25/07/13 RAGEMAG | Vikash Dhorasoo : « On n’utilise pas assez le foot comme lien social. »

Vikash Dhorasoo : « On n’utilise pas assez le foot comme lien social. »

Publié le 1 avril 2013 à 9:29 | par Lucie Bacon | 3

En 2006, Vikash Dhorasoo était sélectionné avec l’Équipe de France pour disputer la Coupe du monde, en Allemagne. Deux mois plus tard, il déclare vouloir arrêter sa carrière internationale. Encore deux mois plus tard, il se fait virer du PSG. Vikash Dhorasoo, c’est la grande gueule du foot, un électron libre qui, 7 ans après la fin de sa carrière, a toujours son mot à dire. Et il a raison. D’autant qu’en 2011, avec ses potes, il crée Tatane, un projet un peu dingue, « parce que le football est un jeu avant d’être un marché ». Comme il a l’air d’être un rageux lui aussi, on l’a rencontré.

Vous avez quitté le monde pro en 2006. Vous jouez toujours ?

Oui, mais je ne joue plus qu’avec des copains, au FSGT. C’est le soir, tard, je prends le RER et le métro pour y aller. Il n’y a plus d’avion privé. C’est une vraie aventure humaine. Ce n’est plus un métier, on ne joue pas devant 50 000 personnes d’un seul coup. Je joue avec des gens qui aiment le foot. Et puis, on joue aussi la 3e mi-temps.

Ça représente quoi le foot, pour vous ?

Le foot, c’est un truc incroyable. C’est vivre ensemble, ce sont des gens qui ont envie de se voir. Jouer à très très haut niveau, c’est difficile. Et le foot business, c’est tout petit, c’est rien par rapport au reste. Par contre, je trouve qu’on n’utilise pas assez le foot comme lien social. La politique, par exemple, devrait utiliser le foot comme un truc fédérateur. Il n’y a rien qui lie autant les gens.

Pourquoi avoir créé Tatane ?

Moi j’aime beaucoup le foot. Avec les affaires Zahia, Knysna, le milieu a été beaucoup critiqué. Comme j’ai été footballeur, je sais que c’est très dur, ces moments-là. On est privilégié, bien payé, on a beaucoup d’avantages. Mais d’un autre côté, on est détesté quand on perd. C’est une erreur : ce système ne se remet jamais en cause. Avec Tatane, on veut faire bouger les choses, il faut faire autrement à tous les niveaux.

Comment le projet a-t-il été lancé ?

On était trois à écrire le manifeste au départ : Brieux Férot, Pierre Walfisz et

« Le foot, c’est un truc incroyable. Il n’y a rien qui lie autant les gens. » moi. C’est devenu un mouvement puis une association. On veut faire bouger le monde politique, on demande la fin des indemnités de transfert par exemple.

Concrètement, qu’est-ce que vous attendez du monde du foot ?

Il y a quatre objectifs clairement inscrits dans le manifeste, comme dédramatiser la défaite et relativiser la victoire. Au foot, on peut gagner et perdre. Notre objectif à long terme, c’est de faire en sorte que le football devienne généreux, qu’il soit tourné vers les autres. Mais le problème, c’est que le football est une économie fragile. Regardez les clubs de deuxième division, ils crèvent.

Comment comptez-vous vous faire entendre ? « Il faut dédramatiser la défaite et relativiser la victoire,

Nous participons à des forums, des colloques d’université. On faire en sorte que le football devienne généreux. » organise aussi des Tatane Party, avec des karaokés, tout ça autour du thème du foot. On veut faire en sorte que des gens qui aiment ce sport se retrouvent et s’amusent. On organise aussi des tournois Tatane, on joue au foot en changeant des règles. Par exemple, il y a la règle du Éric Besson, le traître en puissance : un joueur doit toujours jouer avec l’équipe qui est en train de gagner.

Pourquoi avoir appelé le projet Tatane ?

Pour l’image du coup de tatane dans la fourmilière. Et puis c’est avec ça qu’on joue, dans les quartiers.

Vous êtes pris au sérieux dans le monde du foot ?

