L'ORIGINE DE LA MAISON DE SALIVES ET DE SON DONJON

par M. le Chanoine Jean MARILIER

L'étrange donjon, rectangulaire et sans contreforts, qui se dresse au-dessus du village de Salives1, à l'orée du Châtillonnais, entre Aignay-le-Duc et Grancey-le-Château n'a guère attiré l'attention sur lui. Le premier qui en ait parlé, Claude Courtépée2, en donne des dimensions fausses et l'attribue aux ducs de Bourgogne. Dans son Répertoire archéologique?1 édité par la Commission en 1872, Paul Fois- set l'attribue aussi aux ducs et le place au xme siècle, mais sa courte des- cription est exacte. Puis ce monument est retombé dans l'oubli jusqu'au Guide de la Côte-d'Or^ d'André Guillaume qui ne fait que le citer en l'attribuant « peut-être au XIIe siècle ». Le Dictionnaire des châteaux et des fortifications du Moyen Âge en de Ch. L. Salch en 19775 et son Atlas6, deux ouvrages dont les notices sont complètement erronées, le citent. En 1982, le professeur Hermann Hinz, de l'université de Kiel, l'a étudié scientifiquement dans le volume de Mémoires d'archéologie et d'histoire médiévales en l'honneur du doyen Michel de Boûard1. Des- cription précise, minutieuse, complète. Mais Hinz a été embarrassé par la datation de ce monument. Il écrit : « On ne pourra approuver la datation du xme siècle en raison aussi bien de la maçonnerie que des dates transmises par la tradition. Il semble être au moins du haut-xne siècle (date à laquelle la famille de Salives est attestée). L'histoire de cette famille qui tira son nom du don- jon, est étrange, car on ne connaît que ses derniers représentants au

1. Côte-d'Or, C°n Grancey-le-Château. e 2. COURTÉPÉE (Claude), Description du duché de Bourgogne, 2 éd., 1847- 1848, et suivantes, tome IV, p. 231. 3. FOISSET (Paul), Répertoire archéologique de la Côte-d'Or, , 1872, p. 100. 4. Troisième édition, Dijon, 1983, p. 361. 5. Strasbourg, 1977, p. 1107. 6. Strasbourg, 1982. 7. HINZ (Hermann), « Der Donjon von Salives », dans Mélanges d'archéolo- gie et d'histoire médiévales en l'honneur du doyen Michel de Bouard, Genève- Paris, 1982, p. 191-198 (mémoires et documents publiés par la Société de l'École des Chartes, XXVII).

© Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte-d'Or, T. XXXV, 1987-1989, p. 243-253. 244 JEAN MARILIER moment en effet où la seigneurie est morcelée au XIIe siècle — et ici il renvoie à la thèse du doyen Richard et à une correspondance privée avec le même.— Le donjon passe ensuite lentement, par des acquisi- tions aux mains des ducs de Bourgogne, sous Eudes III et Hugues IV, entre 1190 et 1256. » Ces notes historiques ne sont malheureusement pas exactes en tous points. Pareille difficulté s'est présentée à moi quand il a fallu élaborer pour Y Atlas de la France de l'an mil la carte des châteaux et fortifica- tions existant entre 987 et 1031. On pouvait ajouter aux édifices connus par les textes ceux que révélait l'archéologie. Or toute étude archéolo- gique du donjon de Salives me paraît bien impossible. À part la taille par grandes écailles de quelques gros moellons, il n'y a pas d'indice actuellement exploitable. La fenêtre romane, certainement postérieure, qui s'ouvrait au sommet du mur méridional n'a jamais été étudiée car elle était cachée par la végétation ; l'appareillage des angles est lisse. Des bandeaux d'opus spicatum apparaissent bien ici où là à l'intérieur des murailles à l'endroit de brèches dans le parement. C'est à peu près tout ce que j'ai pu observer. L'attention s'est récemment portée sur ce monument négligé par l'archéologie quand, à la suite de puissantes infiltrations d'eau, le 15 mai 1986, l'angle sud-est s'est écroulé à partir d'une ancienne et importante fissure au milieu du pignon nord-est, entraînant dans sa chute presque les deux tiers de la muraille du sud-est, c'est-à-dire jusqu'à la fenêtre romane qui s'ouvrait à son sommet. L'Association pour la Sauvegarde des Sites et Monuments de Salives a fait procéder à des travaux de déblaiement et a commencé l'étude de l'édifice. Notre curiosité commune et les besoins de ma documentation m'ont poussé à procéder à une recherche historique qui pourrait obvier en partie à la pauvreté des données archéologiques. Si l'on arrivait à retracer l'histoire de la famille de Salives et à la replacer dans le contexte historique de cette région au XIe ou au début du XIIe siècle, on pourrait sans doute arri- ver à une certaine approximation. C'est le but de cet essai. Mais aupara- vant, il est intéressant de présenter rapidement ce donjon et son site. Les donjons de ce type, fréquents dans l'ouest, sont peu nombreux dans nos régions. Je citerai celui de Rougemont près de , dont il ne reste que la paroi nord et deux fragments des murs est et ouest, celui de la Salle, au nord de Mâcon et la Tour-de-Béost près de Montchanin8. Il est très intéressant de voir surgir presque subitement, à la fin du Xe siècle et dans les décennies suivantes, les châteaux et les mottes

