points served as precipitating « triggers ». At various times, a particular triggering factor deposited a layer of division which in turn provided the next step for the deposit of a new layer of forces to the accumulating crisis. However, these accumulations could have been neutralized if not entirely reversed by some form of deliberate state intervention. There was nothing inevitable or automatic about the transition from one stage to the next. To be sure, it would appear that after a number of successive reinforcing deposits of divisive forces, a critical mass in momentum had been attained so that every ethnically related issue became magnified and inflammable.

47 Despite this, many opportunities for change from this compartmentalised stranglehold often avail themselves. There is nothing inevitable that the colonially-derived communal system should be permanent. Ethnic boundaries are notoriously fluid in rapidly changing environments; ethnically communalized life can be modified so as to submit sectional claims to regulation. Deliberate state intervention can moderate the combustive properties of ethnic mobilisation which ethno-nationalist leaders strive on. One such area of planned intervention relates to the allocation of shares and benefits bestowed by the state.

48 It is difficult to locate precisely the time when the question of ethnic shares became an issue in the struggle among the communal sections in Guyana. In a sense, the entire colonial pyramidal ethnic structure not only embodied resource allocation but explained its existence. The colonial state in Guyana was constituted of a hierarchical ranking of ethnic groups with the European section occupying the dominant position. Through a colour-class system of stratification, the skewed distribution of values and statuses was rationalized and regulated. As long as the European retained his pre- eminent position, African-Indian rivalry was restrained. Besides, the separate ethnic compartments provided territorial zones and a buffer against direct rivalry. Inter- ethnic suspicion and fear however materialised from the moment of Indian entry into the society and their subsequent migration from rural areas to towns for government jobs. Indians were cast in the role of a late-comer who diluted the entitlement of the African. When Africans became acculturated to English ways and accepted Christianity and the English school system, this gave them strategic entry into public service positions and to many urban-based jobs in the private sector. Indian acquisition of English education came relatively late only after Africans had already consolidated their hold on the lower-level echelon positions available to them in the public and teaching services. Indian-African conflict can therefore be explained by this competition over public jobs and generally public resource allocation.

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49 As independence approached, it became evident that the European section would lose its preeminence. How Indians would relate to Africans became a source of anxiety. Already Indians had started to acquire westernized skills and education. Some had commenced to claim jobs in the public and teaching services. Intimations of inter- sectional conflict were already appearing in the immediate post WW II period. Especially, rivalry between middle class Africans and Indians reared its head at various points in the conflict.

50 How power and privileges should be distributed between these two dominant groups was, in some ways, an open issue. The transfer of the British political institutional model meant open competition on merit for the allocation of public service jobs. In the long run this was bound to challenge African hold on the public service and, given the rapid growth and education of the Indian population, convert an unranked African- Indian ethnic system into one that was ranked4. It would have lent itself not a system of regulated sharing but to a new hierarchical system of ethnic differentiation. Such an eventuality was, however, not inevitable.

51 It is easy to overestimate the importance of the material basis of ethnic conflict by making it the single most significant factor in communal strife as the Marxist-Leninist political economy school does. If it were true that this material basis was the main explanation of communal conflict, then one would expect that with enough jobs being created, this competition and conflict would diminish and disappear. The evidence from the Guyana case suggests that in many occupational sectors where jobs were available in plentiful supply, African-Indian antagonisms persisted. Transposed overseas and no longer in competition with each other over jobs and resources, Guyanese Africans and Indians continue the ethnic feud with even greater intensity. It is therefore necessary to place this resource allocation variable in a facilitating role that can be significant but not determinative of the outcome of communal conflict. Put differently, the regulation of resource competition can act as a significant brake on the movement of the society into polarised warring camps.

C - Need for Capability to Suppress Inter-ethnic Violence

52 Ethic violence seems to have a special combustive property to overwhelm all rationality and engulf the entire society in total war of all against all. For this reason, control of ethnic strife to non-physician disagreements is essential to the prospect of restoring harmony. Besides, open warfare tends to add a new almost indelible encrustment of complaints and grievances that drive communities farther apart.

53 To be sure, there was considerable ethnic tension among Guyana’s communal sections, but much of this during the colonial period was regulated by rituals of interaction that confined and concealed the strains. For all practical purposes, Guyana like many ethnically segmented societies, was quietly but perpetually at war with itself. Surrogates for physical violence suffused the system. These encompassed such forms as rivalry around the celebration of their respective religious holidays, competition in business and government, etc. Stereotypes which tended to belittle and depreciate entire communal sections nevertheless served as a defense mechanism that offered a private and quiet victory of the mind over the communal opponent. However, they also tended to dehumanize ethnic enemies setting the stage for violence. When democratic politics and mass parties were introduced and ethnically-based parties emerged, these

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underlying stereotypical antipathies were harnessed to them. The new collective forces accentuated ethnic hostilities. Competition at elections tended to provide the occasion for these antagonisms to be vented openly; often political campaigns seemed like military engagements. All of this always kept the society unstable lingering on the brink of violence.

54 Collective ethnic violence occurred in civil war proportions in Guyana in the 1963-64 period as the two major political parties confronted each other over the control of the government. In many ethnically-mixed villages where a preponderance of either Indians or Africans resided, ethnic violence or its threat occurred against the minority group. This sort of « ethnic cleansing » led to the migration of these minorities from these villages adding to the concentration of self-segregated communal residential settlements in Guyana. For many months protracted ethnic violence convulsed the small multi-ethnic state until foreign British troops were called into restore order.

55 For many Guyanese, the civil war marked by ethnic violence was a traumatic event that led to irreversible commitment to communal solidarity. While it was true that throughout Guyanese history, Africans and Indians maintained tense relations marked by mutual suspicion and covert hostility, the outbreak of physical violence seemed to have crossed a psychological threshold of no return to cross-cultural cordiality.

56 A new level of ethnically oriented physical violence was unleashed in Guyana when in 1968 the African-based PNC government, with police and army support, rigged the elections. The legitimacy of the government was lost and opposition challenges mounted. Over the next decade the size of the coercive forces expanded dramatically. Expenditures for them increased by over a thousand times. What emerged was a state apparatus, having lost its legitimacy, that sought to maintain its power and control by repressing its communal enemies. The Burnham regime, however, did not go about physically exterminating its ethnic enemies. Rather, a system of non-violent terror was established to control the behaviour of its opponents. State institutions such as the courts were ethnically politicized and converted into instruments of communal discrimination.

57 State terror and threat of violence were met by Indians’ response in the sabotage of the economy. Since the economic system during colonial times was crafted so that there was a coincidence of economic specialization and ethnic concentration, this meant that unless all segments cooperated, the economy could fall apart. Hence, African control of the public service was utilized as the lever to destabilise the Indian-based Jagan government, while Indian control of the sugar and rice industries was used to sabotage the African-led Burnham government. Economic inter-dependence invited mutual sabotage.

58 The impact of persistent Indian strikes and boycotts in their economic sector accompanied by mass migration and the loss of essential skills from Guyana reverberated adversely on all ethnic groups alike. Economic collapse imparted universal suffering. African workers, who like Indian workers under the Jagan government that supported discriminatory policies, soon felt the full brunt of the diminishing economy and a bankrupt government. When they went out on strike for more pay and for job security, the state apparatus turned its coercive arsenal against them. When the regime unleashed its violence against its own communal members, it did so as if they were misguided and that they betrayed an ethnic trust. The communal members of the regime who opposed the government were made special objects of

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terror and violence. They were treated as traitors with a sort of passion and hate that only brothers could concoct against each other.

59 The state in this instance did become strong to contain dissent especially that which came from its ethnic adversaries. Clearly, capability to contain violence is not the unqualified prescription to regulate violence in multi-ethnic states. One additional ingredient is vital. That is the institution charged with administering law and order including the police and the judiciary should be multi-ethnic in composition. In some ways this is almost an impossibility to implement because those who govern are likely to have relied on the ethnic composition of the coercive institutions in bringing them to power. To alter the composition of these institutions may be tantamount to committing political suicide. There is however no way around this kind of a policing force apart from one supplied by an external mediator such as the United Nations. In the end this can only be a temporary device albeit one that can recruit and train a multi-ethnic force so as to detribalise it and render it neutral and formidably effective in controlling all outbreaks of ethnic violence.

D - Will and Compromise

60 One of the grievous harms caused by persistent and protracted strife in a multi-ethnic society, is the loss of will and capability to reconcile. After many years of ongoing communal struggle, it would appear that a sentiment of fatalism enters through the backdoor of consciousness compelling the battered psyche to accept the ethnic battle lines and many adaptations to it as inevitable and permanent. A new socio-cultural architecture of human settlement and communal interaction had emerged with ethnic roles and social institutions defined in neat niches of unholy compromises and concordances. Usually, while the struggle continues, an odd sort of social stability in personal and group relations emerges and persists. It is, in effect, a dual-level social structure, one marked by clever cordiality, the other more subterranean, marked by communal anger, hate, plots and silent violence.

61 A broken will, enfeebled and unprepared for reconciliation, emerges reinforced by countless symbols of old battles, won and lost, as well by organizations and interests which institutionalize and structure the conflict. To be sure, at any earlier time, the leaders and elites in the various ethnic communities were able to communicate and beat out compromises for inter-communal co-existence. But as the conflict continues and deepens, even this upper layer becomes a victim of inter-communal intransigence. The ethnic monster devours everyone in the end.

62 Compromise and cooperation are the very heart of the developmental process. This is true of all social structures, integrated and divided alike. The democratic fabric itself is constituted of not only substantive give and take in beating out public policy, but this is undergirded by a culture and psychology of mutual trust in exchanges. The mortar of cooperation and compromise maintains the integrity of the edifice of society. In the multi-ethnic states of the Third World, the tension in working out mutually satisfactory exchanges is often over-strained by the fact the cleavages and differences are ethnicised. Protracted institutional ethnic conflict is the stuff out of which a culture and psychology of cooperation is undermined rendering collective development difficult if not impossible.

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63 Compromise and cooperation are embodied in devices for conflict resolution. In Guyana, compromise and cooperation came alive and was implemented in the first unified independence movement under the original PPP. Internal differences accompanied by external manipulation torpedoed the coalition of personalities and interests that held the PPP together. Thereafter, even in the midst of the ethnic division that ensued, there have been many efforts at restoring the old compromises in unity, but as one party captured power and especially after it maintained it by electoral fraudulence, the two ethnic groups drew farther apart and the periodical talk of a government of national unity assumed the air of a mechanical public relations exercise. Each group settled into its own ugly niche in an ethnically-influenced structure, that in a weird way sustains each other. With the will to compromise broken, the new forms of conflict resolution assume the form of a divorce.

III - The Guyana Anti-Model

64 Theorists must be willing to examine both failed and successful cases in ethnic conflict to adduce evidence towards a framework of ethnic conflict resolution. In this regard, the Guyana case can be conceived as « an anti-model ». It tells more of what not to do since Guyana committed many of the critical false steps that catapulted the state towards a disastrous destination. As an « anti-model », the Guyana case points to the destructive role of leaders who pursued private ambition before the long term interests of citizens in a unified state. The leadership factor is clearly critical; it almost alone was accountable for both successful communal mobilisation of each section making it possible to pressure the colonial power out of Guyana, and at the same time it was primarily culpable in launching the state into an irretrievable tailspin of ethnically- ignited passions that led to collective catastrophe.

65 If it is true that in the actions of the main communal leaders after they won the elections of 1953 they led Guyana down the road to communal self-immolation, it is equally accurate to assert that in the immediate pre-1953 elections period they had discovered a formula for inter-ethnic unity. This was incorporated in the organization of the independence movement itself. The lessons show that multi-ethnicity is not inevitably destructive. It can be harnessed for constructive ends. In Guyana, ethnic sentiments were mobilised during the independence movement and harnessed to a multi-ethnic mass party that promised to mobilise the collective energies of citizens from the culturally diverse communities towards the development and transformation of the state. In the successful effort at cross-communal accommodation between 1950-53 resides suggestive ingredients for a theory of consolidation. How did a broadly- based cross-communal party emerge? What factors featured in the amalgam and which ones were critical and peripheral in the process? Can the process be replicated and generalised to other multi-ethnic states? The Guyana case from 1950 to 1953 does generate some important insights such as the role of recognising the identity and interests of the separate communities; the importance of leaders in the different communities to subordinate their private ambitions to the larger goal of maintaining peace in a just distribution of values; the value of compromise and a mechanism to resolve ongoing disputes free from the immediate pressures of outbidders and mass passions; the search for a mutually agreeable formula for sharing jobs, titles, and political offices; the need to exclude external actors who tend to intervene for their

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own goals; and the importance of evolving institutions and practices for a shared citizenship. The presence of some of these factors but the absence of others together caused the independence movement disintegrate into discrete ethno-nationalist parts. The Guyana « anti-model » also points to the lack of understanding of the dynamics of the ethnic factor once it has been aroused and directed to promote rival communal claims for jobs, self-protection and self-assertion. It was clear that the communal leaders while cultivating and feeding the ethnic monster for practical gain could not constrain it to rational appeal and national reconstruction thereafter. They became victim to a monster of their own creation: Did they understand that the nature of the ethnic creature was as uncontrollable and volatile as it turned out to be so that they were not masters of it but were in time captured by it instead? The Guyana case describes the descent into a vertigo of self-reinforcing ethnically-charged forces once ethnic solidarity was entertained for narrow political gain. Political leaders in multi- ethnic states can learn from the Guyana « anti-model » as well as from similar cases about the irrational features of the ethnic factor. Ethnic solidarity can contribute to identity formation and energize a state towards development when properly harnessed but when antagonistically attached, as almost inevitably tends to be the case, to rival communities occupying the same territory and government, it can wreak irreparable harm and havoc.

66 The Guyana « anti-model » has its institutional lessons. While on one hand it can be argued that a participant democratic system is essential for the establishment of legitimate authority and for the mobilisation of citizens for development challenges, it is clear from the Guyana case that an institutional competition party system with its zero-sum implications for the distribution of power and privileges is inappropriate for the maintenance of elementary order and stability in multi-ethnic states. After the leadership split between the two communal leaders in 1955, probably more than any other factor, successive electoral campaigns conducted in a zero-sum warlike combat, exacerbated ethnic strife in Guyana.

67 In the Guyana experience between 1950 and 1953, an example of consociation and accommodation was successfully experimented with. Institutional engineering can seek to depoliticise many areas of contention such as minority rights, distribution of jobs and contracts, and the protection of cultural identity, etc. In the consociational arrangement set forth by Arend Lijphart, the main ingredients of an accommodation are a coalition government and a system of proportional sharing of values5. A coalition is clearly required and its forms and variations can be many. Its main limitation pertains to the secret diplomacy that accompanies the deliberations of sectional elites in working out the terms of a compromise package for rule. The « proportionality principle » in the Lijphart model of consociation pertains directly to problems in the Guyana « anti-model ». A familiar interpretation of the ethnic conflict in Guyana coming from Marxists in the political economy school argues that the struggle for material rewards explains the struggle. Put differently, if the issue of rewards can be settled or depoliticised, then the conflict will disappear. The Guyana « anti-model » case illustrates the limitations of the « politics of preference » or « resource allocation » school. It aptly points to the irrational nature of ethnic conflict showing that even where material resources cease to be a variable, in the context of the shared poverty of both Indians and Africans, the communal strife persisted. To be sure, resource allocation has served as a major instigator of ethnic conflict in Guyana especially among the middle classes of both Indians and Africans. When Indians and Africans

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migrated to overseas destinations and became well-off and were no longer in competition with each other for scarce resources, they continued their communal antipathies and animosities.

68 Perhaps what better explains the persistence of the ethnic conflict from a materialist and a resource allocation perspective is the idea of « comparative advantage ». Even when ethnic communities identified with a particular regime have been impoverished, they would continue to support « heir government » simply to keep out an alternative regime with a better potential for performance but associated with an ethnic community. The role of this comparison factor in interethnic relations has been usefully located within what social psychologists call « social identity theory ». In this explanation, the theory begins by affirming the need of the human creature and an ethnic community for a distinctive positive social identity in a process of social differentiation and categorization. Society is perceived as a place of conflict rather than cohesion. The theory attempts to explain inter-group behavior through psychological processes such as identification, social comparison, and the need for distinctiveness. Social psychologists Taylor and Moghaddam strike the significance of this pattern of behavior for inter-ethnic group relations underscoring the importance of comparison in this process: « Since only through social comparison is social identity meaningful, it is the relative position of groups that is important. Therefore, competition and conflict are seen as essential aspect of the intergroup situation »6. In this scheme, it is postulated that the individuals seek positive evaluations of themselves and « through intergroup comparisons, individuals will come to view their own group as psychologically distinct and, in relation to relevant caparison groups, they will try to make the in-group more favorable »7. This critical ethnocentrist idea underscores the need for identity to be established and asserted by favorable comparisons leading to discriminatory inter-group behavior in quest not merely of parity but superiority.

69 Social psychologists have pointed to a critical aspect of the comparison factor that explains the propensity of group loyalty to be sustained intensely and irrationally not for « greater profit in absolute terms » but in order « to achieve relatively higher profit for members of their ingroup as compared with members of the outgroup »8. Put differently, and in part this explanation addresses some of the intransigence and excesses in Guyana, Bosnia, and other places with recurrent communal conflicts, it is not important that a group sees that rationally its behavior in a conflict is inimical to its interests but what is more salient is that its adversary not be advantaged over it. Much of the claims for recognition and equity seem to be elucidated to this dynamic. Often occurring in a context where the conflicting groups shared the same territorial state and in which a particular distribution of statuses and resources prevailed, the struggle pivots around an unwillingness of one party to permit the other profit advantageously by its actions. The comparison factor assumes a logic of its own witnessing and wreaking, as if infused by jealousy, incredible havoc and harm on all parties in a policy of mutual denial.

70 The Guyana « anti-model » also contains abundant materials on the process of withdrawal and escape mainly through mass migration. Engaged in an intense struggle that damages the well-being of both of the ethnic communities economically and psychologically, Guyanese sought refuge everywhere and anywhere. Some left for adjacent Suriname, Venezuela, and Brazil, while most migrated legally and illegally to North America. They voted with their feet literally having lost the franchise at home.

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The important part has been in the loss of the best resource in the country adding to the impoverishment of the Guyanese people. To those who ruled and who survived as opposition politicians, the lesson was clear. Population loss means the debilitating destruction of the state in an area that defines the very viability of its existence – the loss of people in haemorrhaging proportions. The people who left, many middle class, were however the very people who espoused ethnic attachment but who now found it convenient to escape from the very abode that they had lit afire. The paradox of the situation underscores the larger point that the ethnic monster consumes its own children and makes a mockery of ethno-nationalist pretences to patria and group loyalty. In the end, everyone wants out. The highest aspiration of the Guyanese child is not to be physician or professor but simply to escape by migration. This aspect of the « anti-model » has created among Guyanese as a whole much cross-communal cynicism of politicians and the polity. The very « outbidders » who appealed to ethnic sentiment and mobilised followers to hate and violate the ethnic enemy runs away from the holocaust that he/she ignites. The true believer in ethnic solidarity becomes nauseated to the extent that he/she takes flight. Ethnic loyalty and fanaticism spawns its own disloyalty and alienation. Another feature of generalisable use that can be derived from the Guyana « anti-model » refers to the manner in which early initial and limited ethnic actions progressively spreads like a cancer to take over and reorganise the entire state into communal compartments. At all levels, parties, unions, associations, parliaments, the public service, private businesses, corporations, armies, churches, etc., the entire system and all its institutions are suffused by the ethnic toxin. To be sure in early colonial times, the seeds of division were laid so that residential, occupational, and value cleavages separated the communities. What the ethnicisation of a state entails is the release of the arsenal of latent prejudices into active hate and discrimination, erecting a garrison state of ethnic encampments and armies. Little room for tolerance and cross-communal institutions exists thereafter. The system is choked to death by its own arteries filled with hate. The Guyana « anti-model » teaches that the ethnic factor is appropriately likened to the embrace of a hostile octopus. Some of the tentacles spread everywhere and squeeze the state into paralysis. At the same time that the ethnic sectors are consolidated and fossilised by the ethno- nationalist parties and leaders, hypocritical talk of cross-communal amity increases among the very politicians who promote ethnic loyalty.

71 This brings in the element of « hypocrisy » displayed in the Guyana « anti-model ». Both the ruling and opposition parties in Guyana’s ethnically bipolar state openly professed to be Marxist with class-based interests but were in fact preponderantly ethnically-based groupings. They spun out an elaborate system to parade a picture of representing and promoting cross-sectional interests. They decorated their organisations with a facade of officers from the other cultural community. They sported Marxist-Leninist jargon ad nauseam and in public conducted their debate as if ideological issues were most significant. Overseas observers bought into this cynical circus but not local citizens who knew what the game was about. This practice of deliberately camouflaging the colour of partisan politics is probably a pattern of public denial that is found in democratic politics in other multi-ethnic Third World countries. What the Guyana « anti-model » suggests is that the leaders are quite aware of what course of action is morally correct but cleverly seek to conceal their defiance of this moral ethic by engaging in repugnant hypocritical behaviour. The ethnic monster is seen by all as loathsome yet it is indulged. Ethno-nationalist leaders are allowed to

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parade before the international community not as pariahs who pander to ethnic and racial sentiments but as persons pretentiously in genuine pursuit of toleration and cross-communal nation-building. The Guyana « anti-model » suggests the need for a critical monitoring of such hypocritical behaviour and the exposure of them internationally. That apart, the Guyana case points to a moral dilemma that ethno- nationalist leaders face on one hand needing to pander to ethnic appeals to retain sectional popularity and on the other needing cross-communal endorsement to obtain regime legitimacy and to govern effectively.

72 Yet another perspective that can be derived from the Guyana « anti-model » pertains to the role of international actors in exacerbating the internal divisions in a multi-ethnic state. External actors, be they other states or private groups, have their own interests to pursue. They are sometimes economic predators such as those multi-national corporations which see some benefit from taking one side or the other in the communal conflict. There are also political predators such as regional states which may have geo-political designs in entering an ethnically-ignited internal fray. Also, and very frequently, there are diaspora communities that spilled over from the ethnic conflict and have been created in enclaves in other countries. In North America, many Guyanese citizens have settled in ethnic ghettoes and engage in support roles in sustaining the ethnic conflict at home. The Guyana case points to the internationalisation aspects of the ethnic conflict in all of its diverse dimensions. The Cold War actors found surrogate partisan support in the ethnically split Guyanese state. This was a main force in exacerbating communal tensions. The regional geo-political factor was played by Venezuela and Suriname. And even today the diaspora Guyana communities in North America and Britain play an active part providing funds in persistence of ethnic strife in Guyana. In effect, the Guyana anti-model draws attention to the proposition that internal ethnic conflicts tend to invite external actors which may add fuel to the ethnic division in the state. This is not to argue that the impact of external actors is always negative. Sometimes, external intervention is required to prevent genocide or even to offer third party assistance in conflict resolution. On balance however, as the Guyana case suggests, the persistence if not exacerbation of the ethnic strife is often caused by the role of external actors in the internationalisation of the conflict.

73 Finally, the Guyana « anti-model » suggests an examination of the related issues of partition and secession. At one time, partition seemed to be a desirable solution and on one occasion an Amerindian group sought secession from Guyana in order to join Venezuela. The Guyana case shows the potential, probably not as well as other cases such as Nigeria and Yugoslavia, of ethno-nationalist movements mutating into separatist claims. Often this is either a consequence of attempted genocide or an invitation to genocide. In either case, partition, secession and genocide all carry ethnic conflict to the brink of no-return in reaching reconciliation. Once civil war has broken out, secession sought, and genocide committed a new qualitative stage in the ethnic conflict has been reached.

74 Together, and in other ways, the Guyana « anti-model » is pregnant with lessons of what not to do lest disaster in manifold economic, political, and psychological dimensions be courted. The Guyana case raises anew the familiar question of what makes a society cohere and makes a society truly a society. Through colonial rule and arbitrary boundary-drawing and population transfers, most of the multi-ethnic Third

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World states have been created. They face the problem of designing an appropriate political system to accommodate the rival claims of their terminal ethno-nationalist communities. The record in this regard is one replete with the wreckage of Third World states which have instead succumbed to communal violence and instability, ethnic domination and repression, and instances of genocide and secession. This can be avoided. First the ethno-nationalist force must be understood in its workings and dynamics, and second the knowledge can be applied at ethnic conflict resolution and inter-communal co-existence. Without this first step, there can be no development. The Guyana case offers insights into the challenge of national-reconciliation and nation- building and national development in the Third World.

NOTES

1. See Taylor D. M. and Moghaddam F. M., Theories of Intergroup Relations, 2nd edition, New York, Praeger, 1994, pp. 95-118. 2. Wagley Charles, « The Caribbean Culture Area », in The Caribbean : A Symposium, edited by V. Rubin, Seattle, Washington University Press, 1980. 3. Smith R. T., « Race, Class, and Political Conflict in a Post-Colonial Society », in Small States and Segmented Societies, edited by S.G. Neumann, New York, Praeger, 1976, p. 205. 4. Horowitz D., Ethnic Groups in Conflict, Berkeley, University of California Press, 1985. 5. Lijphart A., Democracy in Plural Societies, New Haven, Yale University Press, 1977. 6. Ibid. 7. Ibid. 8. Tajfel H., « Social Identity and Intergroup Behavior », Social Science Information, vol. 13, n° 2, April 1974.

ABSTRACTS

This paper offers an analysis of the fundamental problems of the Guyanese political order and suggests directions in which change towards interethnic reconciliation and political consociation may proceed. The crux of the problem pertains to the establishment of a generally acceptable, just, and democratic government in the midst of deeply distrusting communal components in Guyana and similar states including Trinidad and Suriname in the Caribbean. Implicated in all of this are vexing issues related to status and recognition of the ethno-cultural communities which express fears of discrimination and domination as well as charges of skewed state policies regarding resource allocation. Short of destroying the state, the basic task is to design a framework of government that will acccomodate the divergent claims of the respective communities for equily and representation, the way they see it. In part, the point about this paper is precisely to explore the possibilities of designing such a system.

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Cette étude propose une analyse des problèmes fondamentaux du système politique guyanais, et suggère des orientations susceptibles de générer une évolution vers une réconciliation interethnique et une consociation politique. Le nœud du problème réside dans l’établissement d’un gouvernement généralement acceptable, juste et démocratique, et ce dans un contexte où les composantes communautaires sont profondément méfiantes, tant en Guyane que dans des Etats similaires des Caraïbes comme Trinidad et le Surinam. La situation actuelle englobe des problématiques sensibles relatives au statut et à la reconnaissance des communautés ethnoculturelles : ces dernières expriment des craintes de discrimination et de domination, et des soupçons quant à l’équité des politiques étatiques en matière d’allocation des ressources. Sauf à détruire l’Etat, la tâche fondamentale est de concevoir un modèle de gouvernement qui satisfasse les revendications divergentes formulées par les différentes communautés en matière d’équité et de représentation, la manière dont elles voient les choses. Pour partie, l’objet de la présente étude est précisément d’explorer les possibilités de mettre au point un tel système.

INDEX

Keywords: community, ethnicity, government, political consociation Mots-clés: communauté, consociation politique, ethnicité, gouvernement Geographical index: Guyane

AUTHOR

RALPH R. PREMDAS Professor of Public Policy University of the West Indies,St. Augustine,Trinidad and Tobago Ralph R. Premdas has written extensively on communal conflict. His recent books include Ethnic Conflict and Development : The Case of Guyana, Avebury, 1996 and Ethnic Conflict in Fiji, Avebury, 1997. His larger work on resolving inter-ethnic conflict has been published in Ethnic Conflict and Modes of Accomodation : Problems and Possibilities, Inaugural Lecture, University of the West Indies, 1998.

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L’immigration haïtienne au Venezuela : identité et intégration

Alain Charier

L’immigration haïtienne au Venezuela : identité et intégration

1 Bien que l’immigration haïtienne au Venezuela ne soit pas l’une des plus importantes numériquement qu’ait connue ce pays, les souvenirs de liens historiques ambigus, les préjugés et les stéréotypes de tous ordres envers Haïti et sa population se sont conjugués pour rendre ce thème particulièrement sensible.

2 A cela s’ajoute le fait que l’on ne connaisse encore que relativement peu de choses sur les réalités de cette communauté (motivations, composition socio-démographique, voies d’insertion dans la société d’accueil) qui a beaucoup moins attiré l’attention des chercheurs que ses homologues d’Amérique du Nord ou de la Caraïbe insulaire. Perçue autrefois par l’opinion vénézuélienne comme étant une conséquence directe de la répression duvaliériste que la démocratie se devait donc, sinon de soutenir, du moins d’accepter, elle est désormais vécue comme un transfert chez elle de la misère et de l’anarchie endémiques qui règnent dans la république insulaire.

3 L’approche que nous présentons ici essaye d’explorer, à partir d’une expérience originale, les pistes qui pourraient être celles d’une recherche visant à la compréhension des logiques qui structurent cette communauté immigrée caractérisée par la complexité de son histoire, de ses liens avec le Venezuela et des déterminants qui conditionnent son insertion.

4 Les études réalisées au Venezuela sur les phénomènes migratoires se sont généralement limitées aux aspects quantitatifs de ceux-ci (avec souvent comme nous le verrons une marge d’imprécision importante) et se sont peu intéressées à leur impact socio-culturel contemporain1.

5 Nous avons cherché à prendre en compte, dans le cadre limité du présent article, le contexte politique et social général qui a orienté cette immigration vers le Venezuela

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ainsi que les motivations individuelles et collectives de celle-ci, les causes de sa concentration géographique, les facteurs qui rendent son intégration problématique, ses liens maintenus ou recréés avec Haïti et les autres diasporas, ses modes d’organisation anciens et récents, ses relations enfin avec la composante noire de sa société d’accueil.

Historique et composition de la communauté : les deux vagues de l’immigration

6 La communauté haïtienne résidant actuellement au Venezuela est majoritairement de formation récente. De 1959 à 1986, le pays a accueilli principalement, mais pas uniquement, des exilés politiques et leurs familles parfois élargies. Cette situation n’a rien d’original en Amérique Latine où s’étaient réfugiés par exemple des intellectuels tels que Gérard Pierre-Charles, Suzy Castor ou Rosny Smart.

7 Cette première vague ne se soucia pas de structurer la communauté, ni de faire connaître la réalité sociale et culturelle haïtienne auprès de la population vénézuélienne. Ses efforts étaient alors tendus vers la prise du pouvoir en Haïti et vers le retour à Port-au-Prince. La dictature se prolongeant, une nouvelle génération naquit et grandit dans l’exil ; elle chercha le plus souvent à s’intégrer dans la société d’accueil.

8 L’immigration plus récente se différencie de la précédente par son origine sociale modeste et sa composante rurale dominante, elle correspond à ce que les élites en Haïti appellent le « pays en dehors », titre d’un ouvrage de Gérard Barthelemy2, qui a fait irruption sur la scène politique lors de l’arrivée au pouvoir du mouvement Lavalas.

9 La situation catastrophique des campagnes haïtiennes due à la déforestation, à la sécheresse, mais aussi à la concurrence déloyale des excédents agricoles américains est pour beaucoup dans cet exode. Echapper à la sous-alimentation, voire à la famine, et au manque de perspectives offertes par un Etat classé au 156e rang des nations par le PNUD et au dernier rang en Amérique sont les motivations essentielles de cette diaspora.

10 Dans un tel contexte le choix du Venezuela semble n’être qu’un choix par défaut imposé par la fermeture progressive des destinations naguère privilégiées : Etats-Unis, Canada, départements français de la Caraïbe. Caracas où l’administration est moins efficace, où des possibilités de corruption existent et pour laquelle des filières d’accès se sont constituées à Port-au-Prince, reste beaucoup plus accessible. Sur ce point Salvador Prevau, Secrétaire général de la « Comunidad de Haïti au Venezuela » (Cohave) déclare : « Les Haïtiens arrivent souvent au Venezuela parce qu’ils ont été trompés, dans l’île agissent des gens qui organisent les entrées illégales, ils ont des contacts avec des employés de l’aéroport de Maiquetia »3. Certes le Venezuela est en crise et l’âge d’or des années 70 qui avait favorisé une importante immigration latino- américaine et caraibéenne n’est plus qu’un lointain souvenir mais, pour le paysan haïtien, toute opportunité mérite plus que jamais d’être saisie4.

11 Pendant longtemps les immigrants se sont consacrés principalement à la vente de vêtements, d’abord à la sauvette (« buhoneros ») ou sur les marchés, puis certains qui avaient prospéré ouvrirent leurs propres magasins dans les quartiers populaires de la capitale ou de certaines grandes villes de province. Un réseau d’approvisionnement reliant ces commerçants à la zone franche de Margarita s’est même organisé. Il

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s’agissait généralement de membres de la première vague, qui possédaient un certain niveau d’instruction et étaient par là même capables de mener à bien des entreprises commerciales complexes nécessitant une certaine maîtrise de l’espagnol.

12 A partir de 1986 environ on note une certaine réorientation des activités de la communauté haïtienne, les nouveaux venus se dirigeant désormais vers la vente ambulante de glaces. Les raisons d’un tel « choix » sont multiples : il s’agit d’une activité plus aisée à pratiquer pour des personnes non hispanophones, mais surtout il existe à Caracas un réseau de recrutement à base parentale ou géographique qui permet à ces immigrants, majoritairement illégaux, de trouver de suite un travail. Les grandes compagnies de distribution ont un intérêt bien compris à assurer la pérennité de ce système, car elles savent que ces Haïtiens ruraux restent redevables envers leurs parents5 qui leur ont permis l’accès à cet emploi et seront fiables et dépendants du bon vouloir de l’entreprise. La silhouette de l’Haïtien vendeur de glace s’est peu à peu imposée dans le paysage quotidien de la capitale, au point que le photographe Guillermo Suarez – récompensé pour ce travail par le jury du concours « Banco de imagenes 1997 » – leur a consacré une exposition intitulée » Venezuela : Désespoir ou solution pour les Haïtiens ? » et ainsi dédicacée : « Vendiendo helados de cualquier marca o sabor… en nuestro comun trajinar, con sus costumbres, su historia, su lengua y sus anhelos »6.

