Chronos- Revue d’Histoire de l’Université de Balamand, is a bi-annual Journal published in three languages (Arabic, English and French). It deals particularly with the History of the ethnic and religious groups of the Arab world.

Journal Name: Chronos

ISSN: 1608-7526

Title: Jerusalem vs. Mekkah: Two Pilgrimage Sites between , Greece and Turkey

Author(s): Galia Valtchinova

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Valtchinova, G. (2019). Jerusalem vs. Mekkah: Two Pilgrimage Sites between Bulgaria, Greece and Turkey. Chronos, 18, 55-86. https://doi.org/10.31377/chr.v18i0.464

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CHRONOS Revue d'Histoire de I'Universiti de Balamand Numero 18, 2008, ISSN 1608 7526

«JERUSALEM DES RHODOPES » VS. , « LA MECQUE DES RHO DOPES » : DEUX LIEUX DE PELERlNAGE ENTRE LA BULGARlE, LA GRECE ET LA TURQUIE

GALlA VAL TCHINOV A I

Dans Ie premier tiers du XXe siecle, Ie massif des Rhodopes, dans Ie sud-est de la Peninsule balkanique, est transforme en une zone de frontieres. Accueillant les delimitations territoriales entre trois des grands Etats modernes de I'Europe du sud-est - la Grece, la Bulgarie et la Republique turque -Ies Rhodopes se transforment, de terrain vague aux portes de la capitale de I'Empire, Istanbul, en peripMrie lointaine, voire, en confins dangereux. La population de confession musulmane a l'appui, l'image des Rhodopes comme une zone sauvage (etlou fermee) reste pregnante dans I'imaginaire national, tant bulgare que grec, jusqu'a la fin de la Guerre froide. C'est precisement au cceur de cette region ou se cOloient des populations et des cultures differentes, dans la partie bulgare des Rhodopes, qu'emergent et se developpent, au cours du XXe siecle, deux Iieux de pelerinage designes par les symboles des deux grandes religions. L'un, Mabli sur Krastova Gora (Mont de la Croix), fut lance dans les annees 1930 par un visionnaire ortbodoxe : son action, insolite ii. premiere vue, se revele prise dans un fI!seau de supports et de complicites. Malgre Ie regime communiste, une activite religieuse se poursuit jusque dans les annees 1960, et la devotion populaire persiste durant toute cette periode. Ce site de pelerinage chretien ortbodoxe se construisait en opposition, implicite ou explicite, au culte developpe autour du tombeau d'un saint musulman, Ie Yellihon bobo tekke, site situe a moins de 20 km (vol d'oiseau) du premier. Ce culte local prit une tournure particuliere dans Ie contexte de I'islam en recul, et est mis en danger par la modernite sous les traits d'un Etat national chretien. A

I Academie des Sciences, (Bulgarie).

Chronos It' 18·2008 S6 GALlA VALTCHINOVA l'epoque post-communiste, ce culte prend une tonalite de plus en plus politique pour devenir, au cours des dernieres annees, Ie lieu de ralliement d'une elite politique musulmane il. la fois tenue comme garante du pluralisme democratique et porteuse d'un islam moderne. Le reveil post-communiste des deux sites cOIncide avec des transformations profondes sur Ie plan politique et religieu" ainsi qu'avec un changement economique. En quelques annees, les deux sites furent politiquement construits comme « 1a Jerusalem des Rhodopes » faisant face a la ~(Mecque des Rhodopes », une vision qui prit racine par Ie biais des medias. Dans ce texte, je vais d'abord decrire la situation regionale, pour interroger en suite les circonstances de mise en place, pour chacun des deu" sites, d'une vision de petite Jerusalem ou de Mecque locale, pole d'attraction pour les communautes respectives d'une plus vaste region. La confrontation des deux peJerinages et des logiques qui sont a I'ceuvre dans Ia mise en place de chacun d'eux se prolongera par un bref examen des changements des realites et de la notion meme de « frontiere » a I'epoque post-communiste. En explorant l'appropriation locale des grands centres religieux et de leurs symbolismes, ce papier propose un certain regard sur la grande question du partage etlou de la confrontation religieux/ se qui se jaue dans les sites sacn~s mixtes\ et offre une voie mediane qui privilegie Ie contexle.

Lieux de pelerinage, frontieres religieuses et politiques

Une premiere mise au point: i1 s'agil d'etudier Ie fonctionnement d'un element central des grandes religions - Ie pelerinage - il. travers Ie role que ces mouvements devotionnels tiennent dans une region frontaliere aux confins de l'Europe. D'une grande puissance suggestive a elles seuIes, les metaphores de «Jerusalem » et de « Mecque » pour deux sites de pelerinage obscurs des Balkans renvoient a la vision nuancee de Fr. Barth (1995 [1969]) de la frontiere comme ligne de separation autant que lieu de reneontre et de brassage. Dans Ie sud-est europeen, une zone de frontiere nationale esl souvenl une peripherie a reconquerir

2 Cette question prend corps avec Ie debat autonr de l'article de R. Hayden 2002 et toute une serie de reunions scientifiques et de papiers publics depuis : v. Albers 2005, Duijzings 2000, en particulier pp. 65-85. .. JERUSALEM OF-S RHODOPES " VS. '" LA MECQU E Di!,s RHODOPES " 57 continuellement, au sens politique et culture! du mot. Peuplee de groupes allophones, elle est souvent marquee par I'alterite confessionnelle : les entites historico-geographiques de Transylvanie, de Kosovo ou de Macedoine sont des exemples de choix dans ce sens. Souvent economiquement sous-developpees, ces peripheries nationales renvoient une image plus compliquee que celle du « colonialisme interne" (Hechter 1974) ; leur conquete et reconquete se traduit beaucoup plus sur Ie plan de I'allegeance politique, ainsi que par I'homogeneite culturelle, que sur Ie plan economique. SOllS la pression des logiques modernisatrices, une ancienne peripherie peut acquerir nne dimension de centre et vice versa: c'est ce qui s'est produit lors du passage de la forme politique et culturelle de l'empire (Empire ottoman, celui des Habsbourg) aux Etats nationaux. Plus recemment encore, suite aux changements de conjonctures economiques et politiques a I'echelle globale, les territoires qui fluent longtemps peripheriques dans une logique nationale acquirent une nouvelle dimension de centralite ; l'essor recent du pays catalan espagnol est une bonne illustration de ce processus. Dans de nombreux cas, les peripheries des pays balkaniques se trouvent investies d'un fort capital symbolique, de regIe lie a un imaginaire historique tres puissant (les « berceaux » des nations modernes)'. Ces hauts lieux historiques, au de grandes idees nationales se trouvent en rivalite, voire en conflit, sont des centres4 d'une grande puissance symbolique se trouvant aux peripheries des Etat-nations modernes. La mise a profit de leur capital historique et symbolique peut produire d'importants reperes d'action politique, avec une connotation nationalistes. Ce qui nous interesse, en l'occurrence, c'est dans queUe mesure, et comment, les tensions accumuIees aux marges territoriales d'un Etat balkanique peuvent s'exprimer - au bien etre transcendees

J Pour une illustration visuel1e de l'idee d'un berceau d'Etat moderne, voir la carte dans Valtchinova 1994 ; 233. Ces berceaux coIncident rarement avec Ie centre politique des actuels Etats. 4 Pour brosser ce tour d'horizon, les categories de centre et de peripherie sont utilisees contormement a leur usage dans Greenfield & Martin, eds., 1988, et surtout Martin 1988.

S L'exemple Ie plus recent de l'usage politique - avec des consequences devastatrices - d'une 'peripherie nationale' a haut symboJisme historique, c'est l'exemple du Kosovo dans la politique serbe ; Ie champ de bataille de Kosovo polje fut transforme en un veritable lieu de pelerinage politique (Lukic-Krstanovic 1995). D'autres exemples dans ce sens peuvent etre trouves en Transylvanie (d. Losonczy 1997), ou J'on observe une multiplication des lieux de pelerinage aussi bien hongrois que roumains.

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- sous une forme symbolique et plus precisement reli~ieuse. nest demontre qu'en Europe occidentale, les peripheries des Etats-nations modernes comme la France, l'Espagne, l'Allemagne presentent un profil de religiosite et une intensite de vie religieuse fort different de ceux que l'on trouve dans les centres ou les villes capitales. Ces peripheries sont marquees par des explosions devotionnelles qui peuvent se cristalliser en des pelerinages a 1'echelle nationale, voire glohale, comme c'est Ie cas de Lourdes. Elles peuvent aussi bien etre supprimees des qu'elles echappent au controle du pouvoir central, comme c'est Ie cas du pelerinage d'Ezkioga au pays basque espagnol (Christian 1996) ou avec les apparitions de Marpingen (Blackbourn 1993) ; d'ailleurs tous Ies deux furent compares, a leurs apogees respectives, a Lourdes et a Jerusalem. Ce qui fait de ce type de pelerinage un lieu particulierement sensible aux changements de frontiere et a la construction nationale.