8. La Salle, Saône-et-Loire, Con Lugny ; La Tour-de-Béost, même départe- ment, Oe Charmoy, Con Montcenis. SALIVES 245

Fio. 1. — Donjon de Salives. FIG. 2. — Donjon de Salives. Vue générale. État après l'effondrement de 1986.

Fio. 3. — Donjon de Salives. FIG. 4. — Donjon de Salives. Vue intérieure. Cheminée du premier étage. 246 JEAN MARILIER fortes. Mises à part les enceintes fortifiées héritées des siècles précé- dents : Dijon, , Autun, Chalon, et dans le nord de la Bourgogne, Semur, Flavigny, Til-Châtel et Langres, le plus ancien château cité par les textes est celui de Mont-Saint-Jean en 9249 ; Vergy existait sans aucun doute et aussi Saulx, dans la région considérée, puisque Vilain de Saulx s'agite beaucoup dès 975, militant ici et brigandant là10. On voit en Puisaye l'évêque d'Auxerre, dans le dernier quart du Xe siècle, édi- fier coup sur coup les deux forteresses de Toucy et de Saint-Fargeau11. Et quand le roi Robert, à la fin de l'automne 1003, voulut conquérir la Bourgogne, il ne put prendre ni les villes ni les châteaux très forts qu'il rencontra12. On peut distinguer trois sortes de sites dans lesquels ils ont été construits : les pitons isolés de tous côtés (Saulx, Vergy, Mont-Saint- Jean, Montsaugeon, Grignon, Thil, Bremur) les rebords abrupts des plateaux rocheux avancés en promontoire (Châtillon, , Frolois, , , Blaisy, Grancey), et parfois, d'anciens éperons barrés (Passavant). La situation de Salives est autre : le donjon s'élève bien près d'un rebord rocheux, mais de très peu d'importance et, surtout, chose excep- tionnelle, il a été édifié sur la pente douce d'une colline, position très peu défensive dont l'origine procède de circonstances particulières. En effet, avec le hameau voisin de Préjelan et un domaine situé un peu plus au nord, représenté aujourd'hui par la ferme de l'Étolot, Salives appartenait depuis le 11 juin 768 à l'abbaye de Flavigny. Tout cela avait été donné au monastère par un personnage nommé Maurin, remplissant de hautes fonctions et fort riche à son propre dire. Le scribe précise que, « de toute façon Salives et Préjelan sont en Duesmois ». Mais à la limite du Duesmois et du Dijonnais ; le texte lui-même le laisse entendre13. Une autre difficulté peut se présenter : où se trouvait le domaine nommé Sacriba ? La dérivation philologique de ce terme, si l'on accen- tue le mot sur la première syllabe, donne « Saigrive ». C'est ce qu'a choisi Alphonse Roserot dans son Dictionnaire topographique de la

9. FLODOARD, Annales, éd. Lauer, Paris, 1906, c. 21 (collection de textes pour servir à l'étude et à l'enseignement de l'histoire). 10. CHEVRIER-CHAUME, Chartes et documents de Saint-Bénigne de Dijon, 1.1, par FOLZ (Robert) et MARILLER (Jean), Dijon, 1986, p. 190-191. 11. « Gesta episcoporum autissiodorensium, 47 », dans DURU (abbé), Biblio- thèque historique de l'Yonne, Auxerre-Paris, 1880, p. 383. 12. RADULFUS GLABER, Les cinq livres de son histoire, tome I, 8, 16, éd. Prou, Paris, 1886 (collection de textes pour servir à l'étude et à l'enseignement de l'histoire). 13. MARILIER (Jean), Cartulaire de Flavigny, n° 11 : « precavens ne sollicitu- dinibus diviciisque mundanis ejus anima suffoceretur ». SALIVES 247

Enceinte fortifiée avant 1030 Château avant 1030

Château postérieur

Les noms soulignés sont ceux des localités sises en Duesmois et connues par les textes.

