Civilisations Revue internationale d'anthropologie et de sciences humaines

58-1 | 2009 American Afrocentrism(e)s américains

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/civilisations/1878 DOI : 10.4000/civilisations.1878 ISSN : 2032-0442

Éditeur Institut de sociologie de l'Université Libre de Bruxelles

Édition imprimée Date de publication : 31 août 2009 ISBN : 2-87263-026-0 ISSN : 0009-8140

Référence électronique Civilisations, 58-1 | 2009, « American Afrocentrism(e)s américains » [En ligne], mis en ligne le 31 août 2012, consulté le 04 avril 2020. URL : http://journals.openedition.org/civilisations/1878 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/civilisations.1878

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Tantôt loué pour ses théories donnant la parole aux oubliés de l'histoire, tantôt décrié pour ses hypothèses incorrectes et ses démonstrations idéologiques, l'Afrocentrisme est depuis les années 1980 au coeur de vifs débats. A l'écart des controverses opposant Afrocentristes à anti-Afrocentristes, ce dossier thématique nous invite à changer de regard sur ce courant de pensée, en le considérant non seulement comme une production sociale née de la lutte des populations noires contre le racisme et l’oppression mais aussi comme un objet d’étude anthropologique, sociologique et historique. En privilégiant les réflexions sur le terrain états-unien, les auteurs s’interrogent à la fois sur les dynamiques de construction du discours afrocentriste et sur ses répercussions dans plusieurs sphères de la vie sociale : l’art et l’esthétique, la religion et la politique. Ce faisant, ils analysent, à travers plusieurs études de cas, les logiques d’invention, sur le territoire états‑unien, d’une Afrique idéelle, réappropriée, référence constante, pour nombre d’Afro-Américains, de processus d’identification complexes.

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SOMMAIRE

Dossier : Afrocentrismes américains coordonné par Pauline Guedj

Afrocentrismes américains Histoire, nationalisme noir et pratiques sociales Pauline GUEDJ

Pratiques artistiques et esthétiques afrocentristes

Africobra and the Negotiation of Visual Afrocentrisms Kirstin L. ELLSWORTH

L’étoffe de l’africanité Sarah Fila-Bakabadio

Afrocentrisme et littérature Le cas de l’écrivain noir américain John Edgar Wideman Bénédicte Monville de Cecco

Identités afrocentristes entre religion et politique

Africain, Akan, Panafricain et Afro-Américain Construire son identité aux États-Unis Pauline GUEDJ

All Yah’s Children Emigrationism, Afrocentrism, and the Place of Israel in Africa John L. Jr Jackson

Barack Obama and the Ironies of Afrocentrism Algernon Austin

En débat : L'Occident décroché Enquête sur les postcolonialismes de Jean-Loup Amselle

Global Challenge A propos de L’Occident décroché Irène Bellier

L’indianisme est-il de gauche ? Remarques complémentaires sur L’Occident décroché Franck Poupeau et Hervé Do Alto

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Dossier : Afrocentrismes américains coordonné par Pauline Guedj

NOTE DE L’ÉDITEUR

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Afrocentrismes américains Histoire, nationalisme noir et pratiques sociales

Pauline GUEDJ

Débats et controverses

1 En 2000, paraissait le premier ouvrage de référence en langue française sur l’Afrocentrisme. Rassemblant des contributions rédigées par des spécialistes de plusieurs disciplines et consacrées à diverses aires géographiques et périodes historiques, Afrocentrismes, L’histoire des Africains entre Egypte et Amérique se penchait sur les multiples facettes de ce courant de pensée. Pour ce faire, les éditeurs de cet ouvrage, François‑Xavier Fauvelle-Aymar, Jean-Pierre Chrétien et Claude-Hélène Perrot, entendaient s’appuyer sur le « mode de narration » de l’« historiographie critique » (2000 : 11), revenir sur les présupposés des écrits fondateurs de l’Afrocentrisme, et surtout, fournir aux lecteurs les clés d’un débat populaire et problématique qui opposeraient partisans d’une historiographie classique et « eurocentrée » et Afrocentristes, révolutionnaires, luttant corps et âme contre un africanisme colonial. Appelant, à l’encontre des Afrocentristes, à la rigueur scientifique et déplorant le pouvoir symbolique d’ouvrages emplis de « fausses théories », les éditeurs se défendaient toutefois de toute intention polémique. « Avec honnêteté », ils clamaient leur respect pour l’Afrique, terrain d’étude victime de ses descriptions hâtives, et continent, méritant au même titre que l’Europe, d’être l’objet d’approches scientifiques finement argumentées et non idéologiques (2000 : 10).

2 Toutefois, malgré les précautions prises par les éditeurs dans leur introduction, l’ouvrage ne manquait pas, dans certains de ses articles, de glisser vers l’accusation et d’opter pour un ton condescendant. Ainsi, sous la plume de Clarence Walker, Molefi Asante (voir Asante 1987, 1988, 1990) devenait un intellectuel au propos « douteux » (Walker 2000 : 67), un penseur non « original » (2000 : 70) dont « le succès parmi les Américains noirs peut être attribué au fait que, à l’heure actuelle, la pensée critique n’est pas en grande estime dans la communauté noire aux Etats-Unis » (2000 : 70-71). Ivan Van Sertima était dépeint par Bernard R. Ortiz de Montellano, comme un auteur

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« aux sources douteuses et obsolètes » dont les écrits n’intéressent que des « Afro- Américains prédisposés à accepter son message » (Ortiz de Montellano 2000 : 264-265).

3 Ces critiques1 adressées souvent autant aux auteurs afrocentristes qu’à leur lectorat de prédilection, des Afro-Américains jugés crédules, constituent sans aucun doute l’écueil de l’ouvrage. Cette limite éveilla par ailleurs les foudres des penseurs afrocentristes francophones qui n’avaient déjà de cesse d’alimenter la polémique. Ainsi, en 2001, l’intellectuel congolais Théophile Obenga, disciple de Cheikh Anta Diop et collaborateur de Molefi Asante, rétorquait avec la publication d’un ouvrage, cette fois-ci ouvertement polémique, dans lequel Fauvelle-Aymar, Chrétien et Perrot étaient qualifiés de penseurs « racistes », dont l’approche paternaliste consisterait, sous couvert de respect pour le continent africain, à dénigrer le génie du peuple noir, ses accomplissements culturels et son lien généalogique avec l’Antiquité égyptienne. Conçu comme le manifeste d’une lutte « contre l’africanisme raciste, ancien ou moderne, colonial ou post-colonial » (Obenga 2001 : 7), le texte d’Obenga multipliait les attaques personnelles et injurieuses.

4 Bien qu’accusatrice et polémique, la tonalité du débat opposant Fauvelle-Aymar, Chrétien et Perrot à Obenga n’était pas, il y a huit ans déjà, une nouveauté. Aux Etats- Unis, les confrontations entre Afrocentristes et anti-Afrocentristes s’étaient imposées dans les universités depuis la fin des années quatre-vingt-dix et s’étaient cristallisées autour de la publication d’un ouvrage jugé par certains provocateur : Not out of Africa. How Afrocentrism became an excuse to teach myth as history (1996). Dans cet ouvrage, l’historienne Mary Lefkowitz s’insurgeait à la fois contre le texte de Martin Bernal Black Athena (1987), texte-phare de l’Afrocentrisme et contre la pratique dans certaines universités américaines d’enseignements se réclamant de ce courant de pensée.

5 Comme en France dans le cas de la controverse précédemment citée, la publication de l’ouvrage de Lefkowitz fut suivie d’une polémique ; certains auteurs afrocentristes, comme Maulana Karenga, se confrontant à l’historienne dans des débats publics, d’autres plus modérés questionnant le bien-fondé de son approche. Ainsi, l’intellectuel afro-américain, Glenn Loury se permettait-il d’ironiser lorsque Lefkowitz affirme dans son ouvrage que les Afrocentristes « volent aux Grecs anciens et à leurs descendants l’héritage leur appartenant de droit ». Pour Loury, la démarche de Lefkowitz attribuant un héritage universel aux seuls descendants « biologiques » des Anciens apparaît essentialiste, au même titre que celle d’Afrocentristes qui cherchent à faire d’Hannibal, de Cléopâtre ou de Ramses II des Noirs, ancêtres des populations afro-américaines contemporaines (Moses 1998 : 8).

6 Plus importante à nos yeux, la critique formulée par Wilson Jeremiah Moses (1998) à l’égard de l’ouvrage aspirait à changer de regard sur l’Afrocentrisme. Comme après lui, Christine Chivallon (2004 : 122), Moses s’interrogeait sur la possibilité d’éviter l’écueil polémique dans une réflexion sur l’Afrocentrisme et appelait à s’extraire d’un débat, souvent contre-productif, opposant Afrocentristes à anti-Afrocentristes. Le tort de Lefkowitz réside alors selon lui dans le fait qu’elle « s’intéresse davantage à prouver que Cléopâtre était une pure « aryenne » qu’à analyser les circonstances qui ont produit le phénomène de l’Egyptocentrisme noir » (Moses 1998 : 3). Par là, Moses revendique la nécessité de replonger l’Afrocentrisme dans son contexte états-unien et afro-américain et de le considérer non pas comme une théorie scientifique contre laquelle s’insurger, à tort ou à raison, mais comme un objet construit historiquement dont il faut appréhender l’évolution et les différents avatars2.

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7 Avec Wilson Jeremiah Moses, l’Afrocentrisme devient donc un objet d’étude, au même titre que le nationalisme ou le messianisme auxquels il le relie, que l’historien se doit d’analyser. Son ouvrage, Afrotopia (1998), se donne pour but d’étudier la genèse du discours afrocentriste, en insistant sur ses multiples influences : le nationalisme noir bien sûr, mais aussi les nationalismes européens, le romantisme et l’anthropologie culturaliste. Dans la lignée des écrits de Wilson Jeremiah Moses, nous nous proposons dans ce dossier thématique de considérer l’Afrocentrisme non seulement comme un objet historique mais aussi anthropologique et sociologique. Nébuleuse, l’Afrocentrisme devient alors un objet aux multiples facettes, dont on peut analyser la construction et les métamorphoses ainsi que ses constantes manipulations opérées par une communauté afro-américaine qui, aux Etats-Unis, l’utilise à des fins politiques, thérapeutiques et organisationnelles. Dans cette logique, les articles constituant ce numéro thématique se concentreront sur la dimension états-unienne du phénomène afrocentriste, pays où ce courant d’idées est aujourd’hui le plus représenté et le plus puissant.

Afrocentrisme entre philosophie de l’Histoire et nationalisme

8 Il semble que le terme « afrocentrique » soit apparu pour la première fois sous la plume du sociologue afro-américain W.E.B. Du Bois en 1962. Invité par Kwame Nkrumah à Accra au Ghana dans le but d’y rédiger une encyclopédie sur les populations noires, l’ Encyclopedia Africana, Du Bois insistait, dans un document non publié, sur son intention de diriger un volume « volontairement Afro-Centrique, mais prenant en compte l’impact du monde extérieur sur l’Afrique et l’impact de l’Afrique sur le monde extérieur » (in Moses 1998 : 2). Du Bois, important militant du panafricanisme, voyait dans son projet un moyen de donner la parole aux peuples d’Afrique, d’en faire des acteurs de leur propre Histoire au moment même où ceux-ci se lançaient dans la construction de leurs Etats nouvellement indépendants.

9 Lié chez Du Bois à un projet scientifique et politique destiné à donner la parole aux opprimés, le terme Afrocentric connaîtra ses heures de gloire à partir de la fin des années soixante. En réalité, l’histoire du mouvement afrocentriste aux Etats-Unis est indissociable de l’avènement de départements d’études dits ethniques dans les universités américaines, départements nés en pleine ère du Black Power, lorsqu’une jeunesse noire radicalisée se battait pour la prise en compte de son « expérience » au sein des cursus universitaires. Afrocentriques, au sens où Du Bois l’entendait, ces départements d’études African-American, Black ou Africana, se donnaient pour but d’inclure l’Histoire afro-américaine dans le récit de l’Histoire états-unienne.

10 À partir des années 1980, l’Afrocentrisme académique entra dans une nouvelle phase avec les publications d’Arthur Lee Smith, plus connu sous le nom de Molefi Asante (Asante 1987, 1988, 1990). Celui-ci tendait à définir l’Afrocentrisme comme une théorie cherchant à remettre l’Afrique au cœur de l’Histoire de l’humanité. Toutefois, ses principaux écrits associèrent à l’Afrocentric duboisien tout un appareil conceptuel et idéologique, grandement hérité des écrits de l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop.

11 À partir de 1990, la pensée d’Asante évolua peu de sorte qu’il est aisé, avec Stephen Howe (1998), de la résumer en une série de points précis. Le premier cheval de bataille

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de la théorie afrocentriste, telle qu’elle est définie par Asante, revendique le fait que l’humanité se serait d’abord développée en Afrique avant de se répandre en Asie, aux Amériques puis en Europe. Les Africains entretiendraient avec le reste des habitants de la terre un rapport de primordialité chronologique et ce, particulièrement avec les Européens, « race » relativement jeune dans l’histoire de l’humanité. Des découvertes archéologiques comme celles des squelettes de Lucie et de l’Eve africaine constituent, pour l’auteur, des témoignages d’une telle antériorité.

12 Le second point défendu par Asante est que la première civilisation mondiale aurait pris place en Egypte ancienne ou Kemet. Cette civilisation était « noire » et ses ingénieurs provenaient surtout de la partie sud du pays, Koush, laquelle s’apparente au Soudan actuel. L’étude des phénotypes égyptiens tels qu’ils sont visibles sur les papyrus ou les fresques des temples et des tombes apporterait la preuve de la négritude de cette population, et nombreux sont les disciples d’Asante qui ont fait de cette recherche leur spécialité.

13 Ensuite, Asante insiste fréquemment sur le fait que le rayonnement de la civilisation égyptienne s’est étendu sur la totalité du continent noir. Il étudie ce qu’il considère comme des points communs entre la langue égyptienne et un certain nombre de langues africaines comme le wolof ou le haussa. Pour lui, le chercheur afrocentriste serait à même de mettre à jour les liens culturels qui unissent les populations africaines à la civilisation et aux mœurs de l’Egypte antique et la linguistique en constituerait une preuve évidente.

14 De plus, selon Asante, la culture égyptienne se serait également diffusée au Nord, jusqu’à constituer la source d’inspiration première des civilisations qui apparurent plus tardivement en Grèce et à Rome d’abord puis partout en Europe. Athéna était, pour Asante, une déesse noire et les Grecs, des usurpateurs ayant volé honteusement leurs traditions aux Africains d’Egypte et de Nubie. Ces propos d’Asante trouveront un écho favorable dans l’ouvrage de Martin Bernal Black Athena (1987), rédigé par un historien blanc, aujourd’hui considéré comme un tenant des théories afrocentristes.

15 Enfin, pour Asante, comme le défendait également Cheikh Anta Diop (1959), les traditions africaines constituent autant de manifestations d’une culture unique. Depuis son foyer égyptien, la culture africaine, au singulier, s’est diffusée dans la totalité du continent. Les frontières nationales et culturelles en Afrique sont le fruit de la colonisation et des efforts forcenés des Européens pour détruire cette unité, menace potentielle à leur hégémonie. Ce faisant, l’ensemble des populations noires forme une nation unitaire, avec ses propres croyances, valeurs et pratiques sociales (Howe 1998 : 231).

16 Chez Asante, cette notion de l’unité culturelle des peuples noirs dépasse toutefois largement le simple continent africain pour inclure dans cet ensemble les populations dites de la « diaspora ». Pour l’auteur, les Afro-Américains des Etats-Unis, les Noirs du Brésil et de la Guadeloupe sont tous pétris de cette culture africaine et chacun de leurs actes témoigne de leur africanité. La nation noire, dans ses formes afro-carïbéennes, africaines et afro-américaines est caractérisée par ce qu’Asante appelle « les rythmes de l’unité », autant de variations coutumières que tout ramène à une culture unique « territorialisée » en Egypte antique (Asante et Asante 1985 : X).

17 Autour de Molefi Asante et de sa doctrine afrocentriste, se sont progressivement rassemblés de nombreux intellectuels. À la tête du département d’études africaines- américaines de l’université de Temple à Philadelphie, Asante a su recruter des

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chercheurs souvent formés par ses soins et défendant corps et âme les présupposés de son Afrocentrisme. Par ailleurs, des auteurs parfois intellectuellement éloignés d’Asante se sont trouvé réappropriés par les Afrocentristes, utilisés pour mettre en place leur récits historiques, parmi ceux-ci Cheikh Anta Diop, entre autres pour ses travaux sur l’Egypte antique, Melville Herskovits, pour sa quête des survivances africaines dans la culture afro-américaine et ses démonstrations sur l’unité culturelle de l’Afrique noire, et plus récemment Martin Bernal, auteur du très controversé Black Athena.

18 Toutefois, la littérature spécialisée sur la question tend à dégager à l’intérieur de cet ensemble afrocentrique plusieurs écoles, plusieurs tendances, voire même plusieurs Afrocentrismes. En 1999, comme nous le rappelle Christine Chivallon (2004 : 123), l’article « Afrocentrisme » rédigé par Robert Fay (1999 : 45) dans l’Encyclopedia Africana de Kwame Anthony Appiah et Henry Louis Gates distingue une branche dite « modérée » incarnée par Asante et ses disciples et une branche « dure », parfois ouvertement raciste et cherchant à prouver par divers moyens la supériorité de la « race » noire sur la blanche.

19 Une même distinction se retrouve dans les écrits d’Algernon Austin (2006 : 119) qui oppose l’université afrocentrique incarnée par Asante à ce qu’il appelle les théories de la mélanine, ouvertement biologistes et essentialistes. Parmi ces « théoriciens de la mélanine », Frances Cress Welsing (1991)3, psychiatre afro-américaine défend l’idée selon laquelle la « race » blanche serait génétiquement inférieure d’où découleraient chez ses membres d’importants troubles psychologiques, qu’ils compenseraient en tentant d’imposer leur suprématie sur l’humanité4. Populaires, revendiquées par de nombreux chercheurs et enseignants d’université, tels Carol Barnes, T. Owens Moore et Leonard Jeffries, les théories de la mélanine sont depuis 1987, le sujet de conférences annuelles où l’on tente de prouver que la « mélanine est un liquide sédatif permettant à l’être humain de rester calme, relaxé, dévoué et civilisé » (Barnes in Austin 2006 : 120).

20 Ces deux composantes de l’Afrocentrisme, telles qu’elles sont dégagées par Algernon Austin (2006) et Robert Fay (1999 : 45) semblent en effet s’opposer sur de nombreux points. Dans une même logique, Jean Copans (voir Mbodj, Copans et al. 2000 : 169) propose de ne pas évoquer l’Afrocentrisme au singulier mais d’apposer à ce terme le « s » du pluriel, signifiant ainsi la multiplicité de ses avatars. Toutefois, malgré la diversité des formes prises par l’Afrocentrisme, il semble que l’ensemble de ses penseurs se retrouve dans l’orientation politique qu’ils donnent à leurs écrits et en particulier dans la centralité accordée, même dans le cas de Molefi Asante, à la dimension raciale.

21 En effet, l’entreprise d’Asante s’accompagne dès Afrocentricity en 1988 de l’établissement d’un programme politique et thérapeutique dont la visée explicite est de restaurer la fierté au sein des consciences noires. En ce sens, Asante tout comme Barnes et Cress Welsing est l’auteur d’une vaste doctrine nationaliste dont l’objectif premier est la rédaction d’une Histoire, la recollection d’un héritage et la création d’une tradition commune, à même de rassembler l’ensemble des populations noires de la planète, dans une entité unique, une Nation panafricaine et transnationale. « Communauté imaginée », comme nous le rappelle Benedict Anderson (1983), la Nation ainsi créée par les Afrocentristes s’appuie sur un passé glorieux, en permanente reconstruction, revendiqué dans une logique « contributionniste »5 (Patterson 1971) comme un apport essentiel à l’histoire de l’humanité. Autant de traditions inventées,

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« tentant d’établir une continuité avec un passé historique approprié » (Hobsbawm 2006 : 12)6. Les intellectuels afrocentristes en effet se livrent à de véritables « exercices d’ingénierie sociale » (ibid.) faisant des Noirs une Nation n’ayant pas souffert de la rupture fondatrice causée par l’expérience traumatique de l’esclavage.

22 Toutefois, la Nation afrocentriste n’existe pas uniquement sur la base d’un passé réinventé. Elle est aussi, pour reprendre les termes d’Ernest Renan (1947), une entité dont « l’essence est que tous les individus (la formant) aient beaucoup de choses en commun ». Or, c’est dans l’appartenance à la « race » noire qu’Asante et ses disciples trouvent le terreau fertile d’une solidarité horizontale et communautaire. La « race », comme ce fut le cas dans l’ensemble des nationalismes afro-américains états-uniens depuis le 19e siècle, est ici un ciment de la Nation imaginée, un « liant » qui, au même titre que l’Histoire, rassemblerait dans une même communauté les Africains et les Afro- Américains. Ainsi, s’établit une adéquation entre « Africain » et « race noire » (Chivallon 2006 : 51) permettant d’expliquer dans le contexte états-unien, l’obsession d’Asante pour la figure d’une Cléopâtre à la peau pigmentée et la quête effrénée de preuves biologiques d’une supériorité de la race noire chez les théoriciens de la branche dure de l’Afrocentrisme7.

Afrocentrisme et pratiques sociales

23 Chez Molefi Asante, la création de cette Nation noire imaginée s’appuie alors sur un réel programme dont la clé de voûte est ce qu’il appelle l’« Afrocentricité ». L’Afrocentricité, en tant que doctrine, s’adresse à l’ensemble des populations noires et suppose, comme le rappelait Asante lui-même lors d’une conférence organisée à Paris le 31 octobre 2006 par l’association Africamaat8 , de se recentrer sur sa propre expérience, d’adopter un mode de vie conforme à son essence et ses supposées prédispositions « noires ». Là où l’Afrocentrisme défini par Asante reposait sur une philosophie de l’Histoire, l’Afrocentricité, telle qu’il la décrit, est un art de vivre, la capacité pour les Noirs de refaire corps avec leur essence et leurs déterminismes jugés premiers. L’Afrocentrisme universitaire d’Asante s’accompagne donc de pratiques sociales et culturelles regroupées sous le terme « Afrocentricité », autant de postures que l’Afro-Américain doit adopter s’il veut être un Noir ou un Africain « authentique ».

24 Or, derrière cette défense de l’Afrocentricité chez Asante, on retrouve en réalité les traces du nationalisme culturel, qui depuis les années soixante, se déploie dans certains milieux militants afro-américains. En effet, depuis la fin des années cinquante, l’Afrique est redevenue une source positive d’identification pour les Noirs américains. Alors que dans les années 1930, la tentait d’éviter tout rapprochement symbolique entre les Noirs des Etats-Unis et des Africains jugés primitifs et sauvages, en faisant de ses fidèles des Afro-Asiatiques descendants d’une « tribu » originelle et divine provenant de La Mecque, les années soixante honoreront le continent noir, continent en voie de décolonisation et nouvelle inspiration possible pour des communautés luttant sur le territoire états-unien contre la ségrégation et l’oppression9.

25 Rapidement, cette vogue de l’Afrique se fit ressentir dans plusieurs sphères de la vie afro-américaine. Dans les rues de Harlem à New York ou du Watts à Los Angeles, certains Afro-Américains optèrent pour des vêtements considérés comme « africains », adoptèrent de nouvelles coupes de cheveux, dites « afro », naturelles, et changèrent parfois leur identité pour s’approprier des noms jugés eux aussi originaires de la

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« Terre Mère » (Asante, Karenga, Oseijeman, Dinizulu…). A l’intérieur du champ religieux afro-américain, naquirent également de nouvelles pratiques, empruntées aux Yoruba du Nigeria10, aux Akan du Ghana11 voire à l’Antiquité égyptienne, pratiques considérées comme autant de manifestations dans le Nouveau Monde d’une Afrique jugée authentique.

26 Par ailleurs, nombreux furent les artistes populaires pour qui, à l’époque, le continent noir devint une préoccupation. Ainsi, alors que John Guillermin n’hésita pas à tourner en Afrique un nouvel opus de Shaft, intitulé Shaft in Africa, plusieurs jazzmen cherchèrent dans le continent noir des sources d’innovation pour leur art. Ifé de Miles Davis, Juju de Wayne Shorter, Ogunde de John Coltrane, sans parler des prestations des membres de l’Art Ensemble of Chicago en boubou et batakari, constituent autant d’exemples de cet intérêt renouvelé des Noirs pour la « Terre Mère »12.

27 Pour ces créateurs afro-américains tout comme pour ces militants pratiquant des religions dites « africaines » et optant pour des vêtements originaires du continent noir, l’art, la culture devenaient de réels projets politiques qui pourraient leur permettre de revendiquer leur connexion avec la « Terre Mère » et d’exprimer clairement leur solidarité avec les populations africaines. Le militant noir se devait donc d’être le symbole de cet Afro-Américain, qui cherche en Afrique une inspiration pour son propre combat. Nous le voyons, l’engouement pour le continent noir, si déterminant dans les années soixante, décliné dans plusieurs pratiques sociales afro- américaines, est en réalité le résultat d’une quête culturelle, à travers laquelle des Noirs américains tentèrent de refaire corps avec leur supposée identité d’avant l’esclavage, identité africaine, qui, pour les militants concernés, est conçue comme vivante bien qu’endormie, mise entre parenthèses, dans le for intérieur des Afro-Américains.

28 Autour de leaders, tels Maulana Karenga et Amiri Baraka, le nationalisme culturel proposa à ses adeptes de se lancer dans une recherche personnelle de leurs racines africaines. Pour ces penseurs, recouvrer son identité première revenait à vivre conformément à son essence et à se séparer, psychologiquement, – ou mentalement, dirait Amiri Baraka, de l’Amérique blanche environnante. Séparatisme symbolique et culturel, ce nationalisme se construisit sur une conception de la culture, profondément états-unienne, présente aussi bien dans les idéologies du melting pot et du multiculturalisme que dans l’anthropologie culturaliste, selon laquelle chaque individu est entièrement modelé (patterned) par la culture à laquelle il appartient ; une culture dont il est la création. Chez Karenga comme chez Asante, refaire corps avec sa culture africaine revient alors à recouvrer son essence première et noire.

29 Acteurs et héritiers du nationalisme culturel, Asante et ses disciples sont eux aussi de fervents partisans de ces pratiques culturelles et sociales visant à retrouver les racines de l’Afrique. Leur Afrocentrisme s’accompagne d’actes, de pratiques destinés à replacer une culture africaine réinventée au cœur de la culture noire américaine. Ce faisant, l’Afrocentrisme, avec ses multiples facettes, se dévoile bien plus complexe qu’une théorie scandaleuse inculquée aux étudiants de certains départements d’études africaines‑américaines. À l’image du panafricanisme, il est le résultat de constructions à plusieurs niveaux, intellectuelles, politiques, sociales et /ou culturelles.

30 En 1962, George Shepperson proposait une définition du panafricanisme en deux volets. Le Panafricanisme avec un P majuscule désignerait les activités politiques d’intellectuels tels W.E.B. Du Bois ou George Padmore, lesquels cherchaient à établir des liens diplomatiques entre différentes communautés noires de la planète. Le

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panafricanisme, annoncé par la minuscule, recouvrerait lui, des actions quotidiennes, routinières, telles celles d’un écrivain de la Négritude qui défend son point de vue « noir », d’un musicien qui s’inspire et mélange les influences du continent et de ce que l’on appelle parfois aujourd’hui la « diaspora », ou d’un Afro-Américain, qui, participant aux réunions de l’UNIA de Marcus Garvey, chante l’hymne du mouvement Ethiopia, thou land of our fathers. Cette distinction, Shepperson (1962) l’évoque bien, ne dégage pas, bien sûr, deux catégories hermétiques. De nombreux éléments constituant le Panafricanisme avec une majuscule relèvent également du panafricanisme avec une minuscule. La dichotomie proposée par Shepperson fut parfois critiquée par les spécialistes de la question13. Toutefois, elle eut l’avantage non négligeable de mettre en avant la dimension culturelle de toute doctrine politique et intellectuelle.

31 En s’inspirant du principe de la dichotomie Majuscule /minuscule établi par Shepperson, on pourrait alors distinguer un Afrocentrisme académique, intellectuel, philosophie de l’Histoire cherchant à remettre l’Afrique au cœur de l’Histoire de l’humanité, tant critiquée par les anti-Afrocentristes, et des afrocentrismes, avec une minuscule et ici au pluriel, autant de pratiques tentant de recréer aux Etats-Unis une Afrique noire rêvée, constamment réinventée et imaginée comme « pure » et « authentique ». Mais il est clair que les afrocentrismes ne cessent d’alimenter les débats académiques, et que ces débats interviennent à leur tour dans l’invention de l’Afrique idéale recréée aux Etats-Unis.

Afrocentrismes américains

32 Pour chacun des auteurs de ce dossier thématique, le défi a toujours été de rattacher la théorie afrocentriste à son contexte socioculturel et d’insister sur les passerelles constamment établies entre doctrine et pratiques sociales et /ou culturelles. Ce faisant les auteurs de ce dossier ont tenté d’apporter un regard anthropologique, historique et sociologique sur les dynamiques observées en analysant les processus de construction et de réappropriation de l’Afrique par les Noirs des Etats-Unis à plusieurs époques et dans plusieurs sphères de la vie sociale.

33 La première partie de ce numéro s’intéresse aux esthétiques et aux pratiques artistiques afrocentristes, pratiques et discours directement issus de la révolution culturelle des années soixante. L’article de Kristin L. Ellsworth revient sur les mouvements artistiques des années soixante qui firent de l’Afrique leur principale source d’inspiration. L’auteur analyse, en s’intéressant aux œuvres des artistes du collectif Africobra, l’élaboration d’un afrocentrisme, qu’elle nomme « visuel » alliant toujours symbolisme et militantisme. Dans cet article, l’art est décrit comme un acte performatif, dans lequel le créateur s’engage pour lutter contre le racisme et l’oppression.

34 Dans sa contribution, Sarah Fila-Bakabadio se concentre, quant à elle, sur la diffusion aux Etats-Unis de tissus africains et en particulier du kente ghanéen. En insistant sur les liens historiques reliant Afro-Amérique et Afrique, elle analyse les processus de construction d’une africanité américaine à travers l’évolution des représentations du kente au sein de la communauté noire. Du nationalisme afro-américain de la première moitié du vingtième siècle au militantisme des années 1980 et 1990, elle montre comment le kente est devenu un outil intervenant dans les logiques de réafricanisation

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de la culture noire. Ce faisant, le kente rejoint dans les milieux militants et populaires le patchwork, quilt, autrefois emblème de l’artisanat noir américain.

35 Enfin, Bénédicte Monville De Cecco interroge les relations entre Afrocentrisme et littérature à travers une réflexion à la fois sur les écrits de l’auteur afro-américain John Edgar Wideman et sur les critiques de son œuvre émanant d’intellectuels apparentés au courant afrocentriste. Dans son article, elle montre comment, contrairement à ce que laissent supposer de nombreux textes d’analyse produits sur son œuvre, John Edgar Wideman se dissocie de l’approche afrocentriste par sa démarche anti-essentialiste. Ainsi, Wideman se fait l’interprète d’une culture afro-américaine aux référents et aux mémoires multiples alliant Amérique, imaginaires africains et négritude.

36 La seconde partie de ce dossier se propose d’analyser les relations entre A / afrocentrismes et politique. Dans ma contribution, j’étudie les processus de construction d’une identité « africaine » aux Etats-Unis au sein d’un mouvement politico /religieux, le mouvement « akan ». En analysant les rituels mis en place par les pratiquants de la religion « akan », je démontre comment l’invention d’une Afrique re- territorialisée aux Etats-Unis donne lieu à des processus d’identification multiples et complexes passant par une renégociation des notions de panafricanisme et d’afro- américanité.

37 Dans une même logique, John L. Jackson s’interroge, dans son article, sur la revendication d’une identité hébraïque au sein de certains mouvements nationalistes afro-américains. En relatant de récentes enquêtes de terrain menées en Israël et aux Etats-Unis, il propose de reconsidérer les liens imaginés par les adeptes afro-américains entre judaïté, Afrique et A/afrocentrisme(s). Ancrant son étude dans une analyse des traitements du corps et des processus de purification en œuvre dans les logiques de conversion aux mouvements, l’auteur nous invite à reconsidérer les limites de l’Afrique afrocentriste, une Afrique dont les représentants pourraient faire remonter leur origine autant aux pharaons de l’Egypte qu’au peuple hébraïque de la Bible.

38 Enfin, le dernier article de ce dossier, rédigé par Algernon Austin s’intéresse à un phénomène hautement contemporain. A partir de plusieurs textes rédigés par Barack Obama dont son autobiographie, Dreams of my father (2004), Austin étudie les représentations de l’Afrique incarnées par le président et s’interroge sur les relations entretenues par Obama avec le courant afrocentriste et en particulier avec le pasteur Jeremiah A. Wright, Jr., leader de l’Eglise controversée qu’il fréquentait jusqu’au moment de sa campagne. Or, si pour Algernon Austin, Obama n’opte jamais pour une vision afrocentriste de ses origines africaines, l’auteur reconnaît chez le président l’influence de postures politiques qu’il identifie à une « ère afrocentrique », période de l’histoire du nationalisme noir où le militantisme, se dissociant Black Power, tendait à devenir moins radical.

39 S’intéressant à des pratiques artistiques, intellectuelles, religieuses et politiques, ce numéro thématique dresse un portrait du kaléidoscope afrocentriste dans sa diversité et sa multiplicité mais aussi dans ses continuités et ses cohérences transversales. Ce faisant, il propose une réflexion sur les processus d’identification élaborés par des acteurs afro-américains pour lesquels l’affirmation et la construction d’un passé africain permettent de revendiquer une place légitime dans une Amérique dite multiculturelle.

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NOTES

1. En 2000, la Revue Politique Africaine a dédié sa rubrique « Autour d’un livre » à deux ouvrages consacrés à l’Afrocentrisme. Afrocentrismes. L’histoire des Africains entre Egypte et Amérique (2000) discuté ici et Afrocentrism. Mythical Past and Imagined Homes de Stephen Howe (1998). Participèrent au débat, Mohamed Mbodj, Jean Copans, Wim Van Binsbergen, François-Xavier Fauvelle-Aymar et Stephen Howe. Dans ce débat, plusieurs positions apparurent. Une critique virulente émanait des plumes de Stephen Howe, Fauvelle-Aymar et Jean Copans. De leur côté, Mohamed Mbodj et Wim Van Binsbergen se retrouvaient dans une position modérée faisant de l’Afrocentrisme une théorie qui, malgré ses défauts endémiques, fournit des hypothèses valables à reformuler scientifiquement. Ainsi pour Van Binsbergen il est aujourd’hui nécessaire d’intégrer le point de vue afrocentriste dans les débats scientifiques plutôt que de le « reléguer au rang de fausse conscience » (Mbodj, Copans, Van Binsbergen, Fauvelle-Aymar, Howe, 2000 : 177). 2. Dans une publication antérieure, j’ai montré comment l’absence de contextualisation du discours afrocentriste dans la littérature critique avait contribué à négliger les relations entre Afrocentrisme et Islam noir aux Etats-Unis (Guedj 2003). 3. Frances Cress Welsing est par ailleurs bien connue pour ses propos antisémites. Elle est justement critiquée par Stephen Howe dans son ouvrage sur l’Afrocentrisme, voir Howe (198 : 285). 4. Pour une réflexion sur les théoriciens de la mélanine tels Frances Cress Welsing, T. Owens Moore et Carol Barnes, voir le sous-chapitre « The Negro is only Biological » de l’ouvrage de Paul Gilroy, Against Race. Imagining Political Culture Beyond the Color line (2000 : 254-265). 5. Orlando Patterson (1971) appelle « contributionniste », la revendication chez les nationalistes afro-américains d’un passé glorieux témoignant de la contribution des Noirs à l’Histoire de l’humanité et à l’évolution humaine. 6. Pour une réflexion théorique récente sur le paradigme de traditions inventées, voir Otto et Pederson (2005). 7. Notons toutefois qu’il existe dans les théories du nationalisme noir, une nuance entre l’utilisation des termes « Noirs » et « Africains » même s’ils désignent en fait une même « réalité ». Pour les membres du mouvement « akan » par exemple, dont il est question dans l’un des articles de ce numéro, se revendiquer comme Africain, c’est introduire une dimension territoriale aux origines qui ne permet pas la simple identification à la « race » noire. 8. La diffusion des idées afrocentristes en France prend actuellement une ampleur importante. 9. Sur le passage aux Etats-Unis d’un nationalisme musulman centré sur la figure de l’Afro- Asiatique à un nationalisme culturel « afrocentré », voir Guedj (2006 : 67-95) ou Meriwether (2002). 10. Sur la pratique de la religion « yoruba » aux Etats-Unis, voir, entre autres, Capone (2005) et Hunt (1979). 11. Voir Guedj (2006). 12. Cet engouement toucha également des artistes majeurs de la scène soul et funk. En 1971, fut organisé à Accra, en commémoration de l’indépendance du Ghana, un concert historique intitulé Soul to Soul réunissant des musiciens afro-américains comme Wilson Pickett, Ike et Tina Turner, The Stagle Singers et des artistes locaux tels Kwa Mensah.

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13. Winston James (2004 : 126) regrette que l’emploi de la majuscule et de la minuscule dans la classification de Shepperson (1962) puisse induire une hiérarchie contre-productive entre les deux composantes dégagées. Pour une discussion autour de la définition du terme panafricanisme, voir Bonacci (2008 : 52).

AUTEUR

PAULINE GUEDJ Docteur en ethnologie de l’Université Paris X-Nanterre, maître de conférences à l’Université Lyon 2 - Louis Lumière, membre du CREA et chercheur associée au CEAN (UMR 5115). Elle est l’auteur d’une thèse de doctorat et de plusieurs articles sur le nationalisme noir, les afrocentrismes et le mouvement « akan ». Actuellement, Pauline Guedj poursuit ses recherches sur les processus de patrimonialisation des religions, musiques et cultures noires aux Etats-Unis. [49 rue d’Orsel, 75018 Paris – [email protected]]

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Pratiques artistiques et esthétiques afrocentristes

NOTE DE L’ÉDITEUR

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Africobra and the Negotiation of Visual Afrocentrisms

Kirstin L. ELLSWORTH

Introduction

1 In Afrocentricity (1988), Molefi Kete Asante posits an Afrocentric paradigm informed by engagements with the relationship of race to science, history, mythology, religion and literature. A notable omission in Asante’s study is the relationship of the visual arts to the history and development of Afrocentricisms. Asante underscores the importance of symbols as catalysts for the intellectual and psychological transformations afforded by his model of Afrocentricity (Asante 1988 : 2). However, he does not analyze the contributions of the field of visual arts in the creation of symbolic representations of Afrocentric themes. One may speculate the exclusion is related to a limited view of the visual arts that believes the study of art is merely subjective analysis at odds with the perceived methodologies of other disciplines. The slow growth of documentation of the field of African American art history may be another factor1. Yet the importance of the visual arts in the development of what Asante names in the 1980s as Afrocentric identity formation is indicated strongly by the American cultural revolutions of the 1960s in which, “to promote psychological wellness, activists urged that black folk embrace their own forms of cultural expression, molding them into a varied but recognizable ‘style’ that was ‘uniquely, beautifully, and personally ours’” (Van Deburg 1997 : 75). In the 1960s, visual statements exploring the bond between and the African Diaspora were important elements in the construction of positive race consciousness with Afrocentric dimensions. Textiles, fabrics, and hairstyles imported from Africa and worn by African Americans, for example, expressed the claim of a shared heritage of visual forms for people of African descent dispersed across the globe. In the , such expressions offered African Americans one means for visualizing a transformation from denigrated American minority to self-defined participants in a thriving global Black community2. The permanency of African fashions from the 1960s and 1970s has been dictated by the

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vagrancies of time and marketing culture. An enduring history of visual expression that offers an early manifestation of what Kariamu Welsh identifies in the foreword to Afrocentricity as “the placement of Africa at the center of existential reality” (Welsh 1988 : x) is found in the production of a group of African American artists in the same period. Organized in 1969 and working through the present day, Africobra, the African Commune of Bad Relevant Artists, has pursued a visual ideal through imagery intended to synthesize African American forms and culture with interpretative visions of an African Diaspora. From the beginning Africobra’s stated mission, as expressed in “The History, Philosophy and Aesthetics of AFRI-COBRA”, “was not fantasy or art for art’s sake, it was specific and functional by expressing statements about our existence as ” (Jones-Hogu 1973 : 1). By asserting parameters for the categories of functional art and Black people, Africobra attempted to recapture in an American context the power of definition over art and identity exercised for centuries by dominant culture. Africobra’s early brand of Afrocentrism proffered a dynamic interplay between the higher ideals of visualizing a universal Black identity and the creation of a community in which individuals explored what it meant to be an American artist of African descent. Africobra artist Jeff Donaldson termed the process Transafrican : “that which expresses an ‘African’ sensibility through the specific forms and elements found in the milieus of its artists” (Harris 1997 : 34). In this context, Africobra contributes towards a prototype for the creation of visual arts within paradigms later codified as Afrocentric that provides a role for artists in the construction of the ideologies of Afrocentrism. Obviously, Asante’s codification of the philosophy he terms Afrocentricism post-dates Africobra, and what I examine here is the development of Afrocentric tendencies within Africobra that precede publication of Afrocentricity and have been present throughout African American cultural historiography.

The Black Arts Movement in Chicago

2 The relationship of African Americans to their origins in Africa has been a contested one over the three hundred years since their forced enslavement and migration to the United States. In “Art as an Expression of Black Culture”, Samuel Akainyah identifies one effect of the dispersal of people of African descent from the African continent to the United States as the growth of cities with large African American communities to serve as centers for the development of Black art (Akainyah 2003 : 14). The presence of significant African American populations in Chicago, Detroit, Cleveland, , and other Northern industrialized cities in particular was the result of the Great Migrations between World War I and World War II when African Americans left the South to secure jobs and escape segregation. In the 1960s, an American Black Arts Movement took form in major American cities and called for new artistic expressions celebrating the beauty and contributions of African Americans after years of oppression within American society. Chicago, a city with a large African American population, was then second only to New York City as a thriving center of the Black Arts Renaissance3. In 1967, the Organization of Black American Culture (OBAC) was established in Chicago to foster the literary, theatrical, performance, and visual arts of African Americans living in the city. The OBAC was founded by Hoyt Fuller, editor of the longstanding African American periodical the Negro Digest which would become the Black World, predecessor to Ebony magazine. The OBAC was organized into a series of

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workshops dedicated to promoting a Black aesthetic drawn from residents of Chicago’s ghetto communities which were built through decades of discriminatory housing policies that confined the African American population to public housing projects and economically impoverished areas including the south side neighborhood known derisively as the Black Belt (Hirsch 1998 : 9-10). Fuller, who mentored writers, poets, and playwrights codified many of the principles of Chicago’s Black Art movement in his essay “Towards a Black Aesthetic”, in which he defined the OBAC’s vision of Black Art as bounded by the experience of racial segregation. Fuller asserted that the segregated environments of America’s cities were more than places of loss and despair ; they were repositories of latent creative production central in the redefinition of African American life. In his words, “the young writers of the black ghetto have set out in search of a black aesthetic, a system of isolating and evaluating the artistic works of black people which reflect the special character and imperatives of black experience” (Fuller 1972 : 9).

3 The OBAC organized workshops to support new artists working in different genres including the visual. In 1967, artists in the OBAC’s Visual Arts workshop initiated a public art project that culminated in a mural known as the Wall of Respect. The Wall of Respect was a series of portraits of heroes and heroines of African American history painted by OBAC artists on a brick building on 43rd Street and Langley Avenue in the so- called Black Belt area. The corner, once a thriving economic area of the community, was dominated by gang activity, drugs, and crime. The Wall of Respect incorporated depictions of a range of African American figures including Martin Luther King, Jr., Nat Turner, Elijah Muhammad, Malcolm X, Muhammad Ali, Gwendolyn Brooks, W.E.B. Dubois, Marcus Garvey, Aretha Franklin, and Harriet Tubman. However, in 1967 increasingly polarizing interpretations of heroic action and the proper course of history emerging within the African American community caused tensions that influenced the portraits included on the Wall of Respect.

4 Asafa Jalata characterizes advocates of Black Power and the Black Liberation struggle as activists who sought to move, “beyond the civil rights demand” (Jalata 1995 : 161) to create their own economic and cultural institutions. Black Power and Black Liberation movements associated the demands for equality within the American Civil Rights Movement with the objectives of oppressed peoples around the world. The change from what Civil Rights advocates viewed as the fight for equality-based integrationist policies within the American system to separatist politics that answered to the cause of revolution on a global scale created dissension among OBAC artists contributing to the mural. For example, some OBAC artists, community leaders and local gang members opposed the inclusion of Martin Luther King, Jr. on the Wall of Respect and demanded he be replaced by the image of Stokely Carmichael, a figure who represented the cause of Black Liberation. Before the dedication of the Wall of Respect on 27 August 1967 civil rights leaders and police confronted each other in a stand-off (Cockcroft 1973 : 3-4). Internal tensions were exacerbated by evidence J. Edgar Hoover’s undercover organization COINTELPRO (Counter Intelligence Propaganda) was involved in creating division among OBAC artists in order to subvert the project (Thorson 1990 : 26-27).

5 The Wall of Respect was destroyed in a fire in 1971. Nevertheless, the mural stimulated the creation of other walls across the country committed to representing the neglected histories of minorities and other groups repressed within American society. Despite its short-lived existence, the Wall of Respect established a model for the representation of

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African American experiences that also introduced new means for African American self-definition with American society. The portraits rendered by women and men OBAC artists served as potent reminders of the faces and names of individuals largely ignored or forgotten in American history. The strategy emphasized the historical presence and continuity of minority achievement, and figures on the Wall of Respect were didactic icons intended to inspire courage and action in a neighborhood suffering from institutional, cultural, and economic racism. Even more, as a mandate for creative agency, the Wall of Respect demanded that African American artists create imagery to challenge legacies of negative depictions of African Americans such as the “darky” and the “savage” constructed for consumption by dominant audiences (Harris 2003 : 76). Africobra member Nelson Stevens would later explicate the process of creating a body of new imagery to represent one’s own experience as nothing less than an Afrocentric re-education of the artist: “We had all been through the same kinds of school systems that taught us the same terrible things about art. We had to unlearn art history with its lack of appreciation for African and Egyptian art, its refusal to recognize the influence of African art on European movements” (Fox 1988 : 4). The pedagogical imperative described by Stevens addresses an important concept of Afrocentricity, since Asante hypothesizes there the non-Afrocentric individual as a person engaged by oppositions : “the person’s images, symbols, lifestyles and manners are contradictory and thereby destructive to personal and collective growth and development” (Asante 1988: 1). However, counteracting the presence of negative images by simply replacing them with alternatives was only one part of the agenda for OBAC and other artists. From their point of view in fact, the process of art-making must bear the potential to take on transformative dimensions for the artist as well as audience.