Non, on n’est pas encore très aimés, on n’est rien, on est encore tout petits. Mais on va essayer d’être un cheval de Troie. Pour l’instant, on n’est que 6 000 signataires, ça paraît énorme mais ça ne l’est pas dans le monde professionnel. Il y a quand même des anciens pro et des gens importants qui ont signé le manifeste, comme Emmanuel Petit, Éric Di Meco, Ousmane Dabo, Vincent Duluc ou Franck Annesse. On a des connexions avec des associations, avec des personnages politiques. Dès que la ministre des sports, Valérie Fourneyron, me croise, elle me parle de Tatane. On va être de plus en plus identifiés et respectés. On va en mettre des coups de Tatane !

À qui en mettriez-vous en premier ?

À plein de journalistes populistes qui en profitent car ils ont un pouvoir énorme.

Des noms ? ragemag.fr/vikash-dhorasoo-on-nutilise-pas-assez-le-foot-comme-lien-social-22804/ 1/3 25/07/13 RAGEMAG | Vikash Dhorasoo : « On n’utilise pas assez le foot comme lien social. » « Les journalistes populistes me dégoûtent. Ils sont trop Non, ils me dégoûtent. Si on entretient la haine, c’est dangereux. Ils sont trop dans la haine du sportif qui gagne de l’argent. Je ne dans la haine du sportif qui gagne de l’argent. » supporte pas qu’on n’aime pas les footballeurs, comme je déteste tout ce qui surfe sur la haine.

Pensez-vous que des clubs puissent vraiment respecter l’esprit Tatane ?

Oui, s’ils le veulent, ils peuvent tous le faire. Et ce serait génial.

Dans le manifeste Tatane, il est indiqué que les footballeurs ne sont pas des héros. Quand on entend parler dans les médias du transfert de David Beckham ou des exploits de Zlatan Ibrahimovic, que ressentez-vous ?

En fait, ça me fait rire. Ce ne sont pas des héros, ils ne sont pas là pour sauver la planète. On leur demande d’être les meilleurs, d’être des exemples. À 25 ans, on est jeune, il y a beaucoup trop de pression. D’ailleurs, dans ce métier, on ne paye pas le talent. On paye le stress.

Et pensez-vous qu’ils sont trop payés ?

À quel moment ça devient indécent de gagner de l’argent ? Le football professionnel, c’est une entreprise qui marche sur la tête. Ce n’est pas le fait qu’Ibrahimovic gagne beaucoup d’argent qui est gênant, c’est plus la faute à une économie folle. Beckham et Ibra, pas vraiment des héros pour Vikash

Vous avez soutenu la proposition d’Hollande de taxer les revenus à 75%. Vous répondez quoi à ceux qui disent que cela pourrait faire fuir les footballeurs ?

Ça va juste faire fuir les cons. Et puis aller dans un grand club pour gagner plus d’argent, c’est ridicule.

Vous trouvez que les footballeurs ont mauvaise « Taxer les footballeurs à 75 % ? Ça va juste faire fuir les réputation ? cons. » Oui, on l’a vu avec les affaires Zahia et Knysna. Finalement, peu de gens aiment le foot. Les footballeurs ne sont vraiment pas aimés, je l’ai bien senti. On ne les aime que quand ils gagnent. Sinon ils se font insulter. Quand je vois des gens qui sifflent Ibrahimovic au Parc parce qu’il a fait un mauvais match… Mais ils sont sérieux ces gars ?

Vous avez joué vous-même au PSG, club duquel vous avez été licencié…

Oui, je me serais bien passé de cette histoire. J’ai écrit un article contre (son entraîneur à l’époque, ndlr), certes, mais ça ne méritait pas un licenciement. Je reconnais que mon papier méritait une autre forme. Mais Lacombe n’avait pas compris que le foot, c’était mon métier. Il a fait en sorte que je perde mon métier, et ça c’est quelque chose de très grave. Ce n’était pas le fait qu’il ne me fasse pas jouer qui était grave. Dans un autre métier, on aurait appelé ça du harcèlement psychologique. Mais dans le football, c’est différent, surtout qu’on peut craquer à tout moment.

Il a été dit que vous étiez un protégé de . Comment vivez-vous l’agitation médiatique autour de lui ?

J’ai toujours eu de supers rapports avec lui. Il m’a toujours pris dans ses équipes, il m’a emmené à la Coupe du monde, c’est un super type. Knysna, je l’ai vécu de loin, comme tout le monde. Ça a été un carnage, dont il est forcément responsable. Des personnages politiques, comme Roselyne Bachelot, ont beaucoup critiqué le système après ça, mais c’est aussi eux qui l’ont formé. On a accablé Domenech pour des conneries.