Frontieres dans les Rhodopes a l'age des nationalismes

Nos deux sites de pelerinage emergent dans une region acquise pour Ie projet politique (et dans Ie territoire) bulgare par fragments, entre 1878 et 1913. Pourtant, dans Ia region des Rhodopes, Ie projet bulgare a du mal a etre adopte meme par des groupes chretiens, et ceci bien apres 1878. De fait, depuis Ie XIV e siecle, Ie christianisme et 1'islam y cohabitent, se melangent et, parrois, se confrontent. Avant d'etre traverses par Ies frontieres separant la Bulgarie de Ia Grece et ces deux Btats de la Turquie, les Rhodopes etaient une vaste zone de rencontre entre trois traditions differentes au sein du christianisme orthodoxe (greco-byzantine, iberique et bulgare), et d'un islam balkanique varie. Or la rivalite intra- et, surtout, inter-confessionnelle represente l'envers du brassage qui s'est poursuivi pendant plusieurs sieeles. Pluriseculaire, la presence chretienne grecque est confinee aux villes, pourtant d'un fort rayonnement economique et culturel, de Philippoupolis (Plovdiv) et Stenimachos (Stanimaka). Elle s'appuie egalement sur une fondation religieuse, Ie monastere de Petritzon !Backovo', longtemps foyer du

G so~ fondateur principal, Gregorios Bakouriani, d'origine georgienne, fut l'un des generaux distingues des Comnenes et grand proprietaire fancier ; les Regles du monastere stipulent que les moines doivent etre d'origine iherique. La communaute s'ouvre aux moines grecs a partir du XIVe siecle. Le monastere est une stauropegie affiliee directement au Patriarcat de Constantinople; tout Ie long de son existence, i1 reste independant des structures reIigieuses locales, voire, en rivalite avec eUes. .. JERUSALEM DES RrIODOPES ,. VS .... LA MECQUE DES RHOOOPES ,. 59 christianisme iberique (georgien et armenien). Le christianisme rural est porte par la population slave-bulgare dont la prise de conscience bulgare, au sens national du terme, s'est operee au cours du XIXe sU,c\e. C'est dans les annees 1830-1860 que les identites nationales y emergent, au cours d'une lutte exacerbee entre 'Grecs' en 'Bulgares' pour l'Eglise nationale bulgare. Cette lutte n'a pas empeche l'echange economique regulier : une forte proportion de la population masculine des villages bulgares pratique des metiers lies a un travail saisonnier en Grece. Aces deux groupes de populations orthodoxes s'ajoutent les Valaques, pasteurs semi-nomades parlant une forme de roumain, ainsi que des groupes mineurs. A I'heure du partage national, les petits groupes doivent endosser une identite lisible comme grecque ou bulgare. Apres la constitution de la Principaute de Bulgarie (1878) et surtout apres l'unification, en 1885, de celle-ci avec la region autonome (sous controle ottoman) de Roumelie Orientale, l'identite grecque se trouve de plus en plus mal toleree. Des decennies durant, ceux pour qui I'ascension sociale passait par la langue et la culture grecque, dits grecomaniaques, Maient intimides car considen,s par l'ideologie nationale bulgare comme des traitres de la Nation. Tres nombreux dans la ville de Stanimaka et ses environs - groupe de villages hellenises connus sous Ie nom de 'petite Grece' - les Grecs et les nombreuses familles hellenisees sont vises par des actes de haine qui vont jusqu'au pogrom (en 1906). Apres la Grande guerre, une convention d'echange mutuel des populations est passee entre la Bulgarie et la Grece (1922)' et la population d'identite grecque emigre vers sa « patrie ». Entre 1922/23 et 1930, Stanimaka se vide de ses anciens habitants. La carte demographique des populations dans les Rhodopes Centrales change radicalement dans la periode de l'entre-deux-guerres. A cOte de l'ensemble heterogene de chretiens, il y a une nombreuse population musulmane qui se constitue a l'epoque ottomane et surtout a partir du XVlle siecie. Elle se repartit en deux groupes : les musulmans bulgarophones au d'un cote, majoritaires a l'ouest et au centre des Rhodopes ; les Turcs concentres dans l'est, de l'autre'.

1 S'inscrivant dans l'homogene'isation nationale pratiquee a l'echelle balkanique, apres la Grande guerre, cet echange (et les resultats, des masses de populations deplacees) fut et reste manipuJe ades fins politiques dans les deux pays. nest pourtant peu etudie dans la litterature : cf. la documentation dans Ladas 1932 : 25-331. I Pour la distribution de ces populations dans les Rhodopes, v. Aleksiev 1997 ; Apostolov 2001 : 104-112; Ivanova 2001a; Konstantinov 1993: 73-77; Konstantinov & Allaug 1995 (carte p. 17).

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Tout au long de la periode nationale (apres 1878, resp. apres 1912), les Pomaks sont toujours majoritaires dans I'aire ou se situent nos deux Heux de culte. Leur integration a FEtat bulgare commence en 1878 (1a guerre dite de Liberation), rnais elle n'est definitive qu'en 1913, apres les deux guerres balkaniques'. Apr"s la Grande gueITe, l'Empire ottoman, entre-temps devenu la Republique de Turquie, se retire completement de l'aire des Rhodopes. Desormais, la montagne est traversee par une frontiere separant deux Etats chretiens orthodoxes qui se considerent tous deux I6ses dans la realisation de leurs grands projets territoriaux. Dans la nouvelle situation, la nombreuse population musulmane qui demeure sur place doit s'accommoder du pouvoir d'un type nouveau, porteur d'une alterite essentielle, ou bien suivre son sentiment de loyaute traditionnelle - et elre prete a recon­ naitre comme sien Ie projet national tuTe, moderniste a outrance. Une partie des Turcs, ainsi que des Pomaks bulgarophones, part vers la Turquie : ce depart echappe a la definition stricte de deportation ou d'exil'". Ceux qui restent subissent les soubresauts d'une politique bulgare inconstante tout au long du XXe siecle. Cette politique atteint son paroxysme dans les annees 1980, lorsque Ie regime communiste tardif lance une campagne d'assimilation de la population turcophone et d'identite turque. Populairement connue comme Ie 'hapteme des Turcs', cette campagne se repereute sur les Pomaks qui ont deja subi, a plusieurs reprises, des pressions de ce genre. La campagne provoque de vives tensions au sein de 1a nation et la perte de con fiance mutuelle entre populations de confession differente. Elle mene a la crise turque de l'ete de 1989 et a la« grande excursion» - euphemisme pour l'exode vers la Turquie d'environ 300 000 personnes, une population

9 Meme pendant cette longue periode de transition, d'Empire ottoman a Etat nation chretien, les musulmans et surtout les Pomaks des Rhodopes se montrent plutat hostiles au projet national bulgare. Cf. Lory 1989 pour la .. republique pomak .. de la vallee de Vaca, voisine aIa region au les deux sites de pelerinage ant surgi ; pour les mouvements de contestation de la periode d'entre-deux-guerrcs cf. Neuburger 2004 : 41-46. 10 Malgre certaines prises de position dans ce sens, assimiler ce que R. Brubaker (1996 : 152 sq.) d6finit comme .. unmixing of peoples in the aftermaths of Empire .. it la deportation ou it l'exil serait une simplification excessive. Les notions traditionnelles de la population musulmane locale de loyaute vis-a.-vis d'un pouvoir assimile a la religion (en l'occurrence, l'Etat ottoman) ne sont generalement pas considerees (et etudiees) comme composantes de la prise de decision pour une expulsion ou emigration vers la Turquie. ,,]ERUSAl.EM DE.'i RHODOPES .. VS . .. LA MECQUE DES RlIOOOPES .. 61 parfaitement integnle dans I'economie bulgare - qui ebranle Ie regime et contribue a son changement, Ie 10 novembre 1989". D'ailleurs les deux grands groupes de population musulmane sont soigneusement distingw!s par I'ideologie nationale bulgare, occupant des degres d'alterite differents a I'interieur d'un systeme identitaire de reference dans lequellangue et religion jouent un role a peu pres egal. En raison de leur langue, les Pomaks sont vus comme proches dans leur alterite et, pour ainsi dire, recuperables pour l'idee bulgare. La politique d'integration a leur egard cst particulicrcmcnt changcante, passant d'une tentative de conversion a une relative tolerance qui les assimile aux Turcs (jusqu'en 1934), avant de revernr a une bulgarisation modernisatrice de plus en plus pressante". Le choc se produit des les guerres balkaniques (1912-1913), lorsque la plus grande partie de cette population se retrouve dans les frontieres de la Bulgarie ; une campagne d'integration des Pomaks est alors lancee. Elle prend la forme d'une 13 conversion religieuse et se termine par un echec retentissant . Au COUfS des decennies suiva ntes, I'integration plus ou moins forcee de cette population sera pro nee en termes de modernisation, sans defi explicite Ii la religion. Pourtant, Ie spectre de la conversion - ou du moins, de l'abandon de la religion et de l'atheisme force, pour la periode du communisme - guette tout Pomak qui veut se fondre dans la societe bulgare. De fait, ni Bulgares malgre leur langue, ni Turks malgre leur