Cobra, The Commune of Bad Relevant Artists

6 OBAC artists who worked on the Wall of Respect appropriated the visual language of the heroic portrait used by dominant culture to express the under-examined histories of the African American community. However, a question remained for several of the OBAC artists concerning the need for modes of representation construed as distinctly African American. Jeff Donaldson and Wadsworth Jarrell, two OBAC artists had raised the issue several years before by asking whether it was possible to start a “‘Negro’ art movement based on a common aesthetic creed” (Douglas 1996 : 26). After the collapse of the OBAC’s Visual Workshop in 1967 under the political pressures associated with the Wall of Respect, Donaldson, Jarrell, and other former OBAC artists who contributed to the mural founded a collective to explore the possibility of what had become common Black aesthetic creed. Jeff Donaldson, Barbara Jones-Hogu, Wadsworth Jarrell, Jae Jarrell, Carolyn Lawrence, and Gerald Williams became Cobra, the Commune of Bad Relevant Artists. Cobra elucidated an agenda for Black visual aesthetics within a contemporary visual idiom that combined Pop Art, poster art, commercial art techniques, lettering, and fragment like patterning associated historically with African American artists including Romare Bearden, Jacob Lawrence, and John Biggers. As artists coming of age in the late 1960s, members of Cobra were engaged with the destruction of boundaries between “high and low” forms stimulated by assemblage, Pop Art, and other post World War II movements. Central to the new visual idioms was a focus on “life”, or the new technologies, architectures, and objects of a postwar American bent on advertising its economics of planned obsolescence and constant

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consumption. As they cultivated the contemporary visual strategies, Cobra isolated themes of self-determination and universal Black liberation furthered by Malcolm X, the Black Panthers and other African American activists as the appropriate subjects for a new art.

7 Thirty years after the foundation of Cobra, Donaldson recalls a pivotal moment in the group’s understanding that Cobra would not fit into established arts institutions as a 1968 conference at Columbia College in Chicago dedicated to raising the profile of African Americans in the arts. He and other soon to be members of Cobra realized they would have to create their own venue for action when it became clear, in his words, that “we who had struggled in the trenches in Chicago since time immemorial were totally overlooked when they selected the so-called experts to talk about developing something” (Thorson 1990 : 27). At the same time, the failure of the American system to accommodate dissent on a national level was epitomized by the violent events of the 1968 Chicago Democratic Convention during which the brutalization by police of African American and other demonstrators was televised across the nation4. On August28, 1968, over ninety million Americans watched footage of demonstrators outside the convention hall beaten by police, images that would be televised repeatedly (Culbert 1998 : 438). For many, the footage reinforced the extent to which the nation had succumbed to violence at home and abroad in Vietnam. The police response at the convention also confirmed routine mistreatment of African Americans and other American minorities by police. After the convention, Cobra chose to express their response to the realities of American racism with a series of paintings dedicated to the subject of the Black Family. In 1965, Daniel Patrick Moynihan, one of Lyndon Johnson’s theoreticians of the War on Poverty had asserted that, “black culture was a product of a ‘social pathology’ whose source was the unstable black family” (Miller 1987 : 177)5. Moynihan’s Report reinforced a national legacy of racist images of African American life. Cobra’s aesthetic requirements for their Black Family series called for the visualization of the dignity of African Americans informed by the traditions of the OBAC and the portraiture on the Wall of Respect. Each member of Cobra contributed an image that addressed the group theme and followed prescriptions recorded later by Africobra artist Barbara J. Jones-Hogu in “The History, Philosophy and Aesthetics of AFRI-COBRA”: The visual statement must be humanistic with the figure frontal and direct to stress strength… the subject matter must be completely understood to the viewer, therefore requiring lettering to clarify the visual statement…the visual statement must identify our problems and offer a solution, a pattern of behavior, or attitude… the visual statement must educate, it must speak of our past, present, or future… [and make] Black, positive, direct statements created in bright, vivid, singing cool- ade colors of orange, strawberry, cherry, lemon, lime, grape (Jones-Hogu 1973 : 2).

8 Cobra’s “Black, positive, direct statements… in bright, vivid singing cool-air colors” employed popular commercial art colors and lettering in the service of articulating an emerging Afrocentric conception of African Americans as Black people striving to re- envision their world apart from the restraints of their position as American minorities. Cobra’s principles also resonated with emerging models for Black Cultural Nationalism in which African American identity was aligned with an Africa Diaspora. E. Frances White criticizes Black Nationalist leaders of the 1960s and 1970s for putting forth an “ideology of respectability to develop a cohesive political movement” (White 1990 : 76). One critique implicit within the assertion of respectability is the notion that in

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America, the audiences for imagery such as that presented in Cobra’s Black Family series, were understood as white. Cobra artist Wadsworth Jarrell voiced a different view in which the group enterprise of Cobra gave the African American artist a system for self-definition beyond the boundaries of nation and time: These seemingly confining methods of making art had room for improvisations because we believed that the spiritual being of the COBRA artists could transcend unjust and oppressive measures in their lives, and spur them on to enhance their artistic potentialities by expressing them in bold brilliant colors, and powerful engaging images (Jarrell 1985 : 17).

9 Jarrell’s statement expresses Cobra’s belief in the ability of the individual to move beyond the circumstances of racism through creative processes. By aligning visual expression to humanistic philosophies integral to American identity, Cobra demanded equal access to the means for a psychological sense of liberation denied them by the dehumanizing histories of racism. Like the American heroic portrait, also borrowed from dominant culture, for Cobra, visual expression was cast in terms of the heightened individuality of American egalitarianism. In this context, respectability was understood as a process of self-understanding also evidenced in Cobra’s a second group series titled “I am Better Than Those Mother Fuckers”. In the series, artists highlighted letters representing the phrase “Mother Fucker” such as “mf” or “bad mf” in posters and paintings of subjects ranging from famous African American musicians to ordinary African American people. The use of colloquial slang actualized Cobra’s identity as “bad” anti-establishment artists working against the constraints of dominant culture now defined by a derogatory term in the same fashion African Americans had been labeled historically in deprecating terms. However, the language also promoted what Van Deburg poses as a “revitalized sense of self” (Van Deburg 1987 : 74) or an aggressive self-respectability intended to invert dehumanizing and delimiting narratives of African American identity.

The Emergence of Africobra

10 Cobra’s embrace of an emerging Afrocentric ideology led the group to change its name to Africobra, the African Commune of Bad Relevant Artists, in 1969. Africobra was comprised of the original Cobra members with the addition of Napoleon Henderson and Nelson Stevens6. In 1969, Africobra artists turned more overtly toward the vast Diaspora of people of African descent as a context and environment for their work. The “Africa” constructed by the newly minted Africobra was the product of intensive study of the art of specific African cultures, as well as continued emphasis upon the relationship of African Americans to the concerns of a broadly conceived Black global community. Africobra’s construction of the African Diaspora was geographical, philosophical and Utopian at the same time. In “Unfinished Migrations: Reflections on the African Diaspora and the Making of the Modern World”, Tiffany Ruby Patterson and Robin D.G. Kelley conclude, “the linkages that tie the Diaspora together must be articulated and are not inevitable…the Diaspora is both process and condition” (Patterson and Kelley 2000 : 11). To the extent that Africobra created imagery to serve an African Diaspora, their Afrocentrisms were defined by their identities as African Americans and artists. The “process and condition” of existing within the Diaspora became a personal and artistic source from which to draw and circumscribe experience. The imagery of Africobra was therefore posed as transformative for the

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creators in ways that synthesized the personal and the political in the same manner Cobra had asserted, “the visual statement must identify our problems and offer a solution, a pattern of behavior, or attitude” (Jones-Hogu 1973 : 2).

Figure 1 : Wadsworth Jarrell, Revolutionary, 1971. Acrylic on canvas, 63 1.2 x 50 ½”. © Permission of the artist.

11 Wadsworth Jarrell’s portrait of Angela Davis titled Revolutionary (1971) (figure 1) was part of a series of depictions of individuals who positioned the struggles of African Americas as part of a larger agenda for self-determination for people of African descent living under postcolonial systems. Malcolm X, one of the subjects in Jarrell’s series, asserted that, “All Black people, regardless of their land base have the same problems, the control of their land and economics by Europeans or Euro-Americans” (cited in Douglas 1996 : 19). Angela Davis, a member of the Black Panthers, called for women to join in the struggle for Black self-determination in America. Jarrell follows the aesthetic criteria put forth by Cobra and adopted by Africobra in Davis’s portrait. Davis’s body is composed of the text of her famous statement, “I have given my life to the struggle” and her figure is in semi-profile to express strength. The repetition of the letter B reiterates the words “Blackness” and “Beauty”. She is presented in the very act of taking the message to the people : offering a solution to the problem of racial oppression. Bright “cool-ade” colors named for the powdered drink render Davis’s portrait within contemporary visual paradigms derived from commercial aesthetics. The real cartridge belt attached to the canvas is a challenge to the conventions of painting as solely two dimensional revolutionized in American art of the 1960s and 1970s ; the belt also underscores the potential for violence from all sides in the process of changing radically the situation of oppressed peoples.

Afrocentric Aesthetics

12 In effect, Africobra’s inscription of Angela Davis as an icon of pride and revolutionary change differs quite radically from rhetoric concerning the role of the Black woman as “baby maker” put forth during the period by activists such as Ron Karenga7 and echoed in Asante’s discussion of woman as identified primarily with creation (Asante 1988 : 53).

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Additionally, Africobra’s treatment of Davis was not limited to painted representation and extended to the world of popular fashion. In 1970, Jae Jarrell, Africobra textile artist, designed a two piece revolutionary suit for Angela Davis featuring a belt-and- bullet trim. Jarrell’s design appropriated the Fifth Avenue couture design of the Coco Chanel suit in the service of querying systems of economic and racial exclusion. The use of different media within Africobra also affirmed the personal interests of the individual artists within the group ; to this day Africobra artists maintain independent careers as practitioners, teachers, and scholars. In its early period, Africobra sought diversity of form through the creation of affordable silk-screen prints of paintings and other objects for the public (Douglas 1996 : 34). Africobra also altered Cobra’s aesthetics to incorporate forms associated with arts from Africa, visual culture Africobra viewed as the inheritable art forms of all African people (Jones-Hogu 1973 : 2). By 1973, Africobra’s refined aesthetic manifesto included five formal qualities : FREE SYMMETRY, the use of syncopated rhythmic repetition which constantly changes in texture, shape, form… MIMESIS at MID-POINT, design which marks the spot where the real and the unreal, the objective and the non-objective, the plus and the minus meet…a point exactly between absolute abstraction and absolute naturalism…. VISIBILITY, clarity of form and line based on the interesting irregularity one senses in a freely drawn circle or organic object… LUMINOSITY, ‘Shine’, literal and figural, as seen in the dress and personal grooming of shoes, hair (process or Afro), laminated furniture, faces, knees, or skin… COLOR, Cool-ade color, bright colors with sensibility and harmony (Jones-Hogu 1973 : 2).

Figure 2 : Wadsworth Jarrell, Navaga, 1974. Acrylic on canvas, 24 x 50”. © Permission of the artist.

13 In fact, Africobra’s aesthetic statement bears a striking resemblance to Robert Farris Thompson’s pivotal study of West African Yoruba aesthetics also published in 1973. In his article, Thompson articulates qualitative criteria of Yoruba visual arts, among them: “’midpoint mimesis’, between absolute abstraction and absolute likeness” ; “visibility… clarity of form and clarity of line”; and “shining smoothness” (Thompson 1973 : 31-34 ; 37). To date the similarities between Africobra’s and Thompson’s descriptive language have been neither noted nor commented upon. However, Africobra’s relationship to the study of African art was integral to their work from the beginning and Africobra

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artists, many of whom pursued degrees in African art and traveled to Africa, remain important scholars of African and African American art today. In the late 1960s and the 1970s, many African Americans returned to Africa as nations gained independence after decades of colonial rule. The scholarly examination of art from Africa also gained stature during the period within American universities, many of whom founded Africana Studies departments at the same time. Moyo Okediji posits a new category of African American artist from the period, the “returnee artist”, who returned to Africa, and “personally experienced the warmth and the cold, sniffed the earth, and felt the textures of the old continent” (Okediji 1999 : 51).

14 Many Africobra artists became returnee artists. As a graduate student at Howard University, Wadsworth Jarrell studied the art of the Senufo of the modern nations of Côte d’Ivoire, Mali, and Burkino Faso ; in the late 1970s he traveled to West Africa. Navaga (1974) (figure 2) is a portrait of the navaga or traditional Senufo woodcarver that synthesizes Senufo form with Africobra’s aesthetics. Jarrell’s navaga may reflect in particular the specific forms of the Kulebele carvers who are an ethnic artisan group associated with the Senufo whose sculptures are still produced and sold by family- operated workshops in the northern Côte d’Ivoire (Steiner 1994 : 80). Jarrell’s navaga is rendered with Africobra’s signature syncopated, high-intensity “cool-ade” color. The expression on the navaga’s face expresses a dignified sense of inner focus or contentment suggested of “luminosity” or “shine”. Free symmetry of repetition dominates the background and the familiar yet abstracted Baule navaga demonstrates mimesis at midpoint. Jarrell’s decision to compose the navaga’s face by abstracting a photograph of his own father’s face in Senufo style (Douglas 1996 : 44) integrates African American family history with the larger global history of African people. In Navaga, Jarrell also visualizes a lineage for Afrocentric artistic identity and production in which the contemporary African American artist continues the work of the traditional artisan from Africa, a connection Africobra explored further in FESTAC ’77, The Second World Black and African Festival of Arts and Culture.

FESTAC ’77

15 The different narratives communicated by Navaga exemplify the degree to which Africobra’s negotiation of Afrocentricity stimulated the creation of multi-layered forms for self and community definition. The imagery and ideas contributed to a sense of creative agency understood by Africobra in transformative terms : “Black artists are immigrating into self, family, nationhood, and celebrating the process” (Jeffries 1974 : iv). Africobra’s visual Afrocentrisms were not limited to the work of artists who went to Africa. Africobra also directed its imagery toward African Americans at home and gained an audience through exhibition in primarily African American-based arts institutions. The group exhibited in local Chicago venues including the Af-Am (African American) Gallery and the Southside Community Art Center. In 1970, Africobra had its first exhibition at the Studio Museum in Harlem and throughout the 1970s participated in traveling exhibitions at historically African American colleges and universities. In 1977, Africobra was invited to participate in FESTAC ’77, The Second World Black and African Festival of Arts and Culture held in Lagos, Nigeria (The First World Festival of Negro Arts was held in Senegal ten years earlier). Over 15,000 artists from countries around the world participated in the festival which took place from 15 January - 12

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February, 1977. People of African descent from across Africa and the globe were invited to FESTAC ’77 and organized by geographical zones. Jeff Donaldson led the delegation of artists from the North American zone, and Jae Jarrell chaired the FESTAC Committee of Creative Modern Black and African Dress (Douglas 1996 : 101-102). Events included art exhibitions, dance performances, musical performances, colloquia, and workshops. Africobra artists exhibited their work in the National Theater Gallery in Lagos and pursued side trips to other parts of West Africa.

16 The official stated mission of FESTAC ’77 was to present “Black and African culture in its highest and widest conception”, and in the same FESTAC ’77 program, Nigerian artist Ben Ewonwue expressed the relationship FESTAC ’77 desired to forge with people of African descent no longer living on the continent : Black people abroad (who have assumed whatever culture they now live in) will be able to exchange culture and appreciate their black brothers’ cultural life. In the U.S. of America or Cuba where the original African culture has been transformed though slavery, FESTAC would rekindle the cultural affiliation Blacks in such places have with their brothers in Africa. In fact, the sort of culture they’ll take back with them can be described as a neo-Blackism (FESTAC ’77 Souvenir 1977 : 36).

17 Ewonwue’s declaration gave new status to concepts of Afrocentricity in the work of Africobra. In certain respects, FESTAC ’77 was an expansion of earlier ideas of Pan- Africanism now applied beyond the geographical and imagined borders of the African continent. FESTAC ’77 not only acknowledged Africa as the source of an originating culture still present (even if transformed) within African American society, the festival reiterated the relationship through the visual arts. FESTAC ’77’s separation of Black and African “culture” allowed African American artists to recover a Black identity from the double bind of their position as minorities within American society and exiles from an African homeland. However, FESTAC ’77’s negotiation of culture was not without limitations. The “African culture” displayed in FESTAC ’77’s performances and exhibits was selective ; groups were invited to represent regions and display forms associated predominantly with “traditional” arts from Africa. The model furthered understandings of art from Africa as static and unchanging with an emphasis upon reconstructing a pre-colonial Africa unaffected by outside influences. FESTAC ’77’s neo- Blackism also presumed a one-way linear course of influence from FESTAC to Black people of the African Diaspora. Africobra’s subjects from African American culture rendered in terms identified with African aesthetics challenged the assumption that artists from the Diaspora could not offer viable revisions of African forms. Yet despite the inclusion of groups like Africobra, FESTAC ’77 was concerned on the whole with providing a forum for people of the African Diaspora to retrieve the forms and ideas of a continent previously construed as lost to them by virtue of forced migration.

18 As a staged performance lasting for only one month, FESTAC ’77 was by definition artificial and restricted in terms of its ability to fulfill an ambitious if not impossible role as a “World Black and African Festival of Arts”. From a contemporary point of view, FESTAC ’77’s assumptions concerning African and Black art and culture were barriers to more complex understandings of the African Diaspora furthered by postcolonial ideologies. Andrew Apter describes FESTAC ’77 as a manifestation of, “a process that converts cultural objects and materials into icons of a ‘higher’ symbolic order – a sanctified regime of national value and spectacle” (Apter 2007 : 7). The process of nationalism described by Apter and upheld by FESTAC ’77 is similar to the limitations of paradigms for Afrocentricity that look solely to an “African” past for a

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usable Afrocentric present without acknowledging the constructed nature of either. Apart from the ideological inconsistencies, FESTAC ’77’s emotional impact on participants was a less quantifiable and enduring by-product of the event. As one FESTAC ’77 observer explained : An important feature of the festival was the colloquium, consisting of a series of lectures and workshops. These filled a good part of each day and were a forum for the more academically inclined while providing an outlet for considerable pent-up emotion. The themes were familiar – the lack of intellectual freedom and ambivalence experienced by Third World countries that must turn to their old masters for expertise while attempting to establish an image of confidence and independence to themselves as well as the rest of the world (Kay 1977 : 51).

19 “Familiar themes” of the need for identity separate from the confines of oppressive colonial or dominant cultures brought to the forefront at FESTAC ’77 resonated with Africobra’s quest for visual expressions to convey the confidence of African American artists working within a larger community of Afrocentric people. Transafricanism, Jeff Donaldson’s term for the relationship of ideas stimulated by FESTAC ’77 and Africobra’s engagement with Africa, promoted a means for synthesizing the emotional, historical, and philosophical experiences of artistic identity forged in an African Diaspora. Transafricanism, or “that which expresses an ‘African’ sensibility through the specific forms and elements found in the milieus of its artists” (Harris 1997 : 34) also allowed Africobra the freedom to embrace many Afrocentrisms rather than one vision of Afrocentricity. Moreover, Africobra’s Transafrican aesthetics were determined by individual artists who synthesized their process and identity within those parts of Afrocentric culture that had the most meaning. After his condemnation of what he perceived as FESTAC ’77’s construction of a reductive form of African cultural production, Wole Soyinka explained : “Culture is not parts. It is not even a sum of parts, but a summation, a synthesis. That is why culture sometimes leaves one dissatisfied in its definitions” (Soyinka 1990 : 110). Visual, personal, and cultural selectivity were integral and acceptable in Africobra’s Transafricanism; Transafricanism relieved the artist from the burden of defining in singular terms and therefore delimiting fashion the promise of Afrocentricity as a context for expression.

Africobra/Farafindugu

20 After FESTAC ’77, Africobra changed its name to Africobra /Farafindugu. Africobra / Farafindugu artist Frank Smith posited the meaning of the Malinke word Farafindugu as, “the complex concept of blackness, brother-hood and black land” (Africobra / Farafindugu 1979). Africobra /Farafindugu’s invocation of a brotherhood of artists mirrors Ewonwue’s language in the FESTAC ’77 program. The patriarchal language of Black Cultural Nationalism was pervasive throughout the history of the movement. In 1972, Ron Karenga’s manifesto typified the patriarchal view of many activists (Karenga 1972). Karenga called for a new generation of men to resist oppression by asserting patriarchal authority deemed lacking in their fathers : “We will not submit to the resignation of our fathers who lost their money, their women, and their lives and sat around wondering ‘what did they do to be so black and blue’” (Karenga 1972 : 38). Constructions of masculine power and feminine passivity were also a difficult binary to cross in Karenga’s and others’ constructions of gender roles within Black Cultural Nationalism. In its different manifestations as Cobra, Africobra, and Africobra /

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Farafindugu, Africobra was always comprised of women and men artists. Barbara J. Jones-Hogu, Carolyn Lawrence, Jae Jarrell, and Africobra /Farafindugu affiliate artist Michelle Talibah Fennell participated in the writing of the groups’manifestoes as well as artistic creation. While it is a challenge to reconcile Africobra’s and Africobra / Farafindugu’s use of the term brotherhood with expectations for gender inclusive language to reflect the presence of women artists in the group, it might be argued that at the time, the Women’s Right Movement was in its early phase and identified most often with the concerns of women from the dominant (white) culture. The accompanying term “sisterhood” was also used by Africobra to refer to women by women and men artists alike8. Notwithstanding the gendered semantics of the concept of brotherhood, Africobra /Farafindugu’s use of Farafindugu to connote “blackness, brother-hood and black land” in a new group theme focused upon the subject of Soweto was conceived to be inclusive of all people of the African Diaspora.

21 After the experience of contact with the larger community of people of African descent at FESTAC ’77, artists in Africobra /Farafindugu, many of them returnee artists in Okediji’s sense of the term, dedicated themselves to a group series on the struggles of African people living under apartheid in South Africa. Apartheid for Africobra / Farafindugu represented a universal oppression of people of African descent associated with the enslavement of African Americans. On June 16, 1976, Soweto, a segregated African district in South Africa, was the scene of a brutal massacre of more than five hundred African students by South African police. The students were protesting the government’s mandate that classes be taught in the Afrikaans language rather than in English. In his drawing Soweto (1979) (figure 3), Nelson Stevens chose to depict an act of humanity in the face of the terror and tragedy of the massacre. Two students carry an injured or killed, classmate while they all stand in the line of fire. Despite the onslaught, the figures remain active and strong, unified in their collaborative effort to resist injustice. Steven’s drawing epitomizes Africobra /Farafindugu’s visual imperative for positive resistance to actions intended to dehumanize Black people. The image synthesized Africobra /Farafindugu artists’understanding of their history of oppression with the experiences of another community of people of African descent. The Soweto series gave visual expression to a tangible expression of a shared “we” but with the intent to take positive actions to act in unity to correct the situation. The mandate was recorded in Africobra’s earliest manifesto in language from which the group never deviated : “We were aware of the negative experiences in our present and past but we wanted to accentuate the positive mode of thought and action” (Jones-Hogu 1973 : 2).

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Figure 3 : Nelson Stevens, Front Line, from the Soweto Series, 1977. © Permission of the artist.

Conclusions

22 As the 1980s approached, Africobra remained a vital and productive group with members dispersed across the United States9. Africobra artists such as painter James Phillips pursued more abstract compositions incorporating imagery from Africa, specifically figures from West African Dogon arts and myth and Central African, Kongo Kingdom, and Kuba textile design and body art. In 1991, the Nexus Contemporary Art Center and Black Arts Festival in , organized a touring exhibition titled Africobra : The First Twenty Years that included recent work by Africobra artists with titles such as Stop Genocide (Napoleon Jones-Henderson), Homage to Issac Murphy (Wadsworth Jarrell), and Masque de Dracoulaba D’Haiti (Frank Smith). Africobra continues to render subject matter derived from African American experiences and those of people of African descent across the African Diaspora. Although Africobra does not work in terms of group images to the extent they did in the 1970s, artists continue to create visual statements within the aesthetic paradigms developed over the past forty years making them one of America’s longest working art groups. In the twenty- first century, Africobra artist Akili Ron Anderson has extended Africobra’s Afrocentric visual arts to the realm of public art. In 2002, Anderson created a glass panel installation for the Washington, D.C. metro-line depicting an abstraction of the Sankofa bird of traditional West African Asante art. The Sankofa bird is associated with the importance or returning to one’s roots to move forward, a useful metaphor for Africobra which has always looked to the future while mindful of the legacies, both positive and negative, of the past.

23 Africobra is a manifestation of Afrocentrism defined by complex creation, idealism, ideological tolerance, and technical virtuosity in the visual arts. The history and expressions of Africobra afford an incomparable willingness to provide imagery for revolution and change within the confines of optimism. Ron Karenga once charged : “in terms of painting, we do not need pictures of oranges in a bowl or trees standing

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innocently in the midst of a wasteland. If we must paint oranges and trees, let our guerrillas be eating those oranges for strength and using those trees for cover” (Karenga 1972 : 34). If African American artists associated with the cultural revolutions of the 1960s had followed the prescription, visual artifacts of the Black Arts Movement and its Afrocentric-oriented offspring would remain few and far between. For Africobra, the symbolisms of Afrocentrism are not generated by a narrow survey of art from Africa or a limited inventory of approved subjects for the revolution. Afrocentrism was a process and a product whose fullest potential was realized through the act of committing experience to image. The persuasiveness of their imagery is evidenced by their endurance in the present day, a condition presaged in the title of a group exhibition in the late 1970s, namely Africobra /Farafindugu : Celebrations and Survivals.

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NOTES

1. Historically, the creation of Africana Studies departments within American universities coincided with the development of Ethnic Studies, Women’s Studies and other departments dedicated to scholarly study of women and other under-represented American populations. The study of African American art within American universities has experienced a well-deserved rise in popularity in more recent years as the field of Art History seeks to revise racially exclusive

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narratives of the history of American art. The impetus for this article was a seminar in African American art developed in 1999 by Art Historian Dr. Janet E. Kennedy et Indiana University. 2. Throughout this article, I employ terms such as « Black », « African American », « white », and « dominant culture » in the context of capturing the nuances of race discourse in American culture from the 1960s to the present. « Black », therefore, is constructed in opposition to « American Negro » and intended to communicate empowered identification with people of « African descent ». The contemporary « African American » is intended to express a dual identity. The monolithic nature of the terminologies is not to be underestimated as is the case with ubiqutous « white » « dominant culture », and reflects the continued bifurcation of American society along racial lines even at the most fundamental level of nomenclature. 3. The Black Art Movement which lasted from the mid 1960s through the 1970s brought together creative forces within the African American community on a national scale and gained momentum after the assassination of Malcolm X in 1965 when the need intensified for expressive venues for community building and addressing the shared experiences of racism. The foundation of the Black Arts Repertory Theater/School (BARTS) in Harlem by poet LeRoi Jones (Amiri Baraka) in 1965 was a critical development in models for Black Arts Institutions developed in other cities such as Detroit, Philadelphia, and Chicago. 4. I would like to thank Paul Cronin, Ph.D. student in English at Columbia University for suggesting to me the importance of the 1968 Chicago Democratic Convention in the birth of Cobra. 5. Johnson announced a War on Poverty in his inaugural address of 1964, a declaration that culminated in the Economic Opportunity Act of the same year. 6. Membership in Africobra has grown over the years to include artists Adger Cowans, Akili Ron Anderson, James Phillips, Michael Harris, Frank Smith, and Murray DePillars (deceased). 7. Karenga is discussed in the section of this article related to Africobra/Farafindugu. 8. When reduced to the common term « brotherhood » the language does appear restrictive especially for contemporary audiences nonetheless. 9. Farafindugu has been dropped from Africobra’s name in present day usage.

RÉSUMÉS

A la fin des années 1960, Africobra, un groupe d’artistes africains-américains basé à Chicago, développa un art expérimental qui mêlait des formes africaines et africaines-américaines avec des représentations d’une diaspora africaine. Africobra mit en place un programme artistique dans le cadre duquel l’art devait faire voir la beauté d’une culture noire universelle. Leur langage visuel devance la publication de l’ouvrage « Afrocentricity » de Molefi Asante, mais évoque pourtant déjà des tendances afrocentristes présentes tout au long de l’histoire culturelle africaine-américaine. Travaillant toujours aujourd’hui, Africobra souligne la valeur morale du processus de création pour l’artiste africain-américain travaillant dans un paradigme afrocentriste. Ce faisant, Africobra cherche à se réapproprier le pouvoir de définir ce que sont l’art et l’identité, ce qui avait été pendant des siècles aux Etats-Unis le privilège de la culture dominante.

In the 1960s, Africobra, a group of African-American artists in Chicago, experimented with art that synthesized African and African-American forms with interpretative visions of an African

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Diaspora. Africobra mandated a functional program for art-making in which art was to instruct in the beauty of a universal Black culture. Their imagery predates publication of Molefi Asante’s “Afrocentricity” yet negotiates in visual terms Afrocentric tendencies present throughout African American cultural historiography. Still working in the present day, Africobra emphasizes the moral value of the creative process for the individual African American artist within an Afrocentric paradigm. In so doing, Africobra attempts recapture in an American context, the power of definition over art and identity exercised for centuries by dominant culture.

INDEX

Mots-clés : Africobra, Afrocentrisme, art africain-américain, Etats-Unis Keywords : African-American Art, Africobra, Afrocentrism, United States of America

AUTEUR

KIRSTIN L. ELLSWORTH Kirstin L. Ellsworth received her Ph.D. in the History of Art from Indiana University in 2005. Her research and teaching interests include American art of the 1960s, African and African-American art. Dr. Ellsworth has presented on Africobra at the Smithsonian American Art Museum in Washington, D.C. She is currently a lecturer in the State University system. [HUX, California State University, Dominguez Hills, SAC 2-2126, 1000 E. Victoria Street, Carson, California 90747 USA – [email protected]]

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L’étoffe de l’africanité

Sarah Fila-Bakabadio

Introduction

1 Évoquer les relations des communautés afro-américaines avec l’Afrique c’est penser, en termes historiques, aux mouvements de rapatriement, aux noms de Paul Cuffe, Henry Highland Garnet ou Marcus Garvey, en termes sociologiques, aux processus de préservation et de célébration des rémanences africaines de la culture africaine- américaine1.

2 Pendant l’ère esclavagiste, la dégradation de l’identité des esclaves africains passait par une anonymisation physique. Tout objet autorisant une identification était confisqué. Le corps martyrisé ne devait porter aucun signe distinctif autre que celui imprimé dans la chair par le maître. Au vingtième siècle, le processus inverse est à l’œuvre. Il consiste à rendre visible les traces d’Afrique autrefois dissimulées derrière des assignations identitaires exogènes. Depuis les années 1960 et l’apparition des mouvements nationalistes noirs, le tissu est devenu un outil récurrent de valorisation de l’héritage africain des Africains-Américains2. Une étoffe est devenue symbolique de cette translation : le kente. Cette cotonnade, venue de l’Est du Ghana, est, à l’origine, typique de la culture akan. Connue depuis le 18e siècle, elle est faite de bandes de coton de couleurs alternées cousues les unes aux autres (jaunes, rouges et vertes, le plus souvent) et de formes géométriques (losanges, carrés…). Elle est tissée par des artisans de la région de Kumasi. Ses motifs et l’agencement de ses couleurs sont une forme de langage. Ils marquent par exemple le rang social de celui qui porte le tissu, son clan d’origine, rapportent un épisode de l’histoire akan ou illustrent un proverbe (voir notamment Asamoah 1999).

3 Aujourd’hui, le kente est présent à différentes étapes de la vie communautaire et individuelle de nombreux Africains-Américains (mariage, remise de diplôme…) à tel point que peu s’interrogent sur les origines de son insertion dans leurs pratiques sociales. Pourtant, sa présence systématique lorsqu’il s’agit de « retour aux sources culturelles africaines » pose la question de sa signification pour ce public. Que

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représente-t-il ? A quelles images de l’Afrique renvoie-t-il parmi les Africains- Américains ? Pourquoi choisir ce tissu parmi diverses étoffes de style africain ? Depuis le milieu des années 1960 et l’émergence de nationalismes culturels afro-américains, le kente est devenu un symble de l’héritage africain pour de nombreux Africains- Américains3. Ce rôle de référence au passé africain a été renforcé, au début des années 1990, par l’apparition de courants intellectuels afrocentristes qui cherchaient à redéfinir les Africains-Américains comme des Africains d’Amérique. Ils ont alors sélectionné des objets pouvant incarner cette nouvelle identité et ont choisi à leur tour le kente.

4 Ce travail s’appuie sur des enquêtes menées dans plusieurs quartiers noirs de New York (Harlem à Manhattan, Crown Heights et East New York à Brooklyn), Washington et Minneapolis, entre 1999 et 2004. Dans ces lieux de vie, le kente est présent dans divers espaces de socialisation (les boutiques communautaires, les salons de coiffure, les épiceries, les écoles, les églises…). Il fait partie du quotidien des habitants. Des entretiens menés auprès de 41 personnes d’âges et de parcours différents ont été conduits pour comprendre comment le kente est entré dans leur quotidien et quelles images de l’Afrique elles lui associent.

5 En prélude à l’analyse, des précisions terminologiques s’imposent. Premièrement, la « communauté » africaine-américaine évoquée ici est celle des descendants d’esclaves. Les populations africaines-américaines formées à partir des migrations récentes et dont les relations avec le continent sont, à l’heure actuelle, moins influencées par une démarche de retour aux sources ne sont pas concernées par l’analyse. Deuxièmement, nous considérons l’Afrocentrisme en tant que notion conjuguée suivant des variables individuelles et collectives qui ne peuvent être réduites aux expressions universitaires radicales développées, aux Etats-Unis, entre 1965 et 1991. Nous nous garderons donc d’apposer le terme « afrocentrique » sur toute tentative de retour vers l’Afrique de communautés afro-descendantes. Le terme est utilisé ici au sujet d’Africains- Américains qui souhaitent faire disparaître la part américaine de leur identité. Ils cherchent à rendre la culture afro-américaine plus africaine, notamment par des emprunts à des cultures africaines contemporaines (objets, rituels, pratiques religieuses, …).

L’identité du tissu

6 En décembre 1999, au milieu de l’hiver sans fin du Minnesota, Hattie4, une employée municipale de cinquante ans, se souvient avec émotion de son premier voyage en Afrique. C’était au Ghana, il y a plus de trente ans. Elle était alors étudiante et souhaitait « voir l’Afrique ». Elle se souvient du choc qu’elle a éprouvé à son arrivée dans la bruyante ville d’Accra, à la vue de passants qu’elle imagine aujourd’hui toujours souriants, vêtus de tenues aux couleurs toutes plus vives les unes que les autres. Les couleurs, le mouvement des vêtements et les nombreux étals des couturiers lui sont restés à l’esprit comme emblématiques de l’Afrique.

… dans les cultures africaines

7 La vision parcellaire d’Hattie contient une certaine vérité puisque, par leur variété de conception et de réalisation, les tissus saisissent différents registres de la vie culturelle,

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économique et même politique des communautés et des peuples qu’ils représentent. Les usages sociaux des tissus en Afrique apparaissent de manière plus visible dans les rites institutionnels que sont les mariages ou les enterrements. Le tissu dit aussi le passage d’un statut à un autre lors, notamment, de rites de passage. Il matérialise cette transition entre l’état perdu et celui nouvellement acquis. Il devient un signe reconnu par l’ensemble de ses membres comme la trace de l’évolution du jeune homme ou de la jeune fille. Cette fonction de signe de reconnaissance et de marqueur d’un temps de l’histoire individuelle et collective est un langage qui fait sens au quotidien (voir Schneider 1987).

8 Au Ghana, le kente apparaît dans ce type d’événements. Il est porté dans des cérémonies, des réunions de village et des rencontres communautaires, ou avec des populations voisines. Il est un vêtement d’apparat. Il se porte drapé autour du corps, un pan posé sur l’épaule. Ses couleurs et sa matière disent la hiérarchie sociétale. La richesse des étoffes (parfois agrémentées de perles), le choix des fils (soie, coton, or), l’agencement des couleurs et la complexité des motifs disent aussi la fonction sociale de chaque individu (roi, seigneur, ou citoyen ordinaire). Il est utilisé par les dignitaires akans et particulièrement par leur roi, l’Asantehene, lors des rites d’initiation à la religion akan, lors des couronnements et des mariages. Autrefois, les kente adwinasa leur étaient, par exemple, réservés (voir Asamoah 1999). Aujourd’hui, le kente conserve cette fonction même s’il est aussi vendu comme un tissu ordinaire dans toute l’Afrique, comme le wax ou le bazin.

9 Ce rôle de communication n’est pas relevé par Hattie qui, comme d’autres touristes afro-américains, est venue chercher au Ghana, un morceau de son histoire correspondant à ses aspirations du moment. Au milieu des bogolans, des bazins et autres batiks, Hattie avait choisi de rapporter des coupons de kente, selon elle, symbolique de ses racines africaines. Cette sélection est liée à l’histoire d’Hattie mais aussi à celle de la communauté afro-américaine. Depuis les années 1960, de nombreux Africains- Américains visitent le Ghana. Cette première nation africaine représente un peuple noir libéré de la tutelle européenne et capable de construire un futur adossé à un passé culturel riche. Cette vision, partagée par les militants nationalistes comme Hattie, les a incités à se documenter sur la culture ghanéenne. Au Ghana, ils découvrent la culture akan qui les fascine. Ils y cherchent des objets qui pourraient, aux Etats-Unis, servir de symbole d’une culture africaine sans influence occidentale. Le kente, emblème de la culture akan et du Ghana indépendant, va remplir cette fonction.

… dans la culture afro-américaine

10 Lorsque Hattie s’est passionnée pour le kente, elle a, pour un temps, laissé de côté l’histoire textile afro-américaine où une étoffe participait elle aussi à la communication entre les individus : le patchwork (quilt). Dans les plantations, les esclaves réutilisaient des morceaux de tissu pour se confectionner des couvertures à défaut d’en obtenir de leurs maîtres. Peu à peu, ils en ont personnalisé les motifs. Chaque patchwork symbolisait l’histoire de son créateur et ses rêves de liberté. Le patchwork est depuis resté un symbole de la culture des esclaves, transmise de génération en génération. Sans oublier cet héritage, Hattie choisit d’ancrer ses racines africaines dans un tissu venu d’une culture africaine contemporaine. Elle associe des usages afro-américains aux bribes d’une culture africaine qu’elle a glanées lors de ses voyages en Afrique. Une

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démarche inverse à celle de Richard, pasteur d’une église du quartier pauvre d’East New York à Brooklyn. Arpentant les couloirs de la paroisse, il montre fièrement les patchworks réalisés par les écoliers du quartier à l’occasion du « mois noir » (« »5). Il explique que cet exercice collectif a été une opportunité pour les élèves d’appréhender l’histoire de leurs ancêtres. Il évoque en quelques mots l’histoire et la fonction politique et sociale de tissus composés comme des cartes pour les esclaves en fuite, pour certains engagés dans l’Underground Railroad6 . Cette construction textile, marquée par son caractère composite, place au centre du regard le processus d’assemblage morceau par morceau menant à une image complète. Comme les tissus africains, le patchwork est un langage dont le déchiffrage est spécifique à une communauté et dont la rhétorique rend compte de son expérience particulière, entre l’Amérique et l’Afrique. Il rappelle l’histoire africaine des premiers Africains- Américains.

Le temps des nationalismes

11 Au milieu des années 1960, les tissus de style africain font leur apparition dans les quartiers noirs, parmi des militants nationalistes arborant des coiffures afro comme les signes physiques de leur engagement politique. Des images d’hommes et de femmes en boubous s’affichent dans les magazines afro-américains tels Proud, Jet ou Ebony. En 1998, Doran H. Ross, conservateur au Fowler Museum of Cultural History de Los Angeles et auteur de Wrapped in Pride, le seul ouvrage sur l’usage du kente aux Etats-Unis, expliquait que le kente avait été peu utilisé à cette période. Malgré des séjours fréquents au Ghana, les Africains-Américains l’auraient rarement utilisé. Le manque d’archives photographiques lui semble être une preuve d’une pénétration limitée du kente dans la culture populaire afroaméricaine (Ross 1998 : 175). Cependant, il oublie l’influence des nationalismes et du panafricanisme sur le grand public. Entre les multiples modèles de perruques afro, les femmes portent des foulards de tête en tissus africains et notamment en kente. De façon contrastée par rapport à l’uniformité des tenues actuelles, Habeebah, une ancienne nationaliste, se remémore ce temps où l’appartenance politique de chacun pouvait se lire sur ses vêtements : « Certains frères qui appartenaient à des groupes comme celui de [Maulana] Karenga portaient toujours des dashikis et d’autres choisissaient, comme moi, une tenue plus stricte, celle des membres de la Nation of Islam. On pouvait deviner à quel groupe chacun appartenait rien qu’en regardant ses vêtements »7. Deborah, une institutrice et elle aussi une militante dans les années 1960, se souvient avec quel soin elle choisissait le dashiki qu’elle allait porter8 . Elle avait l’impression de porter un peu de cette histoire qu’elle connaissait peu mais qui avait alors un sens concret. Comme d’autres nationalistes culturels, elle attribuait déjà au kente une valeur de retour aux sources, selon elle, moins présente dans d’autres étoffes. A cette époque, le kente est alors concurrencé par le wax, ce tissu dont les modèles les plus connus sont fabriqués en Hollande et auquel sa texture cirée a donné son nom.

12 Le kente attire à nouveau l’attention des Africains-Américains lorsque le premier président ghanéen, Kwame Nkrumah, arbore ce tissu comme un emblème national, illustrant la réappropriation de leurs cultures par les Africains. En 1958, il se rend aux Nations Unies, drapé dans un Oyokoman Adweneasa. Il incarne l’Africain, l’homme noir débarrassé du joug occidental9. L’identification à cette figure historique influe sur la

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représentation afro-américaine du kente comme un symbole de cette libération. Il apparaît dans des magazines nationaux comme Life où il incarne l’unité, la fierté et la solidarité raciales entre les peuples africains et afro-descendants10. Sur ce modèle, des personnalités publiques afro-américaines comme Mohammed Ali l’adoptent pour marquer leur engagement nationaliste et panafricain. Le kente figure une communauté de destin politique née de la même lutte contre l’impérialisme. Le public africain- américain associe alors le kente à une Afrique indépendante à travers la figure de Kwame Nkrumah : il ne faut pas négliger la publication répétée d’images le représentant dans des magazines afro-américains comme Essence ou Black Enterprise qui ont offert une surface d’exposition régulière au kente et, de fait, une familiarité du public africain-américain avec ce tissu et le sens politique et culturel qui lui était associé.

13 En outre, le climat politique américain qui voit, dans l’ère post-Malcolm X, l’émergence de nombreux groupes nationalistes, joue un rôle important dans l’interprétation du kente par les Africains-Américains. L’autodétermination, prônée par l’idéologie du Black Power et mise en pratique par plusieurs de ces groupes dont le Black Panther Party for Self-Defense et la Nation of Islam, s’exprime également en termes textiles11. Les dissensions entre les nationalismes culturels et révolutionnaires se traduisent dans le vêtement, lequel devient la transposition matérielle d’une identité politique. Aux blousons de cuir noir et aux bérets des Black Panthers, les nationalistes culturels comme Maulana Karenga répliquent par le port de boubous et de dashikis en kente. La forme du vêtement, sa couleur et sa matière ajoutent à la scission idéologique. Il s’intègre à une « esthétique néo-africaine » (Woodward 1999 : 225) qui illustre la réactivation de l’héritage africain par les Africains-Américains. Le kente dit l’inscription simultanée de l’histoire africaine et le réveil d’une conscience noire transnationale. Les nationalistes culturels définissent le tissu comme un artefact d’origine africaine qui devient un symbole des différentes luttes pour l’autodétermination qui traversent le « monde noir ».

14 De ce creuset nationaliste est né un mouvement artistique (« Black Aesthetic »), formé comme une extension plastique du Black Power. Il associe le slogan « Black is Beautiful » au kente pour évoquer les histoires africaines et afro-américaines. Au-delà de la musique, du théâtre et de la littérature, les arts plastiques deviennent un champ d’expression des nationalismes culturels. L’apparition de nombreux groupes d’artistes comme le Black Arts Movement (BAM), le Black Arts Repertory Theater/School (BARTS), OBAC et AfriCobra, a favorisé une nouvelle conception de la culture afro-américaine, qui s’inspire désormais de sa relation avec une Afrique réinventée12. Cette Afrique apparaît dans leurs œuvres à travers des objets symboles dont le tissu est déjà l’une des expressions emblématiques. Plusieurs artistes dont Charles Searles et Murry DePillars, utilisent le tissu pour illustrer la permanence des pratiques culturelles depuis l’Afrique jusqu’à l’Amérique et réaffirmer l’identité afro-descendante des Africains-Américains. Chaque caractéristique technique du tissu (la matière, les motifs et les couleurs) sert de référence à l’Afrique. Plus que la matière, Searles s’intéresse aux couleurs et aux motifs. Dans les séries Nigerian Impression Series et Dancer Series, il peint des personnages désarticulés à la manière de Braque, dont les membres enchevêtrés sont figurés par différentes bandes de tissus dont plusieurs motifs rappellent le kente13. La composition et le sujet s’effacent au profit des dessins qui seuls incarnent l’Afrique. Leur densité rythmique est une évocation de l’Afrique que tout spectateur peut relever. Le motif et la couleur symbolisent son identification à ce continent. Black Faces and Arm Unit (1971),

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une installation de Ben Jones, montre que la référence africaine est aussi représentée par la vivacité des couleurs récurrentes du kente (le jaune, le rouge, le vert et le noir).

15 Par l’emprunt direct d’éléments jugés typiques des cultures africaines contemporaines, les artistes du Black Aesthetic Movement célèbrent une fierté panafricaine, matérialisée par l’emploi du kente dans leurs créations. Leur perspective nationaliste culturelle fait glisser l’Afrique de l’arrière-plan de la culture afro-américaine vers son centre. Le kente illustre l’héritage africain, conçu ici comme une culture ancienne sans influence occidentale. Là où Sharon Patton voit les prémisses des afrocentrismes contemporains (Patton 1998 : 235), il y a l’extraction de la culture africaine-américaine du cadre national américain et une admiration profonde pour les arts africains. Le tissu n’est plus, comme dans le cas du patchwork, une agrégation de fils disparates, mais constitue plutôt une référence à un héritage africain encore vivant.