Une présence difficilement quantifiable

13 Evaluer l’importance démographique de la communauté haïtienne vivant au Venezuela s’avère être une tâche particulièrement complexe. Tout d’abord, l’immense majorité des membres de la première vague d’immigration ont désormais acquis la nationalité vénézuélienne et figurent donc comme tels dans les recensements (rappelons qu’une loi de 1926 interdit de faire état à cette occasion de la couleur de peau ou des origines ethniques) ; il en est de même de la génération née sur place (la double nationalité reste impossible). Au sein de la nouvelle immigration majoritairement illégale, voire clandestine, il n’y a pas de contacts avec les autorités locales et peu avec l’ambassade. Même pour les Haïtiens entrés légalement le chemin qui mène à la naturalisation est long et difficile, la DIEX (administration qui gère les visas et les permis de séjour) les maintient le plus longtemps possible sous le régime dit de « la boleta » qui les oblige à se présenter périodiquement dans l’espoir d’une régularisation, parfois durant des années, les faisant tomber ainsi finalement dans l’illégalité alors que certains ont déjà des enfants qui sont eux vénézuéliens de naissance7. Les chiffres qui sont cités ici doivent donc être considérés avec beaucoup de prudence.

14 Une enquête diligentée par les autorités haïtiennes en 1986 faisait état d’environ 25 000 résidents, selon les mêmes sources 7 000 sont présents aujourd’hui (dont 800 soumis au système de « la boleta »)7. Ce déclin s’expliquant à la fois par quelques retours au pays, par les départs vers les Etats-Unis et le Canada et par les naturalisations. Ces données semblent être très en deçà de la réalité ; il en est de même en ce qui concerne celles qui émanent des instituts vénézuéliens, ces dernières ne manquent pas cependant d’être instructives.

15 Selon le recensement de 19908, dernier en date, on dénombrait seulement 1 796 haïtiens résidant au Venezuela. Il faut noter que l’on se trouve alors à la veille de l’arrivée au pouvoir de J. B. Aristide. Cette communauté est à 65 % masculine (1 018 hommes, 778

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femmes) et géographiquement regroupée : on recense en effet 1 432 haïtiens dans la région de Caracas. La seconde concentration se situe dans l’état de Lara (102) et plus précisément à Barquisimeto où un marché libre a donné une relative stabilité économique à la communauté implantée localement. Toujours selon le même recensement on ne comptait que 262 Haïtiens disséminés sur tout le reste du territoire – certains états n’en comptant qu’un seul, deux groupes un peu plus importants sont cependant identifiables à Maracay et à Valencia. Etant surtout commerçants, ces immigrants sont essentiellement urbains. On est donc en présence d’un double mouvement migratoire : Haïti/Venezuela et campagne/ville ; il s’agit donc bien là d’un processus fort différent de celui observé par exemple en République Dominicaine où les Haïtiens – dont le nombre est évalué à 500 000 – se consacrent à la coupe de la canne ou dans les DOM où ils sont également employés avant tout dans le secteur agricole9.

16 Les données les plus récentes dont on peut disposer remontent à 1995 et sont relatives aux entrées et sorties du territoire10. A cette date J. B. Aristide est revenu au pouvoir (19 septembre 1994) mais la crise économique a continué de s’aggraver. Cette année là les sorties (839) sont supérieures en nombre aux entrées (684). L’observation de la répartition des types de visa se révèle particulièrement instructive : 48 visas d’entrée comme « transeunte » (autant de sorties) c’est-à-dire d’autorisation de travail pour une période limitée, 314 de tourisme (432 sorties) ce qui ne peut manquer de surprendre, 239 de résidents (314 sorties) vivant de façon permanente dans le pays, 42 non spécifiés ! (41 sorties) et enfin 41 de transit ce qui est d’autant plus étrange que l’on ne compte que 4 sorties sous cette rubrique11.

17 Plusieurs constatations s’imposent sur la base de ces statistiques : on observe tout d’abord que seule une fraction réduite de la communauté serait mobile, on note ensuite que le visa de tourisme, facile à obtenir puis à contourner, est le plus utilisé. Enfin il apparaît que de toute évidence les mouvements migratoires au Venezuela font l’objet d’un contrôle sporadique et partiel. Comme le résumait, pour le déplorer, un journaliste à propos précisément de la présence haïtienne : « El asunto es que en Venezuela no parece haber control de inmigrantes y eso no puede ser »12. Il renvoyait ainsi de fait aux complicités locales évoquées précédemment.

18 Les immigrants récents sont dans leur majorité des jeunes de 25 à 35 ans ; à Caracas cette deuxième vague migratoire vit surtout dans le quartier de Los Magallanes à Catia (vaste banlieue populaire de l’ouest de la capitale). Les nouveaux venus s’installent d’abord chez un parent, puis ils cherchent un logement situé à proximité et l’aire occupée par les Haïtiens s’étend ainsi peu à peu. On peut observer d’autres regroupements de ce type, plus modestes, dans l’Est de l’agglomération, à Guarenas par exemple.

Haïti-Venezuela : une relation complexe

19 Le peuple haïtien perçoit en général les nations latino-américaines hispanophones comme des pays « blancs » ou du moins dirigés par des blancs et relativement hostiles à son égard. Les rapports orageux avec le voisin dominicain sont pour beaucoup dans la persistance de ce sentiment. L’invasion de Saint-Domingue par l’armée haïtienne au siècle dernier, les massacres des travailleurs haïtiens perpétrés par la dictature de L. Trujillo, les échanges de bons procédés entre ce dernier et F. Duvalier effectués au détriment des coupeurs de canne13, l’aide discrètement apportée aux militaires lors de

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leur putsch contre J. B. Aristide puis lors de leur fuite, le racisme de la dernière campagne présidentielle dominicaine qui a vu s’agiter une fois de plus le spectre du « péril haïtien », les profits retirés de l’embargo des années 1991-1994 par l’Etat hispanophone semblent avoir creusé un fossé infranchissable entre les deux communautés. Au Venezuela celles-ci demeurent séparées et au mieux indifférentes l’une à l’autre.

20 Les Haïtiens sont conscients de leur grande infériorité numérique (selon le recensement de 1990 on comptait neuf fois plus de ressortissants dominicains au Venezuela) mais surtout de leur plus grand éloignement culturel de la société d’accueil14. L’intégration des dominicains n’est cependant pas non plus sans problèmes, car si elle se trouve facilitée notamment par l’usage de la même langue et par un phénotype en général plus proche, ceux-ci restent cantonnés dans les secteurs informels de l’économie et habitent également les quartiers périphériques et défavorisés des grandes villes15. L’importance du contraste qui existerait entre la situation des deux communautés est donc plus souvent fantasmée que réelle ; elle n’en demeure pas moins significative de la relation qu’entretiennent nombre d’haïtiens avec la société vénézuélienne. L’attitude de cette dernière vis à vis d’Haïti et des Haïtiens se caractérise quant à elle par un double langage : on insiste certes rituellement sur la fraternité d’armes passée en faveur de la liberté et de l’indépendance à l’époque où Pétion apportait son soutien à un Bolívar défait et exilé. Et il est vrai que parfois cette dette historique fut évoquée dans un passé récent lorsque par exemple le gouvernement du Président L. Herrera-Campins (1978-1983) favorisa la régularisation des immigrés haïtiens où quand des voix s’élevèrent pour soutenir l’accueil de 150 réfugiés se trouvant sur la base de Guantanamo à Cuba après avoir fui la dictature du Général R. Cedras. Durant cette période le Venezuela comptait avec la France, les Etats- Unis, le Canada puis l’Argentine au nombre des « Pays amis du Secrétaire général sur Haïti ». Cette solidarité trouva cependant vite ses limites dès lors que la démocratie était formellement rétablie à Port-au-Prince comme l’ont fort bien montré les expulsions qui ont eu lieu récemment : le 15 janvier 1999, 97 ressortissants haïtiens – hommes et femmes, adultes et enfants – qui venaient à la DIEX renouveler leur demande de séjour sont détenus sur place sur décision conjointe de cette administration et du maire du municipe Libertador (centre de Caracas) José Ledezma (membre du parti Action Démocratique), transférés à Maracay et sans examen des cas particuliers – comme le demandait la Cohave – et avec une certaine brutalité embarqués sur un vol militaire à destination d’Haïti. A cette occasion le Vice-président de Cohave déclara « Personne n’a l’intention de se réfugier dans un pays s’il pense qu’il y sera humilié et encore moins au Venezuela où il a existé historiquement une solidarité mutuelle avec Haïti… nous pensons qu’il y a eu discrimination raciale »16. Soulignons au passage que le sort réservé aux cubains se trouvant dans la même situation a toujours été fort différent. Il est vrai que ceux-ci disposent de relais politiques au Venezuela. Comme l’a souligné à juste titre A. Castillo-Levison dont nous reprenons ici les conclusions : « La population haïtienne… se situe dans le conflit inter- ethnique, quand la population d’accueil vit mal la présence du nouveau type d’immigrant et applique par extrapolation à l’Haïtien une série de préjugés portés sur d’autres groupes par le passé, auxquels vont s’ajouter des préjugés raciaux. On comprend alors la difficulté d’insertion et d’intégration de l’Haïtien dans une société urbaine problématique où les relations entre les individus sont marquées par les origines ethniques et les différences socio-économiques. Ces différences se manifestent

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de façon permanente dans le discours et les relations quotidiennes que les Vénézuéliens entretiennent avec leurs concitoyens noirs et les groupes immigrants ethniquement différenciés tels les Haïtiens. Ces caractéristiques socio-culturelles et ethniques semblent les conduire à la non-intégration dans la société d’accueil »17.

Des regards divergents sur un même processus migratoire

21 Selon Béatrice Pouligny-Morgant : « La présence d’un nombre important d’Haïtiens à l’extérieur constitue une donnée fondamentale de ce rapport à l’autre, à la fois mythe du départ… et porte ouverte sur l’extérieur, sur la modernité, au sens sociologique du terme »18. Par contre l’accueil qui est trop souvent réservé à ces immigrants au Venezuela s’ancre quant à lui dans le rêve toujours frustré de blanchir le pays grâce à une immigration sélective.

22 Au lendemain de l’indépendance, le groupe créole qui n’entendait pas voir une immigration noire contrarier ses projets de développement tenta de favoriser l’immigration européenne (loi de 1823). Durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle et le début du vingtième des textes successifs tentèrent – sans succès – d’interdire toute arrivée de population en provenance de la Caraïbe insulaire. A cette époque le Venezuela connut l’essor d’un puissant courant positiviste (G. Fortoul, L. Vallenilla-Lanz), très écouté du pouvoir, qui soutenait la thèse selon laquelle seul un Venezuela « blanchi » serait à même d’entrer dans la modernité.

23 Ce n’est que durant la période de la politique migratoire dite de la « porte ouverte » (1948-1958) que cet objectif sera précairement atteint : c’est ainsi qu’en 1950 sur 208 731 résidents nés à l’extérieur 127 000 sont européens (essentiellement italiens, espagnols et portugais) et qu’en 1961 le rapport passe à 329 850 sur un total de 541 56319. Cette immigration blanche massive va cristalliser un peu plus les oppositions raciales car ces Européens vont avoir tendance à se regrouper entre eux notamment au sein d’associations et de clubs dont l’accès est fermé aux Vénézuéliens de couleur20 vis- à-vis desquels ils conservent une certaine réticence notamment du fait de l’absence de population noire dans leurs pays d’origine respectifs à cette époque. De plus les facilités – relatives – d’installation qui leur ont été accordées vont créer une amertume au sein des groupes noirs et mulâtres qui vont par la suite attribuer, à tort, à ces nouveaux arrivants l’origine du racisme latent dont ils se sentent victimes. Cette situation sera d’ailleurs habilement utilisée par les élites locales, qui bien que multipliant les alliances économiques et sociales avec ces immigrants, sauront détourner sur eux les rancœurs des couches défavorisées de la population.

24 Ce blanchiment est cependant radicalement remis en cause avec l’avènement de la période dite de la « Venezuela saudita » (1973-1983) qui voit l’apparente richesse du pays au lendemain de la première crise pétrolière attirer une immigration latino- américaine et caribéenne massive, alors que dès 1974-1975 la composante européenne devient marginale20. Les chiffres du recensement de 1990 rendent compte de ce bouleversement : sur 1 025 894 résidents nés à l’étranger 686 716 sont latino-américains (508 166 colombiens) ou caribéens alors que 255 899 seulement sont européens20.

25 Or c’est justement dans ce contexte que va se produire la seconde vague de l’immigration haïtienne alors que les groupes dirigeants voient s’éloigner, semble-t-il

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définitivement, leur rêve séculaire et que l’aggravation constante de la crise sociale et économique rend impopulaire au sein des couches défavorisées l’arrivée de concurrents potentiels prêts à accepter n’importe quelle condition de travail car n’ayant rien à perdre. Dès lors le sentiment anti-haïtien latent va pouvoir se donner libre cours notamment dans les médias.

26 L’exil temporaire de J. B. Aristide à Caracas à l’invitation du Président C. A. Pérez donnera l’opportunité à une certaine presse – qui certes visait au-delà du président haïtien le chef d’état vénézuélien –d’utiliser les stéréotypes racistes les plus éculés. Outre l’aimable sobriquet de « tache noire » (terme utilisé au Venezuela pour parler de la dégradation du revêtement de certaines routes) dont fut affublé J. B. Aristide, on prétendit « humoristiquement » que lui et le maire noir de Caracas de l’époque A. Isturiz21 n’étaient en fait qu’une seule et même personne laide et incompétente ; enfin et surtout on accusa le chef d’Etat déchu de vivre aux crochets du Venezuela alors qu’en réalité c’était l’ONU qui réglait ses frais de séjour. On voit apparaître ici en filigrane deux stéréotypes liés à Haïti : il s’agirait d’une part d’un agent déstabilisateur pour la société vénézuélienne (on pourrait faire remonter l’origine de ce sentiment à l’insurrection de Chirinos à Coro en 1795 derrière laquelle le pouvoir espagnol et les élites créoles virent l’influence des événements qui se déroulaient alors à Port-au- Prince) et d’autre part on serait en présence d’une nation perpétuellement assistée et cherchant constamment à parasiter ses voisins. Il faut souligner que « l’épisode Aristide » reste très présent au Venezuela, ainsi l’année dernière une allusion faite par le Président R. Préval à celui-ci dans l’un de ses discours l’obligea à annuler son escale à Caracas à la grande déception d’une communauté haïtienne qui se sentit, une fois de plus, oubliée.

Le lien avec les autres diasporas : de la solidarité à la marginalisation

27 De nombreux haïtiens résidant au Venezuela ont aussi de la famille aux Etats-Unis et au Canada22 et l’image de réussite sociale – réelle ou supposée – dans des pays développés et plein d’avenir pour les immigrants que transmettent ces parents jointe, dans la période récente, à la détérioration de la situation économique et sociale ont conduit nombre de ceux qui en avaient la possibilité à rejoindre ces pays modifiant ainsi le solde migratoire.

28 Un resserrement des liens entre les communautés de Caracas, Boston, Miami et Montréal avait pu être observé durant la période de résistance à la dictature entre 1991 et 199423. Cet échange était l’occasion pour des organisations œuvrant dans des cadres nationaux économiquement, socialement et culturellement différenciés de se connaître et de comparer leurs méthodes d’action. Il faut également rappeler qu’après son arrivée au pouvoir, le président J. B. Aristide avait créé un ministère dit du dixième département (le territoire de la République d’Haïti étant divisé en neuf entités de ce type) responsable des relations avec l’ensemble des communautés vivant à l’étranger. Dans le gouvernement de M. R. Smarth, c’était monsieur Paul Dejean qui occupait le poste de ministre des haïtiens de l’étranger. Cette prise en compte apparaissait comme logique de la part du gouvernement de Port-au-Prince, car la diaspora joue un rôle fondamental dans l’économie de l’île : elle est une source importante de devises24 pour un pays qui en manque cruellement. Certes l’apport de la petite communauté du

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Venezuela rémunérée en bolívars, sans cesse dévalués, demeure sans aucun doute beaucoup plus modeste25 que celui de ses grandes sœurs nord-américaines et ce sont donc logiquement ces dernières qui retiennent plus l’attention des autorités centrales. Il existe par conséquent un sentiment diffus, mais réel, d’abandon par leur gouvernement de la part des haïtiens de Caracas.

29 Pour autant cherchent-ils à s’intégrer à la vie politique vénézuélienne ? En fait rien n’est moins sûr et on pourrait avancer plusieurs explications à ce phénomène : manque d’identification avec la société d’accueil et désir de rester à l’écart des débats qui l’agitent, espoir secret (mais sans doute de plus en plus ténu) de repartir un jour, analphabétisme, manque de culture démocratique, conscience d’une faiblesse numérique qui ne permet pas de peser sur les grandes orientations, absence d’un discours adapté de la part des hommes politiques. Cette liste n’est pas exhaustive, soulignons au passage que les Haïtiens ont tout loisir d’observer la remise en cause du système partisan en cours au Venezuela depuis une quinzaine d’années26 et la montée vertigineuse de l’abstention qui l’a accompagnée du moins jusqu’à l’élection de H. Chavez. Dans la période de toute puissance des appareils politiques (1958-1978), certains membres de la première vague d’immigration avaient su s’assurer une place au sein des diverses structures de pouvoir et ce au prix d’une identification plus complète à leur patrie d’accueil. Ces cas sont restés cependant isolés.

Aux origines du choix de l’association « Maison de la culture haïtienne au Venezuela »

30 Notre approche de cette organisation doit s’inscrire dans la perspective d’une recherche sur le mouvement noir au Venezuela dont il nous était apparu nécessaire d’envisager la composante immigrée. Notre problématique générale se référait à l’émergence d’un Noir Sujet qui serait en mesure de revendiquer un rôle à l’intérieur des rapports sociaux et de contribuer ainsi à la construction d’une nouvelle modernité démocratique27, d’un Afro-vénézuélien capable d’intégrer une tradition revisitée à une (re)composition identitaire en devenir ; ce processus nécessitant pour sa concrétisation l’existence d’organisations noires structurées et porteuses d’objectifs clairs, engagées dans une action à la fois concrète et dynamique impliquant des partenaires multiples tant associatifs qu’officiels. Se posait dès lors le problème du choix des communautés à étudier, eu égard à la diversité des communautés noires qui cohabitent dans le Venezuela contemporain, cette diversité s’avérant être la conséquence de processus historiques anciens (esclavage) mais aussi – voire surtout – de facteurs socio- économiques plus récents (urbanisation, immigration) dont l’impact sur la société toute entière n’a pu encore être pleinement évalué.

31 La communauté haïtienne qui est sans doute, nous l’avons vu, la plus en but aux préjugés concernant à la fois les noirs et les étrangers, celle qui rencontre probablement les plus grandes difficultés d’insertion et qui est la moins à même d’espérer une aide quelconque d’une patrie exsangue, mais qui est également la dépositaire d’une riche culture qui a su obtenir une reconnaissance au plan international (musique, peinture et littérature notamment au Québec avec E. Ollivier, S. Péan ou D. Laferrière) et d’une profonde tradition de solidarité (surtout s’agissant d’une immigration d’origine rurale) nous apparut comme particulièrement représentative de ces nouvelles identités noires en gestation. D’autant plus qu’elle évolue essentiellement

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dans un cadre urbain qui regroupe désormais 85 % de la population vénézuélienne et dans lequel le renouveau noir joue désormais un rôle identitaire déterminant27.

32 La « Maison de la culture haïtienne », de par la conscience des enjeux que possèdent ses dirigeants, de par la stratégie d’intégration/ altérité qu’elle entend mettre en œuvre vis à vis de la société vénézuélienne et enfin de par sa collaboration effective avec des organisations noires autochtones nous est apparue comme étant une illustration, certes ponctuelle, mais prometteuse de ce que pourrait être l’avenir de communautés immigrées en profonde situation d’infériorité économique et sociale vis-à-vis de la société d’accueil mais capables de valoriser leur culture et aptes à nouer des alliances avec certains groupes de cette société avec lesquels des passerelles identitaires existent.

Le désir de visibilité, la recherche de la cohésion

33 En Haïti toute vie associative avait été détruite à l’époque de F. Duvalier28 et ce n’est qu’à partir de la chute du régime que les organisations nées de la société civile se manifestèrent, et ce dans tous les domaines. Elles acquirent même une telle importance qu’une féroce répression s’abattit sur elles au lendemain du coup d’état du Général R. Cedras29.

34 Certains fondateurs de l’association « Maison de la culture haïtienne au Venezuela » ont un passé fait de luttes politiques clandestines contre l’ancien régime et sont arrivés au Venezuela fuyant la police politique. C’est le cas de son président Fritz Saint-Louis qui a immigré en 1984 et est au demeurant membre de Amnesty international30. D’autres membres ne se sont investis dans le combat politique que par la suite, tous enfin ont eu l’occasion de côtoyer à Caracas certains dirigeants en exil comme l’éphémère Président L. Manigat. Leur participation à la création de l’espace informatif en créole de la radio catholique « Fé y alegria » destiné à tenir au courant la communauté immigrée des événements se déroulant à Port-au-Prince après la chute de J. B. Aristide joua également un rôle important dans leur engagement ultérieur. A cette époque une organisation de résistance à la dictature avait été fondée à Caracas, mais bientôt au sein même de celle-ci s’affrontèrent des thèses opposées : pour certains militants seul le combat visant au retour de la démocratie en Haïti valait la peine d’être mené, pour d’autres, au contraire, il fallait également profiter de cette mobilisation pour structurer une communauté qui dans son immense majorité ne reviendrait jamais au pays.

35 De telles circonstances permirent à ces militants de prendre conscience du peu d’intérêt réel des politiciens haïtiens pour leur diaspora dont la situation sociale et culturelle allait se détériorant alors que la société vénézuélienne continuait d’afficher une incompréhension totale à son égard. D’emblée leur souci fut donc de développer les possibilités de promotion de leurs concitoyens afin de les rendre « visibles » pour l’ensemble de la population et d’affirmer leur contribution potentielle au progrès de la nation tout entière. Les fondateurs de l’association se montrèrent extrêmement vigilants vis-à- vis des hommes politiques pour éviter toute tentative de manipulation de leur part, ils choisirent d’établir un contact direct avec des membres de la communauté qu’ils avaient sélectionnés pour posséder un certain niveau d’instruction. Sur les cinquante personnes contactées, quarante répondirent à leur appel et participèrent à la mise sur pied du premier projet concret à savoir un cours

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d’enseignement de l’espagnol. Cette action fut à la base d’une nouvelle mobilisation s’appuyant sur la cérémonie de remise des diplômes linguistiques organisée à Parque Central le 30 décembre 1996. A partir de cette date, le noyau actif, désormais fort de 70 membres actifs, commença à se doter d’une réelle structure.

Organisation et stratégie : partir des solidarités préexistantes

36 L’association est dirigée par un bureau exécutif de type classique et est divisée en trois sous-groupes : culture et information, relations publiques, formation. Elle cherche actuellement à se doter de cinq conseillers qui seraient choisis au sein des huit églises pentecôtistes haïtiennes existant au Venezuela qui sont les seuls lieux de rencontre pour les membres de la communauté.

37 Cette religion est en effet dominante au sein de la deuxième vague de l’immigration – rappelons qu’elle est en progression en Haïti même31 – organisée en réseaux, favorisant les manifestations festives – voire les phénomènes de transe, ne rompant pas ainsi avec la pensée magico-religieuse traditionnelle – elle dispose d’une grande capacité d’adaptation et d’une grande force de séduction. Si l’on ajoute aux caractéristiques que nous venons d’évoquer le fait que les cérémonies pentecôtistes soient célébrées dans la langue de la communauté en l’occurrence le créole (seuls 5 % des haïtiens du Venezuela sont francophones) et non en espagnol comme celles de la religion catholique et que l’assemblée des fidèles est considérée comme une famille élargie ce qui favorise un sentiment de sécurité souvent absent au sein d’une petite population immigrée, on comprend d’autant mieux les raisons de son succès. Le rôle éducatif et social qu’elle assume n’est pas non plus à négliger, car celui-ci contribue à conforter des règles morales traditionnelles mises à mal par la confrontation avec une société d’accueil conflictuelle comme peut l’être la société vénézuélienne ; les lieux de culte offrent enfin un point de rencontre en l’absence d’un club haïtien comparable à ceux que possèdent au Venezuela les communautés immigrées plus nombreuses, plus riches et mieux organisées (italo-vénézuéliens, galiciens, syro-libanais…).

38 Le mouvement associatif naissant a donc logiquement décidé de mettre à profit cette capacité de rassemblement des églises et a délégué certains de ses membres auprès des responsables des diverses églises pentecôtistes haïtiennes. Au-delà de cette démarche, est apparue la nécessité pour l’organisation de disposer d’un espace propre de rencontre culturelle et sociale qui soit animé par des membres ayant reçu une formation spécialisée, cet espace pouvant jouer à terme un certain rôle économique en faveur de la communauté.

39 La « maison de la culture haïtienne au Venezuela » a également comme ambition de suppléer la présence défaillante de l’ambassade dans le domaine culturel, la section créée à cet effet au sein du personnel diplomatique sous la présidence de J. B. Aristide n’ayant jamais réellement fonctionné. L’unique solution en fait, compte tenu des contraintes matérielles des uns et des autres, semble résider dans une coopération la plus étroite possible entre le mouvement associatif et les organismes officiels. Ce principe est en passe d’être admis par tous.

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Intégration et altérité

40 L’enseignement de l’espagnol reste un objectif prioritaire de l’association, une enquête que celle-ci a diligentée permit de mettre en lumière le sous-emploi de nombre d’Haïtiens, possédant par ailleurs certaines qualifications professionnelles, du seul fait de leur ignorance de cette langue. Moyennant une participation financière modique (de l’ordre de 2 000 Bolívars soit environ 21 francs) destinée à l’achat de fournitures, un cours permanent a pu être mis en place. Par ailleurs les membres en cours d’alphabétisation sont entraînés à l’écoute des médias, ce qui permet un apprentissage plus rapide et une meilleure adaptation à la société d’accueil.

41 L’intégration visée n’est cependant pas à sens unique et c’est pourquoi est né le projet d’un journal bilingue (espagnol/créole) qui devrait bientôt voir le jour et être diffusé également hors du Venezuela afin de renforcer la visibilité de la communauté.

42 Le risque d’oubli de ses racines par la seconde génération est également au centre des préoccupations de l’association. La stratégie choisie passe par l’enseignement et plus précisément par la création d’une école maternelle où les enfants recevraient une formation bilingue intégrant les apports des deux cultures. Les réformes introduites récemment dans le système scolaire et notamment le projet « plantel » devraient favoriser la concrétisation de cette initiative.

43 Comme son nom l’indique la connaissance et le rayonnement de la culture haïtienne au Venezuela demeure l’objectif fondamental de l’association. Il s’agit là d’une tâche particulièrement difficile car celle-ci est dramatiquement absente de la scène artistique y compris dans le domaine musical qui est généralement plus favorable aux communautés noires. L’existence du groupe « combo de Haïti au Venezuela » dans les années 80 a été éphémère et n’a pas eu de postérité. Des ateliers de percussion et de théâtre sont en cours de réalisation en coopération avec des associations culturelles afro-vénézuéliennes.

Le lien afro-américain : un facteur d’intégration ?

44 Depuis une dizaine d’années on observe au Venezuela un renouveau de la culture noire, fruit du travail associatif32 mais qui s’était jusque-là, essentiellement manifesté au sein des communautés afro-vénézuéliennes. Peu à peu cependant, des échanges limités se sont mis en place entre ces dernières et des populations de la Caraïbe insulaire : Trinidad (Péninsule de Paria), Curaçao (Etats de Carabobo et Yaracuy). Il n’y avait pas eu d’intégration au Venezuela entre les noirs autochtones et immigrés dans les régions où ils avaient été amenés à se côtoyer : zones d’exploitation pétrolière (Lac de Maracaïbo) ou minière, grandes villes. Les causes de ce rejet mutuel ont été nombreuses : obstacle de la langue, concurrence sur le marché du travail, religions différentes.

45 Nous avons déjà évoqué les préjugés racistes dont sont victimes les Haïtiens, il convient de souligner que ceux-ci sont souvent partagés par la population de couleur elle-même qui a intériorisé ces schémas33. La société haïtienne n’est pas non plus exempte de ce type de manifestations qui attise le conflit socio-économico-politique entre noirs et mulâtres si bien instrumentalisé par le duvaliérisme34 et dont des événements survenus ces derniers temps ont mis en évidence la permanence.

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46 Le soutien apporté d’emblée par la fondation « Afroamérica » à l’association haïtienne n’en prend donc que plus de relief, surtout lorsque l’on sait qu’il s’agit de l’organisation culturelle noire la plus connue du pays. Cette aide a pris diverses formes mais elle a surtout été déterminante lorsqu’il fallut établir un contact avec le CONAC (Secrétariat d’Etat à la culture). Cet organisme envisagerait désormais de prendre en compte dans ses programmes d’attribution de subventions cette association représentante d’une communauté immigrée de la Caraïbe, ce qui serait en soi une première. Parallèlement ce rapprochement a permis à des membres des deux communautés de se rencontrer et de se connaître comme cela a été le cas dans le Barlovento ; ces contacts ont entraîné une prise de conscience du fonds culturel commun qui unissait les deux populations au- delà des différences nées des hasards de l’histoire.

47 On a évoqué depuis longtemps et avec raison l’invisibilité sociale du Noir en Amérique Latine et l’ignorance réciproque qui existait entre ce continent et la Caraïbe insulaire non-hispanophone35 ; on a également opposé un mouvement pan-amérindien en plein essor à un mouvement pan-afro-américain inexistant. L’expérience décrite ici est peut- être un signe annonciateur d’une profonde modification à terme de cette situation.

Perspectives

48 L’organisation sur des bases participatives d’une communauté immigrée peut atténuer le choc du déracinement (la faire passer, pour reprendre les termes d’E. Ollivier, de la condition de population exilée à celle de population migrante) et l’association ainsi crée servir d’institution médiatrice avec la société d’accueil pour peu qu’elle sache y trouver des partenaires (notamment sur la base d’une proximité socio-culturelle quand cela est possible). Au-delà de l’aventure particulière des Haïtiens du Venezuela et de la dynamique de recomposition identitaire qui semble désormais l’animer et qu’illustre, en autres, l’expérience de la « Maison de la culture haïtienne au Venezuela », au-delà du contexte spécifique du monde caribéen, apparaît la nécessité de la remise en cause des stratégies d’intégration en œuvre ici et là et qui aboutissent trop souvent à la marginalisation et à l’exclusion de populations qui ne demandent qu’à participer à l’action commune, à la condition que la valeur de leur contribution à un nouveau projet national soit reconnue et acceptée. A l’heure où les identités se construisent et se recontruisent au gré des mobilités, souvent dans des situations de multiculturalisme liées aux espaces urbains tant dans les pays du Sud que dans les nations développées, il est urgent de prendre en compte ces apports dans le cadre des choix politiques, sociaux et culturels36.

NOTES

1. Berglund. S, Hernandez-Caliman. H., Los de afuera, un estudio analitico del proceso migratorio en Venezuela. 1936-1985, Caracas, CEPAM, 1985. Torrealba R, Oropeza J. A., Estado y migraciones laborales en Venezuela, Ed. Cabildo, Caracas, 1988.

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2. Barthelemy G., Le pays en dehors, Port-au-Prince, Ed. Henri Deschamp, 1987. 3. Chiappe D., « El drama de los inmigrantes haitianos, llegan engañados y regresan escarmentados », El Nacional, Caracas, 21 février 1999. 4. « Se hunde barco con hasta 18 haïtiano en la costa de Florida », El Nuevo Heraldo, Miami, 7 mars 1999. L’article souligne l’augmentation du nombre des boat-peoples haïtiens repêchés au large de la Floride durant les deux dernières années, ceux-ci passant de 587 en 1997 à 1 206 en 1998. Cassen B., « Haïti dans la spirale du désespoir », Le Monde Diplomatique, Octobre 1997. Hurbon L. « Haïti entre la guerre froide et le nouvel ordre mondial », in Les Transitions Démocratiques, Paris, Syros, 1996. 5. Bastien R., Le paysan haïtien et sa famille, Paris, Karthala, 1985. 6. « Tres proyectos que desatan el sentimiento de desarraigo », El Globo, Caracas, 8 juillet 1997. 7. Article de El Nacional déjà cité. 8. El censo en Venezuela XII Censo general de poblacion y vivienda, OCEI, Caracas, pp. 47-61. 9. Hurbon L., « Démocratisation, identité culturelle et identité nationale », Pouvoirs dans la Caraïbe n° 10, 1998, p. 219. 10. Anuario estadistico de Venezuela, 1995, OCEI, Caracas, 1996, p. 231. 11. Les activités de propriétaires de navires ancrés dans le port de La Guaïra et qui emploient des Haïtiens à leurs bords pour lesquels ils obtiennent des visas de transit avant de les introduire au Venezuela de manière définitive ont été récemment dénoncées. Article de El Nacional déjà cité. 12. Article de El Globo déjà cité. 13. Plant R., Sugar and modern slavery. A tale of two countries, London, Zed Books, 1987. 14. Entretiens avec Fritz Saint-Louis Président de l’association Maison de la Culture Haïtienne au Venezuela et avec d’autres membres de l’association, Caracas, 1997/1998. 15. Entretien avec Jesus Garcia Président de la fondation « Afroamérica » qui a mis en place un projet de recherche sur cette communauté en coopération avec certains de ses représentants. 16. Article de El Nacional déjà cité. 17. Castillo-Levison A., La migration haïtienne au Venezuela. Un cas d’étude de l’insertion à l’intégration, Paris III, 1987, non publié, résumé. 18. Pouligny-Morgant B., « L’intervention de l’ONU dans l’histoire politique récente d’Haïti les effets paradoxaux d’une interaction », Pouvoirs dans la Caraïbe n° 10, p. 180. 19. Bolivar Chollett M., Poblacion y sociedad en la Venezuela del siglo XX, Ed. Caracas, Tropykos, 1994, pp. 218-233. 20. Discrimination dont nous avons pu observer la persistance de nos jours. 21. Maire de Caracas de 1992 à 1995, membre du parti Causa R, il eut à souffrir de nombreuses attaques de la part d’une certaine presse à laquelle il n’hésita pas à répondre. 22. Il est bien évidemment impossible de savoir combien d’Haïtiens immigrés au Venezuela ont également des parents au Canada et aux Etats-Unis, mais ce thème revient de façon récurrente dans leur conversation souvent pour souligner que ces derniers ont fait un meilleur choix que le leur. Rappelons que la communauté nord-américaine est évaluée à environ un million d’individus. L. Hurbon, article déjà cité, p. 219. 23. Entretien avec F. Saint-Louis qui a participé lui-même à ce processus. 24. . On estime qu’elle envoie annuellement 800 millions de dollars pour une population d’un million d’exilés. Lionet Christian, « Haïti comme un vaisseau fantôme », Libération, Paris, 3 mars 1998. 25. Il serait aventureux de vouloir estimer le montant de l’apport de la communauté immigrée au Venezuela à l’économie haïtienne, mais au regard de son importance démographique et du Niveau de vie actuel de la société d’accueil il est évident qu’il reste marginal par rapport à Celui des diasporas nord-américaines. 26. Salamanca L., Crisis de la modernización y crisis de la democracia, Caracas, ILDIS, 1996.