II Officiellement appete .. processus de retablissement de I'identite de la population islamisee par la force », cette campagne, connue davautage camme " Ie changcment des noms )0 au .. Ie bapteme de Turcs lO , recouvre un ensemble d'evenements. Apres un echauffement du nationalisme bulgare, en dtkembre 1984 Ie gouvernement bu lg:are lance une assimilation forcee de I'ensemble des populations musulmanes. Les mesures comprennent I'adoption de noms (prenoms, patronymes et noms de familIe) per~us comme bulgares Oa plupart, chretiens), l'interdit de parler Ie turc dans les lieux publics, Ie renoncement a une serie de coutumes dont la circoncision et la sepulture de tradition islamique. Une vive resistance est opposee a maints endroits, suivie de repressions: les victimes civiles remontent a plus de 200 personnes. En 1989, Ie gouvernement bulgare permet Ie depart vers la Turquie des opposants aux mesures d'assimilation et bicnt6t les cantraint a partir : ces departs, volontiers au sous contrainte, sont connus sous Ie nom de la .. grande excursion)O. Pour les details v. Poulton 1991 , 129-15 1 et 153-161 ; Yu. Konstantinov 1992; Eminov 1997: 86-97. 12 Pour les constructions contradictoires de I'identite des Pomaks et les politiques bulgares a leur eg:ard, voir Aleksiev 1997 ; Eminov 1997 : 99-101 ; Georgieva & Zhelyazkova 1994 ; Konstantinov 1992a ; Lory 1993 ; Neuburger 2004 : 44-47 ; TodoTova 1997. 13 Voir Eldarov 2004, en particulier pp. 98-t20.

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religion, les Pomaks sont consideres comme des marginaux par les deux groupes. Tirailles entre I'integration iI. la Bulgariequi suppose la transformation radicale de leur alterite confessionnelle, et la preservation de celle-ci que I'elite moderne fait rimer avec obscurantisme religieux et arrieration", ils oscillent entre identite ethnique et religieuse. Au cours du XXe siede, ils se definissent 1 prioritairement comme des musulmans \ identite souvent renegociee pour permettre l'avancement social. Une identite Pomak il. part entiere commence iI. se developper dans la periode post-socialiste, axee sur la religion.

Le pelerinage de Kriistova gora, ou la chretiente orthodoxe face a l'islam

Le site de Krastova gora est Ie produit d'une forte tradition orthodoxe, pluriseculaire mais aussi travaillee en profondeur par les nationalismes qui se sont developpes dans Ie giron de l'Empire ottoman: ils portent tous l'empreinte d'une rhetorique anti-ottomane et par assimilation, anti-musulmane. Ainsi tradition et developpements modernes se donnent rendez-vous pour fa,onner, iI. la fin du XXe siede, une Jerusalem locale Iii. ou, un siede plus tot, les populations locales pratiquaient I'islam. Dans la region, la tradition chretienne developpe assez tot des formes de mobilisation religieuse : des pelerinages et les devotions iI. des cultes particuliers, surtout ala ViergelTheotokos. Dedie iI. I'Assomption de la Vierge (Koimesis Theotokou) , Ie monastere de Backovo etait un centre de devotion mariale depuis Ie Moyen Age; un grand pelerinage lie iI. la fete patronale, la Dormition de la Vierge, est atteste depuis Ie XVIe siede, avec une importance toujours grandissante. Sous l'influence du monastere, la ville de Stenimachos/Stanimaka devient, au cours de I'epoque ottomane, un pole de culture grecque et de spiritualite chretienne". Au XIXe siede, la

14 Plusieurs campagnes eurent pour but de .. civiliser ,. les Pomaks sans faire recours a la religion; pour des developpements sur la question M. Neuburger 2004 : 46-54, 85-14l. n Les nouvelles mythologies identitaires des Pomaks sont repertoriees dans Balikci 1998 ; Georgieva & Zhelyazkova 1994; Konstantinov 1997 ; Todorova 1997. 16 Les developpement de C. Asdracha (1976 : 71 -75) sur l'epoque mediE~vale sont largement bases sur des realites de l'epoque ottomane; les discours grecs sur Stanimaka, impregnes d'un nationalisme typique du XIXe siecle, sont vehiculees dans Apostolidis 196211929). .. ] tRUSALEM DES RHODOPES • VS . .. LA MEcQUE DES RHODOPES • 63 combinaison entre Ie grand monastere et un centre urbain helJenisant donne des formes particulierement aigues il la rivalite religieuse par laquelle commence I'emancipation nationale bulgare. Les agendas nationalistes grec et bulgare sont adoptes avec determination par la communaute chretienne dans l'aire de Stanimaka-Backovo. La rivalite intra-confessionnelle aiguise les sensibilites et fait monter les enjeux pour capter les esprits des locaux dans des formes de devotion chretienne de plus en plus elaborees. On les observe precisement dans la ville de Stanimaka, ou Ie culte de la Vierge est c6Mbre l;.UIIlIUe une sorte de marqueur ethno-national grec : une veritable bataille se livre autour du passage d'une eglise locale dediee il la Vierge (de l'Annonciation) du Patriarchatit l'Exarcatbulgare". Vers la fin du XIXe et au debut du XXe siecle, les processions lors des fetes de la Theatakas jouent un role important pour la mobilisation nationaliste grecque. A cOte des fetes traditionnelles, de nouvelles celebrations - dont les acteurs principaux sont des femmes - se mettent en place, des traditions inventees (Hobsbawm & Rangers 1983) qui renvoient it des constructions savantes de la grecite. La reponse bulgare est dans Ie meme registre : des visions de Liturgie Divine ou Ie nom du roi bulgare est chante, des messages de la Vierge pour la paix re~us des paroissiennes de I'eglise « bulgarisee » de l'Annonciation ". C'est dans ce contexte que Ie surnom de 'petite Jerusalem' se fixe pour la ville de Stanimaka, reclame par une population citadine et hellenisante face it une autre, 'paysanne' et bulgare. AttestEl pour la premiere fois au XIXe siecle, ce surnom s'impose parallelement il la politisation des cultes locaux et survit it l'exode des Grecs. De nos jours, les gens de Stanimaka!As senovgrad partagent avec fierte Ie savoii' local concernant Ie rayonnement religieux de leur ville, qui depassait de loin son importance administrative et en tant que petit coeur de la chretiente, etait comparable it la Terre Sainte". La tradition musulmane dans l'aire de Krastova Gora est portee

17 Les cas syptomatique de cette eglise est etudie par Daskalova 1996 ; cf. Baeva & Valtchinova (sous presse). II Pour les deux nouvelles fetes a Theotokos, Prepoiovenie [litt. « moitie .. j et .. Ia Pomme d'Or .. - toutes les deux associees au cycle pasca1- v. Baeva 2001 : 67-83, Sur la 'bataille' greco-bulgare a travers des symboles religieux chretiens, v. Dobreva 2005. Le terme d'egiise 4< bulgarisee .. , employe egalement par rapport it ]a Vierge (Theotokos/Sveta Bogorodicaj, fu t en usage localement a la fin du XIXe siec1e.

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exclusivement par les Pomaks. Jusque dans les annees 1920, ils y composaient la quasi-totalite de la population, une proportion qui faiblit vite par suite de plusieurs petites vagues de migration vers la Turquie. Les quartiers (mahallas) et villages abandonnes sont investis par des Bulgares orthodoxes. Ce fut Ie cas de Borovo, Ie village Ie plus proche de Krastova Gora; de hameau peupJe de Turcs musulmans en 1912, vers 1935 c'est un village entierement chretien, avec sa propre eglise. Malgre une histoire demographique trios mouvementee, les Pomaks sont toujours majoritaires dans la region ; qui plus est, la population musulmane est actuellement presente dans Ie voisinage immediat de StanimakalAssenovgrad. Les villages de Gomi Voden, Dolni Voden et Kuklen, longtemps reputes comme des « forteresses grecques " sont devenus des foyers d'un islam bien visible"'. C'est dans ce contexte - et un siede apres que l'on a entendu parler de Stanimaka comme de la petite ou seconde Jerusalem - que la meme appellation est attachee iI Krastova Gara ou Krastov, comme 1a nomment les locaux. Vers Ie milieu des annees 1990, on entend parler de la " Jerusalem des Rhodopes » : il s'agit avant tout d'une etiquette donnee par les medias i1 ce site sacre chretien situe en pleine montagne" . En peu de temps, eUe est adoptee par divers acteurs Gournalistes, ecrivains, enseignants, cadres des musees locaux) qui agissent plus au mains comme des entrepreneurs religieux. Krastova Gora emerge comme lieu saint chretien entre 1933 et 1936, dans une periode de transformations politiques et identitaires

III Ce savoir local et reproduit et circule merne sous Ie comm unisme. En paralicIc a la metaphore de Jerusalem, connue et utilisee par les diverses communautes de 1a ville (Ganeva-Rajcheva 2004 : 14), on trouve un autre symbole rattachc a la vine de Stanimaka : Svera Cora (Aghios Oras - Ie Mont Athas), une autre metaphore du centre de la chretiente orthodoxe - centre plus proche et en quelque sens balkanique, Le terme de to: Mont Athos des Rhodopes » s'irnpose grace it des eent<; savants (Stoilov 1997) et a I'action culturelle locale (nouvelle exposition au musee d'Assenovgrad, 2006).