L’époque contemporaine

16 Entre les années 1970 et l’époque actuelle, le dashiki et le kente ont continué d’illustrer le passé africain des Afro-Américains. Aujourd’hui, le kente sert surtout à montrer que l’Afrique fait partie de la culture afro-américaine. Les Africains-Américains n’ont pas seulement un héritage africain, mais ils vivent leurs racines africaines au quotidien. Des artistes admirés par les jeunes comme les rappeurs du groupe Dead Prez ou la chanteuse soul Erykah Badu portent des tenues « africanisantes » (dashiki, boubous, bonnets, …) en kente, qui montrent leur identification à l’Afrique. Des tenues en kente de ces rappeurs aux proéminents foulards de tête en wax drapé de cette chanteuse, le tissu de style africain continue de signifier l’intérêt des Africains-Américains pour l’Afrique. C’est ainsi en tout cas que Richard, le pasteur de Brooklyn évoqué plus haut, interprète le kente. Cette étoffe dit l’appartenance à une histoire africaine « passée, présente et à venir »14. Pourtant, si le kente représente l’Afrique pour beaucoup d’Africains- Américains, cela est plus dû aux nationalismes des années 1960 qu’à une connexion directe avec ce continent. Comme le note Paul, un ancien militant nationaliste de Cleveland, il dit la permanence de la lutte des peuples noirs contre la discrimination15. Porter du kente au quotidien signifie que le combat continue.

17 Dans les années 1980, le tissu est aussi devenu le support d’une esthétisation de la référence à l’Afrique de plus en plus ancrée dans une représentation festive. En effet, si la référence à l’Afrique n’est pas entièrement dépourvue d’un arrière-plan politique, les Africains-Américains cherchent surtout aujourd’hui à élaborer une vision positive de leur culture. Mes recherches menées aux Etats-Unis depuis une dizaine d’années tendent en effet à montrer que le récit des succès historiques des Noirs dans l’histoire mondiale, comme l’a entrepris J.A. Rogers (1972) dans Great Men of Colors, a peu d’effets sur les jeunes générations. Celles-ci attendent de nouvelles images qu’elles pourront adapter à leur quotidien. Ces jeunes découvrent le tissu qui devient le vecteur privilégié de leur identification à l’Afrique. Edward est l’un d’entre eux. Doctorant en communication à New York, il explique avoir choisi le kente lorsqu’il était adolescent16. Il a décidé seul du sens qu’il lui attribuait. Entre la fierté raciale et l’affirmation d’un lien indéfectible avec le continent africain, le kente l’aide à se « sentir africain » : « je l’utilise en privé (pour les fêtes de famille et aussi pour sortir avec mes amis…) ; pour aller au travail, j’ai un style plus strict, c’est chemise et pantalon ». L’ajout d’interprétations personnelles au kente lui permet aussi de se singulariser dans une

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foule uniformisée par les vêtements de style occidental. Dans certains cas pourtant, porter un dashiki se limite parfois à un retour symbolique à un style « naturel ». « C’est être vrai » (« To be real to yourself ») explique Edward. Être soi sans artifice, sans tenter de se conformer à une esthétique occidentale qui voudrait que l’on se défrise les cheveux et que l’on porte des costumes. Pour Edward, porter du kente signifie mettre son apparence en adéquation avec son identité. Comme d’autres Africains-Américains, il a écarté le wax et d’autres tissus africains pour considérer le kente comme l’objet grâce auquel il recompose ses origines africaines.

18 L’omniprésence actuelle du kente dans la culture populaire afro-américaine repose sur trois processus historiques, politiques et culturels. Ils ont conjointement contribué à sa prééminence. Le premier est politique. Pendant les années 1980, les nationalismes culturels sont entrés dans les pratiques populaires. Maulana Karenga, le nationaliste culturel le plus connu, diffuse la « fête de l’héritage africain » qu’il a créée quinze ans plus tôt : Kwanzaa17. Le kente y tient une place centrale de symbole des cultures africaines passées et présentes. Grâce à cette fête, Karenga impose le kente comme le premier support d’une revendication africaine. devient populaire et les Africains-Américains oublient peu à peu ses origines nationalistes. Le kente est alors dissocié de l’idéologie culturaliste et est intégré dans les pratiques quotidiennes disponibles pour chacun. Kwanzaa, aujourd’hui appelé le « Noël noir », est l’occasion de porter des boubous multicolores. S’ils n’en possèdent pas, les convives peuvent se donner une touche africaine en utilisant une écharpe ou un bonnet en kente.

19 Le second processus associe les couleurs et les motifs dans une identification des Africains-Américains au seul Ghana. Le Ghana est un pays auquel beaucoup d’Africains- Américains se rattachent et qu’ils imaginent comme l’illustration géographique précise de leurs origines africaines. Il symbolise le lieu de départ de leurs ancêtres esclaves. Ils visitent Kumasi et les forts négriers d’Elmina. Revenir au Ghana est une manière de revenir au début de leur histoire et de fermer la parenthèse de l’esclavage. À défaut de s’y rendre, certains utilisent le kente pour marquer symboliquement ce retour à la « terre mère ». Dans le petit mémorial de l’église où Richard officie, les portraits de paroissiens décédés et de donataires ornent la pièce. Les photographies sont agrémentées d’un habillage en kente (un cadre, un fond et parfois des vêtements en papier sont ajoutés aux images) qui les fait symboliquement rejoindre l’Afrique.

20 Le troisième processus est économique, puisque de nombreuses entreprises utilisent le kente dans les publicités adressées à une clientèle afro-américaine. Les magazines afro- américains Essence, Jet, Ebony, Vibes sont parsemés de publicités vantant les mérites de produits aussi divers que les boissons gazeuses de Coca-Cola ou le dernier 4x4 Chevrolet. Leur tonalité afro-américaine vient souvent de l’insertion d’une pièce de kente. Que ce soit une frise, un dessin, un vêtement porté par un figurant, le kente est systématiquement présenté comme l’objet synthétique de l’héritage africain. Sa seule présence tient lieu de représentation de l’Afrique. Il doit, à lui seul, évoquer l’unité de la communauté, la fierté et la solidarité raciales noires ainsi que la trace d’une continuité culturelle depuis l’Afrique. Il est utilisé sur le registre d’une authenticité de démarche et de qualité des produits, qui souvent dissimule assez mal les gains commerciaux attendus. Cette vision simplifiée de la mythique « culture africaine » doit déclencher l’achat. Les Africains-Américains sont fréquemment confrontés à cette association entre le kente et les marques. Elle contribue à définir le kente comme un symbole par excellence de l’Afrique.

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21 Le kente est aujourd’hui présent dans tous les aspects de la vie sociale des Africains- Américains. Il contribue régulièrement à en solenniser les temps forts (mariage, naissance, remises de diplômes, …). On le trouve aussi dans de nombreuses boutiques entre Harlem et Crown Heights. Elles sont souvent tenues par des migrants africains, heureux de vendre le mètre au prix du coupon (soit six mètres). « Ils ne veulent que ça » explique Mamadou, un vendeur de Harlem, en montrant un mètre de kente18 : « je ne sais pas ce qu’ils ont avec ça, mais c’est ce qu’ils veulent. Alors c’est ce qu’on vend ». Le kente occupe une grande partie de cette petite boutique où les tissus sont suspendus de toutes parts. Différents types de kente occupent l’étal au centre de la boutique. Ils sont accessibles dès l’entrée dans l’échoppe. Mamadou s’adapte aux exigences d’une mémoire collective qui se déploie à travers le tissu. La forte demande de kente illustre la fonction désormais inévitable d’une étoffe dont le sens, en milieu afro-américain, est lié à la célébration d’un héritage culturel perdu. Les Africains-Américains écartent en effet d’autres objets comme les masques et les sculptures pour ne s’intéresser qu’au kente. Jennifer, une jeune femme de 28 ans, conservateur de musée à Washington, trouve les masques et les statuettes trop chargés d’un sens déterminé par leurs fonctions dans leurs cultures d’origine19. À l'inverse, le kente lui semble être un support sans valeur politique ni spirituelle, auquel elle peut associer ses propres représentations de l’Afrique. Le succès du kente parmi les Africains-Américains est lié à cette apparente flexibilité des interprétations que chaque acheteur peut ajouter.

Hybridité et quête d’authenticité

22 L’anthropologie et l’histoire du vêtement constituent désormais un vaste champ de recherche. En anthropologie, de nombreux travaux documentent les usages rituels des tissus ou leur place dans d’autres pratiques sociales. Depuis l’étude déjà ancienne de Cordwell et Schwartz (1979) sur l’usage des tissus en Afrique en passant par l’étude de Victoria L. Rovine (2002) sur la place du bogolan dans la culture malienne jusqu’à celle de Susan Kuschler et Graeme Were (2005) sur le vêtement comme ornement chez les peuples de l’Océan Pacifique. On pense également aux travaux de Jane Schneider (1987), de Robert Farris Thompson (1988, 1993) et à ceux d’Elisha P. Renne (1995) sur le rôle du vêtement dans les rites yoruba. Le vêtement est une matérialisation de l’appartenance d’un individu et de son statut social. C’est au titre de représentation matérielle de la culture que le vêtement et le tissu sont régulièrement abordés dans les études anthropologiques et historiques. La production sur le kente s’inscrit largement dans une telle perspective. Celui-ci est abordé comme un vecteur de transmission de la culture d’un groupe ethnique. Il en devient un particularisme analysé à travers sa fonction dans la vie sociale du groupe. L’histoire culturelle aborde le kente pour nous informer sur l’histoire du Ghana. Elle en analyse la place dans le développement du commerce textile ghanéen vers le reste de l’Afrique de l’Ouest. Docea A. G. Fianu (2007) et Ernest Asamoah (1999) montrent aussi comment le kente est devenu emblématique du Ghana dans le monde entier. Il faut toutefois remarquer que dans ce corpus, peu de travaux s’intéressent à l’appropriation du kente par des communautés situées hors d’Afrique. Ils n’interrogent pas les représentations que produisent les populations afro-descendantes à partir de tels artefacts venus d’Afrique. Le champ de l’histoire de l’art a, certes, amorcé une réflexion à ce sujet. La publication de catalogues d’expositions sur l’emploi du kente aux Etats-Unis, comme Wrapped in Pride de Doran H. Ross (1998), en fournit un

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bon exemple. Mais ces études manquent d’un questionnement sur les représentations historiques et culturelles associées par les Africains-Américains à cette étoffe.

23 Pourtant, au-delà des années 1970 et de l’émergence du mouvement « Black is Beautiful » qui prônait un retour vers une esthétique africaine, le kente illustre une quête d’une authenticité culturelle africaine perdue par des siècles de présence en Amérique. Dans sa série de travaux Double Dutch, l’artiste plasticien anglo-nigérian, Yinka Shonibare (1997), pose justement la question des représentations culturelles associées au tissu de style africain. Dans son travail, le wax, fabriqué depuis le 19e siècle en Hollande, figure l’Afrique et la coupe des vêtements évoque l’époque victorienne. Par l’utilisation d’étoffes de style africain pour réaliser des costumes et des crinolines « occidentaux », il pointe la multiplicité des supports du métissage culturel entre l’Europe et l’Afrique et le rôle du regard dans la production d’images associées à l’un ou à l’autre des continents. Le wax est immédiatement apparenté à l’Afrique comme une caractéristique des cultures africaines dont il devient l’un des codes. À l'inverse des clients africains-américains des boutiques d’artisanat de Brooklyn et Harlem attirés par le seul kente, Shonibare souligne donc à quel point nos représentations de l’Afrique s’appuient sur des objets et des formes évocateurs d’une diversité culturelle réduite à quelques images signifiantes pour l’observateur. Shonibare interroge et joue sur l’immédiateté de la référence africaine qu’évoque le wax.

24 Ann, une femme d’une soixantaine d’années, guide lors d’une exposition sur le kente au Metropolitan Museum de Minneapolis, refuse de penser au kente comme à l’expression matérielle d’un croisement d’influences culturelles diverses. En observant une pièce du 16e siècle, elle n’y cherchait que les caractéristiques identiques à celles du boubou qu’elle portait ce jour-là. La similarité des techniques de tissage et des matériaux (le fil de coton) ajoutait au vêtement qu’elle avait acheté dans une « foire africaine » de la ville (African Fair), une lueur d’authenticité et de patrimoine réincarné à laquelle elle aspirait20. Le fil de coton matérialisait selon elle, l’indéfectibilité du lien entre les Africains-Américains et l’Afrique. Pour elle, le vêtement en kente ne dissimule pas son identité mais il la révèle. Il montre que l’histoire et le métissage n’ont pas de prises sur elle, et Ann déclare d’ailleurs elle-même que son identité était, est et sera toujours africaine.

25 Keisha, professeur d’histoire à Minneapolis, recherche, elle, des tissus africains authentiques, mais elle accepte l’hybridité des sources. Lorsqu’elle achète des tissus dans les boutiques communautaires, sa démarche est proche de celle d’Ann. Comme pour les statues qu’elle scrute en tentant de voir les marques du temps, elle observe les tissus avant de les acheter et espère y voir un quelconque signe d’usure qui pourrait la conforter dans sa quête de passé. Keisha a entièrement décoré son appartement avec des objets venus d’Afrique qui sont autant de souvenirs de voyages, de cadeaux et de coups de cœur. Elle attribue une fonction à chaque type de tissu. Elle réserve le bogolan pour la décoration (tentures murales, jeté de canapé, …) et utilise le kente et le wax pour l’habillement. Elle explique que la mémoire a parfois besoin d’un support matériel pour imprégner le quotidien. Keisha veut se souvenir d’une histoire qu’elle n’a pas connue mais dont elle est le produit. Le kente fait office de trame sur laquelle elle recompose son passé. Il est une source matérielle authentiquement africaine qu’elle peut ensuite mélanger à d’autres pour représenter son histoire africaine. Comme Keisha, nombre d’Africains-Américains utilisent le kente comme un repère qui « assigne aux personnes, aux choses et aux événements une identité » qu’ils pensent manquante (Rodrigues

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1993 : 251). Le paradoxe de cette attitude est qu’elle associe une volonté d’arrêter le temps par la fixation de traces d’Afrique et la création d’un sens nouveau qui répond à des besoins individuels temporaires.

26 Plus prosaïquement, la plupart des acheteurs de tissus de style africain les conçoivent comme l’expression d’une mémoire non pas réinventée mais redécouverte. Les clients de la boutique de Mamadou à Harlem ont l’impression de tenir un morceau de leur histoire, de toucher les aspérités inconnues d’époques où leur histoire était africaine.

« The Kente Kraze » : la captation afrocentriste

27 Le kente prend une nouvelle dimension avec l’apparition des afrocentrismes. Depuis les années 1960 et l’émergence des nationalismes culturels, des activistes politiques et des historiens considèrent les cultures africaines comme la source unique du renouveau de la culture populaire afro-américaine. Ils ne pensent plus aux cultures africaines, mais ils évoquent une culture africaine ancestrale partagée par tout afro-descendant et qu’il s’agirait de retrouver. Celle-ci est ici caractérisée par quelques objets symboliques comme le kente. À travers une sélection souvent aléatoire, ces universitaires choisissent quels objets sont selon eux « typiquement » africains. Les bijoux, les statuettes et les instruments de musique font partie de cet ensemble grâce auquel ils construisent une africanité intemporelle21. Cette orientation, restée identique depuis près de quarante ans, s’est accentuée avec l’apparition de théories afrocentristes formées par deux anciens militants culturalistes, Maulana Karenga et Molefi Asante. Aujourd’hui professeurs en études afro-américaines, ils proposent d’observer le monde d’un « point de vue africain ». Ils invitent les Noirs à se placer symboliquement en Afrique pour parler de leur histoire. Dans un combat imaginaire entre les peuples noirs et blancs pour l’appropriation de la culture, les Noirs doivent connaître cette culture ancestrale aux dimensions continentales pour faire face à des peuples occidentaux qualifiés d’eurocentristes. Ils choisissent des lieux d’Afrique qu’ils jugent épargnés par l’influence occidentale. Après plusieurs voyages au Ghana, le premier pays africain indépendant, ils se passionnent pour la culture akan. Ils la voient comme le symbole par excellence de « la culture africaine » préservée. Le reste du continent disparaît de leur champ de vision car, selon eux, trop influencé par l’Europe. Leur fascination est telle que certains se disent akan22. Ils rappellent qu’ils furent anoblis par le roi, l’ Asantehene, qui a reconnu ces Américains comme des membres éminents de sa cour23. Porter du kente illustre cette appartenance et cette reconnaissance de leur identité africaine par des « Africains du continent »24. L’identification vague à l’Afrique portée par les nationalismes des années 1970 ne suffit plus. Les afrocentristes invitent désormais les Afro-Américains à localiser leurs racines dans un pays, voire un village pour pouvoir faire état, comme les Africains, d’un lieu précis des origines. Jane, une photographe du Wisconsin, a suivi cette voie. Elle se définit comme une afrocentriste. Elle considère non pas posséder des origines historiques akan mais elle se dit akan. Une identité pleine, selon elle, comparable à celle d’individus nés au Ghana. Le kente rend visible cette identité historique et ethnique alors comparable aux identités culturelles dogon, haoussa ou yoruba. Selon elle, le kente ne fait que rendre cette translation identitaire visible. « Ce n’est pas étrange pour moi [de] porter [du kente] puisque c’est ma culture », conclut-t-elle. Le kente synchronise son apparence avec une identité africaine idéale. Il abolit la distance historique et géographique entre les Africains-

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Américains et l’Afrique. Pour Deborah, l’enseignante de Brooklyn déjà évoquée, porter du kente est aussi une manière d’arrêter le temps, qu’elle conçoit comme une dégradation continue de ses liens avec le « continent »25. Même si elle est consciente du caractère étroit de ses représentations de l’Afrique, elle y voit une permanence rassurante, trace de ses liens indéfectibles avec ce lieu. Ses différents voyages en Afrique lui ont permis de se confronter avec la réalité des cultures africaines. Au Ghana, elle a vu l’alternance entre le wax et le kente dont l’identité akan lui est apparue plus clairement en comparaison d’autres coutumes textiles. Mais elle reste fidèle à son interprétation première : seul le kente symbolise son identité africaine.

28 Dans leurs pratiques, les afrocentristes se représentent toujours dans des tenues en kente. Maulana Karenga porte toujours une écharpe de cette matière, Molefi Asante arbore des dashikis nkwadumase. Dans les interviews télévisées et les articles de presse, ils rappellent que le kente est l’instrument premier d’une identification à l’Afrique. Ils invitent les enseignants dans les écoles à décorer leurs salles de classe avec du kente, les familles à utiliser cette étoffe comme un vêtement de sortie lors des réunions familiales et de quartier. Ils participent à des conférences publiques, à des festivals et présentent le kente dès qu’ils le peuvent. Peu à peu, ils réussissent à faire entrer le kente dans les administrations, les universités et les entreprises, par quelques pièces de kente décorant les bureaux ou les halls d’immeubles, où il devient un symbole de la minorité afro- américaine.

29 Cette imprégnation progressive du quotidien des Africains-Américains porte lentement ses fruits au début des années 1990. L’Afrocentrisme devient populaire. Il devient une voie de la réafricanisation de la culture afro-américaine. Se définir comme un Africain d’Amérique devient une identification positive par rapport à celle de minorité ethnique née de la traite transatlantique. Être afrocentriste, c’est être fier d’être noir, fier de ses origines africaines au point, parfois, de n’embrasser qu’elles. On ne se dit plus Afro- Américain mais « Africain de la Diaspora » ou « Africain d’Amérique ». En cette fin de 20e siècle, les Africains-Américains regardent de plus en plus vers l’Afrique et réinventent leurs racines grâce aux afrocentrismes. Ils s’intéressent aux rares objets décrits par les afrocentristes comme les emblèmes de leur histoire africaine (le kente, le dashiki, les bijoux en forme de hiéroglyphes égyptiens). Par ce biais, l’usage du kente se développe. Il apparaît dans les festivals de la culture noire et entre même dans un bastion de la culture afro-américaine : les églises. Il signifie affirmer une identité noire aux racines africaines toujours vivaces. Un chapeau ou une étole dans cette étoffe peuvent à eux seuls rappeler ce choix. Il devient un argument commercial décliné dans de multiples produits (des cartes de vœux et des jouets, des sacs, des chaussures, du mobilier, des livres…). Des entreprises internationales comme Hallmark conquièrent ce marché naissant et diffusent le kente pour toucher le public afro-américain. Un vaste marketing touche les articles pour enfants. Des ours en peluche aux vêtements en kente sont édités et des Barbies, « Ghanaian Barbie » (la « Barbie ghanéenne ») et « Asha » sont également lancées en 1998 par l’entreprise Mattel. Le kente est désormais partout dans la culture populaire afro-américaine. C’est le temps du « kente kraze » ou de la folie du kente qui se développe dans la communauté afro-américaine. Toute référence ou image de l’Afrique inclut désormais le kente.

30 En à peine dix ans, les afrocentrismes ont réussi à transformer le kente en un symbole quasi-unique et toujours inévitable de l’identification des Africains-Américains à l’Afrique. Il élude d’autres supports (masques, musique…). Ils ont développé et

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intensifié une essentialisation des objets qui portent la mémoire de l’Afrique. Ils choisissent et cherchent à imposer aux Africains-Américains des objets qu’ils jugent typiques de la « culture africaine ancestrale » dont ils parlent constamment. De ce fait, le kente écarte d’autres tissus comme le bogolan, le wax ou le batik pour porter à lui seul la référence à l’Afrique.

31 Cet impératif de la référence unique décompose en outre les caractéristiques techniques du tissu (les motifs, les couleurs…) comme autant de marqueurs d’une exhumation culturelle africaine. Si Shonibare met l’accent sur l’hybridité historique du tissu, il pointe le rôle des motifs comme des évocations systématiques à l’Afrique. Les dessins figuratifs, les couleurs vives et les figures géométriques font penser à l’Afrique. « Ça, c’est africain » explique Edward, le doctorant en communication évoqué plus haut, en voyant les dessins d’un kente. La rythmique des couleurs et la régularité des formes lui font dire que c’est une étoffe africaine. En ce sens, le kente représente un support aisé. Ses lignes verticales et horizontales entrecroisées, ses formes (carrés, losanges, trapèzes…) répétées dans des frises assemblées les unes aux autres façonnent les représentations d’Afrique d’Edward. C’est d’ailleurs ce que regarde Deborah, après avoir évalué l’épaisseur d’un tissu, pour juger de l’authenticité d’une étoffe. La régularité des motifs lui apparaît comme un rythme qui lui rappelle ceux, saccadés, des percussions qu’elle a entendues lors de ses différents séjours en Afrique du Sud. Cette cadence est, pour elle, ce qui caractérise l’Afrique. C’est cette régularité, faite de traits identiques, qu’elle cherche à retrouver dans le tissu. Elle les observe avec attention et cherche les disjonctions qui attesteraient d’un travail bâclé, « bon pour les touristes ». Sa quête d’authenticité ne laisse passer aucune imperfection.

32 Deux dynamiques président au glissement du kente du statut d’artefact de style africain à celui de composante d’une définition afrocentriste de l’identité afro-américaine. La première tient à la fonction auto-attribuée d’afrocentrismes destinés à redéfinir la mémoire. Cette dernière y est dépassée par un processus d’invention a posteriori d’une mémoire historique qui, comme le note Marie-José Jolivet dans le cas de la Martinique (Jolivet 1987 : 287-309), s’oppose à « une mémoire collective ancrée dans des réalités vivantes ». L’invention et la redéfinition des composantes du patrimoine sont soumises à des interprétations construites préalablement. Les afrocentristes cherchent ensuite des objets à insérer dans leurs représentations de l’héritage africain. Ils attribuent une nouvelle pertinence aux objets qu’ils considèrent comme les instruments de rétention d’une mémoire collective rendue amnésique par des siècles d’eurocentrisme26. Leur dénonciation des creux de cette mémoire est une manière de « déplorer que la mémoire collective [n’est] pas ce [qu’ils veulent] qu’elle soit » (Jolivet 1987 : 306). Le kente symbolise alors une culture africaine inchangée depuis des siècles, qu’ils souhaitent réintroduire en Amérique. Cette posture relève d’une réécriture de l’histoire qu’ils défendent aussi sur un plan historiographique. Jouant sur le thème de la perte, ils composent un héritage africain monolithique fait d’éléments choisis à travers le continent qui tous sont destinés à représenter une grandeur noire perdue.

33 La seconde dynamique illustre les pratiques afrocentristes. Elles se cristallisent sur quelques objets, érigés en symboles exclusifs de cultures africaines fondues dans une définition au singulier. Comme les symboles adinkra et les croix ansées, le kente s’intègre dans une représentation de la mémoire africaine des Afro-Américains qui repose sur les représentations des intellectuels afrocentristes27. Le kente sert alors à fixer un patrimoine mythifié mobilisable par chacun, quel que soit le moment. Au-delà

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de son statut de trace d’une histoire culturelle, il devient un outil d’inclusion dans les milieux afrocentristes. Porter du kente dans une rencontre afrocentriste illustre la redéfinition de soi en tant qu’Africain. Dans ce milieu, le kente est devenu un impondérable de la référence à l’Afrique que chacun doit exposer pour manifester son engagement afrocentriste. Les boubous, les dashikis, les bonnets en kente sont présents à toutes les réunions afrocentristes (familiales, amicales ou professionnelles). Pour cette raison, de nombreux afrocentristes portent des tenues en kente ou agrémentent des tenues « occidentales » d’une écharpe, d’un bonnet de cette matière. Dans une telle perspective, le kente est tourné en un signe de reconnaissance d’une appartenance à un milieu afrocentriste pour lequel l’apparence renforce les distinctions entre les afrocentristes et les autres. Cet usage systématique contraste avec l’utilisation plus souple du tissu par la majorité des Africains-Américains28.

Le kente comme signe

34 Depuis plus de quarante ans désormais, le kente fait partie de la culture populaire afro- américaine. Lorsqu’au milieu des années 1960, les nationalistes culturels le découvrent, ils y voient la trace de l’héritage africain des Africains-Américains. À cette époque, le kente représente, parmi d’autres artefacts, le passé africain de ces afro-descendants. L’apparition des afrocentrismes a écarté ces autres supports pour associer l’héritage africain avec cette étoffe de façon plus exclusive. Ils l’ont singularisé et ont encore accentué son rôle de référence à l’Afrique. Plus encore, les intellectuels afrocentristes sont parvenus à le représenter comme l’illustration d’une identité africaine pleine retrouvée par les Afro-Américains grâce à leurs théories. Désormais, porter du kente signifie être fier de ses racines, voire se définir comme un Africain d’Amérique. Réciproquement, être Africain implique de porter du kente. C’est le succès des afrocentrismes. Dans une certaine mesure, ceux-ci ont atteint leur objectif de transformation de l’identité afro-américaine en « identité africaine d’Amérique » déployant à travers le vêtement une apparence spécifique. Cet impératif d’identification à l’Afrique génère une hypervalorisation du kente qui fait aujourd’hui pleinement partie de la culture populaire afro-américaine sans que tous les Africains- Américains adhèrent pour autant aux thèses afrocentristes.

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NOTES

1. Entre le 19e siècle et la première moitié du 20e siècle, Paul Cuffe, Henry Highland Garnet et Marcus Garvey ont été les artisans d’un retour des Africains-Américains en Afrique, notamment en Sierra-Leone et au Liberia. Ils ont organisé ce que l’on nomme le « mouvement pour le rapatriement ». A propos de leurs rôles dans cette entreprise, lire le discours de Henry Highland Garnet, « The American Negro and His Fatherland » prononcé en 1895, celui de Marcus Garvey, « Africa for Africans » prononcé en 1923 et voir Memoir of Captain Paul Cuffe : A man of colour publié en 1811. 2. « Afro-Américains » ou « Africains-Américains » sont deux appellations couramment utilisées pour définir les Noirs américains. La première est apparue dans les années 1970 pour rappeler leurs origines africaines et la seconde à la décennie suivante pour afficher ce que certains considèrent comme une double identité : africaine et américaine. Elles sont aujourd’hui utilisées comme des synonymes, et c’est à ce titre que je les emploie ici indifféremment. 3. Les nationalismes culturels sont des mouvements formés par d’anciens militants pour les droits civiques déçus par la stratégie non violente de Martin Luther King Jr. Ils proposaient aux Africains-Américains de s’identifier à l’Afrique pour lutter contre la ségrégation et refusaient la lutte armée que prônaient les groupes nationalistes révolutionnaires comme les Black Panthers. 4. Les noms mentionnés dans cet article sont les vrais noms de mes interlocuteurs. 5. Un mois par an est dédié à une communauté de la société américaine dont l’histoire et la culture sont célébrées dans les lieux publics comme les écoles et les centres culturels. Le « mois noir » est le mois de février. 6. L’Underground Railroad était devenu un réseau d’esclaves du sud des Etats-Unis qui organisait la fuite des Noirs vers le Nord où leurs conditions de vie étaient meilleures. Il a fonctionné entre 1820 et 1861. 7. Entretien du 10 novembre 2004, Washington. Maulana Karenga est un historien de l’université de Californie. En 1965, il a fondé un groupe nationaliste, l’Organisation US. Il imposait à ses membres de porter des vêtements de style africain. Le dashiki est une tunique à manches courtes et souvent au col échancré porté, aux Etats-Unis, par les hommes comme par les femmes. La Nation of Islam est un groupe nationaliste musulman fondé à Detroit en 1930 par Wallace D. Fard. Cette organisation s’est fait connaître grâce à Malcolm X qui en a été le porte-parole pendant trois ans. Ses membres sont communément appelés les « musulmans noirs ». 8. Entretien du 6 octobre 2004, Brooklyn. 9. Ce modèle, fait de bandes vertes et jaunes sur un fond rouge, est le modèle le plus couramment rencontré aux Etats-Unis. 10. Voir l’image de la rencontre entre Kwame Nkrumah et Dwight Eisenhower, lequel admire le kente du président africain. « Ghana’s Thanks and Advice : Premier Nkrumah asks for understanding of African nationalism », Life Magazine, International Edition, 1er septembre 1958, p. 21.

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11. Le Black Panther Party for Self-Defense est un groupe nationaliste créé en 1966 par deux étudiants californiens, Huey P. Newton et Bobby Seale. Il est également nommé les « Black Panthers ». Engagés dans la lutte contre la ségrégation, ils appelaient à la lutte armée. 12. BARTS (Black Arts Repertory Theater/School), OBAC (The Organization of Black American Culture) et Africobra (African Commune of Bad Relevant Artists) regroupaient des artistes afro-américains qui choisirent de rompre avec les codes esthétiques occidentaux de la peinture et de la sculpture et de traduire leur engagement nationaliste dans leurs travaux. Voir l’article de Kirstin Ellsworth dans ce volume. 13. Voir Filàs for Sale, Nigerian Impression Series, 1972. Peinture à l’huile sur toile. 14. Richard, 12 octobre 2004. 15. Entretien du 1er décembre 2004, New York. 16. Entretien du 20 septembre 2004, New York. 17. Kwanzaa est une fête créée en 1965. Son nom est dérivé du mot swahili « kwanza », et signifie pour Karenga « les premiers fruits de la récolte ». Elle se déroule du 26 décembre au 1er janvier. C’est une fête de famille et communautaire. Voir à ce sujet Sarah Fila-Bakabadio (2002). 18. Entretien du 27 septembre 2004. 19. Entretien du 10 novembre 2004, Washington. 20. Ces « foires africaines » présentes dans chaque état des Etats-Unis, regroupent des artisans, des commerçants et des artistes qui y vendent leur production. A propos de la commercialisation par les Afro-Américains de tissus africains, voir les articles de Paul Stoller (1996, 2003) qui décrivent les réseaux de distribution d’objets africains aux Etats-Unis, notamment les tissus. 21. Lire pour exemple les ouvrages de deux afrocentristes Molefi Asante (1988), Afrocentricity, et Clinton M. Jean (1991), Behind the Eurocentric Veils : The Search for African Realities, qui défendent tous deux l’idée d’une africanité à retrouver par chaque afro-descendant. 22. Voir Guedj 2005, et l’article de Pauline Guedj dans ce volume. 23. En 1993, le roi, Opoku Ware II, attribue à Molefi Asante, le titre de vassal : « Nana Okru Asante Peasah ». 24. Cette expression afrocentriste désigne les peuples africains par opposition aux Afro- descendants considérés comme des « Africains de la Diaspora ». 25. Henri-Pierre Jeudy évoque même une menace de « disparition des ressources naturelles et culturelles, dans un théâtre de catastrophe possible » (Jeudy 1990 : 2). 26. L’eurocentrisme désigne une manière ethnocentriste de voir le monde que les « Occidentaux » ont eu sur le monde, particulièrement pendant la traite transatlantique et la colonisation de l’Afrique. 27. Les symboles adinkra sont des idéogrammes utilisés par les Akan comme une forme d’écriture. Les croix ansées sont les croix des égyptiens anciens. Elles sont portées par de nombreux afrocentristes en pendantifs ou en bagues. 28. Ces remarques reposent sur des enquêtes menées dans les milieux afrocentristes depuis 1999. Elles s’appuient sur des entretiens ainsi que sur des travaux de recherche. Voir aussi Sarah Fila-Bakabadio, Updating Afrocentrism, Minneapolis : Université du Minnesota, 2000.

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RÉSUMÉS

Depuis des siècles, la représentation au quotidien des origines africaines des Africains- Américains est un dilemme. Parmi les manifestations qui rendent aujourd’hui visibles ces origines, les tissus kente sont désormais devenus un signe emblématique incarnant le passé africain. Depuis les années 1990 et l’apparition de discours afrocentristes qui célèbrent l’union des Africains-Américains avec l’Afrique, le kente est devenu une référence incontournable. Tel un serment renouvelé d’interdépendance entre une identité africaine-américaine et ses racines africaines, le port du kente lors de rencontres communautaires dénote une valorisation de ces racines, voire une redéfinition de celles-ci dans une perspective afrocentriste radicale. Cet article explore le rôle du kente dans les processus de redécouverte d’un héritage africain et s’interroge sur l’influence des afrocentrismes sur les représentations populaires du passé des Africains- Américains.

The daily representation of African-Americans’ African origins has long been a dilemma. Among the expressions which nowadays make visible these origins, kente cloth has become an emblematic sign representing an African past. Since the 1990s and the emergence of Afrocentric discourses which celebrate Africans-Americans’ unity with Africa, kente has become an inexorable reference. Like a renewed oath of interdependence between the African-American identity and its African roots, wearing kente for community meetings illustrates a desire to enhance these roots and, sometimes, to define them following radical Afrocentric interpretations. This article explores the role of kente in rediscovering an African heritage and questions the impact of Afrocentrisms on popular representations of the past of African- Americans.

INDEX

Mots-clés : Afrocentrisme, anthropologie du vêtement, Etats-Unis, Ghana, identité, kente Keywords : Afrocentrism, Anthropology of Cloth, Ghana, Identity, Kente, United States of America

AUTEUR

SARAH FILA-BAKABADIO Membre du centre d’études nord-américaines de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et du laboratoire MASCIPO (CNRS/UMR 8168). Ses recherches portent sur les relations des Africains-Américains à l’Afrique depuis le 19e siècle jusqu’à nos jours. Elle vient d’achever une thèse sur l’histoire intellectuelle des afrocentrismes aux Etats-Unis. [[email protected]]

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Afrocentrisme et littérature Le cas de l’écrivain noir américain John Edgar Wideman

Bénédicte Monville de Cecco

L’Afrocentricité nous presse, nous commande de nous réinscrire, de nous repenser comme sujets de notre propre existence et d’en tirer, de façon systématique, toutes les implications. Il s’agit-là d’une démarche profondément révolutionnaire qui assène un coup fatal à la prétention et à l’arrogance occidentales dans la mesure où elle n’exige rien de moins qu’une rupture épistémologique d’avec l’Occident et une reconstruction volontaire et consciente de nous- mêmes sur des bases africaines. (Ama Mazama, « Introduction à la traduction française », in Molefi Kete Asante 2003 : 5) … to become a writer committed to telling the truth about color and oppression, a writer who exposes the lies of race and reveals how the concept of race is used as a weapon to destroy people. (John Edgar Wideman 2008 : 4)

1 Le dynamisme de la littérature de fiction nord-américaine qui s’affirme comme un des épicentres de la modernité littéraire, l’existence d’une figure d’écrivain noir constituée et sa relation complexe aux champs littéraires, national et international, la trajectoire sociale de l’écrivain noir John Edgar Wideman, sa reconnaissance et sa lucidité en font une personnalité d’écrivain hors du commun. La réflexion sur la vie et l’œuvre de cet auteur semble être un point de départ idéal pour définir et cerner les relations qu’entretiennent Afrocentrisme et littérature aux Etats-Unis.

2 En effet, l’exigence afrocentriste place l’Afrique et les cultures humaines qui la composent au centre de toute démarche artistique ou intellectuelle1. L’Afrique sera donc la référence essentielle des discours que j’analyserai. Car l’écrivain John Edgar

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Wideman et sa littérature participent à la structuration de pratiques sociales dans le cadre desquelles les individus mobilisent l’Afrocentrisme comme une catégorie possible d’entendement. Sans se déclarer forcément « afrocentrée »2, la critique littéraire de l’œuvre de John Edgar Wideman révèle, souvent, l’acculturation de ceux qui parlent ou écrivent aux principes de l’Afrocentrisme. L’analyse anthropologique de ces discours et de la démarche de l’écrivain renvoie aux schémas cognitifs et aux canevas discursifs qui concourent à la production sociale de l’Afrocentrisme aux Etats-Unis. Elle interroge les conditions de l’institutionnalisation d’une figure d’écrivain « africain-américain », celles de la formation et de la reproduction d’une orthodoxie littéraire, et celles du privilège épistémologique de ses promoteurs.

« The Astonishing John Edgar Wideman »

3 John Edgar Wideman est né en 1941 à Washington D.C. Il grandit d’abord à Homewood, ghetto noir de Pittsburgh en Pennsylvanie, où sa famille est installée depuis plusieurs générations. Il a dix ans quand ses parents déménagent à Shadyside, un quartier blanc, dans l’espoir de garantir à leurs enfants une meilleure éducation scolaire. Wideman y entre au lycée où il excelle scolairement et devient capitaine de l’équipe de basket.

4 En 1959, il obtient le Benjamin Franklin Scholarship qui lui permet d’intégrer l’université de Pennsylvanie à Philadelphie ; il est l’un des six étudiants noirs du campus, me dira-t- il. Suivent une série de distinctions académiques prestigieuses jusqu’à l’obtention, en 1963, du Rhodes Scholarship, grâce auquel il part étudier deux ans à Oxford en Angleterre. La même année, Look Magazine consacre un article au brillant étudiant et remarquable joueur de basket ; « The Astonishing John Edgar Wideman ». Il a 22 ans et déclare qu’être noir n’a encore jamais constitué pour lui un réel handicap3. Trois ans plus tard, en 1966, il est admis à participer au prestigieux Iowa’s Writers’ Workshop et termine son premier roman.

5 En 1983, John Edgar Wideman reçoit le PEN/Faulkner Award pour son livre Le rocking- chair qui bat la mesure. En 1984, son essai Suis-je le gardien de mon frère ? est nominé pour le National Book Award. En 1990, son roman L’incendie de Philadelphie4 est distingué par un second PEN/Faulkner Award. C’est la première fois dans l’histoire du prix qu’un écrivain est primé deux fois. En 1993, John E. Wideman est récompensé par le MacArthur « Genius » Fellowship. En 1995, son livre Fatheralong : A Meditation on Fathers and Sons, Race and Society est à son tour nominé pour le National Book Award. La liste n’est pas exhaustive.

6 En fait, la carrière de John Edgar Wideman impressionne par la fulgurance et l’exceptionnalité de sa réussite. Il compte parmi les écrivains américains contemporains les plus importants.

Le thème de la conversion

7 Les critiques s’accordent pour distinguer dans la carrière littéraire de Wideman deux moments5. Le premier correspondrait à la publication de ses trois premiers romans et à la production d’une littérature « eurocentrée » par un écrivain en état de sujétion intellectuelle. Le second, à la production d’œuvres marquées par une démarche artistique plus « afrocentrée », par un écrivain affranchi.

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8 Son premier roman A Glance Away (1967) vaut à Wideman ses titres de noblesse littéraire. C’est la comparaison avec des écrivains modernes irlandais et anglophones et la capacité de l’écrivain à sortir des supposés poncifs qui caractériseraient la littérature de ses pairs, écrivains noirs, qui servent au critique du New York Times à nous assurer de son talent. He [John Edgar Wideman] has all sorts of literary gifts, including a poet’s flair for a taut, meaningful, emotional language. With this book, another young Negro writer has established himself in a vein of contemporary American fiction ; another craftsman has learned, from Irishmen like Liam O’Flaherty and James Joyce, what makes the world of words and the interaction of dreams reach the sensual state of literature. (…) This book, however, develops an enormous objectivity in it characterizations. Mr. Wideman has written a powerfully inventive novel (Roskolenko6, le 10 septembre 1967).

9 En 1970, il publie son deuxième roman Hurry Home et, dans le même journal, un autre écrivain-critique reproche à Wideman de donner du ghetto noir américain une vision dépassée et conciliante. While many of the scenes take place in the urban ghetto of the mid-sixties, the ambiance is that of an earlier, less volatile decade. Little or no mention is made of such timely realities as mass violence, and the protagonist, an educated and articulate man, is chary of all but the most conciliatory politics (Joseph Goodman, le 19 avril 1970).

10 Keith E. Byerman, professeur à Indiana State University et spécialiste de littérature africaine américaine, considère que ces deux premiers romans ont été l’objet d’une attention critique relativement faible « parce que leur engagement moderniste manifeste les place hors des modèles conventionnels de la littérature africaine américaine »7. En 1973, The Lynchers conclut la première phase de la carrière littéraire de Wideman. Pour Raymond E. Janifer, professeur d’anglais à l’Université de Shippensburg, c’est un roman de transition. Un point de vue partagé par James Coleman qui remarque, dans l’essai qu’il consacre à l’auteur, que malgré l’importance croissante de la « tradition historique et culturelle et du langage noirs » dans ce roman, Wideman ne parvient pas encore à cette voix noire pleine et mature qui caractérisera sa Trilogie de Homewood8 (1989 : 44 et 153).

11 Cette représentation de la carrière littéraire de John Edgar Wideman avec son moment central, marqué par huit années de silence, est partagée par l’ensemble de la critique. Elle dessine l’image récurrente de la conversion de l’écrivain à un art plus authentiquement « africain américain » (Byerman 2006 : XII). Représentation confortée par le discours de l’écrivain lui-même qui reconnaît avoir modifié sa manière d’écrire et s’être davantage inspiré de sa culture d’origine. « By 1973 I’d published three critically acclaimed novels. It was hard to admit to myself that I’d just begun learning how to write, that whole regions of my experience, the core of the language and culture that nurtured me had been barely touched by my writing up to that point » (Wideman, cité par Bonetti 1998 [1985] : 47).

12 Pourtant, si ce dernier sacrifie partiellement au motif de la rupture, il souligne la cohérence d’un parcours qui ne peut être compris que dans sa continuité. « One way they differ is simple enough, and that is I get older, and as I get older, maybe I become exposed to more. And I think also I grow. … I hope I am growing more independent » (in Coleman 1989 : 148).

13 Or, Dorothéa Mbalia, critique résolument afrocentriste, envisage ce changement d’état, d’un écrivain dominé par « l’histoire, la culture et le langage de l’Europe » à un écrivain

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qui « accepte et apprécie l’histoire, la culture et le langage africain », comme une conversion radicale. La culture académique de Wideman aurait été éradiquée et remplacée par sa culture africaine, la seule qui compte vraiment, et qui lui aurait enfin été révélée. In his acceptance of his past mistakes, in his struggle to come up with answers that will prevent future fires that originate from Africans’ own self-hatred (…) Wideman redeems himself. In many ways then, Philadelphia Fire is about Wideman’s own internal fire, a fire that completely burns out the old European-centered perspective and gives birth to a new African-centered one. It is a baptism of fire that whips the intellectual Wideman home, that drives him to reclaim his African personality, just as it drives Cudjoe home : Back Again, Black Again. Home (Mbalia 1995 : 97).

14 Ce discours, pétri de religiosité (« redeem », « baptism »), témoigne une vision manichéenne de l’évolution de l’écrivain cohérente avec la théorie afrocentriste9. L’intellectuel « africain » sera, en dernière instance et quelque soit son degré d’aliénation, touché par la grâce de l’afrocentricité et échappera au destin identitaire minoritaire qui lui était réservé. Although his early works are disapointingly Eurocentric, his later works document his efforts to reclaim the African Personality. These later works, the stories of John Edgar Wideman in particular, reflect Wideman’s awareness that no matter where African people live throughout the world, they share a common oppression and a common history. These later works also demonstrate that change does indeed occur, that African people no matter how far outside the fold they may have wandered, can return and redeem themselves by servicing African people and their communities (Mbalia 1995 : 9).

15 Marginale dans sa forme totalitaire, cette interprétation afrocentriste sous-tend cependant le sens de nombreuses critiques qui insistent sur l’évolution individuelle de l’écrivain et conçoivent des systèmes culturels clos et incompatibles. « Wideman embracing Afrocentrism and combining it with the folklore of the traditional African-American ethnic culture afforted him the opportunity to resolve his ‘psychic duality’ complex » (Janifer 1997 : 15). Ce faisant, elles ignorent les composantes structurelles-clés de son expérience de vie, négligent les processus sociaux d’inscription identitaire, et en particulier, selon les mots que Pierre Bourdieu mettait sur sa propre expérience, « l’effet durable d’un très fort décalage entre une haute consécration scolaire et une basse extraction sociale, c’est-à-dire l’habitus clivé » (Bourdieu 2004 : 127), à quoi s’ajoute ici une appartenance « raciale » stigmatisée. « I talked to you about my own life experiences, how so much was crammed in a very short period. That creates dislocations, crazy juxtapositions. One day at home, I have to stomp on a roach ; next day, I am eating caviar and drinking Stolichnaya » (Wideman, in Samuels 1998 [1983] : 29).

16 Car la personnalité de cet écrivain ne saurait être envisagée comme l’expression de stratégies arbitraires dans la mesure où celles-ci, qu’elles soient le fait de l’écrivain ou de ceux qui le reçoivent, subissent la contrainte de formes culturelles existantes qui sont elles-mêmes le produit et le support de luttes sociales. Dans les termes de Frantz Fanon : « Et voilà, ce n’est pas moi qui me crée un sens, mais c’est le sens qui était là, préexistant, m’attendant. Ce n’est pas avec ma misère de mauvais nègre, mes dents de mauvais nègre, ma faim de mauvais nègre, que je modèle le flambeau pour y foutre le feu afin d’incendier ce monde, mais c’est le flambeau qui était là, attendant cette chance historique» (Fanon 1952 : 109).