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27. Charier. A., « (Re)construcción de una identidad negra en Venezuela », Pouvoirs dans la Caraïbe n° 10, pp. 275-293. 28. Etzen C., Le pouvoir politique en Haïti de 1957 à nos jours, ACCT, Paris, Karthala, 1994. 29. Jean-Claude J., « Société civile, promesses d’avenir », Bruxelles, Demain le Monde, Novembre 1997. 30. Sources sur historique et objectifs de l’association se reporter note 15. 31. Article de L. Hurbon déjà cité, p. 227. 32. Charier A., La culture afro-vénézuélienne déclin et renouveau : le cas du Barlovento, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du septentrion, 1997. 33. Mijares M. M., Racismo y endoracismo en Barlovento, Fundacion Afroamérica, Caracas, 1997. 34. Nicholls. D., From Dessalines to Duvalier. Race, colour and national independence in Haïti, Cambridge, Cambridge University Press, 1979. 35. Serbin A., Bryan A., Vecinos indiferentes ? El Caribe de habla inglesa y América Latina, Caracas, Ed. Nueva Sociedad, 1990. 36. Sur cette problématique nous renvoyons notamment aux ouvrages suivants : Balibar E., Wallerstein I., Race, classe, nation. Les identités ambigües, Paris, La Découverte, 1989 ; Bissoondath N., Selling illusions. The cult of Multiculturalism in Canada, Toronto, Penguin Books, 1994 ; Lassalle D., Les minorités ethniques en Grande-Bretagne, Paris, L’Harmattan, 1997 ; Naïr S, Lucas J. (de), Le déplacement du monde, Paris, Ed. Kimé, 1996 ; Noiriel G., Le creuset français. Histoire de l’immigration XIX-XXe siècle, Paris, Seuil, 1988 ; Simon-Barouh I. (Coord.), Dynamique migratoire et rencontre ethnique, Paris, L’Harmattan, 1998 ; Torres-Saillat S., Hernandez R., The Dominican Americans, Greenwood Press, 1996 ; Weber A., L’émigration réunionnaise en France, Paris, L’Harmattan, 1994 ;Wieviorka M. (Coord.), Une société fragmentée ? Le multiculturalisme en débat, Paris, La Découverte, 1996.

RÉSUMÉS

L’immigration haïtienne au Venezuela a été encore peu étudiée, les motivations qui l’animent et les voies d’insertion dans la société d’accueil qu’elle emploie demeurent mal connues. Elle est cependant un exemple significatif de la complexité des problèmes liés aux processus migratoires et aux stratégies contradictoires d’assimilation/altérité qu’ils peuvent faire naître. L’expérience de la « Maison de la culture d’Haïti au Venezuela » ouvre des perspectives sur de nouvelles dynamiques de recomposition identitaire s’appuyant sur des solidarités ethno-culturelles émergentes.

Haitian immigration in Venezuela has been subject to little examination to date; its driving motivations and means of integration into the host society remain poorly known. It is, however, a significant example of the complexity of the problems linked to the process of migration and contradictory strategies of assimilation/alterity they could cause. The experiences of the Haitian cultural center in Venezuela open perspectives on the new efforts of identity recomposition based on emerging ethno-cultural solidarity.

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INDEX

Mots-clés : afro-américanisme, identité, problèmes migratoires, racisme, Raimond Julien Index géographique : Haïti, Saint-Domingue, Venezuela Keywords : Afro-Americanism, identity, migratory problems, racism, Raimond Julien

AUTEUR

ALAIN CHARIER Membre associé du CRPLC

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Participative democracy or party/ race consolidation

Bishnu Ragoonath

The structure and philosophy of Trinidad’s local government

1 With just under forty-four (44) per cent of the electorate participating in the 1996 local government poll1, questions have been raised regarding the structure, functions and importance of local government to the citizenry at large. To be sure, it has been suggested that with the turnout at the local government poll being substantially lower than the turnout at Parliamentary elections2, the lower voter participation is reflective of the apathy which the vast majority of the citizenry has for local government. Of course such apathy could be interpreted as a direct result of the fact that many people remain uninformed about the structure and functions of local government authorities3. Such lack of knowledge or even the general apathy towards local government could be explained by the history, and more particularly the more recent history, of local government in Trinidad.

2 Although the notion of local government had its origins, in Trinidad, from as early as the 16th century, when the island was under Spanish colonial rule, the modern concept of local government is a far cry from what existed under colonial rule. Contemporary local government authorities, in Trinidad, have very limited powers and functions when compared with the powers which the Cabildo exercised under Spanish colonial rule, and even under the Town councils system as was instituted under British colonialism4. To be sure, the present system of local government only affords four (4) of the fourteen (14) local government authorities the power to raise revenues. Put differently, ten (10) local government authorities do not have the power to collect rates and taxes5. Moreover, in the cases of the four municipal authorities which are allowed, in law, to raise revenues from land and building taxes, as well as other charges, the revenues raised accounts for between 5 percent and 20 percent of expenditure6. Effectively, therefore, local governments, in Trinidad, remain dependent upon central

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government for the majority of their funding. Such funding, it may be instructive to note, is normally inadequate resulting in inefficiencies and ineffective delivery of services provided by local governments.

3 The controls exercised by the central government with respect to finance inevitably impacts upon the functions and operations of the local government authorities. Local authorities, in Trinidad, are required to maintain roadways, drainage, markets, parks and recreation grounds, cemeteries and public buildings. However, they are not involved in the provision of public utilities such as water, electricity, and fire prevention nor do they play any integral role in transportation, ports control or management, and education. Moreover, central government’s permission is required, through the minister’s consent, before any local authority embarks upon the erection or acquisition of buildings to establish libraries, or to care for infants and/or indigent persons or even « generally for the improvement of the Municipality and for the benefit of the inhabitants thereof »7. In such a situation, Trinidad’s local governments are largely impotent with limited powers and autonomy. Consequently, in the run up to the 1996 elections, the issue of power and authority of local government was to become a major campaign issue, with all the political parties advocating greater devolution and empowerment. This paper will elaborate on this and other campaign issues later. However, as stated above, based on it limited financial base, as well as the limited role local authorities were allowed to play in the development of their communities, local government has been and continues to be viewed as of little importance in the society.

4 The limitations with respect to functions and finances were not the only reasons for local government to be viewed in a negative context, for the central government in Trinidad has also played a direct role in emasculating local government. To be sure, local government authorities operated as mere agents of central government in administering various functions, but without any real authority in developing community participation and development8. Such deficiencies were further compounded in the post 1973 period, when, with the country having benefitted from an oil boom, the central government usurped various functions which local governments were legally authorized to perform. Central government by-passed local government councils and directly involved itself in providing recreation and market facilities. Furthermore, state owned companies were established for the repair of roads and to provide sanitation services, thereby duplicating the service providers, and which, by extension, emphasized the helplessness of the local authorities which were starved for funds9. The effect of all of this was the further loss of confidence of the electorate towards local government, the result of which was low voter turnout at the polls.

5 But whereas it could and has been suggested that voter participation at the polls in the 1996 local government elections was low, it may be noted that when compared with other local government elections, the 1996 turnout has been the highest ever recorded. Prior to 1996, the turnout at local government elections never exceeded 40 percent of the electorate, the previous highest turnout was in 1987, when 39,9 percent of voters participated10. This higher than normal local government turnout in 1996 can partially be explained on the basis of national politics in Trinidad. In this regard, it may be noted that national politics in Trinidad is dominated by party politics as well as race and ethnicity-based politics.

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Party politics in a plural society

6 Trinidad is sometimes described as an « institutionally plural society »11 bordering on being an ethnically bipolar society12. Bipolar societies are those wherein there are two major ethnic blocs, approximately equal in size and which together constitute eighty percent or more of the population13. Trinidad falls short of being bipolar since the total of both blocs is just 79,86 percent of the national population. Notwithstanding this shortcoming in bipolar analysis, it may be noted that the Afro-Trinidadian bloc (39,6 percent) and the Indo-Trinidadian bloc (40,26 percent)14, are of near equal strength in terms of numbers. The fact that both groups have tended to compete for political power over the years, and which culminated in a tie at the 1995 Parliamentary elections and with a very close result in the 1996 local government poll, emphasizes the bipolarity of the society. Such results however are better explained through the plural society theory.

7 The plural society thesis takes its point of departure from the perspective of two groups living side by side, and only meet in the marketplace15. Based on the history of both major groups, in Trinidad, this is generally what obtains. The Afro-Trinidadian group are the descendants of African slaves who were brought to Trinidad, under British colonialism, to work on the sugar estates. With the end of slavery, the Africans left the plantations, thereby creating a demand for new labor. East Indians were then brought as indentured laborers to fill the labor void, on the sugar estates. Based on such a history, Indo-Trinidadians have tended to remain closer to the areas where sugar cane is still being cultivated, or was cultivated in the time of indentureship16. Based on their location and settlement, Indo-Trinidadians continue to dominate the agricultural sector or have moved into private businesses, again predominantly located on the plains in central and south Trinidad, in close proximity to the former sugar cane estate areas. Afro-Trinidadians, on the other hand, are today predominately found living in the urban areas in the north of the island, as well as close to the petroleum industrial sites in the south. Based on their locale, Afro-Trinidadians dominate public sector jobs17 as well as having a heavy presence in the industrial sector and more particularly the petroleum industry. Effectively, this racial separation in terms of demography and occupation facilitates the adoption of a plural society thesis for Trinidad, but more importantly, it promotes political separatism, which would impact on the democratic process and elections. Before implications on the politics are developed, it may be instructive to note one other aspect of the plural society thesis which has implications for political behavior in Trinidad, and this relates to culture and religion.

8 Apart from demography and occupation, cultural behavior and traditions, as well as religious practices, also accentuate differences and separation between the races in Trinidad. With regard to the Afro-Trinidadian community, when the African slaves were brought over, they were denied the opportunity to retain and practice aspects of African culture and was thus forced to assimilate Western culture and Christianity. The result of this is that the majority of Afro-Trinidadians today engage in Western cultural behavior and traditions as well as practice Christianity. The lndo-Trinidadian community, on the other hand, have been able to retain cultural traditions as well religious beliefs as were practiced by their indentured East Indians forefathers. Consequently, a substantial section of the Indo-Trinidadian community presently

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engage in Indian cultural traditions with regard to food, music, dance and even dress. With regard to religion about 60 percent of Indo-Trinidadians are Hindu, while just over 10 percent are Muslim18. The notion of religion and culture is critical to Trinidad’s politics, especially since it was only in 1995 that a non-Christian government took office. Before exploring the politics which led to such a political outcome, it must be emphasized that all separation between the two major races, as indicated above, are generalized. Put differently, there is no exclusivity of any one race in any area of activity or even settlement. Thus, it is near impossible to find a community in Trinidad inhabited solely by persons of one race. Similarly, there is no occupational form which is exclusive to one group, devoid of persons of another race.

9 Based on the demography, occupation, cultural behavior and religion, politics in Trinidad have incurred some separation. Indo-Trinidadians have traditionally supported the political party connected with the sugar workers union and which was led by an Indo-Trinidadian. It may be noted that since 1956, when « party politics » took firm root, with racial connotations19, the « Indian Party » has undergone various metamorphosis and name changes, culminating in what is presently known as the United National Congress (UNC)20. The Afro-Trinidadian party has been much more stable and has been able to maintain a single party structure, in the form of the People’s National Movement (PNM), since 1956. This party is led by an Afro- Trinidadian, and has traditionally had the support of the Waterfront workers union, as well as public sector and other urban-based trade unions. But, while such distinctions can be made with reference to the generalized political behavior of the two major racial blocs, it must be emphasized that such descriptions are generalizations, and it is not unusual to find Indo-Trinidadians supporting the PNM and Afro-Trinidadians supporting the UNC. Effectively, there is no mutual exclusivity in terms of political participation and behavior. Notwithstanding this, the fact remains that supporters of either party are predominantly of the same race as that of the leader of the party.

10 The fact that two parties, representing the two major racial blocs, presently dominate the political scene in Trinidad, should not be used to suggest that there are no other parties. To be sure, various other parties have developed over the years and some are still existent until today. These parties tend to try to bridge the racial gap, thereby seeking to present a multiracial party. All but one such party failed to achieve any success at elections. In the one instance that there was success, such success came with United Labour Front, the « Indian Party » at that time, submerging itself with other parties, in 1986, tp form the National Alliance for Reconstruction (NAR) which contested and won the election. However, shortly after its ascension into office, the party split apart with various elements going back to their original form21. When the « Indian Party » withdrew and reformatted itself under the banner of the UNC, it was made clear that the NAR’s success depended upon the « Indian vote » and without which, it could no longer muster enough support to have any real success in elections. The party failed to win a seat, in Trinidad, in the Parliamentary elections of 1991 and 1995, as well as in the local government elections of 1992 and 1996. Notwithstanding this inability to win in a first past the post system, the party has continuously been able to win substantial levels of support. From this perspective, it is clear that there is a segment of the population in favor of accommodation politics, beyond race-based party politics as currently exists.

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Political competition and electoral stalemates

11 In a system based on party politics and more so race-based party politics, it was inevitable that once the two major racial blocs equalized, political competition would become crucial in determining which group would seize political power. Moreover, acknowledging the spatial demography, it was clear that political stalemates would arise. This is exactly what occurred in the 1995 Parliamentary elections and was more or less repeated in the 1996 local government elections.

12 At the end of september 1995, the term of office of all local government councils expired. The legislation governing Local Government polls in Trinidad provided that elections be held within three months from the date of the expiration of the previous councils, thus the country awaited the Prime Minister announcement of the date for the local government poll. However, on 6 october 1995, when the Prime Minister did go to the Parliament to announce an election date, he surprised the nation by posting 6 november 1996 as the date for Parliamentary elections, rather than the date for the local government poll. Effectively, the Prime Minister dissolved Parliament. It may be instructive to note that the Parliamentary term was due to expire some fourteen months later.

13 With the country and the political parties having been given a mere one month to campaign for a parliamentary election, and moreso one for which they were not prepared nor expected, the politicking was two-pronged, based on personalities as well as issues. From the perspective of the ruling PNM, the party and its leadership boasted that it had caused a turn around in the economy and that the country was on the road back to economic growth and success. In this scenario, the PNM’s campaign slogans included that of bringing the country back to being « World Class »22 and boasted of « Leadership that’s Working »23. But in promoting its own leadership, the party launched a vicious personality campaign against the opposition leader, Basdeo Panday, and his colleague, Ramesh Lawrence Maharaj. The attack on Panday was based on sexual harassment charges which were before the courts, and which were later thrown out as being without substance. With respect to the attacks on Maharaj, the PNM’s leader, Patrick Manning, feared Maharaj, a prominent and successful criminal and human rights attorney, becoming Attorney General. Manning, in his quest to undermine Maharaj’s credibility, reminded the population that Maharaj’s name was mentioned in the Scott Drug Report, notwithstanding that the report did not demonstrate any wrongdoing, far less to have proven such on Maharaj’s part. While there was initial support for Manning, especially in relation to his fear of Maharaj becoming Attorney General24, the counter claims by Maharaj and the UNC, in relation to dealing with crime and corruption, led to a swelling of the ranks of the UNC.

14 Since the UNC was in opposition and did not have a record on which it could boast, it took the challenge of taking the campaign to the PNM. The UNC’s campaign seems to have led the debate, with the PNM grasping to react to the UNC’s pronouncements. The UNC’s campaign focussed on the many issues which were affecting the society, such as crime, poverty, employment and education. The centrepiece of the UNC’s campaign was the urgent need for crime prevention and suppression25. This was of particular interest to the middle and upper classes, many of whom believed they were targets of criminal activity, and, moreover, with the police being largely immobile, citizens felt they could no longer rely on the police for help. The UNC thus called upon the citizens

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to « give yourself a chance for better jobs, a safer community, improved schools and a brighter future »26. Apart from dealing with the issues, the UNC had the advantage of one other card which both the PNM, as well as history had played into the UNC’s hand; this was the card of race‑based, and, more specifically, Indo-Trinidadian politics. From the historical perspective, 1995 marked the 150th anniversary of the arrival of the first Indo-Trinidadians to the island of Trinidad. Accordingly, throughout the year, although climaxing on 30 may 1995, the anniversary date of the arrival of the first shipload of Indians, various activities were staged, all of which sought to engender amongst the Indian community a spirit of arrival and belonging. Such belonging was critical, for prior to 1995, while some Indo-Trinidadians were able to attain some economic power, the community as a whole was never able to wield any real social or political power. In the plural society context, where Afro-Trinidadians dominated the political and social spheres, Indo-Trinidadians had been relegated to being a minority, with the psychological underpinnings of being a minority, subordinate group of second-class citizens27. The commemoration of the 150th anniversary sought to change that, and when given a chance later in the year to make a statement of Indo-Trinidadian solidarity, oneness and power, the community voted for the UNC, the Indo-Trinidadian party, to ensure that for the first time in the country’s history, an Indo-Trinidadian government and Prime Minister would hold office.

15 It may be instructive to note that for PNM leader, Patrick Manning, a major issue in the election was that there was « a strong desire among certain sections of the community to have and Indian Prime Minister » and hence the « emotive appeals » on this basis ensured a victory for Basdeo Panday28.

16 Alongside the historical perspective, Indo‑Trinidadian solidarity around the UNC was bolstered by what may be termed an anti-Indo-Trinidadian outlook of the PNM. Such an outlook started emerging early in 1995, when the PNM leader and Prime Minister, Patrick Manning, fired his Indo-Trinidadian Minister of Foreign Affairs, Ralph Maraj. The firing of Maraj followed a period during which Maraj openly queried styles of leadership as within the country. While Maraj never indicted the Prime Minister’s leadership, it was clear that he was having problems with his political leader. Accordingly, and with a very frivolous explanation, the Prime Minister, in a televised broadcast, publicly fired Maraj. Within months of the firing of Maraj, Manning and the PNM found themselves at odds with Maraj’s sister, Occah Seapaul, who was also the Speaker of the House ofRepresentatives. With their razor-thin majority, the PNM could not afford the Speaker to rule against the government. Moreover, when disparaging remarks towards the Speaker were made by senior government Ministers in the House, the Speaker suspended a Minister, and several others were said to be under review. At that moment the Manning administration placed the Speaker under House arrest. These actions by Manning and the PNM were immediately placed in a racial context. With the PNM already being stereotyped as an Afro-Trinidadian party, the Maraj dismissal and Seapaul’s arrest further suggested that the party was seemingly purging itself of Indo-Trinidadians. The PNM’s actions against Maraj and Seapaul led to Maraj joining the UNC and contesting the elections on behalf of the Indo-Trinidadian Party. Moreover, on mounting the UNC platform, Maraj is reported as having said he had finally come home within the UNC and this was where he belonged29, thereby confirming the racial suspicions borne by many Indo-Trinidadians that the PNM was

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hostile to the Indo-Trinidadian community. The racial divide thus served to galvanize the Indo-Trinidadian community to vote against the PNM in 1995.

17 In such a scenario the Parliamentary elections of 1995 were contested on 6 November 1996. Consequently, based on the race-based demographic map, the UNC was able to win all but one seat where Indo-Trinidadians accounted for over 35 percent of the populace30. In terms of numbers, this meant that the UNC was able to capture 17 of the 34 seats available in Trinidad. With the other 17 seats going to the PNM, an electoral tie arose, thereupon leaving the country in a state of indecision, with no one party able to form a government on its own. Fortunately however, there was Tobago31, the smaller island in the unitary state of Trinidad and Tobago. In terms of the composition of the House of Representative, Tobago had two seats, which in the 1995 election were won by the candidates of the National Alliance for Reconstruction (NAR). The two elected NAR representatives were not obtuse to the notion of entering into a coalition and this they did with the UNC, thus making it possible for the President to offer the Prime Ministerial position to the UNC leader, Basdeo Panday. A UNC-NAR coalition government was thus installed. The fact that a government was formed meant that the electoral stalemate emanating out of the 1995 Parliamentary election was thus settled. Such a resolution was but a stop-gap measure, since, it became clear that once Trinidadians voted along racial lines, electoral ties, in Trinidad, were almost inevitable. To be sure, it was to recur in the local government election which was held eight months later.

Setting the stage for a 1996 local government poll

18 Notwithstanding that the Parliamentary elections were contested on 6 november 1995, there was still the legal requirement for new government to call the local government elections within three months of 27 september 1995, the date on which all the councils retired, or to seek Parliamentary approval to defer the election. With the new government needing time to settle itself into government, as well as to attend to other « more pressing » constitutional matters, such as the Opening of Parliament and the delivery of the 1996 budget, it was inevitable that the government would seek Parliamentary approval to defer the election. Thus, early in december, a Bill was taken to the Parliament to restore the former local government councils for a maximum period of nine months, from 27 september 1995. While the Bill sought to extend the deadline for the holding of the elections until june 1996, the Minister did assure Parliament that the elections would be held « as soon as practically possible »32. The extension was obtained though the former councils were not resuscitated, but rather were replaced by Advisory Committees33.

19 Although the Minister of Local Government had promised that the local government elections would be held « as soon as practically possible », the UNC-NAR government was in no rush to call the elections. Once the six-month extension was granted, the government diverted its attention to consolidating itself in office, while attempting to treat with various crises which either arose or were created by the largely inexperienced administration. In this regard, the government’s first task was getting the 1996 budget passed before the end of January, as was constitutionally required. In so doing, the UNC-NAR revisited various plans of the former administration, and took the decision to discontinue various construction/developmental projects which were

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centralized in Port of Spain and environs. The Port of Spain Urban Renewal and Beautification programme as well as the National Library Complex, were deprioritised within the new government’s budget. Such policy decisions were immediately politicized, both on the basis of race and political demography. From the political space perspective, having had the locus of power shifting « from Port to Plantation », there was the fear that the resources of the state would see similar shifts, resulting in the lack of any development to areas such as Port of Spain, and the urban east-west corridor, which in the main, supported and returned PNM representatives. Given the spatial distribution of race, such a scenario would mean that the Afro-Trinidadian community would be deprived of all the jobs which were to emanate from these projects. Furthermore, by inference, since development projects would be opened in central and south Trinidad, Indo-Trinidadians, who populate such areas, would have the advantage of finding employment there.

20 The employment concerns of Afro-Trinidadians were not just limited to construction workers. In the category of professionals, and even public sector workers, there were serious concerns as to whether Afro-Trinidadians were to be made to suffer as a form of direct retribution for the failure of that community to support the UNC. Such concerns erupted with the early termination of the contracts of several Afro-Trinidadians who were hired by previous governments to serve as Chief Executive Officers in various state enterprises A near similar situation arose at the Ministry of Education where the Minister reportedly sent his two Atro-Trinidadian Permanent Secretaries on vacation. Since ministers do not have any direct authority or control over public servants34, the position taken by Minister Nanan was quickly interpreted as having political and racial connotations. Consequently, the leader of the Opposition, in his contribution to the budget debate, and although not explicitly posing the question in terms of race, raised the question of public sector layoffs35. Consequently, in such a situation, the government, in recognizing possible civil problems, focussed its attention on dealing with some of the concerns of the Urban Afro-Trinidadian communities. The Prime Minister and his Ministers visited several communities, in the PNM heartland of Laventille and Sea Lots36, in the hope to minimize any fears that the Afro-Trinidadian community may have of an « Indo-Trinidadian government ». But whereas some of these concerns and even fears could be explained in terms of the plural society and the need to assuage the fears of ethnic domination37, the Panday administration created various crises of its own, which saw the diversion of attention and energies away from calling the local government election as « soon as was practically possible ». In this regard, a major debate in relation to the role of the media developed. The government went on the offensive, calling for a private newspaper to dismiss its editor, after the newspaper carried certain stories and pictures which seemingly misrepresented the Prime Minister. While the Prime Minister may not have obtained the dismissal of the editor, the debate which raged, and which was fueled by other internal disagreements and developments in the media industry saw the diversion of attention from everything else, including the local government poll. Effectively, this allowed the UNC- NAR two additional months before focussing attention on a local government poll. Accordingly, with the five months passing between the time the government went to Parliament to get an extension for the calling of the election, the Prime Minister announced, in may, that the local government poll would be contested on 24 june 1996, a mere three days before the expiration of the extension granted by the Parliament.

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Race and tide campaign in the 1996 local government election

21 Although the legislative requirements dictated that the local government poll was to be conducted before 27 june 1996, all the parties, including the ruling coalition, which had the power of determining the date of the poll, were not prepared when the date was finally announced. This was clearly demonstrated by the rush of all parties to find candidates and to draw up their official manifestos for the poll. With reference to the manifestos, all three parties sought to lay a framework based on a local government orientation. In this regard, all three parties adopted a near similar philosophical approach to local government. They all spoke of the need to foster community participation in local government. Thus, for instance, the UNC titled its manifesto « Empowering the People ». Based on the title, the manifesto sought to outline the need for a « partnership with the people » to be developed with local government authorities. The UNC’s partner in the coalition, the NAR, also called for greater participatory democracy. In its manifesto entitled « Empower your Community: Building from the Ground Up », the NAR complained about the emasculation of local government, and thus posited the urgent need to resuscitate local government. In line with such a position, the PNM, too, proposed to build communities through community participation.

22 Beyond the philosophical underpinnings of local government, the manifestos explored the future and functioning of local governments. There was the call for further decentralization in terms of devolving additional powers and functions to local government. In this regard, the PNM and UNC manifestos focussed on management and staffing considerations, with both proposing to ensure adequate staff and resources to ensure that the local government councils deliver the services for which they were responsible.

23 Having outlined very broad perspectives, the manifestos were silent on the specifics of making all of this happen. Consequently, it was anticipated that on the campaign trail, some of those specific details would be outlined. However, this was not to happen. The only major local government issue which was discussed on the campaign was the move by the government to proclaim the Municipal Corporations Act a week before polling day. The UNC boasted that it had succeeded in proclaiming the Act in its entirety following only eight months in office, while the PNM had failed to do so during the previous four years. The PNM countered by suggesting that, even though the UNC did proclaim the Act, the mechanisms to enforce the sections now proclaimed were not in place and thus any such proclamations would be rendered useless. But apart from this subject, no other local government issue received any substantive treatment on the campaign trail beyond what was stated in the manifestos. On the hustings, national issues predominated.

24 With the local government election having been called in the shadow of the parliamentary election, as well as in light of the various national debates and concerns, it was inevitable that the campaign was to locus on such national issues rather than local ones. Consequently, when the parties had finalized their slate of candidates and thus began, in earnest, the campaign, the issues were national rather than local. The Opposition PNM called its manifesto « Enough is Enough », and considered the june 1996 polls a referendum on the UNC-NAR coalition government38. The UNC, which

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fought the election in an accommodation with its coalition partner in central government, accepted the PNM’s challenge that the election should be viewed as a referendum on the government’s eight month reign. Thus, in winding down his campaign, Prime Minister Panday asked his supporters for their vote as a sign of saying « Yes, you’re going right »39. The third party in the race, the NAR, while seemingly trying to explicitly steer away from national issues, ended up in doing just that. The NAR focused its attention on the issue of national unity, and thus campaigned on the basis that it was the only organization which could bridge the gap between the two ethnic groups. At the same time, the NAR’s campaign took on a more partisan perspective, whereby party leaders suggested that the party’s success in the local government elections, would serve to empower the NAR within the coalition government40. The campaign, therefore, at least from the perspective of what was to be presented on the platforms of the three political parties, focussed on national rather than local government issues.

25 On the hustings, with the election being viewed as a referendums, the UNC and NAR concentrated on defending the policies adopted within the preceding seven months. The UNC, claiming that « we’ve only just begun », identified various policies related to reducing prices of food and other consumer goods, the fight against crime, as well as a review of energy sector policies which were to result in increased earnings from that sector. In full page newspaper advertisements, the UNC reminded the population of the previous Manning’s administration record, suggesting PNM’s mismanagement of the economy, resulting in widespread poverty. Fingers were also pointed at the PNM in the disposal of state enterprises, in a manner not beneficial to the state.

26 In turn, the PNM campaign, with regard to the national issues, focussed on the failure of the government to bring about a substantial reduction in the high crime rate and in the cost of living, arguing that the UNC had failed on both these counts. The PNM platform speakers questioned the government’s policy on national unity. Instead of national unity, the PNM alleged that the government was promoting disunity, and this was manifested in terms of victimization, unfair dismissals, as well as the forgiving of a debt to Guyana41. Most of theses issues, reflected the centralization of the racial factor in Trinidad’s politics. While all the parties in the campaign claimed not to have resorted to the race card, they all raised the issue of race in the various campaign speeches. The PNM implicitly warned its supporters of racial discrimination by the UNC-NAR government. At the launching of the campaign, PNM leader, Patrick Manning, spoke of discrimination, making specific reference to employment of Afro- Trinidadians. Without explicitly referring to race, Manning complained about « discrimination and division ». He argued that under his administration, four administrative regions along the east-west corridor, which coincidentally were predominantly populated by Afro-Trinidadians, had comparatively higher levels of poverty than County Caroni, a predominantly Indo-Trinidadian region. Accordingly, in 1995, his administration created over 200 unemployment relief projects (URP) in the East-West corridor, while 16 such projects were implemented in County Caroni. Manning complained that in 1996, the UNC-NAR government had decreased the number of projects in the east-west corridor to 129, while it increased County Caroni’s tally to 3642. This was presented as an indicator of government’s « discriminatory practice » against PNM strongholds.

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27 Following his initial salvo, Manning persisted with the concerns of discrimination, and in making reference to the firing of Chief Executive Officers of various state enterprises, ensured that such dismissals were an election issue. In this regard, Manning was later to say, on a public platform, that the UNC-NAR government, « under the disguise of national unity they are imposing on this population some of the most racist acts ever perpetrated by any government of Trinidad and Tobago »43. The PNM thus brought the issue of race home to the election.

28 While the PNM attacked the governing coalition for racial discrimination, both coalition partners argued that their parties were rather seeking to promote national unity. In this regard, the NAR party chairman told a public meeting that the « future of national unity in this country lies with the NAR in conjunction with the UNC »44. Accordingly, when national unity is viewed as racial harmony, the NAR’s position was simply that the PNM was unable to bridge the gap amongst the various ethnic groups of the society.

29 The UNC, in adopting a somewhat similar position, sought to chastise the PNM for focussing on race, and in appealing « to only one race ». UNC leader Panday thus likened the PNM to the Democratic Labour Party (DLP), which was the Indo-Trinidadian party of the 1960s. The DLP had failed to win an election because it appealed only to Indo-Trinidadians. Consequently, Panday advised that « no party can become the Government unless it can appeal to both Indians and Africans »45. On this basis the UNC defended its position and policies, claiming that the PNM’s claim of racist acts were simply last ditch efforts to win support. Panday further claimed that all the issues raised on the PNM platform had racial overtones. He declared that the PNM’s attacks on Caroni, as well as the PNM’s campaign against the dismissals of certain CEOs were placed in a racial context. He even cited the debt forgiveness to Guyana, which arose out of a Paris Club formula, as having racial overtones. With regard to the debt forgiveness to Guyana, the Panday administration had argued that it was well accepted by the majority that it was impossible to recover all the Guyanese debt. His government was therefore moving to recover some of the debt, but, he added, the mere forgiveness was being postulated as a race-based decision, where the Trinidad « Indian government » was freeing a Guyanese « Indian government » of its debts. From this perspective, Panday claimed that his government was firm in its quest for national unity and would not divide the country on racial or any other grounds46.

30 Having stage-managed their campaigns, so much so as to ensure that the apathetic in the society would be compelled to make their vote count, polling day was approached with great anticipation by all parties. The PNM hoped that the election result would show it was regaining ground lost in the Parliamentary election of November 1995. There was concern that the PNM had lost ground in the 1995 elections because it had failed to inspire some Afro-Trinidadians to vote for the party47. For the PNM therefore, the 1996 election presented the opportunity to regain ground, by consolidating the Afro-Trinidadian vote for the PNM. The UNC, on the other hand, saw the poll as a mirror to reflect public opinion of its short tenure in office, and thus hoped for a vote of confidence. Again in terms of race, the UNC was hoping that such a vote of confidence could only be possible with support from both Afro and Indo-Trinidadians. The NAR conceived the election merely as rule of measure to legitimize the NAR’s place in Trinidad’s politics, inclusive of all the races, and not be confined to Tobago. In this context the results of the elections are now to be assessed.