Z(I L'arrivee massive d'habitant" musulmans (surtout Pomaks) dans ces villages vides de leur population grecque ou hellenisante est due au deplacements forces de la population musulrnanc lirnitrophe it 1a Turquie et a la Grece, pratiques dans les premieres annees du l

31 L'etiquette est utilisee pour la premiere fois dans Rodopski Jer.maUm (1996), livret ecrit par des journalistes d' Assenovgrad est destine aux pelcrins. Pour d'autres usages voir par ex. la presse locale de Plovdiv (de 1995 a 1998) et Ie dossier special dans l'hebdomadaire 168 heures [Sofia], 17-24 juillet 1999. "Jt.RUSALEM DES RHODOPES .. VS ... LA M ECQUE DES RHODQPES .. 65

intenses dans la region" . La devotion it la Vraie Croix s'y etablit progressivement, due aux visions mystiques d'un fervent orthodoxe bulgare, Yordan. Guide par des revelations divines, iI decouvre la presence de la Vraie Croix dans les Rhodopes, sous une colline qui marque une micro-frontiere entre villages chretiens (Borovo) et musulmans (Beliea, Mostovo)" . En reve, iI capte les messages de Dieu et de la sainte Vierge dont il se reclame ensuite dans ses activites apostoliques", rajoutant Ie preche au don visionnaire. n met egalement a profit son savoir·faire artisanal varie: en mac;.on, i1 construisait 1a plupart des chapelles a cote des « sources sacrees • qu'i1 decouvrait par la volante divine, ainsi que plusieurs fontaines et puits" . Par son action et par son nom meme (derive du fleuve Jourdain), Yordan valorise les reperes du christianisme les plus significatifs dans ce contexte: la croix et Ie bapteme, evoques egalement par Ie nom donne au site. Les miracles ne tardent pas a s'operer sur Ie Mont de la Croix, confirmant ainsi la sacralite du lieu. La rumeur de 10 guerison miraculeuse qu'y re~ut la soeur du roi bulgare Boris III (1918-1943), la princesse Evdokia, semble avoir eu un impact decisif sur la mise en place du pelerinage. De plus en plus largement connue, cette devotion incite it produire sa propre legende, enoncee elle aussi comme revelation divine (par vision au par revel. La Croix ensevelie sous Ia colline serait un morceau de 10 Sainte Croix apportee dans ces Iieux apres la chute de Contantinople sous les Ottomans : elle serait sauvee des mains du Sultan par des moines locaux qui I'auraient enfouie, avant d'etre rattrapes et massacres par leurs poursuivants, les Turcs. En 1939, une croix en fer est plan tee au point Ie plus eleve de 10 colline de Krlistov, avec la complicite tacite du roi Boris III. Cette materi.lisation

n En 1934, la toponymie de III region est bulgarisee ; les anciens noms turcs ou grecisant des villages et des viUca sont changes par des noms bulgares : par exemple Stanimaka devient Assenovgrad (ville de [tsarJ Assen). Entre 1937 et 1944, c'est dans cette region que I'organisation Rodina [Patrie} , reuvrant pour l'integration des Pomaks, est la plus active. U Yordan aurait fait ses visions lorsqu'il reside soit dans Bacovo, Ie village recemment repeupte de cru-etiens, ou dans la ville de Stanimakal Assenovgrad OU il a beneficie de I'aide d'une association religieuse feminine. Sur les routes et les marquages de frontieres internes dans cette z.one, v. E. Ivanova 2001 .

N Dans les annees 1990,]ordan fut surnomme .. l'apOtre des Rhodopes .. , une attribution qui se fait dans Ie meme sillon d'associations mentales que I'appellation de Jerusalem pour Ie site. " v. Kriistova go ra : 85·8, 101-102; Erusalim : 150-151 etpassim; et Georgiev 2003.

Chronos n"1 8 - 2008 66 GAllA VALTCHINOVA de la Vraie Croix offre un message immediat et facile a dechiffrer a une epoque ou Ie retour aux origines chretiennes des Pomaks est au coeur d'une immense action politique et culturelle, La devotion a Kn'istova Gora n'est pas touchee lors des persecutions anti-religieuses qui marquent la premiere decennie du communisme ; on y amenage un lieu de culte en 1956, un service religieux y etait assure jusque dans les annees 1960. Arrete en 1958 dans des circonstances troubles, Yordan disparait dans un camp communiste. Le pelerinage est prohibe entre les annees soixante et quatre-vingt, une reserve de chasse venant justifier la surveillance des chemins noirs menant au site. Pourtant les temoignages oraux s'accordent pour confirmer la persistance de pratiques devotionnelles dans une sorte de clandestinite tout au long de la periode communiste. Le renouveau de la devotion se situe vers 1988, 10Tsque Ie pretre de la paroisse de la ville la plus proche prend Ie site en mains, se reclamant lui aussi de l'inspiration divine. La reprise ouverte du peJerinage survient en 1989, cOlncidant avec la crise provoquee par l'exode massif des Tures de Bulgarie. Aussitot apres la redecouverte du Mont de la Croix, Ie mouvement devotionnel connait une veritable explosion. La legende de « la Vraie Croix sauvee des TUTcs par des moines. est promptement mise par ecrit et enrichie de nouveaux details. On parle de « trois cents moines massacres» - une communaute monastique a part entiere, La Sainte Trini!e - qui aurait existe, it cote de la stauropegie de Backovo, it une epoque precedant I'invasion ottomane. Malgre l'absence de toute preuve concernant cette legende, I'ancien pretre de paroisse est proclame hegoumene staurophore" du monastere de la Sainte Trinite. En l'espace de cinq ans, ce qui fut un petit pelerinage regional, attirant des musulmans bulgarophones a cote des chretiens" , devient la destination premiere des pelerins orthodoxes de taus les coins de la Bulgarie. Les medias s'emparent de la legende de Krastov, manipulant deliberement les messages anti-ottomans, soit dans un esprit anti-turc, soit, au contraire, pour affirmer une volante de vivre ensemble en depit

2ll I.e. abbe .. porteur de CQuronne .. , ce dernier terme signifiant, dans 1a titulature subtile des orthodoxes, te statut Ie plus Cleve d'un monastere, lorsque celui-ci est place en dehors de 1a jurisdiction de l'eveque local. 27 Observations consignees par plusieurs chercheurs dans les archives de 18 grande etude d'cquipe de Krastov3 Gora, menee en 1993-1995 sous 1a direction de E. Ivanova, cf: Ivanova (SOllS 1a die.) [2000J. .. JERUSALEM DES RHODOPES .. VS ... LA MECQUE DES RHODOPES .. 67 des campagnes destructrices du regime communiste. Devant la demande toujours croissante,la legende est fa,onnee et elaboree a I'aide de specialistes locaux : un archeologue, une folkloriste, un historien de I'Eglise donnent leurs avis d'experts sur la possibilite de l'existence d'un grand centre de culte chretien avant l'invasion otto mane, et confirment Ie bien-fonde de la iegende". La petite chapelle Sainte Trinite erigee par les soins du visionnaire Yordan est noyee dans Ie flot de pelerins ; une eglise a la mesure du peierinage, dediee a l'Intercession de la Vierge [Pokrovl (Ie 1 octobrel, est construite dans un delai record et consacree en 1994. Parallelement a l'organisation pratique du pelerinage, on assiste a une multiplication des points sacres dans Ie temps et dans l'espace.

Photo 1 : Krastova Gors - vue d'ensemble du site prise pour montrer la .. scenographie .. dans son amenagement (cliche de l'auteur)

28 V. Krastova Gora, livret produit dans Ie double objectif de divulguer la Iegende en lui donnant un caractere veridique, et de satisfaire rinteret des pelerins. Les recuperations politiques du savoir expert - surtout de celli des archeologues - caracterisent les deux sites en question: v. infra.