Le trait noir représente la limite des diocèses de Langres (au nord) et d'Autun. 248 JEAN MARILIER

Côte-d'Or14 en localisant Sacriba au lieu dit Saigrive, dans la commune de Francheville, nom connu encore par celui d'une fontaine. Or il n'y a jamais eu de localité à Saigrive, ni de prossession de l'abbaye de Flavi- gny, ni de château'1'. Mais, si l'accentuation du mot de Sacriba se fait sur la seconde syllabe nous obtenons le nom de Sarive, et, par substitu- tion de liquides, Salives. Berthout et Matruchot"', deux philologues dont les travaux en toponomastique font toujours autorité, ont démon- tré cela, il y a plus de quatre-vingts ans. Le mot Sacriba est bien connu de la basse latinité ; il signifie « consacré » et s'applique généralement à des arbres et des fontaines où se pratiquait un culte d'origine païenne17. Nous avons ainsi, outre la fontaine de Saigrive, le village de en Côte-d'Or, les hameaux de Font-Salives dans l'Allier et dans le Puy-de-Dôme. Et précisément, Salives a aussi sa fontaine sacrée, l'une des sources de la Tille, qui jaillit abondamment à la base du rocher sous le château même. Elle a été probablement christianisée par l'érection d'un sanctuaire à Saint-Martin qui servit de chapelle au château. Or, curieusement ce nom de Sariba est employé de nouveau en 1097 dans le livre de comptes de l'abbaye de Flavigny, au temps où celui de Saliva était seul en usage. Les archives de cette maison étaient bien tenues et les papiers concernant le domaine de Salives étaient sans doute renfermés dans une layette étiquetée Sacriba, du nom de la pre- mière donation, celle de Maurin... Voici cette mention de Salives, capitale pour l'histoire du châ- teau : « En cette même année 1097, Aimon nous a rendu trois sous de cens sur le château nommé Sacriba et sur les terres à l'entour de ce château, relevant du droit de l'abbaye de Flavigny, en la fête de saint Pierre, en cour plénière, cens qu'il n'avait pas versé depuis maintes années çà en arrière, et pour cette retenue, il a fait sa coulpe et il a été absous18. » Preuve explicite s'il en est de l'existence du château de Salives en 1097 et depuis un certain nombre d'années à cette date. Ce qui exclut toute hypothèse d'un château du xue ou du xiue siècle...

14. Paris, 1925, s. v° Saigrive, p. 336. 15. CHAUME (Maurice), Origines du duché de Bourgogne, t. II, fasc. 3, Dijon, 1931, p. 869. 16. BERTHOUD (Louis) et MATRUCHOT (Louis), « Étude historique et éty- mologique des lieux habités... du département de la Côte-d'Or », dans Bulletin de la Société des Sciences de Semur, 1905, p. 41-44. 17. DUCANGE, Glossarium mediae et infimae latinitatis, éd. Henschel, 1840- 1860, s. v°. 18. Chronicon flaviniacense, M.G.H., SS.. tome VIII, p. 476. SALIVES 249

LE DONJON

II s'agit d'un édifice rectangulaire, bâti d'un seul jet en petit appareil irrégulier ; il mesure hors œuvre quatre-vingts pieds carolingiens sur trente-six, soit 22,80 m sur 10,30 m ; l'épaisseur des murs est de 2,80 m soit dix pieds ; ce qui donne un intérieur très allongé de soixante pieds sur seize, soit 17,16 m sur 4,57 m théoriquement. La hauteur originelle est ignorée. Actuellement, elle est environ de 16,80 mètres ; Hinz lui en octroyé vingt à l'origine et la construction est partiellement enterrée. 80 pieds - 22 m 80 1 6 pied s - 4 m 5 7 U u 10 pieds - 2.80 60 pieds - 17 m 16 1 ( i 1

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Les murs en blocage ont quelques chaînages, mais surtout, depuis l'écroulement partiel, on peut voir à l'intérieur de ces murs, des trous carrés longitudinaux et horizontaux qui contenaient des poutres de bois, ce dispositif, connu depuis l'époque gauloise, est employé aussi au xic siècle comme l'a démontré Wilcox19. À rencontre des donjons de l'ouest, dont l'entrée se fait le plus sou- vent par le premier étage, il n'y a pas à Salives d'ouverture visible, sinon tout en haut. Une meurtrière sur chaque face, au milieu, et une fenêtre romane avec meneau central disparu au sommet de la face sud- est au premier tiers de la longueur. Toutes ces ouvertures éclairaient un étage en retrait d'une cinquantaine de centimètres qui doit être le cin- quième en comptant celui qui est enterré. À l'angle nord-est, une porte mène à un cabinet d'aisances de 1,30 m au carré environ, placé à l'inté- rieur du mur nord exactement comme l'avait pensé Hinz. On l'a reconnu récemment dans l'inspection du haut des murs à l'aide d'une nacelle. L'évacuation se faisait par une auge de pierre inclinée à 45 degrés ; elle servait peut-être aussi à l'écoulement des eaux du toit.