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The result and its implications on party politics in Trinidad

31 Although the platform campaigning by the three political parties was predominantly focussed on issues other than local government ones, the fact remains that the contest was for the control of fourteen municipal corporations which comprised, in total, 124 electoral districts. Of the 260 candidates who contested the election, 10 were identified as independent candidates48, while the other 250 contested the poll on a party card, with 124 candidates standing for the PNM while another 126 representing the UNC-NAR accommodation49.

32 Notwithstanding the entry of the NAR in the elections, it was clear that its participation was to be limited, since it did not possess an electoral base in Trinidad, unlike the other parties, the PNM and UNC. More importantly, the bases of these latter parties were grounded in racial blocs. Such a perspective is further supported through an analysis of the historical evidence and how constituencies voted, and culminating in the electoral tie that emanated in the 1995 parliamentary election. In such a context therefore, the NAR chances of success in 1996 were remote because, based on its accommodation with the UNC, the seats allocated for the NAR to contest were strongholds of the PNM. Moreover, even in those instances where the PNM was not insurmountable, the NAR faced the challenge of « independent » candidates, who sought to divide the anti-PNM vote sufficiently for the PNM to retain the seats. A case in point was the Calvary district in the Arima Borough, where the PNM candidate, Melan Garcia, secured only 484 votes while the « independent », Martin Hollingsworth, received 417, with 252 votes going to Peter Asse, the NAR candidate. Effectively, the NAR was later to complain that the UNC undermined their candidates’ chances of victory by giving « critical » support to the « independents » who were really the UNC’s candidates for the election, but who had not contested on a UNC ticket because of the accommodation. Notwithstanding such evidence, the fact remains that the NAR, as well as all the independent candidates failed to win any of the 124 available seats.

33 Without any success for the NAR or the independents, the seats in the 1996 local government election were shared by the PNM and the UNC. The PNM won 63 of the 124 seats with the UNC taking the other 61. But, whereas in terms of numbers, the PNM won more than half of the available seats, a more detailed analysis of the results, especially in terms of comparative analysis between the 1992 and 1996 polls, show the PNM as having lost substantive ground, in the realm of local government, while at the same time the UNC seemed to be in the ascendancy.

34 . .

35 Although the PNM won the majority of seats in 1996, that majority was significantly reduced from what the party had obtained in 1992. Put differently with the PNM having won 63 of the 124 seats in 1996, its proportion of seats in the local government arena was reduced from 62 percent, in 1992, to 51 percent in 1996. This 11 percent decline in the PNM’s proportion was transferred to the UNC, which saw its proportion of seats rise from 38 percent to 49 percent over two elections. A similar scenario occurred in relation to the votes cast. In the 24 june 1996 local government poll, the UNC obtained 178 800 votes as compared with the PNM’s tally of 154 307. The UNC obtained 24 000

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more votes that the PNM in 1996. Since 1956, when the PNM entered party politics in Trinidad, this was the first time that the PNM, as a party, received less votes than any other party in a local government poll. Furthermore, and from the comparative perspective of the 1992 and 1996 local government polls, despite an increase in the electorate of over 24 000, the PNM’s 1996 tally of votes was slightly lower (511) than what the party had received in the 1992 local government poll. A near opposite picture emerges for the UNC, which saw an increase of over 65 000 votes from what that party polled in 1992.

36 Apart from actual votes, the UNC, in 1996, has been able to advance its challenge in breaking the PNM’s hegemony on local government. From the perspective of control of the municipal corporations; this result ensured that the PNM obtained the majority of seats in seven of the fourteen councils, with the UNC having a majority in another six. One council, the Siparia Regional Corporation, which had eight electoral districts, was split four seats each for the PNM and the UNC. This tie, was later broken by the « drawing of lots » and resulted in the UNC gaining control of the council. Consequently, control of the fourteen corporations are now equally shared by the UNC and the PNM.

37 The equal sharing, in 1996, of the fourteen municipal corporations between the PNM and the UNC serves to underscore the electoral tie which resulted in the 1995 Parliamentary election. But more importantly, the electoral map which demonstrates political party distribution of parliamentary seats is, with minor adjustments, near replicated by the map showing party controls of the various local government councils. Put differently, the results of the 1996 local government poll clearly emphasizes the political configuration and division of Trinidad, between the UNC and the PNM. Moreover, when such a party-based configuration is contrasted with the racial demography, it becomes easily visible that the politics and voting behavior of citizens in Trinidad is closely linked with race. Effectively therefore, the result of the 1996 local government poll serves to emphasize that racial voting divides Trinidad today, and moreover, that party consolidation is closely tied to race-based politics, the concern is whether a local government can really facilitate local participation in government or if, in the Trinidad context, all a local government poll serves to do is to consolidate race- based parties.

Conclusion

38 The 1996 local government poll clearly emphasized the race-based political party structure in Trinidad as was indicated earlier in the 1995 Parliamentary elections. However, in positing that race is a critical consideration in determining party consolidation and support and, by extension, who governs, the more important question which faces the society is that in acknowledging the near, equality between Afro- and Indo-Trinidadians, is the polity condemned to political stalemate? Moreover, in such a context, what scope is there for political stability? While this paper does not propose to offer substantive answers to such questions, certain lessons can be gleaned from the present political scenario.

39 With the near equality of the two dominant races in Trinidad, and with the two major race-based parties drawing their support from their respective racial bloc, both parties must seek to promote the interest of all the differing groups and blocs of the society if

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they are to enhance their chances of electoral success. Put differently, the PNM seems to have been on the decline, if only because there seemingly is the alienation of Indo- Trinidadians from the party. The emphasis, by the PNM leadership, on perceived racial- discrimination of the Afro-Trinidadian community by an Indo-Trinidadian government, as well as the sustained attacks on the supposedly well being of County Caroni, the heartland of the Indo-Trinidadian community, served to push Indo-Trinidadians into the belief that the PNM did not care about them. Indo-Trinidadians thus grabbed at the opportunity to galvanize themselves around the UNC, the « Indian Party » which would have to protect their interest. Such a perspective was further compounded by comments from politicians and political analysts that there was an urgent need to restrict the ascendancy of the Indo-Trinidadians, who had achieved government. In this regard, on the night of the elections, one commentator clearly stated that the Afro- Trinidadian community must band together, if only to put a halt to the continued rise of the Indo-Trinidadians50. Such statements have only served to further concretize and consolidate the Indo-Trinidadian community into one bloc, since what was seemingly being portrayed was that political power did not rightfully belong to the Indo- Trinidadians. In such a scenario, Indo-Trinidadians have been forced onto the defensive and thus it is highly likely that they will continue to vote race, until such a time that they are fully accepted as equals and not as minorities or second class citizens.

40 Of course, at the same time, the UNC, as well as the PNM must strive to become mass- based parties. To this end, both parties must seek to win the support of the citizens of mixed ancestry, as well as those of European, Chinese and Syrian-Lebanese descent. Since these communities comprise 15 percent of the electorate, they could seemingly serve as a good tie-breaker in an election based on party politics with a racial configuration.

NOTES

1. The exact turnout at the polls was 43,82 % of the electorate. See Trinidad and Tobago, Elections and Boundaries Commission, « Report of the Elections and Boundaries Commission on the Local Government Elections Held on Monday, June 24, 1996 », Port of Spain, 1996. 2. In the Parliamentary elections of 1986, 1991 and 1995, the percentage of votes cast against the electorate was 65,45 %, 65,76 % and 63,30 % respectively. See Trinidad and Tobago, Elections and Boundaries Commission, « Report of the Elections and Boundaries Commission on the Parliamentary Elections Held on Monday November 6, 1995 », Port of Spain, 1996, Appendix 8, p. 270. 3. For empirical data on the ordinary citizens appreciation of local government in Trinidad, see Bishnu Ragoonath, Decentralization. Local Government and Develop-ment : Trinidad, 1952-1990, (Unpublished Ph.D. Thesis), The University of the West Indies, 1991. 4. For an extended discussion on the role and functions of local government authorities under Spanish and British colonial administrations, see B. Ragoonath, « Shifting Nature of Decentralization : A Review of the Evolution of Local Government in Trinidad and Tobago », in Indian Journal of Public Adrninistration, vol. 39, n° 4, 1993.

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5. It may be noted that the legislation governing Local Government in Trinidad, namely the Municipal Corporations Act – Act 21 of 1990, makes provision for all corporations to raise revenues and collect taxes. However, specific sections of the Act were not Assented to, by the President, and thus created the division whereby the older Cities, town and Borough councils were allowed to collect such taxes, but not the Regional Corporations. It may also be noted that the UNC-NAR government caused those sections of the Act which were not previously Assented, to get the Assent from the President, a mere week before the 1996 poll. 6. See B. Ragoonath, « Trends in Commonwealth Caribbean Local Government – Part II : The Trinidad Case », in Local Government World, n° 6, December 1995, pp. 10-11. See also Ragoonath, Decentralization. Local Government and Develop-ment : Trinidad. 1952-1990. 7. Trinidad and Tobago, Parliament, « Municipal Corporations Act (n° 21 of 1990) », Port of Spain, 1990, Section 112 (2) d. 8. For a discussion of the emasculation of local government from a community development perspective, see S. Craig, Community Development in Trinidad and Tobago : From Welfare to Patronage, Jamaica, ISER, 1974. 9. See Bishnu Ragoonath, « Decentralization and Structural Adjustment : An Analysis of the Impact of Structural Adjustment to the Decentralization Process in Trinidad and Tobago », in J. La Guerre ed., Structural Adjustment : Public Policy and Administration in the Caribbean, Trinidad, School of Continuing Studies, UWI, 1994. 10. See Trinidad and Tobago, Elections and Boundaries Commission, « Report of the elections and Boundaries Commission on the Local Government Elections Held on Monday 28 September, 1992 », Port of Spain, 1992, Appendix VII(b). 11. See M. G. Smith, « Pluralism and Social Stratification », in Ryan S. ed., Social and Occupational Stratification in Contemporary Trinidad and Tobago, Trinidad, Institute of Social and Economic Research, UWI, 1991. 12. See R. S. Milne, Politics in Ethnically Bipolar states, Vancouver, UBC, 1981. 13. See Milne, Politics in Ethnically Bipolar States, p. 1. 14. See Population data from the 1990 Census, as is found in Trinidad and Tobago, Central Statistical Office, « Annual Statistical Digest 1992 », Port of Spain, 1995. 15. For a general discussion of the tenets of the plural society as it relates to Trinidad, see Smith, Pluralism and Social Stratification. Also see M. G. Smith, Culture. Race and Class in the Commonwealth Caribbean, Jamaica, UWI, 1984. 16. See Colin Clarke, « Spatial pattern and Social Interaction among Creoles and Indians in Trinidad and Tobago », in Yelvington K. ed., Trinidad Ethnicity, Tennessee, The University of Tennessee Press, 1993. 17. Statistics show that Indo-Trinidadians account for 34 % of Public service jobs, 24 % of police Service positions and 10 % of the military. See L. L. Dattoo, « Ethnic Conflict Resolution in Trinidad and Tobago : The Role of Proportionality in Representative Bureaucracy », Journal of Ethno-Development, vol. 3, n° 3, 1994. See also S. Ryan and J. La Guerre, Employment Practices in the Public and Private Sectors in Trinidad and Tobago, St. Augustine, Centre for Ethnic Studies, 1993. 18. See Trinidad and Tobago, Central Statistical Office, « Annual Statistical Digest ». 19. See S. Ryan, Race and Nationalism in Trinidad and Tobago, Toronto, University of Toronto Press, 1972. 20. For a discussion on the evolution of the various « Indian Parties » see B. Ragoonath, « Race and Class in Caribbean Politics », in Plural Societies, vol. 18, n° 1, 1988. 21. For an elaborate discussion on the formation and dissolution of the NAR, see S. Ryan, The Disillusioned Electorate, Port of Spain, Imprint, 1989. 22. PNM leader and Prime Minister Patrick Manning told a PNM elections convention that his party was « the only vehicle for making Trinidad and Tobago a world class society ». See « Speech

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Delivered by Political Leader of the PNM, Prime Minister Patrick Manning at the Chaguaramas Convention Centre », Newsday (Trinidad), 10 october 1995, p. 18. 23. See People’s National Movement, « People’s National Movement Elections 1995 Manifesto », Port of Spain, 1995. 24. See B. C. Pires, « Ah iraid Ramesh », Daily Express (Trinidad), 3 november 1995, p. 8. 25. See The United National Congress, « UNC Manifesto/95 : Plan for Change », Couva, 1995. 26. United National Congress, « UNC Manifesto/95 », Couva, 1995, back cover. 27. See S. Ryan, « Beware the Drums of Indian Arrival », in Sunday Express, January 8, 1995, p. 9. Also see B. Tewarie, « Hinduism, Nation-Building and the State », in S. Ryan ed., The Independence Experience 1962-1987, St. Augustine, The Institute of Social and Economic Research, 1988. 28. See V. Baksh, « I have no regrets’ Manning Toasts the Best Government T&T has ever had », in Sunday Guardian (Trinidad), 3 december 1995, p. 5. 29. See « Ralph Maraj presents first UNC candidate », in Trinidad Guardian (Trinidad), 7 october 1995, p. 1. 30. For a breakdown of the racial composition of constituencies in Trinidad, see Selwyn Ryan, « Communalism vs. Cosmopolitanism : Indian Responses to National Politics in Trinidad and Tobago », paper presented to conference on challenges and change : « The Indian Diaspora in its Historical anal Contemporary contexts », The University of the West Indies, St. Augustine, Trinidad, 1995. 31. Tobago is one of the two islands in the twin-island state of Trinidad and Tobago. In terms of size, it constitutes less than one tenth of land area of the country as a whole and less than 5 % of the population. In terms of local administration, Tobago operates under a Tobago House of Assembly, a different system from Trinidad, and with separate elections, and thus the 1996 local government election, in Trinidad, did not have any direct impact or relevance to Tobago. It is in this context that Tobago has not been given any indepth consideration in this paper. 32. See « Local Government Election on the Horizon », in Trinidad Guardian, December 9, 1995, p. 6. 33. See Trinidad and Tobago Parliament, « Act 36 of 1995 » ; also see K. Maharaj & S. Sheppard, « Local Government Bodies Denied Extra Time », in Daily Express (Trinidad), December 16, 1995, p. 7. 34. See F. Joseph, « Lalla : Nanan wrong “Minister can send no officer on leave” », in Trinidad Guardian, January 3, 1996, p. 1. 35. See « Manning raises prospect of public sector layoffs », in Trinidad Guardian, January 17, 1996, p. l4. 36. See R. Lord, « Panday : I’m no Caroni PM », in Trinidad Guardian, March 28, 1996, p. 1. 37. See R. R. Premdas, « The Anatomy of Ethnic Conflict : Domination Versus Reconciliation », in Ralph Premdas ed., The Enigma of Ethnicity, Trinidad, School of Continuing Studies, 1993. 38. See « Enough is Enough’ Manning : june 24 polls referendum on Govt », in Sunday Guardian, June 2, 1996, p. 1. 39. See « Panday asks voters for the sign », in Sunday Express, June 23, 1996, p. 3. 40. See Peter Richards, « ANR : Win will help NAR to reorganize », in Trinidad Guardian, June 10, 1996, p. 1. 41. The issue of debt forgiveness to Guyana, was viewed in a racial context, whereupon it was an « Indo-Trinidadian » government helping an « Indo-Guyanese government ». See Suzanne Mills, « PNM jury’ delivers guilty verdict on coalition Govt », in Newsday (Trinidad), June 16, 1996, p. 2. 42. Sandra Chouthi, « Manning sees Govt Caroni bias », in Sunday Express (Trinidad), June 2, 1996, p. 1. 43. Stephen Boodram, « Manning : Racist acts under national unity », in Trinidad Guardian, June 10, 1996, p. 1. 44. See « NAR : Victory will make us equal », in Trinidad Guardian, June 19, 1996,

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p. 545. Debra Wanser, « The PNM is now like the DLP », in Sunday Guardian (Trinidad), June 23, 1996, p. 17. 44. See « NAR : Victory will make us equal », in Trinidad Guardian, June 19, 1996, p. 5. 45. Debra Wanser, « The PNM is now like the DLP », in Sunday Guardian (Trinidad), June 23, 1996, p. 17. 46. Yvonne Webb, « Panday : we will not divide country on racial grounds », in Trinidad Guardian, June 6, 1996, p. 3. 47. See Selwyn Ryan, « Round of applause for calypso », in Sunday Express, February 25, 1996, p. 9. 48. It may be noted here that the 10 independent candidates were originally screened and some were even selected as candidates for the UNC, prior to the announcement of the accommodation with the NAR. On the announcement that certain seats were allocated for the NAR to contest, the disgruntled aspiring UNC nominees proceeded to have themselves nominated as independent candidates. 49. In the week preceding nomination day, an accommodation was reached between the UNC and the NAR, whereupon it was decided that the UNC was to contest 90 seats with the other 34 being contested by NAR candidates. However, at nomination day, two persons who were screened and proposed by their respective parties before the accommodation was finalized, proceeded to file nomination papers on behalf of their respective parties. Effectively with these two additional candidates, the 250 persons represented contested the election on a party card. 50. Lloyd Best, an Afro-Trinidadian commentator stated on national television that the pendulum which had swung too far, and as such all Airo-Trinidadian political parties must combine forces to ensure that there is a check on the rise of Indo-Trinidadians to political power.

RÉSUMÉS

Bien que les manifestes des trois partis politiques en lice lors des élections du gouvernement local de Trinidad en 1996, aient suggéré que les élections concernaient surtout des questions locales gouvernementales, il n’en demeure pas moins vrai que les problèmes d’ethnicité, de race et de communalisme ont réellement bouleversé la campagne, dans la course aux élections. Nonobstant le fait que les manifestes étaient centrés sur l’absence presque totale de décentralisation du pouvoir et de l’autorité aux organismes gouvernementaux locaux, les préoccupations d’autonomie locale et le manque d’efficacité du système gouvernemental local, la véritable campagne semble avoir voué ces considérations à un rang auxiliaire dans le contexte électoral. Bien sûr, un tel scénario s’explique par le fait que les élections de 1996 du Gouvernement local se sont déroulées dans l’ombre des élections parlementaires de 1996 et ont, de ce fait, redynamisé les partis politiques autant que ranimé les divisions raciales et même les tensions de la société trinidadienne. Les élections ont effectivement contribué à restructurer et à consolider les blocs raciaux et politiques existants sur la scène trinidadienne.

Whereas the manifestos of the three political parties which contested the 1996 local government elections, in Trinidad, suggested that the elections were really about local government issues, the fact remains that issues of ethnicity, race and communalism served to overwhelm the actual campaigning in the run up to the elections. Notwithstanding that the manifestos focussed on the near lack of devolution of power and authority to the local government corporations, the concerns of local autonomy, and the lack of effectiveness of local government system, the actual

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campaign seemed to have destined these considerations to being ancillary issues within the context of the elections. Of course such a scenario is explained by the fact that the 1996 local government election came in the shadow of the 1996 Parliamentary elections, and as such had the effect of re-energizing party politics as well as racial divisions and even tensions in the Trinidad society. Effectively, the elections served to streamline and consolidate the political and racial blocs which exist in the Trinidad setting.

INDEX

Index géographique : Trinidad-et-Tobago Keywords : communalism, democracy, elections, ethnicity, local government, party politics Mots-clés : communalisme, démocratie, élections, ethnicité, gouvernement local, partis politiques

AUTEUR

BISHNU RAGOONATH University of the West Indies St Augustine

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Un discours de fragmentation : du versuiling à l’apartheid, Pays-Bas et Afrique du Sud, aller et retour

Fernando Rosa Ribeiro

I

1 L’histoire que je vais vous raconter se passe dans plusieurs parties du monde, à partir surtout des deux dernières décennies du XIXème siècle et jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix de ce siècle. Pour moi, pourtant, elle commence en 1993 en Afrique du Sud. C’est un après-midi à Woodstock, un quartier historiquement « gris » (c’est-à-dire, racialement mélangé) de la banlieue du Cap. Je suis chez Fernel Abrahams, un jeune chercheur et chargé de cours au departement afrikaans en nederlands (« département d’afrikaans et de néerlandais ») de l’University of Cape Town. Fernel est en train de m’aider à traduire quelques extraits d’un texte d’un théoricien qui avait projeté dans les années quarante un grand plan d’apartheid. Il s’agit de Geoffrey Cronjé, un sociologue afrikaner1. A un certain point de notre travail, Fernel se tourne vers un copain enseignant dans une coloured township (« quartier métis ») et lui dit que les textes que nous lisons sont écrits en « apartheid afrikaans » (donc pas celui que Fernel et son copain sont habitués à utiliser en tant que Métis afrikaanophones).

2 Quelques semaines auparavant, j’avais été le témoin d’une conversation entre Fernel et le professeur Pheipher, un linguiste afrikaner très connu du département d’afrikaans de l’université. Celui-ci soutenait qu’il existait bel et bien un « Kaapse Afrikaans » ou afrikaans du Cap, parlé par les Métis. Fernel s’insurgeait contre cette notion, tandis que le professeur Pheipher soutenait que la norme officielle de l’afrikaans (appelée algemeen beskaafd afrikaans) avait été construite de façon à rapprocher la langue le plus possible du néerlandais dont elle dérivait (c’est-à-dire, de l’Algemeene Beschaafd Nederlands) et en même temps l’éloigner le plus possible du parler métis et noir du Cap2. Pour Fernel, il n’y avait qu’un seul afrikaans – jusqu’au moment où je l’ai entendu parler d’un « apartheid afrikaans ». Or l’écrivain J. M. Coetzee vient à l’aide de cette

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seconde thèse. Dans un article consacré au langage de Cronjé et au langage de l’apartheid, il en analyse avec rigueur les caractéristiques tout à fait particulières. Cronjé utilise par exemple beaucoup de mots que Fernel avait du mal à traduire en anglais. Comme Coetzee le montre, chez Cronjé l’idée d’apartheid et le langage dont il se sert sont presque « soudés » l’un à l’autre. Il ne s’agit point ici d’une pensée complexe dont les concepts seraient difficiles à saisir. Bien au contraire, le texte de Cronjé étonne plutôt par son sectarisme obsessionnel et ses itérations constantes à propos de la suprême nécessité de l’apartheid pour la survie de la race blanche et des Afrikaners en particulier3. Cronjé utilise un langage de double origine : tout à fait familier, d’un côté, et, de l’autre, tout à fait particulier.

3 Prenons par exemple deurmekaarwonery ou la « cohabitation pêle-mêle » ou « en pagaïe ». Deurmekaar est un mot tout à fait familier et d’usage très courant au Cap. C’est l’un des premiers mots qu’on m’a appris dans cette langue que je ne maîtrise pas toujours. Êk is ‘n bietjie deurmekaar ou « je me suis un peu embrouillé » ; une chambre deurmekaar c’est une chambre en désordre ; une affaire deurmekaar est une affaire compliquée dont il se peut qu’on ne comprenne pas tous les enjeux. A ce terme tout à fait familier, Cronjé ajoute wonery (« habitation » ou plutôt le fait d’habiter), un terme complètement livresque, dont, que je sache, on ne fait aucun usage dans le langage courant, pour créer une nouvelle entité sémantique, deurmekaarwonery (qu’on ne trouvera dans aucun dictionnaire). Ce processus de création linguistique est très répandu chez Cronjé, comme le montre bien Coetzee : Afrikanermoeder (« mère afrikaner »), Afrikanervolk (« peuple afrikaner »), etc. Ce véritable abus de la possibilité de synthèse des langues germaniques (Coetzee rappelle ici l’usage que faisaient les nazis de la langue allemande) a une signification assez importante. Ce langage ne se borne pas à décrire – autrement, on aurait pu avoir recours, comme le note Coetzee, aux formes analytiques de la langue : par exemple, Afrikaanse moeder au lieu d’Afrikanermoeder). Il crée (parfois presque ex nihilo) tout un domaine ; il peuple ce domaine d’entités tout à fait réifiées, divisées entre elles par des différences relevant à la fois de la nature (la race) et de l’histoire, et porteuses d’une lourde mission. Ainsi, les mères ne sont pas seulement des mères d’origine afrikaner, mais des Afrikanermoeders qui sont les « protectrices de la pureté du sang de la Boerenasie (« nation Boers »)4.

4 Deurmekaarwonery désigne pour Cronjé une situation (très indésirable) où des Blancs, des Métis et des Bantous habitent tous « pêle-mêle » dans le même quartier, voire dans la même rue. Cette situation est un danger pour le maintien de l’identité (et de la blancheur) des Afrikaners : les enfants qui grandissent dans de tels quartiers finissent par mêler leur sang à celui de leur voisins, par des mariages « mixtes ». En outre, le deurmekaarwonery est pour Cronjé à l’origine d’une situation sociale de totale indifférenciation : le mengelmoes-samelewing ou « société pâte ». Ici aussi s’agit-il d’un terme familier – mengelmoes (bouillie, pâte ou pâtée, mais aussi mélange et confusion)5 samelewing ou « société ». L’état de mengelmoes est un état d’indifférenciation totale où toutes les identités – raciales, ethniques – sont dissoutes dans un chaos social absolu, ne laissant que des individus isolés et sans attaches (losse individue). Cet état de fait – représenté pour Cronjé par le danger (gevaar) du mélange du sang à travers le mariage ou les relations sexuelles entre les races (bloedvermenging) – fascine Cronjé, puisque, comme le remarque Coetzee, il y revient tout le temps. En outre, cette situation selon lui menace toujours la « société » sud-

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africaine (qu’il met entre guillemets parce que elle ne lui semble point une vraie société puisque toutes les « communautés des peuples » ou volksgemeenskappe s’y trouvaient mélangées durant les années quarante, juste avant le début de l’apartheid avec la victoire en 1948 du Nasionale Party afrikaner). L’apartheid pour Cronjé est le seul moyen de préserver (handhaaf) la différence (eie, celui qui est propre à chacun), que celle-ci soit la différence des Afrikaners ou celles des Bantous ou encore des Métis (kleurlinge)6. Comme le montre Coetzee, le discours de Cronjé est une véritable eschatologie de la différence fondée sur le danger suprême représenté par le bloedvermenging ou le mélange du sang, où Cronjé joue le rôle d’un « patriarche fondateur » d’un territoire tout à fait à lui. Et cela va sans dire, apartheid, quoiqu’il soit un terme antérieur aux textes de Cronjé, est aussi un mot fabriqué, comme on le verra ci-dessous.

5 La question est : comment relier cette pensée apparemment si locale, si spécifique, qu’est l’apartheid – et pire encore, l’apartheid chez Cronjé – à un ensemble conceptuel plus vaste ? Le lien que je vais proposer ici n’est pas tout à fait original, puisque d’autres l’ont indiqué bien avant moi7. Aussi ne s’agit-il pas d’une généalogie, ni d’une « paternité » ou d’une « maternité » à proprement parler, mais plutôt peut-être d’un parrainage un peu lointain et diffus. Pourtant, il ne m’en paraît pas pour autant moins important. L’origine même du terme apartheid fait ressortir d’une certaine manière ce lien. Selon Hexham, le terme serait apparu pour la première fois dans une revue calviniste sud-africaine sous la plume d’un théologien et pasteur néerlandais « néo- calviniste » ou « calviniste orthodoxe ». Le terme a été utilisé pour accentuer la nécessité de maintenir les Afrikaners séparés des Anglais dans leurs propres écoles afin qu’il puisse ainsi préserver leur langue et leur identité : cela se dégage de toute la littérature sur le nationalisme dans ses premières décennies (et n’a jamais perdu son importance, même aujourd’hui). Comme l’a dit le poète et nationaliste afrikaner C. J. Langenhoven dans son plaidoyer de 1912 pour l’afrikaans (« Afrikaans as voertaal » ou « L’afrikaans comme langue véhiculaire »), on ne peut vraiment s’exprimer que dans sa langue maternelle8. Il s’agit ici d’un plaidoyer tout à fait romantique : l’anglais ne peut pas l’emporter sur l’afrikaans, qui doit être non seulement préservé mais activement promu en tant que langue véhiculaire (comme il le sera effectivement dans les sept décennies postérieures à ce plaidoyer). Il n’y a aucune possibilité de vraie expression ou d’expression authentique en dehors de sa propre langue maternelle. Langenhoven ne reconnaît aucune possibilité d’assimilation linguistique ou culturelle : pour lui, l’assimilation ne peut être que très pernicieuse parce qu’elle représente toujours une oppression indésirable et la fin de la spécificité afrikaner. Comme chez Cronjé, toute assimilation est dangereuse et doit être combattue.

6 Les débuts du mouvement nationaliste sont indissolublement liés à la question linguistique et à celle de l’enseignement. Il s’agit ici du mouvement pour une éducation Christelike-Nasionale, une éducation calviniste et ethnique (et non une éducation « chrétienne-nationale » comme le ferait croire une traduction littérale). Ce mouvement pour l’éducation séparée des enfants afrikaners dans des écoles calvinistes de langue véhiculaire afrikaner (des écoles financées pourtant par des subventions de l’Etat) est fortement influencé dès ses origines par des pasteurs calvinistes orthodoxes venus des Pays-Bas, comme le montre Hexham dans son travail. Au début de ce siècle on recevait même de très importantes subventions des calvinistes orthodoxes des Pays- Bas pour le fonctionnement de ces écoles. Comme le montre van Koppen (voir la note 7), le leader calviniste Abraham Kuyper était lui-même très impliqué dans ce processus

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et faillit même se rendre personnellement au Transvaal. Il faisait aux Pays-Bas, dans son journal, des plaidoyers constants en faveur de ses stamgenoten (« cousins ») Boers. Van Koppen montre même que Kuyper, qui était devenu Premier ministre des Pays-Bas au début du siècle, et qui avait été en un premier temps très anglophile, s’était par la suite retourné contre la Grande-Bretagne à cause de la guerre Anglo-Boers de 1899-1902.

7 Or, comme on le sait grâce à plusieurs études importantes, le mouvement calviniste orthodoxe (parfois appelé, surtout dans les études concernant l’Afrique du Sud, de « néo-calvinisme ») de la seconde moitié du XIXème siècle aux Pays-Bas (métropole coloniale de l’Afrique du Sud jusqu’à ce que la Grande-Bretagne n’obtienne la colonie de plein droit à partir de 1815) est à la racine d’un système politique qui a duré à peu près quatre-vingt ans. Il s’agit ici du fameux système de verzuiling, de division verticale de la société néerlandaise. Verzuiling vient de zuil (« pilier ») et désigne la division de la société en « piliers » (zuilen), ou structures verticales9. Le noyau du système est une notion développée par l’important théologien et homme politique Abraham Kuyper. Cette notion est celle de soevereiniteit in eigen kring ou« souveraineté dans son propre cercle », le gouvernement n’ayant pas le droit d’intervenir dans l’administration des différentes communautés du pays. Surtout, chacune d’entre elles aurait le droit d’avoir ses propres écoles. Alliés aux catholiques du sud des Pays-Bas (historiquement discriminés et maintenus à l’écart de la nation), les calvinistes orthodoxes (appelés Gereformeerden en néerlandais pour les distinguer des hervormden qui appartenaient à l’église calviniste officielle) se sont insurgés contre la vision officielle – libérale et assimilatrice – de la nation néerlandaise comme une nation protestante (hervormd)10. L’éducation était un enjeu très important pour les élites protestantes libérales du nord qui croyaient représenter la nation, car par l’éducation seraient assimilés les couches populaires et les autres dissidents religieux, comme le montre van Rooden (voir la note 9). La discrimination perpétrée par cette élite contre les dissidents calvinistes et les catholiques donna naissance non pas à un vrai processus d’assimilation dans la première moitié du XIXème siècle, mais au bout du compte à une résistance de masse qui en 1917 faillit déchirer le pays. Après la grave crise politique de 1917, les élites de chacun des piliers s’accordèrent pour mener une « politique d’accommodation » dont les caractéristiques sont décrites dans l’étude célèbre d’Arend Lijphart (voir la note 9). Cette politique se fondait sur l’axiome kuyperien de souveraineté dans son propre cercle.

8 Van Koppen montre que Kuyper était un propagandiste actif doublé d’un homme politique avisé. Il créa une presse calviniste orthodoxe, fonda un parti (le Parti Anti- Révolutionnaire) et une université (celle-ci existe toujours à Amsterdam)11. Van Rooden montre qu’il réécrivit habilement l’histoire néerlandaise comme celle d’un peuple divisé en trois parties, désignées par le néologisme volksdelen, « parties ou sections du peuple ». Les trois volksdelen (fondements des trois grands piliers) seraient les calvinistes, les catholiques et les incroyants (socialistes), les libéraux formant un quatrième pilier, de moindre importance. Ces trois groupes, selon l’historiographie kuypérienne, auraient été à l’origine de la nation néerlandaise au XVIème siècle. En réalité, comme l’a indiqué Van Rooden dans son étude récente, en dépit de très anciennes divisions religieuses, les trois volksdelen n’étaient nullement à l’origine de la nation néerlandaise. Tout au contraire, les volksdelen avaient fait leur apparition vers le dernier quart du XIXème seulement et ne s’étaient consolidés en tant que piliers qu’après les accords de 1917 (après lesquels les libéraux avaient été contraints

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d’atténuer leur universalisme assimilationniste pour devenir, à contre-cœur, un quatrième pilier à côté des piliers religieux et du pilier socialiste). Pour van Rooden, les piliers religieux – autour desquels le système s’était formé – n’étaient point des survivances historiques d’un passé renaissant que la pensée libérale et protestante (hervormd) avait essayé d’effacer, mais plutôt le produit de stratégies politiques et culturelles très modernes où l’élément religieux avait été utilisé très habilement comme facteur de rassemblement. Au lieu de relever d’une communauté déjà existante, les calvinistes orthodoxes auraient en réalité créé de toutes pièces une communauté aux liens très denses, et cela vaut aussi pour le pilier catholique qui, quoique se fondant sur une communauté préexistante, a dû la rebâtir de fond en comble pour faire face aux enjeux politico-culturels de l’époque. Pour van Rooden, le système des piliers ou verzuiling a été la forme – très particulière, il est vrai – par laquelle de larges couches de la société néerlandaise ont accédé à la citoyenneté (jusque-là réservée plutôt à l’élite protestante libérale des grandes villes de l’ouest du pays). En outre, comme le suggère van Rooden, ces piliers, plutôt que de simples groupements religieux ou politiques, furent en réalité des ensembles ethno-religieux, comme le laisse déjà supposer la dénomination même de volksdelen. Ici, la religion a un rôle tout à fait différent de celui qu’elle avait dans la société néerlandaise traditionnelle (celle d’avant les bouleverse-ments révolutionnaires de la fin du XVIIIème et du début du XIXème siècles). Selon van Rooden, la religion devient ici signe ethnique ou une marque de différence de groupe (comme par exemple dans le cas paradigmatique de la rupture ou schisme – Afscheiding – conduit par les orthodoxes), utilisé ensuite avec tant de succès dans les combats politiques et culturels que les avocats libéraux de la nation indivise et unitaire comme de l’école publique furent finalement contraints à se constituer eux aussi en un pilier libéral.