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La constante africaine

17 Les partisans de l’afrocentricité postulent un rapport d’identité entre les Noirs américains et les Africains. « (…) because African and of course Afro-American are close and at a lot of point not separable (…) » (Coleman 1989 : 153). Ils récusent l’existence d’une identité prescrite et dégradée qu’ils tentent de dépasser en en élargissant les contours de manière à y inclure d’autres Noirs et en particulier des Africains10. Ils requalifient les Noirs américains en « Africains » ou en « Africains américains » et entendent témoigner de l’identité ethnique (plus rarement raciale11) des Américains noirs sur la base d’une identité africaine postulée. Or cette idée que « les Africains américains sont un groupe ethnique africain dont les membres sont citoyens des Etats-Unis d’Amérique »(Asante et Mazama 2005 : 8), qui a pu constituer une réponse politique forte aux tentatives d’isolement et de relégation, sociale et politique, de la population noire aux Etats-Unis, n’est possible qu’au prix d’un révisionnisme historique qui nie le rôle social déterminant de l’institution esclavagiste. « Les Noirs sont incités, si ce n’est à oublier l’expérience de l’esclavage qui apparaît comme une aberration dans le récit grandiose de l’histoire africaine, du moins à replacer celle-ci au centre de leur réflexion et à l’associer à une idée mystique et implacablement positive de l’Afrique (…) » (Gilroy 2003 : 250). En effet, l’Afrocentrisme considère l’esclavage comme « le lieu de la victimisation des Noirs, et donc l’effacement programmé de la tradition » (Gilroy 2003 : 249) et l’expression « slave mentality »12 que la critique Dorothea Mbalia emploie plusieurs fois pour qualifier l’écrivain Wideman des premières œuvres est significative d’une vision de l’esclave comme d’un être totalement aliéné au modèle dominant contradictoire avec l’historiographie de l’esclavage13.

18 Dans Où se cacher, Tommy, sorte de double fictionnel du plus jeune frère de Wideman, pense en observant la cahute où vit Bess, son arrière grand-tante : « C’est tout ce qu’y a hormis le fourneau et les étagères le long des murs, à peu près comme si elle vivait oubliée au fin fond de nulle part où les nègres vivent encore comme des Africains ou des esclaves » (2006 [1981] : 112). Ces trois figures nettement distinguées du nègre, de l’esclave et de l’Africain ne recoupent en aucune manière celles convoquées par Asante, théoricien de l’afrocentricité ; « Ainsi, si l’on veut se concentrer sur l’étude des Africains des cités du Nord-Est des Etats-Unis, ce qui est raisonnable, il faut le faire en gardant à l’esprit l’idée que les gens qu’on étudie sont des Africains, pas des « nègres made in America » sans profondeur historique » (Asante, cité par Gilroy 2003 : 250). Bess, quant à elle, déclare ; « On laisse tomber les chiffres pairs. On les donne aux Blancs. Ils aiment quand deux et deux font quatre. Deux-quatre-six-huit-dix. Deux par deux, quatre à quatre et dix petits Indiens en file indienne. Ils aiment les trucs qui ont des angles, les trucs qu’on peut casser en deux, les trucs ayant une nature qu’on peut dompter » (2006 [1981] : 206). Réminiscences ou non du texte d’Aimé Césaire Cahier d’un retour au pays natal : « Parce que nous vous haïssons vous et votre raison, nous nous réclamons de la démence précoce de la folie flambante du cannibalisme tenace (…) /Et vous savez le reste /Que 2 et 2 font 5 (…) » (1994 : 26). Chez Wideman, l’acte d’énonciation a un effet performatif immédiat et l’écrivain actualise les représentations contrastées de deux raisons opposées l’une à l’autre. Cette revendication ironique d’une identité prescrite, en l’occurrence celle du Noir comme d’un individu dissipé et irrationnel incapable de prendre part au gouvernement raisonnable d’une nation moderne et démocratique14 s’inscrit dans une tradition intellectuelle qui entend, dans

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les années 1930-1950, « ébranler » les assises symboliques d’un pouvoir raciste en inversant la valeur de ses représentations. Il ne s’agit pas de retrouver une africanité perdue mais de dénoncer l’arbitraire et la fonctionnalité d’images racistes qui pèsent sur le devenir du Noir américain. Car la racialisation de l’identité noire aux Etats-Unis apparaît historiquement comme la justification ultime à un ordre social esclavagiste et post-esclavagiste où des couleurs de peau sont réduites à une couleur de peau commuée, assez vite, en une identité « noire ». Laquelle, réifiée en une série de préjugés racistes, constitue l’explication ultime au bien fondé de l’exploitation économique et de l’aliénation politique de la population noire américaine et de la suprématie blanche. « Les esclaves deviennent une masse anonyme dissipée, non fiable et paresseuse. Ils s’opposent au « freeman » libre politiquement et indépendant économiquement qu’ils contribuent à définir » (Wacquant 2005 : 135). Après la guerre civile, cette représentation est réactualisée par la réaction raciste qui est l’occasion pour la nation américaine de se réunir en une nouvelle narration où les Noirs en général deviennent des objets de haine, ceux contre lesquels les deux bords peuvent s’unir et se réconcilier.

19 Dans ce contexte, Wideman ne postule aucune identité ethnique entre les Noirs américains et les Africains mais des analogies structurelles et un lien historique qui privilégient, par exemple, la comparaison du destin des jeunes hommes noirs aux Etats- Unis avec celui des Xhosas d’Afrique du Sud. Abattu. Abattoir. Les jeunes Noirs s’abattent entre eux. Se tuent. Abattus. Abattoir. (…) Le bétail est le peuple. Le peuple est le bétail. Chanson d’amour dans le temps. Puis chant funèbre. Cette image le hante. Le peuple xhosa tuant son bétail, se tuant, un monde qui se défait (1998 [1996] : 18).

20 Car, son œuvre multiplie les références aux sociétés et aux cultures africaines qui deviennent des métaphores possibles du monde américain contemporain. En effet, l’écrivain déclare travailler à la reconstruction du sens de la réalité ; « And Reuben himself, the charactère within the novel, is engaged in a struggle that I think I’m engaged in as a writer outside the novel, creating and sustaining a version of reality to compete with those destructive versions which are tearing us apart » (Wideman, in Coleman 1989 : 152). Partant, il modifie les références à l’aune desquelles nous construisons les représentations qui tiennent l’ordre en place ; « You can understand the American experience or the Afro-American experience in Kongo terms as well as in terms of Calvinism and Protestantism and Roman Catholicism and Western humanism. Those are ways, those are containers-jails for culture-which don’t explain everything that needs to be explained, so I’m looking for other explanations » (Wideman, in Coleman 1989 : 154).

21 Wideman remplace momentanément un système de référence par un autre en livrant, par exemple, les réflexions d’un Africain arraché à sa terre, il témoigne de la relativité des points de vue et du caractère culturel des perceptions et des représentations. Nous avions entendu chez nous, en Afrique, avant que d’avoir été kidnappés, parler de cannibales qui vivaient de l’autre côté de la grande eau. Le premier jour que je passai à la tannerie, abasourdi par le vacarme, la puanteur, les fleuves de sang, j’eus peur d’être tombé à l’endroit même où les mangeurs d’hommes au visage rose préparaient leur monstrueux festin (1998 [1996] : 137).

22 Mais nous sommes ici très loin d’une critique afrocentriste dogmatique qui érige les catégories esthétiques édifiées par les individus en systèmes antagonistes et exclusifs : les personnages de Wideman ne sont jamais parfaitement dupes du caractère politique et culturel de ces catégories. Albert Wilkes, saisi par la beauté d’une femme blanche

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qu’il retrouve après sept ans d’absence, se souvient de ce père brutal qui le renvoyait à sa condition de « nègre ». Il se rappelle les seuls mots prononcés par son père et restés dans son souvenir : Ta tête de noir est pas faite pour un oreiller de satin. Baffe à l’appui, qu’il en voit trente-six chandelles (…) N’empêche que du satin, il en avait des kilomètres carrés, là, sous les yeux, et bel et bien du satin sous sa tête de noir lorsque sa julie se refaisait toute belle, toute douce, toute parfumée dans une salle d’eau plus grande que toute la cabane qu’ébranlait de sa grosse voix son papa. Une belle julie plus blanche que les rêves les plus blancs de son papa. Blanche à en pouvoir être noire si elle le désirait. Parler comme les nègres, se conduire comme les nègres. Traiter les blancs comme les nègres aimeraient le faire. Etre noire quand ils jouent sous ces draps de satin. (…) (2008 [1983] : 97-98).

23 Le lecteur comprend, bien que le rapport ne soit jamais explicitement énoncé, que le bonheur sincère d’Albert Wilkes à aimer une femme blanche est au moins partiellement lié à la revanche qu’il prend sur le destin que lui promettait sa condition sociale dont la violence symbolique était incarnée par la violence paternelle. Il sait que, dans cette société raciste, les processus de prescription identitaire conditionnent des attitudes de « nègre », qu’on « parle comme un nègre », qu’on « bouge comme un nègre », qu’on devient « nègre » dans un devenir « nègre » de la société toute entière et qu’il n’est pas possible à ceux qui ont la peau noire de s’y soustraire totalement.

24 Aussi, l’interprétation critique afrocentriste limite considérablement la portée anthropologique de la démarche de l’écrivain quand elle se cantonne à remarquer qu’en introduisant des éléments de culture orale, c’est-à-dire en empruntant des motifs culturels à un monde noir américain considéré, à tort ou à raison, comme un monde oral, l’écrivain reconnaît la proximité entre les Noirs américains et les Africains ; « Samuels : May. Again, there is a character like her in your short stories. And the one thing that stuck me about her is that she is a kind of griot, in the African sense : she is the story teller, the family historian who knows the lore of the family » (Samuels 1998 [1983] :14). Elle ignore les tensions et les conjonctions qui caractérisent les situations d’interface entre l’oral et l’écrit15. Le retour à contresens de l’écrivain sur la ligne horizontale d’une évolution linéaire qui comprend le rapport entre l’oral et l’écrit comme un rapport hiérarchique, qui n’est autre que la projection vulgaire de l’opposition entre raison graphique et raison orale, déconstruit le rapport hiérarchique dont on peut identifier l’empreinte à tous les niveaux de la société ; de la relation de l’esclave au maître, à celle, aujourd’hui, de l’illettré marginalisé au lettré intégré16. Elle méconnaît que, ce faisant, l’écrivain questionne les représentations qui soutiennent et naturalisent les rapports de domination et elle occulte la dimension strictement sociale des mécanismes culturels de domination qui inhibent les membres des classes populaires en imposant une idée très conservatrice de ce qu’il est ou n’est pas possible d’écrire. Wideman : (…) So I started with a very conservative idea about what was okay to reveal and what wasn’t okay to reveal, combined with the powerful cultural imperative that you don’t tell most of what you know. It would get you in trouble. Interviewer : Baldwin writes about that. Wideman : It’s crucial. You can find the same proverbs among Russian cerfs. Interviewer : It’s the underclass, whatever that class is. Wideman : Exactly. You can’t speak what’s on your mind, you can’t be frank with people because it will be used against you. Your language and your customs, etc. revolve around the hard, cold facts of your servitude, of the oppressed state that you live in (Bonetti 1985 : 54).

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25 Certes, l’esthétique « afrocentrée » construit une subjectivité qui permet à l’individu noir d’échapper à la honte à laquelle il est socialement voué sans pour autant tomber dans les travers de la haine de soi. Mais l’Afrocentrisme remplace souvent, des savoirs constitués et des pouvoirs établis par de nouveaux savoirs et pouvoirs qui entendent l’identité noire non plus relativement à l’étalon homme-blanc-adulte-libre-middleclass- hétérosexuel mais à une nouvelle constante, « africaine » cette fois. Ce faisant, il substitue au sujet racisé humilié un sujet racisé et fier de lui-même. En déniant le caractère relationnel des identités qu’il réifie, il échoue à sortir des modèles essentialistes de l’identité.

Wideman : un écrivain africain-américain ?

26 Les éditeurs du dernier recueil d’essais consacré à l’écrivain, publié en 2006 et seul de cette envergure, notent en quatrième de couverture que » malgré des perspectives critiques diverses, les contributeurs placent Wideman au centre de la littérature africaine américaine en tant qu’exemple des approches postmodernes en littérature » (je traduis, in TuSmith et Byerman (éds) 2006). On peine à comprendre ce que signifie cette proposition si on n’interroge pas le rapport qu’entretiennent « la littérature africaine américaine » et « la littérature », distinguées et instituées par le discours de la critique littéraire.

27 En effet, à l’instar de Dorothea Mbalia17, Raymond E. Janifer ou James W. Coleman, de nombreux critiques affirment l’existence d’une littérature « africaine américaine » avec ses propres standards. De fait, les écrivains noirs sont systématiquement renvoyés à des catégories spécifiques, des étagères des librairies « African American Fiction », aux anthologies, « African American Literature », en passant par les départements des universités où leurs œuvres sont enseignées, « African American Studies ». Pourtant, la trajectoire de John Edgar Wideman, aux confins des champs littéraires « africain américain » et « américain », relativise la vision afrocentriste d’un champ littéraire africain américain autonome. En avril 2005, lors d’un entretien qu’il m’accordait à New York au moment où sa nouvelle consécration internationale stabilisait sa position nationale, Wideman me déclarait : Here is the funny problem for a person like myself. For people who are organizing these little shelves, I’m somebody in between. I’m not black enough for the black shelves and too black for the white shelves, so « ain’t no shelves ! » It’s very discouraging in that sense : too experimental for the traditional, too traditional for the experimental. I mean you just begin to wipe out whole careers, you begin to wipe out the people who are attempting to work « between » who are attempting to merge genre as a merge category, broaden a kind of political or aesthetic frame in which these categories exist. But that’s ok. That’s the way it has always been in the world of literature. If you wanna do something different you’re gonna bump into people who don’t want to hear something different, read something different. I don’t know how you solve that problem (Wideman, in Monville De Cecco 2005).

28 Ici, la théorie des champs et la notion d’habitus clivé élaborée par Pierre Bourdieu s’avèrent d’une grande utilité pour appréhender les relations qui, au sein de la société globale et du champ littéraire en particulier, rendent intelligible son expérience spécifique. En fait, l’écrivain qui ambitionne de devenir un « world class writer » doit,

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pour atteindre le sommet de la hiérarchie littéraire, satisfaire aux canons littéraires dominants. All of us grow up very confused and I thought writing was something that was connected with Europe. The matter of Europe. I didn’t want to be a good American writer, let alone a good black writer. I wanted to be world class, man, and to be world class you had to be Thomas Mann and you had to be Marcel Proust and you had to walk along the Champs Elysées and you had to know bullfights (Wideman, in Bonetti 1998 [1985] : 44).

29 Pourtant, si l’acculturation de l’écrivain Wideman, qui avait préalablement dû se plier aux exigences des systèmes scolaires et universitaires, fut la condition nécessaire pour son incorporation au courant dominant du champ littéraire, elle ne fut cependant pas suffisante à assurer sa visibilité nationale. To write the very best, didn’t you have to cheat a little, didn’t you have to « transcend Blackness » ? Didn’t you have to ground yourself in an experience that was outside… Homewood ? Didn’t you have to show you were part of a larger world ? Didn’t you have to show continually your credentials with allusions to the « great writers » – the great traditions ? (Wideman, in Samuels 1998 [1983] : 17).

30 C’est que la position spécifique de l’écrivain en fait une figure possible de l’autonomisation du champ littéraire. En effet, aux dispositions déterminées par l’appartenance sociale se conjuguent des dispositions déterminées par l’appartenance à une catégorie « raciale » stigmatisée qui, une fois constituée et à condition que perdurent les circonstances politiques qui en assurent la reproduction, en raison de la nature même du seul critère objectif18 à partir duquel elle se constitue, la couleur de la peau, devient indépassable19. « L’identité noire », capable de rassembler des hommes que leurs différences sociales et statutaires distingueraient fortement, pose, dès lors, le problème de la complexité de la construction des habitus. « L’injure » (au sens où la définit Didier Eribon) permanente que représente le racisme de la société américaine est « constitutive de la subjectivité des individus stigmatisés » (Eribon 1999). Ainsi, l’écrivain déclare ressentir l’inconfort d’une position privilégiée au sein de l’académie, marquée par la précarité de sa position au sein de la société toute entière : « Of course I felt privileged to have a job there [The University of Pensylvannia] and lucky to be in a position to perkage of the bounty, but then again a destructive kind of guilt came along with the goodies. I was a black face in a white sea (…) » (Wideman, in Rowell 1998 [1989] : 91) ; « Que je sois écrivain et professeur de littérature à l’université, je suis Noir. Robby est mon frère. Ces faits m’incrimineraient toujours » (Wideman 1992 [1984] : 27).

31 Il devient un insider/outsider20, comme il se définit lui-même21, ce qui rend problématique son acculturation totale aux valeurs dominantes des champs du pouvoir politique et du pouvoir économique et le place d’emblée dans une situation favorable face au champ artistique. Car, aux Etats-Unis, la sincérité de l’engagement philanthropique de milliers de fondations, mécènes et universités qui dominent l’univers culturel est garantie par l’indépendance de leurs politiques artistiques à l’égard des pouvoirs politique et économique qui, par ailleurs, les ont instituées22. Partant, l’écrivain suscite les expectatives de la critique la plus autonome, le plus souvent des écrivains, dont les choix relèvent aussi de stratégies qui visent à assurer leur propre position et légitimité23. D’où, d’une part, cet empressement, que nous relevions en première partie, à exiger de Wideman, après la publication de son deuxième roman, une plus grande radicalité et, d’autre part, une certaine réticence à lui accorder une attention critique, qui tarda d’ailleurs à arriver24.

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32 C’est ainsi que le jeune écrivain noir dominé, rompu aux canons littéraires dominants, gagne en prestige et en reconnaissance en transformant son vécu, qui lui vaut par ailleurs d’être humilié, en matière littéraire. D’où, l’effet d’autonomisation que la captation de son œuvre et de sa personnalité d’écrivain peut avoir pour le champ littéraire. Mais, cette dynamique n’opère que dans la mesure où l’écrivain accepte momentanément l’autorité de formes reconnues. Aussi, la démarche artistique de Wideman n’entretient pas un rapport antagonique avec celle des écrivains intégrés au courant dominant du champ littéraire. Il existe au contraire un rapport de connivence dans la continuelle réinvention à la marge de formes littéraires qui reproduisent les conditions de l’autonomie du champ et assurent à leurs promoteurs une position centrale. I felt that I had to prove something about black speech for instance, and about black culture, and that they needed to be imbedded within a larger frame. In other words, a quote from T.S. Eliot would authenticate a quote from my grand-mother. Or the quote from my grand-mother wasn’t enouth, I had to have Joycean allusion to buttress it, to keep an awarness that « Hey, this is serious writing and this guy’s not just a solitary black voice, but he knows the things that you know, he’s part of the shared culture » (Wideman, in Bonetti 1985 : 51).

33 Autrement dit, il s’agit bien de témoigner, à l’instar de Raphaëlle Rérolle dans Le Monde, à la fois de la rupture et de la continuité d’une œuvre qui revitalise la littérature en remettant en cause les formes qui font autorité et qui, garanties par des autorités, en légitiment, dans un mouvement réciproque, l’autorité ; « Mieux qu’un épais bâton de dynamite, ses textes font voler en éclats les frontières d’une langue imposée par la culture dominante, celle des Blancs ; et cela en demeurant [de] magnifique[s] morceau[x] de littérature et de passion » (15 avril 2000).

34 En bousculant à la fois l’orthodoxie littéraire et l’autorité des « orthodoxes » de la littérature, Wideman travaille à la reproduction des conditions de l’autonomie du champ. La critique afrocentriste ne dit rien d’autre quand elle rapproche les techniques littéraires qu’il utilise de formes culturelles africaines tout en affirmant que la modernité de son œuvre réside justement dans sa capacité à miner les fondements de l’orthodoxie littéraire. Pourtant, lorsqu’elle comprend son utilisation de la poly- focalisation comme une expression de son africanité retrouvée, elle trahit une vision stéréotypée de l’Afrique comme d’une entité indivisible et construit une autre chapelle.

35 C’est bien la position particulière de John Edgar Wideman et des producteurs culturels noirs en général, face à ce que l’écrivain désigne comme le courant dominant aux Etats- Unis qui les met en situation de l’amender. Cela ne signifie pas qu’ils transforment tous « l’essai ». D’autant que la force de la majorité réside dans sa capacité à intégrer, c’est- à-dire, à « naturaliser » ou, au contraire, à marginaliser ce qui, autrement, remettrait en cause son pouvoir symbolique. Lequel a pour enjeu « la formation » et la « ré- formation » des « structures mentales » (Bourdieu 1982). Si, la pratique de la littérature peut être considérée comme relevant d’une stratégie d’identification de la part de l’écrivain qui se soustrait ainsi partiellement à la contradiction de la double prescription d’assimilation à l’identité dominante et d’assignation à une identité minoritaire, cette stratégie s’inscrit dans une histoire culturelle qui en détermine les limites. La constitution d’un champ littéraire « africain américain » avec ses propres instances de légitimation apparaît comme un moyen habile de préserver les catégories du statu quo.

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There is an Afro-American, tradition. There are Afro-American writers working right now ; It makes sense to talk about them as a group, or about certain ways that their work relates. It is natural ; it is enlightening ; it is intelligent to do it that way, but, at the same time, to do that perpetuates the « bad side » of the whole notion of looking at things in black and white ways (Wideman, Samuels 1998 [1983] : 22).

36 Dès lors, la position de John Edgar Wideman au sein du champ littéraire états-unien ne peut que raviver chez l’auteur la conscience de sa position d’Américain noir dominé dans la société globale et renforcer sa solidarité avec ses pairs. Tout comme elle irrigue une œuvre qui n’a de cesse d’interroger les mécanismes de la domination. But as I said before, the whole vexed relationship of Black literature to the mainstream, the inability of critics to treat Black literature as technique, as art, the tendency of critics to use Black literature as a way of trying to put forward certain ideological concerns and points of view-that has been a disaster for all Black writers (Wideman, in Samuels 1983 : 30).

Conclusion

37 Les critiques de l’œuvre de l’écrivain remarquent à juste titre le caractère aliénant de la non-acceptation de soi qui marque le début de la carrière académique et littéraire de John Edgar Wideman. Pourtant, en imaginant des identités exclusives et essentielles, c’est-à-dire en entérinant l’existence de groupes sociaux sur la base d’une identité, ethnique ou raciale, définie une bonne fois pour toute, la critique afrocentriste substitue à l’impératif critique, un impératif idéologique. Car, si les représentations qui pèsent sur l’identité noire aux Etats-Unis sont définies en référence à une double altérité « du dehors » et « du dedans » (Formoso 2001 : 21), le corpus de catégories du « Je »/» nous » et du « eux » auxquels l’écrivain a recours témoigne du dynamisme et de la variabilité des relations d’opposition/identification au fondement des processus sociaux de négociation des identités. Certes, le recentrage de l’écrivain autour de son univers familial et social décrit dans la Trilogie de Homewood participe d’une revendication de soi comme acte de liberté, pour autant sa transcription d’une mémoire ostracisée, celle de son quartier, de ses habitants et de sa famille, la restitue au rapport dialectique qui la lie à la société globale. Autrement dit, l’écrivain qui revendique « toute une famille de nègres à Pittsburgh » force l’action nouvelle de se « remémorer ensemble » et s’affranchit des représentations manichéennes de la société américaine confortées par les « formules narratives canoniques à travers lesquelles les Américains acceptent d’appréhender la vie des Noirs » (Wideman 1996 : 22). Tout comme, il récuse l’injonction qui lui est faite d’oublier son passé et de se concentrer sur le destin promis par sa réussite académique. Une injonction propre à satisfaire le mythe américain, qui se nourrit de l’amnésie collective et que Toni Morrison décrit en ces termes : « Nous vivons dans un pays où le passé est effacé en permanence et où l’Amérique est représentée comme l’avenir innocent dans lequel des immigrants peuvent arriver et tout recommencer, où les comptes sont constamment remis à zéro » (cité par Gilroy 2003 : 290). Un mythe où l’individu, fut-il noir et né dans un ghetto, est responsable de ses échecs et où celui qui réussit est la preuve vivante de la responsabilité du premier.

38 Ainsi, l’œuvre de Wideman saisit le mouvement d’élaboration continue d’une mémoire collective américaine – fût-elle négative – et « l’interlocution » de ses différentes mémoires, non plus pensées comme antagoniques, mais dans leur complémentarité. Ce

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processus exprimant les tensions, les conflits et les enjeux de pouvoir qui transcendent les rapports sociaux.

39 Par conséquent, l’émergence de la figure de l’écrivain noir signifie, pour les Noirs aux Etats-Unis, la capacité nouvelle d’utiliser la force de l’écrit dans l’espace public, dans l’espace politique. De fait, son existence seule est le signe d’une libération possible, de la subversion d’un privilège de classe et de « race », sur lequel la bourgeoisie (qui n’est plus exclusivement blanche) et la société blanche (qui représente encore l’ordre dominant) a assis et continue d’asseoir une part de son pouvoir. La condition de cette libération impose que ses qualités subversives ne soient pas amoindries par des représentations qui cantonnent la figure de l’écrivain dans une catégorie structurellement dominée. Car, dans une société fortement inégalitaire et « d’insécurité sociale » (Castel 2003), comme aux Etats-Unis, les idéologies d’exclusion sont génératrices de subordination symbolique, mais aussi d’identité. En influençant directement les comportements des acteurs sociaux, elles tendent à assurer un contrôle total sur l’action et sur ses représentations : en contribuant à l’émergence des identités, ces idéologies d’exclusion assurent la pérennité des rapports de force propres au système qui les produit.

40 J’ai voulu montrer, dans cet article, que si l’écrivain Wideman inscrivait sa démarche littéraire dans un rapport à l’Afrique envisagée pour ses potentialités imaginatives et disruptives, la critique afrocentriste en dessinant l’image d’un écrivain « converti » et en construisant des identités exclusives limitait, le plus souvent, la portée politique et les significations sociologiques et anthropologiques de sa littérature. Ici, l’afrocentrisme devient l’instrument ambigu d’une démarche de (re)politisation d’une identité dominée qui, en dernière instance, contribue à la reproduction du devenir minoritaire des Noirs américains. Reste que l’œuvre de John Edgar Wideman de par son foisonnement, sa densité et sa complexité, transcende ces catégories critiques où l’écrivain ne se laisse jamais enfermer. « In fact, one of the reasons I write is to feel free, and that’s a different impulse than the impulse to be a member of any particular club, to be a member of any particular group, category, genre, school, gang, clan, hood » (Wideman, in Monville De Cecco 2005).

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NOTES

1. Cf. Encyclopedia of Black Studies, en particulier la voix : « The Afrocentric Idea » (Asante et Mazama (eds), 2005). 2. Une démarche critique résolument afrocentrée répond aux impératifs théoriques suivants : « Afrocentric criticism is an evaluative field that uses the position of African agency to determinate the location of a text or situation (…). There are two dimensions to consider in determining centrality in a text : (1) the writing, that is written about, and (2) the writer, who is doing the writing. It is only in capturing both the writing and the writer that Afrocentric criticism can discover the total centricity of a text » (Asante et Mazama (eds), 2005 : 62). 3. « If there were something I wanted very badly that being Negro prevented me from doing, the, I might have the confrontation of a racial problem, and I would be driven to do something about it. I’m sure I would. But so far, the things that I’ve wanted to do haven’t been held back from me because of my being a Negro. So the problem is not my own problem, not something I feel have to cope with or resolve » (Wideman, in Shalit 1998 [1963] : 2). 4. Son œuvre est partiellement traduite en français et publiée aux éditions Jacques Bertoin et Gallimard. J’ai choisi, quand c’était possible, de citer les titres français. John Edgar Wideman est également l’éditeur de plusieurs volumes importants de littérature, dont My Soul has grown deep, Classic of Early African-American Literature, New York, The Ballantine Publishing Group, 2002. 5. D’une manière générale, ce commentaire est partagé par l’ensemble de la critique littéraire et académique. Pour plus de précision, on peut se reporter aux travaux de Keith E. Byerman (2006), James Coleman (1989), Raymond E. Janifer (1997), Dorothea D. Mbalia (1995) et Bonnie TuSmith (1998 et 2006). 6. Journaliste, écrivain et poète, né en 1907 de parents juifs nés russes, et mort en 1980. Roskolenko écrit pour The New York Time Book Review à partir de 1944. Pendant la première guerre mondiale, il séjourne en Australie. Il entretiendra toute sa vie, une relation intellectuelle et affective particulière avec ce pays. 7. « John Edgar Wideman’s first two novels, A Glance Away (1967) and Hurry Home (1970), have received relatively little critical attention, in large part, Ii would argue, because the overt engagement with high modernism places them outside the conventional model of African American Writing » (Keith E. Byerman 2006 : 93). 8. La critique désigne communément sous le nom de Trilogie de Homewood les trois romans que Wideman a consacrés à l’histoire de ce quartier éponyme de Pittsburgh où il a en partie grandi et où sa famille est implantée depuis plusieurs générations : Damballah, Où se cacher et Le rocking- chair qui bat la mesure, publiés respectivement aux États-Unis sous les titres Damballah, Hiding Place et Sent for You Yesterday, en 1981, 1981 et 1983 et, en France, en 2004, 2006 et 2008 aux Editions Gallimard.

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9. « L’Afrocentricité ne vous convertit pas en faisant appel à la haine ou à la convoitise, à la rapacité ou à la violence. En tant qu’idéologie consciente la plus élevée, elle affirme ses principes, motive ses adhérents, et gagne les prudents par la force de sa vérité » (Asante 2003 : 19). 10. « Racist reaction in the period of trauma forced blacks into self-defensive, locally based communities ; through their representations intellectuals and others leaders sought to broaden this to include other blacks or, for some, Africans and all people of color » (Eyerman 2001 : 59). 11. « Les Africains américains constituent le second plus grand groupe racial aux États-Unis d’Amérique » (je traduis, Asante et Mazama eds. 2008 : 8). 12. « That is, he sees himself, his culture, his people through the eyes of a European. Such a distorted perspective, makes him view writing as an act of superiority ; forces him to see his audience as a European one ; makes him choose « beat generation » themes (such as the Oedipus complex, the world as a wasteland, the intellectual’s alienation from society) ; allows him to reject most things associated with African people ; and forces him to write according to the literacy standards of the West. By doing so, Wideman reveals his acceptance of slave status and reflects the slave mentality of the African who experiences a personality crisis » (Mbalia 1995 : 34). 13. Cf. Elizabeth Fox-Genovese 1988, le chapitre 6 « Women Who Opposed Slavery » ; Darlene C. Hine, 1979 (3) : 123-127 ; John Hope Franklin & Alfred A. Moss, le chapitre 8 « That Peculiar Institution » et Ellen Ginzburg Migliorino 1994, le premier chapitre. 14. Cette vision du Noir, dissipé et irrationnel, s’impose après l’abolition de l’esclavage. Elle permet, au moment de l’instauration d’un régime légal de ségrégation, d’imputer aux Noirs eux- mêmes la responsabilité de leur irresponsabilité civile ; « African Americans were viewed as aliens whose ignorance, poverty and racial inferiority were incompatible with logical and orderly processes of government » (Franklin & Moss 2005 : 288-289). 15. Cf. Jack Goody 1979 et le numéro que lui consacre la Revue Pratiques : (131-132) « La littératie. Autour de Jack Goody », décembre 2006. 16. Cf. Philippe Bourgeois, 2001 : 53 et suivantes. 17. « Of course this evolution also impacts upon the writing process ; it frees him from the constraints of western literacy tradition and centers him within the African tradition, a tradition which has its own standards that are always being creatively renamed and revised » (1995 : 28). 18. Des études de cas spécifiques témoignent de la subjectivité des perceptions et montrent que la couleur de la peau relève, en partie, d’une construction mentale. Ce qu’expriment également les perceptions étonnement variées de la couleur de peau du Président Barack Obama et qui relativise l’objectivité que je postule ici. Voir aussi les travaux de Jean-Luc Bonniol sur les Antilles françaises 1992 et 2001. 19. « C’est peut-être trop peu reconnaître, même pour les besoins de la thèse, combien les Américains noirs peuvent être américains et combien sont également très américaines les prétendues solutions d’un problème qui est fondamentalement une question d’oppression économique et de racisme. Qu’il existe ou non une culturel noire, la spécificité du cas afro- américain réside dans la particulière oppression – souvent et presque partout exercée – que rend possible la différence de couleur » (Mintz 1971 : 118). 20. « I grew up in a very segregated country. I knew that there are two worlds. I knew that I lived in one of them. And I knew that my world didn’t count very much to most Americans. I also understood that I can move back and forth between those worlds. But if I did, it would always be a little bit dangerous, a little bit painful, troublesome – that’s just the way I thought the world always would be – and I had no ambition to necessarily try to change it because it seemed like a force of nature » (Wideman, in Monville De Cecco 2005 : entretien non publié). 21. « I was both participating but also forced to take the posture of an observer because I didn’t know what the hell was going on. It was best to keep quiet and sort of check it out before I

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exposed my game. The insider/outsider nature of my experience made me a listener » (Wideman, in Samuels 1983 : 25). 22. Cet élan philanthrope, qui trouve sûrement son origine dans un protestantisme ascétique, est devenu indispensable dans une société où la philanthropie « accroît la position sociale, qu’elle donne accès à un réseau de pairs de haut niveau, (…) aide à réussir dans les affaires par les contacts qu’elle procure, sources d’autant de possibilités d’échanges et de commerce » (Martel 2006 : 303). 23. « Wideman : (…) Criticism is never disinteresting and so one question asked about any piece of criticism is what job is it trying to do, who it is working for, who is it serving? And when you asked that, you very often find out that it’s certainly not working in the interest of the book that is being talked about. It’s working in the interests of the existing categories, working in the interests of the existing politics. So there is a real antagonism between creative work and criticism. The fate of the « avant-garde » (en français) is a perfect example always and I think there is a real suspicion among most critics. Most critics and certainly teachers are suspicious of literature. Really. Even in their kind of warm up to it they often are looking for « it’s like this » or « it’s like that » or « it’s like the other thing ». And that kind of energy is spent before a piece is looked at on its own terms or an attempt is found to get its own terms. So good criticism is as rare as a good fiction … Rarer. Monville : I’ve noticed that many of the critics here in America are also writers. Wideman : Yes. So, how seriously can you take the whole reviewiing mechanism in this country, when only two or three reviews count for writer’s reputation » (Wideman/Monville De Cecco 2005 : entretien non publié). 24. « In Wideman’s case, it took an eight-year hiatus and the release of brothers and keepers (his first book with Holt) for him to achieve the type of media attention that sells books in a big way » (J. Rosen 1998 [1989] : 84).

RÉSUMÉS

Cet article s’intéresse à la production de discours critiques aux Etats-Unis qui, à propos de l’écrivain noir américain John Edgar Wideman et de sa littérature, mobilisent certaines des catégories théoriques de l’Afrocentrisme. Il y est question de la manière dont ces critiques, littéraires et académiques, contribuent à produire ce qu’elles se donnent pour objectif de décrire, c’est-à-dire un écrivain « afrocentré » ou simplement « africain américain ». Ce faisant, elles échouent, le plus souvent, à cerner la complexité d’une figure d’écrivain qui remet en cause de telles catégories, et ignorent que la trajectoire sociale et la reconnaissance de John E. Wideman éclairent les processus de consécration et d’autonomisation du champ littéraire.

This paper discusses the production of critical discourses in the United States which analyze the figure of the black American writer John Edgar Wideman through the lens of theoretical categories of Afrocentrism. The article shows that these discourses actually produce what they aim to describe, that is an “afrocentered” or simply an “African American” writer. However, these literary critics fail to figure out the complexity of a writer which precisely questions afrocentric categories. Moreover, such discourses ignore that Wideman’s social trajectory and literary recognition highlight processes of cultural legitimization and of the construction of the autonomy of the literary field.

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INDEX

Mots-clés : afrocentrisme, champ littéraire, critique littéraire, Etats-Unis, John Edgar Wideman Keywords : afrocentrism, John Edgar Wideman, literary criticism, literary field, United States of America

AUTEUR

BÉNÉDICTE MONVILLE DE CECCO Doctorante en anthropologie sociale à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et membre du LAHIC, Laboratoire d’anthropologie et d’histoire de l’institution de la culture (CNRS- ministère de la Culture, composante de l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain, UMR8177 CNRS-EHESS). Elle termine actuellement une thèse de doctorat consacrée à la figure de l’écrivain noir américain John Edgar Wideman. [13 rue Delaunoy, 77000 Melun, France – [email protected]]

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Identités afrocentristes entre religion et politique

NOTE DE L’ÉDITEUR

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Africain, Akan, Panafricain et Afro- Américain Construire son identité aux États-Unis

Pauline GUEDJ

1 Le 24 janvier 1965, Malcolm X, ancien porte-parole de la Nation of Islam1 et leader d’une organisation nouvellement créée, l’Organization of Afro-American Unity, prononce un célèbre discours où il revient sur les catégories nominales utilisées aux États-Unis pour désigner les populations afro-américaines2. Malcolm X est assassiné à peine un mois plus tard, mais son discours sera publié par son épouse Betty Shabazz en 1967 sous le titre Malcolm X on Afro-American History.

2 Dans ce texte, Malcolm X s’exclame : « Un des objectifs de notre appellation Negro est de nous faire oublier qui nous sommes réellement. Le terme Negro ne veut rien dire. Il ne vous réfère pas à une langue parce que la langue Negro n’existe pas. Il ne vous donne pas un pays parce que le pays Negro n’existe pas. Il ne vous rattache pas à une culture parce que la culture Negro n’existe pas non plus. La terre, la culture, la langue Negro n’existent pas et l’homme Negro n’existe pas non plus » (1967 : 7).

3 Pour Malcolm X, le Noir américain souffre aux États-Unis d’un état d’anomie. Victime d’une entreprise de « lavage de cerveau »3 menée par les Blancs, l’homme noir en est arrivé à perdre toute conscience de ses origines, de son Histoire. Afin de pallier cette crise identitaire, il doit refaire corps avec sa culture originelle, recouvrer son identité première bafouée et vivre conformément à son essence, à ses déterminismes culturels et biologiques. L’homme noir doit donc revendiquer sa spécificité sur la scène nationale, connaître son passé pour mieux construire son futur et justifier ainsi ses apports culturels dans une Amérique, terre de la diversité et de la singularité plurielle.

4 Par conséquent, chez Malcolm X, le terme Negro devient un symbole du supposé état d’anomie des populations afro-américaines. C’est un emblème de cet oubli forcé des origines dont souffre tout Noir américain. « Nous ne sommes pas des Negroes, dit-il plus loin. Nous n’avons jamais été des Negroes avant d’être transportés ici et d’être transformés en cela. Nous avons été créés scientifiquement par l’homme blanc. Celui

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qui se définit comme Negro est un produit de la civilisation occidentale ; et pire encore d’un crime occidental » (1967 : 8).

5 Le terme Negro renverrait donc à une société blanche esclavagiste qui a volontairement contraint les populations noires à l’oubli de soi et à la perte des repères culturels. Se détacher du terme Negro reviendrait alors à s’émanciper d’une posture de victimes, d’asservis pour endosser une nouvelle identité liée à un passé imaginé comme glorieux voire supérieur. Chez Malcolm X, comme ce sera le cas chez de nombreux militants du nationalisme noir, rejeter le terme Negro c’est alors nier la rupture fondatrice causée par la tragédie de l’esclavage. La continuité dans la discontinuité, comme disait Roger Bastide (1996) lorsqu’il évoquait le dilemme des constructions identitaires des représentants de ses Amériques Noires, est ainsi instaurée et l’Histoire rattacherait sans rupture les populations noires des États-Unis à celles du continent africain.

6 Aujourd’hui, cette idée de rattacher consciemment les populations afro-américaines à leur Histoire d’avant la traite négrière se retrouve dans les écrits des penseurs afrocentristes. Molefi Asante, chef de file de cette mouvance, considère lui aussi que les populations noires doivent refaire corps avec leur identité ancestrale pour vivre librement aux États-Unis4. L’Afrocentricité, théorie dont il ne cesse de retravailler la définition, devient alors un ensemble de « règles de vie » dont l’adoption aurait en elle- même un pouvoir performatif. Etre Afrocentriste, c’est adhérer à ce mode de vie idéal et par ce fait même revigorer ses racines, recouvrer son essence. L’« Africain authentique » est l’Afrocentriste, puisque lui seul est à même de reconquérir, par ses actes, une Afrique ancestrale dont l’Histoire serait exempte des méfaits d’une civilisation occidentale colonialiste et esclavagiste.

7 En 2005, ce pouvoir performatif de l’afrocentricité est rappelé par Asante lors d’une communication délivrée à un colloque intitulé « Le rôle de l’afrocentrictité dans la renaissance africaine » organisé les 29 et 30 juillet à Cotonou au Bénin. Dans son allocution5, l’auteur insiste sur la « crise culturelle » dont souffriraient Africains et Afro-Américains et sur la nécessité, pour tout Noir, d’amorcer une entreprise de retour aux sources qu’il nomme la « résurgence africaine ». Or, pour Asante, c’est en Égypte, dans la terre noire de Kemet, que l’Africain et l’Afro-Américain doivent chercher la forme embryonnaire de cette Afrique originelle à recréer et à recouvrer. « Kemet est la meilleure source à laquelle nous puissions puiser pour notre renaissance, car la position historique de Kemet est indéniable » écrit-il. « C’est de là que l’énergie qui a assuré l’expansion d’idées africaines importantes a irradié. De la même façon que la Chine et l’Inde sont à la source des cultures de l’Asie, de la même façon que la Grèce et Rome sont à la source des cultures de l’Europe, Kemet et la Nubie sont à l’origine de bien des idées africaines […] Étant donné le système culturel dont nous, les Africains, avons hérité de l’Europe colonisatrice, une force historique nous pousse à retourner à l’identité qui était la nôtre avant que nous soyons asservis, afin de nous renouveler. L’esclavage ne peut pas nous revitaliser, il nous faut nous tourner vers la période qui a précédé l’esclavage » (Asante 2005)6.

8 Chez Asante, cette « période qui a précédé l’esclavage » s’incarne dans un fantasme de l’ Égypte antique, comme source d’une culture africaine imaginée comme unique et unifiée. L’Égypte, si fréquemment évoquée dans les écrits des Afrocentristes, se fait alors le symbole d’un passé glorieux prouvant non seulement l’absence de rupture dans l’ « expérience » des populations noires de la planète mais également leur supériorité, leur « génie », responsable de la plus noble civilisation de l’Histoire humaine7.

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9 Depuis les années 1930, plusieurs civilisations, plusieurs pays ont alors été imaginés par les militants du nationalisme noir comme autant de terres d’origine du peuple afro- américain. Pour les leaders de la Nation of Islam, La Mecque n’est autre que le lieu de naissance de la Tribu de Shabazz, ancêtre des Noirs de l’actuelle Amérique, créée par Allah à son image. Pour les membres du mouvement « yoruba », le Nigeria et le Bénin, territoires des anciens empires et royaumes yoruba, font figure de terres ancestrales avec lesquelles se tissent des connexions transnationales et des réseaux lignagers8. Enfin, pour les pratiquants de la religion « akan », le Ghana, nation pétrie de panafricanisme, constitue le pays phare d’une entreprise de quête des origines faite d’allées et venues entre les deux continents et de périples initiatiques9.

10 L’objectif de cet article est d’analyser les stratégies mises en œuvre par les Afro- Américains pour reconstituer aux États-Unis un passé, une mémoire, qui comme l’a souligné Maurice Halbwachs (2002), se pratique à partir d’enjeux contemporains10. En revenant sur une série d’enquêtes ethnographiques réalisées entre 2000 et 2007 au sein du mouvement « akan » américain, je montrerai comment ce passé réinventé s’appuie sur des constructions identitaires complexes et comment il se met en scène dans l’action rituelle. Ce faisant, nous verrons comment l’invention d’une tradition « akan » aux États-Unis s’élabore autour de nombreuses catégories d’identitification qui se mêlent et s’entrelacent. Tantôt Akan, tantôt panafricains et tantôt Afro-Américains, les fidèles du mouvement construisent leur identité et multiplient les espaces du rituel11. L’esclavage, tant occulté par les Afrocentristes, se trouvera alors repensé et réincorporé.

L’histoire du mouvement « akan »

11 Le mouvement « akan » est né en 1965 lorsque Gus Edwards, percussionniste afro- américain et leader d’une compagnie de danse, partit en tournée en Afrique de l’Ouest. Depuis plusieurs années, Edwards, militant du nationalisme culturel, était impliqué dans la valorisation de l’héritage africain des Noirs américains. Dans les années 1940, il avait fondé une association, The Ghanas dont l’objectif était d’organiser des actions culturelles – expositions sur l’Afrique et les populations noires, cours de danse et de percussions – destinées exclusivement à une audience afro-américaine. En 1955, il avait été à l’origine d’une « société secrète », Damballah Hwedo dont les membres cherchaient à reproduire aux États-Unis les pratiques rituelles des Yoruba du Nigeria, des Akan du Ghana et du vodou haïtien. Au début des années 1960, après s’être rebaptisé Dinizulu en l’honneur d’un chef zoulou de l’actuelle Afrique du Sud, il créa sa compagnie de danse, The Dinizulu African Dancers, Singers and Drummers, et commença à rassembler une importante collection d’art africain et de documents historiques relatifs à la traite négrière.

12 En 1965, alors que la compagnie s’était produite dans de nombreux festivals états- uniens, Dinizulu et ses danseurs s’envolèrent pour l’Afrique de l’Ouest où ils entamèrent une tournée de plusieurs semaines. La tournée mena les danseurs dans différents pays, au Nigeria et en Côte d’Ivoire en particulier, mais c’est au Ghana qu’ils séjournèrent le plus longtemps12. Au Ghana, Dinizulu visita d’abord Accra où il effectua des recherches sur les traditions ouest-africaines et akan à la bibliothèque de l’université de Legon. Il se rendit également dans plusieurs sites de la région tels l’Aburi Botanical Garden et le marché de Koforidua. Rapidement, ses pérégrinations le menèrent

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dans un sanctuaire de la religion dite « traditionnelle », l’Akonedi Shrine de Larteh Kubease, très populaire dans le pays du fait notamment de ses connexions avec le pouvoir politique13.

13 À Larteh Kubease, Dinizulu fut accueilli par Nana Ekua Oparebea, prêtresse en chef du lieu, qui décida de lui ouvrir les portes de son sanctuaire et de lui enseigner les rudiments des rituels qui y étaient perpétués. La prêtresse avait conscience que de nombreux esclaves déportés en Amérique du Nord étaient en réalité originaires du Ghana actuel. Elle proposa donc à l’Américain d’effectuer pour lui une séance de divination (reading) lors de laquelle elle serait, pensait-elle, à même de le renseigner sur les origines de ses ancêtres et sur la réalité de sa mission au Ghana et en Amérique14.

14 Pendant la séance de divination, Oparebea utilisa ses dons de médium pour communiquer avec les divinités (abosom). Celles-ci auraient alors révélé à l’Américain que ses ancêtres étaient originaires d’un village voisin, qu’ils appartenaient à la famille de la prêtresse elle-même et qu’ils étaient membres du groupe ethnique akan. Par ailleurs, Dinizulu reçut, lors de ce rituel, la mission de partir à la recherche de ces Afro- Américains, qui, comme lui, auraient des ancêtres akan et seraient désireux de (re)découvrir leurs origines ancestrales. Il se vit décerner un nouveau nom, Nana Yao Opare Dinizulu, reçut le titre d’Omanhene, « chef traditionnel des Akan d’Amérique » et obtint un premier enseignement sur le culte des abosom ( sing. obosom), divinités vénérées au sanctuaire.