ChmMS n' 18 - 2008 68 GALIA VALTCHINOVA

Honnis l'Exaltation de la Croix (14 Septembre) date alaquelle est fIxe Ie pelerinage annuel, l'Intercession de la Vierge est egalement celebree par un pelerinage important". Dans les premieres annees apres la reprise du peJerinage de Kr1istova Gora, la fete de la Saint]ean (24 juin) donnait lieu a un autre rassemblement et it une veillee nocturne; ils se perdent progressivement apres la consecration de l'eglise de Pokrov, en 1994. Enfin, un service nocturne, dit de minuit [polunostna liturgijal est celebre les vendredis, donnant lieu a un pelerinage hebdomadaire. Selon Ie pretre, c'etait la specmcite du site" - interpretation reprise par certains acteurs dans un esprit politique, comme temoignage de la « tolerance religieuse envers les musulmans pratiquee ici ". Dans les annees 1990, ces liturgies donnaient lieu a d'intenses reunions devotionnelles propices a la production de miracles. La plupart d'entre eux consistait en des visions de lumiere : croix ou autres lumieres, interpretees comme des « reflets de la Jerusalem celeste .". Diffuses par les livrets et relayes par les medias a sensation, les recits de ces visions forment un stock auquel puisaient les pelerins lorsqu'ils ';taient amenes il raconter leur experience personnelle sur Ie site ou a produire leurs propres versions de la legende de Kdistova 32 Gora .

:/9 La multitude de fetes mariales constitue une particuiarite de Stanimaka ; cependant la celebration de Pokrov associee plutot a la tradition orthodoxe russe o'en fait pas partie. Un apport de spiritualite russe peut etre discerne dans plusieurs des temoignages oraux concernant Yordan, l'inventeur de Krastova Gora. :!O De fait,les liturgies nocturnes sont connues (et etaient pratiquees jusque rckemment) par les communautes orthodoxes dans I'aire des Rhodopes comme un moyen efficace d'implorer la grace divine sur un souffrant, ou assurer Ie succes d'une entreprise. Les liturgies nocturnes celebrees uniquement par des femmes pieuses, sans la presence d'un pretre, furent la specialite de l'association feminine orthodoxe de Stanimaka, tres active durant la peri"ode d'entre-deux-guerres, qui a profondement influence la vie religieuse de toute la region.

31 Quelques-unes de ces visions sont repertoriees dans Ies livrets de peIerins (Kdlstova Gom : 114 ; Erusalim : passim), nourrissant I'imagination et les interpretations populaires ; cf. also Arinisnki 2000. On peut dire d'une fa~on generale que les images vehicuIees par les medias ont une valeur quasi-nonnative pour les peterins. 32 Observations de terrain de I'auteur lors du pelerinage annuel Oe 13-14 septernbre) de 1997 et 1999 et lars de visites occasionnelles en aout 2001 et juillet 2003. Sur les mecanismes d'interaction sur Ie site et dans Ie contexte (au en dehors) d'un pelerinage, entre histoire normative et nkit personnel, v. Valtchinova 1999. • J ERUSALEM DES RHOOOPES )0 VS .• LA MECQUE DES RHODOPES )0 69

Ce bref tour d'borizon permet d'avancer I'hypothese que Ie pelerinage de Krastova Gora peut etre vu comme une tentative de geter, par Ie religieux, des problemes politiques et identitaires auxquels la Bulgarie moderne doit continuellement faire face. Des siedes durant, la population musulmane demeure proche, mais relativement invisible ; malgre la tolerance concernant les pratiques religieuses, j] y eut peu de melange entre chnltiens et musulmans. C'est dans ce contexte mitige, entre conversion au christianisme et conversion a la modernite - pour employer la formule de P. Van Der Veer (1996) - que Krastova Gora devient petite Jerusalem.

La « Mecque des Rhodopes " constructions savante et usages populaires d'un lieu saint

A la difference de Krastova Gora qui s'est constitue dans une aire ou populations chretiennes et musulmanes sont etroitement imbriquees, Yenihan baba tekke domine une micro-region ou la population musulmane constitue l'ecrasante majorite. lei I. tradition musulmane est portee par deux groupes sunni, les Pomaks bulgarophones et les Turcs. Jusque dans les annees 1920, les Pomaks composaient la quasi-totalite de la population locale ; ils continuent a predominer vers 2000. Cette population musulmane possede so n propre reseau de Iieux de culte et de lieux sacres lies a des saints musulmans, qu'elle tient etablis « depuis toujours ". n s'agit de quelques tekkes ou turbes - tombeaux de saints hommes, dont I'existence fut reelle ou, Ie plus souvent, mythique. Les plus importants - et les plus proches de Krlistov - sont celui de Yenihan baba, Ie gazi mythique des Rhodopes" , et celui de San bah." , tous deux appartenant a un islam de tradition heterodoxe. Situes en dehors des agglomerations, ils sont habituellement entretenus par les soins des villageois sur Ie territoire desquels ils se trouvent au bien - s'j] s'agit d'un village chretien - par les habitants du au des villagesls pomak lei s plus proche/s.

D La figure du gau, sorte de conquistador qui a participe ala 'guerre sainte' des Ottomans et joue un role dans I'islamisation des 'infideles', est frequente parmi les saints musulmans dans Jes provinces balkaniques. Pour des saints gazi musulmans, v. N. Clayer & AI. Popovic, 1995 , 340-42, 353-56. M Sur le tekke de San haha pres de Mom~ilovtsi, voir Ivanova 2001b ; l'auteur n'adhere pas a I'idee qu'il s'agisse lad 'un des nombreux cenotaphes de ce saint Jegendaire, tres populaire dans la tradition ba!kanique de I'islam heterodoxe (Clayer & Popovic 1995, 341-2).

Chronos n-18 - 2008 70 GAUA VALTCHINOVA

Vehiculees par ces communautes villageoises, les croyances et les legendes associees il ces lieux servent de support au discours sur l'identite des musulmans loeaux. Ainsi, de nombreuses legendes tissent un lien de parente de type frame entre les patrons des tekkes ou turbes de cette micro-region. Dans la plupart de ces legendes, Yeniban baba est depeint comme Ie 'frere' Ie plus juste ou Ie plus puissant, image qui traduit la superiorite de ce baba sur les autres" . Ces recits relient les tekkes de Yenihan baba et de San baba a d'autres sanctuaires musulmans dans l'Est des Rhodopes, OU predomine la population turcophone. Dans cette chaine, on retrouve un autre lieu saint de l'islam heterodoxe, Ie tekke alevi d'Osman boba" . Ainsi, Ie sentiment d'un continuum confessionnel au sens Ie plus large est cultive, unissant les musulmans des Rhodopes par-dela leur diversite linguistique et sans distinction entre courants orthodoxe (sunni) et heterodoxe (alevi ou bektachi). Anticipant les developpements ulterieurs, on peut affirmer que ces legendes et Ie sentiment de solidarite par delil les differences intraconfessionnelle qU'elles vehiculent peuvent etre - et de fait, sont - manipules II des fins politiques. Le changement de regime en 1989 ouvre la voie a un renouveau dans la vie religieuse dont l'islam local est largement beneficiaire ; en l'espace de quelques annees, de nouvelles mosquees remplacent celles detruites au endommagees lars des vagues de bulgarisation des Pomaks et du« bapteme des Turcs >. Pourtant, ce qui est vrai pour les villages I'est moins en ce qui coneerne les sanetuaires extra muros : dans la premiere moitie des annees 1990, les tekkes et les turbes dissemines dans la montagne sont peu touches par ce renouveau. n semblerait meme que Ie renouveau orthodoxe qui a lieu II Krastova Gora s'aecompagne de ee que l'on peut appeler une neutralisation des sanctuaires musulmans environnants. Peu apres la reprise du pelerinage au Mont de la Croix, Ie turbe de Yenihan baba est dynamite; la stele reposee sur Ie cenotaphe des 1991 est modeste, comparee a la devotion payee a Yenihan baba par les musulmans locaux. Quant au tekke de San baha, situe a la croisee de

3~ Pour les variantes de ces Iegendes voir Grigorov 1998; Ivanova 200tb: 537-39; pour d'autres tekkes et turbes des Rhodopes v. Karammova & Atanasov 1998 ; pour un panorama plus large des tegendes reliant les tekkes des Rhodopes en un reseau de Heux saints de l'islam en Bulgarie, v. Alexiev 2004. j6 Erige au debut du 16e siecle, c'est Ie tekke Ie plus ancien toujours en fonction, en Bulgarie actuelle: cf. Mikov 2000. Plus recemment, Ia frequentation de ce tekke par des Roms est devenu l'enjeu d'une rivalite interethnique (cf. Karamihova 2003). .. J ERUSALEM DP..s RHODOPES .. VS ... LA MEcQUE DES RHODOPES .. 71 chemins entre un village chretien tres actif (Momcilovtsi), deux villages pomaks et deux a population mixte en bordure d'un vaste massif de Pomaks, au cours des annees 1990 il est pris dans un reseau de chapelles orthodoxes. Sa fa yade blanche et son interieur propre laissent deviner une presence musulmane discrete qui se limite a l'entretien, sans les attroupements (et les kourbans) habituels pour ce genre de sanctuaires. Dans les deux cas, les reactions des musulmans locaux ant ete contenues, comparees au tapage mediatique autour des nouvelles mosquees. Dans la situation creee apres 1990, to utes les tensions polltiques, sociales au economiques dans la region des Rhodopes tendent a s'exprimer sous une forme religieuse. La re/construction des lieux de culte et la multiplication des lieux sacres sont un enjeu majeur dans les jeux politiques". En fait, une attention particuliere est payee a Yenihan baba depuis Ie renouveau du peJerinage de Krllstova Gora; en quelque sorte, les deux sanctuaires incarnent les dynamiques du renouveau pour chacune des deux grandes religions qu'ils repn'sentent. Le Mont de la Croix et Yenihan haba sont situes sur des sommets qui se font face: pourtant, I'acces it chacun d'eux passe par des reseaux de chemins qui ne se croisent pas. Tous deux sont situes sur Ie trace de l'ancienne frontiere bulgaro-ottomane, laquelle - bien que de courte exislence (entre 1885-6 et 1912) - a laisse une empreinte profonde sur la memoire collective des communautes tant chretiennes que musulmanes, et sur l'imaginaire local de la frontiere". Plus encore, Ie sammet au est hilti Ie tekke represente Ie point Ie plus eleve de cette frontiere et en 1934, re~oit Ie nom de Pic Svoboda [Liberte] qui lui contere precisement une valeur symbolique anti-o ttomane (et par consequent, anti-musulmane). D'un autre cote, les deux sanetuaires sont etablis it une epoque tardive et dans des cireonstances qui laissent