9 Inutile d’essayer de décrire ici le fonctionnement du verzuiling. Les Néerlandais m’en voudront pour l’avoir dit, mais c’était un véritable apartheid, sauf dans la dénomination et sauf par le fait (très important pourtant) qu’il n’a pas été imposé par la contrainte. Le système n’était pas non plus aussi obsessionnel que l’apartheid, d’une part parce qu’il n’avait pas à être constamment imposé par la force, contrairement à l’apartheid, et d’autre part parce qu’à travers le verzuiling une grande partie de la population néerlandaise put accéder à la citoyenneté pleine, pour ne rien dire de la pleine démocratie12. Pourtant, et en dépit d’énormes et très importantes différences de circonstance et de structures sociales entre les Pays-Bas et l’Afrique du Sud (pour ne rien dire de leurs trajectoires historiques très différentes), les deux systèmes se rassemblaient assez, au moins dans leur principe, sinon dans leur pratique. Aux Pays- Bas, on vivait dans son propre cercle : les piliers possédaient souvent leurs propres écoles, du jardin d’enfants à l’université13 ; leurs propres médias ; leurs hôpitaux, avec leurs propres services d’ambulance ; et bien sûr leurs partis politiques, leurs syndicats, leurs associations patronales, pour ne rien dire de leurs associations de jeunesse qui empêchaient que les jeunes d’un pilier se mêlent à ceux des autres piliers durant les heures de loisir. Bien sûr, au contraire de l’apartheid il n’existait pas de législation draconienne établissant des interdictions et des pénalités rigoureuses. Il n’y avait pas non plus d’interdictions de déménager d’un quartier à l’autre ou d’une partie à l’autre du territoire (par exemple, le tristement célèbre influx control), ni des groepgebiede ou group areas, de véritables quartiers juridiquement réservés à un seul groupe, pour ne rien dire des forced removals, déménagements forcés de millions d’habitants vers les tuislande ou homelands, les « foyers natals » sensés être les noyaux de nouvelles

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nations africaines artificielles. Aux Pays-Bas ce système jouissait d’un certain consensus14, dont ne pouvait naturellement bénéficier l’apartheid en Afrique du Sud. Cependant, le taux de mariage, ainsi que les contacts quotidiens entre personnes de différents piliers étaient très faibles. En outre, on raconte des histoires tout à fait étonnantes, surtout à l’égard de la vie dans de petits villages où on ne pouvait pas acheter de chaussures dans un certain magasin ni faire ses courses dans un autre dont les patrons n’appartenaient pas au même pilier que les clients. Il est vrai, comme le montre Lijphart, qu’au plus bas de l’échelle sociale, les piliers étaient les moins contraignants, et au niveau des élites dirigeantes les plus marqués et par conséquent les plus fermés. Néanmoins, partout dans la société, ils ont laissé leur marque (plus ou moins visible aujourd’hui encore). Comme le montre van Rooden, l’ontzuiling ou désagrégation des piliers, accompagné, selon lui, du plus rapide et étonnant processus de laïcisation d’une société européenne (les Pays-Bas se sont transformés d’une nation très religieuse en une nation assez laïque en une vingtaine d’années) s’est vraiment achevé à l’occasion des élections de 1994 quand, pour la première fois en à peu près 80 ans, aucun parti religieux ne s’est trouvé représenté au gouvernement, et qu’un parti libéral est devenu un partenaire très important dans le gouvernement de coalition. La nation libérale et unitaire de la première moitié du XIXème siècle connaît ainsi un nouvel essor à la fin du XXème siècle, après des décennies du système des piliers. Comme par coïncidence, c’est aussi en 1994 que fut élu le premier gouvernement démocratique fondé sur le suffrage universel en Afrique du Sud, où la démocratie était jusque-là réservée à une petite minorité raciale d’électeurs et d’élus15.

II

10 Cependant, ce discours qu’on pourrait qualifier de « discours de la fragmentation » n’est nullement une idéologie élaborée qui aurait été en quelque sorte exportée des Pays-Bas vers l’Afrique du Sud. Il faut rappeler ici que les Afrikaners ont construit leur identité en commençant par répudier les liens historiques avec les Pays-Bas, dont le rejet du néerlandais au profit de l’afrikaans fut le principal signe. Il n’y eut ici aucun discours assimilationniste, « pan-néerlandais » auquel on puisse se rattacher aisément, sauf quelques idées émises à la fin du XIXème siècle, en partie par Kuyper et son entourage, hormis aussi l’existence d’une certaine solidarité pendant la guerre Anglo- Boers16. Quoique la perception d’un lien entre les deux populations, néerlandaise et afrikaner, n’ait jamais disparu des représentations de deux côtés, elle a souvent été assez faible17. L’historienne néerlando-américaine Frances Gouda nous donne peut-être la clef qui nous manque ici, dans son étude de l’identité coloniale aux anciennes Indes Néerlandaises (aujourd’hui l’Indonésie). La diaspora néerlandaise, nous dit-elle, à la différence de maintes autres diasporas, se livrait à une « réinvention de soi » (self- invention) lors de son implantation outre-mer. En s’appuyant sur l’ouvrage de Simon Schama, Gouda suggère que ce processus de « réinvention de soi » aurait eu son origine dans l’histoire même des Pays-Bas : l’ancienne « république » néerlandaise18 aurait surgit d’une véritable révolution (a Protean tour de force) à partir d’une « collection amorphe de villes et de villages » en un acte ressemblant à la parthénogenèse. Comme le montre Schama, cet ensemble social plutôt chaotique n’avait vraiment rien en commun, ni une religion, ni une langue et pas même une histoire. Ce qui unit – très souplement d’ailleurs, puisque la fameuse Union d’Utrecht n’était qu’une bondsgenootschap, une association souple – les différentes provinces

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fut la haine de l’influence centralisatrice de la couronne espagnole (sous le règne de Philippe II) dans sa volonté d’abolir les privilèges féodaux des villes et des villages, traditionnellement assez indépendants de toute tutelle. Ce véritable attentat contre les pouvoirs locaux déclencha un processus long et complexe de rejet de la couronne espagnole – la seule chose qui unissait ces pays dépourvus même d’une dénomination commune. Avant même la victoire militaire et la libération totale des territoires du nord de l’Escaut, les provinces se mirent à s’inventer une histoire et à établir ce qu’elles étaient censées avoir en commun19. Paradoxalement, comme Schama l’explique, les provinces se sont unies pour ne pas devenir une nation : l’union avait pour but de maintenir les divers privilèges et usages locaux. Autrement dit, la fragmentation et son maintien furent à l’origine même de cette nation très particulière pour l’époque. Ce que Gouda appelle « cette habitude néerlandaise particulière de réinvention de soi » aurait été ensuite reproduite ailleurs. Cela expliquerait, en outre, le grand paradoxe posé par la diaspora et l’expansion néerlandaises, à savoir, le fait qu’une culture connue comme un modèle de tolérance et de pluralisme politique ait donné naissance à une diaspora (l’Afrique du Sud, l’Indonésie et le Suriname) « défigurée par la violence et le sectarisme », pour emprunter les mots de Schama20.

11 Selon Gouda, les « notions de société civile » et les « attitudes envers les non- Calvinistes » se seraient « répandues » – comme dans le grec diaspeirein – ailleurs. Ce processus de diffusion auraient donné origine à des « significations nouvelles et subtiles » dans certains cas (l’Amérique du Nord, par exemple) ; dans d’autres cas, les « usages et traditions politiques » néerlandais se seraient « déformés » pendant le processus d’émigration, comme dans le cas des Boers d’Afrique du Sud qui seraient devenus, dans la brousse africaine, des « caricatures macabres » de la « néerlandité »21. J’ai essayé ailleurs de travailler sur la question du côté sud-africain22. Il suffit de dire ici que cette notion de réinvention de soi est intéressante et féconde dans un contexte où on ne peut se rattacher à aucune idéologie explicite. Car les Néerlandais eux-mêmes insistent toujours sur le fait que leur colonialisme était fondé presque exclusivement sur le commerce : sauf très tardivement, vers le dernier quart du XIXème siècle, et surtout au Suriname (considérée comme la plus néerlandaise des colonies des Pays-Bas voire comme la « douzième province » néerlandaise), il n’y eut aucun projet assimilationniste à la française. Les résultats peuvent en être perçus partout : à l’exception du Suriname (et même là il faut faire état de plusieurs langues locales) et de la langue officielle (écrite) aux Antilles Néerlandaises et à Aruba, on ne rencontre nulle part la langue néerlandaise, sauf métamorphosée en afrikaans en Afrique du Sud. La religion publique (mais pas officielle) de la République, le calvinisme, n’est que l’apanage de petites élites, souvent blanches. Tandis que les chefs d’état lusophones se rencontrent souvent à Lisbonne ou à Rio pour entretenir les anciens liens et parler une langue commune à tous en des rencontres parfois assez émouvantes (il existe même une Communauté des Pays de Langue Portugaise, dont les membres sont le Portugal et six anciennes colonies portugaises), on n’entend jamais dire que les pays issus de la diaspora néerlandaise (pour lesquels, fait révélateur, il n’existe aucune désignation collective) se rencontrent à La Haye. Les relations entre les Pays-Bas et leurs anciennes colonies sont d’ailleurs plutôt tendues, comme aujourd’hui celles de l’Indonésie et du Suriname avec leur ancienne métropole ; et il va sans dire qu’il n’existe aucune communauté « néerlandophone » au sens large (d’ailleurs, il n’en existe pas en-dehors des Pays-Bas, de la Belgique et du Suriname, ces deux derniers pays n’étant qu’en partie de langue néerlandaise).

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12 Serions-nous donc à la recherche d’une chimère ? Le diaspeirin ou l’éparpillement néerlandais dans le monde, s’est-il traduit par tant de « réinvention de soi » que l’on en perde de vue tout tronc commun ? Il ne faut pas sous-estimer les grandes différences entre les anciennes colonies néerlandaises. Néanmoins, en dépit des différences, il existe ici et là des signes qui deviennent, quand on approfondit les choses, assez révélateurs. Bien sûr, ce que j’appelle ici la fragmentation n’est point un apanage néerlandais, comme le démontrent, par exemple, maintes anciennes colonies anglaises à travers le monde, des Fidji à Trinidad, pour ne rien dire de la Belgique et des anciennes colonies belges en Afrique. Pourtant, la fragmentation poussée à l’extrême semble être presque typiquement néerlandaise : quoique la diaspora n’ait point créé de fragmentation partout et toujours, elle a légué au monde l’apartheid sud-africain, les piliers néerlandais, les piliers ethniques du Suriname (toujours présenté comme le meilleur exemple de société « plurielle », une conception qu’on trouve un peu partout dans les Etats issus de la colonisation néerlandaise) et le merveilleux échiquier administratif et juridique des Indes Néerlandaises d’avant 1942 (un système dont la ressemblance avec l’apartheid est étonnante)23. Partout on voit au moins une tendance centrifuge, sans qu’il y ait pour cela une idéologie codifiée de la fragmentation. Plutôt, peut-être, s’agit-il ici d’une pratique qui semble assez souvent amener à la fragmentation.

13 Les signes sont devenus sans aucun doute plus puissants au XXème siècle. J’ai été particulièrement étonné de constater que dans les années 30 et 40 il existait bel et bien un langage, issu des Pays-Bas, qu’on découvrait un peu partout, dans la bouche des fonctionnaires coloniaux aux Indes et au Suriname ou dans la bouche des nationalistes afrikaners, pour ne rien dire des hommes politiques néerlandais de l’époque, comme le fameux Premier ministre Colijn. Geoffrey Cronjé avait obtenu son doctorat en sociologie à l’Université d’Amsterdam dans les années 30, et il parlait, par exemple, comme beaucoup d’autres ailleurs, de volksgemeenschappen (volksgemeen-skappe en afrikaans), des « communautés de volk ». Le même terme apparaît dans les écrits de Kielstra, ancien administrateur colonial aux Indes, ami de Colijn. Il avait été transféré au Suriname en 1933, dans un des ces actes typiques du colonialisme. Dans ce pays il essaya de renverser le processus d’assimilation des créoles (Creolen) noirs et de procéder à la promotion des communautés indienne et javanaise du pays (un processus connu comme verindisching ou « indianisation » du Suriname, c’est-à-dire sa transformation dans une colonie sur le modèle des Indes)24. Enfin, on trouve un peu partout la même idée selon laquelle l’assimilation serait nuisible et que le respect des différences et des cultures locales serait la condition d’une évolution sociale saine.

14 Il ne faut pas s’étonner en outre qu’un peu partout, mais surtout en Afrique du Sud et aux Indes, on rencontre un émiettement du droit. Aux Indes, par exemple, on assista, avec le concours du célèbre juriste de Leyden, Cornelis van Vollenhoven, à la construction du vaste et très ambitieux édifice de l’adatrecht, une expression hybride, à la fois malaise et néerlandaise, un néologisme donc, qui peut être maladroitement traduite comme « droit coutumier ». Cet édifice fut construit sur place avec le concours des ethnographes-juristes, une catégorie de fonctionnaires à peu près spécifique aux Indes Néerlandaises. A chacun son « droit », tel était l’axiome de ce système, le gouvernement des Pays-Bas étant l’arbitre final de qui était qui et à qui revenait quel droit dans quel contexte25. Ainsi, l’épouse néerlandaise d’un étudiant indonésien (inlander – « indigène ») marié à lui en métropole devenait automatiquement inlander

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elle-même, ainsi que ses enfants, même si elle n’irait toucher jamais le sol des Indes Néerlandaises. Elle devenait donc étrangère dans son propre pays. Les Japonais étaient des Européens honoraires, comme ils le seraient d’ailleurs plus tard en Afrique du Sud. En outre, quelqu’un pouvait être considéré comme européen pour un prêt bancaire, mais chinois (une des trois catégories de ce système au fondement tripartite) devant les tribunaux. Il y a avait aussi les fameux Staatsblad Europeanen, ou les « Européens du Journal officiel » dans lequel, comme plus tard dans le Government Gazette en Afrique du Sud, on devait publier tous les changements de statut ; il s’agissait de gens officiellement classés comme Européens (disons, la femme indigène d’un fonctionnaire néerlandais et leurs enfants) mais qui ne l’étaient pas « vraiment »26. Dans la pratique, il s’agissait d’un système presque kafkaïen où qui était qui à propos de quelle affaire pouvait devenir une question assez épineuse. A l’adatrecht indo-néerlandais, il faut ajouter le bantoereg (« droit bantou ») sud-africain, plus tard devenu inheemse reg ou « droit autochtone ou indigène ». Et à l’Université Stellenbosch, le principal centre académique sud-africain, le département d’anthropologie se trouvait toujours en 1995 juste à côté de la salle de l’enseignant de droit indigène. C’est parce qu’en Afrique du Sud aussi les anthropologues devaient être à la fois juristes, administrateurs et conseillers du gouvernement à propos des « affaires bantoues » (plus tard devenues des « relations plurielle » et encore plus tard du « développement constitutionnel »). Ici aussi à chacun revenait son propre droit, le problème de la classification adéquate des gens et des groupes et de la description des droits qui leur revenaient demeurant délicat27.

15 Je ne peux pas m’attarder ici sur la Caraïbe néerlandaise, qui n’a jamais eu de système semblable ; et pourtant cet émiettement du droit n’est point absent ici, comme l’indiquait jadis l’« indianisation » du Suriname et comme l’indique aujourd’hui l’existence d’un Antilliaanse recht (« droit antillais ») et un Arubaanse recht (« droit arubéen ») respectivement aux Antilles Néerlandaises et à Aruba. Quoique ceux-ci ne soient point des droits tout à fait différents de ceux de la métropole, l’existence même de ces dénominations laisse déjà supposer une différence (liée au fait que ces deux territoires sont des « pays » ou landen autonomes par rapport au royaume des Pays- Bas, et, au-delà de cette réalité constitutionnelle et juridique, au fait de que les Antillais et les Arubéens sont marqués par l’altérité aux yeux des Néerlandais métropolitains et vice versa). On me reprochera peut-être d’avoir invoqué ici, dans ces quelques pages, des liaisons qui ne vont pas de soi entre des aires géographiquement distantes et des époques un peu éloignées les unes des autres. De même me reprochera-t-on peut-être aussi la mention d’un émiettement du droit, comme si cela relevait d’une pratique néerlandaise qui se ressemblerait partout où elle se manifesta. Il est bel et bien vrai qu’il n’y eut point, dans ces domaines, de politique néerlandaise cohérente, que l’on puisse dégager de ces faits. Il n’y eut que des situations dissemblables, exigeant des réponses pratiques et immédiates. Il ne s’agit point ici, par conséquent, d’une grande théorie de civilisation et de gouvernement, disons, à la néerlandaise, mais plutôt des réponses locales, spécifiques, des interventions de faible portée théorique liées à des agencements immédiats. Cependant, tout cela, si spécifique qu’il soit, si lié qu’il soit à des situations qu’on a du mal à comparer, tout cela a, pour emprunter une expression au philosophe autrichien Wittgenstein, un « air de famille », une parenté qu’on est presque contraint de relever. Le problème est toujours que la fragmentation même de ce qui m’occupe ici m’empêche de créer une grande théorie de la colonisation néerlandaise. Il y a trop de différents adat ici pour qu’on puisse les mettre tous dans un

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même cadre. Comment saisir alors le discours multiple de la diaspora sans fabriquer une chimère ?

16 Il faudrait ici une démarche à la fois plus humble (parce qu’elle tiendrait compte des spécificités) et plus ambitieuse (puisqu’elle permettrait pourtant de comparer). D’abord, il y eut les discours portant sur les différences, qu’on semble rencontrer partout, et qui ont souvent fondé les divers systèmes locaux de fragmentation. Le fait le plus remarquable ici est la valeur de la différence comme signe (comme l’indique Van Rooden en ce qui concerne les piliers néerlandais) et comme stratégie de modernité (tant le cas néerlandais que le cas afrikaner sont ici paradigmatiques)28. Aussi, la différence a-t-elle ici acquis un contenu après avoir été posée. En outre, un peu partout, les discours de la différence furent souvent très radicaux (de façon meurtrière même, comme nous le montra à plusieurs reprises l’histoire de l’Afrique du Sud, de l’Indonésie et même celle du Suriname). Arend Lijphart avait déjà remarqué qu’une caractéristique des piliers était un discours très radical à l’intérieur de chacun d’entre eux (un discours ouvertement anti-catholique et anti-mécréant dans le pilier orthodoxe, anti-calviniste et anti-socialiste dans le pilier catholique, etc.) contrastant beaucoup avec le langage plus diplomatique utilisé lors des rencontres entre les élites de chaque pilier pour s’accorder sur une politique nationale. Van Koppen remarque aussi le caractère de radicalisme idéologique extrême du discours kuypérien. Au Suriname aussi, comme on le sait, le discours interne à chaque pilier ethnique du pays n’a rien de diplomatique, au contraire, et pourtant lorsque les élites de chaque parti se rencontrent pour trouver un consensus et former un gouvernement (nécessairement de coalition, comme aux Pays-Bas), le radicalisme est mis de côté29. Cependant, comme le note Lijphart, le radicalisme risque souvent de plonger la société dans de très graves bouleversements (comme aux Pays-Bas lors de la crise de 1917), puisque pratiquement aucun mécanisme d’assimilation des différences n’est ressenti comme légitime par toutes les parties (et qu’il n’existe même aucun substrat commun auquel s’assimiler...). La petite île de Curaçao, qu’un écrivain local a décrit très à propos comme une « admirable anarchie » représente aussi un cas de fragmentation extrême, comme j’ai pu le remarquer pendant ma recherche sur le terrain. L’île est profondément divisée entre un grand nombre de petits groupes qui prennent le pouvoir les uns après les autres sans arriver à dégager aucun consensus durable sur quelque question que ce soit, comme le montrent les désaccords très graves autour du statut de la langue locale (le papiamentu) dans l’enseignement30. En Afrique du Sud, il n’y avait point non plus de consensus avant 1994.

17 Donc, à la « réinvention de soi-même » s’est fréquemment superposé un puissant radicalisme intra-ethnique ; le consensus se rencontrait plus en métropole que dans la diaspora, même si les oppositions n’étaient pas plus absentes de métropole que le consensus inconnu de la diaspora. Partout, en métropole et ailleurs, existait une perception distincte des autochtonen (autochtones) et des allochtonen (« étrangers »). Les deux termes sont typiquement néerlandais, et il existait des versions locales un peu partout dans la diaspora (par exemple, dans ses textes, Cronjé parle souvent des inheemse et des uitheemse). Souvent, les « étrangers » sont des groupes très nombreux et même majoritaires, comme dans les cas d’Aruba et du Suriname, et dans celui des Noirs d’Afrique du Sud d’après la vision de l’apartheid. Parfois, il s’agit de minorités très importantes, comme les « Chinois » de l’Indonésie, ou les groupes d’origine immigrante de Curaçao. On ne tolère nulle part le mengelmoes-samelewing

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ou la « société-pâte » de Cronjé. Les identités doivent être tranchées, et on doit toujours établir à qui revient tel adat...

18 Il n’y a peut-être rien d’étonnant dans tout cela. Un pays – ou, plutôt, une agrégation de petits pays – qui n’avait jamais eu de pouvoir central fort jusqu’au XIXème siècle et qui vers la deuxième moitié de ce même siècle repoussait déjà ce pouvoir assimilateur tardif, ne pouvait offrir à ses colonies qu’un miroir de diversité et de fragmentation où les peuples coloniaux ne pourraient trouver que leurs propres versions de la différence et de la fragmentation. Les liens entre le verzuiling et l’apartheid sont, dans ce sens, aussi faibles que forts : quelques prêtres néerlandais envoyés en Afrique, quelques étudiants venus aux Pays-Bas, et voilà la fragmentation en version sud-africaine. Le paradoxe de la diaspora néerlandaise posé par Schama et relevé par Gouda, celui d’une nation tolérante donnant naissance à une diaspora intolérante, n’est vraiment pas là. Non seulement parce que les Pays-Bas ne sont pas si tolérants, après tout, mais aussi parce que c’est autour de la différence – ses conceptions, ses réifications – qu’il faut chercher, dans chaque cas particulier, le mouvement de la diaspora, le processus de diffusion d’une pensée mouvante qui arrive à produire, comme dit Gouda à propos des Boers, des « caricatures macabres ». L’apartheid n’aurait jamais produit la démocratie en Afrique du Sud, sauf par son dépassement radical, tandis que la division en piliers a démocratisé la société néerlandaise et, en le faisant, s’est éteinte. Cela est pour moi le vrai paradoxe, s’il faut absolument qu’il y en ait un : les piliers, les catégories ethniques, les classifications, nous parlent toujours, et souvent à très haute voix, dans un discours d’un radicalisme parfois effrayant, de leur différence, de l’injustice historique commise contre eux. Pourtant, dès qu’arrive la démocratie, ils s’effondrent. On renonce alors à la différence, pourtant jusqu’alors férocement protégée. Le paradoxe (peut-être en est-ce un seulement en apparence) est qu’il est nécessaire de se différencier pour plus tard se dissoudre dans une nation commune. Cependant, cette nation n’est jamais regardée comme réalisée : aux Pays-Bas, aujourd’hui encore, les anciens et les nouveaux immigrants, comme d’ailleurs à Aruba, sont considérés comme empêchant la nation de s’achever. Il en est de même en Afrique du Sud ou en Indonésie, où des minorités sont censées menacer la nation.

19 La question sur laquelle je voudrais finir est la suivante : s’agit-il ici d’un mouvement pendulaire, où la nation commune succéderait à la nation divisée comme celle-ci à son tour avait succédé au projet d’une nation commune ? Existerait-il un mouvement créant la fragmentation pour ensuite l’abolir et plus tard encore la rétablir sur de nouvelles bases, comme si la société était toujours enceinte d’elle-même, quoiqu’on puisse difficilement dégager une généalogie précise qui fasse dériver l’une de l’autre, surtout à travers le temps et à travers les migrations ? Je ne connais pas assez mon sujet pour répondre à cette question. Néanmoins, s’il y a un paradoxe, selon moi, c’est celui d’une mengelmoes-samelewing, d’une société-pâte dont la perspective est toujours crainte et repoussée, le paradoxe d’un discours de fragmentation qui crée des Afrikaners là où auparavant il n’y avait que quelques fermiers dans la brousse et quelques prolétaires en ville, qui dégage des Arubéens avec une généalogie véritablement millénaire où il n’y avait qu’une poignée de familles perdues au milieu d’un paysage sec dans une île oubliée d’une petite colonie pauvre, pour ne rien dire de ces étranges Européens, les Néerlandais, issus des populations riveraines très disparates habitant un delta marécageux, un discours (ou plutôt de plusieurs discours) qui les crée pour les dissoudre à nouveau, peut-être pour les faire apparaître à nouveau, plus tard, ou plus loin, métamorphosés parfois en « caricatures macabres ». S’il y a une

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vraie deurmekaarwonery, ce sera bien la cohabitation pêle-mêle à travers l’histoire et les migrations, de toutes ces diversités, sans qu’aucun concept puisse vraiment les rassembler pour nous en un ensemble cohérent, voire leur donner une explication satisfaisante.

NOTES

1. A propos de Cronjé, voir le texte de l’écrivain et critique littéraire sud-africain J. M. Coetzee, « The Mind of Apartheid : Geoffrey Cronjé 1903 », in Social Dynamics 1, 1991, pages 1-35. 2. Pour ce processus d’ « épuration » à la fois raciale et linguistique de la langue pour la transformer d’une kombuistaal (« langue de cuisine ») dans une kultuurtaal (« langue de culture »), voir Isabel Hofmeyer, « Building a Nation from Words : Afrikaans language, literature and ethnic identity, 1902-1924 », in Shula Marks et Stanley Trapido, The Politics of Race, Class and Nationalism in Twentieth Century South Africa, Londres et New York, 1987. Une partie importante de ce processus consistait à montrer que l’afrikaans n’était point un créole à base lexicale néerlandaise, un hotnotstaal (« langue d’Hottentots ») mais une vraie langue de civilisation. 3. Voir surtout son ‘n Tuiste vir die Nageslag (« Un foyer pour la postérité », c’est-à-dire la société d’apartheid), Johannesburg, 1945. Ce texte, comme les autres textes de Cronjé de la même période est bien analysé par Coetzee. 4. C’est la dédicace que Cronjé place au début de son ouvrage de 1945. 5. Comme le note Coetzee, le terme se prête à des interprétations eschatologiques : une pâte dégoûtante, voire même des excréments. Mengelmoes est composé de mengel (mélange) et moes (pâte, etc). Mes mentions de l’utilisation de mengelmoes par Cronjé provoquaient souvent des sourires chez mes interlocuteurs du Cap et même des Pays-Bas : le terme est tout à fait familier. 6. Dans le schéma de Cronjé les Indiens sud-africains seraient « rapatriés » à l’Inde puisqu’ils n’étaient pas une communauté inheemse ou autochtone (voir Cronjé, Afrika sonder die Asiaat, « L’Afrique sans l’Asiatique », Johannesburg, 1946). Les Anglais ont ici un rôle ambigu : ils ne sont pas autochtones à cause de leur origine étrangère et leur loyauté divisée entre le pays et l’empire britannique. Pourtant, ceux d’entre eux qui veulent s’identifier au pays en abjurant leur loyauté envers l’impérialisme britannique peuvent être accueillis au sein de la nation sud-africaine. 7. Voir par exemple Irving Hexham, The Irony of Apartheid, Edwin Mellen, Toronto et New York, 1981, et Chris A. J. van Koppen, De Geuzen van de Negentiende Eeuw : Abraham Kuiper en Zuid-Afrika, Wormer, Pays-Bas, 1992. Voir aussi mon « The Dutch Diaspora : Apartheid, Boers and Passion », in Itinerario 1, 1998, pp. 87-106. 8. Voir Langenhoven, Ons weg deur die wêreld, vol. III, Nasionale Pers, Le Cap, 1938. 9. En anglais le mot se traduit par pillarisation. Il y a eu beaucoup d’études, dont, par exemple, Verzuiling de J.P. Kruijt, Zaandijk, 1959 ; The Politics of Accommo-dation, d’A. Lijphart, Berkeley, 1968 ; et Religieuze regimes : over godsdienst en maatschappij in Nederland de P. van Rooden, Amsterdam, 1996. 10. La traduction de ces termes est très problématique, voire peu souhaitable, puisqu’ils peuvent être traduits par le même terme, « réformé ». Il s’agit ici des divisions historiques au sein d’une

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même confession originelle, qui sont à l’origine à des églises tout à fait indépendantes l’une de l’autre, voire même hostiles l’une envers l’autre. 11. La dénomination anti-révolutionnaire n’était pas fortuite. Elle se fondait sur le rejet explicite de la Révolution Française et de ses idéaux, par exemple, par le précurseur et mentor de Kuyper, Groen van Prinsteren, dont l’ouvrage principal s’appelait justement Ongeloof en revolutie, « Incroyance et révolution ». 12. C’est en 1918, comme partie des accords de l’année précédante, que fut instauré le suffrage universel masculin aux Pays-Bas (le suffrage universel féminin suivra en 1919). Il y a donc un lien direct entre la création des piliers et le suffrage universel. 13. Un élément fondamental des accords de 1917 a été la « loi des écoles » (Schoolwet) de 1918 qui permet des subventions gouvernementales aux écoles confessionnelles. Aujourd’hui cette loi est utilisée pour établir des écoles islamiques où on peut même faire porter le voile aux filles et séparer celles-ci des garçons, au grand dépit des Néerlandais de souche, devenus des assimilationnistes tardifs mais farouches ces dernières années. Van Rooden suggère très à propos que les musulmans sont aujourd’hui, dans des Pays-Bas devenus libéraux, ce qu’étaient les catholiques au siècle dernier, à savoir ceux qui empêchent la nation de s’achever et de devenir elle-même. La loi des écoles illustre d’ailleurs très bien le fonctionnement du principe de souveraineté dans le propre cercle : un enseignant homosexuel peut être licencié d’une école catholique sans disposer d’aucun recours légal contre cette mesure, tandis que s’il est enseignant auprès d’une école dite « publique » il ne pourra être licencié au seul motif de son orientation sexuelle. 14. Mais pas totalement : Lijphart a signalé que le système a eu toujours plus de soutien dans les élites et les classes moyennes que dans les couches plus ouvrières. Van Doorn signale aussi que la création des « minorités » (dans le processus connu comme minorisering) aux Pays-Bas n’a point été un processus entièrement spontané, au contraire (J. A. van Doorn, Indische lessen : Nederland en de koloniale ervaring, Amsterdam, 1995). 15. Aussi, dans les deux pays, ce sont aujourd’hui les minorités qui sont censées entraver la nation : aux Pays-Bas, les communautés d’origine immigrante comme les Surinamiens, les Antillais et surtout les Marocains et les Turcs ; en Afrique du Sud, surtout les minorités blanche, métisse et indienne, vues comme réfractaires aux changements de fond nécessaires pour redresser les inégalités historiques du pays, mais aussi les Zoulous du mouvement Inkatha et des immigrants africains des pays beaucoup plus pauvres limitrophes de l’Afrique du Sud. Aujourd’hui on dit en Afrique du Sud (et ce sont des Africains qui le disent, pas les minorités) qu’on reconnaît un africain « non-sud-africain » par sa peau très foncée, tandis que les Sud- africains de souche auraient la peau moins foncée... (communication personnelle, Ciraj Rassool, University of the Western Cape). Cela n’a rien d’étonnant dans un pays ou aucun critère de nationalité ne suffit vraiment : par exemple, il y a onze langues officielles à présent, et plusieurs d’entre elles sont parlées au-delà des frontières du pays ; en outre, comme ailleurs en Afrique, des groupes ethniques identiques ou assez proches se trouvent souvent des deux côtés d’une frontière. D’ailleurs, comme l’ancien gouvernement de l’apartheid avait dépouillé beaucoup d’Africains de leur citoyenneté sud-africaine, et que pas mal de gens se sont aussi exilés, on comprend qu’il y ait des situations vraiment kafkaïennes où des Sud-africains sont contraints de vivre à l’étranger puisqu’on les empêche de franchir les frontières (en outre ils n’ont souvent aucun moyen de prouver leur nationalité). 16. Voir van Koppen, op. cit. Il y avait aussi une Algemeene Nederlandse Verbond ou Ligue Générale Néerlandaise, qui avait des prolongements outre-mer et qui visait à répandre l’usage de la langue néerlandaise et le rayonnement de la culture néerlandaise. Sur son activité à Curaçao, voir la thèse de T. Smeulders, Papiaments en onderwijs, Université de Leyden, 1987. 17. Il semble que souvent ce lien donne naissance plus à un étonnement voisin du dégoût qu’à une reconnaissance mutuelle, comme le montre le récit d’un journaliste néerlandais, ancien

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membre du mouvement anti-apartheid d’Amsterdam, qui a vécu après la fin de l’apartheid dans un petit village afrikaner qui s’appelait, justement, Amsterdam. Voir Bart Luirink, Zingende pijnbomen, Amsterdam, 1996. 18. Je mets le terme entre guillemets parce qu’il ne renvoie point à la conception française de République, qu’il pourrait éveiller à l’esprit d’un lecteur français, comme le montre la description que fait Schama de l’Etat très décentralisé et fragmenté que constituaient les Provinces Unies des Pays-Bas aux XVIIème et XVIII ème siècles. Voir Simon Schama, The Embarrassment of Riches : An Interpretation of Dutch Culture in the Golden Age, Londres, 1987 ; et Frances Gouda, Dutch Culture Overseas : Colonial Practice in the Netherlands Indies 1900-1942, Amsterdam, 1995, pp. 1-2. L’ouvrage de Schama est très critiqué aux Pays-Bas, surtout à cause de son hypothèse selon laquelle les anciens Néerlandais auraient éprouvé une gêne du fait de leur richesse. Cependant, ma discussion ici ne dépend point de cette notion. 19. Pour l’histoire néerlandaise, il y avait deux versions, l’une religieuse et l’autre humaniste, qui n’étaient pas nécessairement incompatibles, comme le montre Schama. Selon la première, les Néerlandais étaient un peuple élu à la manière des Israélites de la bible, selon la deuxième les descendants des bataves, un ancien peuple aimant la liberté qui aurait émigré vers le delta du Rhône (on a même développé une archéologie et une ethnologie bataves). Ces versions ressemblent beaucoup à celles portant sur l’origine du peuple afrikaner dans l’historiographie traditionnelle : celui-ci aurait été aussi un peuple élu, d’un côté, et de l’autre, un peuple tout à fait nouveau ayant ses origines aussi dans une migration (européenne) qui aurait fait pousser ses racines et serait devenu autochtone en sol africain, comme les bataves l’auraient fait dans le delta du Rhône. Aux Pays-Bas, on s’est donné aussi une langue (le pays n’en avait pas) : voir la description du processus de construction du néerlandais dans Afrikaans en sy verlede, un texte de linguistique historique utilisé à l’University of Cape Town et ailleurs en Afrique du Sud. Comme montre cet ouvrage, la construction d’une langue commune aux Pays-Bas au XVIIème et au XVIIIème siècle ressemble assez à celle de l’afrikaans en Afrique du Sud au dernier quart du XIXème et dans la première moitié du XXème siècles (d’ailleurs, comme montre Hexham, op. cit., des pasteurs calvinistes néerlandais y furent, dans le cas sud-africain, impliqués de manière très intime, surtout au début). 20. Cité dans Gouda, pages 1 et 2. Voir aussi le deuxième chapitre dans l’ouvrage de Schama. 21. Gouda, op. cit., page 2. 22. Voir mon « Dutch Diaspora », op. cit. 23. En ce qui concerne les Indes, un spécialiste néerlandais de l’Indonésie, au moins, a remarqué la ressemblance avec l’apartheid : voir l’interview avec Jan Breman dans Oostindisch doof, sous la direction de Remco Meijer, Amsterdam, 1995. 24. Voir la thèse de Hans Ramsoedh, Suriname onder het beleid van gouverneur Kielstra, 1933-1944, Université de Leyden, 1991. 25. Van Vollenhoven avait proposé de diviser l’archipel en dix-neuf différentes aires d’adat, et le recensement colonial de 1930 enregistrait à peu près trois cents différents groupes ethniques. Voir l’excellente discussion comparative de Clifford Geertz dans « Local Knowledge : Fact and Law in Comparative Perspective », in Local Knowledge : Further Essays in Interpretive Anthropology, New York, 1983. Geertz montre que l’adat est en fait beaucoup plus (et beaucoup moins) que « droit » : c’est l’usage, la coutume, l’habitude, l’étiquette et surtout le consensus, toujours avec une connotation très locale et spécifique (il remarque que souvent l’adat d’un village balinais est tout à fait différent de celui d’un village voisin). Le terme ne renvoie par conséquent nullement à une conception universalisante du droit, puisque ce que signifie en pratique « adat » peut varier beaucoup d’un bout à l’autre de l’archipel. Il est difficile de concevoir une conception du droit plus émiettée que celle d’adat. Il n’est point étonnant qu’on ait ainsi proposé, au lieu des dix-neuf aires de van Vollenhoven, une centaine d’aires d’adat. Voire aussi C. van Vollenhoven, Een adatboekje, Leyden, 1912.