19. WILCOX (R.), dans Château Gaillard V, Caen, 1972, p. 193-202. 250 JEAN MARILIER

Pareil dispositif se rencontre ailleurs20. On peut compter ces étages qui étaient séparés par des planchers, en considérant les trous de poutres dans les murs longitudinaux. Ils sont au nombre de cinq, en comptant l'étage actuellement enterré partiellement. Des recherches récentes ont amené la découverte d'une porte étroite, de 0,70 m, au niveau de ce qui est actuellement le sous-sol, vers l'angle nord-est ; elle communiquait avec la cour. En principe le rez-de-chaussée était un cellier et le premier étage celui de la grande salle qui était complètement aveugle. À ce niveau existait une cheminée dont la hotte subsistait il y a quelques années avec un conduit qui s'amenuisait en prenant de la hauteur. Son man- teau est indiqué par les deux trous où s'encastraient les consoles. Tout a disparu aujourd'hui ; il n'en reste que les traces des prises dans le mur nord. Nous avons vu que ce donjon est placé sur le flanc d'une colline, dans une position insolite. En fait, il n'est qu'une construction faite dans la cour d'une exploitation agricole beaucoup plus ancienne, centre du domaine de l'abbaye de Flavigny en ces lieux. En témoigne la topo- graphie locale, celle d'une villa, avec la présence d'une chapelle doma- niale placée, comme on le constate très souvent, à l'angle sud-est de l'exploitation. Et son édification est, sans doute aucun, l'œuvre du pre- mier personnage qui inféoda le domaine à l'abbaye et devint ainsi le premier sire de Salives. On aurait pu penser que ce donjon dépourvu d'ouvertures n'était qu'une sorte de grenier ne servant de refuge qu'en cas de danger. De larges murs arasés au niveau du sol se voyaient naguères dans le jardin du presbytère entre le donjon et l'église. Ils devaient être ceux de l'habitation normale du maître des lieux. Mais ce donjon fut bien aussi une place de guerre : il subit en effet au moins un siège lors de l'une de ces querelles armées locales, occupations de seigneurs permises le lundi, mardi et mercredi, puisqu'un membre de la maison de Grancey, Raymond, fut blessé mortellement en faisant le siège vers 1100-110521.

LA MAISON DE SALIVES

Les premiers personnages du nom de Salives apparaissent dans le dernier quart du xie siècle dans les chartes de l'abbaye de Molesmes,

20. DE BOÛARD (Michel), Manuel d'archéologie médiévale, Paris, Picard, s. d., p. 121. 21. Chronicon besuense, éd. Bougaud-Garnier, Dijon, 1875, p. 401-402 (Analecta divionensia, X). SALIVES 251

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il O 85 252 JEAN MARILIER mais non comme seigneurs de Salives. Il s'agit de Thibaut, mari d'Adé- laïde de Grancey, cousine d'Hugues le Sénéchal, ce qui permet de pla- cer tout de suite les Salives parmi les premières familles de Bourgogne. Thibaud et sa femme louent le don fait à Molesmes sur par Otbert et Nocher de Grancey. Hugues de Salives, dans aucun doute un frère de Thibaut, est témoin de ce don22. Vers la même époque, Arnoul de Salives, marié et père de famille, donne à cette abbaye la cure de Saint-Broingt ; il a pour témoin Nocher de Grancey23. La présence de Nocher prouve qu'il en est un parent proche, très probablement son beau-frère, ce qui me fait suppu- ter que Thibaud, Hugues et Arnoul sont très probablement des frères. Ces trois personnages portant le nom de Salives, il convient normale- ment que leur père l'ait aussi porté et qu'il fût seigneur de Salives lui- aussi ; et s'ils ne sont que des cousins germains, il faut remonter à leur grand-père pour rencontrer un premier sire de Salives. En supposant que ces personnes aient eu environ une trentaine d'années en 1085, donc soient nés vers 1050-1060, dans le premier cas, le premier des sires de Salives serait né vers 1025 ; dans le second, s'il était leur grand- père, au début du XIe siècle. C'est cette hypothèse qui est sans doute la meilleure. Tout à la fin du siècle, en 1097, le possesseur du donjon se nomme Aimon, nous l'avons vu. Il est peut-être un frère des trois précédents ou, peut-être plus certainement un de leurs fils. Peut-être est-ce encore lui qui figure comme témoin d'une donation d'un membre de la famille à l'abbaye de Fontenay en 1136-11422<». Puis vient Galon de Salives, témoin en 1098 de la dédicace de l'église du nouveau monastère de Cîteaux ; il figure dans la liste des témoins de la confirmation du don de la terre de Cîteaux aux moines faite ce jour-là par le duc Eudes Ier ; il est en deuxième place sur la liste des témoins, immédiatement après Hugues Ier de Mont-Saint-Jean. Peu après 1115, il figure comme le troisième témoin de Ponce de Salmaise, après Barthélémy de Sombernon et Hugues de Mont-Saint-Jean25, dans d'une des pancartes de l'abbaye de Clairvaux26. Dans la première moitié du xne siècle, on trouve un Thibaud de Salives, qui donna en 1136-1142 à l'abbaye de Fontenay ses possessions