31 La construction des nouvelles mosquees en Bulgarie est (tout comme dans les autres regions musulmanes des Balkans) financee pour la plus grande partie par les pays arabes, surtout par l'Arabie Saoudite. La construction de nouvelles mosquees avec des fo nds venant de l'etranger, l'activite des ecoles coraniques et les nouvelles tendances 'fondamentalistes' sur fo nd de crise et de chomage dans Jes Rhodopes d'apres-1990, ont reC1u peu d'attention jusqu'a present : voir Ghodsee 2005. 3t Dans mes enquetes in situ, aussi bien a Krastova Gora (entre 1997 et 2002) qu'a Yeniban baba tekke (2006), Ies gens se re£eraient de r~gI e a cette frontiere ottoma.ne a double titre, aussi bien pour situer Ie lieu par rapport a une geographie symbolique des Rhodopes que pour evoquer les acteurs significatifs de l'histoire locale. Notons que la frontiere autrement d'actuaHte entre Ia Gn~ce et la Bulgarie, etablie en 1920, n'etait presque jamais evoquee dans ce contexte.

Chronos If18 - 2008 72 GAUA VALTClUNOVA supposer l'instrumentalisation politique d'un symbole religieux : Ie triomphe de la Croix, cote orthodoxie, I'idee du djihad et de ses martyrs, cOte islam. A la difference de Krastova Gora dont la creation dans les annees 1930 est un fait etabli, il est difficile de retracer les origines du culte de Yenihan baha. Les chronologies qui Ie font remonter au debut de I'epoque otto mane - conformement a la version selon laquelle il s'agirait du conquistador des Rhodopes pour l'islam - ne tiennent pas l'epreuve des faits. Le culte traditionnel de ce saint repose uniquement sur des temoignages oraux et en l'absence de documentation solide, il est fort probable que la legende et Ie personnage meme de Yenihan baba soient crees au XIXe siecle. Le fait est que ce culte local a pris une importance particuliere dans Ie contexte de I'islam en reeul dans l'Etat­ nation chretien, c'est-a-dire apres 1912. Le message militant et exclusiviste de la legende de Yenihan est en tout point comparable a celui diffuse par Ie visionnaire Yordan au sujet du Mont de \a Croix". La force mobilisatrice de ce message est per~ue par la population chretienne ; detruit a plusieurs reprises, Ie tekke etait reconstruit a chaque fois. La derniere destruction en date fut de quelques mois posterieure au changement de regime de 1989, dans les circonstances troubles d'une contestation locale de la liberalisation sans precedent de \a politique bulgare vis-a-vis des minorites. Apres ce dernier acte d'hostilite anti-musulmane, I. reconstruction ne se fait pas attendre : une petite stele commemorative portant I'inscription « Inihan baba • est posee des 1991. Au debut, iI s'agit d'une entreprise sans envergure, et qui se fait en douce: malgre la liberalisation de la politique envers les minorites et I'encouragement de I'expression des identites fragiles, l'experience des Pomaks locaux leur a appris a se mefier des grands gestes du pouvoir. Le sanctuaire est entretenu par les habitants des villages environnants, tous Pomaks it I'exception du plus proche, Ie village mixte de Davidkovo. En fait, des interets fort differents sont en jeu : ]'amenagement du site religieux depend de la mainmise sur Ie chalet de haute montagne nomme d'apres Ie pic (Svoboda), point important de tout un reseau de chemins noirs et

!III Notamment, que la Vraie Croix resurgira de la terre toute seuLe, .. Ie moment venu ~. signalant Ie triomphe definitif de la religion de]s Croix sur celIe du Croissant : c'est un des principaux themes du millenarisme post·byzantin (cf. Argyrou 1982) que la domination ottomane a enracine dans les cultures orthodoxes des Balkans. Dans les conditions de la Bulgarie post-communiste, ce theme a ete orchestre dans des versions nationalistes. .. JERUSALEM DES RHQDOPES ,. VS ... LA MECQUE DES RUODOPES ,. 73 de randonnees touristiques tres pratiquees a l'epoque socialiste. Dans les nouvelles conditions d'economie de marche, la solution la plus appropriee parait etre Ie rachat des terres du pic Svoboda eet du terrain sur lequel est biiti Ie chalet). Des 1994, heneficiant de pratiques elientelistes lors de la privatisation des terres nationalisees par Ie regime communiste, ainsi que de l'elasticite de 13 notion meme de terres restituees eVerdery 1996), Ie conseil de gestion de 1a mosquee de Davidkovo acquiert Ie terrain en question". Desormais c'est dans un langage de capitalisme et d'economie de marche, soulignnnt In dichotomie entre propriete privee et propriete d'Etat en ce qui concerne les terres du lieu sacre, que la bataille pour Yenihan baha tekke sera 4t menee • Dans la premiere moitie des annees 1990, les activites devotionnelles se font dans la discretion. Une partie de la elientele traditionnelle du tekke se tourne vers des Heux saints plus actifs et plus accessibles ; ainsi des groupes Pomaks de la region d'Assenvgrad se dirigent vers Ie sanctuaire des autres par excellence, Krllstova Gora, avec l'idee que « Allah ou Jesus, c'est Ie meme Dieu »42. Les villages pomaks des environs sont affaiblis par l'exode vers la Turquie auque! ils ont particip6 des l'6t6 de 1989, ct n'ont pas encore les moycns suffisants pour mener a bien une reconstruction d'envergure. Pourtant, des 1994, on entend dire, par des Pomaks des villages environnants, que

40 Par conseil de gestion je rends le terme de nastojatelstvo (bulg. tutelle/ tutorat), institution lalque de gestion collective des revenus d'une fondation religieuse - qu'elle soit dans la tradition orthodoxe (egIise paroissiale, monastere. chapeJle) ou cene de 1'islam (mosquee, mechit, tekkelrurbe). L'infonnation de ce rachat apparait seulement en 2005, dans ]e contexte de la querelle autour de Ia construction d'un 'mausolee' a Yenihan baba: cf. http://big.bg/modulesJnews/article.php?storyid ... 9233.lciet ailleurs dans les Rbodopes, les conseils de gestion des mosquees ont concentre des fonctions d'entretien de la memoire communautaire (cf. Bokova 2004: 36). 61 n s'agit d'une bataille pour la terre, a Ia fois politique et symbolique, lance comme un mot d'ordre par Ie leader du Mouvement des Droits et Libertes des 1992 : v. KanefT 1998, en particulier pp. 28-30. 42 Les informations dans ce sens proviennent exclusivement des publications de l'equipe d'ethnologues buigares dont Ie travail sur Krastova Gora, dans une optique de multiculturalisme, fut genereusement subventionne par la Open Society Fund. Voir par exemple lvanova 1995: 89-91, Ivanova (s.dir.) 1200o] ; cf.les recits (tegendes) collectes dans Ie merne cadre selon lesquels .. Yenihan baba, San baba etjesus Christ etaient des freres,. (Grigorov 1998 : 555). Dans Ie merne sens vont les recherches plus recentes d'une equipe de I'Institut de Folklore a Sofia: cf. Bokova 2004 : 22-5.