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26. Pour les classifications et les discussions coloniales sur le statut des différents gens, voir l’ouvrage d’Ann L. Stoler, Race and the Education of Desire, Londres et Durham, 1995. 27. En ce qui concerne l’anthropologie sud-africaine, voir mon manuscrit « Looking back on anthropology and apartheid : a reassessment ». 28. En Afrique du Sud aussi, comme l’indique toute la littérature, l’identité afrikaner n’existait point en tant que telle avant la fin du siècle dernier : sa réussite a dû attendre jusqu’aux années trente du XXème siècle. Voir les chapitres signés par Hermann Giliomee dans H. Adam et H. Giliomee, Ethnic Power Mobilized, New Haven, 1979, et son article « The Beginnings of Afrikaner Ethnic Consciousness, 1850-1914 », in Leroy Vail, The Creation of Tribalism in Southern Africa, Londres et Berkeley, 1989. Voir aussi l’excellente étude de Dan O’Meara, Volkskapitalisme, Johannesburg, 1983. 29. Voir l’étude classique d’Edward Dew, The Difficult Flowering of Suriname, 1983. 30. Voir Boeli van Leeuwen, Geniale anarchie, Amsterdam, 1990, et aussi le classique de sociologie de Curaçao de Harry Hoetink, Het patroon van de oude Curaçaose samenleving, Amsterdam, 1987 [1958]. Je suis très reconnaissant à Luc Alofs à Aruba pour m’avoir indiqué l’importance de la métaphore dans le titre du livre de van Leeuwen.

RÉSUMÉS

Les Pays-Bas et les anciennes colonies néerlandaises forment à peine un tout intégré par une langue ou une culture commune. Au contraire, ils présentent un cadre très varié de pluralité et fragmentation duquel on dégage à peine un caractère commun. Cet article essaie de retrouver des liens entre les Pays-Bas et ses anciennes colonies, surtout l’Afrique du Sud, à travers les apparents caprices d’un discours que j’ai choisi d’appeler, faute de mieux, de « fragmentation ».

The Netherlands and its former colonies hardly make up a whole integrated by language or a common culture. On the contrary, they both present a varied picture of plurality and fragmentation. It is hard to discover a common trait between them. This article attempts to review some ties between the Netherlands and its former colonies, particularly South Africa, through the vagaries of what I have chosen to call, for want of a better term, a ‘discourse of fragmentation’.

INDEX

Mots-clés : apartheid, colonisation néerlandaise Keywords : apartheid, Dutch colonisation Index géographique : Afrique du Sud, Pays-Bas

AUTEUR

FERNANDO ROSA RIBEIRO Universidade Federal de Santa Catarina Universiteit van Suriname

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Forum

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Réflexions sur un nouveau statut de la Guyane

Thierry Michalon

1 Depuis quelques années mûrit en silence une réflexion autour d’une réforme du statut de la Guyane. Plusieurs raisons conduisent à y accorder un intérêt particulier.

2 En premier lieu, le Conseil général de Guyane, soucieux d’éviter une multiplication des institutions dans un territoire peu peuplé, a, seul parmi les Conseils généraux d’outre- mer, rendu le 22 juillet 1982 un avis favorable au projet de loi instaurant un département et une région dotés d’organes communs ; on le sait, cette loi, adoptée le 23 novembre suivant, fut déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 2 décembre, et le législateur dut dans la hâte se résoudre à en revenir à des organes distincts. Depuis lors les élus guyanais prennent régulièrement position contre cette peu défendable superposition institutionnelle, qu’un rapport Suchod pour la Commission des lois de l’Assemblée nationale avait d’ailleurs, à l’époque, sévèrement critiquée. Les présidents successifs des assemblées départementale et régionale ont, à Cayenne, continûment dénoncé les coûts inutilement élevés, les rivalités, les difficultés dans la répartition des compétences, la mauvaise coordination, notamment, qu’entraîne cette dualité institutionnelle. Aussi la demande d’un retour à une « assemblée unique » assortit-elle avec constance celle d’une décentralisation plus poussée, voire d’une autonomie pour la Guyane.

3 En second lieu, le Secrétariat d’Etat à l’Outre-mer semble prêter aux demandes de réforme statutaire venues de Cayenne une oreille plus attentive qu’il ne le fait pour les trois départements d’outre-mer insulaires, et s’en explique sans réticence. Alors que la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion s’enfoncent chaque jour un peu plus dans les impasses socio-économiques où la logique départementale, associée à la simple démographie, les conduit depuis plusieurs décennies, la Guyane, pour sa part, jouirait encore d’une réelle marge de manœuvre : • avec environ 150 000 habitants, ce territoire de 91 000 km² (plus du double de la superficie de la Suisse) demeure très peu peuplé, et peu mis en valeur ; • les différentes administrations (Etat, région, département) offrent à cette population, numériquement très inférieure à celle des D.O.M. insulaires (390 000 habitants pour la

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Martinique, 400 000 pour la Guadeloupe, 660 000 pour la Réunion) un volume d’emplois publics du même ordre ; • le Centre spatial guyanais emploie environ 700 Guyanais et finance, à travers le plan « P.H.E.D.R.E. », des travaux d’infrastructures générateurs d’emplois ; • une partie de la population a conservé son mode de vie et ses activités productives traditionnelles, demeure donc en partie indemne des sentiments de dépendance économique et d’aliénation culturelle qui suscitent, dans les trois autres départements d’outre-mer, tant de frustrations, et ne manifeste pas, comme dans les trois îles, d’exigences de mode de vie incompatibles avec le niveau de productivité de l’économie locale ; • les activités de pêche industrielle s’avèrent prospères et susceptibles d’expansion ; • l’exploitation du bois, malgré divers facteurs limitants, s’est développée.

4 En d’autres termes, la Guyane présenterait des perspectives, encourageant la « rue Oudinot » à se pencher prioritairement sur ses revendications statutaires.

5 Notre droit constitutionnel, longtemps présenté comme dressant un obstacle juridique radical à la prise en compte de telles revendications, au nom de l’« unité » et de l’« indivisibilité » de la République, s’est en réalité avéré plus souple et plus riche que la doctrine n’acceptait de le reconnaître : le législateur pourrait y puiser des solutions institutionnelles peut-être aptes à favoriser un développement plus harmonieux de la Guyane.

6 Ces solutions devraient naturellement prendre en compte les particularités du pays, notamment eu égard aux autres départements d’outre-mer.

I - La nécessaire prise en compte des particularités guyanaises

7 l. Sur le plan géographique, tout d’abord, on doit relever l’étendue du territoire et l’impossibilité pour les pouvoirs publics de s’en assurer la maîtrise, la concentration de sa faible population sur la bande côtière, la présence de minuscules communautés dans l’intérieur vivant néanmoins de l’exploitation d’aires étendues, enfin l’extrême perméabilité des frontières, permettant une immigration clandestine constante menant jusqu’à Cayenne des milliers de pauvres hères, brésiliens, haïtiens, et surinamiens, pour l’essentiel.

8 2. Sur le plan humain, ensuite, la Guyane se caractérise par un extrême morcellement ethnique. Les populations originaires sont constituées d’environ 4 500 Amérindiens répartis en six groupes ethniques : Arawaks, Palikours, Wayanas, Galibis, Oyampis et Emerillons. Si certains de ces groupes, vivant toujours dans et de la forêt, comme les Wayanas, sont demeurés très à l’écart du monde moderne, d’autres comme les Galibis vivent sur la côte et s’intègrent progressivement aux activités contemporaines. Descendants d’esclaves réfugiés dans la forêt, les Noirs dits « marrons » représentaient environ 7 000 personnes avant que leur nombre double du fait de la guerre civile au Surinam ; ils sont répartis en quatre groupes – Saramakas, Djukas, Bonis ou Alukus, Paramakas – vivant essentiellement le long du fleuve Maroni qui n’est en aucune manière, à leurs yeux, une frontière. Amérindiens et Noirs « marrons » continuent à vivre, de manière variable d’un groupe à l’autre, selon leur propre droit coutumier ; et les communautés « francisées », soumises – au moins partiellement – au droit de la

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République, en ont été, de l’avis de beaucoup d’observateurs, assez profondément perturbées et destructurées.

9 Les Créoles, issus de multiples métissages, constituent toujours le groupe le plus important (environ 50 000), mais les puissantes immigrations récentes l’ont ramené de 70 % à 35 % environ de la population globale. Quoique tolérante et assimilatrice de par son origine même, cette population vit douloureusement la perte de sa domination démographique, même si elle a pu, jusqu’à présent, conserver à peu près intact son monopole sur la vie politique du pays. Elle souffre en outre de la difficulté à définir une identité créole face à des groupes bien moins nombreux, certes, mais à l’identité beaucoup plus affirmée. La « guyanité », tant chantée ces dernières années par certains leaders créoles, demeure une notion bien floue. Et le complexe d’infériorité que semble éprouver cette population envers les Antillais, et singulièrement les Martiniquais, ne l’aide pas à trouver son équilibre.

10 La Guyane comporte aussi une importante communauté de métropolitains (entre 15 et 20 000 personnes) ne séjournant sur place que quelques années, mais détenant la quasi- totalité des fonctions importantes dans les administrations de l’Etat et au Centre spatial guyanais.

11 On trouve enfin diverses communautés d’origine étrangère, dont l’importance numérique est inversement proportionnelle au poids dans les activités économiques locales : des Libanais (quelques centaines), très implantés dans le commerce de gros et les affaires ; des Chinois (environ 2 000) spécialisés dans le commerce de détail ; des Laotiens d’ethnie Hmong (1 500) implantés en 1979 et spécialisés dans le maraîchage ; des Surinamiens réfugiés (environ 7 000), qui souhaitent s’intégrer ; enfin des Brésiliens (environ 20 000) et des Haïtiens (environ 25 000) fuyant la misère de leur terre natale pour s’infiltrer en Guyane à travers l’Oyapock pour les premiers, à travers le Maroni, via le Surinam, pour les seconds, qui trouvent à s’employer comme main-d’œuvre à bon marché et recherchent eux aussi l’intégration.

12 Cette population, qui comporte donc environ 45 % d’étrangers récemment immigrés, se caractérise ainsi par une extraordinaire hétérogénéité socio-culturelle, par d’inévitables tensions inter-ethniques, par une constante mobilité des communautés frontalières, enfin par un niveau moyen de formation extrêmement bas.

13 3. Sur le plan économique, la Guyane, on l’a dit, ne se trouve pas encore dans les inextricables impasses caractérisant les trois D.O.M. insulaires, et maintes perspectives demeurent envisageables. Toutefois l’un des principaux obstacles au développement du pays réside dans son incapacité à exporter vers les pays de la région, où les coûts de production, du fait des salaires pratiqués, demeurent très inférieurs aux siens. La départementa-lisation de 1946, concrétisée notamment par un considérable gonflement des transferts de fonds publics et de prestations sociales depuis la métropole, permettant la consommation massive de biens bon marché, importés, issus de la production de masse, a en effet transformé le mode de vie, découragé les activités productives traditionnelles, de faible rentabilité, et constitue un obstacle persistant au démarrage de toute activité productive nouvelle. De surcroît, leur association à la C.E.E. confère aux pays dits « A.C.P. » de la région des privilèges destinés à favoriser leurs exportations, et que ne contrebalancent que de légères sujétions, comme la non- discrimination : c’est ainsi qu’ils peuvent, notamment, exporter librement vers les départements français d’Amérique, partie intégrante de l’Union européenne, tout en ayant le droit de se protéger par des droits de douane, des importations en provenance

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de ceux-ci. Dès lors, on peut envisager l’hypothèse selon laquelle le passage de la Guyane à un statut de « Pays et Territoire d’Outre-mer » au sens de l’annexe IV du traité des Communautés européennes, la faisant sortir du champ d’application du droit intra-communautaire au profit d’un régime d’association proche de celui des Etats A.C.P., serait favorable au développement de ses activités productives ; toutefois le simple basculement d’un statut de D.O.M. à un statut de T.O.M. en droit interne n’entraînerait pas ipso facto son inscription sur la liste des P.T.O.M. : il faudrait pour cela une modification de cette liste à l’unanimité des Etats membres de l’Union européenne. Enfin, si les départements français d’Amérique sont longtemps restés extérieurs aux accords internationaux de coopération économique censés favoriser l’industrialisation des pays membres (comme le CARICOM) de même qu’aux « initiatives » prises par Washington dans le même sens (comme le C.B.I.), la France est signataire au titre d’Etat associé de la convention de Carthagène (Colombie), qui donna naissance le 29 juillet 1994 à l’Association des Etats de la Caraïbe : cette nouvelle organisation internationale devrait permettre à la Guyane, notamment, de s’insérer dans cet « espace économique élargi pour le commerce et l’investissement ».

14 4. Contrairement à une opinion répandue, les règles de droit en vigueur en Guyane se sont toujours distinguées, dans une certaine mesure, de celles applicables dans les trois autres « vieilles colonies », le législateur lui ménageant les particularités juridiques qui paraissaient adaptées à sa situation spécifique. La plus notable d’entre elles fut la création, par un décret du 6 juin 1930, du « Territoire de l’Inini » – transformé par une loi du 14 septembre 1951 en « Arrondissement de l’Inini » –, établissement public territorial destiné à soustraire les populations sylvicoles (Amérindiens et Noirs- marrons) à l’administration du Conseil général, composé d’élus créoles peu soucieux de leurs intérêts, pour les placer sous la « protection » de fonctionnaires de l’Etat.

15 Le remplacement en 1969 de cette réminiscence de l’« administration directe » coloniale par un arrondissement ordinaire n’entraînera néanmoins pas l’application du droit commun aux populations concernées. En effet Amérindiens et Noirs-marrons n’avaient jusqu’en 1967 aucune existence juridique, ne se considérant pas et n’étant pas considérés comme français, mais comme membres de nations ayant fait alliance avec la France ; fut alors entreprise, à l’initiative de M. Vignon, sénateur, et du Conseil général, une opération systématique de « francisation » de ces populations par une série de jugements déclaratifs de naissance suivis de la déclaration à l’état civil de leurs enfants, opérations à laquelle certaines communautés se sont néanmoins soustraites. L’octroi de la citoyenneté devait, dans l’esprit des notables créoles comme de l’Administration, avoir un effet assimilateur par l’application à ces populations de l’ensemble des règles et institutions établies par la loi. Cela s’avéra rapidement impossible, et des aménagements de pur fait, dépourvus de toute base légale, durent être mis en œuvre pour ces citoyens français à la situation si particulière : • les impôts locaux ne sont pas levés ; • l’appel sous les drapeaux est limité aux jeunes gens qui en font la demande, et à la condition qu’ils soient francophones ; • l’obligation de scolarisation n’est pas sanctionnée ; • l’assistance médicale gratuite est généralisée ; • un arrêté préfectoral du 3 octobre 1977 soumet, sans aucun fondement légal jusqu’ici, l’accès au tiers sud du territoire à autorisation du préfet, laquelle n’est accordée qu’exceptionnelle- ment ; le motif invoqué est le danger que courent les expéditions mal préparées, le but

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réellement poursuivi étant la protection des communautés de la forêt contre tout envahissement, générateur de graves perturbations ; • enfin, et surtout, les communautés amérindiennes et noires continuent à vivre plus ou moins largement sous l’empire de leur règles coutumières pour tout ce qui touche à la famille et aux biens, les litiges étant soumis à l’arbitrage des chefs coutumiers ; cette situation, caractéristique des peuples autochtones de certains de nos territoires d’outre-mer et de Mayotte, est totalement contraire à la légalité en vigueur dans les départements français, mais les représentants des communautés concernées affirment leur désir de voir la République la légaliser.

16 Les particularités du régime juridique applicable en Guyane ne s’arrêtent pas là, et plusieurs autres doivent encore être évoquées : • la quasi-totalité du territoire fait partie du domaine privé de l’Etat, qui en concède l’utilisation aux particuliers et collectivités ; • les tribus amérindiennes réclament de longue date que la propriété de leurs zones traditionnelles de parcours pour l’exploitation des ressources de la forêt leur soit reconnue ; des délimitations ont été effectuées, mais la signature des arrêtés préfectoraux de concession se heurtent à une vive opposition des milieux créoles ; • la législation minière demeure particulière (d’origine coloniale), de même que le régime forestier ; • le préfet, héritier en cela du gouverneur, peut suspendre un maire ou un conseil municipal, alors que cette mesure relève normalement d’un décret ; • aucune T.V.A. n’est perçue ; • le produit de l’octroi de mer n’est pas versé exclusivement aux communes, mais aussi, à hauteur de 35 %, au département.

17 5. Aucune réflexion sur une évolution statutaire de la Guyane ne peut, enfin, s’effectuer dans l’ignorance des particularités de la vie politique locale. Dans une société aussi segmentée ethniquement que l’est la société guyanaise, où nulle industrialisation massive n’est venue superposer aux communautés en présence le clivage en classes sociales qui seul correspond aux logiques des mécanismes démocratiques, la transposition de ces mécanismes ne fait illusion que sur l’observateur pressé. Créé en 1956 par Justin Catayee, le Parti socialiste guyanais (P.S.G.) développe avec constance une rhétorique d’inspiration marxiste et tiers-mondiste lui conférant un ascendant considérable sur l’élite créole et une situation de parti dominant auquel il paraît téméraire de s’opposer. S’appuyant sur cette situation de quasi-monopole politique, la communauté créole, la plus moderne par sa formation donc la plus apte à s’insérer dans les institutions publiques, a tiré profit du développement de la décentralisation pour accentuer son monopole sur les postes électifs comme sa mainmise sur l’intérieur du territoire, où elle est pourtant très peu présente. Et la transposition en « zone tribale » des mécanismes électoraux prévus par la République s’y est traduite par de déplorables manœuvres de corruption et d’achats de votes collectifs au détriment des communautés amérindiennes et de Noirs-marrons, dont les frustrations se sont trouvées aggravées, conduisant leurs représentants à appeler de leurs vœux un « retour » du préfet, apprécié pour la neutralité de son arbitrage, ainsi que l’adoption à leur profit, par la loi, d’un statut préservant leur identité culturelle et leur autonomie sociale.

18 Quant au rôle de Paris, et de son préfet, dans l’administration des affaires guyanaises, il cristallise toutes les ambiguïtés et les complexités des sensibilités locales : la

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communauté créole le vilipende volontiers, réclamant bruyamment plus d’autonomie... mais se réjouit secrètement d’y trouver un commode bouc émissaire ; les communautés tribales, pour leur part, appellent de leurs vœux la « protection » de l’Etat et de ses représentants, mais souhaitent demeurer à la périphérie de la République.

19 Ainsi résumées, les particularités guyanaises devraient inspirer aux pouvoirs publics quatre préoccupations essentielles dans toute réflexion sur une évolution statutaire du pays : • mettre un terme à la superposition département/région, non-sens administratif entraîné par la hâte dans laquelle le Gouvernement dût tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 2 décembre 1982 ; • approfondir la décentralisation en développant, conformément aux demandes formulées par les élites locales, les transferts de compétences de l’Etat aux organes décentralisés ; • instaurer des contre-pouvoirs et des mécanismes de responsabili-sation des élus locaux, afin de contenir la propension des élites du P.S.G. au monopole politique et institutionnel ; • organiser une représentation distincte des « populations tribales », dont la culture et les intérêts, extérieurs aux logiques économiques, administratives et politiques contemporaines, ne pourront pas, autrement, trouver à s’exprimer.

20 Une gamme de solutions institutionnelles peut d’emblée être envisagée.

II - Première réforme envisageable : substituer à la région une collectivité à exécutif responsable

21 La réforme la plus simple pourrait être calquée sur celle adoptée pour la Corse par la loi du 13 mai 1991. Elle consisterait à substituer à la région – et à elle seule, le département étant donc conservé – une collectivité territoriale de type particulier fondée sur la disposition de l’article 72 de la Constitution selon laquelle le législateur peut créer toute collectivité territoriale autre que celles (commune, département, et territoire d’outre-mer) désignées dans ce même article 72. S’affranchissant ainsi du principe d’uniformité intra-catégorielle auquel la jurisprudence constitutionnelle a donné une grande rigueur – et ce, même pour les départements et régions d’outre-mer, auxquels l’article 73, interprété de manière très restrictive par le Conseil constitutionnel, ne permet guère de se singulariser – le législateur se trouverait très libre de ses mouvements, comme l’a montré notamment la décision du Conseil constitutionnel du 9 mai 1991 sur le nouveau statut de la Corse.

22 Il pourrait dès lors transposer en Guyane l’organisation de type quasi parlementaire appliquée à la Corse, elle-même inspirée de techniques juridiques empruntées à la fois au statut de la Polynésie française, à la Constitution de la Vème République, et à la Loi fondamentale de la République fédérale allemande. Les originalités essentielles du statut de la Corse sont les suivantes : • une assemblée très surdimensionnée par rapport à la population de l’île, eu égard aux normes en vigueur pour les Conseils régionaux ; • un mode de scrutin proportionnel affecté d’un correctif majoritaire : la liste venue en tête (au premier tour une majorité absolue est exigée) reçoit trois sièges avant de participer à la répartition des quarante-huit autres sièges ;

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• un « Conseil exécutif » distinct du président et du bureau de l’assemblée, et composé d’un président et de six conseillers élus par celle-ci au scrutin de liste majoritaire à trois tours... et qui perdent immédiatement leur siège à l’assemblée ; • cet exécutif fonctionne, à l’instar d’un gouvernement, de manière largement collégiale, les plus importants des arrêtés de son président devant faire l’objet d’une délibération en son sein, et quatre au moins des six conseillers devant être chargés d’attributions effectives précisées par la loi ; • ce Conseil exécutif est collectivement responsable de sa gestion devant l’assemblée ; en effet une motion de défiance peut être déposée devant celle-ci, revêtue de la signature d’au moins un tiers de ses membres, comportant en premier lieu les motifs pour lesquels la confiance est retirée au Conseil exécutif, puis (technique inspirée de la Loi fondamentale allemande) la liste des candidats aux fonctions de président et de conseillers exécutifs disposés à entrer en fonction au lieu et place de l’équipe désavouée. Le vote de cette motion ne peut avoir lieu qu’après l’écoulement d’un délai de quarante-huit heures après son dépôt. Elle ne sera considérée comme adoptée que si elle a recueilli (règle transposée de l’article 49 de la Constitution française de 1958) les suffrages de la majorité absolue des membres composant l’assemblée. Après son adoption éventuelle, le nouveau Conseil exécutif entre immédiatement en fonction.

23 Telles sont les originalités principales du statut de la « collectivité territoriale » de Corse. Il s’agit, on le voit, de mettre en place des mécanismes de responsabilité effective de l’équipe exécutive devant l’assemblée imposant aux élus de régler eux-mêmes les désaccords survenant entre les deux organes... alors que l’organisation des collectivités territoriales de droit commun n’offre d’autre issue à ces désaccords qu’une paralysie des institutions débouchant sur la dissolution de l’assemblée par décret et de nouvelles élections.

24 En d’autres termes, les élus locaux se trouvent ainsi dans une situation de plus grande autonomie organique, sans pour autant jouir nécessairement d’attributions plus développées. Et cette situation devrait favoriser la formation d’une culture plus moderne, moins « relationnelle », plus « fonctionnelle », plus « républicaine », dans la gestion de l’intérêt général.

25 De nombreuses variations seraient tout-à-fait possibles autour de ce schéma, le législateur n’étant pas tenu, on l’a dit, de s’aligner sur l’organisation d’une catégorie existante de collectivités territoriales.

26 Il s’agirait là en quelque sorte de la réforme minimum, ne portant en rien atteinte au statut départemental. Elle accentuerait la décentralisation sans nécessairement accroître les compétences des autorités élues, et favoriserait une maturation de la culture politique guyanaise sans paraître une « aventure » aux yeux de quiconque.

27 Bien évidemment, elle ne résoudrait aucunement le non-sens administratif que constitue la superposition de deux collectivités décentralisées sur un même territoire, et ne répondrait pas à la demande formulée en ce sens à Cayenne.

III - Supprimer la région, en transférant ses compétences au département

28 La revendication d’une collectivité territoriale unique, cohérente avec le souci d’une gestion plus rationnelle des affaires locales, trouverait satisfaction plus aisément par la

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suppression de la région que par celle du département, collectivité territoriale figurant dans la Constitution et représentant, pour les « vieilles colonies », leur ancrage à la République.

29 Il serait donc envisageable de supprimer la région et de transférer ses attributions aux organes départementaux. On en reviendrait ainsi à une collectivité territoriale unique, conformément aux vœux réitérés des élus guyanais, sans rompre avec le statut départemental, mais en conférant à ce département des compétences plus larges que celles du droit commun, même ultra-marin. Cette réforme serait d’autant plus praticable outre-mer que les régions n’y exercent, et pour cause, aucune fonction de coordination des initiatives des départements.

30 Néanmoins une telle opération ne pourrait à elle seule répondre aux besoins qui s’expriment en Guyane. En premier lieu il importerait – on l’a dit et on y reviendra – de flanquer le Conseil général d’un organe collégial spécifique représentant les « populations tribales ». En second lieu, il pourrait paraître souhaitable de transposer au niveau des organes de ce département à compétences élargies la technique de l’exécutif collégial et responsable dont la collectivité territoriale de Corse a été dotée.

31 De telles innovations apportées au statut d’un département, fût-il « d’outre-mer », seraient malheureusement susceptibles de se heurter à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-ci, on le sait, a exprimé, notamment par sa décision du 2 décembre 1982, une conception très rigoureuse du principe d’uniformité interne de nos catégories de collectivités territoriales et des possibilités d’« adaptation » qu’ouvre pour les D.O.M. l’article 73 de la Constitution. La loi adoptée par l’Assemblée nationale en dernière lecture le 23 novembre 1982 superposait outre-mer une région à chaque département, mais les dotait d’organes communs, à l’instar de la ville et du département de Paris. Le « Conseil général et régional » devait être élu au scrutin proportionnel, dans le cadre d’une circonscription unique. Saisi par des parlementaires de l’opposition, le Conseil constitutionnel estima que ce mode de scrutin n’aurait pas permis à cette assemblée de représenter les « composantes territoriales du département » que sont à ses yeux les cantons, donc que cette assemblée n’aurait pas été un Conseil général ; et cette atteinte à l’organisation départementale aurait excédé les simples « mesures d’adaptation » permises pour les D.O.M. par l’article 73 de la Constitution mais aurait revêtu le caractère d’une « organisation particulière », que l’article 74 réserve aux T.O.M. Donc une telle modification du statut d’un département aurait été contraire à la Constitution.

32 Cette très importante décision, complétée ultérieurement par d’autres, a ramené à peu de choses les « mesures d’adaptation » permises par l’article 73. Et la doctrine considère qu’aujourd’hui la voie de la collectivité particulière, ouverte, on l’a vu, par la « petite phrase » de l’article 72 et la décision du Conseil constitutionnel du 25 février 1982, offre beaucoup plus de possibilités... en permettant au législateur de s’affranchir de l’exigence d’uniformité de la catégorie des départements.

33 Quel degré d’innovation la Haute-Juridiction serait-elle aujourd’hui disposée à accepter sur le statut d’un département d’outre-mer ? Nul ne peut le prédire, les critères d’appréciation des Neuf Sages comportant inévitablement un aspect politique, chacun d’eux estimant en conscience l’opportunité des mesures soumises au Conseil...

34 On peut toutefois envisager que la première des trois innovations envisagées ci-dessus (transférer au département de la Guyane les attributions de la région, qui serait

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supprimée) devrait pouvoir être acceptée par le Conseil constitutionnel, comme ne dépassant pas les « mesures d’adaptation nécessitées par la situation particulière » (formule de l’article 73) de ce département d’outre-mer ; les conséquences notoirement regrettables de sa décision particulièrement restrictive du 2 décembre 1982 pourraient laisser envisager, comme en compensation, une plus grande souplesse de sa part sur ce point.

35 La seconde innovation suggérée (instituer, à côté du Conseil général, une assemblée représentant les « populations tribales ») serait très probablement acceptée si cette assemblée n’avait qu’une fonction consultative, mais le serait beaucoup plus difficilement si le législateur lui conférait – ce qui paraît hautement souhaitable – une compétence délibérante, instaurant ainsi un bicaméralisme départemental probablement trop audacieux aux yeux des Neuf Sages...

36 Quant à la troisième innovation proposée (la mise en place d’un exécutif distinct du bureau du Conseil général et que celui-ci pourrait renverser par une motion de défiance), elle apparaîtrait probablement, elle aussi, à la Haute-Juridiction, comme dotant le département de la Guyane d’une « organisation particulière » que la Constitution réserve aux T.O.M.

37 Le maintien du département ne permettrait donc pas à la loi d’aller très loin dans la recherche d’institutions « adaptées ».

IV - Créer une collectivité territoriale unique et spécifique, conservant le régime législatif de l’article 73

38 La formule utilisée autrefois pour l’Algérie (collectivité territoriale originale regroupant plusieurs départements) puis plus récemment, et avec l’aval explicite du Conseil constitutionnel, pour Paris, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, et la Corse, donne au législateur les coudées très franches pour élaborer les institutions de son choix. La collectivité territoriale spécifique, extérieure aux catégories existantes, n’est pas tenue de s’aligner (avec simplement de légères variantes) sur le schéma général d’une catégorie. Le Conseil constitutionnel estime en effet que le principe d’égalité, qui impose à ses yeux une uniformité intra-catégorielle assez poussée, n’est dans ces conditions pas menacé, la collectivité territoriale en question étant seule de son espèce.