22. LAURENT (Jacques), Cartulaires de l'abbaye de Molesmes, Paris, 1911, tome II, 1, n° 157. 23. Id., n° 172. 24. Ci-dessous, note 27. 25. MARILIER (Jean), Chartes et documents concernant l'abbaye de Cîteaux, 1098-1182, Roma, 1961, n° 23, tome IV (Bibliotheca cisterciensis, 1). 26. WAQUET (Jean), Recueil des chartes de l'abbaye de Clairvaux, fascicule l,Troyes, n. 15 (p. 31). SAUVES 253 de Poiseul-La-Grange27. Il était l'époux de Gondrée-Sybille de Saint- Beury et il avait des enfants en bas-âge, ce qui nous le fait voir comme un homme jeune, né au début du xne siècle ; il est alors un fils d'Aimon ou de Galon ou leur neveu. La famille continua pendant plusieurs siècles encore28. Mais arrêtons là Pénumération de ses membres connus au xie siècle et au début du xne. Un fait s'impose : c'est la présence permanente de trois noms. Thibaud, Galon et Aimon. Elle n'est pas fortuite ; on sait que pendant longtemps les noms étaient une sorte de propriété de famille. Or ces trois noms ne se rencontrent associés que dans la famille des descendants d'Aimon, comte d'Auxois et de Duesmois, mort peut après 1004, et précisément dans la descendance de son frère. On peut dire avec certitude que la Maison de Salives descend de Galon, comte d'Auxois. D'après le tableau généalogique de la famille, assez mal connu, il faut le dire, vers le milieu du xie siècle, il n'y a de place pour un raccordement satisfaisant qu'avec Aimon, fils d'Humbert Ier de Salmaise, qui apparaît en 1024 ; il est donc né avec le siècle. Ce qui en ferait probablement le grand-père de Thibaut, Hugues et Arnoul de Salives. Pour répondre enfin à la question pour laquelle j'ai entrepris cette étude, savoir : quelle date faut-il attribuer à ce donjon ? La réponse ne peut pas être autrement précisée. Si le premier engagiste du domaine est cet Aimon qui florissait à partir de 1025-1030, c'est à partir de ces années qu'il faut faire commencer la période possible d'édifica- tion ; s'il fallait partir de la génération suivante, ce ne serait qu'après 1050-1060. On ne peut vraiment pas tenir compte des indications de Pierre Héliot29 sur l'âge des châteaux à partir de l'épaisseur de leurs murs qui seraient d'autant plus épais que le château est plus jeune ; or celui de Montbazon en Indre-et-Loir est bien daté de 1017 et il a des murs de 2,95 m30. En conclusion, c'est très vraisemblablement entre 1030 et 1060 qu'il convient de dater le donjon de Salives. (Séance du 18 mai 1988)

27. PETIT (Ernest), Histoire des ducs de Bourgogne de la race capétienne, tome II, n° 261, p. 221. 28. RICHARD (Jean), Les ducs de Bourgogne et la fondation du duché, Paris, 1954, passim (Publications de l'Université de Dijon, XII). 29. HELIOT (Pierre), « Les origines du donjon résidentiel », dans Cahiers de civilisation médiévale, t. XVII, 1974, p. 221-222. DE BOÛARD, op. cit., p. 117. 30. CHÂTELAIN (A.), Donjons romans des Pays d'Ouest, Paris, 1973, p. 156.