15 De retour aux États-Unis, Dinizulu continua à entretenir des rapports étroits avec Oparebea. Il honora sa mission en se lançant dans une véritable campagne de conversion visant à raviver les origines akan de ses concitoyens afro-américains. Deux ans plus tard, il loua un bâtiment situé au 115, 321th Street à Long Island City dans le Queens de New York. C’est là qu’il fonda, le premier Temple « akan », le Bosum Dzemawodzi, ainsi qu’un centre culturel nommé The Aims of the Modzawe15. Il inaugura le Temple en y célébrant l’odwiraa, « Nouvel an africain », symbolisant, dans les termes du leader, « l’héritage africain des Afro-Américains ». Plus tard, la même année, il organisa un mariage (aweregye) ainsi qu’une cérémonie de dation du nom à un nourrisson (edin toa). Plusieurs fois par semaine, Dinizulu proposait des cours sur l’histoire de l’Afrique et offrait à ses adhérents une formation en twi. Parallèlement, il institua, à l’intérieur du centre culturel, un musée destiné à rassembler les objets africains et les ouvrages sur le continent noir qu’il avait récoltés depuis une vingtaine d’années.

16 De son côté, Oparebea accueillit au Ghana de nombreux Afro-Américains, qui cherchaient eux aussi à redécouvrir leurs origines, et même pour certains, à se faire initier à la prêtrise. Entre 1971 et 1995, date de son décès, la prêtresse effectua neuf voyages en Amérique du Nord, à New York, Philadelphie et Washington en particulier. Au cours de ses séjours états-uniens, elle fonda de nombreuses maisons de culte, de sorte qu’à partir de la fin des années 1970, l’ensemble des lieux de culte « akan » formait un vaste mouvement, qui bien que fragilisé par des luttes internes, entretenait toujours des relations étroites avec la maison mère ghanéenne.

17 Aujourd’hui, le mouvement « akan » rassemble quelques milliers de fidèles. Chaque maison de culte est dirigée par un prêtre ou une prêtresse, que les adeptes appellent Nana. Les cérémonies et les rituels ont généralement lieu dans la demeure de cet officiant où l’on trouve une chambre destinée à rassembler les autels des divinités. Le (ou la) Nana est chargé(e) d’organiser les cérémonies, de nourrir les autels et de veiller à l’initiation des godchildren ou akomfowa, personnes destinées à la prêtrise. Dans ces

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tâches, il (ou elle) est assisté(e) par des prêtres secondaires, les akomfo. Les lieux de culte « akan » ouvrent également leurs portes aux adeptes dont la vocation n’est pas la pratique de la prêtrise ainsi qu’à des sympathisants qui participent aux cérémonies et sont clients des séances de divination (reading).

Devenir « Akan » aux États-Unis

18 À l’image des pionniers du mouvement « akan », la plupart des adeptes actuels de cette religion aux États-Unis ont intégré des maisons de culte pour assouvir leur soif de connaissance de l’Afrique. Ainsi, l’assimilation d’un Afro-Américain au mouvement est le résultat d’un long processus au cours duquel celui-ci s’est documenté sur les cultures de l’Afrique occidentale, a lu des ouvrages ou consulté des sites internet consacrés à la « Terre Mère », pris des cours de danse et/ou fréquenté des associations organisant des conférences et des expositions. Rares sont ainsi les fidèles qui ont commencé à s’intéresser à l’Afrique lorsqu’ils ont rejoint un groupe de culte « akan ». Bien au contraire, leur adhésion au mouvement vient en général compléter une entreprise de retour à ce qu’ils considéraient comme leur identité ancestrale, déjà amorcée depuis plusieurs années. L’adepte considère alors qu’en pratiquant la religion « akan », il s’attaque au fondement de cette culture africaine tant convoitée : la spiritualité.

19 En général, l’adepte potentiel participe à sa première cérémonie « akan » accompagné d’une connaissance, ami ou membre de la famille, qui lui-même appartient à l’une des maisons de culte du pays. Il est accueilli par les akomfo et on lui explique certaines des croyances partagées par les fidèles. Ainsi, chaque rituel organisé à New York par l’association The children of Akonnedi débute par un discours introductif au cours duquel Nana Baakan Yirenkiwah ou Nana Kodjo Ayesu, deux officiants du groupe, précisent à l’assistance la nature des divinités qui seront vénérées ce jour ainsi que les raisons pour lesquelles sont versées des libations. En général, les officiants expliquent également à l’assistance les phénomènes de transe rituelle dont ils seront les témoins pendant la cérémonie. À Washington D.C., Nana Kyerewaa demande à ses akomfowa (novices) de faire circuler, parmi l’ensemble des participants, des documents dans lesquels les attributs des divinités sont détaillés et certains des rituels explicités.

20 S’il éprouve de l’intérêt pour la cérémonie à laquelle il a assisté, l’adepte potentiel est invité par la personne qui l’avait accompagné au rituel dans sa maison de culte16. Là, il fait officiellement la connaissance du chef de culte qui effectue pour lui une séance de divination visant à le « présenter » (introduce to) aux abosom. Lors de cette première divination, la personne donne des offrandes au Nana qui l’accueille et aux abosom qui lui « ouvrent leur porte ».

21 À partir de cette première rencontre, l’adepte continue à rendre régulièrement visite au Nana ainsi qu’à participer à certains des rituels organisés dans la maison de culte. Progressivement, il est considéré, par les adeptes, comme l’un des leurs, et le chef de culte consent à symboliser son appartenance à la maison par une série de rituels qui feront de lui un réel « Akan » américain. Une fois ces rituels exécutés, l’intéressé devient un adepte reconnu de tous et peut se revendiquer comme le représentant d’une tradition « akan » jugée ancestrale et transmise à l’intérieur d’une généalogie d’officiants à laquelle il a été inclus.

22 Il est quatre rituels qui affirment l’appartenance du nouvel adepte à une maison de culte. Selon les maisons de culte mais aussi selon les fidèles concernés, ces quatre

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rituels sont effectués dans un ordre différent et sur une période plus ou moins longue. Le plus souvent, toutefois, le nouveau fidèle reçoit en premier lieu un nom rituel (shrine name) qui deviendra son identité principale au sein de sa famille religieuse. En vue de ce rituel de dation du nom, le chef de culte demande à l’adepte de venir le consulter pour une séance de divination. Lors de ce rituel, comme pour chaque divination, le prêtre se place sur son trône, à côté du client, devant l’autel de sa divinité protectrice. Il agite d’abord la cloche habituellement utilisée pour attirer l’attention des abosom, verse des libations, puis interroge directement la divinité en présence sur la supposée identité africaine de l’adepte. Grâce à ses dons de médium, le Nana est à même d’entendre la réponse de la divinité, qui parfois apporte également des précisions sur la signification de l’appellation alors révélée.

23 Les noms attribués aux « Akan » américains lors de ces séances de divination sont composés de deux particules. La première est relative au jour de naissance de l’adepte ainsi qu’à son sexe. Un homme né un lundi, par exemple, se verra décerner le nom de Kodjo alors qu’une femme née le même jour sera appelée Adua. La seconde est constituée de noms propres aux réseaux de parenté de Nana Oparebea, en particulier à son clan : Asona. Ainsi, Agyiriwah, Tacheampong, Agebari, Mantiebia, Opare, Korantemaa constituent des appellations très courantes au sein du mouvement « akan ».

24 Du fait de ce nom akan, chaque membre du mouvement peut se revendiquer comme un héritier direct de Nana Oparebea. Toutefois, plus que des descendants de ces lignages akan en Amérique, les adeptes états-uniens ont plutôt tendance à se décrire comme les représentants, voire les réincarnations, de la personne dont ils portent le nom. Dans cette logique, les Agyiriwah et les Tacheampong, en général des femmes, se revendiquent comme les incarnations modernes des sœurs d’Oparebea alors que les Korantemaa s’associent à une ancienne officiante de l’Akonedi Shrine, liée elle aussi à la prêtresse en chef par son réseau de parenté. De leur côté, les Agebari et les Opare célèbrent l’héritage des frères de la prêtresse alors que les Boateng, seule appellation non Asona décernée par Oparebea, symbolisent l’époux ashanti de la chef de culte à l’intérieur du mouvement américain.

25 Le rituel de dation du nom akan est suivi d’un second rite lors duquel le ou la Nana du lieu exécute sur le bras droit du fidèle des scarifications constituées d’une ligne verticale dont partent sept branches en diagonale. À côté de cet insigne, se cicatrisent sur le bras de l’adepte sept pointillés, dessinés eux aussi en diagonale. À l’Akonedi Shrine de Larteh Kubease, de semblables scarifications sont effectuées lors de la cérémonie marquant la fin du périple initiatique du nouveau prêtre (Opoku 1978). Aux États-Unis, ces scarifications sont pourtant exécutées plus tôt dans le parcours spirituel du fidèle et revêtent, pour les adeptes, une signification bien différente.

26 En effet, sur le modèle de l’arbre généalogique, les « Akan » américains donnent à cet ensemble de scarifications le nom d’« arbre » (tree). Il s’agit, pour eux, du symbole de leur appartenance à toute une généalogie d’officiants, qui, descendants de l’Akonedi Shrine de Larteh Kubease, pratiquent la religion « akan » en Afrique comme aux États- Unis. Le tree, devient ainsi l’emblème même de cette religion qui lie les « Akan » américains à leurs « pairs » ghanéens dans le cadre d’une communauté transnationale d’adeptes. Les fidèles portent, dans leur chair même, les signes de leur appartenance au mouvement américain d’une part, ainsi qu’à une tradition censée faire d’eux des Africains pouvant se revendiquer d’une maison-mère ghanéenne d’autre part. Ainsi, le

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tree vient compléter symboliquement le rituel de la dation du nom. Si le premier incluait l’Afro-Américain dans le clan d’Oparebea, le second fait de lui l’un de ses enfants spirituels, un membre de sa famille de religion. Ce faisant, le fidèle peut alors se revendiquer comme doublement « Akan ». Il est à la fois un supposé membre du lignage « biologique » d’Oparebea et son « fils » ou sa « fille » spirituel(le).

27 Après la cérémonie des scarifications, le ou la Nana de la maison de culte donne à l’adepte un bain spirituel (spiritual bath) destiné à préparer son corps à une éventuelle possession par les divinités. Il s’agit ici, grâce à un liquide concocté par le prêtre, de purifier le corps de l’adepte afin qu’aucun esprit négatif ne vienne compromettre sa connexion avec les entités et que son corps soit ouvert (opened) pour une communication optimale avec celles-ci. On considère que l’« Akan » américain est ainsi purifié des méfaits de la société occidentale sur son être et qu’il va pouvoir laisser libre cours à sa « personnalité africaine ».

28 Purifié, prêt à être possédé par les divinités sans que sa santé n’en soit menacée, l’« Akan » américain se voit alors remettre les colliers rituels, ahene (sing . ohene), symbolisant chacune des divinités vénérées par les pratiquants états-uniens. Ainsi, il reçoit l’ohene rouge et blanc symbolisant la divinité Asuo Gyebi tout comme celui qui, ocre, blanc et noir est associé à Nana Esi. Pour les « Akan » américains, ces colliers placent l’adepte sous la protection des abosom et rendent visibles à tout un chacun les liens que celui-ci a déjà établis avec les divinités. Arborant ses colliers et son tree, portant un nom akan et ayant reçu un bain spirituel, le membre du mouvement affirme son identité « akan » et peut potentiellement être appelé par les abosom au service de leur culte.

29 Ainsi purifié et « akanisé », le fidèle, s’il est l’objet de transes rituelles, devra alors se soumettre à un périple initiatique d’une durée moyenne de trois ans au cours duquel il apprendra à orchestrer les rituels et à « posséder » correctement les entités17. Pour les « Akan » américains, c’est alors la possession qui constitue l’aspect le plus important de leur apprentissage. Lors de nombreuses cérémonies, ils apprennent à incarner correctement les abosom, à effectuer les pas de danse qui leur sont associés et à adopter leurs postures et attitudes. En réalité, tout se passe comme si la possession constituait un moyen privilégié pour refaire corps avec leur être « akan ». En incorporant les abosom, ils considèrent ainsi qu’ils réactivent cette africanité enfouie au plus profond de leur être. Grâce à la maîtrise de leur corps purifié, ils deviennent des intermédiaires privilégiés entre les Afro-Américains et leur ancestralité africaine, des intermédiaires entre leur « passé » africain ou « akan » et leur présent afro-américain.

30 Officiants du mouvement « akan », les fidèles se revendiquent alors membres d’une ethnie akan transnationale18. Leur adhésion à un groupe de culte les a fait passer du statut d’African-American19 à celui d’Akan, exilés aux États-Unis. Ils ne se revendiquent plus comme des citoyens américains mais comme les membres d’une ethnie existant à cheval entre deux continents, se déployant par le truchement de réseaux transnationaux. L’identité américaine est ainsi niée et d’une certaine manière, l’identité raciale Black est remplacée par une identification ethnique symbolisée par l’utilisation du terme « akan ». Toutefois, l’observation attentive des rituels permet de mettre en avant d’autres niveaux d’identification, d’autres espaces du rituel et d’autres termes mobilisés pour définir son identité et recréer son passé.

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Être « Akan », c’est être panafricain

31 Pour les membres du mouvement « akan », le périple initiatique, la quête spirituelle, sont indissociables d’un processus de retour aux origines. Utilisant plusieurs médiums pour se documenter, allant de la consultation de sites internet à la lecture d’ouvrages spécialisés rédigés tant par des anthropologues que des historiens20, l’adepte n’hésitera pas non plus à puiser des informations au sein d’autres modalités de culte dites « africaines » présentes sur le territoire américain.

32 En effet, à côté du mouvement « akan », se sont implantés aux États-Unis, à partir des années 1960, d’autres groupes de culte revendiquant eux aussi leur ancestralité africaine. La religion « yoruba » américaine tout d’abord, s’est constituée autour de la revendication par certains Afro-Américains d’un héritage des Yoruba du Nigeria. Elle est née du processus de réafricanisation de la santería cubaine, religion apparue aux États-Unis, suite à la migration massive de Cubains dans le pays21. Le mouvement kemet, quant à lui, prône l’adoption pour les Noirs de pratiques jugées originaires de l’É gypte antique. Il se déploie en deux associations : l’Ausar Auset Society, fondée par Ra Un Nefer Amen I en 1973 et la Smai Tawi Ankh Ascension Renaissance créée à Brooklyn dans les années 1980. À présent, ces modalités de culte coexistent dans les villes américaines, regroupées par les fidèles sous l’appellation African Traditional Religions (ATR) et formant un ensemble « africain » à l’intérieur du champ religieux afro-américain.

33 Aujourd’hui, les African Traditional Religions constituent un vaste ensemble au sein duquel les fidèles circulent, passant d’une modalité de culte à une autre et cumulant les initiations. Investis dans une réelle quête spirituelle, les adeptes usent de plates-formes pour échanger leurs points de vue sur les différents cultes en présence et confronter leurs expériences. À Philadelphie, l’Odunde Festival22, procession organisée tous les ans sous l’égide de la divinité yoruba Oshun, est devenu un lieu de réunion où se rencontrent pratiquants des religions kemet, « akan » et « yoruba ». Sur internet, le site d’Assata Shakur, ancienne membre du Black Panther Party et aujourd’hui pratiquante de la religion kemet, permet également aux fidèles de se donner des conseils et de commenter leurs « parcours spirituels ». On y retrouve les témoignages d’Afro- Américains amorçant leur cheminement religieux et souvent avides d’informations sur plusieurs cultes : Je ne me suis pas encore fixé sur une religion, écrit Ntangutizi, ‘The Die Hard Afrikan’. J’ai rencontré des membres de l’Ausar Auset Society et de la Smaï Tawi Ankh Ascension Renaissance. Ils m’ont vraiment impressionné. Je suis allé à une cérémonie akan organisée par Onipa Abusia23 dans le Queens. J’étudie les traditions yoruba à travers des livres comme le Handbook on Yoruba Religious Concepts. Je lis aussi beaucoup sur l’histoire de Kemet et m’inspire des enseignements de Cheikh Anta Diop, Dr. Ben et Ra Un Nefer Amen24. Pour l’instant, j’explore. Cet été, je vais m’installer à Brooklyn et compte à cette occasion m’investir plus sérieusement dans un ou plusieurs de ces groupes (http://www.assatashakur.org/forum/traditional/, posté le 2/01/2008, consulté le 20/01/2008).

34 À l’image de Ntangutizi, au sein du mouvement « akan », nombre de fidèles cumulent dans leurs « parcours spirituels » des affiliations à plusieurs groupes. Ainsi, Nana Baakan, une de mes principales informatrices au sein du mouvement, a quitté l’Église baptiste qu’elle fréquentait dans les années 1960 pour la Nation of Islam, lorsqu’elle est entrée à l’université. Adhérant à ce mouvement, elle mit fin à ses études, épousa un disciple de Fard Muhammad, fondateur du mouvement, et se consacra à la prédication

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« musulmane » dans les rues de Philadelphie. Plus tard, à la mort d’Elijah Muhammad en 1975, elle suivit le rénovateur du mouvement, Wallace D. Muhammad, au sein de la nouvelle organisation qu’il venait de créer : la World Community of Islam in the West, groupe dit « orthodoxe » et sunnite. Trois ans plus tard, la jeune femme décida de renoncer à l’islam pour intégrer un groupe de culte dit « africain », satisfaisant davantage son entreprise de quête des origines. Après un passage au sein d’un temple kemet, elle rejoignit une maison de culte « yoruba », puis devint prêtresse de la religion « akan ».

35 Aujourd’hui, malgré le caractère accidenté de son parcours spirituel, Nana Baakan considère que chacune de ces étapes était nécessaire pour comprendre la mission que les dieux akan lui ont assignée. Bien que la prêtresse reconnaisse la complémentarité des African Traditional Religions, elle prétend qu’il n’y aura pas de nouvelles « transitions » dans son existence et qu’elle restera toujours une « Akan ». En effet, pour la prêtresse, si son initiation à la religion « akan » constitue le parachèvement de son chemin spirituel, c’est parce que ce culte serait celui qui lui aurait permis de faire le lien entre plusieurs de ses expériences spirituelles passées. Le culte « akan » serait, selon elle, « inclusif », c’est-à-dire qu’il serait à même de digérer des pratiques empruntées à plusieurs systèmes de croyance, d’adopter en son sein des divinités étrangères qui, mêlées aux abosom, « acquerraient leur sens réel » (would make sense)25.

36 Le cas de Nana Baakan est loin d’être exceptionnel parmi les pratiquants des ATRs, notamment parce que c’est avec les entités yoruba (les orisha), qu’outre les abosom, elle entretient les relations les plus étroites. J’ai en effet, au cours de mes recherches aux États-Unis, rencontré à maintes reprises des prêtres initiés à la fois dans les systèmes « yoruba » et « akan », et des fidèles « yoruba » américains s’intéressant voire s’initiant aux pratiques ghanéennes. En dépit des nombreuses formes d’accusations que se portent les deux mouvements, il semble que, pour ces adeptes-là, ce soit dans leur association que les religions « yoruba » et « akan » révèlent leur plus grande efficacité. Le cumul d’initiations devient pour le fidèle une source de prestige, un signe de maturité et d’accomplissement de son parcours spirituel.

37 La maison de culte dirigée par Nana Baakan à Philadelphie accueille régulièrement des adeptes initiés dans la religion « yoruba ». Ceux-ci participent aux rituels et sont présents lors de toutes les célébrations orchestrées par Nana Baakan. Parmi eux, Sangotola et Ogunfumilayo, deux prêtresses aux noms yoruba, sont particulièrement actives. Initiées au Nigeria et au Ghana, elles font figure d’autorité et lient, dans leur quotidien, pratiques « yoruba » et « akan ».

38 Chez elles, à Baltimore, Sangotola et Ogunfumilayo adoptent alors une série d’attitudes jugées spécifiquement « akan ». Lorsqu’elles entrent dans leur habitation commune, les deux femmes ôtent leurs chaussures devant la porte, ce qu’elles font systématiquement lorsqu’elles se rendent chez Nana Baakan. Quand elles reçoivent un visiteur, elles le font patienter dans la salle de séjour avant de lui donner un verre d’eau porté sur un plateau, de lui demander sa « mission », et finalement de lui souhaiter la bienvenue dans leur demeure. Comme tous les membres du mouvement « akan », elles rassemblent les offrandes de leurs hôtes dans un saladier qu’elles montent sur leurs têtes dans la chambre des autels. Dans cette chambre des autels, Sangotola et Ogunfumilayo ont installé deux représentations pour les abosom et les orisha. Le matin, elles y versent des libations de gin, pratique « akan », en prononçant des incantations

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yoruba. Puis, elles usent de leurs dons de médium pour communiquer avec chacune de ces divinités en anglais (photo 1)26.

Photo 1 : À Baltimore, dans la chambre des autels d’Ogunfumilayo et de Sangotola, un autel (à gauche) consacré à la divinité akan Adade Kofi côtoie celui de l’orisha Ogún (à droite). Devant, des représentations des Eshu, des bouteilles de gin et de schnaps, « boisson préférée des abosom ». © Pauline Guedj.

39 Dans leur vie quotidienne, Sangotola et Ogunfumilayo ont donc instauré une série d’équivalences entre les systèmes « yoruba » et « akan », équivalences se manifestant aussi bien dans le rituel que dans la caractérisation des entités spirituelles. En effet, pour les fidèles de la maison de culte dirigée par Nana Baakan, les « abosom et les orisha travaillent ensemble »27. Chaque orisha trouve son équivalent dans le monde « akan » alors que chaque abosom peut être associé à une divinité yoruba. Ainsi, Asuo Gyebi, l’une des principales divinités akan, est souvent associée au Shangó yoruba, partageant avec celui-ci son arrogance et sa dignité, alors qu’Ogún devient, pour les « Akan », la version yoruba d’Adade Kofi, obosom autoritaire lié au fer. Lors des cérémonies rituelles, les « Akan » américains sont à même d’incarner par la transe chacune de ces divinités mettant en scène des abosom et des orisha dansant, chantant et conversant ensemble.

40 En réalité, tout se passe ici comme si les fidèles « akan » cherchaient à forger aux États- Unis une nouvelle religion, une religion qu’ils qualifient de « panafricaine ». Ainsi, si le processus de retour aux origines au sein du mouvement supposait la revendication d’origines ethniques akan, celui-ci traverse aujourd’hui une nouvelle phase qui s’appuie sur l’alliance de plusieurs systèmes de croyance, « yoruba » et « akan » en particulier, chacun jugé comme authentiquement africain. Religion panafricaine, le culte nouvellement créé s’appuie alors sur une conception de l’Afrique comme réceptacle d’une culture unique, originellement unifiée et dont les actuelles divisions seraient les produits du colonialisme et de l’intervention des Blancs28. Pour les « Akan » américains, construire une religion pensée comme panafricaine revient donc à se revendiquer comme les détenteurs d’un culte ancestral, revitalisé aux États-Unis, bien que disparu du continent noir.

41 Ce faisant les membres du mouvement « akan » mobilisent une nouvelle catégorie d’identification pour mener à bien leur entreprise de retour aux sources. « Akan », reliés à des officiants ghanéens par une série de réseaux transnationaux (Guedj 2006 et 2008), ils sont également des panafricains, garants de la reproduction aux États-Unis d’une religion unifiée perçue comme originelle et première. Ainsi, les « Akan » américains considèrent que c’est la nature même de leur religion qui fait d’eux les

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détenteurs potentiels de cette « Pan-Afrique ». Le caractère « inclusif » de la religion « akan » porterait en lui les germes d’une religion panafricaine faisant des « Akan » américains des individus essentiellement panafricains. En d’autres termes, ce serait parce qu’ils pratiquent la religion « akan » aux États-Unis que les membres du groupe sont à même de se revendiquer à la fois comme des Akan, liés à un groupe ethnique d’Afrique de l’Ouest et comme des panafricains, dignes héritiers d’une Afrique originelle, pensée comme culturellement unie.

Être « Akan », c’est aussi être Afro-Américain

42 Les divinités et les rituels constituent donc un élément capital dans l’élaboration de l’identité « akan » aux États-Unis. Entretenant, dans les rituels, des relations avec d’autres divinités africaines, les orisha surtout, les abosom deviennent la preuve incarnée du penchant panafricain de l’identité « akan », penchant panafricain qui relie les adeptes à une Afrique originelle, saisie dans sa forme précoloniale. Toutefois, rarement vénérées seules, ces divinités sont également associées à d’autres entités, qui donnent à la pratique de cette religion aux États-Unis une coloration proprement afro- américaine. Alliés aux ancêtres afro-américains de leurs adeptes, les abosom et les orisha constituent ainsi un vaste ensemble d’entités spirituelles nécessitant des rituels communs qui permettront à l’« Akan » américain d’inclure ses propres expériences états-uniennes dans son entreprise de retour à l’Afrique.

43 Dans chaque maison « akan » se trouve ainsi une série d’autels consacrés au culte des ancêtres. Ceux-ci sont placés sur des tables hautes. Ils sont constitués de photos, de bibelots, de souvenirs, et sont souvent recouverts de tentures. Colorés et encombrés, ils contrastent fortement avec les autels dédiés aux abosom, situés, eux, à même le sol et composés uniquement d’un pot en terre cuite et d’une petite statuette en bois. Dans la maison de culte de Nana Baakan à Philadelphie, les autels pour les ancêtres sont séparés de ceux des divinités ghanéennes par un rideau. Ancêtres, abosom et orisha ne partagent donc pas le même espace, comme si les premiers constituaient une catégorie d’entités à part, à ne pas confondre avec les divinités africaines.

44 En réalité, lorsque Nana Oparebea enseigna à ses fidèles certaines des traditions religieuses akan, elle ne leur transmit pas les connaissances nécessaires, les symboles et les outils qui leur auraient permis de mettre en place dans le Nouveau Monde un culte des ancêtres semblable à celui que l’on rencontre à Larteh (Guedj 2006). À Larteh Kubease, le culte des ancêtres est en effet placé sous la responsabilité de l’autorité politique de la ville, le Kubeasehene. C’est lui, qui lors de rituels réguliers comme l’ akwasidae, verse le sang des sacrifices sur des trônes « noircis » (blackened stools) symbolisant le pouvoir des ancêtres lignagers. Or aux États-Unis, bien que Dinizulu ait été honoré du titre de « Chef des Akan d’Amérique », aucune maison de culte ne possède de trône noirci permettant la diffusion du culte des ancêtres. Partis au Ghana à la recherche d’ancestralité, les Afro-Américains membres du mouvement « akan » n’y ont en réalité trouvé que des divinités, dont l’énergie serait aujourd’hui contenue dans leurs autels. Détaché d’une affiliation ghanéenne, le culte des ancêtres tel qu’il est pratiqué aux États-Unis constitue alors pour les Afro-Américains « akan », un terrain d’innovation où ils purent élaborer un troisième espace rituel qui se développa en interaction avec celui habité par les abosom et les orisha.

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45 Il est deux principaux types d’ancêtres représentés sur les autels. Dans la maison de culte de Nana Baakan se trouve ainsi une table présentant les ancêtres de la famille proche de la prêtresse, ses grands-parents, arrière - et arrière -arrière -grands -parents. L’usage de cet autel lui est réservé et les ancêtres qui y sont vénérés ne la possèdent que très rarement durant les transes rituelles. Le second autel est situé à gauche du premier. Guéridon recouvert de draps violet et blanc, l’autel est composé d’un saladier en porcelaine, d’une sculpture en bois représentant l’ankh, symbole égyptien de la clef de vie29, de plusieurs bouteilles de Southern Comfort30, d’une pipe, et de deux cannes en bois sculptées. À côté de l’autel, se trouve une chaise à bascule (rocking-chair) d’où pend un chapeau de paille (photo 2).

46 Selon les propos de Nana Baakan, ce second autel est consacré à des entités qui sont venues la visiter dans ses rêves et lui ont demandé d’installer un emplacement sacré pour eux. Parmi ces entités qu’elle désigne tous à l’aide du terme anglais ancestors, Nana Baakan prend soin d’un ensemble de personnalités afro-américaines dont Martha, une femme qui progressivement lui aurait révélé la totalité de son histoire. Martha serait une femme originaire du Ghana qui, après un passage au Brésil, aurait été réduite en esclavage en Caroline du Sud. Là, elle serait devenue l’esclave préférée de son maître qui abusa d’elle à plusieurs reprises et lui donna dix enfants. Un jour, l’une des petites- filles de Martha, la plus jeune, refusa de contenter les désirs du planteur. Furieux, celui- ci se vengea sur la grand-mère en lui crevant les yeux. Martha demeura ainsi, aveugle, dans la plantation pendant de longues années, où elle développa progressivement des talents de médium. Un jour, sa petite-fille eut raison du maître, mettant fin à des années de soumission servile.

47 Lorsqu’elle évoque Martha, Nana Baakan parle avec enthousiasme, multipliant les détails et les précisions sur la vie de cette femme qu’elle admire. Lors d’un entretien, elle me racontait ainsi les révélations de Martha, ancêtre qui lui rend visite dans ses rêves : Martha était l’esclave préférée du maître. À chaque fois qu’il voulait coucher avec une des esclaves, il envoyait chercher Martha. Il la violait tout le temps, continuellement. Martha était très noire. Elle a vécu plus de cent ans. C’est quand elle est devenue aveugle qu’elle a commencé à être spirituelle. Elle portait un chapeau pour couvrir ses yeux, comme celui que j’ai sur son autel en bas. On ne pouvait rien faire en cachette quand elle était là parce que Martha voyait tout. Elle était un peu comme la Nana de la plantation, celle que tout le monde respecte et dont tout le monde a peur (Entretien avec Nana Baakan Agyiriwah, Philadelphie, juillet 2004).

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Photo 2 : À Philadelphie, la maison de culte dirigée par Nana Baakan, l’Adade Kofi Sankofa Bosomfie, dispose d’un espace où sont rassemblés les autels des ancêtres. Au fond, se trouve l’autel des ancêtres familiaux de la prêtresse. On y aperçoit des photographies et un ensemble de bibelots leur ayant appartenus. À gauche, l’autel de Martha avec sa chaise à bascule et son chapeau. © Pauline Guedj.

48 Au sein de cette maison de culte, Martha constitue, sans aucun doute, l’une des entités spirituelles les plus appréciées. Lors de mes recherches sur le terrain, les fidèles me racontaient fréquemment les cérémonies au cours desquelles Martha possède Nana Baakan et tient audience pendant plusieurs heures, revenant sur les détails de sa vie passée. Pour ces « Akan » américains, les récits de Martha sont toujours passionnants. Captivés, ils n’hésitent d’ailleurs pas à poser à l’ancêtre incarnée des questions précises afin d’« apprendre à la connaître ». Nana Baakan dispose, chez elle, de nombreux carnets sur lesquels l’une des akomfo de la maison, Nyo, a pris en note les interventions de l’ancêtre lors des cérémonies. Régulièrement, Nana use de ces carnets pour se remémorer certains épisodes de l’histoire personnelle de Martha.

49 Toutefois, si Martha connaît une telle popularité au sein de la maison de culte, c’est avant tout parce que, dans sa vie passée, elle a été victime de l’esclavage. D’une certaine manière, c’est toute l’« expérience » afro-américaine que Martha incarne dans la maison de culte, tout le passé douloureux de la communauté. Le récit de sa vie, telle que Baakan le transmet à ses adeptes, constitue alors un condensé des stéréotypes associés à la vie d’esclave dans les mentalités afro-américaines. Martha était une esclave de maison. Elle avait un statut particulier au sein de la plantation, ce qui parfois créait des conflits entre elle et les autres esclaves. Violée perpétuellement par le maître, elle avait enfanté une progéniture métisse au teint pâle dont elle ne pouvait apprécier la couleur de peau. La nuit, lorsqu’elle cherchait à échapper à la vie de la plantation, Martha s’asseyait sous le perron de la maison coloniale de son maître, sur une chaise à bascule, identique à celle que Nana Baakan a placée à côté de son autel. Coiffée de son chapeau de paille, la Bible sur les genoux, elle y fredonnait des negro spirituals et priait pour l’émancipation de son peuple.

50 Cette vision de Martha, seule, chantant des negro spirituals sur son rocking-chair constitue une réelle « image d’Épinal » de la vie du Sud avant la guerre de sécession. Martha est, pour les adeptes de la maison de culte, une figure emblématique, une héroïne, qui dans la plus grande douleur, a su attendre la décrépitude de son maître et a concouru, grâce à ses prières et à son espoir jamais perdu, à la libération de sa communauté. Ainsi, elle devient l’incarnation rêvée de ces ancêtres afro-américains réduits en esclavage dont les adeptes ne disposent souvent d’aucune trace, et qu’à côté des entités africaines, ils se proposent, à présent, de vénérer. Martha, ancêtre fédérateur au sein de la maison de culte, porte alors en elle le spectre de tous les arrière -grand -pères, toutes les grand -tantes des fidèles, tous ces hommes et ces femmes dont son histoire tragique permet de raviver la mémoire.

51 Aux côtés de Martha, nombreux sont les fidèles qui prétendent, eux aussi, avoir été « appelés » par des ancêtres victimes de l’esclavage. Ephraim, un jeune danseur âgé de 23 ans, me décrivait ainsi, lors d’une conversation, une ancêtre avec laquelle il entretient des relations particulièrement étroites. Prénommée Mary, celle-ci viendrait souvent lui rendre visite dans ses rêves et le posséderait fréquemment lors des cérémonies rituelles. Selon Ephraim, Mary est originaire du Togo. Agée d’une quinzaine d’années, elle fut déportée en Louisiane où elle fut transportée sur une plantation. Pour Ephraim, Mary est porteuse d’une énergie très difficile à contenir pendant les transes,

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comme si toute sa colère, les révoltes sur la plantation, restaient vivaces et ne demandaient qu’à s’exprimer lors des possessions.

52 Nyo, quant à elle, une femme d’une quarantaine d’années, me racontait lors d’un entretien effectué en juillet 2003, être en communication régulière avec une de ses ancêtres qui, elle aussi, a souffert indirectement de l’esclavage : Zafina. Originaire du Ghana, celle-ci fut témoin de l’enlèvement de son père et de sa mère contraints à partir en bateau vers les Amériques. Nyo prétend que Zafina assista, cachée derrière une dune de sable, à l’embarquement de sa famille pour le Nouveau Monde. Assise sur la plage, elle aurait alors regardé, en pleurant, le bateau s’éloigner vers l’Ouest.

53 Dans la maison de culte, lors de cérémonies appelées ancestors parties, il est alors fréquent que ces ancêtres s’incarnent en même temps et se remémorent les souvenirs tragiques de leur asservissement. Chaque membre de la maison de culte les connaît, sait les distinguer et est familiarisé avec les habitudes et les manies de chacun. En réalité, tout se passe comme si ces entités, toutes liées à une Histoire afro-américaine ou à l’expérience de l’esclavage, formaient une sorte de patrimoine que se partagent les membres du groupe.

54 Nous le voyons, aux États-Unis, dans les maisons de culte « akan », se trouveraient donc mêlés un culte consacré aux divinités africaines abosom et orisha, parfois même neteru de la religion kemet31 et un culte voué aux ancêtres des pratiquants, afro-américains, ancêtres avec lesquels ne sont par ailleurs pas forcément entretenues des relations de filiation directe. À côté des divinités africaines, les ancêtres constituent une deuxième catégorie d’entités, propice à des adaptations afro-américaines du culte « akan » et à l’intégration de celui-ci au contexte états-unien. L’Afro-Américain pratiquant la religion « akan » vénère à la fois les symboles de ses origines africaines et de sa réalité afro-américaine, elle-même réafricanisée.

55 En instaurant un culte des ancêtres dans leurs maisons de culte, c’est alors l’expérience traumatisante de l’esclavage, fondement de l’Histoire afro-américaine, que les adeptes cherchent à interpréter et à prendre en conscience. Là où la rhétorique de la plupart des mouvances politiques et nationalistes afro-américaines, la Nation of Islam par exemple, avait jusqu’à présent cherché à évincer l’esclavage pour revendiquer la continuité, l’absence de rupture entre l’Afrique et la « diaspora » noire, là ou Molefi Asante pouvait appeler les Afro-Américains à se tourner vers « la période qui a précédé l’esclavage » pour se « revitaliser », les membres du mouvement « akan » font de cet épisode tragique de leur Histoire leur particularité au sein de l’entité panafricaine, un « marqueur » de leur propre ethos. Il n’y a plus, pour eux, de contradiction entre une identité africaine recouvrée, qu’elle soit « akan » ou panafricaine et une conscience afro-américaine qui serait née de la perte de repères. Bien au contraire, leur « afro- américanité » devient « africanité » en même temps que leurs ancêtres sont vénérés par des processus rituels similaires à ceux réservés aux divinités « akan » : les prières en twi, les libations et la possession.

Conclusion

56 La diffusion de la religion « akan » aux États-Unis par le truchement de réseaux transnationaux s’est donc accompagnée de son indigénisation, de son intégration aux réalités du champ religieux local, et de son adaptation aux constructions identitaires ici à l’œuvre. Cette indigénisation a abouti à la fois à l’association du culte « akan » à celui

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d’autres divinités dites « africaines », mais aussi à la création à l’intérieur de celui-ci d’un espace rituel spécifiquement afro-américain. Se revendiquant membre d’une communauté transnationale « akan », le fidèle ne renonce pas pour autant à affirmer ses spécificités non seulement dans une entité panafricaine globale, mais aussi dans le contexte local des États-Unis.

57 Dans cet article, j’ai donc tenté de montrer comment l’identité « akan » américaine se construit en réalité autour de trois lignes directrices qui se tissent dans le discours et les pratiques des adeptes, formant une trame tantôt harmonieuse, tantôt discordante. En effet, d’un côté, les fidèles qui intègrent le mouvement renoncent à leur identité noire américaine pour adopter une identité nouvelle, « akan », perçue comme semblable à celle de leurs ancêtres réduits en esclavage et déportés dans le Nouveau Monde. Pour ce faire, ils se soumettent, nous l’avons vu, à plusieurs rituels dont le but est à la fois de les purifier des méfaits que la société blanche leur a fait subir mais aussi de leur accorder les signes d’appartenance à leur groupe d’adoption. Cette identité « akan », ils la mettent alors en scène lors des cérémonies de transe rituelle où « possédant » les abosom, ils incorporent pleinement leur akanité.

58 D’un autre côté, les adeptes du mouvement « akan » aspirent à une identité panafricaine qu’ils élaborent dans leurs parcours spirituels et religieux en cumulant les initiations et en se déclarant membres de plusieurs organisations dites « africaines ». À la fois « Yoruba » et « Akan », ils s’imaginent les descendants directs d’Africains pré- coloniaux qui, n’ayant pas connu le démantèlement de leur culture, n’auraient jamais souffert des barrières ethniques imposées par les pouvoirs occidentaux. Etre « panafricain » signifie alors, pour eux, être un Africain originel c’est-à-dire plus « authentique » que les habitants actuels du continent noir. Dans le rituel, cette construction d’une identité revendiquée clairement comme « panafricaine » se retrouve dans les aménagements entre religion « akan » et culte « yoruba ». Incorporer les abosom et les orisha ensemble, les vénérer dans des autels communs revient alors à affirmer ce sentiment d’appartenance « panafricain », sentiment d’appartenance qui serait validé par les divinités africaines elles-mêmes.

59 Enfin, les « Akan » américains se revendiquent comme les acteurs d’une « expérience afro-américaine» qui, elle aussi, constitue un « marqueur » de leur identité et qui les différencie à la fois des Noirs provenant des autres régions du Nouveau Monde et des Africains du continent. L’identité afro-américaine, à laquelle il fallait renoncer lorsque, intégrant le mouvement, on devenait « akan », devient aujourd’hui matière à revendication. Dans le rituel, c’est le culte des ancêtres qui constitue l’espace d’élaboration de ce troisième volet de l’identité « akan » américaine. Là où les « Akan » en quête de panafricanisme alliaient, dans un même culte, orisha et abosom, ils font désormais de leurs ancêtres afro-américains des équivalents des entités et des divinités africaines, qui, eux aussi, peuvent interagir avec elles et communiquer avec l’Afrique. Grâce au culte des ancêtres, les « Akan » américains font de leur « afro-américanité » une composante de leur « africanité ».

60 L’histoire du mouvement « akan », l’élaboration du discours de ses membres et des rituels consistent alors principalement en une négociation constante entre ces trois sentiments d’appartenance et ces trois catégories d’identification. Selon les circonstances, comme c’est souvent le cas lorsqu’on parle d’identité, les « Akan » américains se définissent tantôt comme des « Akan », tantôt comme des « panafricains » et tantôt comme des African-Americans. S’ils s’adressent à un membre

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du mouvement « yoruba » par exemple, c’est leur identité « akan » qu’ils valorisent. Si au contraire, ils participent à une réunion rassemblant des adeptes de diverses African Traditional Religions, ils insistent sur leur appartenance à une entité « panafricaine ». Enfin, s’ils sont confrontés à des Akan du Ghana qui critiquent leur entreprise de retour aux sources, ils insistent sur leurs caractéristiques afro-américaines.

61 En quête d’un passé, d’une mémoire dont ils cherchent à combler les « trous », les « Akan » américains s’inventent une identité multiple, où, pour reprendre les termes de Jean-Loup Amselle (2001), le « branchement » devient une logique permanente de fonctionnement. Pour exister, pour résister aux affres des troubles identitaires, on se « branche » alors successivement sur les Akan, le Ghana, les Yoruba, une « Pan- Afrique » imaginée comme culturellement unie et une expérience « afro-américaine » intégrant la tragédie de l’esclavage. Or, dans cette logique, seuls le culte et l’action rituelle parviennent à donner à cette identité fractionnée sa cohérence tant espérée.

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NOTES

1. La Nation of Islam est un mouvement nationaliste Afro-américain né dans les années trente. Ses leaders prônent le retour des Afro-Américains à ce qu’ils considèrent comme leur religion originelle, l’Islam et réclament l’obtention d’un État indépendant sur le territoire états-unien. Sur la Nation of Islam, voir entre autres Brent Turner (1984), Essien-Udom (1964), Gardell (1996). 2. J’utilise dans ce texte le terme « Afro-Américains » pour qualifier les populations noires des É tats-Unis 3. L’expression « lavage de cerveau » est utilisée au sein de la Nation of Islam pour dénoncer les actions d’une population blanche qui chercherait à faire oublier aux Afro-Américains leur réelle identité. 4. Dans son ouvrage L’Atlantique noir (2003), Paul Gilroy revient sur cette tentative d’outrepasser le traumatisme de l’esclavage dans le projet afrocentriste. « Elan », selon ses propres termes, « révisionniste », l’oubli programmé de l’esclavage, son « refoulement » vont de pair avec la

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construction d’une tradition perçue comme immuable, « faisant de la pureté la base de la solidarité raciale » (Gilroy 2003 : 248-249). 5. La communication de Molefi Asante fut en réalité lue à l’audience, Asante étant absent de la conférence. 6. Texte disponible sur : http://www.africamaat.com/L-Afrocentricite-et-la-Resurgence, consulté le 29 janvier 2009. 7. L’Égypte antique constitue un motif fréquemment utilisé par les militants du nationalisme noir. Wilson Jeremiah Moses (1998) appelle « contributionnisme »,la posture adoptée par Asante qui suppose l’utilisation de la civilisation égyptienne pour prouver le rôle des Africains dans l’Histoire de l’humanité. Voir aussi Walker (2004). 8. Sur le mouvement « yoruba », voir Capone (2005), Clarke (2004) et Palmié (1995). 9. Sur les « Akan », voir Guedj (2006). Dans cet article, les termes akan et yoruba seront placés entre guillemets lorsqu’ils sont relatifs aux mouvements états-uniens, pour les distinguer des ethnies africaines. 10. Les références sur les constructions sociales de la « tradition » et de la « mémoire » sont nombreuses. Voir également Hobsbawm et Ranger (2006), Lenclud (1994) et Pouillon (1975). 11. Ce présent article reprend et complète des arguments développés par Guedj (2005 et 2007). 12. Le Ghana exerçait en effet à l’époque un réel pouvoir de fascination sur les militants afro- américains. Indépendant depuis 1957, le pays était devenu un symbole dans la lutte des populations noires contre l’oppression. Nombreux furent les activistes qui s’inspirèrent de l’exemple ghanéen dans leur propre combat, à l’image du W.E.B. Du Bois qui mourut à Accra en 1963 après avoir obtenu la nationalité ghanéenne. Par ailleurs, le Ghana bénéficiait de la réputation de rebelle qui incombait souvent dans la littérature historique et anthropologique au peuple akan. Considérés comme les ancêtres des esclaves marrons, les Akan faisaient figure de population insoumise, caractère insoumis auquel s’associent aujourd’hui les membres du mouvement « akan » états-unien. Sur l’intérêt des Afro-Américains pour le Ghana, voir aussi la contribution de Sarah Fila-Bakabadio dans ce numéro. 13. Depuis 1962, Nana Oparebea, prêtresse en chef de l’Akonedi Shrine de Larteh Kubease, était à la tête de la Ghana Psychic and Traditional Healing Association, association fondée par Kwame Nkrumah pour sauvegarder la pratique de la médecine traditionnelle au Ghana. 14. Sur l’histoire de l’Akonedi Shrine, voir Brokensha (1966) et Guedj (2008). 15. Notons que les noms donnés par Dinizulu à sa maison de culte et à son centre culturel sont tous les deux constitués de termes twi, ga et anglais. En effet, l’expression Bosum Dzemawodzi est un amalgame du terme « divinité » en twi (bosum ou obosom) et de la traduction ga de ce même terme (dzemawodzi). L’appellation The Aims of the Modzawe, quant à elle, fait référence au lieu de réunion des aînés dans un village ga. 16. En général, la première cérémonie à laquelle assiste l’adepte potentiel n’a pas lieu à l’intérieur de la maison de culte, mais dans un local pouvant accueillir un plus grand nombre de participants. Les futurs adeptes découvrent donc souvent la religion « akan » lors de cérémonies publiques, tel l’Akwasidae, organisées sur la base d’un calendrier rituel précis. 17. Les « Akan » américains utilisent l’expression « posséder les abossom » ; ce faisant, ils se considèrent comme des agents dans l’acte de posséder, action qui leur permet de refaire volontairement corps avec leurs origines. 18. Sur cette notion, voir Guedj (2004). 19. Le terme African-American est aujourd’hui majoritairement utilisé aux États-Unis pour désigner les populations noires. Il s’agit d’un terme à connotation idéologique qui insiste sur la composante africaine de l’identité noire américaine. 20. Les fidèles du mouvement « yoruba » utilisent également la littérature anthropologique pour assouvir leur soif de connaissance de l’Afrique. Le sort fait à ces écrits au sein du mouvement a été analysé par Kamari Clarke (2004).