39 Remplacer, en Guyane, la région et le département par une collectivité territoriale unique « sui generis » permettrait donc au législateur de mettre sur pied une organisation originale susceptible de faire face aux différents besoins qui s’expriment dans le pays. Un exécutif collégial distinct du bureau de l’assemblée et pouvant être renversé par celle-ci, s’inspirant donc d’un gouvernement de régime parlementaire ; une assemblée élue selon un mode de scrutin original, qui pourrait n’être ni celui des conseils généraux ni celui des conseils régionaux, apte par exemple à assurer une sur- représentation des groupes ethniques les moins nombreux ; des compétences importantes susceptibles de dépasser, par de nouveaux transferts de la part de l’Etat, celles, cumulées, de la région et du département actuels ; la création d’un organe collégial représentant les « populations tribales », même investi d’une fonction délibérante le situant, comme en « bicaméralisme égalitaire », sur le même plan que la première assemblée... tels pourraient être quelques-uns des caractères des nouvelles

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institutions guyanaises, le Conseil constitutionnel ne pouvant y trouver à redire que si se trouvait supprimé l’indispensable « contrôle administratif » exercé par un « délégué du Gouvernement » (article 72) sur lequel repose, en dernière analyse, le caractère unitaire de l’Etat.

40 Afin de maintenir un régime d’application de plein droit (avec d’éventuelles adaptations) des lois et décrets, la loi établissant la nouvelle collectivité territoriale devrait spécifier que celle-ci demeure placée sous l’empire de l’article 73 de la Constitution. Ainsi le développement de l’autonomie locale ne se traduirait pas par une rupture avec l’ordre juridique de droit commun, ni par le sentiment d’une « sortie de la République ». Ainsi, en outre, la nouvelle collectivité territoriale prendrait-elle le relais des deux collectivités actuelles au sein de la Communauté européenne, la jurisprudence « Hansen » de la Cour de Justice des Communautés européennes (1978) – selon laquelle les D.O.M. relèvent en principe du droit communautaire commun – lui demeurant applicable.

41 Il faut toutefois préciser que la sortie du statut départemental pourrait peut-être se heurter à des obstacles d’ordre constitutionnel. En premier lieu, l’existence des départements – contrairement à celle des régions – est prévue par la Constitution, même si celle-ci n’en fournit pas la liste ni n’indique les territoires qu’ils recouvrent. Et la sortie de Saint-Pierre-et-Miquelon du statut départemental, effectuée en 1985, ne pourrait servir de précédent, la loi érigeant l’archipel en collectivité territoriale particulière n’ayant pas été portée devant le Conseil constitutionnel. En second lieu, les Neuf Sages pourraient estimer que la Constitution scinde le territoire national en deux parties, et deux seulement, les territoires d’outre-mer, placés sous le régime de la « spécialité législative », et les départements, sous l’empire du droit commun : les premiers seuls seraient susceptibles de changement de statut à l’intérieur de la République, les seconds en étant écartés sous peine de porter atteinte à l’« indivisibilité » de l’Etat.

42 Rien ne permet d’affirmer que le Conseil constitutionnel s’opposerait à une sortie de la catégorie des départements mais, l’ordre public n’étant pas gravement perturbé, en Guyane, par les partisans d’une telle réforme, on peut craindre que la Haute-Juridiction ne soit tentée de faire prévaloir une vision conservatrice de la structure de la République.

V - Créer une collectivité territoriale unique et spécifique placée sous un régime de spécialité législative partielle

43 Rassurant pour les tenants de la politique d’intégration (à la Nation française comme à l’Union européenne) le statut proposé au point précédent ne répondrait par contre que fort timidement – à la mesure d’éventuels transferts de compétences supplémentaires – aux demandes de ceux qui, en Guyane, réclament que les règles de droit appliquées localement soient édictées localement afin d’être mieux adaptées aux problèmes du pays.

44 Il serait alors possible au législateur, s’inspirant du statut de l’Algérie (loi du 20 septembre 1947), d’établir au profit de la nouvelle collectivité territoriale une « spécialité législative » partielle. Un certain nombre de domaines demeureraient

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placés sous l’empire des lois et décrets ordinaires, éventuellement « adaptés », comme pour les départements d’outre-mer, mais d’autres domaines ne pourraient être réglés que par une manifestation de volonté expresse du législateur et du pouvoir réglementaire, soit insérée dans un texte général, soit prenant la forme d’une modification de ce texte général, soit se traduisant par l’adoption de lois et décrets spécifiques, à l’instar du régime des territoires d’outre-mer. Un certain nombre de matières de cette seconde catégorie pourraient en outre – comme pour l’Algérie du statut de 1947 – être transférées du Gouvernement et même du législateur aux autorités locales. Alors que les territoires d’outre-mer et Mayotte relèvent totalement de ce régime législatif spécial, la nouvelle collectivité territoriale guyanaise pourrait n’en relever qu’en partie, et être un D.O.M. dans certaines matières et un T.O.M. dans d’autres. Ainsi pourraient se trouver conciliées les demandes contradictoires d’intégration à la République et de prise en compte des particularismes.

45 On ajoutera qu’une technique juridique des plus classiques permettrait de mettre l’accent soit sur l’application du droit commun avec adaptations (D.O.M.) soit sur l’élaboration de règles spécifiques (T.O.M.) : la loi pourrait en effet soit donner la liste des matières relevant de textes spécifiques, conservant tout le reste sous l’empire du droit commun éventuellement adapté (accent sur l’intégration), soit énoncer, au contraire, la liste des domaines demeurant par principe régis par les textes généraux, remettant tout le reste à des manifestations de volonté expresses du législateur ou du pouvoir réglementaire (accent sur la spécificité de traitement). Le choix pour l’un ou l’autre de ces procédés de répartition serait en outre susceptible d’influer sur l’attitude des institutions communautaires envers la nouvelle collectivité : Paris pourrait demander aux Etats membres et à la Conférence inter-gouvernementale l’inscription de la Guyane dans la liste des P.T.O.M. si la nouvelle collectivité territoriale relevait en principe – en droit interne – de textes spécifiques.

VI - Créer un territoire d’outre-mer

46 La Constitution ne comportant ni définition ni liste des territoires d’outre-mer, la loi – une loi organique depuis la réforme constitutionnelle du 25 juin 1992 – aurait toute latitude pour faire passer la Guyane dans cette catégorie de collectivités territoriales, réserve faite de ce qui a été dit plus haut sur les éventuelles objections que le Conseil constitutionnel serait susceptible de formuler face à une sortie du statut départemental.

47 La création d’un territoire d’outre-mer aurait les effets juridiques suivants : • conférer la plus grande liberté au législateur pour doter la Guyane de l’organisation de son choix, sur un large registre s’étendant d’une simple administration déconcentrée par un représentant de l’Etat, d’une part, jusqu’à des organes directement inspirés de ceux d’un Etat, d’autre part, jouissant de compétences considérables, en d’autres termes jusqu’à l’autonomie interne ; l’archipel de Wallis-et-Futuna présente un cas de T.O.M. extrêmement peu décentralisé, essentiellement placé sous l’autorité de l’Administrateur supérieur, alors que le Territoire français des Afars et des Issas a naguère, en sens inverse, fourni l’exemple d’un T.O.M. bénéficiant d’une considérable autonomie évoquant la situation d’un Etat fédéré ; • placer la Guyane sous le régime exclusif de la « spécialité législative » : hormis dans quelques domaines précis touchant aux questions de souveraineté, les lois et décrets adoptés à Paris

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ne lui seraient pas applicables, sauf manifestations expresses de volonté en sens inverse du législateur ou du pouvoir réglementaire, généralement assorties d’adaptations ; mais, dans la plupart des domaines, un T.O.M. est régi par des textes spécifiquement rédigés pour s’adapter à sa situation particulière ; • entraîner éventuellement la sortie de la Guyane du champ d’application du droit intra- communautaire et son inscription sur la liste des « Pays et Territoires d’Outre-mer », liés à la Communauté européenne par un régime d’« association » jusqu’à présent largement inspiré de celui des pays dits « A.C.P. » (Afrique, Caraïbes, Pacifique) ; les conséquences en pourraient être résumées ainsi : maintien du libre accès au marché communautaire mais droit de se protéger contre les importations en provenance de l’Union, fin du bénéfice des financements par les « Fonds structurels » que sont le Fonds européen d’Orientation et de Garantie agricole (F.E.O.G.A.), le Fonds européen de Développement régional (F.E.D.E.R.) et le Fonds social européen (F.S.E.), mais accès aux financements du Fonds européen de Développement (F.E.D.) et du Système de Stabilisation des Recettes d’Exportation (STABEX), dont les apports seraient très inférieurs aux précédents.

48 On le voit, placer la Guyane sous le régime de l’article 74 de la Constitution équivaudrait à revenir sur la politique d’intégration (à la France et peut-être aussi à la Communauté européenne) menée depuis 1946 et renforcée par les mesures sociales prises au début des années 90 en application du rapport Ripert, mais permettrait une meilleure prise en compte des problèmes locaux et un considérable approfondissement de la décentralisation, voire la mise en place de l’autonomie. Sur le plan économique, l’éventuel basculement de la Guyane dans la catégorie des P.T.O.M. entraînerait une considérable diminution des financements communautaires, mais le pays pourrait en contrepartie se protéger des importations bon marché en provenance du territoire communautaire, ce qu’il ne peut pas faire actuellement en principe. Le développement des activités productives en serait probablement stimulé, mais le pouvoir d’achat moyen abaissé. L’allégement de la dépendance, aux effets certainement positifs dans maints domaines, se paierait sans doute, en termes de niveau de vie, d’un coût estimé excessif.

VII - Organiser une représentation distincte des « populations tribales »

49 Quel que soit le statut proposé à la Guyane, il semble indispensable d’y intégrer une représentation spécifique des communautés amérindiennes ou de « Noirs-marrons ».

50 On l’a évoqué, ces populations ont, au moins en partie, été intégrées sans leur réel consentement à un système administratif dont la logique leur est totalement étrangère, qui exerce sur elles de puissants effets destructurants, qui échappe à leur contrôle mais accentue, en sens inverse, la domination qu’exerce sur elles la communauté créole. Si, pour diverses raisons, il paraît impossible de revenir en arrière – par exemple, supprimer les allocations familiales serait inconcevable, même si leurs effets semblent avoir été globalement négatifs – il importe à l’inverse d’institutionnaliser l’expression par ces communautés de leurs intérêts, et de leur conférer les moyens d’une réelle participation à l’administration de la Guyane.

51 Divers types d’organes, déjà évoqués, pourraient remplir un tel rôle. Le moins audacieux serait un conseil consultatif coutumier placé, à l’image de celui qui

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fonctionne actuellement en Nouvelle-Calédonie, auprès des organes délibérant et exécutif. Ses membres seraient des délégués des diverses communautés, désignés par chacune d’elles selon ses propres usages.

52 Plus audacieuse serait la constitution d’une seconde assemblée délibérante représentant non plus les individus mais les groupes ethniques eux-mêmes, indépendamment de leur poids démographique, selon le principe paritaire qui permet au Sénat des Etats-Unis de représenter sur un pied d’égalité tous les Etats de l’Union, quels que soient leur population et leur poids économique, en leur attribuant à chacun deux sièges. Toutefois le rattachement à telle ou telle communauté, incompatible avec les principes fondateurs de notre République, soulèverait en outre une multitude de cas délicats. Peut-être la solution pourrait-elle être recherchée du côté d’une représentation des communes qui, au nombre de vingt-et-une, semblent pour beaucoup d’elles correspondre majoritairement à une communauté ethnique ? Quelques communes nouvelles pourraient auparavant être créées pour conférer un support territorial à des groupes encore très mobiles.

53 A côté d’une telle représentation, la création à Cayenne d’un service administratif chargé de suivre exclusivement les questions touchant aux Amérindiens et Noirs- marrons paraît indispensable, à condition qu’il soit placé sous la direction de personnes réellement qualifiées et non pas de hauts-fonctionnaires de passage.

54 On peut enfin évoquer une structure institutionnelle originale mise en place en Nouvelle-Calédonie sous l’impulsion de M. Pisani, lequel avait pris conscience de ce que « l’autonomie... (avait) servi de fondement à la domination d’une communauté dépositaire du pouvoir politique et du pouvoir économique à la fois », et que l’on peut qualifier de « fédéralisme sous tutelle ». Les organes de la collectivité territoriale de Guyane seraient ramenés à peu de choses, l’essentiel de leurs compétences étant transmis pour partie à deux collectivités territoriales de niveau inférieur, pour partie au représentant du Gouvernement. Les deux collectivités territoriales évoquées seraient l’une, essentiellement côtière, placée sous le régime de l’article 73 de la Constitution (celui des D.O.M.), l’autre, correspondant surtout à l’intérieur (mais les tribus côtières pourraient lui être rattachées), placée sous le régime de l’article 74 (celui des T.O.M.). Auprès du représentant du Gouvernement siégerait une assemblée composée de la réunion des assemblées des deux collectivités composantes. Ainsi pourraient se trouver assurés aussi bien l’administration de ces deux univers selon des logiques distinctes, que l’arbitrage entre eux par une autorité de l’Etat.

55 Plus délicat encore que le problème de la représentation spécifique des « populations tribales » est celui de la légalisation de leur droit coutumier. La situation actuelle, en effet, est de pur fait, et totalement illégale voire anticonstitutionnelle. La jurisprudence du Conseil constitutionnel s’avère fort claire : les grands principes d’indivisibilité de la République et d’égalité imposent l’application des règles du droit commun à l’ensemble des citoyens résidant dans les départements. Les « mesures d’adaptation » prévues pour les D.O.M. par l’article 73 ont été, on l’a vu, interprétées de manière extrêmement restrictive, la Haute-Juridiction ne leur donnant son aval que si elles lui paraissent véritablement « nécessitées par (une) situation particulière ». La doctrine en a même conclu que cet article, ainsi interprété, s’avère non seulement inutile car n’apportant rien au droit qu’ont toujours le législateur et le pouvoir réglementaire de prévoir des règles particulières pour des catégories particulières de situations, mais très restrictif, en soumettant ces « mesures d’adaptation » à l’exigence exceptionnellement stricte

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d’une « situation particulière ». Autrement dit, cet article 73 jouerait aujourd’hui l’effet inverse de celui pour lequel il semble avoir été conçu...

56 En revanche, les Neuf Sages ont été amenés à indiquer que l’« organisation particulière » prévue pour les T.O.M. par l’article 74 recouvre non seulement la structure des institutions administratives locales (sens évident) mais aussi la nature même des règles de droit applicables à la population du territoire : ces règles, comme les institutions administratives, doivent (et non seulement « peuvent ») être « particulières », c’est-à-dire issues d’une manifestation de volonté du législateur ou du pouvoir réglementaire, qui soit spécifique à chaque territoire. Et c’est dans ce cadre, et dans ce cadre seulement, que la loi peut prévoir que la population autochtone d’un territoire conservera son droit coutumier pour tout ce qui a trait au « statut personnel » (famille et biens, surtout), tout en ouvrant à chaque individu la possibilité d’y renoncer pour passer sous l’empire du droit écrit, édicté par la Loi et le Règlement.

57 En pratique d’ailleurs, seuls les territoires placés sous le régime de la « spécialité législative » de manière expresse présentent des populations légalement régies par un droit coutumier et des juridictions coutumières : il s’agit des Territoires d’Outre-mer et de la collectivité territoriale particulière de Mayotte. Leurs statuts prévoient en effet que les lois et décrets ne s’y appliquent « que sur mention expresse ».

58 Les seuls départements où une telle situation fut reconnue furent les départements algériens. Mais ils se trouvaient précisément à mi-chemin entre le régime des D.O.M. et celui des T.O.M. car, on l’a vu, ils relevaient pour partie des lois et décrets généraux, pour partie de textes spécifiques.

59 En d’autres termes, l’état actuel de notre droit constitutionnel semble rendre inconciliables le maintien du statut départemental et la légalisation du droit coutumier des « populations tribales ». Cette dernière opération exigerait le passage soit à un statut de territoire d’outre-mer, soit à un statut de collectivité territoriale particulière à laquelle lois et décrets ne s’appliqueraient que sur la volonté explicitement formulée du législateur ou du pouvoir réglementaire, comme à Mayotte. Mais cette situation, on l’a suggéré plus haut, pourrait ne concerner qu’une partie du territoire de la Guyane.

60 L’extrême complexité de la situation guyanaise constitue de toute évidence un défi à la rationalité républicaine et jacobine. Mais il devrait être possible de puiser dans un arsenal de techniques juridiques plus riche qu’on ne le pense généralement un cadre institutionnel permettant une évolution harmonieuse de ce pays.

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INDEX

Index géographique : Guyane française

AUTEUR

THIERRY MICHALON Maître de conférences Membres du CRPLC Université des Antilles et de la Guyane

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Déchets techniques et réglementation

Jean-Louis Millo

I - En guise d’introduction : quelques évidences

1 Tout d’abord, le déchet n’est pas une fatalité : depuis toujours, nous avons vécu avec nos produits « ultimes » ; par exemple, nos grands-parents issus de milieux ruraux, traitaient leurs ordures ménagères en triant ce qui brûlait (régulièrement, on allumait un feu au fond du jardin) et ce qui se dégradait (un tas de compost voisinait souvent avec la place à feu).

2 Depuis l’avènement de la société de consommation, basée sur la production de masse standardisée, ... et sur l’emballage, la question de déchets a pris une acuité particulière, renforcée par la transformation de l’habitat (urbain) et des modes de vie (loisirs, spécialisation du travail...).

3 Ainsi, apparaissent progressivement de véritables politiques de gestion des déchets, nécessitant des règles claires, des textes réglementaires ; il est frappant de constater qu’en France, le texte de base dans le domaine de l’eau est la loi sur l’eau de 1964, alors que sur les déchets, il a fallu attendre la loi de juillet 1992 pour voir préciser clairement les principes de la politique nationale en matière de gestion des déchets ; presque 30 ans après !

A - Qu’est ce qu’un déchet ?

4 La définition intuitive est généralement donnée par rapport à l’usage d’un produit, d’un matériau... dont on ne sait plus quoi faire, et dont il faut se débarrasser : toutefois, l’usage peut être terminé chez certains et pas chez d’autres : nous jetons nos boites de bière en aluminium, les Africains les récupèrent pour en faire des timbales, des objets courants...

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5 La notion de déchets est donc liée à la durée de vie d’un produit, et ce produit dont l’usage est terminé, peut être lui-même recyclé ou transformé en sous produits réutilisables.

6 Deux définitions complémentaires apparaissent :

7 Le recyclage : on parle plutôt aujourd’hui de valorisation des déchets, avec une valorisation dite « matière » lorsque tout ou partie du produit est récupéré et fait l’objet d’un nouvel usage, et une valorisation « énergétique » lorsque le déchet produit de l’énergie (chaleur, électricité),

8 Le déchet ultime : c’est le stade où « dans les conditions techniques et économiques du moment » on ne trouve plus d’usage au déchet ; il faut donc le détruire, le stocker, l’exporter... Ce déchet ultime n’est pas forcément le même dans différentes conditions économiques : l’insularité peut modifier par exemple le niveau de récupération : la bouteille en verre est actuellement un déchet ultime en Martinique.

9 Atteindre le déchet ultime peut donc devenir l’objectif d’une politique de gestion. On remarquera que cette notion évolue dans le temps : les déchets radioactifs sont aujourd’hui stockés dans l’attente d’un éventuel traitement dans les années futures. Autre remarque, le recyclage de déchets devient une activité économique à part entière.

10 Une autre approche du déchet est sa classification :

11 Par catégories physiques : déchets liquides et solides, radioactifs ou non, déchets ferreux, chimiques, organiques, ... Une grande partie de nos déchets liquides n’entre pas dans la catégorie des déchets, ce sont les eaux usées urbaines et industrielles qui participent au cycle de l’eau : par exemple, une eau d’égout est considérée comme un rejet aqueux dans le milieu naturel, elle peut être épurée (valorisation) et le terme de déchet ne réapparaît que lorsque l’on a piégé un déchet solide, les boues de stations d’épuration !

12 Par producteur de déchet : le déchet peut être issu de l’activité d’une famille, c’est alors une ordure ménagère, par l’activité d’un industriel, déchet industriel ou par l’activité des hôpitaux, médecins, infirmiers...

13 Réglementairement, on distinguera : • les ordures ménagères, • les déchets industriels banals, • les déchets industriels spéciaux, • les déchets contaminés ou déchets de soins.

B - Les principes de la loi du 13 Juillet 1992

1 - Premier principe : « pollueur-payeur »

14 La loi stipule que le producteur d’un déchet doit payer le prix de l’élimination de ce déchet ; ainsi, le citoyen qui jette ses emballages, même fournis par l’industrie agroalimentaire, est responsable de l’élimination. Cette élimination comprend en général la collecte puis le traitement du déchet ; ce traitement peut être avec ou sans valorisation.

15 Le citoyen se regroupe au sein de collectivités pour leur confier le soin d’éliminer les ordures ménagères : communes, syndicats de communes... Il faut toutefois noter que si

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une filière n’est pas organisée au niveau des collectivités, le citoyen reste responsable : c’est le cas de la voiture usagée : tout automobiliste est responsable de l’élimination de sa vieille carcasse, c’est encore plus évident avec la vieille batterie.

16 De même, l’industriel est responsable de l’élimination de ses déchets, et l’agriculteur, des siens ; exemple intéressant à analyser, les gaines bleues de la culture de banane. Ces gaines commencent à être collectées dans des bacs analogues à ceux des ordures ménagères, pourtant, ces gaines ne doivent pas être mélangées aux ordures (dans l’incinérateur, par exemple), sans que le coût de leur traitement ait été individualisé, pour le mettre à la charge du producteur de banane.

2 - Deuxième principe : répartir les responsabilités

17 Afin d’organiser les différentes filières de collecte et de traitement des déchets, l’Etat a la responsabilité de mettre en place une planification par catégories de déchets, les collectivités et les différents producteurs de déchets ont la responsabilité de mettre en place les dispositifs de collecte et de traitement et de les faire fonctionner.

18 Ainsi, trois types de plans ont été créés : • le plan départemental de collecte et de traitement des ordures ménagères, sous la responsabilité du Préfet de Département (DAF/ADEME), • le plan régional pour les déchets industriels spéciaux (PREDIS), sous la responsabilité du Préfet de Région (DRIRE), • le Schéma Régional de collecte et traitement des déchets de soins, sous la responsabilité du Préfet de Région (DRASS),

19 Les différents plans fixent des échéances de réalisation des équipements et donnent des coûts d’objectifs ; pour les ordures ménagères, il est fixé au niveau national que les décharges non autorisées devront disparaître en 2002.

20 En Martinique, le plan « ordures ménagères » est adopté depuis janvier 1997, les deux autres sont en fin d’élaboration.

3 - Troisième principe : affirmer la valeur économique du déchet

21 Dès le stade de la conception d’un produit, les impacts des déchets engendrés doivent être pris en compte ; ainsi, pour les emballages, un système de mutualisation a été mis en place (éco-emballage) afin de subventionner les initiatives des collectivités visant le tri des emballages et leur recyclage.

22 Les grands groupes privés se sont déjà reconvertis dans les filières de collecte et de traitement des ordures ménagères ; les filières qui privilégient le tri et une valorisation « matière » sont évidemment des secteurs fortement créateurs d’emplois.

23 Le déchet a également une forte implication économique pour son producteur : par exemple, comment est payée la contribution des ménages ?

24 La réglementation en matière de financement des coûts récurrents dans le secteur des déchets ménagers est fondamentalement différente de celle du secteur de l’eau : • les coûts de production et de dépollution des eaux sont financés au coût réel par le paiement d’un « service de l’eau » (vérité des prix) : le détail du prix de l’eau et des différents prélèvements apparaît sur la facture d’eau ;

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• par contre, la collecte et le traitement des déchets sont financés par la « taxe d’ordure ménagère », véritable impôt local au même titre que la taxe d’habitation ou la taxe foncière ; l’assiette de la taxe d’ordure ménagère est d’ailleurs la même que celle de la taxe foncière.

25 Le résultat est que la contribution du citoyen n’est pas forcément proportionnelle au coût du service : une habitation éloignée est desservie de la même façon, par contre, les budgets des collectivités, contrairement à l’eau, peuvent « subventionner » les services d’ordures ménagères. Pour avoir un ordre de grandeur en tête, on retiendra qu’un habitant peut produire annuellement jusqu’à une tonne d’ordures ménagère et que la tonne collectée et traitée peut coûter de 600 F/T à 1 200 F/T.

C - Qu’en est-il à la Martinique ?

26 Les filières industrielles et déchets de soin sont très en retard sur les plans qui vont être adoptés : par exemple, les incinérateurs de déchets contaminés ne sont pas aux normes ou sont saturés. Qui va payer ? Les industriels rejettent aujourd’hui une partie de leurs déchets toxiques (traitement des métaux, solvants, peintures...) ... dans les égouts, et bien sur, la mer (baie de Fort de France) accumule !

27 Pour les ordures ménagères, le taux de couverture du ramassage est satisfaisant depuis plus de dix ans ; le résultat est l’accumulation des déchets sur cinq grandes décharges qui sont bientôt saturées et de toute façon illégales en 2002. Plus de mille dépôts sauvages ont été recensés sur l’île.

28 Le plan « ordures ménagères » a estimé que sur les 250 000 tonnes collectées annuellement, près de la moitié devait faire l’objet d’une incinération avec récupération d’énergie électrique, l’autre moitié pouvant faire l’objet d’un compostage ; ce dispositif suppose d’avoir réalisé un tri entre les matières incinérables et les matières compostables.

29 Ainsi, l’incinérateur de Fort de France, devrait être construit par le SICEM vers 2001/2002 et regroupera les déchets ménagers des quatre grandes communes du Centre : Fort-de-France, Schœlcher, Lamentin et Saint-Joseph. Il entraînera la fermeture de la décharge de la Trompeuse et sa transformation en véritable déchetterie : une déchetterie est un centre de regroupement et de tri à disposition des particuliers ; tout citoyen peut y amener son vieux frigo, ses déchets métalliques, des gravats...

30 L’incinérateur pose plusieurs problèmes techniques qu’il faudra résoudre : • les déchets incinérés devront être le plus sec possible : donc, les déchets de jardins et espaces verts n’y seront pas admis, mais il faudra également trier les déchets les plus humides, empêcher les eaux de pluie d’humidifier les déchets... • l’incinérateur doit être aux normes européennes en ce qui concerne les rejets atmosphériques ; en particulier, la concentration en dioxine devra être de 0,1 nanogramme par m3, ce qui impose un surcoût d’investissement important ; • l’usine d’incinération produira deux types de résidus : l’un inerte, les mâchefers qui peuvent servir de matériau de construction pour les routes, l’autre, très toxique est constitué des fumées et dénommé « REFIOM » ; ces résidus à haute toxicité doivent être impérativement stockés dans une décharge spéciale dite de « classe 1 ».

31 Aucune décharge de « classe 1 » n’existe à la Martinique et les études préliminaires montrent que la création d’un tel site est possible sur un plan technique : il existe à la

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Martinique des couches d’argile suffisamment épaisses et imperméables ; par contre, la rentabilité économique d’un tel dispositif n’est pas démontrée ; la seule alternative reste l’exportation vers la métropole.

32 Le deuxième équipement prévu est l’usine de compostage qui sera réalisée à la suite de l’incinérateur ; le principe du compostage est simple, mais sa mise en œuvre est soumise à deux conditions : • le niveau de tri des ordures doit être maximum pour permettre une qualité « agronomique » à un prix attractif pour l’agriculture ; les conditions en Martinique sont plutôt favorables puisque l’agriculture consomme uniquement des fertilisants chimiques importés à des prix élevés ; • l’alternative de fumure organique doit être intéressante au niveau des prix, mais aussi vis-à- vis des pratiques culturales en vigueur ; c’est probablement la culture de la canne à sucre et le maraîchage qui seront les principaux débouchés de ce compost.

33 Une dernière remarque sur une filière très présente en Martinique et dont j’ai peu parlé : les véhicules usagés (VHU) ; aujourd’hui, seules les huiles usagées sont collectées et on estime à environ 70 % le niveau de récupération en Martinique. Par contre, chaque année, 15 000 voitures neuves rentrent sur l’île, aucune ne ressort. Chaque voiture a une batterie et les batteries de remplacement entrent également en grande quantité.

34 Cette filière n’est pas organisée aujourd’hui ; les importateurs de batterie ont constitué récemment une association qui étudie avec l’appui de l’ADEME les différentes solutions envisageables ; le surcoût lié à l’exportation vers la métropole pour recyclage a été estimé à 5 F minimum par batteries.

35 Pour résoudre le problème des carcasses de voitures, la seule solution durable est l’exportation des parties métalliques vers les aciéries de Trinidad ou du Venezuela, mais cette opération a un coût de 400 F au moins par carcasse.

II - En guise de conclusion

36 Je n’ai pas du tout abordé la question de la réhabilitation des décharges.

37 Je n’ai pas parlé des DTQD « déchets toxiques en quantité diffuse » qui sont en fait les piles que nous utilisons tous : il est de notre responsabilité de pollueur de les collecter, au super marché, chez le photographe...

38 Je n’ai pas assez parlé des techniques de tri « à la source », chez chacun d’entre nous, techniques qui permettent de séparer les différents sous-produits recyclables : aux USA, des privés proposent des abonnements aux particuliers pour des niveaux de tri variables, mais les boites de conserves, par exemple, doivent être nettoyées de leur étiquette, parfaitement découpées, classées par tailles et matériau !

39 Nous avons donc du chemin à parcourir et probablement, le déchet restera dans les vingt années à venir un des problèmes majeurs de notre société, donc il vaut mieux essayer d’en parler tout de suite au niveau du citoyen ; nous avons individuellement un rôle important à jouer dans la prise de conscience que ce que nous jetons se dégrade de moins en moins : il y a quarante ans, notre poubelle contenait plus de la moitié de produits dégradables, aujourd’hui, regardez ce que vous jetez : plus de la moitié en volume est constituée d’emballages, en grande partie en plastiques.

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AUTEUR

JEAN-LOUIS MILLO Directeur Régional de la DRIRE, Martinique

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Notes de lecture

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Franck DURAND, Les collectivités territoriales et l’Europe : la place des autorités locales et régionales dans la construction européenne.

Marc Janus

RÉFÉRENCE

Franck DURAND, Les collectivités territoriales et l’Europe : la place des autorités locales et régionales dans la construction européenne. Thèse en droit. 1997

1 Tel est le titre de la thèse pour le doctorat en droit, présentée et soutenue en janvier 1997 par Monsieur Franck Durand, auprès de l’Université de Paris I.

2 L’auteur n’entend pas dans cette recherche étudier les collectivités territoriales en Europe mais plutôt s’attacher à la place qu’occupent les collectivités territoriales dans la construction européenne, tant en ce qui concerne leurs propres initiatives qu’en ce qui concerne leur prise en compte par les institutions européennes.

3 S’agissant de la définition des collectivités territoriales, celle-ci ne s’effectue pas par comparaison, mais par agrégation. C’est-à-dire que sont ici concernées toutes les structures politiques élues exerçant leurs compétences dans le cadre d’un territoire de niveau sub-étatique déterminé. L’appellation « collectivités territoriales » a été préférée par l’auteur à celle de « collectivités locales » dans la mesure où cette dernière dénomination doit être considérée comme n’étant qu’une composante de la première. Et que le but ici poursuivi est de prendre en compte les deux dimensions en ayant soin toutefois de ne point les confondre.

4 S’agissant du terme « Europe », l’acception ici retenue est particulièrement vaste puisqu’elle inclut aussi bien les institutions de l’Union européenne que celles du Conseil de l’Europe. Ce parti pris qui semble s’imposer pour permettre une approche globale et

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complète, confère toutefois à l’exposé un caractère hétérogène qui génère de façon inéluctable certains inconvénients d’ordre méthodologique.

5 Tout d’abord, le Conseil de l’Europe et les Communautés européennes présentent de nombreuses différences, tant organiques que fonctionnelles, qui rendent malaisée toute tentative de comparaison.

6 Le Conseil de l’Europe « seule organisation où tous les pays européens relevant d’un certain idéal démocratique peuvent se retrouver pour examiner n’importe quelle question européenne » (Reuter Paul. Organisations européennes. Paris, PUF, 1965, p. 114) n’est qu’une simple structure de coopération intergouvernementale dont le nombre d’États membres a toujours largement dépassé celui des États membres de l’Europe Communautaire. Celle-ci poursuivant une certaine intégration économique puis politique entre ses membres, est dotée d’un pouvoir normatif qu’est bien loin de posséder le Conseil de l’Europe.

7 Pourtant, certaines similitudes peuvent être dégagées, tant d’un point de vue structurel qu’en ce qui concerne les questions traitées.

8 Ainsi, les deux structures européennes comportent une assemblée aux pouvoirs assez limités, la réunion des représentants des États membres constituant, à l’origine, le seul véritable organe décisionnel. S’agissant des matières traitées, les préoccupations sont voisines, même si l’aspect économique l’emporte délibérément au sein de l’Europe Communautaire. Parmi ces préoccupations communes, les collectivités territoriales revêtent une importance croissante.

9 Cependant, la représentation et la défense des intérêts locaux et régionaux ne sont pas le fruit de l’action du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne dans leur ensemble, mais résultent des composés d’élus locaux et régionaux, qui œuvrent pour une reconnaissance des collectivités territoriales en s’appuyant largement sur les assemblées européennes élues qui leur apportent soutien et légitimité. Cet appui paraît indispensable pour tenter d’infléchir les réticences, sinon les hostilités, des États qui sont, dans les deux cas, les seuls acteurs décisionnels. Par-delà les différences institutionnelles apparaît donc un véritable parallélisme des démarches des organes de promotion et de représentation des intérêts locaux et régionaux au sein des structures européennes.