Chronos n01 8 - 2008 74 GAUl\. VALTCHINOVA

« Yenihan, c'est la Mecque bulgare »". Des 1997-98, on observe des kourbans 11 Yenihan baba, alias pic Svoboda, offerts par des Pomaks venus de villages proches ou lointains. La tendance se confirme avec la regularisation du droit des sujets bulgares rMugies en Turqille en 1989· 1990, de retourner dans leurs pays d'origine (y compris pour voter). Faire Ie kurball it Yenihan baba tend it devenir I'expression rituelle d'une prise de conscience musulmane, voire, d'une memoire longue (Zonabend 1980) retrouvee. C'est dans ces conditions et apres la recente montee au pouvoir (2004) du Mouvement des Droits et Libertes, Ie parti politique qui beneficie du vote ethnique turc, qu'un amenagement unique en son genre commence autour de Yenihan baba tekke. Sis au pied de la colline, Ie sanctuaire est reconstruit en marbre au plus haut point du pic Svoboda. Dans un interieur epure, un sarcophage somptueux en marbre recouvre la petite stele de 1991 et la modeste sepulture du saint, couverte de soiedes sur lesquelles sont brodees des inscriptions en arabe. Des cuisines et des abris pour la consommation ritueJle des kourballs sont amenages en bas du sommet, une maison de priere est construite it cote du chalet. Encore plus recemment, c'est Ie tour de la route, 12 km de chemin noir transforme en route asphaltee. Certains travaux sont accomplis gratuitement par des Pomaks des villages environnants ; d'autres sont subventionnes par des dons d'anciens habitants des villages environnants qui ont fait fortune en Turquie. L'amenagement du turbe (ou tekke) 44 se transforme en construction d'un complexe rituel musulman, d'une veritable petite Mecque au coeur des Rhodopes. Par comparaison avec d'autres sites reJigieux ou commemoratifs de pareille envergure, on Ie designe egalement par les termes de mausolee ou de monastere".

iJ Information consignee dans les archives de l'etude d'equipe Krdstova Gora, 1994, cf. Grigorov 1998 , 557.

44 L'usage savant a consacn~ l'empioi du terme de turbe poue un sanctuaire con tenant Ie tombeau du saint venere, et de tekke pour un sanctuaire ou se reunit une confn~rie musulmane; dans les Rhodopes, les deux termes sont sauvent employes de fat;On interchangeable. En ce qui conceme Yenihan baba, la these savante est qu'it s'agit d'un cenotaphe et qu 'il n'ya pas de tombeau a proprement parler (cf Grigorov 1998: 558). ~ Entretiens de l'auteur avec deux groupes de peterins lors d'un sondage de terrain, le 22 jui1let 2006. n mente de souligner cette oscillation entre code religieux et code seculier, dans 18 tentative de traduire J'importance du site a l'intention de chretiens. Pour les puissantes associations du terrne mausolee avec les r~a lites de l'epoque communiste, v. Deyanova 1996. "JERUSALEM DES RHODOPES " VS ... LA MECQUE DES RHODOPES ,. 75

La construction materielle du site sacre va de pair avec sa construction sociale et discursive: la legende de Yenihan baba est remaniee dans un esprit conforme aux nouvelles mythologies de l'identite Pomak. Ce n'est plus Ie gaz; ottoman qui aurait mis les Rhodopes iI feu et iI sang, mais Ie porteur - des Ie Xe sieele, c'est-il-dire iI l'epoque de Byzance - d'un islam precurseur de celui des Ottomans (c'est-il-dire des Turcs) qui serait, precisement, l'islam pomak" . Dans l'impossibiliM de defendre l'anteriorite de I'islam dans les Rhodopes par rapport au christianisme, ou son autochtonie (versions embrassees par quelques theories identitaires), cette mytbologie permet d'echapper au traumatisme primordial dans l'histoire des musulmans bulgarophones : Ie passage force du christianisme a !'islam iI I'epoque ottomane, acte constitutif de leur identite et element ele des manipulations historiques. Cette effervescence alerte les Bulgares et en particulier les associations patriotiques : deux partis a tendance nationaliste reagissent et ouvrent Ie debat, dans les medias nationaux, sur « la construction illegale d'un tekke au pic Svoboda >. Des appels sont lances pour ouvrir une enquete judiciaire sur Ie mode d'acquisition des terres autour du pic Svoboda par une institution religieuse musulmane ; d'autres exigent des 47 poufsuites pour construction illegale • D'autre part, des activistes regionaux du VMRO, parti nationaliste de renom", organisent une

46 Cf. htt.p:/tbig.bg/ modules/ news/ artic1e.php?storyid - 9233 (du 29/ 4/ 2005); pour d'autres versions voir le site d'un journal nationaliste, www.noyazora.netl2005/ jssue19/ story 13,html. Un clin d'oeil sur Ie fonctionnement de la nouvelle 'histoire sacree' des Pomaks v. in Lozanova, G. 1998 ; cf. M. Todorova 1997 et 2004 (par rapport a l'historiographie officielle hulgare). H Cf_ htt;p:/fbig_bgfmodules/newslarticle,php?stoQ'id "" 9233 ; http:/ /www.reHgiabg.com/?p news&id · 5623 (du 16/06/2005); http://big.bg/wodules/newslarticJe.php?s\QIYid- 18294 (du 3/ 11 /2005, avec des details sur Ie rachat abusif du terrain) ; http;Unews.bg/articie,php?cid 7~id o&aid 168932 (du 08112/ 2005, demande d'enquete faite par voje parlementaire). 48 VMRO, en rran'tais GRIM : Organisation Revolutionnaire Interne de Macedoine, fut fandee en 1893 aSofia (Bulgarie) pour lutter pour la liberation de 1a province ottomane de Macedoine ; creer un Btat independant de Macedoine a ete l'objectif final de ses leaders les plus infiuents. La tendance terroriste au sein de I'organisation s'est developpe fortement apres la Grande guerre, menant it une lutte intestine entre les coteries des leaders ambitieux. Dans l'entre-deux-guerres, la VMRO g'est aussi distinguee dans des massacres perpetres contre des musulmans, surtout des Pomaks. La VMRO de la Bulgarie post-commurllste (3 distinguer du parti du meme nom en Republique ex­ Yougoslave de Macedoine) se nklame de cette tradition et d'un ideal de Ia Patrie qui en a fait Ie patti nationaliste par excellence dans l'espace politique de droite,

Chronos n°18 - 2008 76 G AlJA VALTCHINOVA reponse symbolique a ce qu'ils considerent comme une provocation mettant en danger la paix ethnique dans Ie pays. Monte a Svoboda la veille de la Pacque orthodoxe de 2005, un groupe de membres et de sympathisants de la YMRO erige des symboles nationaux: Ie drapeau bulgare, une stele commemorative portant l'inscription « Au Preux Momchil, defenseur des Rhodopes contre l'envahisseur ottoman ." . Cette contestation symbolique de I. reconstruction du tekke produit des incidents: Ie drapeau et la stele sont arraches, puis remis. Les opposants Ii « la Mecque dans les Rhodopes, » qualifies de nationalistes, exigent qu'a cote du mausoltfe (au de la sepulture, grab) de Yenihan baba, un pantheon a toutes les victimes locales de I'invasion ottomane soit place. Ces revendications de celebrer Ie martyr des chretiens a cote du martyr pour l'islam sapent les reperes essentiels de l'identite musulmane, surtout celle des Pomaks ; elles reposent la question de la conversion primordiale de ceux-ci. La bataille pour La terre, au sens propre comme au sens figure, se double ainsi d'une confrontation sur et par les symboles, religieux et seculiers. La controverse rebondit vers les musulmans locaux : des petitions d'habitants des communes les plus proches du site circulent, defendant la construction du tekke - presente comme un monument a la tolerance bulgare - et condamnant la presse (ou, plutOt, une certaine presse nationaliste) comme mettant en danger la paix ethnique par ses publications. D'autre part, certaines autorites religieuses adoptent un ton eoneiliant vis-a-vis des nationalistes bulgares. Leurs arguments'" sont it la fois de nature dogmatique CIa construction du tekke aurait ete contraire « aux lois musulmanes, car Mohammed a dit de ne pas eriger de monume.nts sur un tombeau ») et sociopolitiques (elle aurait mine la paix ethnique). Mais alors que paix ethnique et tolerance constituent des termes clefs dans les reactions et les discours des musulmans, qu'ils soient defenseurs ou opposants au « mausoJee » de Yenihan, l'elite

48 cr. http:/Lbig.bg/moduiesi news/ article,php?storyid 9233. et la continuation sur Ie meme site (storyid = 18294). L'epithete de 'preux' Uunakl est typique des chants folkloriques cel€brant les combattants contre les Ottomans comme des heros populaires ; sur les connotations du tenne v. Cuisenier 1998 : 55·57, 62·87. so Phrase attribuee au mufti regional de (centre des Pomaks bulgarisants) par l'hebdomadaire sofiote Po/ilika, N.87 (17-23.12.2005) : cf. www.QoUtika .bgJarticle?sid-&aid 1572&eid 14. Dans Ie meme article I'opinion du mufti est confronte a celie de l'autorite musulmane locale de Davidkovo (village mixte, Pomllks et Bulgares orthodoxes) dont depend Ie tekke. tI J ERUSALEM DES RHODOPES It VS. tI l.A MECQUE DES RHODOPES It 77 bulgare se disant patriotique et chretienne se demarque de ce discours" . Les partis et les groupes contestataires montent au creneau avec d'autres types d'accusation : d'operations immobilieres iIlegales d'un cote, de destruction de bien culturels, de l'autre. Cette derniere accusation met en avant l'existence, sur Ie site merne ou Ie tI monument­ sepulture-tekke de Yenihan baba • venait d'8tre erige,