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21. Voir, entre autres, Capone (2005) et Clarke (2004). 22. Sur l’Odunde Festival, voir Guedj (2006). 23. Onipa Abusia est une maison de culte « akan » fondée en 1997 par deux des coépouses de Nana Yao Opare Dinizulu. 24. Cheihk Anta Diop, Yosef Ben-Jochannan, dit Dr. Ben, et Ra Un Nefer Amen sont tous trois associés à la valorisation de l’héritage africain des Afro-Américains à travers le prisme de l’É gypte. Les écrits de Diop sur l’unité culturelle d’une Afrique noire puisant sa source en Égypte sont amplement cités par les Afrocentristes. Ben-Jochannan, activiste afro-américain s’est illustré par ses réflexions sur les prétendues origines égyptiennes du Christianisme. Enfin, Ra Un Nefer Amen, ancien membre du mouvement « yoruba », est le fondateur de l’Ausar Auset Society, aujourd’hui principale organisation kemet du pays. 25. Ces informations sur le parcours spirituel de Nana Baakan ont été recueillies lors d’une série d’entretiens réalisés à Philadelphie en juin 2002, mars 2003, 2004, 2005 et août 2007. 26. Informations recueillies lors d’enquêtes de terrain effectuées à Baltimore en 2004-2005. 27. Cette expression a été prononcée par Nana Baakan lors d’un entretien réalisé à Philadelphie en octobre 2004. 28. Cette idée d’une Afrique culturellement unie se retrouve dans les écrits de Cheikh Anta Diop et de Molefi Asante. Voir en particulier Asante et Asante (1985) et Diop (1959). 29. La présence sur cet autel de l’ankh est à mettre en relation avec l’affiliation passée de Nana Baakan à l’Ausar Auset Society. Ce symbole se retrouve toutefois fréquemment aussi bien sur les autels des « Akan » américains que sur les couvertures des ouvrages des Afrocentristes. 30. Le Southern Comfort est un alcool très sucré fabriqué dans le sud des États-Unis. 31. Nous avons vu qu’il existe également aux États-Unis un culte kemet. Dans certaines maisons « akan », les abosom sont alors associés aux divinités kemet, les neteru.

RÉSUMÉS

Fondé dans les années 1960, le mouvement « akan » rassemble plusieurs milliers de fidèles. Né de la rencontre d’un percussionniste afro-américain new-yorkais et de la prêtresse en chef d’un sanctuaire ghanéen, il s’appuie sur la reproduction en Amérique du Nord du culte de divinités akan et instaure des liens généalogiques entre Akan du Ghana et Afro-Américains descendants d’esclaves. En revenant sur la formation et sur le fonctionnement actuel du mouvement, cet article s’intéresse aux relations observables entre constructions identitaires et pratiques rituelles. À travers l’analyse des multiples espaces rituels du culte « akan » américain, il démontre comment la tentative d’invention de l’Afrique opérée par les fidèles s’accompagne de logiques d’identification complexes, leur permettant de se revendiquer tantôt akan, tantôt panafricains, et afro-américains.

Founded in the 1960s, the “Akan” movement now has thousands of members in the US. Born from the encounter of an Afro-American musician and the chief priestress of a Ghanaian shrine, it reproduces the worship of Akan divinities in North America, and institutes genealogical links between Akan people from Ghana and Afro-Americans descendants of slaves. This paper describes the development and the current dynamics of the movement, and highlights the relationships between identities and ritual practices. The article also describes the multiple ritual spaces of the American “Akan” movement, and shows how, for Afro-American “Akans”, the

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invention of Africa goes along with complex logics of identification, which allow the members to position themselves simultaneously as Akan, Panafrican, and Afro-Americans.

INDEX

Mots-clés : Afro-Américains, Akan, États-Unis, identité, Panafricanisme, religion Keywords : Afro-Americans, Akan, Identity, Pan-africanism, Religion, United States of America

AUTEUR

PAULINE GUEDJ Docteur en ethnologie de l’Université Paris X -Nanterre, maître de conférences à l’Université Lyon 2- Louis Lumière, membre du CREA et chercheur associée au CEAN (UMR 5115). Elle est l’auteur d’une thèse de doctorat et de plusieurs articles sur le nationalisme noir, les afrocentrismes et le mouvement « akan ». Actuellement, Pauline Guedj poursuit ses recherches sur les processus de patrimonialisation des religions, musiques et cultures noires aux États-Unis. [49 rue d’Orsel, 75018 Paris – [email protected]]

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All Yah’s Children Emigrationism, Afrocentrism, and the Place of Israel in Africa

John L. Jr Jackson

1 In 1966, amidst race riots and related urban unrest in America’s poorest Black neighborhoods, one of Chicago’s “native sons”, a twenty-something African American named Ben Carter, received a visit from Angel Gabriel anointing him to lead God’s people out of the “wilderness” of 1960s America (Hagadol and Israel 1992)1. Heeding that celestial call, Carter began to prepare God’s flock for a new home in Liberia, a West African nation concocted in the early 19th century with help from the American Colonization Society (Johnston 1904 ; Landing 2002 ; Lounds 1981 ; Gerber 1977). This mid -1960s emigrationist move to West Africa proved, however, only a temporary sojourn for Carter and his fellow émigrés. That is because Carter, who had already been renamed Ben Ammi (Hebrew for “son of my people”) and Nasi Hashalom (“Prince of Peace”), was also part of a larger ethno-political organization (with documented institutionalized precursors throughout the United States as early as the 19th century) whose members believe that African Americans are actually descendents of the Bible’s Ancient Hebrew Israelites (Fausett 1970; Landing 2002; Moses 1998). In this essay, I want to consider the extent to which this “Hebrew Israelite” community’s theology, ideology, and transatlantic journey fall within a larger tradition of Afrocentric thought, even as this emigrationist group is usually (and quite decidedly) not thematized as heirs of Afrocentrism in most scholarly or popular accounts2.

2 Afrocentrism often gets attacked from mainstream historical circles for its romantically revisionist racial narratives, its attempts to recast canonized historiography as a purposeful distortion of the historical record in service to “Eurocentric” ideological and political needs. Most of this debate is framed around questions of ancient Egypt’s racial composition and organized in terms of the extent to which ancient (read : Black) Egyptian mysteries served as the fundamental building blocks for subsequent Greek philosophies – and, therefore, as the very bedrock for Western civilization (even as Western culture defines its modernist promise and practice in firm opposition to the primitive anteriorities of African culture). Although rarely placed in substantive conversation with these contentious academic and popular debates about Europe’s supposed debts to Africa, I want to argue that Ben Ammi and

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the Hebrew Israelites represent a direct extension of these disputes, rewiring traditional Afrocentric claims to a newfangled reckoning of African Diasporic subjectivity (Gilroy 1993 ; Edwards 2003).

3 Afrocentricity has a canon, and the Hebrew Israelites are usually ignored within that literature. However, they demonstrate a clear debt to larger Afrocentric attempts to make sense of global racial hierarchies, attempts predicated on a systematic critique of the epistemological assumptions that underpin them. I want to challenge commonsensical efforts to omit groups such as the Hebrew Israelites from most renditions and histories of Afrocentrism. With that in mind, I use this essay to unpack some of the parallels between Black Hebrew revisionism and the forms of counter- discourse that Afrocentrists are known to deploy, even as I emphasize the eccentricities that make Hebrew Israelites a difficult group to assimilate into most canonized versions of Afrocentric thought.

4 Senegalese anthropologist Cheikh Anta Diop’s Civilization or Barbarism : An Authentic Anthropology (1991) and Chancellor Williams’s The Destruction of Black Civilization (1987) are both considered classics in the Afrocentric paradigm, providing interpretations of the ancient past that are vastly different from what many regard as “standard” classical history3. Williams’s book is an ambitious 6000-years saga of racial struggles and skirmishes from ancient Egypt to contemporary Ghana. His point is to make a case for the historical depth of “White Supremacy” and its single-minded attempt at black/ African annihilation. Diop dramatizes some of that same history, specifically highlighting the scholastic cover-ups that keep such facts hidden from general audiences. George G. M James’s Stolen Legacy (1973) is probably the classic among classics in the “Egyptocentric” branch of Afrocentrism, arguing that those thoughtful ancient Greeks weren’t so thoughtful after all (i.e., that they actually stole their philosophy from even older Egyptian belief systems). James considers this particularly important because of an equally controversial contention: that those Egyptians of yore were culturally linked to sub-Saharan Africans (and racially “black” by contemporary standards), which is his answer for why European scholars wanted to conceal that part of antiquity’s story in the first place. According to James, Aristotle studied under African teachers. He then simply pretended to write the massive volumes found in Alexandria, volumes only there, James contends, thanks to Alexander’s plundering of Egypt.

5 Martin Bernal, a specialist in Chinese political history, revisited and extended this argument in an ambitious multi-part study on the “Afroasiatic roots of Western civilization” (Bernal 1987)4. Bernal maintained that an “Ancient Model” for understanding the relationship between Egypt and Greece recognized the latter’s debts to the former (just as James contends), but that that position was carefully replaced by an “Aryan Model” more aligned with racist assumptions in the West. Classicists dismissed him as an untrained amateur (Lefkowitz 1996), an illegitimate “armchair archeologist”, but many interested scholars still hungrily devour Bernal’s critique.

6 All of these debates are actually somewhat orthogonal to the main academic protagonists and promoters of Afrocentrism, most importantly Molefi Kete Asante. I emphasize Asante for two reasons. First, he is widely considered the most significant academic theorist and philosopher of Afrocentrism in the United States today. He has framed his entire career around that scholarly intervention. Second, his texts on Afrocentrism constitute undisputed anchor points for the intellectual formation’s

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canonical center. I will briefly describe Asante’s description of Afrocentrism and highlight its implicit biases against any political/epistemological investments in Hebrewism before returning to the narrative of the Hebrew Israelites and arguing for their Afrocentric relevance.

Afrocentrism 101 : The “Place” of Islam

7 Philosopher Molefi Asante conceptualizes Afrocentrism as a response to the subjective biases of European thinking and thinkers, biases that he claims are passed off as impartial and objective. Afrocentrism is a corrective to Eurocentrism, which Asante argues is a “situated knowledge” that pretends to be universal and non-contingent. This is an important point to highlight because Asante does not argue that Afrocentrism is universal and transcendent. “There is no antiplace” he declares, not even for the Afrocentrist (Asante 1990 : 5). Instead, Asante maintains that Afrocentrism is also quite situated, undeniably placed. However, it is better situated, Asante argues, from its particular perch to deal with questions about African existence, questions that Eurocentrism’s alternative placeness can only ever self-interestedly and dehumanizingly answer.

8 Asante calls attention to the inescapable situatedness of all knowledge production, an Afrocentric version of feminist “standpoint theory”, and maintains that Afrocentrism merely highlights a more appropriate place from which to theorize African history, culture and possibility (Harding 2003). According to Asante, centrism is “the groundedness of observation and behavior in one’s own historical experiences” (Asante 1990 : 12) It does not matter if one is studying the historical record, processes of psychological development, political science or anthropology, Afrocentrism is meant to provide a radically anti-Eurocentric point of entry into any of those domains.

9 Asante’s aforementioned invocation of “historical experiences” is significant, because it justifies his attempt to deploy ancient Africa, especially Egypt (Kemet), as a foundational part of the “origin story” that grounds African difference. Although Asante’s first two book-length treatments of Afrocentricity give relatively short shrift to the place of ancient Egypt (Asante 1980 ; Asante 1987), his most exhaustive treatment of the philosophical underpinnings of Afrocentrism (Asante 1990) spends a great deal of time “interpreting the Kemetic record” in an effort to demonstrate the ontological and epistemological difference that the placedness of Ancient Africa represents vis-à-vis Eurocentric theorizations of life and death, biology and sociality, political life and its supernatural/divine correlates. If Afrocentrism places Africa at the cultural and ontological center of the African Diaspora, the emphasis on ancient Egypt links that nation’s classical history to the center of Africa’s civilizational past.

10 For Asante, African difference is predicated on the radical irreducibility of African (Ma’atic) and European spiritualities. “Ma’at in the Kemetic tradition”, Asante writes, “is predicated on our appreciation of the concept of order, measure, limit and form, that is, form in the sense of order and justice” (Asante 1990 : 90). It is “the cumulative appearance of the divine properties” (Asante 1990 : 88).

11 Asante goes on to argue, invoking the previously mentioned work of George James, that Greeks subsequently tried to explicitly redeploy (and re-place) Ma’at as a basis for their own impoverished (because secularized) notion of mathematics. As far as Asante is concerned, mathematics is Ma’at with the soul and spirit ripped out of it. Indeed,

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Afrocentrism is as mystical and soulful as it is empirical, and that is by design. Asante’s long forays into the Egyptian mysteries and mythology pivot on the centrality of religiosity and spirituality to any authentic attempt at Afrocentric thought. Asante spends quite a bit of time trying to explicate the constitutive significance of “soul” for the Afrocentric project. It is a “concrete motive force” that “activates research” and grounds the validity and appropriateness of knowledge claims5. Asante’s commitments to these themes of divinity, spirituality, and soulfulness are key, and they help to explain what he excludes from his conceptualization of African/Kemetic situatedness (as foreign to its fundamental nature) and why.

12 Near Eastern Studies scholar Sherman Jackson (2005) does a compelling job demonstrating Asante’s attempt to disqualify Islam from any fundamental role in rendering Africa’s difference from the West. Jackson calls Asante a “Black Orientalist” (borrowing from Edward Said’s Foucault-inspired and deconstructionist formulation) for (i) characterizing Muslim societies as intrinsically racist, (ii) casting Islam as just another form of white racism (no better than Christianity on that score), and (iii) defining Islam as categorically alien to his Kemetic Africa. According to Jackson, Asante’s “authentic African self” cannot be Muslim (even though, Jackson points out ironically, one of Asante’s most-cherished theoretical interlocutors is Muslim, Cheikh Anta Diop). “Adoption of Islam”, Asante writes, “is as contradictory to the Diasporan Afrocentricity as Christianity has been” (quoted in Jackson 2005 : 109). According to Sherman Jackson, Asante portrays Arab Muslims in Africa as little more than invaders ; people who don’t naturally belong. If anything, Jackson claims, Asante relegates Arabs and Islam to the role of cancer and poisonous contagion vis-à-vis African life. Their entry into the continent marked the beginning of the end, he says, of Asante’s beloved Kemet. “Indeed, [Asante] seems to intimate”, Jackson writes, “[that] had it not been for Arab Muslims, the Europeans might have encountered a thriving, powerful civilization in Africa that they would not have been able to dominate” (Jackson 2005 : 109).

13 Jackson believes that Asante falls into this “Orientalist” trap because he projects American racial circumstances onto an African canvas. Ironically, Jackson argues, Asante’s Afrocentrism suffers from a kind of Americocentrism. The philosopher’s placement in America, the place of American sensibilities in Asante’s conceptualization of Africa, uncritically and unknowingly over-determine his reading of the continent6.

14 In the same way that Asante can condemn Islam for its historical role in the subjugation of African peoples/culture, Judaism and Christianity function as threateningly extrinsic elements with no necessary relationship to African specificity. In such a philosophical context, one wherein ancient Egypt is privileged and Judaism is little more than potentially complicit in clearing ground for trans-Atlantic slavery’s ideological justifications and practical machineries, the represent a radically different articulation of this ongoing attempt to resignify Africa as more than just Europe’s dark lack. However, given his dismissal of Islam, Asante would not fully approve of the Hebrew Israelites’ reclamations of Africa, especially insofar as it pivots on a constitutive inclusion of Israel into the formulation. Moreover, given the complicated historical connections and conflicts between African Americans and Ashkenazi Jews, conflicts fanned by the flames of anti-Semitic comments from groups such as the Nation of Islam, Asante is also negotiating a political landscape that already presupposes serious African American skepticism vis-à-vis the Jewish community (Berman 1994). Of course, all of this coincides with the substantive philosophical and

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historical links between Judaism/Jewry and Afrocentrism. For instance, early 20th century Jewish American anthropologists such as Franz Boas and Melville Herskovits were quite valuable to Afrocentrists in terms of providing evidence for claims of West African cultural unities and continuities with the African Diaspora (Herskovits 1990 ; Moses 1998). Moreover, the earliest practitioners of Black Freemasonry in the 18th century, a group considered central to discussions about longstanding African American investments in the symbolic significance of ancient Egypt, actually identified with ancient Hebrews more than ancient Egyptians (Grimshaw 1903 ; Moses 1998), a move that anticipated Ben Ammi’s identitarian claims by some 200 years.

Life in Liberia

15 Ammi took up to 400 people with him to rural Liberia in 1967, far from the capital city of Monrovia. However, by 1968, almost three-quarters of those migrants had returned to the United States, unable and unwilling to hazard the physical and mental hardships of “bare life” in the Liberian jungle – beyond the bounds of the nation-state, left to fend for themselves on the outskirts of that nation’s legitimate body politic (Agamben 1998). Many of these African Americans were born in urban cities like Chicago, Detroit, Ohio, New York, and Atlanta, which means that they did not know the first thing about building their own homes from scratch, cooking food sans four-burner stoves, or preserving meat and other items without the comfort of reliable, electric refrigeration – all things they needed to perfect on the people-less, tree-filled land they occupied in Liberia (Gerber 1977 ; Hagadol and Israel 1992 ; Landing 2002)7.

16 When these African-American Hebrew Israelites left the United States, they were not necessarily lauded by everyone as valuable ideological and institutional progeny of the still-lionized Marcus Garvey and his early 20th century Black-Star Lined plot to re-locate race-mates to The Continent. Instead, some people saw them as sellouts, cowards, and apolitical freaks. Everyone else was digging in their heels to fight, the rhetorical backing of “Black Power” as wind in their activist sails, and these Black Israelites were leaving the country. They were also following a young twenty-something former foundry worker, Ammi, who was specifically told (by many of the elders in Chicago’s eclectic Black Hebrew Israelite community) that the time was not yet right for such a journey – or, according to some, that such a relocation scheme should never be undertaken at all. But Ammi’s group emigrated anyway, which means that they were questioned both for avoiding the Black-Power fight in the land of their birth and for disobeying the decrees of leaders in the Black Hebrew Israelite community they left behind in Chicago. To make matters worse, early life in Liberia was considerably more difficult than some of the émigrés had anticipated. The Liberian government, headed by powerful Americo-Liberian descendents of 19” ; slaves from the United States, agreed to allow Ammi’s group to enter their country, a decision predicated on Liberia’s historical role as an early settlement for America’s free Black population (Gerber 1977 ; Akpan 1973).

17 Once Ammi’s group arrived in Liberia and the novelty of their emigrationist success wore off, the truly daunting nature of their ongoing task became increasingly clear. Some of the early migrants died of diseases, snake bites, and physical accidents (such as falling down open wells). The community did not have a great deal of money, could not grow enough food, and lived about 100 miles from Monrovia’s stores and urban

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amenities. All of these variables conspired to make the group’s stint in Liberia quite harrowing, and Ammi’s emigrationist experiment seemed doomed to fail by spring of 1968. However, God sent another sign to his messenger.

18 In April of that year, Martin Luther King, Jr., gave a rousing speech in Memphis during what would turn out to be his final public appearance, just one day before he was killed on the balcony of a Tennessee hotel room. In the now-famous speech, one King had given several times before, he offered up his own spiritually-inspired dream, one that resonated with this small community of American ex-pats barely surviving in Guryea, Liberia : “I just want to do God’s will”, King preached. “And He’s allowed me to go up to the mountain. And I’ve looked over, and I’ve seen the Promised Land. I may not get there with you, but I want you to know tonight that we as a people will get to the Promised Land”. Hearing these words, a group of seemingly separatist Black expats invoked an assimilationist Civil Rights icon to justify their next major decision.

19 Hearing this inspiring and Amen-accented declaration from the news reports they listened to in Liberia, Ben Ammi interpreted King’s last public statement as prophesy – as another bit of divine intervention8. Why did God put those particular words in King’s mouth on that fateful day ? Was not the “Promised Land” Israel, especially for African Americans claiming to be descendents of ancient Hebrew Israelites ? If so, what were they doing in West Africa ? Of course, they could not survive there ; some of them would get disillusioned and head back to America. Liberia was not where their Diasporic origin story began. So in 1969, the remaining 100 African-American Hebrew Israelites emigrated again – this time, from West Africa to the modern state of Israel.

20 One thing that is important to highlight, however, is that the group does not consider itself to have left Africa as a function of that move. In fact, they have re-geographized Israel as little more than a subsection of the African continent, “Northeastern Africa”, and decidedly not a segment of the “Middle East”, the latter being considered a kind of conspiratorial fiction used to buttress attempts to excise Israel from commonsensical cartographies of Africa. Of course, forms of Black Nationalism have long drawn on the Middle East, specifically Islam and Judaism, as “cultural anchor” (Moses 1998) and metaphorical inspiration. One of the nineteenth century’s “fathers” of Afrocentrism, Edward Wilmot Blyden was clearly inspired by early childhood experiences with the local Jewish community in St. Thomas and even studied Hebrew with local Jewish intellectuals (Gilroy 1993 ; Moses 1998). The Nation of Islam’s religiously inflected nationalist project is an obvious example of Islam’s deployment as a kind of racio- religious project (Curtis 2002 ; Rouse 2004 ; Jackson 2005). And Marcus Garvey’s envious assessments of early 20th century Jewish Zionism are well known (Gilroy 1993 ; Grant 2008). Moreover, Asante’s commitments to Ancient Egypt (at the expense of a delegitimized Islam) parallel African Hebrew Israelites’recuperations of Israel as Africa, recuperations that displace Egypt as the symbolic center of African cultural difference. Where the Egyptolophilic version of the Afrocentric debate links ancient Egypt/Kemet (genealogically, culturally, spiritually, politically and symbolically) with sub-Saharan Africa, the Black Hebrew Israelites connect Israel to Africa, which they would describe as a reconnection and geographical correction. The group’s iconic pictorial representations of the African continent include a tiny sliver extending from the upper right corner of the image, which helps them to highlight their argument about Israelite refugees populating every section of Africa after Romans destroyed the temple (70 AD) and forced the Israelite tribes to flee. Israel is right in Africa, they argue, so it stands to

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reason that the tribes would have fled farther into that same continent as opposed to just heading north.

21 In many ways, the Hebrew Israelites represent an alternative re-placing of Africa to the kind found in Asante’s rendition of Afrocentrism, but it is no less predicated on Africa’s centrality. The interior of Africa not only rests beneath Israel, it houses many different manifestations of Hebraic practices and beliefs. The community has even mounted a traveling museum that documents all the tribal rituals in eastern, western, southern and central Africa that demonstrate ostensibly Hebraic traditions extant among a vast number of African groups.

22 Not knowing quite what was happening when Ben Ammi and his compatriots arrived in 1969 (or how to respond to their genealogical claims about being “lost tribes”), the Israeli government grudgingly allowed some of the earliest arrivals to exit Ben Gurion International Airport and enter the country temporarily on visitors’visas (Gerber 1977), and these African American Hebrew Israelites have been there ever since. By the summer of 2005, the first time I visited them in their quaint and quiet enclaves in Dimona, Arad and Mitzpe Ramon, in Israel’s Negev region, I was surprised to find that the initial 100 émigrés had ballooned to about 3 000, and that these African American immigrants who invoke the “Right of Return” to justify their presence in the Holy Land have established themselves as a recognizable segment of contemporary Israel’s multicultural landscape.

23 The group has become a little-known (and under-studied) satellite of Black America, an intentional community, what Anthony Wallace would have called a “revitalization movement”, one that lives on its own relatively self-contained village compound (Wallace 1956). Dimona, their capital city, is a converted immigrant absorption center, and saints, as members are called, reside there and throughout Israel, from the southernmost town of Eilat to the northern cities around the Sea of Galilee. And there are many more saints in small communities all around the world, particularly throughout the United States.

24 This group has a complicated relationship to the Middle East : one-part Jewish- identification through their professed Israelite genealogy, and one-part Palestinian sympathizing as a function of their own marginalized status in what they would describe as a “racist” nation-state. Of course, the latter is operative even while their “settler” practices prove problematic in the context of competing Palestinian claims to autochthonous belonging.

25 Looking at this from an even broader conceptual canvas, their story provides some perspective from which to make sense of conflicted American responses to the contemporary global moment, especially since these African-American Hebrew Israelites are hybrid citizens, invested in Israel (with their high school graduates, for the first time two years ago, voluntarily enrolled in the Israeli army), but still irredeemably connected to American society through friends, family members, an internationally successful vegan restaurant chain with branches all over the United States, and members’ own individual life histories (Markowitz and Stefansson 2004)9. With that as backdrop, the group’s emigrationist story can also help to problematize conventional assumptions about racial identities and Diasporic communities, placing theoretical and historical treatments of Jewish Diasporic longings and African Diasporic desires into a robust and critical conversation. Scholarship on the “African Diaspora” or the “Black Atlantic” (in anthropology, literature, history and philosophy) can

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sometimes merely gesture towards the general debts owed to Jewish conceptualizations of Diaspora without substantively unpacking the implications of that analytical and interpretive indebtedness10. If Afrocentric scholarship actually pivots on deconstructionist assumptions about historical inaccuracies promulgated by Western science, letters, and history at the expense of African Diasporic subjects, a serious ethnographic appreciation of the African Hebrew Israelites allows us to examine a similar deconstructionist project operationalized as a full-fledged social movement.

The Many Bodies of Black Hebrewism

26 The Black Hebrew Israelites who arrived in Israel in 1969 had come out of urban American cities such as Detroit, Cleveland, Washington D.C., and Chicago. They were from working class and lower middle class families, and some had been Pentecostals, Baptists and even Black Muslims before accepting the truth of their status as descendents of Ancient Hebrew Israelites. A few of the saints were successful R&B recording artists before they left the United States, and they immediately formed a band that toured Liberia, Israel and Europe to help raise money for the resettled community. Ben Ammi was (and still is) the group’s spiritual leader and messiah, but he formed a governing body of princes and minister quite early on, and these individuals, all men, would become increasingly responsible for the daily operations of the community11.

27 Their lives in Israel during the 1970s and 1980s were fraught and vulnerable, allegedly replete with million-dollar money-laundering rings and airline ticket fraud operations set up to finance members’ clandestine return to Israel whenever they were periodically rounded up and deported by the Israeli state12. The community has come a long way since then, which is partially evidenced in their ability to construct a relatively new multi-million dollar school building facilitated (and partially financed) by the United States (even after group members publicly renounced their US citizenship in the 1980s). Moreover, there is also much to be said about their own impressive and ambitious development projects throughout West Africa, in places such as Benin, Senegal, and Ghana. However, I want to hint at their conceptualizations and politicizations of the human body itself (and concomitant notions of personhood) as a way to think about how such deployments frame their collective attempt to wire race and spirituality to a re-imagined national community.

28 There are many points of entry into the group’s mobilizations of what might be called “bodied rhetorics”. For instance, there is a complex calculus that determines which bodies are even “Black Hebrew Israelite” bodies in the first place. A different offshoot of the Black Hebrew Israelite community in the United States, the “Worldwide Truthful Understanding” (WTU) Black Hebrew Israelites in New York City, transformed their members from strict genealogists (reading either matrilineality or patrilineality as the indisputable basis for authentic Israelite belonging) to advocates of an adamant anti- genealogic – claiming that the real prerequisite for belonging was not a Black mother or Father, or any epidermal evidence of Blackness at all, only the capacity to hear and accept “Yah’s message”, regardless of a person’s social background, family tree, and phenotypical features (Jackson 2005). That transformation, which took place at the end of the 1990 s, was a fairly radical recalibration, a re-reckoning of identity for the once- in-a-lifetime fin de siècle. Where previously the WTU Black Hebrews could definitively

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proffer a precisely racial and genealogical organizing principle for inclusion and exclusion, they subsequently conceded to a version of social collectivity that ostensibly eschewed any explicit adjudication based on racial logics. The change was predicated on the group’s re-reading of the Bible (including Titus 3 :9), which warns Israelites to avoid “foolish questions, and genealogies”. In many ways, that move from genealogy to anti-genealogy already expresses two very direct (even mutually exclusive) ways in which some Black Hebrew Israelites addressed a notion of “the body” and its implications for group belonging. In the first instance, the body’s very history and materiality determined legitimacy. In the second, bodies are deemed unreadable and spiritually unintelligible except as a function of their performances of faith and acceptance.

29 The WTU Hebrew Israelites share some institutional history with Ammi’s Hebrew Israelites now in Israel, but the two groups’ current ideologies and cosmologies are quite different. Indeed, there are several disparate Black Hebrewsisms today, all interconnected (in some ways) but distinct. For instance, some of the earliest institutionalized African American identifications with Judaism date back to the eighteenth century and the beginnings of the nineteenth century. William Christian founded one of the first self-professed Black Jewish congregations in the latter half of the nineteenth. In the early 1900 s, Prophet Cherry and William Crowdy started what many historians characterize as “Black Jewish” worship services, the Church of God, in Philadelphia, , and The Church of God and Saints in Christ of Lawrence, Kansas, respectively (Brotz 1964 ; Fausett 1970). Appealing to the metaphorical resonances between American slavery and ancient Israelite captivity, these groups made a compelling case for the parallels between Jewish bondage in Egypt and African bondage in America. These early Jewish hubs in Philadelphia and Kansas extended outward to the north and west as congregants and ministers traveled far and wide with their syncretic Judaic teachings.

30 Jamaican Rastafarianism is also often associated with this diffusionist impulse in stories of Black Jewry, especially as a function of its Jewish iconography, most conspicuously the group’s ubiquitous Star of David and invocations of Jah/Yah (Landing 2002). The Nation of Yahweh in is a Black Jewish group infamous for its links to crime and corruption, whose leader, , is serving time in a Pennsylvania penitentiary (Freedberg 1994). Another group, the Law Keepers, is a -based organization that spells its self-designation with a capital Y, Yisraelites, meant to orthographically invoke the Hebrew language, and that practices its own distinctive form of Hebrewism. Indeed, even the distinction between Israelite and Jew is significant. Black Jews are usually meant to refer to those African Americans who look to established Jewry (and to the religion of Judaism) for guidance and validation. Black Israelites define themselves against traditional forms of Judaism (including rabbinical extrapolations on the Old Testament), and they usually dismiss the designation Jew as a reference to only a single tribe (the tribe of Judah) as opposed to all twelve tribes of the Israel.

31 Most famously, the of Harlem, a group of Black Jews ethnographically canonized in the 1960 s (Brotz 1964 ; Landes 1967), were led in the early 1900 s by Rabbi Arthur Wentworth Matthew, a black man believed to have come out of Marcus Garvey’s Universal Negro Improvement Association, along with Rabbi Josiah Ford, the UNIA’s choir leader, a person that anthropologist Howard Brotz

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theorizes might have been the same Ford/Fard that started the Nation of Islam in Detroit a few years after Rabbi Ford was said to have left for Africa. The Commandment Keepers are usually considered Black Jews (instead of Black Israelites) because Matthew let white Jews visit his services and even consulted with them on Jewish practices and rituals, something the WTU Hebrew Israelites would never imagine doing.

32 Presently, Commandment Keepers all across America are carefully codifying and archiving the history of their particular Black Jewish organization, and part of that project entails making it absolutely clear how their brand of Judaism differs from the practices of the WTU Hebrew Israelites, a group that meets not more than five blocks from the Commandment Keepers’ Harlem synagogue. Making this distinction explicit is important because the WTU Black Hebrews are decidedly vocal about their disdain for whites/Europeans, a hatred rooted in racialized readings of Genesis that interpret Rebekah’s birthing of twin boys (Esau and Jacob) as the origin story for two discrete races (blacks and whites). According to the WTU Hebrew Israelites, contemporary Jews are “imposters” purposefully hiding the truth about African Americans’ genealogical links to the ancient Israelite patriarchs13. Indeed, these current claims about “imposter Jews” demonstrate a clear indication of the overlap between WTU Hebrew Israelite beliefs and those found among the distinct group of Hebrew Israelites that entered Israel with Ammi, overlaps that have become starker divergences in the forty years since Ammi’s group first took up residence in Israel. After being disqualified from citizenship under the 1952 Law of Return, the group responded by de-authenticating the Jews who were already residing in Israel (i.e., calling them imposters and frauds). Up through the late 1980 s and early 1990 s, the Hebrew Israelites in Dimona dismissed European Israelis’claims to Jewishness quite emphatically. They also critiqued those Ethiopian Jews who were willing to symbolically convert after being airlifted to Israel in the 1980 s, a precedent often cited by government officials as justification for making the same request of the Black Hebrew Israelites from Chicago (Gerber 1977). Today, the Hebrew Israelites in Dimona no longer voice a categorical denial of European Jewry’s legitimacy, but the WTU Hebrew Israelites in Harlem and Brooklyn still espouse that position, even as they no longer test initiates’ biological/genealogical authenticity through an examination of patrilineality.

33 This slow divergence is not the only thing that distinguishes Ammi’s Hebrew Israelite community from the WTU Hebrews. Unlike Ammi’s group, which considers Israel a part of Africa and calls itself the “African Hebrews of Jerusalem”, the WTU Hebrews define Black Hebrew Israelites in contradistinction to Africanity – with Africans deemed different peoples entirely : Hamites, Hagerenes, Cushites, and Ishmaelites, but not Israelites. The WTU Black Hebrews invoke a Hebrew Israelite Diaspora that is a kind of “racial Diaspora” but without any recourse to Africa at all14. African alterity is absolute and immutable, regardless of the superficial phenotypical sameness of skin-color. Of course, this kind of conflicted (even hostile) assessment of African difference has defined African-American understandings of the “motherland” for centuries, especially as filtered through the prism of religion. For instance, Christianity’s offer of salvation helped to justify many nineteenth century African-American missionaries’ “redemptionist” demonizations of African spiritual beliefs (Campbell 2006 ; Moses 1998). However, unlike the WTU Hebrew Israelites, Ammi’s Hebrew Israelites turn the African Diaspora into a proxy for a form of Black Diasporic subjectivity that is African and Israelite in the selfsame instant. Where one of these two contemporary Black Hebrew Israelite groups (which share the same splintered historical lineage to those

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19th century and early 20th Black Jewish institutions in Kansas, Philadelphia, and New York City) defines Africans as external to Israelite identity (regardless of commonsensical assumptions about somatic similarities and historical contiguities) and as excluded from any valid definition of a Black Hebrew Israelite Diaspora (which is not in any way, then, an African Diaspora), the other group, the one residing in Israel today, makes Israelite identity inextricably connected to a larger African genealogical, geographical, and cultural landscape15.

34 Of course, the Hebrew Israelites currently residing in Israel might consider Africans to be legitimate descendents of the ancient Israelite tribes, but their unacceptable (because non-Israelite) African religious beliefs and practices are another matter. Moreover, the Black Hebrew Israelites’ explicitly invoke “culture” (as a label for what their revisionist project entails) at the expense of discourses about religious affiliation of any kind. The Black Hebrew Israelites declare, in no uncertain terms, that they do not practice a religion. Their beliefs exemplify a cultural worldview, they argue, a holistic lifestyle. And they specifically call it a “lifestyle”, a culture, not a religion. Religion is the problem, AviMelech once told me during a trip we took to visit some Bedouin outside of the town of Beer-sheva.

35 AviMelech describes himself as a “Divine Guide and Hermeneutic Scholar”, someone who studied with one of the group’s most famous priests, Prince Shaleak Ben Yehuda, throughout the 1980s and 90s. We were driving through the nearby city of Rahat as he periodically pointed his index finger out the window of the air-conditioned mini-van and into the hot sun, directing my attention to people walking the streets who “look like Pookie and Rae-Rae and Big Earl and all those folks you know from back home”. AviMelech relishes the opportunity show new American visitors “the African presence in Israel” – a reality, he says, which never gets represented on CNN. However, that does not mean Black Hebrew Israelites in Dimona are sympathetic to the Africans’ religious beliefs. Saints maintain that Christianity, Islam and Judaism actually cause all the problems in the world, especially the violent conflicts in the Middle East. At the same time, they make a clear distinction between their lifestyle practices and others’religious doctrines16. Indeed, whether they are defining themselves in opposition to African cultural groups (as the WTU Black Hebrews do) or considering themselves part of a larger African cultural worldview (with Israel defined as Africa’s northeastern tip), Black Hebrew Israelites highlight their own cultural distinctiveness as the organizing principle for grander claims about their embodied difference. They privilege a nationality of alterity over and against Euro-religions and their claims of monopolistic access to true divinity. The Hebrew Israelites’ commitments to Yah are about ancestry, they argue, not the impoverished and compartmentalized sense of spirituality institutionalized as formal religious denominations17.

Bodies That Matter

36 In any discussion of Israelites and their bodies, it might also make sense to invoke the case of the Dimona Black Hebrew Israelites’ first victim of terrorism, a young musician killed by a suicide bomber while playing with a band on the Northwest coast. Israeli sympathy poured out for the community as a function of the incident, members claim, and it served as the beginning of a more robust acceptance from the Israeli state18. They were made to feel less foreign as a function of this tragedy, and it served as a

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mechanism for facilitating their further acceptance as a part of the Israeli nation, an acceptance manifested in their recently achieved status as “permanent residents”, the penultimate step along a path to the citizenship that they have been demanding since 1969. In this instance, the body, even and especially the deceased body, has productive force as a thematized and politicized fixation19. This discussion of death, of the dead body, is key, and I want to use its invocation as the suggestive scaffolding for a different examination of the Black Hebraic definitions/operationalizations of “the body” as a politicized form of materiality and performativity in the selfsame instance, operationalizations that serve to further marginalize the group in discussions of Afrocentric theorizing.

37 To get at this one last deployment of “the body”, let me continue, as anthropologists are wont to do, with the invocation of a public ceremony. In 2006, during the group’s New World festival (an -time affair commemorating their 1967 journey from the United States), the community spent several days putting on theatrical productions that narrated their story, emphasizing (even lampooning) the fact that Ben Ammi, their messiah, heard his message from Angel Gabriel and did not initially know how to respond. The Hebrew Israelite community’s “Ministry of Information” videotaped the performances, which included young teen and twenty-something saints playing the roles of Angel Gabriel, Ben Ammi, and his childhood friend Gavriel Ben Yehuda.

38 During one skit, an elderly Ben Ammi is smiling and enjoying the dramatic re- enactments under the bright Israeli sun. With several princes and ministers, the male authorities in the community, sitting by Ammi’s side, the young people perform the visitation of Angel Gabriel in the middle of the village’s parking lot, carefully transformed into a “theater in the round” for the week-long festivities. The young Ben Ammi is first startled by the voice. He doesn’t quite believe it. At first, he thinks he is just going insane, and only grudgingly begins to heed the call – cautious, doubtful, and hesitant all the while. The entire performance is done almost like a kind of spoof, with the saints laughing to themselves at how crazy this all must sound to the outside world. They were putting this theatrical performance on specifically for themselves, with saints from all over Israel, Europe, the United States, the Caribbean and Africa returning for this popular annual event. And they were highlighting the odd form of spiritualized disembodiment that prompted their transcontinental journey.

39 This sense of self-mockery, their self-conscious recognition of how odd and peculiar they must look to the outside world, is one of the group’s most amazingly powerful traits – a cognizance that informs every decision they make about how to frame their efforts for external consumption. Their Internet Radio Station and community- produced video/film archival efforts show a subtle understanding of their complex relationship to Afro-America more generally. Indeed, it is complicated by the fact that they espouse a vernacularized version of the infamous “culture of poverty” argument emphasizing African American pathology. Black culture, in its American context, the culture these Hebrew Israelites left behind in the 1960 s, perpetuates Black dysfunction in every way – in music, most recently instantiated by hip-hop, through religious services, family structure, anti-intellectualism and underachievement. However, there is one major wrinkle to their iteration of this “culture of poverty” critique that continues to serve as justification for their post-emigrationist endeavors : Black culture is pathological in the United States because American culture, writ large, is the apogee

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of cultural pathology. According to the Hebrews Israelites, this is not about Black American exceptionalism. It is a function of God’s people not making themselves exceptional, about their too-easy acceptance of destructive American perspectives. Again, this is a move similar to the kind that animates Afrocentrism: a critique of Black cultural practices/assumptions as a function of American (i.e., Western, European) “miseducation” and assimilation (Woodson 1990).

40 “We [Black Americans] like eating ham hocks and chitlins and whatever else they use to kill us”, Ahmadiel Ben Yehuda, a community minister, offered up during a late-night discussion at the group’s guest house during one of my visits in 2007. “It took us [the African Hebrews of Jerusalem] time to get where we are now, to really understand the power of divine eating”, a codified response to decidedly dysfunctional African American dietary practices.

Divine Eating

41 Within a few days of my 2007 arrival in Dimona, I met Oriyahu, a nineteen year-old Black Hebrew Israelite who was born and raised in Israel. Oriyahu was the community’s first and only military inductee the year before, the community’s attempt to demonstrate its commitment to the Israeli state and its appreciation of a newly conferred “permanent residency” status for its members. On furlough for a portion of the summer when we met, Oriyahu sported a mandatory buzz cut, which made him the first and only Dimona member with a bald head (because he had to shave it upon entry into the Israeli military). In a version of their own Hebraic orthodoxy, saints believe that God outlaws the shaving of facial hair. However, with their new military service, the children of this close-knit and insular community will be integrated into the larger Israeli society like never before, which might potentially create problems for the group and its ability to enforce their rules, especially those about health : including that aforementioned anti-shaving regulation, a community mandate to wear all-natural clothes (military uniforms being made of both natural and synthetic fabrics), their no- salt mandate (every other day), and their strict veganism (which I will discuss a bit more in a moment). One serious question that the community must address has to do with whether or not they can even reproduce another generation of saints without being able to monitor their young adults as stringently as they have in the past. This newly instituted military service might potentially threaten social reproduction, especially when the community is predicated on a strict division between insiders and the outside world. Given such newfangled porousness between young adults and the larger Israeli community, will the Hebrew Israelites continue to be successful in the Negev desert? And make no mistake about it; the group can boast some amazing successes, especially in the area of health and nutrition.

42 At the end of the 1990 s, a team of American physicians from Vanderbilt University and Meharry Medical College traveled to Israel and tested many of the community’s senior adults for hypertension and high blood pressure, diseases known to disproportionately plague African Americans in the United States. The community’s elderly saints were much healthier than their American counterparts, with few incidents of the aforementioned diseases (especially when compared to the African American population in the United States). During my fieldwork stints in Israel, saints always ply me with stories about septuagenarian members who regularly, say, run in Israeli

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marathons or take part in other nationwide sporting events. This, they argue, is only possible because of Ben Ammi’s mandated, community-wide veganism, a lifestyle that has evolved over time since the Hebrew Israelites left Liberia (Ammi 1994 ; Hagadol and Israel 1992)20.

43 The group currently runs its own community-accredited “School of the Prophets”, where they train their own specialists in subjects such as statesmanship, diplomacy, history, the priesthood, preventive medicine, and nutrition. One of their locally trained health experts provides visitors and guests with lectures on the health benefits of periodic colonics (which they administer to adults several times a year) and on the early twentieth century medical research conducted by French physiologist and Nobel Prize winner Alexis Carrel (Reggiani 2007 ; Friedman 2008). Carrel was an eccentric medical doctor who was famous for his apocryphal and tabloidized “immortal chicken heart” experiment. Starting in 1912, he claimed that he was able to keep an excised chicken’s heart cells regenerating indefinitely in his laboratory. He was believed to have kept the organ alive and growing inside plasma for over three decades. The heart only “died”, it was claimed, because an absent-minded office assistant failed to replenish the nutrients one morning – some thirty years into the experiment.

44 Explicitly invoking Carrel as a kind of experimental forefather (a controversial figure in France as a function of his work under the Nazi regime), the Black Hebrew Israelites argue that their Ammi-decreed vegan lifestyle is the key to human cell-regenerating eternal life here on earth21. The Black Hebrew Israelites argue that casein, a protein precipitated from milk, which serves as a basic element in cheese, is proven to be the single most important carcinogen in our diets, citing medical studies from all over the globe to bolster such claims (Campbell and Campbell 2005)22. The human body is only fallible, they argue, only mortal, as a function of its divergence from God’s Edenic laws (Griffith 2004 ; Madden and Finch 2006). But veganism can cure the incurable, beating back diseases such as cancer and diabetes23.

45 They conceptualize our bodies as walking corpses only insofar as they testify to our own cosmic disobedience. The community’s concerted recuperation (through revision) of the Black Southern soul food diet (as manifested in their popular chain of vegan soul food restaurants, Soul Veg) is specifically meant to address that fundamental and suicidal cultural pathology of the black community. Saints in the kingdom are so strict about their live-it (a community-wide replacement for the word “diet”), because they want to live forever – and right here on earth, not during some fanciful heavenly afterlife. For now, they’ll consider themselves well on their way toward that goal if their oldest members – saints in their 60s and 70s who have resided in the community for three or four decades – are able to live 125 or 150 years. Toward that end, members regulate their own live-itary choices and use their Biblically-informed normative claims to organize that network of vegan restaurants all around the world : in places such as Chicago, Atlanta, Los Angeles, Washington DC, Tallahassee, St. Louis, Houston, Tel Aviv, London, and Accra.

46 The Black Hebrews’ revisionist history and counter-biology are bogeymen that exploit the kinds of fears and trepidations that plague the non-Western other, fears and trepidations that help to animate the counter-discourse of a field such as Afrocentrism, a purposeful revaluation of the relationship between Europe and its imagined others. The unconventional theories/beliefs of figures such as Ben Ammi often allow scholars/ proponents of Afrocentrism to bracket them out of serious discussions, dismissing

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them as odd characters with little representative value. However, I want to argue that such gestures are made at Afrocentrism’s intellectual and scholarly peril, and for reasons that pivot on quite narrow definitions of Africanness. These dismissive moves mask the powerful links and parallels between Afrocentric thought and some of its marginalized, theme-sharing interlocutors, past and present. As historian James Landing (2002) contends, not accurately capturing the story of Black Judaism means potentially misunderstanding its nuanced historical relationship to Black mobilizations of Islam and Christianity (Frederick 2003 ; Thomas 2004). Moreover, examining how the Black Hebrew Israelites mobilize Africa as a foil and frame for their historical and biological claims demonstrates suggestive overlaps with Afrocentric presuppositions (about categorical African difference) and strategies (for reconceptualizing the African subject). Engaging such links more rigorously will only enlarge our appreciation of Afrocentrism’s claims and their impact on broader and varying social, political and cultural initiatives. It will also allow us to gain a richer sense of just how far-reaching and wide-ranging Afrocentric sensibilities have become. For instance, they might even be said to play a central role in the attempt to remap Israel as Africa while providing cosmological frameworks for ethnobiological projects of genophilic racial recuperation.

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NOTES

1. This invocation of « native son » is meant to invoke the Richard Wright (1966) novel about an African American man trapped in the suffocating grasp of a racialized urban America. Moreover, just for clarification, my version of the emigration story owes a great deal to the group’s own rendition of their journey. Ben Ammi highlights this celestial visitation as part of his own narrative, actually invoking the Angel Gabriel as his direct interlocutor in 1966. Most academic renditions of the story (Landing 2002, Gerber 1977 ; Lounds 1981) render the journey’s impetus in much more pragmatic, secular, and this-worldly terms. My reference to the « wilderness » is meant to invoke the Biblical tale of God’s people wandering through the wilderness. Groups such as the Nation of Islam (and many others) pick up on this same narrative of sacred nomadism. 2. For a useful anthology that offers several accounts, including one that briefly flags links between the Nubian Islamic Hebrews and Afrocentrism, see Black Zion (Chireau and Deutsch 2000). My fieldwork among the Hebrew Israelites started while I was still a graduate student of anthropology in Columbia University in 1994. I document the beginnings of that research interest in my second book (Jackson 2005). I have also conducted fieldwork stints in Israel and throughout the United States, the latter constituting most of my sustained ethnographic engagement (including interviews and participant-observation) with the community over the past ten years. I have visited members of the community in Washington D.C., Philadelphia, Chicago, Los Angeles, and Atlanta over the past decade. 3. In some ways, Black Nationalism and/or Afrocentrism are categorically predicated on race- base suspicions and cynicism vis-à-vis whiteness, which isn’t to say that those models lack other forms of pragmatic/theoretical usefulness or intellectual validity. There are powerful critiques of non-rigorous definitions of « Afrocentrism » (Hanchard 2006 : 87-97), including those that would mistakenly reduce it to forms of « Egyptocentricism », merely one subset of Afrocentric thinking (Moses 1998).