10 C’est précisément ce parallélisme qui permet – et qui justifie aux yeux de l’auteur –, que soient présentées, au sein de cette recherche les étapes de la reconnaissance progressive des collectivités territoriales par le Conseil de l’Europe et par la Communauté européenne.

11 La méthodologie mise en œuvre, compte tenu des différences structurelles évoquées précédemment, consiste à déterminer une sorte de plus petit dénominateur structurel qui, sans être commun, n’en est pas moins voisin, sinon semblable. Les organes de représentation et de défense des collectivités locales et régionales instaurés au sein de chaque structure constituent précisément le prisme au travers duquel peut être observée l’évolution de la place reconnue aux collectivités territoriales dans le processus de construction européenne.

12 Ainsi, c’est au travers de l’analyse des actions développées par la Conférence européenne des pouvoirs locaux – devenue aujourd’hui Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe – et des travaux menés par la commission des transports et de la politique régionale du Parlement européen – aujourd’hui devenue Commission de la

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politique régionale, de l’aménagement du territoire et des relations avec les pouvoirs régionaux et locaux – que sont exposées les positions adoptées respectivement par le Conseil de l’Europe et de la Communauté européenne, de la fin des années 50 à nos jours, à l’égard des collectivités locales et régionales.

13 Ce choix méthodologique, qui semble constituer un mode original d’approche du sujet dans sa complexité et ses multiples dimensions suscite néanmoins quelques inconvénients affectant la forme et le fond de l’étude (développements par trop descriptifs et de façon chronologique des travaux à la fois de la Conférence des pouvoirs locaux et de la Commission de la politique régionale du Parlement européen).

14 Cependant, un des intérêts de cette étude réside dans l’optique retenue par l’auteur qui dépasse largement le cadre du seul droit positif, lequel ne suffit pas à rendre compte de façon satisfaisante des efforts entrepris. En effet, nombre de tentatives avortées, de projets abandonnées, de propositions écartées, constituent en fait autant d’avancées, de progrès réalisés, sur la voie de l’association des collectivités territoriales au processus d’édification européenne.

15 Pour autant, le droit positif n’est pas négligé puisqu’il conditionne, tant en amont qu’en aval, l’action des instances européennes. En amont, c’est en partant du droit positif que les organes représentant les collectivités territoriales établissent les grands axes de leurs actions. En aval, le droit interne témoigne, dans ses évolutions, de l’impact de l’activité des organes de représentation et de défense des collectivités territoriales.

16 Le présent travail intègre de nombreux éléments de nature, de valeur et de portée fort différentes. Pour autant, chaque élément semble pouvoir trouver sa place dans une approche se référant à la nature même du rôle attribué aux collectivités territoriales sur la scène européenne.

17 Ainsi, il est possible de considérer les collectivités territoriales en tant qu’entités politiques et donc en tant qu’acteurs institutionnels ayant un rôle propre à jouer au niveau européen. Cette conception qui entend faire des collectivités locales et régionales des sujets majeurs est celle défendue par le Conseil de l’Europe et les associations de collectivités territoriales européennes. Elle suppose la reconnaissance, tant sur le plan du droit interne qu’au niveau international, de la possibilité pour chaque collectivité de coopérer avec ses homologues étrangers.

18 Mais il est aussi envisageable de ne voir dans les collectivités territoriales que de simples éléments de second plan d’une politique d’intégration européenne, progressivement – et tardivement – associés, de façon consultative, à un processus de construction européenne qui leur échappe et dont ils ne sont que des sujets mineurs à la capacité juridique limitée et contrôlée par des États, seuls acteurs à part entière aux côtés des institutions européennes. Telle est la conception communautaire.

19 Ces deux conceptions constituent les deux axes fondamentaux de cette thèse.

20 L’auteur conclut en indiquant que les collectivités territoriales ont, ces dernières années, considérablement accru leur présence européenne où elles ont naturellement vocation à jouer un rôle de première importance, sans pour autant constituer une menace pour les États.

21 Pour lui, l’architecture européenne ne doit pas être envisagée en termes d’affrontement et de rivalité, mais sous l’angle de la complémentarité entre les différents éléments qui la composent, du sommet à la base, des institutions européennes aux citoyens. Maillon indispensable de cette chaîne, les autorités locales

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et régionales, dont la spécificité ne peut être mise en cause, ont vocation à se voir reconnaître une véritable existence institutionnelle au niveau européen.

22 Une redéfinition du principe de subsidiarité, en établissant une claire répartition des compétences entre chaque niveau, pourrait être de nature à permettre l’union harmonieuse des différents acteurs en présence.

AUTEURS

MARC JANUS Membre du CRPLC Université des Antilles et de la Guyane

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Christine CHIVALLON, Espace et identité à la Martinique : paysannerie des mornes et reconquête collective 1840-1960

Christian de Vassoigne

RÉFÉRENCE

Christine CHIVALLON, Espace et identité à la Martinique : paysannerie des mornes et reconquête collective 1840-1960. Paris : CNRS, 1998.

1 Le morne, à la Martinique, occupe une place de choix tant en littérature qu’en « oraliture ». Omniprésent dans le paysage, il sous-tend l’imaginaire, est évoqué pour symboliser une authenticité menacée. Entre histoire et mythe, entre marrons et racines, le monde des mornes est parfois devenu une caution, un label culturel galvaudé. Loin des approximations, le livre de Christine Chivallon récemment publié renouvelle la vision de cette Martinique.

2 L’ouvrage intitulé Espace et identité à la Martinique : paysannerie des mornes et reconquête collective 1840-1960 est la publication, méticuleusement remaniée, de sa thèse de doctorat de géographie soutenue en 1992 à l’Université de Bordeaux III. Il est d’ailleurs intéressant de rappeler le titre originel de sa recherche : Tradition et modernité dans le monde paysan martiniquais. Approche ethno-géographique. Il est manifeste que le nouveau titre, mettant en avant les concepts d’espace et d’identité, montre la volonté du chercheur de dépasser le cadre factuel de la thèse pour proposer une réflexion conceptuelle beaucoup plus poussée, beaucoup plus mature. L’auteur a réalisé une véritable réécriture de son travail initial, élaguant la masse documentaire des 557 pages d’origine afin de mieux faire ressortir les lignes de force majeures de son étude.

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3 L’ouvrage est organisé en trois parties : la première, la plus brève, dégage la problématique, pose les hypothèses et précise la méthodologie. Dans un second temps, une analyse fine de sept « quartiers », répartis dans trois communes, Basse-Pointe au Nord-Atlantique, Morne-Vert au Nord-Caraïbe et Rivière-Pilote au sud de l’île, retrace la genèse de ces hameaux à partir de l’évolution du morcellement foncier et de la généalogie des familles résidantes. Enfin, la dernière partie montre l’affrontement entre la logique prolétarisante de la plantation coloniale postesclavagiste et la logique émancipatrice de cette nouvelle paysannerie qui cherche à s’affranchir économiquement après s’être affranchie de la servilité.

4 En trois séjours l’auteur a passé au total 19 mois à la Martinique. Avouons-le tout de suite, la qualité du travail de terrain effectué, la finesse des observations, la remarquable perception du monde rural et la richesse de l’analyse qui en découle pourrait faire croire que l’immersion dans la réalité martiniquaise a été bien plus longue. Malgré cette relative brièveté du séjour, l’auteur a réuni des matériaux de premier choix qui ont étayé une démarche théorique brillante. Outre le respect intellectuel suscité par la performance, cela pose aussi plus fondamentalement la primauté de la science sur le vécu brut, de la démarche hypothético-déductive sur l’empirie. Nous sommes là face à une géographie novatrice, performante, dégagée des primaires revendications natives pour laisser libre cours à une analyse réfléchie.

5 L’objectif majeur de ce travail est « … de rechercher les manifestations d’une socialité paysanne… de montrer que la mise en œuvre de ce mode de vie a donné lieu à la production d’une identité collective définie ici sous l’angle d’orientations propres à un groupe et destinées à donner un contenu signifiant à l’existence sociale. L’espace, en tant que ressource matérielle et symbolique nécessairement engagée dans les processus de construction sociale, est privilégié comme moyen de décrypter et analyser les expressions de cette socialité. » (p. 32). Christine Chivallon utilise une démarche ethnographique recherchant les régularités de la vie paysanne martiniquaise pour montrer sa structuration et surtout sa stabilité dans le cadre d’une « logique de reproduction ». Elle se positionne nettement vis-à-vis des deux courants dominants de la recherche sur le monde rural martiniquais. Le premier est le fait des auteurs anglo- saxons, autour de Sydney Mintz dès les années 60 et de Michael Horowitz au cours des années 70, qui commencent à définir une typologie des sociétés de plantations avant d’affirmer l’existence d’une véritable paysannerie antillaise. Au contraire, la recherche francophone est beaucoup plus réticente à accepter la réalité de cette paysannerie depuis les travaux géographiques du Père Delawarde, d’Eugène Revert ou de Guy Lasserre jusqu’aux travaux anthropologiques de Jean Benoist, quelles que soient la valeur de leurs contributions ou les modalités de leurs réticences.

6 Sur un autre plan, une seconde opposition s’est manifestée plus récemment, entre les thèses de l’aliénation et celles de la créolité. Les premières, défendues entre autres par l’écrivain Edouard Glissant jusqu’aux années 80, l’économiste Michel Louis ou le philosophe Francis Affergan voient dans la société de plantation une entreprise de dépossession qui n’a pu permettre l’émergence d’une communauté structurée. À l’inverse, les thèses du courant de la créolité avec Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau, ou Raphaël Confiant font l’éloge de la « diversalité », de la complexité, de l’adaptation qui a permis la survie et l’affirmation d’une culture et d’une communauté. Mais Christine Chivallon ne se laisse pas aller à la facilité en choisissant l’un ou l’autre de ces paradigmes. Pour elle, ni l’aliénation, ni la fécondité du chaos ne sont des éléments

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totalement pertinents, même s’ils sont à prendre en compte. Elle propose plutôt sa conception du monde des mornes, selon laquelle de véritables sociétés paysannes se sont engagées complètement dans le processus de production organisé, réfléchi, obstiné, d’une identité collective.

7 Nous ne nous attarderons pas ici sur les détails de la rigoureuse méthodologie de sélection et d’analyse des quartiers ou des lignages familiaux. Retenons plutôt quelques enseignements essentiels. Contrairement aux idées longtemps véhiculées, est prouvée la légalité de l’appropriation de la plupart des parcelles du microfundio postesclavagiste. Il y a quinze ans déjà Annick François-Haugrin l’avait démontré dans sa thèse mais la jeune historienne, qui avait procédé à un énorme travail du dépouillement, n’avait pas poussé assez loin son analyse théorique pour valoriser pleinement la masse d’informations récoltées. Ses conclusions d’alors sont aujourd’hui confirmées par les enquêtes réalisées par Christine Chivallon. À travers la vie de ces esclaves affranchis, Joseph, Marie, Symphorienne, Modeste, Avrilette… On voit s’ébaucher patiemment, par le travail, les sacrifices et l’opiniâtreté, un patrimoine foncier dont sont héritiers les actuels occupants qui souvent descendent directement de ces pionniers.

8 D’autres enseignements nous sont encore livrés. Le rôle et la responsabilité des hommes dans ce contexte d’une nouvelle paysannerie, qui se structure en cellules familiales parallèlement à sa stabilisation patrimoniale et légale, sont contraires au schéma discutable quoique longtemps admis d’une matrifocalité généralisée. En s’appuyant sur les travaux de Charbit sur la Guadeloupe et la Martinique et de Patterson sur la Jamaïque, elle conclut que « la place « démesurée » donnée à la matrifocalité […] indique plus le poids de constructions idéologiques qu’elle ne se réfère à l’objectivation de quelques caractéristiques sociales. » (p. 122).

9 La stabilité des unions, même lorsqu’elle n’est pas sanctionnée par le mariage, même si elle s’accompagne d’une certaine liberté des hommes est réelle car le concubinage a un statut social. La pluripaternité est rare et il faudrait voir dans cet ensemble de pratiques sociales, à la suite d’Horowitz, la traduction d’une stratégie ou sinon de comportements parfaitement adaptés au contexte foncier et économique du microfundio. « Sans entrer dans le débat qui voudrait tenir les conditions socio- économiques comme facteur déterminant, ici du modèle matrifocal (la grande plantation capitaliste), là du modèle nucléaire (le monde de la petite paysannerie), il est cependant permis de noter la relation probable entre la propriété de la terre et la mise en valeur d’une certaine organisation familiale. » (p. 126 et s.). Ceci confirme que la famille martiniquaise sous sa forme nucléaire n’apparaît pas « magiquement » dans les années 60, que son histoire s’inscrit dans la durée et ceci depuis le XIXe siècle. Cette histoire est d’autant plus forte quand les acteurs sont engagés dans des formes de ré- appropriation économiques, culturelles, comme pour le Morne-Vert ou certains quartiers urbains d’habitat spontané, comme l’a développé Serge Letchimy à travers le thème de la « mangrove urbaine ».

10 Christine Chivallon se livre ensuite à une analyse de la dynamique économique et historique de ce peuple des mornes en en montrant toute la détermination mise, dès le lendemain de l’abolition, à échapper à la prolétarisation. Cette détermination passe par des compromis comme l’intégration partielle à la plantation et la pluriactivité. Elle reprend ainsi la notion « d’interdépendance fonctionnelle » proposée par Alain- Philippe Blérald pour y voir l’articulation de deux systèmes socio-économiques aux

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finalités différentes. Toute la filière économique paysanne est ainsi passée en revue, avec beaucoup de sagacité, depuis le jardin créole jusqu’au marché. Les pratiques d’entraide comme le « coup de main » sont analysées en tant qu’échange qui ressort du don et du contredon, en remarquant avec justesse que l’évolution de ses modalités témoigne d’une dégradation de la solidarité. Cette dégradation se manifeste par la diminution du nombre de participants, les grands « assauts » pour la mise en culture ayant aujourd’hui quasiment disparu au profit du « coup de main » de quelques personnes, généralement pour la construction des maisons. « Cette transposition des énergies, depuis le secteur agricole vers celui du bâtiment et qui s’affiche aujourd’hui à travers les mornes par la démesure incroyable des maisons d’habitation, a d’ailleurs quelque chose de tout à fait troublant dans le cadre de cette économie de substitution que connaît désormais la Martinique, comme si le cours des choses avait été dévié vers une destination tronquée où moyens et fins deviennent complètement anachroniques. […] L’échange de travail, avec son obligation de réciprocité, intervient non pas pour servir de moyen de réaliser collectivement ce qui est impossible à accomplir individuellement, mais bien pour servir de médiation à la relation sociale. En codifiant les termes de la relation à partir d’une souscription au principe de rendre ce qui est donné, l’entraide est certainement le médiateur privilégié qui sert à manifester l’existence du collectif paysan. » (p. 211).

11 La même analyse peut s’appliquer aussi aux marchés traditionnels qui sont les lieux où le circuit économique des mornes est bouclé. « Les marchés pourraient ainsi être retenus comme l’expression hautement symbolique de cet espace maîtrisé des mornes en affichant, précisément au centre des bourgs et des villes, la pleine capacité à être – économiquement, socialement – par soi-même et non plus par cet Autre des plantations. » (p. 217-218). Cet « espace maîtrisé » l’est aussi dans le temps car la structure foncière a résisté à un émiettement excessif. Quatre à six générations après les pionniers, le morcellement a été contrôlé, grâce au départ préférentiel des femmes, à l’indivision, aux accords plus ou moins informels entre cohéritiers. Par ces multiples pratiques, la paysannerie des mornes a réalisé un véritable « tour de force foncier », contrairement à la vision de ceux qui n’y ont vu qu’un monde de non-droit (p. 126 et s.).

12 Le dernier chapitre est consacré à une analyse critique des conceptions de trois auteurs, Affergan, Glissant et Chamoiseau, en procédant à une double opposition : « identité collective versus aliénation collective » pour s’opposer aux thèses des deux premiers ; « unité sociale versus « diversalité » » pour discuter la vision des mornes qu’a Chamoiseau dans son roman Texaco. La critique de la démarche suivie par Affergan est rude car elle s’attache aux fondements méthodologiques de son analyse, Affergan ayant biaisé son analyse en faisant l’amalgame entre pêcheurs et paysans lors de son interprétation des travaux de Price. Glissant et Chamoiseau ont droit à un beaucoup plus d’égards, particulièrement pour les nuances qu’ils introduisent dans leurs deux derniers essais dans leur analyse de la nation, des racines, de l’identité. L’auteur voit ainsi à travers « l’errance enracinée » de Glissant ou « la construction souterraine du pays » de Chamoiseau des formulations qui pourraient « … enfin dire la spécificité des mornes dans l’univers antillais : cefle d’avoir construit dans un rapport étonnamment fort à la terre, les constituants d’une identité qui ne soit pas provisoire. » (p. 234).

13 Dans sa conclusion, Christine Chivallon montre que l’analyse des processus d’appropriation foncière, des stratégies familiales permet d’aller à rencontre d’une vision négative de la possession et de l’identité. Elle souligne l’intérêt de l’analyse

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spatiale, menée ici dans une perspective « trialectique » associant espace – temps – social pour faire émerger à travers l’étude des mornes la richesse identitaire d’un groupe social jusqu’alors nié ou décrié. Laissons-lui encore la parole en reprenant les dernières phrases de son ouvrage : « l’expérience des mornes apporte dans l’univers antillais, la tonalité d’une identité complètement dévolue à se localiser, mais ne le ramène pas pour autant à elle. Il est bien d’autres aspects de cet univers qui traduisent des façons différentes d’affirmer une présence. C’est ici qu’à mon sens se loge la diversité, n’ont pas dans une identité mosaïque ou désordonnée et néanmoins unique, mais dans la pluralité des manières de se situer au monde. En attestant des formes de la territorialité, l’expérience des mornes n’enlève rien à la diversité créole mais ajoute au contraire, et de façon magnifique, à la palette des possibles créoles. » (p. 239).

14 Au total, tout en saluant les solides qualités de ce travail, soulignons quelques regrets. Nous aurions aimé une analyse des mornes qui soit davantage associée au reste de l’espace martiniquais. Bien sûr l’auteur aborde ces relations à travers le phénomène migratoire, les relations économiques mais il y a certainement plus à dire sur les modalités des échanges entre le monde des mornes et celui des villes ou de Tailleurs hexagonal. Le rôle de l’automobile, la complexité du jeu foncier évoluant entre déprise et renouveau, la perception du monde par ces communautés paysannes auraient pu donner une dimension géographique supplémentaire à l’analyse spatiale. Bien sûr, ces problématiques transparaissent tout au long du livre, particulièrement aux pages 173 à 181. Mais se pose alors un autre problème celui de la coupure chronologique, fixée à 1960. Christine Chivallon, en recentrant son propos sur la « reconquête collective » des mornes évacue ainsi les quatre dernières décennies qui avaient donné matière aux chapitres 11 et 12 de sa thèse dont elle tirait des conclusions pessimistes. Le cadre chronologique choisi dans son dernier ouvrage permet, nous l’entendons bien, de se concentrer sur l’édification de la société des mornes ; mais n’est-il pas ainsi plus confortable, en évacuant l’analyse de la confrontation de cet univers avec une modernité qui porte en elle les germes de la dégradation ? Quoi qu’il en soit, nous nous trouvons face à un ouvrage dense, rigoureux et fécond, un livre qui met à la portée de tous la recherche universitaire de l’auteur, déjà fort appréciée des spécialistes de la question. Bref, un livre à ajouter à la liste des références.

AUTEURS

CHRISTIAN DE VASSOIGNE GEODE Caraïbes Département de géographie Université des Antilles et de la Guyane

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Béatrice BOISSARD, L’applicabilité des dispositions du GATT/OMC dans les départements français d’outre-mer, partie du territoire communautaire

Jean-Michel Ragald

RÉFÉRENCE

Béatrice BOISSARD, L’applicabilité des dispositions du GATT/OMC dans les départements français d’outre-mer, partie du territoire communautaire. Thèse. 1997.

1 D’une insolente pertinence, la thèse de mademoiselle Béatrice Boissard a l’intérêt de souligner quelques problèmes posés par la dualité « situationnelle » des D.O.M. même si l’intitulé de la thèse n’exprime pas a priori cette ambivalence car ainsi formulée : « L’applicabilité des dispositions du GATT/OMC dans les départements français d’outre- mer, partie du territoire communautaire ».

2 Toutefois, il est difficile d’y échapper. Utilisant une structure binaire, elle a orienté sa réflexion en premier lieu sur l’intégration des départements français d’outre-mer dans la Communauté Economique Européenne et en second lieu sur leurs relations commerciales dans leur zone géographique respective. Certes, eu égard à ces deux parties, c’est à vrai dire plus cette « double casquette » qui ressort que l’applicabilité des dispositions du GATT/OCM.

3 En guise d’introduction, le rappel de la position des D.O.M, dans son contexte juridique onusien, constitutionnel et législatif est effectué. Si le cadre onusien a permis de développer un débat sur le droit de libre disposition, le principe est canalisé par un aménagement de la place constitutionnelle au sens de la République française. Cette logique interne aboutit d’ailleurs à un traitement dual, entre assimilation et adaptation.

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4 Par un raisonnement syllogistique ascensionnel, l’auteur montre que l’ambivalence est aussi une tendance communautaire du fait du statut de régions ultrapériphériques des D.O.M. C’est la donne principale qui gouverne d’ailleurs la première partie de la thèse relative à « l’intégration interne des Départements français d’outre-mer dans la Communauté Economique Européenne ». L’auteur fait la part belle à des comparaisons entre le statut interne des D.O.M. et celui des îles Açores, Madère et Canaries, ces dernières ayant une aspiration autonomique fortement marquée.

5 Puis, en matière économique, l’orientation de la réflexion sur une « économie de rente peu productive » des D.O.M. est effectuée avec toutefois des références, notamment sur le P.I.B., qui auraient pu être actualisées par rapport à la date d’arrêt des travaux.

6 Les développements relatifs à la fiscalité, plus précisément et de manière descriptive aux exonérations de T.V.A., aux droits d’accises sur le rhum et l’octroi de mer gardent toute leur pertinence, même si concernant l’octroi de mer des évolutions postérieures sont insérées dans le patrimoine juridique de ces régions. L’étude du contrôle de la licéité des aides d’États membres par la Commission européenne au titre de l’article 92 du traité CE a été aussi réalisée.

7 Toutefois, certaines positions de l’auteur amènent quelques interrogations. L’emploi de l’expression « intégration partielle » des D.O.M. dans la Communauté en raison de la politique de différenciation et la position sur la caducité de l’article 227 § 2 par l’emploi d’une technique jurisprudentielle donnent à réfléchir.

8 Hormis ces points de discussion, certaines idées ont été développées en abondance. Une mention toute particulière sera faite à la subsidiarité et à l’évolution de la politique régionale dans les D.O.M. avec le remplacement du FED par les fonds structurels. De plus, la volonté décentralisatrice de plus en plus manifeste de la Commission est tempérée au niveau directement inférieur par l’emprise de l’Etat sur la politique régionale. Parallèlement à ces questions d’accès à des fonds, la politique agricole s’est mise progressivement en place avec la couverture des productions agricoles des D.O.M.

9 Si la première partie de la thèse concerne « l’intégration interne des Départements français d’outre-mer dans la Communauté Economique Européenne ». la seconde est relative aux relations commerciales de ces départements dans leur zone géographique respective.

10 Là encore une dichotomie traditionnelle a été mise en évidence. Il s’agit de relever simultanément « les contraintes de la politique extérieure de la Communauté dans les départements français d’outremer » et la nécessité d’une coopération avec les pays voisins de la Caraïbe.

11 Ces contraintes concernent plus particulièrement les intérêts économiques des opérateurs des D.O.M. affectés par les systèmes de préférences généralisées, d’où des réactions sévères de l’auteur à l’égard de l’application des dispositions générales de la politique commerciale commune aux Départements français d’outre-mer sans mention aucune de leur « situation spécifique » ou à « la concurrence de leurs produits par ceux des pays tiers ». La problématique reste la même, à défaut de référence à la concurrence accrue des pays voisins dans le cadre de l’article 299 § 2 tel que résultant du traité d’Amsterdam.

12 L’érection du système de préférences généralisées en « instrument de la politique extérieure de la Communauté » s’est traduite par un traitement préférentiel accordé aux pays ACP dans le cadre des Conventions de Lomé ainsi qu’aux Pays et Territoires

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d’outre-mer dans le cadre des décisions d’association, deux traductions juridiques de l’existence d’un lien historique.

13 Ce traitement privilégié et l’attribution d’un système de préférences généralisées de la Communauté aux Pays tiers, en l’occurrence les pays en voie de développement d’Amérique latine et d’Asie (PVDALA), « handicapent les départements français d’outremer ».

14 II s’agit principalement de réductions partielles ou totales selon les catégories de produits de droits de douane à l’importation de produits communautaires et parallèlement une relativisation de plus en plus forte du principe de préférence communautaire, qui, allons plus loin que l’auteur, s’exprime aussi dans la politique juridico-économique nationale1.

15 La position de Béatrice Boissard est particulièrement ferme : elle rappelle « le caractère néfaste des négociations commerciales sur les départements d’outre-mer » tant la contradiction entre les intérêts économiques de certains pays tiers et ceux de ces collectivités est importante. Elles se traduisent quelquefois par des affrontements marqués entre les Etats-Unis et l’Europe, sur des sujets sensibles tels les droits de douanes et les produits agricoles tropicaux, notamment des plaintes extérieures contre TOCM « banane » dont l’histoire nous est contée juste avant les négociations qui ont mené à la modification du règlement n° 404/93.

16 Au total, il faut déduire deux tendances exprimées dans la seconde partie de la thèse. La première a consisté à accorder des avantages à certaines catégories de pays tiers. La seconde, d’ailleurs condamnant le régime privilégié de certains pays tiers et encline à renforcer la position des opérateurs tiers sur le marché communautaire, a consisté à « globaliser la libéralisation ». Dans les deux cas, les intérêts économiques des opérateurs des D.O.M. restent en danger. Sur ce dernier aspect de la question, l’analyse portant sur les licences d’importation constitue une illustration pertinente.

17 Face aux contraintes de la politique commerciale commune, Béatrice Boissard s’est interrogée sur les réponses à y apporter. Elle préconise une « coopération régionale horizontale ». Ce type de coopération passe par une « initiative régionale » plus poussée dans un contexte de mondialisation alors que les départements d’outre-mer sont absents ou n’ont aucun poids dans les négociations multilatérales du GATT/OMC. L’auteur n’apparente pas cette « initiative régionale » à un « droit d’initiative propre des élus locaux » étant donné que la coopération régionale reste une affaire de l’Etat ou de la Communauté.

18 L’absence du poids des D.O.M. est en grande partie liée à une maîtrise essentiellement communautaire des relations économiques extérieures et à leur traditionnelle incapacité juridique à conclure des accords internationaux. Cependant, cette incapacité est atténuée par l’évolution du cadre juridique des relations extérieures de ces collectivités et le déplacement de la notion de relations extérieures vers celle de coopération décentralisée2 remise à l’ordre du jour avec la loi du 5 février 1995 sur l’orientation de l’aménagement du territoire. Le constat de l’auteur est là aussi patent. « L’encadrement sévère de la coopération décentralisée a, bien sûr, des effets sur les initiatives politiques des élus locaux ».

19 La participation des conseils régionaux des collectivités d’outremer sur la base d’avis concernant la coopération régionale en matière économique, sociale, technique, scientifique, culturelle, de sécurité civile ou d’environnement entre la République

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française et les États de la mer de la Caraïbe pour la Guadeloupe, la Martinique ou les États voisins de la Guyane ou les États de l’Océan Indien apparaît comme une association limitée. La particularité du droit des relations extérieures des régions et départements d’outre-mer tire sa source dans le fait que l’article 65 § 3 ne permet, avec l’autorisation du gouvernement, que la possibilité pour les conseils régionaux d’organiser dans le cadre de coopération transfrontière des contacts avec des collectivités décentralisées étrangères « ayant une frontière commune avec la Région ». Seule la Guyane parmi les D.O.M. est concernée par ce texte.

20 L’absence de mainmise régionale sur l’extérieur amène tout naturellement l’auteur à définir l’apport de la Communauté européenne dans le développement de la coopération régionale des régions françaises d’outre-mer par son insertion dans le cadre de la politique régionale communautaire (prise en compte avec les fonds structurels) et par l’existence de mécanismes propres de coopération régionale dans les départements français d’outre-mer (Conventions de Lomé, POSEIDOM en son titre IV). Le rappel des difficultés de développement de la pratique de la coopération régionale est aussi effectué (dissymétrie des pays, marchés régionaux limités, inégalité des conditions d’investissement et de compétitivité ou encore les difficultés de communication).

21 Allant beaucoup plus loin dans l’analyse, l’auteur souligne l’application de schémas de préférences communautaires aux pays associés voisins dans les départements français d’outre-mer en mettant l’accent sur l’aspect douanier de cette « solidarité qui lie l’Europe et les pays d’outre-mer ».

22 Au plan du droit international économique, le doute émis sur la conformité des zones de libre échange présentées par la Communauté a été tempérée par une « trêve juridique » qu’explique l’auteur.

23 Par contre, selon nous et en conformité avec les critères de différenciation des étapes de la typologie de Balassa, tous les éléments constitutifs de l’Union douanière ne semblent pas réunis même s’il reste vrai qu’un régime douanier entre parties associées ne fait l’objet d’aucun doute. De ce point de vue, la nuance aurait pu être apportée eu égard à l’examen des composantes de l’Union douanière à savoir, au-delà de la zone de libre-échange, l’élimination des droits de douanes et de taxes d’effet équivalent, l’établissement d’un tarif douanier commun mais aussi une politique commerciale commune (élément intermédiaire entre l’Union douanière et le marché commun).

24 Devant les privilèges accordés à certains pays tiers de la Communauté Européenne, la protection des intérêts économiques des producteurs des D.O.M. était conditionnée par l’efficience deî mesures de sauvegarde. Avant 1975, elles étaient inefficaces. Après 1975, l’auteur constate à la fois un assouplissement des mesures de sauvegarde, une extension de la notion de « produits originaires » et la création du STABEX. L’auteur souligne aussi le « non-usage » de l’article 226 en faveur des D.O.M. pour la période avant 1975 (en réalité, il valait mieux se fonder sur une période de 12 années prévue à l’article 8 originel du traité CEE, durée de la période de transition terminée en 1970). N’ayant pas eu grand intérêt jusqu’à une période récente, cet article a été abrogé à Amsterdam avant qu’il ne soit reconsidéré par la Cour de Justice dans les arrêts relatifs à l’octroi de mer de 1998 par une « relecture » de la dite disposition liée à une technique de renvoi, ces évolutions intervenant après la soutenance de la thèse. Des considérations sur l’article 115 du traité CEE, qui a eu notamment un intérêt

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économique majeur pour la protection de la production bananière dans les D.O.M. avant l’O.C.M., sont en revanche exposées.

25 Résultant d’une hiérarchie normative, l’examen de la compatibilité de la Convention de Lomé et de la décision d’association de 1976 avec les règles du GATT a été positif. Mais le principe de non-réciprocité, sur lequel certains services de la Commission européenne souhaitent revenir, entraîne des avantages commerciaux au détriment des opérateurs économiques des D.O.M., sans compter les conflits en matière de production de rhum et en matière piscatore mentionnés par l’auteur. En raison de ces oppositions économiques entre pays voisins, des freins réciproques à la liberté du commerce, à savoir d’un côté les « negative lists » et de l’autre l’acceptation par la Cour de Justice de la perception de l’octroi de mer pour les produits directement mis en libre pratique dans les D.O.M., telle qu’applicable avant la mise en place du tarif douanier commun au 1er juillet 1968, ont rendu difficile l’introduction des Départements français d’Amérique dans le contexte caraïbéen.

26 Aussi, malgré une volonté affirmée de coopération, le développement d’une politique purement américaine en matière économique concrétisée par FALENA et le MERCOSUR fait du continent américain « un bloc régional en formation » sous une « responsabilité américaine », la structuration intégrale définitive n’ayant son salut qu’en cas d’atténuation de la rivalité entre les Etats-Unis et le Brésil.

27 Exclus des programmes CBI et CARIBCAN, les D.F.A. ne peuvent bénéficier des mesures financières et commerciales y afférentes. Encore plus, alors que ces collectivités sont perçues par la majorité des élus comme la tête de pont de l’Europe aux Amériques, les règles d’origine et les normes techniques imposées risquent d’entraver la pénétration des produits des D.O.M. dans les marchés du Canada et des Etats-Unis ainsi que celles des produits européens transitant par les départements français d’Amérique. L’amélioration des relations commerciales entre les D.O.M. et les pays tiers voisins en développement passe par la rupture de cet isolement et la rénovation des liens avec les pays environnants (y compris d’Amérique du Sud pour les D.F.A. et l’Afrique du Sud pour la Réunion).

28 Au-delà du simple intérêt juridique de la thèse, des questions en termes d’orientations économiques et de stratégies géopolitiques adoptées par les pays voisins des D.O.M. sont posées en guise d’une ouverture propice à un intense débat. Parallèlement et en sens contraire, c’est la question de la maîtrise « domienne » des orientations à l’endroit de ces pays qui revient de façon récurrente. Si les options donnent lieu à la division, il n’empêche que le travail de Béatrice Boissard laisse le sentiment de l’existence d’une dualité nouvelle sous-jacente à celle qu’elle a dégagée. Il s’agit simultanément de distinguer et d’associer l’isolement géographique par rapport au référent statutaire et l’isolement économique dans un contexte géographique de proximité.

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NOTES

1. D’ailleurs, confortant cette idée, le projet de loi d’orientation agricole n’a aucunement repris le principe de préférence communautaire alors que la loi agricole de 1980 en faisait un principe majeur. 2. L. n° 92-125 d’orientation du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République ; JORF, 8 février 1992, p. 2064.

AUTEURS

JEAN-MICHEL RAGALD Faculté de droit de Rouen

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