Mais comment peut-on changer le milieu ? « Quand je vois des gens qui sifflent Ibrahimovic au Parc

Il faut changer les systèmes de formations. Il faut avoir envie de parce qu’il a fait un mauvais match… Mais ils sont sérieux former des citoyens, de les intégrer à la société. Il ne faut pas former ces gars ? » des gars qui servent le capitalisme.

En juin dernier, vous disiez soutenir Samir Nasri dans une tribune publiée dans Le Monde. C’était ironique ?

Non pas du tout, je le soutenais vraiment. Je connais les journalistes auxquels il s’adressait, à qui il a demandé de se taire. Quand L’Équipe fait sa une avec le « Va te faire enculer » d’Anelka, le journal trahit le foot. C’est du populisme. Le lien est cassé entre les footballeurs et les médias. Nasri a eu raison de s’en prendre aux journalistes. Les journalistes, ce ne sont pas des gens qui vous aiment. Ils ont juste besoin de vous pour les interviews, pour savoir ce qui se passe dans les vestiaires. Mais ils créent de l’individualisme. À eux de créer quelque chose de collectif. Sur ce coup-là, L’Équipe l’a joué perso.

Malgré tout, vous vous rendez parfois sur des plateaux télé, comme consultant…

Oui, j’y vais car je suis le gaucho de service, et ça les fait marrer. Mais dans ce genre d’émissions, ils préfèrent les mecs aseptisés, qui n’ont pas vraiment d’avis. ragemag.fr/vikash-dhorasoo-on-nutilise-pas-assez-le-foot-comme-lien-social-22804/ 2/3 25/07/13 RAGEMAG | Vikash Dhorasoo : « On n’utilise pas assez le foot comme lien social. » Vous êtes très engagé politiquement. C’est assez rare les footballeurs qui ont un avis politique. Vous voulez remédier à cela aussi ?

Je soutiens toujours le candidat de gauche : j’avais soutenu Royal, j’ai soutenu François Hollande… Je ne crois qu’en la politique. Tout est politique. En général, les gens qui disent ne pas s’y intéresser ou qui sont indécis votent à droite. Au centre de formation, on devrait expliquer aux footballeurs les raisons pour lesquelles ils payent des impôts par exemple.

Vous êtes aussi engagé contre l’homophobie, avec le « Je ne crois qu’en la politique. Tout est politique. Au centre Paris Foot Gay. de formation, on devrait expliquer aux footballeurs les Oui, j’en suis le parrain. C’est un moyen de lutter contre toutes les raisons pour lesquelles ils payent des impôts. » discriminations. Quand on voit ce qui est fait aujourd’hui politiquement pour le mariage pour tous etc., on se dit avec mes potes qu’on a dix ans d’avance. C’est le sens de l’Histoire, même si ce n’est pas gagné du tout. Être homosexuel dans un vestiaire, ça ne doit pas être facile, voire pas possible du tout.

Vous êtes réalisateur aussi, il paraît ?

Oui, en mars, avec Pierre Walfisz, on produit un film d’auteur en Inde. Mais ça ne va pas être du Bollywood, ce sera un court-métrage sur les rapports entre hommes et femmes.

Et vous avez d’autres projets ?

J’aimerais bien créer des lieux alternatifs, avec des gens qui se parlent, qui se croisent, autour du foot ou d’autre chose. Mais pour ça, il faut des sous…

Boîte noire

Début mars, Vikash Dhorasoo affirmait dans Le Monde que Zlatan s’était fait « beckhamisé» ;

Dhorasoo invité dans On n’est pas couché pour présenter le projet Tatane ;

de la Coupe du monde de 2006, où il aura joué 16 minutes, Vikash Dhorasso a fait un film : Substitute ;

pour soutenir Tatane, pour un football «durable et joyeux », vous pouvez signer ;

« Le sport est une espérance », par les fondateurs de Tatane ;

et régulièrement, sur So Foot, des chroniques de Vikash.

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À propos de l'auteur

Lucie Bacon Parle parfois de littérature, parfois de foot. Comme quoi tout arrive.

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