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4. The term Afroasiatic was coined by early 20th Century ethnographer and colonialist Maurice Delafosse. The term is meant to invoke a series of related African and Middle Eastern languages/ cultures. 5. There is a productive tension between Asante’s commitments to situated knowledge and his unpacking of an African case/place that can also traffic in seemingly ethereal and universalist concepts of transcendent and sui generis spiritualities. 6. As one of this piece’s reviewers emphasizes, Asante’s hostility to Islam is a function of this attempt to distinguish Afrocentrism’s political and national project from the revisionist efforts of African American groups such as the Nation of Islam. 7. The Liberian Constitution didn’t allow non-citizens to own land, and there was a long residency period before new arrivals qualified. So, since only citizens could legally own land, the Hebrew Israelites had to give their money to a Liberian citizen who purchased the land they used for them (and technically owned it), which only made the community feel that much more vulnerable. 8. According to at least one researcher (Gerber 1977), the group’s decision to leave Liberia for Israel was much more of a practical and calculated response to the empirical failures of their tenure in Liberia. The community maintains that they actually always intended their sojourn in Liberia to be temporary, a quick stop on the way to Israel. The King speech just reminded them of that fact. Most historians of the group seem to argue that talk of Israel only began once life in Liberia proved untenable. 9. There are many subtle implications of Hebrews Israelites’ conceptions of political difference (Markowitz, Helman, and Shir-Vertesh 2003). 10. Anthropologists are engaged in quite ambitious re-articulations of a transatlantic narrative of black racial re-imaging (Matory 2005 ; Clarke and Thomas 2006 ; Clarke 2004). 11. There are twelve princes and many more ministers who run the ministries (of transportation, education, information, etc.). The third level of leadership is the « Crowned Brothers and Sisters », and many of the crowned sisters are responsible for major aspects of the community’s development and public image (Markowitz 2003). 12. Having only « temporary visas » (if particular members had visas at all) meant that Black Hebrew Israelites couldn’t work legally in Israel. Therefore, they often worked off the books. For instance, they would go out and secretly build homes for nomadic African Bedouin forced into sedentary living by a census-taking and tax-collecting Israeli state. The men would sometimes get rounded up and deported while they were out on such jobs. 13. According to some Black Hebrew Israelite communities, Esau’s offspring (the Edomites) are currently passing themselves off as Israelites (descendants of Esau’s brother, Jacob). Moreover, it is important to remember that both Esau and Jacob, Edomites and Israelites, are considered Hebrews, which is why the designation « Israelite » is an important specification. 14. This actually performs the same move that Sherman Jackson attributes to Asante’s Afrocentrism vis-àvis seemingly foreign religions, only in reverse. 15. Of course, a different scale of embodiment, from the « biopolitical » to what Paul Gilroy ( 2000) and others label the « nanopolitical », has always served as one of the most foundational justifications for claims of Jewish/Hebrew authenticity. That includes genetic research on the Y- chromosomes of the Lemba peoples from Southern Africa as well as more recent (and popularized) deployments of genetics as the final adjudicator of all Jewish belonging (Entine 2007 ; Thomas et al. 2000). 16. The group has a complicated racial logic. They are both post-racial (as evinced in what a colleague of mine, Charlie Piot, has called their Pentecostelization of belonging, which I have already described above) and decidedly not post-racial at all-African Bedouins’s epidermal blackness is a point of identification even as they move to a more all-inclusive and race-neutral

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definition of Israelite identity that allows for the idea that ancient tribes were dispersed to the south (i.e., the rest of Africa) and the north (Europe) after the destruction of the Temple in 70AD. 17. It is also important to note that the Hebrew Israelites in Dimona read the Transatlantic Slave Trade as a fulfillment of divine prophesy and Yah’s justified response for ancient Israelites breaking their covenant with Him. In some ways, this reading reduces Europeans to pawns in a larger Providential game, which might be read as either letting European colonialism off the hook or, alternatively, humbling the world-historical hubris of European imperialists/ expansionists and their sense of cultural might. 18. The community always makes a distinction between the mostly cool treatment that they believe they have historically received from the Israeli government and the warm acceptance that they say characterizes the response of Israeli residents themselves. 19. You don’t have to be an anthropologist to argue that there is no such thing as a « natural death », at least not for critics interested in discovering what we « do » with the dead – how we embalm them for ritualized resurrection. Death has obviously inescapable cultural trapping (Green 2008). For instance, there are also the arguments that Black Hebrew Israelites in Israel deployed in the 1980s, arguments about their radicalized marginalization and « social death » (Patterson 1985) as evidenced in the group’s vocal claims that the Israeli state would not even provide them with a proper cemetery in which to bury their dead. Instead and quite infamously, they were said to dispose of those bodies in a nearby toxic waste dump. And this was one of the tragedies, some members say, that finally compelled (really shamed) state institutions into helping them, forcing a ratcheting up of assistance from Israel and the United States : members of the Congressional Black Caucus were supposedly moved by such narratives, and, on the Israeli side, the Black Hebrews laud a friendly Sephardic mayor willing to assist them on such matters in ways that Ashkenazi elected officials supposedly never had before. 20. The Nation of Islam’s Black Nationalist advocacy of healthy eating is in direct conversation with the Black Hebrew Israelites’ interventions on this score (Muhammad 2006 ; Ammi 1994). 21. The Black Hebrews do not call their eating habits a « diet » al all. A diet is for people who eat to die by eating meat and meat by products. They call what their eating practices a « live-it », reminiscent of how other groups in the Black Nationalist tradition use words to literalize their critiques. I am specifically thinking about groups such as the Rastafarians and their attemps to rename, say, « understanding » « overstanding » as a way to linguistically mark their re- conceptualization of social life. 22. And they do a great job collecting tons of books that lay out similar arguments to their vegan theories, even if few others think specifically in terms of potential immortality. 23. There is, of course, a larger movement of veganism as a kind of miracle cure and corrective for conventional dietary habits (Campbell and Campbell 2005 ; Trudeau 2004 ; Griffith 2004). The latter reference provides details about Christian commitments to disciplining the human body.

RÉSUMÉS

Cet article évoque l’histoire de l’émigration des « Israélites africains hébreux de Jérusalem », un groupe d’Africains-Américains qui ont quitté les États-Unis pour l’Afrique de l’Ouest (puis pour l’Afrique du Nord-Est) à la fin des années 1960. Leur voyage reposait sur une forme de sensibilité afrocentriste, sur un mélange de réponses à l’appel de Marcus Garvey pour une politique centrée sur l’Afrique, et de revendications d’une altérité africaine ontologique. En somme, les mêmes

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revendications intellectuelles qui commençaient tout juste à être codifiées dans le monde universitaire américain par des académiques comme Molefi Kete Asante. Je soutiens que ces « Israélites africains hébreux » donnent à voir une forme complexe d’Afrocentrisme, une version hébraïcisée qui se conforme à certaines formes canoniques d’Afrocentrisme tout en échappant à d’autres. En outre, leurs conceptions du corps aident à expliquer le manque d’intérêt qu’ils ont suscité dans les discussions plus générales de l’Afrocentrisme et de ses relations historiques et institutionnelles avec d’autres formes de contre-discours afro-centrés.

This article delineates the emigration story of the “African Hebrew Israelites of Jerusalem”, a group of African Americans who left the United States for West Africa (and then “Northeast Africa”) in the late 1960s. Their journey was predicated, I argue, on something similar to an Afrocentric sensibility, a mixture of Marcus Garvey-esque calls for an African-centered politics and claims about an ontological African alterity, the same intellectual claims that were just beginning to get codified in the American academy by scholars such as Molefi Kete Asante. I maintain that these “African Hebrew Israelites” represent a complicated kind of Afrocentrism, a Hebraicized version that does (and does not) conform to certain canonized renditions of Afrocentric thinking. Moreover, their conceptions of “the body” help to further explain their purposeful omission from broader discussions about Afrocentricity and its historical/ institutional relationship to other varieties of African-centered counter-discourse.

INDEX

Mots-clés : Afrocentricité, diaspora raciale, émigration, Israël, Juifs noirs Keywords : Afrocentricity, Black Jews, Emigrationism, Israel, Racial Diaspora

AUTEUR

JOHN L. JR JACKSON John L. Jackson, Jr. is Richard Perry University Associate Professor of Communication and Anthropology at the University of Pennsylvania, USA. He is author of Harlemworld : Doing Race and Class in Contemporary Black America (University of Chicago Press, 2001), Real Black : Adventures in Racial Sincerity (University of Chicago Press, 2005), and Racial Paranoia : The Unintended Consequences of Political Correctness (Basic, 2008). He is currently writing a book on Global Black Hebrewism and collaborating on an ethnographic film about contemporary attempts to commemorate historical violences against Rastafarians in Jamaica. [Annenberg School for Communication, 3620 Walnut Street, Philadelphia, PA 19104 – [email protected]]

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Barack Obama and the Ironies of Afrocentrism

Algernon Austin

1 Among black Americans, President Barack Obama has some of the closest and deepest ties to Africa. He has visited Africa when most black Americans have not. His father was Kenyan, and his father’s side of his extended family still mainly resides in Africa. One irony of Obama’s life is that his African ties lead him away from Afrocentrism, not toward it.

2 A second irony is that Obama, although not Afrocentric, was still a member of an Afrocentric church led by the black nationalist Reverend Jeremiah A. Wright, Jr. This irony is likely a testimony to power of black nationalism in Chicago, particularly during the “Afrocentric era” of the late-1980s and 1990s. Although Harlem is the globally- identified city of American blackness (Jackson 2001 : 17-23) and Los Angeles or Oakland might arguably have been the fount of the Black Power Movement1, no city embodied the Afrocentric era quite like Chicago. It is surprising that Obama, a mainstream politician, found himself tied to such a controversial church, but less surprising when one considers that he was active as a politician in black Chicago during the Afrocentric era. Without much effort he could have ended up connected to the even more controversial Chicago-based, black nationalist Minister Louis Farrakhan of the Nation of Islam as Jesse Jackson did in the 1980s (Rueters 1988).

3 Obama originally planned to write a book discussing Afrocentrism (Obama 2004b: xiii) but changed his mind and ended up with the autobiography Dreams of My Father: A Story of Race and Inheritance. Nonetheless, Dreams of My Father reveals some of his experiences with Afrocentrism and many reasons why Afrocentrism would be problematic for him. Actually, we can gain insight into Afrocentrism and into Obama by examining Afrocentrism through Obama’s eyes and Obama through Afrocentric eyes. There have been Afrocentric ideas and organizations throughout black American history, but this article discusses the relatively popular and intense Afrocentric activism during the late-1980s and 1990s in the United States, which truly constituted an “Afrocentric era”. Most of the major organizations of the Civil Rights Movement of the 1950s and 1960s still exist today, but no one would argue that that movement continues today.

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Similarly, there is Afrocentism in the United States today, but it is not of the intensity of the Afrocentric era.

4 In addition to the Afrocentric era, scholars of black nationalism have noted the classical era of black nationalism from the mid-nineteenth century to the early twentieth century (Moses 1978) and the Black Power era of the late 1960s and early 1970s (see Van Deburg 1992). Classical black nationalists hoped to establish a black state for black Americans outside of the geographic United States, but their vision of this black nation was culturally European. Marcus Garvey who desired to “assist in civilizing the backward tribes of Africa” (quoted in Hill and Rudisell 1983 : lii) is the most famous of the classical black nationalists. Most Black Power nationalists were more interested in having blacks establish and take control of specific institutions within the United States than in separating politically from the United States. The Black Panthers who were involved in policing the police and running programs to benefit black urban communities (Van Deburg 1992) is the most famous of the Black Power nationalists. Afrocentric era black nationalism was an intellectual and cultural movement with no significant political goals. Within the academy, Molefi Kete Asante’s writings on Afrocentrism were extremely important to spreading the viewpoint. When one compares the different black-nationalist eras, one notices a decline in political nationalism and an increase in cultural nationalism over time (Austin 2006a : 189-193)2.

Following and Not Following Jesse Jackson

5 In 1988, Jesse Jackson, a black civil rights leader3, was one of the most prominent men in America – of any race. That year, Jackson completed his second attempt to become the President of the United States. Although he was unsuccessful, he won a number of primaries and progressed much further along the road to the White House than any black person had before him. Barack Obama, therefore, followed in Jackson’s footsteps on his path to the American presidency.

6 In December of 1988, Jackson redefined black America – literally. Jackson held a press conference and told the media that blacks preferred to be called “African Americans” (New York Times 1988). He argued, “To be called African-Americans has cultural integrity. It puts us in our proper historical context” (New York Times 1988). Afrocentrism, in its most academic sense4, is precisely about this idea – centering black American cultural identities in Africa and African history. As a man coming off of tremendous success in a presidential campaign, even though he did not win, Jackson had the power to do this without controversy. As a result, Jackson played an important part in re-forging the link between black American identity and Africa.

7 Although Barack Obama has stronger connections to Africa than Jackson, it is hard to imagine Obama attempting to connect black identities to Africa in any way. Jesse Jackson’s civil rights career was based on speaking for blacks. During Jackson’s Presidential campaigns, he spoke for working class Americans facing deindustrialization (Kilborn 1988). Politicians routinely speak for specific constituencies, obscuring the differences between themselves and the groups they claim to represent. Obama does not do this. In Dreams of My Father, he states : I can’t even hold my experience as being somehow representative of the black American experience… ; indeed, learning to accept that particular truth – that I can embrace my black brothers and sisters, whether in this country or in Africa, and

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affirm a common destiny without pretending to speak to, or for, all our various struggles – is part of what this book’s about (Obama 2004b : xvi).

8 Obama is comfortable not speaking for any particular group, because he does not see himself as belonging to any one single group. He is most comfortable speaking for all groups, speaking for the universal. When speaking to Americans, he speaks for all Americans. As he stated in the 2004 Democratic Convention, “there is not a liberal America and a conservative America – there is the United States of America. There is not a Black America and a White America and Latino America and Asian America – there’s the United States of America” (Obama 2004a).

9 Although Obama identifies as a black American (Obama 2004b : xvi), he is not a typical black American. His desire to speak for the universal is likely influenced by his multiracial and international background. His mother was white. His step-father was Asian. He has a half-Asian, half-sister, and he lived in Indonesia for a period of his childhood (Obama 2004b : 28-52, 440). Even the places where Obama lived were extremely multiracial. Hawaii has a very multiracial racial landscape compared with the rest of the United States (Schaefer 2000 : 347-351). Indonesia, too, is, from an Asian perspective, very multiracial5 and very multicultural for Asia (Obama 2004b : 28-52). Although Obama identifies as a black American, his life experience is far more multiracial and multicultural than that of most Americans of any race. From this perspective, it is not surprising that this particular black American would want to speak for all races and not just blacks.

Centered in Africa, but which Africa ?

10 A black person speaking for Americans of all races is not at all Afrocentric. Afrocentrism is about connecting black Americans culturally to Africa and rejecting the idea that black Americans are culturally similar to white Americans. Molefi Kete Asante, one of the leading Afrocentric scholars, argues “Africans in the Americas are . . . Africans” and “African American culture and history represent developments in African culture and history” (Asante 1987 : 10). In 1989, Asa Hilliard, another leading Afrocentric scholar, lamented the fact that in school curricula “there is no presentation of the cultural unity among Africans and the descendents of Africans in the African Diaspora” (Hilliard 1990 : xx-xxi). From an Afrocentric perspective, a black person cannot truly speak for all Americans because black people are culturally African. Additionally, African culture and European culture – the culture of whites – are presumed to be fundamentally different and antagonistic. America, therefore, for Afrocentrists, is a political vessel holding peoples with fundamentally different cultures and fundamentally different values. Barack Obama assumes that he is drawing Americans of different races and political perspectives to recognize their shared common American values. But from an Afrocentric perspective, there are no common American values of any significance.

11 The popular assertion that blacks are culturally African and the celebration of this idea represented a major break from the past. Many black Americans, like other Americans, often viewed Africa as a place of backwardness and inferiority (Austin 2006b : 6, 9-10). Black Americans did not first come to the realization that they had African ancestry in the late 1980s, but it was in the 1980s that many black Americans were able to re- imagine an Africa that was not perceived as backward and inferior.

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12 In fact, the Afrocentric vision of Africa presented Africans as the creators of the greatest civilization of all human history. The rapper Wise Intelligent of the music group X-Clan argued, “Black people are the mothers and fathers of the highest forms of civilization ever built on this planet… Plato, Socrates, and so forth, they learned from black masters of Egypt” (quoted in Decker 1993 : 76). John Henrik Clarke stated plainly, “Egypt gave birth to what later would [become] known as ‘Western Civilization’” (Clarke 1997 : xvii). Asa Hilliard gushed, “There is no code of values and virtues anywhere on the planet, ancient or modern, that exceeds the MAATian system articulated in the Nile Valley thousands of years ago” (Hilliard 1998: 7).

13 This re-conceptualization of Africa was accomplished, in part, by avoiding contemporary Africa and especially the messy political and economic realities of contemporary Africa. Afrocentrism, at least the more academic version, relied on connecting blacks with ancient Egypt. As Asante argued in the 1980s, “the centerpiece of Afrocentric theory was a reconnection, in our minds, of Egypt to Africa” (Asante 1988 : ix). Ancient Egypt allowed for Afrocentrists to focus on and also to imagine an Africa of great civilizations, kings, queens and scientists.

14 President Barack Obama’s engagement with Africa, however, was with contemporary Africa and with messy details that makes imagining a cultural unity between Africans and Americans difficult. In Dreams of My Father, Obama revealed that he was aware of the ethnic conflicts in Africa. His father suffered because he challenged Kenya’s ethnic politics. His half-sister Auma tells him the story : President [Jomo] Kenyatta [the first Prime Minister of post-colonial Kenya] was from the largest tribe, the Kikuyus. The Luos, the second largest tribe, began to complain that Kikuyus were getting all the best jobs... The vice-president, Odinga, was a Luo, and he said the government was becoming corrupt... Odinga tried to start his own party, but was placed under house arrest as a Communist. Another popular Luo minister, Tom M’boya, was killed by a Kikuyu gunman. Luos began to protest in the streets, and the government police cracked down. People were killed. All this created more suspicion between the tribes (Obama 2004b : 214).

15 Obama’s father lost his job and was eventually banished from the government because he opposed the tribal politics being played out in the government. When one thinks about Kenyans battling Kenyans, it is hard to be convinced that the Afrocentric claims of a global and trans-historical cultural unity among Africans has any meaning on the ground. Obama observes these divisions even among his relatives. He writes: Most Kenyans still worked with older maps of identity, more ancient loyalties. Even Jane or Zeituni could say things that surprised me. “The Luo are intelligent but lazy”, they would say. Or “The Kikuyu are money-grubbing but industrious”. Or “The Kalenjins – well you can see what’s happened to the county since they took over”. Hearing my aunts traffic in such stereotypes, I would try to explain to them the error of their ways. “It’s thinking like that that holds us back”, I would say. “We’re all part of one tribe. The black tribe. The human tribe. Look what tribalism has done to places like Nigeria or Liberia”. And Jane would say, “Ah, those West Africans are all crazy anyway. You know they used to be cannibals, don’t you ?” (Obama 2004b : 348).

16 In a sense, Obama, the non-Afrocentrist, is ultimately as desiring of cultural unity as Afrocentrists. He simply wishes for an even more expansive unity than the Afrocentrists. Afrocentrists believe in a global black tribe, but Obama does not stop there. He wishes for a global human tribe. Meanwhile, the evidence suggests that even

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within a relatively small place like Kenya, the Luo, Kikuyu, Kalenjins and the other tribes are not quite as committed to unity as either the Afrocentrists or Obama.

17 One problem that Africa poses for Afrocentrists is the lack of unity among Africans. Another is the lack of cultural purity among Africans. A Kenyan historian explains to Obama that black Americans are sometimes disappointed with Africa “because they come here looking for the authentic” (Obama 2004b : 433). She provides examples from a meal that she is sharing with Obama : Kenyans are very boastful about the quality of their tea, you notice. But of course we got this habit from the English. Our ancestors did not drink such a thing. Then there’s the spices we used to cook this fish. They originally came from India, or Indonesia. So even in this simple meal, you will find it very difficult to be authentic – although the meal is certainly African (Obama 2004b : 433).

18 Black Americans looking for a culturally pure Africa cannot find it in contemporary Africa. Further, Africa, like the lives of black Americans themselves, belies the claim of a fundamental and distinct black and white culture. In this respect, the idea of a single human tribe seems more of a possibility than a pure African or pure European one.

Conservatism and Mainstream Success in “Radical” Afrocentrism

19 The ultimate goals of the black-nationalist activism of the Afrocentric era were missed by most critics. Perhaps because the critics heard the clear echoes of Black Power era cultural nationalism, they were unable to appreciate the differences between the Black Power and Afrocentric eras. Black Power era nationalism had radical aspirations. Most Black Power activists were interested in left-leaning political and economic change. Some claimed to be revolutionaries, others were liberal reformers and many were interested in increasing the amount of political separation between blacks and whites (Austin 2006a).

20 Afrocentric era black nationalists adopted and built on the African-focused cultural ideas of the Black Power era, but they left the radical politics and political separatism behind. Afrocentrists were ultimately interested in applying a conservative, values-based approach to the problems of poverty, violence and teen pregnancy facing black America (Austin 2006a). We can see this fact most clearly in the area of school reform.

21 Afrocentrists were fairly successful in their educational reform efforts. Many schools adopted curricula reforms that placed more emphasis on black and African history. Barack Obama had direct contact with an Afrocentric educator during his organizing years. He describes the office of the educator named Asante (not Molefi Kete Asante) : It was decorated with African themes : a map of the continent, posters of ancient Africa’s kings and queens, a collection of drums and gourds and a kente-cloth wall hanging... [Asante] was dressed in an African print, an elephant-hair bracelet around one thick wrist. He seemed a bit put off at first – he had a stack of SAT practice exams on his desk … (Obama 2004b : 277-8).

22 The African-themed decorations are typical for an Afrocentric school (Austin 2006a : 147-152). It is significant that this educator has SAT practice exams on his desk. The SAT is one of the main exams used for entrance into higher education in the United States6. This Afrocentric educator, like most others, hoped that his students would go

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on to college and mainstream success. Janice Hale, another Afrocentric educator, is explicit about this goal. She sees her Afrocentric curriculum as leading blacks to “upward mobility, career achievement, and financial independence in the American mainstream” (quoted in Wieder 1992 : 35).

23 The Asante that Obama met explained that a proper education for black students would “start by giving a child an understanding of himself, his world, his culture, his community” (Obama 2004b : 258). What Asante means is that education for black students should connect black students’ identities to Africa. He states : I expose students to African history, geography, artistic traditions. I try to give them a different values orientation – something to counteract the materialism and individualism and instant gratification that’s fed to them the other fifteen hours of their day. I teach them that Africans are communal people. That Africans respect their elders (Obama 2004b : 259).

24 Asante sees the dangers resulting from the lack of Afrocentric education as being acute for boys because : Half of them don’t even know their own fathers. There’s nobody to guide them through the process of becoming a man... to explain to them the meaning of manhood. And that’s a recipe for disaster. Because in every society, young men are going to have violent tendencies. Either those tendencies are directed and disciplined in creative pursuits or those tendencies destroy the young men, or society, or both (Obama 2004b : 258).

25 For Asante, Afrocentric education provides endangered black males with the proper socialization into manhood. This socialization, he believes, would reduce the amount of violence in black communities.

26 There were some schools that were entirely Afrocentric and targeted to black males only. Not surprisingly, these schools were quite controversial. But as separatist as these schools seemed, no Afrocentist called for blacks to return to Africa as classical black nationalists did. No Afrocentrist called for a separate black nation within the geographical United States as a few Black Power nationalists did (Austin 2006a : 192).

27 For Afrocentrists, this separatism was merely a means to more effectively educate what they saw as an “endangered” black male population (see Gibbs 1988). This policy was similar to the way one would create a reserved space for an endangered plant or animal as a means of restoring the population back to health. For example, the principal of the Afrocentric Malcolm X Academy in Detroit, one of the schools that attempted to be for black males only, selected a black male student who went off to serve in the U.S. military as the type of success his school produces. This example shows clearly that the school is not about a radical separation from the United States (Watson and Smitherman 1996 : 145).

28 Afrocentric educators were not interested in developing a new cadre of black revolutionaries as Black Power activists were. Rather, they were merely interested in reducing the rates of black poverty, criminal activity and teen pregnancy. For Hannibal Tirus Afrik, like that of Obama’s Asante, the goal of Afrocentric education was to see that black youth stop “rebelling against traditional family authority structures” and harming black communities. Afrik saw Afrocentrism as ultimately battling against “the prolifieration of drugs, the easy accessibility of guns and weapons and the increase in media sensationalism of sexuality” (Afrik 1995). Jawanza Kunjufu, another Afrocentric educator, characterized this battle as Maat – an ancient Egyptian value system according to Afrocentrists – versus the values of hip-hop (Kunjufu 1993 : iii). For

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Kunjufu, “One of the most revolutionary things you can do is to keep your marriage intact and raise your children” (Kunjufu 1996 : 145). In Black Power era nationalism a revolutionary act might be to “Off the Pig!” – kill a police officer – as members of the Black Panthers might say, in Afrocentric era nationalism all one would need to do is get married and have kids.

29 It was difficult for many to see that the ultimate goals of Afrocentrism were perfectly mainstream and conservative American goals because they were wrapped inside a professed opposition to Eurocentrism – to white culture. But just as the Africa imagined in Afrocentrism has little to do with the actual lives of Africans, the “Eurocentrism” rejected by Afrocentrists also has little to do with the actual lives of whites. Maulana Karenga, who was a Black Power and an Afrocentric activist in the respective eras, described a person embodying the Afrocentic values of Maat as being “modest, wise, gentle and socially active” (Karenga 1986 : 94). Individuals embodying Eurocentric values, however, are considered here as individualistic, materialistic, patriarchal and violent, among other aspects. Afrocentrists understood the problems of poverty, violence and teen pregnancy as the result of blacks adopting Eurocentric values. Eurocentric values were also characterized as drug-culture values or hip-hop values depending of the Afrocentrist. In mainstream American thought, “drug-culture values” might be seen as the values of a dysfunctional black culture. In Afrocentric thought, “drug-culture values” were also seen as the values of a dysfunctional black culture, but that culture was dysfunctional because it embraced Eurocentrism (Austin 2006a: 114-118).

30 Critics, who perceived Afrocentrism as radical, anti-American ideas, might argue that what poor blacks really needed was to embrace white, middle-class values and reject Afrocentrism. Afrocentrists would argue that what poor blacks really needed was to reject white, Eurocentric values and embrace Afrocentric values. What these two groups did not understand is that they were really both arguing for the same things. They simply had different labels for the same values. The critics called it middle-class values ; the Afrocentrists, African values. Although Barack Obama is no Afrocentrist, he accepts the conventional wisdom that bad black values play an important role in black disadvantage. In The Audacity of Hope, he states, “We know that many in the inner city are trapped by their own self-destructive behaviors”, and that “perhaps the single biggest thing we could do to reduce [inner city] poverty is to encourage teenage girls to finish high school and avoid having children out of wedlock” (Obama 2006 : 255-256). He has also given speeches calling for blacks to value education more (Elliot 2007) and for black men to be more responsible (Obama 2008).

31 When one examines, the evidence, however, these arguments are not very convincing (see Austin 2006c). For example, black teen pregnancy declined significantly during the 1970s (National Center for Health Statistics 2007 : 132), but there was no corresponding decline in black poverty (U.S. Census Bureau 2007). Contrary to the popular stereotype, the survey data and test score trends show that black students do value education (Austin 2007a ; Austin 2007b), but socioeconomic disadvantage in black families and in black schools prevent them for achieving at the level of white students (Farkas 2008). The historical economic evidence is quite strong that tight labor markets increase black employment rates and wages, and that the higher income from these developments reduce black poverty (Mishel, Bernstein and Allegretto, forthcoming : 316-325).

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Self-Esteem – Defined by Others

32 In the logic of Afrocentrism, African culture was presumed to increase black self- esteem and higher self-esteem would lead to a variety of positive social outcomes. Molefi Kete Asante argued : “what I want for blacks is the same self-esteem that white children automatically get when they walk into a class” (Newsweek 1991 : 46). Afrocentric educators claimed that their curricula would “enhance self-esteem, motivate achievement, and help [students] to be law-abiding citizens” (Miller 1993 : 58). For instance, Kunjufu’s (n.d.) curriculum is called Self-Esteem through Culture Leads to Academic Excellence.

33 The view that low self-esteem lay at the root of social problems was another very mainstream American idea in Afrocentrism. In I’m Dysfunctional, You’re Dysfunctional, Wendy Kaminer’s 1992 anti-popular psychology book, she observes, “On almost every [television talk show], someone is bound to get around to self-esteem; most forms of misconduct are said to be indicative of low self-esteem” (Kaminer 1992 : 36). Barack Obama made a similar observation. He remarks, “By the time I reached Chicago, the phrase self-esteem seemed to be on everyone’s lips : activist, talk show hosts, educators, and sociologists” (Obama 2004b : 193).

34 In Dreams of My Father, Obama seems ambivalent about whether self-esteem has real merit for understanding the social problems in black America. He argues : But whenever I tried to pin down this idea of self-esteem, the specific qualities we hoped to inculcate, the specific means by which we might feel good about ourselves, the conversation always seemed to follow a path of infinite regress. Did you dislike yourself because of your color or because you couldn’t read and couldn’t get a job ? (Obama 2004b : 193-4).

35 On the other hand, he comes to see the blue contact lenses that a fellow organizer, Ruby, wears as evidence as low self-esteem. To this example, he adds all of the anti- black attitudes that he hears from blacks (Obama 2004b : 192-5).

36 Obama discounted Ruby’s statement that the blue contacts were “just for fun” (Obama 2004b : 192). Molefi Kete Asante would likely agree that the blue contacts signified black self-hatred, and he might even go further. Most black women’s hair is naturally as tightly curled as black men’s hair. However, most black American women straighten their hair. No doubt, this practice arose to make black women’s hair look more like white women’s hair. Molefi Kete Asante (1988) has critized black women for their “blond wigs, [their] fried, dyed and swept to the side hairstyles” (30). In addition to chemical straighteners, black women use heated metal combs and flat irons which “fry” their hair straight. Michelle Obama’s hair is not blond but it can be called “fried” and “swept to the side”. Nationalists have often insisted on “natural” hairstyles as proof of black women’s self-love. Just as Obama, saw the blue contacts as evidence of Ruby’s low self-esteem, Afrocentrists may look at his wife’s and daughter’s hair as evidence of their low self-esteem. Although the popular psychology of self-esteem is quite compelling, little of it is based on a real understanding of the complexities of the human psyche (Austin 2006a : 138-141).

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The Perplexing Trinity United Church of Christ

Jesus was a poor black man who lived in a country and who lived in a culture controlled by rich white people. The Romans were rich ; the Romans were Italian which means they were European which means they were white ; and the Romans ran everything in Jesus’ country. The government gives them the drugs, builds bigger prisons, passes a three-strike law and then wants us to sing “God Bless America”. No, no, no, not “God bless America”, “God damn America”! Reverend Jeremiah A. Wright, Jr.7

37 Barack Obama came to Christianity through the ministry of the Reverend Jeremiah A. Wright, Jr., the former leader of the Trinity United Church of Christ. Trinty was Obama’s church until controversial statements like the ones quoted above came to the attention of the American public. For individuals with contact with the various ideological strands of thought in black America, none of Reverend Wright’s statements8 are new. What is surprising is that they were made by such a prominent individual in such a prominent church. Individuals in Reverend Wright’s position are usually more moderate, with more mainstream ideas.

38 During the Black Power era, the black theologian James Cone melded black Christianity and Black Power ideology. In 2007, when Cone was asked which church best exemplifies his Black Power Christian theology, he pointed to Trinity under the leadership of Reverend Wright (Byassee 2007 : 21). Trinty’s motto is “Unashamedly Black, Unapologetically Christian”, and it rejected “the Pursuit of Middleclassness” (Speller 2005 : 91-92). The Church states that God “is not pleased with America’s economic mal- distribution”9. These economic ideas place the Church in the ideological realm of Black Power (Austin 2006a : 74-109).

39 Trinity also fits ideologically within the more recent Afrocentric era. Julia Speller who has studied the history of Trinity reports that “in the late 1980s and early 1990s” the congregation began “the move from being ‘Unashamedly Black’ to being more explicitly Africentric” (Speller 2005 : 92). In 1992, the administration began to understand its Purpose in a new way as it decided to change the name of the Bible Study Development Center to the Center for African Biblical Studies. “Our goal was to consistently reflect the emerging emphasis on our African heritage in light of biblical tradition, said Deacon Shirley Bims-Ellis, director... The classes, consequently, included a focus on the African origins of Christianity, the African presence in the Bible, and use of maps to provide a visual connection between the stories in the Bible and the geographic connection to the continent of Africa (Speller 2005 : 93).

40 Trinity’s members also regularly wear African-inspired clothing. The website has, until recently, had a kente-cloth motif. The Church has rites of passage programs for boys and girls. These rites programs became popular during the Afrocentric era since the improper socialization of black youth was defined as one of the problems afflicting black America.

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41 Trinity is a chimera of a church. It is not uncommon to find that former Black Power activists transformed themselves into Afrocentric activists (Austin 2006a : 191). Molefi Kete Asante, for example, during the Black Power era argued that “Pan-Africanism without socialism [is] self-defeating because otherwise the exploitation of the people would continue at the hands of black exploiters” (Asante 1978 : 115). In the Afrocentric era, Asante discarded socialism. He stated that a black American can “work for IBM and live in the suburbs and be Afrocentric” (quoted in Jacoby 1994). Trinity – and Reverend Wright – , however, did not transform. They merged Black Power and Afrocentrism into one hybrid philosophy.

42 The membership of the church is also hybrid. Normally, black churches, like many other churches, are organized along major social divisions, including class divisions. Obama admired Reverend Wright for his “ability to hold together, if not reconcile, the conflicting strains of black experience” (Obama 2004b : 282). We got a lot of different personalities here”, he told [Obama]. “Got the Africanist over here. The traditionalist over here. Once in a while, I have to stick my hand in the pot – smooth things over before stuff gets ugly. But that’s rare. Usually, if somebody’s got an idea for a new ministry, I just tell ‘em to run with it and get outta their way (Obama 2004b : 282).

43 Apparently, the multifaceted-ness of Trinity opened it to multiple lines of criticism. Wright stated to Obama: Some of my fellow clergy don’t appreciate what we’re about. They feel like we’re too radical. Others, we ain’t radical enough. Too emotional. Not emotional enough. Our emphasis on African history, on scholarship – ” “Some people say”, [Obama] interrupted, “that the church is too upwardly mobile. The reverend’s smile faded. “That’s a lot of bull”, he said sharply (Obama 2004b : 283).

44 What might prompt the upwardly mobile view is that the church has black middle-class members and has had a few celebrities in its ranks including Oprah Winfrey, the rapper and actor Common (Byassee 2007 : 18), and the Senator Barack Obama.

45 The fact that Wright is insulted by the “upwardly mobile” comment reveals his Black Power bona fides. Currently, black preachers are moving to “prosperity gospel” that argues that God wants the faithful to prosper financially (Potter 2007). Followers of prosperity gospel would take the upwardly mobile charge as a badge of honor. Afrocentrists would be indifferent to the accusation of being upwardly mobile since they tend not to have a class analysis. A Black Power leftist, however, would be upset by the upward mobility charge.

46 Why would a smart politician like Barack Obama find himself in a hybrid Black Power- Afrocentric church? For someone with presidential aspirations, it is not a smart move. But Obama was not always running for president. Reverend Wright was influential in black Christian life in Chicago. Obama (2004b) reported, “When I asked for other pastors to talk to, several gave me the name of Reverend Wright” (Obama 2004b : 280). Any one influential among black Christians is influential in black Chicago generally since blacks are very religious and the black church is still an important base for social activism in black communities. Any smart Chicago politician would want to have an important black church leader by his side.

47 Reverend Wright was not just an influential church leader. He had more to offer. Wright had a diverse ministry in terms of social class. That is a special and unique benefit. A politician in Wright’s church would be able to connect to poorer constituents

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and to middle-class individuals who could also provide skills, money and connections to others with resources for a political campaign. For this reason also, it was smart for Obama to be a member of Trinity.

48 It is possible that Wright may have provided something else to Obama. The ability to unite a diverse black community in one church is an amazing feat. Barack Obama’s presidential campaign is based upon uniting a diverse America behind him. Obama may have learned some of his skills as a uniter as a student of Reverend Wright.

Chicago Black Nationalism during the Afrocentric Era

49 It is not at all surprising that a Black Power-Afrocentric church would be located in Chicago. Chicago was an extremely vibrant place for black nationalism during the Afrocentric era. The Nation of Islam and its leader the Minister Louis Farrakhan is headquartered in Chicago. During the Afrocentric era, the Nation of Islam organized the Million Man March, the largest assembly of black men in U.S. history. The March was directed at the need for black men to atone and provide a positive image of themselves. In considering thus implicitly black men as the problem and not racial discrimination in American society, the themes of the March fit with the conservative politics of the Afrocentric era (Austin 2006a : 161-166).

50 A number of influential scholars and organizations were also located in Chicago. Dr. Jacob Carruthers, one of the pre-eminent Afrocentric Egyptologists, worked out of the Chicago branch of Northeastern Illinois University. His Kemetic Institute was a training ground for the next generation of Afrocentric scholars. Haki Madhubuti is another important author Chicago-based black-nationalist author. Madhubuti, formerly Don L. Lee, was also an influential Black Power author, and he, like others, became more Afrocentric during the Afrocentric era. Madhubuti is the founder of Third World Press which publishes Afrocentric literature. During the Afrocentric era, one also found Conrad Worrill in Chicago, the head of the black nationalist National Black United Front (NBUF). Worrill and NBUF are like Trinity church, embracing Black Power and Afrocentric black nationalism.

51 A major success of Afrocentrism was its infusion in school curricula. There were a number of individuals in Chicago who were leaders in this effort. Dr. Carruthers and his Kemetic Institute provided training for teachers. Madhubuti and his wife, Carol Lee, led two Afrocentric schools. Hannibal Tirus Afrik led another. Madhubuti, Lee and Afrik also provided guidance to others interested in starting similar schools. Jawanza Kunjufu, also Chicago-based, developed his curriculum Self-Esteem through Culture Leads to Academic Excellence. Kunjufu also runs an Afrocentric publishing house, African American Images.

52 It should be noted that the idea that black males are an endangered species was supported by the works of two Chicago black-nationalist authors. Kunjufu authored Countering the Conspiracy to Destroy Black Boys and Madhubuti wrote Black Men : Obsolete, Single, Dangerous? Both of these books were very popular during the Afrocentric era and highlighted the troubles facing black males. The Million Man March should be understood as also responding to the perceived black-male crisis.

53 When one considers that Obama circulated in a city with some of the major black- nationalist leaders and major black nationalist organizations, it becomes less surprising

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that a mainstream politician would have black nationalist connections. He would have been a bad politician, had he not made these connections. Life in black Chicago, at least, partially explains how a mainstream politician ended up connected to someone as anti- mainstream as Reverend Wright.

Conclusion

54 There are many ironies and contradictions in Afrocentrism10. One is that Afrocentrism is most appealing to blacks who have had significant experience outside Africa. The Afrocentrism of the Afrocentric era was born in the United States, not imported from Africa (Austin 2006a : 112-114). Deep engagement with Africa is often an anti- Afrocentric experience. Obama’s experiences in Africa pushed back against Afrocentric ideas of cultural unity and cultural purity.

55 The ideas of the Afrocentric era, thus, teach us more about blacks in America in the late-1980s and 1990s, than about African culture. Afrocentrism reveals the power of conservative “family values” ideas in American culture. Afrocentrists accepted the ideas that black poverty and other social problems were cultural – not political and economic – problems that required a cultural solution. This view, that bad cultural values is the cause of black disadvantage, persists although the Afrocentric era (that is the intense Afrocentric activism of the 1990s) has passed. Obama rejects Afrocentrism in favor of universalism, but he does not reject the idea that “many in the inner city are trapped by their own self-destructive behaviors”. In this respect, his ideas are in perfect accord with Afrocentrists and with much of contemporary American popular opinion.

56 Afrocentrism is a form of nationalism and like all nationalisms it strives to build an imagined community (Anderson 1991). In the case of Afrocentrism, the community imagined is a trans-historical, global black community. Barack Obama aspired to and obtained the presidency of the United States. While it has been possible for some American presidents and aspirants to the American presidency to make appeals to a white-American nationalism and an imagined white-American community (Hsu 2009 : 49, 54 ; Ambinder 2009 : 64), Barack Obama cannot. As a black man, white-American nationalism rejects him as a legitimate leader of the United States. In a country where blacks are a minority, Obama also cannot immerse himself in black nationalism and be seen as a legitimate leader of the United States. Obama’s path to the presidency therefore necessitated getting Americans to imagine a post-racial and multicultural American community. His personal biography, however, likely makes this ideal of a non-race-based unity as much a natural reflex as a calculated political strategy (Ambinder 2009).

57 Obama has repeatedly worked to have Americans imagine a racially and culturally inclusive American community. His inaugural celebration included a concert with a racially diverse collection of performers called “We Are One”. The goal of the concert was to connect “music to [American] history and ideas and American values”. The concert’s “theme of inclusiveness” led to an “array of performers from varied musical genres” including “[c]ountry, gospel, jazz, rock, pop and hip-hop” (Leiby 2009). This vision of a multiracial, multicultural America has been a recurring theme in Obama’s speeches. In his inaugural address, he stated :

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For we know that our patchwork heritage is a strength, not a weakness. We are a nation of Christians and Muslims, Jews and Hindus, and non-believers. We are shaped by every language and culture, drawn from every end of this Earth ; and because we have tasted the bitter swill of civil war and segregation, and emerged from that dark chapter stronger and more united, we cannot help but believe that the old hatreds shall someday pass ; that the lines of tribe shall soon dissolve ; that as the world grows smaller, our common humanity shall reveal itself ; and that America must play its role in ushering in a new era of peace (Obama 2009).

58 Here again we see Obama the universalist. President Obama’s nationalist appeals will always be to an imagined race-transcendent American nation and not to the Afrocentrist’s global black community. And, thus, a black man with a Kenyan father is not only America’s Commander in Chief, he is also the anti-Afrocentrist in chief.

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NOTES

1. The Black Panther Party is the most common signifier of the Black Power Movement, and that organization began in 1967 in Oakland, California. But a strong argument can be made that US Organization did at least as much to shape the Movement. US Organization was established in 1965 in Los Angeles, California. See Austin (2006a), Chapter 4.

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2. For more detailed discussion of the Afrocentric era and other black nationalist eras, see Austin (2006a). 3. Jesse Jackson’s prominence began as a leader within the Southern Christian Leadership Conference (SCLC) when it was headed by Martin Luther King Jr. Jackson headed the Chicago branch of SCLC’s Operation Breadbasket. 4. There was a popular Afrocentrism and an academic Afrocentrism during the Afrocentric era. See Austin (2006a), Chapters 5 and 6. 5. The racial formation of Indonesia is very similar to Malaysia. See Austin (2006a), Chapter 1 and Chapter 8 for a discussion of the social construction of race and the racial categories in Malaysia. 6. Scores at the SAT is one measure used in determining whether a student will be admitted into selective colleges in the United States. At one time SAT stood for « Scholastic Aptitude Test », but controversies of aptitude or intelligence tests has caused the manufacturer to drop the aptitude claim but the acronym remains. The SAT is one of two major standardized tests used for determining admittance into selective colleges. 7. Quotations transcribed from www.youtube.com videos « Jeremiah Wright : promoting the Hate », http://www.youtube.com/watch?v=c4WMqlfiQKo and « Reverend Wright hate », http:// www.youtube.com/watch?v=8M-kD0QdRJk 8. As much as one-third of blacks conceive of Jesus as black, for example (Cunnien 2008). 9. This quotation was on Trinity’s website before the site was re-designed in September 2008. 10. See Austin 2006a, pp. 124-126, for a specific discussion of contraditions.

RÉSUMÉS

On pourrait penser que Barack Obama, un homme noir américain ayant un père africain, serait positivement disposé à l’égard de l’Afrocentrisme, un mouvement social qui cherche à connecter les Américains noirs à l’Afrique sur le plan culturel. Mais au contraire, Obama est le défenseur d’une politique post-raciale et universaliste qui représente un défi fondamental pour la pensée raciale de l’Afrocentrisme. D’un autre côté, Obama a passé plusieurs années dans l’Eglise afrocentriste Trinity United Church of Christ, et partage aussi certaines idées soutenues par des Afrocentristes éminents. Cet article utilise des écrits et des discours d’Obama pour retracer ses interactions avec, et ses rejets de l’Afrocentrisme. Ce faisant, il présente les croyances et les idéaux respectifs d’Obama et de l’Afrocentrisme.

One might assume that Barack Obama, a black American man with an African father, would be positively disposed to Afrocentrism, a social movement that seeks to connect black Americans culturally to Africa. But instead, Obama is committed to a post-racial and universalist politics that represents a fundamental challenge to the racial thinking of Afrocentrism. On the other hand, Obama spent many years in the Afrocentric Trinity United Church of Christ and has ideas that are in agreement with ideas held by prominent Afrocentrists. This article uses Obama’s writings and speeches to trace his interactions with and rejections of Afrocentrism. In doing so, it presents an understanding of the beliefs and ideals of both Obama and Afrocentrism.

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AUTEUR

ALGERNON AUSTIN Algernon Austin is the author of Achieving Blackness : Race, Black Nationalism and Afrocentrism in the Twentieth Century. He currently conducts research to improve the socioeconomic standing of black Americans and other American racial and ethnic minorities through the Thora Institute, LLC and the Economic Policy Institute. [Thora Institute LLC, 1380 E. Capitol Street NE, Washington, D.C. 20003 – [email protected]]

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En débat : L'Occident décroché Enquête sur les postcolonialismes de Jean-Loup Amselle

NOTE DE L’ÉDITEUR

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Global Challenge A propos de L’Occident décroché

Irène Bellier

1 Le titre choisi par Jean-Loup Amselle pour son Enquête sur les postcolonialismes témoigne d’une angoisse. On pourrait penser que dans un monde globalisé, interconnecté, et du point de vue d’un anthropologue spécialiste des « branchements » culturels, l’Occident se retrouve plutôt « interpellé » par les voix alternatives qui ont émergé dans les années 1980, si l’on se place dans la perspective du dialogue, « rattrapé » si l’on réfléchit en termes géopolitiques, ou « dépassé » si l’on pense à la crise du capitalisme et en termes de compétition.