51 Des Ie dehut des annecs 1990, une elite venant principalement des sciences sociales et historiques se nhmit autour de la these que Ie komjuluk ottoman Iprincipe de voisinage et d'aide mutuelle dans la vie quotidienne, entre COtllmUnautes religieusesl a constitue Ie socle d'une culture de la tolerance specifique a la Bulgarie, qui a permis de preserver la paix entre communautes a. l'epoque modeme et jusqu'a la fin de l'epoque communiste, en d6pit des pressions exercees par Ie pouvoir. Ce point de vue est exprime et defendu dans Ie vaste ouvrage de A. Zheljazkova (ed.) 1994. Cette these a ete developpee a partir de travaux de terrain effectues dans les Rhodopes, en grande partie dans la region ou se developpaient les deux pelerinages, et les ethnographies du komJuluk et du peierinage ont 6te financ6es par la meme source, la Open Society Fund. La these du modele ethnique bolgare a ere adoptee, avec certains ajustements, par Ie Mouvement des Droits et Libertes. 52 Cf, http;//news.bg/articie,php?cid-7&pid-Q&aid"" 168932. Cette strategie a donne d'excellents resultants dans Ie 'Kosovo holgare', la ville des Rbodopes (et centre regional) de Kirdzhali , cf. Ditchev 2005, 206-8.

Chonos n· 18 ~ 2008 78 GALlA VALTCHINOVA

-. .-." ..' -, ' Photo 2 : Yenihan : faire Ie kourban au pied de la colline surplombee par Ie tekke (cliche de I'auteur)

En fin de semaine, Ie parcours des derniers kilometres offrait la vue de nombreux moutons egorges au bord de la route: les kourbans battaient leur plein en juillet-aoilt. Etre pelerin a Yenihan baba, c'etait faire Ie kourban . Au moment ou j'ai visite les lieux, les pelerins les plus nombreux venaient de la region d' Assenovgrad (Dolni Voden) ou, des les annees 1940, les Pomaks deplaces s'etaient melanges it une population chretienne et it un groupe turc deplaces eux aussi. Pour eux, Ie kourban it Yenihan baba tekke etait un retour symbolique it leurs origines. Accompli dans Ie respect de toutes les erigences du rituel, c'etait Ie geste supreme de devotion religieuse, leur permettant de renouer avec les racines profondes de leur identite. L'autre geste de devotion, s'imposant depuis peu, etait la montee au sommet et la visite du tekke reconstruit". Peu de pelerins etaient verses dans I'histoire de Yenihan baha : ils s'arretaient devant Ie sarcophage en marbre, cherchant it en apprendre davantage en lisant les inscriptions fixees sur les parois. Seuls les commentaires sur les entraves, les provocations sans cesse renouvelees des ennemis, laissaient deviner I'impact de la querelle autour de la Mecque des Rhodopes sur I'etat d'esprit des musulmans. A la lumiere de ces reactions, il semble logique que Ie ..; Jl1:RUSALEM DES RHODOPES ,. VS . ..; LA MECQUE DES RHODOPES ,.

sanctuaire musulman situe it proximite du Mont de la Croix soit construit par les medias, ainsi que par les acteurs locaux eux-memes, comme un contrepoint de la Croix triomphante.

Vers des conclusions provisoires

Dans les Rhodopes bulgares, pres de deux frontieres balkaniques, Ie renouveau religieux post-communiste a pris l'aspect de la construction de deux Iieux saints pour deux religions, petits centres de deux grandes traditions: Ie christianisme et I'islam. Au lendemain du changement politique de 1989 - un changement qui s'est localement accompagne d'une crise profonde de l'economie, des mentalites et des identites religieuses - une petite Jerusalem bulgare prend corps. Elle surgit lit OU un effort de "conversion des musulmans bulgarophones a ete mene dans la periode de l'entre-deux-guerres. Face it cette nouvelle Jerusalem et en reponse de celle-ci, l'on voit un sanctuaire musulman local se transformer progressivement en une petite Mecque. C'est done au fur et it mesure que Krastova Gora s'impose comme Ie peJerinage chretien Ie plus frequente en Hulgarie, que I'on entend parler de la Mecque des Rhodopes : I'un attise l'autre. Observant l'enchevetrement de logiques politiques et logiques des medias, on peut reperer l'emergence de reactions publiques differentes qui repondent it ce cotoiement de lieux sacres chretien et musulman. L'une souligne Ie rapprochement en mobilisant des legendes populaires qui expliquent leur voisinage comme une sorte de parente entre les fondateurs des divers lieux sacres : Jesus Christ lie it Krastova Gora apparait comme • Ie troisieme frere » it cOte de Yenihan et de San baba . . Celte image nourrit Ie discours de la tolerance. Ce type d'explications

J.1 n s'agit d'une scenographie complexe de I'acre d6votionnel qui n'est pas sans rappeler celies mises en place pour celebrer la liberation nationale bulgare, explicitement anti­ ottomane. Ainsi, la montee des quelques centaines de marches vers Ie fekke, fort penibles pour les plus ages, rappelle la visite rituelle du monument de Shipka. sommet de Stara planina ou une des batailles les plus glorieuses de la guerre russo-turque dite de Liberation (1877-78) a eu lieu ; son amenagement (datant des annees 1920) comprend une eglise de style russe en contrebas, une serie de 360 marches et un monument tout en haut du sammet. Le parall6lisme entre Ie nouvel amenagement de Yenihan baba et Ie monument de Shipka etait explicitement evoque par mOD guide, Pomak d'UD village proche et visiteur regulier du site. n a fait recours aux tennes de chapelle [parakJis), monasrere, tombeau [grobnica) et monumentllieu de memoire Ipametnik} .

Chronos n~ 18 - 2008 80 G ALlA VALTCHINOVA legendaires permet de maintenir ensemble une communaute eclatee et de plus en plus affaiblie, est pratique surtout par les musulmans locaux. n fournit un cadre symbolique et tangible a la fois - Ie nombre changeant des freres dans la foi - qui reste flexible et facile a manier pour s'adapter aux discours dominants du moment. Selon une autre version du meme discours, Ie peJerinage aurait mobilise les solidarites locales apres la dechirure profonde entre les communautes religieuses de 1989, dans et pour la construction d'une nouvelle communaute de croyants. Certains ont meme vu une sorte de communitas (dans Ie sens de V. Turner [1978]) mue par I'imperatif d'un « sacre utile» se former autour de la Jerusalem des Rhodopes, OU les musulmans trouvaient leur place a cOte des chretiens". Le Mont de la Croix serait ainsi en fraternite avec les sanctuaires musulmans locaux, un Heu saint parmi d'autres, interchangeables aux yeux de ceux, nombreux, parmi les deux communautes religieuses, qui pronaient que « Dieu est Ie meme, partout >. Cette representation vient appuyer Ie discours de la tolerance interconfessionnelle, officiellement promu par des milieux politiques dirigeants, avec I'aide energique de I'elite academique bulgare et des medias. Le point de vue contraire represente Krastova par une opposition a Yenihan-baba tekke, la Jerusalem des Rhodopes opposee ala Mecque locale. Construire un lieu saint comme une petite Jerusalem dans une zone de rencontre entre la Croix et Ie Croissant, dans un espace ou frontieres politiques et religieuses se recoupent et se superposent depuis plus d'un siede, dedenche la confrontation entre christianisme et islam, meme si un tel effet n'est pas recherche par les acteurs locaux. Dans ces conditions, les deux Heux saints fonctionnent a plusieurs niveaux, et surtout dans une logique de rivalite et d'opposition mutuelle. Les lieux saints et les pelerinages dont ils sont les centres possedent un cote de renouveau religieux bien calcuJe, car il marque l'effort des grands acteurs aussi bien religieux que politiques, de trouver une nouvelle place dans I'espace public. Ainsi, Ie cOtoiement ou Ie voisinage - mot de dans les constructions politiques du « modele ethnique bulgare » de la decennie post-communiste - peut Otre lu a travers deux prismes, celui du contact et celui du conflit (Apostolov

$' C'est Ie message passe dans la serie d'etudes d'historiens et d'ethnologues bulgares (v. en particulier E. Ivanova 1995), ainsi que dans Is plupart des publications de journalistes (Jerusalem 1996). .. JtRU:SALEM DE:) RHOOOPi::S ,. VS ... LA Mt;cQUt; ut;S RHODOPES » 81

2003). En fait iI s'agit d'un seul : celui de la relation iI I'aulre religieux, qui varie selan les contextes sociopolitiques. Si Ie face-iI-face des deux lieux saints et des deux pelerinages est construit selan une logique de rivalite ou, au contraire, de compIementarite, Ie religieux reste affilie au discours politique. C'est ce dernier qui contribue a consolider les frontieres, voire, ales produire.

Chronos n' 18 - 2008 82 GAUA VALTCHINQVA

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