L’effondrement de la pensée ?

2 Amselle enquête sur la généalogie des théories postmodernistes, déconstructionnistes, subalternistes qui ont mis en pièce la fabrique occidentale des « grands récits », en plaçant l’accent sur les parcours des universitaires qui les portent. Il rassemble leurs courants dans un pluriel, « les postcolonialismes », pour évoquer une différence qui le préoccupe, comme si le grand changement du monde lié à la décolonisation, à la fin de la guerre froide et à la globalisation des marchés se résumait dans un « avant » de l’universalisme (occidental) et un « après » des fragments (les restes du monde) dont la reconnaissance ou l’expression dans l’espace public menaceraient le vivre ensemble. Leurs méthodes mettraient la Science et l’Histoire en question. L’essentialisme et le culturalisme qui les nourriraient seraient la source de tous les populismes. L’attaque est lourde.

3 Le paradigme dominant s’effrite. Amselle en dresse le prix à payer, non pour l’Occident, cet ensemble qu’il ne cherche pas à définir mais pour la France qui encaisse « la facture postcoloniale » (chapitre 9) dans son corps social. Terrible atterrissage que cette dernière partie de cet essai qui boucle, avec la crise d’un modèle républicain bouleversé par la montée des communautarismes et l’apparition du « contrat social ethnico-racial » (p. 239), le cycle des humeurs réactives qui habitent l’auteur depuis juillet 2005. Pour lui, « la crise de la pensée occidentale, si tant que cette dernière existe […] est aussi, sinon

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davantage, le résultat d’un processus d’effondrement interne » (p. 8). Un constat qu’Amselle partage avec d’autres intellectuels très médiatiques. Mais quelle place occupe la critique venue de « l’Autre » chez cet intellectuel qui fut le chantre de la relation entre les cultures, engagé contre la guerre d’Algérie, comme il le rappelle au chapitre 3. Il s’efforce, et il faut lui en rendre justice, de montrer l’enracinement matériel et institutionnel des sites de production alternatifs de la pensée occidentale et la circulation des chercheurs et des idées entre les États-Unis, l’Afrique, l’Inde et l’Amérique latine.

Connexions et mises à l’écart

4 La première phrase de l’introduction annonce le positionnement de l’auteur. « Le monde à l’envers, tout est sens dessus dessous. Rien ne va plus, les jeux sont défaits : l’Occident fait eau de toute part et les rats quittent le navire » (p. 7). Il se place dans la défense d’un camp – l’universalisme de la pensée, la science – en présentant ses arguments, mais en désignant aussi des « rats », ce qui met mal à l’aise.

5 Alors qu’une partie de sa critique des intellectuels, venus du « Tiers-monde » et subalternistes, porte sur leur ancrage dans l’université américaine et leur caractère vagabond, il oublie dans cette présentation des « concurrents » de la pensée occidentale de situer les rapports que les centres de pensée alternative en Afrique (Codesria), en Inde (CSSS) et en Amérique du Sud (CLACSO) entretiennent avec des centres français, y compris sa propre institution, l’EHESS, ou avec d’autres centres européens ; hormis le Royaume-Uni dont il évoque les British cultural studies, et le SEPHIS (programme Sud-Sud financé par le ministère néerlandais de la Coopération au Développement). Néglige-t-il volontairement un florilège de programmes de coopération universitaires et scientifiques, français et européens, pour ne retenir que les éléments utiles à sa démonstration ? Oubliant par exemple que Partha Chatterjee fut invité à l’EHESS par le LAIOS en 1998, pour un séminaire auquel il n’assista pas et qui fut l’occasion de vifs débats, notamment entre enseignants-chercheurs indiens et indianistes, J.-L. Amselle revient dix ans après sur la critique d’intellectuels mal connus en France. Car c’est plutôt dans l’université française que dans les universités du reste du monde, y compris occidental, qui leur ont déjà ménagé une audience, et plutôt dans l’anthropologie française que se pose la question de la réception et de la critique des idées qu’il synthétise dans ce livre.

Décrochage

6 Le fer est porté par Amselle au sein de « la pensée française » et de la philosophie, comme si l’une et l’autre étaient la mère bien connue de l’Occident, pour annoncer le paradoxe de la French theory, ainsi dénommée par l’université américaine qui s’est emparée de M. Foucault, J. Derrida, G. Deleuze ou J.- F. Lyotard. Il est vrai que les États- Unis contribuent à la formation d’un espace intellectuel, financier, économique qui dépasse leurs frontières, faisant résonner la critique de l’universalisme tout en réutilisant ces idées pour des analyses du monde globalisé. Si J.-P. Sartre, A. Gide ou F. Fanon figurent au panthéon des critiques de la raison occidentale pour leur engagement contre le colonialisme français, comme le rappelle Amselle, ce sont ces philosophes plus contemporains qui sont visés pour leur influence sur l’émergence

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d’une pensée radicale. Ayant été traduits en anglais, les French theoricians sont connus du monde universitaire non hexagonal et, effet de mode oblige, ils sont devenus incontournables. Leurs contributions aux études postcoloniales sont revisitées par les interprétations dont ils font l’objet dans la mouvance postmoderniste, et c’est ce fil que suit Amselle pour explorer le « décrochage de l’Occident », en oubliant quelques critiques internes comme, par exemple, celles que E. Said fait à M. Foucault sur le pouvoir et l’histoire. Encore faudrait-il préciser par quels segments de l’université américaine ces philosophes ont été reconnus avant de revenir dans le discours des anthropologues. Il eut été heureux pour J.-L. Amselle de se préoccuper de ces glissements de sens qui se nichent dans la langue, pour évoquer la différence entre les Cultural Studies à l’américaine, au sein desquelles nos philosophes français et leurs interlocuteurs africains, indiens et sud-américains, se sont retrouvés, et les « aires culturelles » à la française, dans lesquelles se sont distribués la plupart des ethnologues, qui maintiennent une coupure vis-à-vis des départements de langues et civilisations. Cela aurait éclairé sa critique sur la manière dont les philosophes français ont fait de l’Europe « une aire culturelle » et ainsi « culturalisé la pensée », une problématique qu’il retrouve chez Dipesh Chakrabarty qu’il accuse de « continentaliser la pensée » (p. 30) dans son essai sur « La provincialisation de l’Europe » (2000). Est-ce l’origine indienne de ce dernier qui conduit Amselle sur le terrain glissant du « choc des civilisations », alors que Chakrabarty entend placer sa réflexion non sur une « région du monde » mais sur la question de la « modernité politique » ? Pour ne prendre que cet auteur qui met en perspective ce qu’Amselle nomme la « concurrence des pensées », son analyse des rapports entre la civilisation indienne et l’Occident, de leurs modes de construction scientifique ainsi que de l’historicisme européen, l’irrite. Il procède à la hache pour réfuter les principes de l’interdisciplinarité : en utilisant les travaux de Louis Dumont, Chakrabarty montrerait « encore une fois, s’il en était besoin, que, lorsque les historiens s’engagent dans la voie d’une mise en perspective anthropologique de leur savoir, ils retombent spontanément sur les visions les plus traditionnelles de la discipline à laquelle ils se réfèrent. De façon générale, comme on a déjà l’occasion de le signaler, le postcolonialisme et le subalternisme en s’appuyant sur l’ethnologie la plus figée font en réalité le lit du primitivisme et de son corollaire, le déni d’historicité » (p. 152).

7 Ce genre de réflexions, à la fois doctrinales, généralisantes et parfois approximatives, entache la lecture de cet essai qui a le mérite d’offrir une synthèse des idées que ces intellectuels expriment en anglais, et qu’un public non familiarisé aux œuvres de Gramsci, dans le sillage duquel ils se placent, ne connaît pas. On peut déplorer qu’ils n’aient pas été traduits plus tôt, mis au programme des enseignements et discutés plus largement dans l’anthropologie française. Car un tourbillon agite les intellectuels, depuis au moins 20 ans, sur la critique des modes de domination occidentale, du néo- libéralisme ou du capitalisme globalisé et de leurs effets culturels, comme sur la critique de la critique au regard des dérives textualistes, de la décontextualisation et de la dématérialisation des rapports sociaux que présentent certains auteurs.

8 Ce livre montre les ruptures qui ont conduit vers de nouvelles recherches, certaines meilleures que d’autres, et il les critique. Il est donc une invitation à lire les auteurs cités pour bien comprendre leurs démonstrations, et à les compléter par les auteurs absents dont les références figurent parfois en note de bas de page. Il appelle une enquête complémentaire sur la manière dont les idées postmodernistes, postcolonialistes, subalternistes sont retravaillées en Europe par des historiens, des

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philosophes et par des anthropologues qui ne font l’objet d’aucune référence dans ce livre. Ainsi par exemple, Amselle n’évoque t-il pas la publication en français du livre d’Arjun Appadurai, Modernity at large : the cultural dimensions of globalisation, sous le titre Après le colonialisme : les conséquences culturelles de la globalisation (Appadurai 2001), avec une préface de Marc Abélès qui problématise une approche anthropologique de la mondialisation s’appuyant sur de tout autres perspectives théoriques que celles définies par l’horizon du culturalisme.

Replis identitaires ou reconnaissance des diversités ?

9 Pour que le débat ait lieu, il faudrait s’abstraire de l’idée que nous vivons un « choc des civilisations », un « conflit des croisades », qu’avec ou sans guillemets Jean-Loup Amselle semble entériner, car on ne le voit prendre aucune distance critique au regard de ces catégories du discours politique que Samuel Huntington introduisit, que les médias dominants ont banalisé et qui servent des entreprises néo-coloniales, comme la guerre en Irak. « Dans le contexte actuel du « choc des civilisations », ou plutôt dans ce qui prend de plus en plus les traits d’un conflit des croisades, l’essentialisme stratégique est devenu une notion problématique dans la mesure où l’affirmation d’une altérité radicale peut être vue comme le ferment de tous les fondamentalismes » (p. 146). Par des raccourcis de ce type, et des raisonnements quasi tautologiques, Amselle réfute toute forme d’adéquation entre la critique subalterniste et la manière dont la pensée universaliste traite la différence.

10 Parlant de « marques » et de « stigmates » (p. 138, 141), il dénonce la culturalisation du social, la perte d’historicité et les effets de cette pensée dans le champ de l’action collective. Mais il ne s’interroge sur le changement épistémologique que représente la prise en considération par les sciences sociales des « subalternes » (et de leurs attentes) que pour discréditer les fondements scientifiques des travaux en question, en écrivant par exemple, à propos de l’archéologie : « la perspective postcoloniale et subalterniste, perspective qui a, comme on l’a vu, tendance à opposer une analyse par le haut du matériel archéologique à une analyse populaire par le bas de ce matériel, outre qu’elle reproduit de façon malencontreuse de vieilles idées dogmatiques que l’on croyait oubliées, a pour inconvénient de menacer dans son fondement toute démarche scientifique » (p. 129). La critique de ces méthodes n’occulte-t-elle pas le fait qu’il faut « travailler autrement » en sciences sociales pour dépasser le paradigme assimilationniste et comprendre les dynamiques de reconquête d’un soi collectif qui expriment moins une demande de reconnaissance égoïste dans l’espace public, qu’une demande d’égalité. Le retournement du stigmate en étendard, le recours au terme de « fierté » pour clamer son existence dans l’espace public (, Indigenous Pride), interrogent le modèle d’intégration occidental.

Science et conscience

11 Les perspectives postcoloniales mettent en question le « regard extérieur » qu’Amselle voit au « fondement même de la discipline archéologique comme d’ailleurs de toute discipline scientifique ». Cette critique du regard extérieur, relative à la construction de l’objet et aux manières de travailler avec les sujets de l’enquête ethnologique, n’est pas récente. Mais si dans l’anthropologie française on a pu débattre, dans les années 80, de la relation entre le chercheur et ses informateurs, du retour du savoir ainsi constitué sur les sociétés étudiées, parfois même de l’utilisation des savoirs, la question de la

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réflexivité n’a pas été vraiment abordée (Ghasarian 2002). Ainsi, les rédacteurs d’un rapport sur les régimes de scientificité de l’anthropologie (Lenclud et al. 1994) n’évoquent-ils pas cette question ni ne traitent de la problématique d’un agenda coopératif, susceptible de prendre en considération les changements de statut des sujets ethnologisés. Une majorité d’ethno /anthropologues évite de s’engager dans une réflexion sur l’esprit dans lequel sont conduites les recherches, ou sur l’éthique des pratiques. Quelques-uns s’autorisent une critique bien rapide de l’anthropologie « engagée » ou « impliquée », une thématique complexe qui fit l’objet en 2008 du congrès annuel de l’Association Américaine des Anthropologues (11.000 membres à travers le monde). En se posant en gardien d’une certaine orthodoxie, ils n’ont pas vu que la pensée occidentale devait faire place à toutes sortes d’attaques, mais aussi de demandes, venues du reste du monde comme de l’intérieur de l’Occident.

Retours sur soi

12 La question n’est pas de l’ordre du regret comme l’indiquerait la conclusion du livre, mais plutôt d’ouvrir une vraie scène de débat dans l’anthropologie française sur des perspectives théoriques qui permettent de penser le réagencement du monde. L’enjeu est de rendre plus visibles les travaux novateurs pour éviter que les collègues philosophes, historiens ou sociologues ou même le vaste public, ne s’appuient sur les notions, concepts et récits ethnologiques les plus datés. Mais cet aggiornamiento ne conduit pas à un programme de travail global ni surtout ne se ramène à ce jugement de valeur par lequel Amselle conteste l’analyse de ces subjectivités qui s’affirment dans le moment postcolonial, en concluant son essai par des mots extrêmement connotés : « Toutes les pensées exotiques, elles-mêmes composites, qui ont enrichi la pensée occidentale, sont ainsi soustraites de cette dernière pour être érigées en substance définies une fois pour toutes. Un immense travail de recollection, consistant à rassembler des rameaux distincts de la pensée humaine, est ainsi programmé, incitant à se demander si ce programme ne débouche pas lui- même sur un processus de purification ethnique du savoir et, partant, ne renforce pas le choc des civilisations que l’on s’attache par ailleurs à dénoncer » (p. 273). Tout cela, sans mettre en question le concept d’ « exotisme » ! Comment peut-il invoquer « un processus de purification ethnique du savoir renforçant le choc des civilisations » quand il s’agit de penser la diversité dans un monde indéniablement traversé par des rapports de force mais surtout en quête d’intégration ?

13 Les systèmes de pensée alternatifs, les centres de sciences sociales qui se créent au « Sud », une catégorie aussi peu problématisée par Amselle que celle de « Nord », ne visent pas seulement à contester l’Europe et le colonialisme comme mode de domination. Ils montrent que l’on peut revisiter les catégories de la pensée occidentale et les systèmes de formation pour débattre d’idées qui se forgent au contact d’autres traditions historiques, non dans le cadre d’un affrontement des blocs – qu’il s’agisse du paradigme Nord /sud ou des nouvelles figures de la relation capitaliste entre l’Occident et l’Orient – mais dans un champ intellectuel qui transcende ces frontières. Amselle voit les universitaires du Tiers-monde, invités ou recrutés comme professeurs aux États- Unis, comme les instruments de l’impérialisme multiculturel. Au-delà des problèmes que cela pose au plan de la représentation de ce qu’est l’Occident, cela vise à affaiblir l’autonomie et la portée de leurs critiques et à discréditer leurs idées en les rattachant à

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du carriérisme, sans s’interroger sur les conservatismes de l’université française, les causes et les conséquences de la fuite des intellectuels hors l’Europe.

Ouvertures

14 Les critiques postmodernistes et postcolonialistes ne font pas bloc, même si elles sont globalement issues d’espaces contestant l’hégémonie occidentale comme le montre Amselle qui retrace leur généalogie et distingue leurs lignes de force, pour ce qui concerne les penseurs africains et indiens mieux que pour l’Amérique du Sud. Même si on peut par divers aspects les rattacher à la pensée subalterniste, on ne peut pas voir ces courants comme de purs coups de boutoir contre l’universalisme de la pensée ni comme les vulgaires outils de propagation d’un essentialisme culturaliste et populiste. Ils ne sont pas construits dans la perspective d’une « concurrence » (p. 7) même si le marché semble définir l’horizon de la démocratie néo-libérale. Il est tendancieux de dresser un parallèle entre les ouvertures que les subalternistes portent en sciences sociales et la rhétorique du « conflit de croisades » que notre auteur retient comme si ces intellectuels constituaient des bataillons en guerre contre l’Occident.

15 Les propositions des subalternistes – et cet ouvrage situe les plus connus d’entre eux à défaut de les mentionner tous –, s’appuient sur les transformations de la condition de sujet que la sortie du colonialisme a permis en termes de prise en charge de soi. Elles visent à porter un autre regard sur la manière de faire l’histoire, l’archéologie ou l’anthropologie, comme sur les mécanismes de la dépendance et aujourd’hui du néo- colonialisme. Elles renouvellent les approches en sciences humaines et sociales sans nécessairement perdre de vue les fondements de la démarche scientifique. Ces perspectives sont abordées par Amselle à travers trois chapitres concernant, le premier, les conditions de possibilité et les fondements d’un paradigme africain en sciences sociales, le second, l’émergence des « sans voix » à partir des subalternistes indiens, et le troisième, le réveil amérindien et la spécificité du débat que prend l’opposition entre marxisme et postcolonialisme sur le terrain latino-américain.

16 Les changements d’approche des faits sociaux et culturels qui se nouent autour de la question de l’histoire, de l’oralité, ou des savoirs indigènes ou autochtones, déplacent le curseur de la recherche du laboratoire occidental vers d’autres laboratoires, mais aussi vers des pratiques collaboratives. Cela déstabilise les positions acquises. De fait, depuis les années 1970, un certain nombre d’anthropologues occidentaux sont passés d’une recherche « sur » des sociétés, construites en objet scientifique, à des travaux « pour » ces populations, dans la perspective de soutenir une transformation positive de leurs conditions sociales et politiques. Certains d’entre eux, mais aussi des archéologues ou des sociologues, en viennent aujourd’hui à travailler « avec » elles, au « Nord » comme au « Sud ». La scolarisation puis l’accès à l’université des « subalternes », comme le sont par exemple « les autochtones », a changé la donne. Est-ce cela qui fait le jeu de tous les populismes comme il semble le montrer pour l’Afrique, l’Inde ou l’Amérique du Sud ?

Des « objets » bien vivants

17 La catégorie de « peuples autochtones » est typiquement l’objet de la critique amsellienne, bien qu’il la formule très mal au chapitre 7. Il est vrai qu’elle fait problème mais pas sur le terrain des « essences ». Je l’admets, le vocable « autochtone » prête à

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confusion en raison de la variété des configurations historiques, sociales et politiques, et des relations de domination et de marginalisation qui travaillent l’identification des « peuples autochtones » et la problématique de la souveraineté. C’est une catégorie dont il faut mesurer la dimension relationnelle et politique de façon précise, dans son rapport aux sociétés dominantes (la question du « peuple » dans « le projet national »), en termes de connexions, ouvertes ou fermées, de négociation ou de conflit. Or elle est ici rejetée, par généralisation excessive, du côté de l’essentialisme dont elle serait l’expression nouvelle.

18 La construction de cette catégorie ne se fait pas sans contradictions. Par la vertu des débats qu’elle engendre au sein des agences des Nations Unies elle inscrit un ensemble de sujets (peuples, communautés, individus), non dans les perspectives du relativisme culturel mais dans le champ des droits humains. Comme pour les minorités visibles ou invisibles, les femmes, les Noirs, les fils et filles de parents émigrés, les homosexuels, il fallut que les autochtones fassent irruption dans l’espace public pour être reconnus dans leurs droits à parler, agir et se représenter le monde, aussi bien du côté occidental que dans les États issus des colonisations. Ces mouvements questionnent les bases de la communauté politique et appellent des réponses dans le champ du politique et du juridique.

19 La circulation des autochtones (en nombre réduit par rapport aux 400 millions de personnes considérées par les Nations unies sous cette catégorie) dans les universités et les institutions internationales a conduit à l’émergence de leaders, ce qui introduit la perspective d’une transformation historique de l’élite. Ils sortent de la condition subalterne de « non-sujets », « non-citoyens », pour devenir acteurs. Même si l’on doit analyser le type de représentation et la nature de leur engagement, cela suppose de connaître les points de vue d’où ils parlent, et d’accepter leur statut d’interlocuteurs.

20 Placer la discussion sur le registre de l’essentialisation des identités, laquelle peut indéniablement faire le jeu de certains militants et creuser le sillon de la « fragmentation », occulte la manière dont se développent les luttes, quoi qu’en pense Amselle lorsqu’il stipule, à propos de la Bolivie : « ce n’est pas la mise en avant par Evo Morales, d’une identité indienne générique, identité composée de tous les apports ethniques de son pays, qui changera quoi que ce soit à la donne. […] il reste que cette identité indienne générique, comme fusion des différentes ethnicités, conforte en fait l’existence d’éléments séparés » (p. 198-199).

21 Les luttes indiennes en Amérique ne se présentent pas à « l’ère des multitudes » comme autant de combats pour de « petites patries » mais sous la forme de rassemblements pour une décolonisation des systèmes juridiques et de gouvernance sociale, économique et politique. C’est l’enjeu des alliances entre les confédérations indiennes et paysannes en Bolivie comme du Parlement des femmes autochtones d’Amérique Latine, qui se développent sur une base transcommunautaire, plurilinguistique, transnationale. Le déni de ces réalités n’apporte aucune lumière sur la manière de répondre au désir d’égalité en droit ni aux demandes de reconnaissance dans les systèmes de savoir (mémoire, histoire, expressions culturelles) et de pouvoir (gouvernance, autonomies, propriété intellectuelle, etc). La question est de réfléchir à l’articulation de ces pensées, connaissances, techniques et modes de représentation, ainsi qu’aux conditions de possibilités pour inscrire le pluralisme dans l’État, ou les systèmes d’enseignement, afin de sortir des impasses des politiques d’assimilation et de

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gérer les circulations internes et externes, des personnes et des idées. C’est à cela que renvoie pour partie la notion d’hybridité postcoloniale.

Réaction ou construction des capacités ?

22 A ne voir dans l’émergence des voix subalternes que des fragments manifestant une réactivité, ainsi qu’Amselle traduit le terme anglais « agency » (p. 125), lequel renvoie plutôt à la capacité de devenir acteur politique (au sens large du terme), il ne voit le côté politique des transformations sociales que sous l’angle d’un populisme qui rime avec essentialisme et culturalisme. Ainsi regroupe-t-il dans le même chapitre les critiques marxistes de l’indigénisme et l’anti-indigénisme de Mario Vargas Llosa, pour caricaturer le zapatisme et enfin rassembler les critiques des leaders pro-indigènes affichés comme Evo Morales, Hugo Chavez ou Rafael Correa, à la recherche d’une voie alternative de développement, et les critiques des mouvements indiens qui valorisent le monde dépassé de la « tradition » ou du « cacicazgo ». Il y a là une grande part de confusion ! Comme aussi, à propos du rôle joué par les « autochtones » dans la décolonisation (p. 167). Une histoire à poursuivre, aussi bien en Afrique et en Asie, en tenant compte de l’existence des catégories « oubliées » de l’histoire officielle. Dans ce contexte, il faut admettre la pluralité des critères désignant les « peuples autochtones » (Martinez Cobo 1986), lire les documents des experts internationaux, se pénétrer des études que des universitaires réalisent sur ces questions complexes (Cadena de la Sol et Starn 2007), sur les cinq continents (Afrique, Europe, Océanie, Asie et Amériques) et, pour l’Afrique, comprendre la réflexion menée par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP-IWGIA 2005).

23 Jean-Loup Amselle n’a qu’une vue approximative de la scène des Nations Unies, de ses développements institutionnels et, de ce fait, de la manière dont la catégorie relationnelle de « peuples autochtones » est construite, non comme substance mais pour poser la question du sujet politique dans le rapport à l’État et à la souveraineté. Cela peut se traduire (ce n’est pas une nécessité inscrite dans la « logique autochtone ») par des manières militantes de faire l’histoire, de dénoncer les inégalités, de revendiquer une justice, comme par des querelles muséographiques ou sur les questions de propriété (territoriale, intellectuelle). Mais c’est une perspective infiniment plus riche et plus complexe que celle consistant à rabattre, comme il le fait, la dynamique des questions autochtones sur « l’émergence de mots d’ordre de type populiste véhiculés par les organisations internationales et les ONG, mots d’ordre repris par les gouvernements et les leaders indigènes » (p. 199). On peut bien sûr critiquer les programmes des organisations internationales, et l’un des objets de l’anthropologie des institutions est de mettre à jour la construction de ces mots-valises, de ces sémantiques institutionnelles et de leurs effets politiques. Leurs contradictions interrogent la volonté de l’Occident, comme celle des élites africaines, indiennes, latino-américaines et océaniennes, de faire vivre cette diversité-là.

Décolonisations mentales

24 Amselle évoque la différence d’une pensée « amérindienne décolonisée » (p. 40) sur le même plan que des pensées africaine et asiatique, ce qui nous interroge sur l’existence de celles-ci, comme si l’unité était toujours déjà là. Cela montre les limites d’une

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approche culturaliste des continents. Si la perspective d’un clivage africain inhérent à la dualité des blocs institutionnels francophone et anglophone est évoquée dans ce livre, on ne peut que s’interroger sur la notion de communauté de pensée entre les mondes indiens, chinois ou indonésiens qu’il avance avec l’idée de « pensée asiatique », tout comme sur les limites de ce que désigne le syntagme « pensée amérindienne décolonisée » ! Pense-t-il à tous les Américains ou seulement à ceux qui revendiquent une appartenance culturelle, aymara, maya, quechua, ou algonquine, pour parler dans l’université et dans la société. Cet ancrage entame-t-il nécessairement la qualité de leur production intellectuelle ? Il est hasardeux de promouvoir la notion de « pensée amérindienne » sans lui donner de sens dans le contexte d’un ouvrage qui oppose des blocs culturels plutôt qu’il n’explore les logiques de pouvoir.

25 Les mobilisations amérindiennes trouvent un écho sur la scène des Nations Unies où elles rejoignent celles menées en Asie, en Afrique ou en Europe septentrionale par d’autres militants qui se rangent sous la bannière des droits humains. La construction de réseaux tend à rassembler des identités, déconsidérées avant d’être fragmentées, dans une critique de la colonisation, du sous-développement, de la militarisation et des politiques sécuritaires. Leurs discours visent à produire du droit dans une dimension inclusive. On est loin des clameurs culturalistes et séparatistes ! L’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Déclaration des Droits des Peuples Autochtones, à la majorité de 143 voix sur 192 États-membres, seuls 4 pays (Etats-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) manifestant leur refus, serait-elle le fruit du « populisme » des organisations internationales ? Les choses sont plus compliquées que cela et plusieurs travaux sur ces questions auraient pu aider Amselle à y voir plus clair, sans se limiter à la lecture du Courrier international (Fritz, Deroche, Porteilla 2006 ; Bellier 2006, 2007, 2008 ; Glowczewski et Henry 2007).

De l’universel et du particulier

26 La notion d’agenceité se trouve recyclée dans la glose postcoloniale des organisations internationales, par exemple dans les programmes de « construction des capacités » des « plus pauvres », des « plus démunis » ou des « moins organisés » (logique dite d’ empowerment). Catégories et concepts dont il convient d’examiner la performativité et qui ne laissent pas d’évoquer « les subalternes », sujets absents de l’histoire « classique » qui font retour dans l’histoire postcoloniale. Les représentants des peuples autochtones figurent dans ce panthéon des causes ciblées par les Objectifs du Millénaire pour le Développement comme « victimes » et aux côtés des « pauvres », des « femmes » ou des « porteurs du HIV ». Cela devrait conduire Amselle à relativiser la portée culturaliste de leurs mouvements sociaux en comprenant autrement la notion « d’essentialisme stratégique » (Spivak 1985). Celle-ci vise moins à soutenir des fondamentalismes par l’affirmation d’une altérité radicale (comme l’envisage Amselle p. 146) qu’à prendre en compte des situations d’invisibilité relative et à redonner voix à des sujets dominés. Le ton sévère d’Amselle se retourne contre lui lorsqu’il déclare que « En s’appuyant sur certains des philosophes de la French theory, et par là même pour récuser tout discours de surplomb, Spivak s’est en fait exposée à ratifier une vision fragmentée du monde qui ne peut que faire le lit de tous les intégrismes » (p. 147). En ne précisant ni de quels essentialismes il s’agit en matière d’histoires et de luttes féministes, ni les différences

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entre fondamentalismes politiques, religieux et « tous les intégrismes », Amselle pratique une forme d’amalgame prompt à nourrir « toutes les peurs ».

27 La question de l’égalité en droits et dignité des sujets dominés – femmes, minorités visibles, autochtones – et donc celle de leur place dans la communauté politique est à peine évoquée par notre auteur, et seulement à propos du réveil indien dans les Amériques et du rôle joué par les Nations Unies. Certes ce n’est pas l’objet de ce livre qui vise à montrer comment se retrouve mise à mal une pensée universaliste, par une pensée de la différence qui transite d’un centre à l’autre dans le cadre de cet ancien mouvement « tricontinental », né à la Havane en 1966 dans la foulée du mouvement des non-alignés. Pourtant, avec la réorientation des circuits d’échange intellectuels, cette pensée nomade présente l’intérêt de poser de vrais défis intellectuels.

28 Il faut y répondre plutôt que dénoncer. Revisitant Gramsci et l’ethnologie italienne, faisant dialoguer subalternisme et sud-alternisme, pour évoquer la crise du marxisme et du républicanisme, Amselle cherche une troisième voie. Il laisse aussi entendre que la France est le dernier siège de la pensée universaliste. Évoquant à la fin comment elle est amenée à payer « la facture post-coloniale », il boucle sa réflexion sur les méfaits du multiculturalisme libéral d’inspiration nord-américaine qui, à ses yeux, ne contribue pas marginalement au décrochage de l’Occident qu’il décrit. « En reprenant à leur compte les stéréotypes de l’Occident émis à leur encontre, les postcoloniaux et les subalternistes, croyant se dresser contre lui, auraient de fait œuvré à son hégémonie. Triste constat d’une tragique méprise qui n’a pas fini d’exercer ses ravages » (p. 273).

29 En évacuant dans ce livre toute analyse des conditions sociales de mise en œuvre des discours postcoloniaux, Amselle sombre dans un pessimisme qui ne permet pas de penser les enjeux politiques de la globalisation, du multiculturalisme et de l’interculturalité.

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AUTEUR

IRÈNE BELLIER

Laios-IIAC, CNRS/EHESS. Maison des Sciences de l’Homme, 54 boulevard Raspail, 75270 Paris Cedex 06 – [email protected]

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L’indianisme est-il de gauche ? Remarques complémentaires sur L’Occident décroché

Franck Poupeau et Hervé Do Alto

1 Au début de l’année 2007, Jean-Loup Amselle est venu enquêter en Bolivie sur les modalités de la critique postcoloniale et sur les lieux de production intellectuelle alternative. Sa recherche a permis d’expliciter un certain malaise ressenti alors face au monde académique bolivien : l’utilisation systématique de notions faisant office de mot d’ordre, comme « décolonisation de l’Etat et de la société », la réinvention d’une communauté pré-hispanique harmonieuse et proche de la nature, autant d’éléments qui font bien souvent obstacle à la mise en œuvre de recherches empiriques un tant soit peu rigoureuses – les normes de scientificité étant associées à l’importation d’un mode de pensée colonial. « La science occidentale ne peut comprendre ce qui se passe dans notre pays et dans notre culture » devient alors le leitmotiv (et bien souvent l’excuse) de chercheurs en sciences sociales.

2 La tentation serait grande de mettre en accusation le renouveau indianiste lié à l’accession au pouvoir, en décembre 2005, d’Evo Morales, le « premier président indien » de Bolivie. Une brève histoire sociale de l’indianisme1 bolivien permet au contraire de voir qu’au-delà des effets de mode ou de l’opportunisme politique, ce renouveau exprime les structures d’un champ intellectuel doté d’une faible autonomie par rapport au champ politique – subordination largement explorée dans L’Occident décroché, à travers différents contextes nationaux ou épistémiques. La Bolivie constitue un terrain d’enquête privilégié pour analyser les mécanismes de cette perméabilité entre les deux sphères intellectuelle et politique. Et si Jean-Loup Amselle en donne une explication comparative, replaçant la construction de « l’aire andine » dans des processus internationaux plus vastes (pp. 178-192), l’objectif de ce bref commentaire est de préciser la façon dont l’internationalisation se produit en empruntant des voies nationales spécifiques. Le succès rencontré depuis les années 2000 par la production intellectuelle indianiste ne saurait se comprendre sans être replacée dans l’histoire longue du champ politique national, avec en particulier l’importance d’un mouvement politique, syndical et intellectuel dénommé katarisme, en référence à la figure du rebelle indigène de la fin du 18e siècle, Túpac Katari. Les prises de position intellectuelles étudiées dans L’Occident décroché n’ont ainsi des effets politiques que

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parce qu’elles s’inscrivent dans un espace de positions politiques préalablement déterminées, que cet article se propose d’étudier de façon complémentaire au livre.

Une brève histoire sociale de l’indianisme politique bolivien

3 Si l’indianisme s’est imposé comme courant politique dans les années 1970 en Bolivie, sous l’impulsion du katarisme, celui-ci trouve paradoxalement ses racines dans la Révolution nationale de 1952, qui fait de la paysannerie bolivienne un protagoniste incontournable de la vie politique (Rivera 2003). La réforme agraire, enclenchée dès 1953 mais poursuivie dans les années 1960 sous la dictature du général Barrientos, permet une alliance durable entre militaires et paysans, fondée sur une logique essentiellement clientéliste. Face à cette alliance qui assure une solide base sociale au gouvernement, la gauche bolivienne est reléguée au second plan. A partir des années 1970 cependant, le mouvement syndical paysan voit émerger en son sein de nouvelles élites qui s’opposent peu à peu à la subordination aux militaires (Do Alto et Poupeau 2008) et se revendiquent désormais « kataristes ». Cette réorganisation du syndicalisme rural sur des bases contestataires est impulsée par les enfants des migrants venus de l’Altiplano pour vivre à la périphérie des centres urbains, tels La Paz : leur insertion dans un milieu urbain essentiellement « créole » tend à faire de leur héritage aymara une « sous-culture » exposée à une culture dominante perçue comme coloniale et raciste. Alors que le projet de société porté par la Révolution de 1952 était synonyme d’intégration et d’ascension sociale pour la paysannerie, la migration vers les villes génère en effet discrimination et exclusions.

4 Se revendiquant « kataristes », les nouvelles élites du mouvement social bolivien proposent comme projet politique la lutte contre la double oppression vécue par la paysannerie : économique, en raison de l’exploitation de sa force de travail, et socio- culturelle, en tant qu’indigène (Lavaud 1992). En même temps qu’il articule à la « classe », délimitation identitaire traditionnelle au sein du mouvement paysan contemporain, une dimension « ethnique » qui ne cessera de prendre de l’importance par la suite, le katarisme avance également l’idée selon laquelle l’Etat bolivien doit être analysé comme un Etat « néocolonial » qui nie l’existence même des multiples « nations » autochtones qu’il héberge pourtant. La montée en puissance du katarisme au cours des années 1970 marque par conséquent l’autonomisation progressive de la paysannerie. C’est d’ailleurs au terme de la dictature d’Hugo Banzer Suárez (1971-1978) que naît la nouvelle Confédération Syndicale Unifiée des Travailleurs Paysans de Bolivie (CSUTCB), qui consacre de la sorte l’hégémonie organisationnelle et idéologique du mouvement katariste au sein du syndicalisme rural.

5 Alors qu’il a su maintenir une nécessaire unité face à la répression des régimes militaires, le mouvement katariste affiche de profondes divergences quant à la stratégie à adopter face aux élections politiques, à partir de 1978, lorsque les régimes militaires se voient entrecoupés par des parenthèses démocratiques de plus en plus prolongées. Deux fractions s’opposent sur les questions de l’alliance avec la gauche et l’irréductibilité du clivage entre indiens et « créoles », ainsi que sur l’acceptation de l’Etat nationaliste comme scène d’action politique pour le mouvement paysan – au point de générer des projets politiques distincts2. Cette division originelle du mouvement katariste dans le champ politique ne cesse dès lors de se reproduire,

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chaque échéance donnant lieu à d’interminables négociations entre des organisations toujours plus groupusculaires et affaiblies. Face aux échecs électoraux, une tendance adopte, à la fin des années 1980, la stratégie de lutte armée, avec l’Armée Guerilléra Túpac Katari (en espagnol, EGTK) ; coupables de quelques attentats, la plupart de ses dirigeants sont emprisonnés en 1992. Parmi eux se trouvent Felipe Quispe, futur fondateur de l’autonomiste Mouvement Indigène Pachakuti (MIP), et Álvaro García Linera, actuel vice-président bolivien au sein du gouvernement du MAS. D’autre part, le courant le plus modéré porte à sa tête le jeune intellectuel aymara Víctor Hugo Cárdenas, qui ne va pas tarder à incarner un indigénisme compatible avec le libéralisme économique alors dominant dans le pays. C’est dans l’espace ouvert par cette recomposition politique et intellectuelle que vont s’inscrire les courants indianistes postcoloniaux étudiés par Jean-Loup Amselle.

Déclin du katarisme, libéralisme et luttes sociales

6 Le katarisme en tant que courant syndical s’affaiblit en effet peu à peu à partir de la fin des années 1980 : ainsi le dirigeant d’une coalition de gauche à tonalité marxiste prend la direction de la CSUTCB. Par ailleurs, la première Assemblée des Peuples autochtones, en octobre 1992, qui aborde la possibilité d’une participation unitaire du mouvement paysan et indigène à des élections politiques, débouche sur le choix de présenter un candidat aux élections présidentielles : mais Víctor Hugo Cárdenas, longtemps pressenti pour jouer ce rôle, annonce publiquement, peu de temps avant le dépôt des listes, qu’il accepte l’invitation du candidat du Mouvement Nationaliste Révolutionaire Gonzalo Sánchez de Lozada à compléter son ticket présidentiel. Au sein du mouvement paysan, cette alliance est rapidement qualifiée de « kataclysme » : un jeu de mots faisant référence à la fois à l’origine katariste de Cárdenas et au coût représenté par la perte de la seule figure de dimension nationale que possède alors en ses rangs le syndicalisme rural. Le 4e Congrès de la CSUTCB en janvier 1994 vote une résolution qualifiant Cárdenas de llunk’u, ce qui signifie « traître » en aymara.

7 L’accusation de « traîtrise » ne fait pourtant pas allusion qu’à ce revirement de dernière minute : elle condamne l’orientation politique que le binôme portera au lendemain de sa victoire électorale. Très vite en effet, la demande de reconnaissance de la diversité ethnique existant en Bolivie apparaît articulée à un projet néolibéral d’affaiblissement du rôle de l’Etat. En tant que président du Congrès, Cárdenas promeut l’incorporation du caractère « pluriculturel et multiethnique » du pays dans l’article 1 de la Constitution bolivienne, l’éducation « interculturelle bilingue » étant également érigée en principe pédagogique. S’ajoutent à ces mesures la création de plus de trois cents nouvelles municipalités, dans le cadre de la Loi de Participation Populaire de 1994, censée permettre une meilleure gestion des affaires locales, dans les campagnes notamment (Van Cott 2003). Toutes ces mesures bénéficient de généreuses lignes de financement provenant d’ONGs et d’institutions internationales, dans un contexte de prise en compte de thématiques comme la défense de l’environnement et celle des « groupes vulnérables ». La « reconnaissance de la diversité », dans ce cadre, semble à même de compléter les politiques d’affaiblissement des Etats nationaux promues par ces mêmes institutions. Ce multiculturalisme « néolibéral » vaut certes à la Bolivie les félicitations d’une grande partie de la « communauté internationale ». Il reste néanmoins méprisé par le mouvement paysan et indigène bolivien. C’est donc

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précisément en dépit de la présence d’un indigène à la vice-présidence, Víctor Hugo Cárdenas, que se reformule un autre indianisme, nationaliste et populaire, dans le feu d’un nouveau cycle de mobilisations réarticulant la question ethnique à la « classe ».

8 La fin des années 1990 marque en effet un renouveau des luttes sociales en Bolivie (Do Alto et Stefanoni 2008). L‘épuisement du modèle économique libéral et le discrédit de la classe politique se combinent pour redonner un poids à des mouvements qui ont passé une quinzaine d’années à l’écart de la sphère publique, victimes à la fois de la répression policière et de la censure des médias. Ces « temps de rebellion » (García Linera et al. 2000) trouvent leur consécration dans l’élection d’Evo Morales, le leader du Movimiento al Socialismo (MAS), à la présidence de la République bolivienne en décembre 2005. Le MAS est généralement considéré comme un mouvement indien, qui a accédé au pouvoir en prenant la tête des protestations sociales des années 2000 avec un discours prônant la récupération de la souveraineté sur les ressources naturelles de Bolivie, et la résistance anti-impérialiste aux ingérences états-uniennes dans la politique intérieure du pays (notamment en matière d’éradication de la culture de la feuille de coca). Sans être totalement faux, ce schéma occulte le fait que le MAS, parti des cultivateurs de coca, s’est, dès sa fondation (dans les années 1990) articulé autour d’un discours « classiste » et anticapitaliste, qui n’a fait que tardivement place aux thématiques identitaires et ethnicistes. Les institutions académiques et les groupes intellectuels décrits par Jean-Loup Amselle, comme le THOA (Taller de Historia Oral Andina) n’ont finalement que très peu participé à sa construction idéologique, et ce n’est que par une série de rapprochements implicites qu’ils en viennent à être assimilés, et à s’assimiler eux-mêmes du point de vue des prises de position politiques, au gouvernement d’Evo Morales, sur le plan national comme international – c’est du reste sans doute toute l’habileté politique du président bolivien que d’avoir permis, voire suscité, une telle assimilation.

Le renouveau indianiste à la lumière de l’expérience de gouvernement d’Evo Morales

9 Comme le souligne Jean-Loup Amselle (p. 193 et suiv.), c’est à la fin des années 1970, au moment de l’expansion katariste, que les intellectuels boliviens redécouvrent l’œuvre de Fausto Reinaga, un des maîtres penseurs de l’indianisme. Et c’est dans la décennie suivante que Silvia Rivera et un groupe d’historiens entreprennent de « définir une pensée politique parallèle et concurrente de celle de la gauche marxiste » (p. 193). Le succès du THOA ne peut alors être dissocié de la crise du katarisme comme organisation politique, et de la nécessité de refonder un indianisme mis à mal par l’expérience de gouvernement de Víctor Hugo Cárdenas. Ce dernier, encourageant la participation des populations dites « autochtones » à la vie politique, a sans doute contribué à populariser les thématiques indigènes, et à favoriser les organisations (ONG, Eglises, etc.) qui en reprenaient les axes pratiques. Mais, tenant du compromis avec la société « créole », il a libéré un espace, dans le champ académique comme dans le champ politique, pour des prises de positions plus radicales, espace principalement occupé aujourd’hui par les intellectuels et organisations aymaras.

10 Longtemps cantonnée dans les marges du champ académique, l’indianisme acquiert à partir des années 1980 une légitimité intellectuelle avec la réhabilitation de l’histoire orale impulsée par Silvia Rivera. Sa reconnaissance auprès d’un public plus large se fait

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alors en deux temps. Tout d’abord avec l’importation, par Rossana Barragán (Rivera Cusicanqui et Barragán 1997) et Silvia Rivera elle-même, des thématiques « subalternistes », qui confèrent une caution « internationale » à la redécouverte de l’indianité ; cette importation se fait parallèlement à la diffusion des écrits d’universitaires latino-américains comme Walter Mignolo ou Néstor Canclini, mais aussi à la visibilité croissante d’intellectuels nationaux faisant carrière à l’étranger, comme Javier Sanjinés3. Ensuite avec l’influence croissante, à La Paz, d’un indianisme radical porté par les mobilisations sociales des années 2000 : qu’il s’agisse de la réinvention de la « nation aymara » par Felipe Quispe, dirigeant de la CSUTCB et organisateur des blocages de l’Altiplano (2000-2003), ou de la glorification des populations en lutte à El Alto, ville périphérique de La Paz, lors de la « guerre du gaz » d’octobre 2003. Une série de publications sur le modèle alternatif d’organisation sociale, révélé par les mobilisations des « bases », fait alors connaître de « nouveaux penseurs » qui se qualifient eux-mêmes d’aymara, comme Pablo Mamani, sociologue enseignant à l’Université Publique d’El Alto, ou encore Felix Patzi, ancien marxiste reconverti à l’indianisme.

11 L’intérêt de l’analyse de Jean-Loup Amselle ne se limite cependant pas à éclairer le passage d’un indianisme marginal dans l’académie à un indianisme radical. Elle permet de se demander dans quelle mesure un courant intellectuel se réclamant de gauche peut privilégier la réhabilitation de la diversité ethnique du pays plutôt que la prise en compte des inégalités entre classes sociales. Depuis l’élection d’Evo Morales, l’heure est à la reconnaissance du caractère plurinational de l’Etat et de la société, dans une volonté de rupture avec le « multiculturalisme » célébré depuis la décennie précédente par des régimes néolibéraux en quête de légitimité populaire. Mais s’il est vrai que le « multiculturalisme » désigne la volonté de faire coexister différentes cultures sur un plan d’égalité juridique et sociale, en particulier par la promotion de politiques antidiscriminatoires, peut-on affirmer que la recomposition identitaire actuelle est si éloignée des orientations précédentes que ne le prétendent ses promoteurs ?

12 La spécificité de gauche bolivienne incarnée par le Movimiento al socialismo (MAS) d’Evo Morales, n’est pas seulement d’avoir capitalisé sur le plan électoral les bénéfices des protestations sociales contre les politiques néolibérales : elle est d’avoir repris à son compte les revendications des populations dites « originaires », en redonnant un rôle central à la figure de « l’indien » luttant pour la réhabilitation d’une identité opprimée par cinq cent ans de domination coloniale. L’essayiste américain Walter Benn Michaels a parfaitement saisi les malentendus susceptibles d’accompagner cette recomposition identitaire lorsqu’il écrit, dans Trouble with diversity (Michaels 2007 : 142) : Etre socialiste, c’est avoir une certaine idéologie. Les socialistes croient en la même chose qu’Evo Morales en matière de nationalisation du service de distribution des eaux, qui avait était privatisé sous la pression des institutions internationales. Etre un indien aymara ce n’est pas avoir une idéologie mais une identité. Quand Evo Morales parle de ‘nationaliser l’industrie’, il parle comme un socialiste ; quand il parle d’accomplir ‘les rêves de nos ancêtres’, il parle comme un indien. Les ancêtres d’un grand nombre de partisans du MAS, les non-indigènes ‘de la classe moyenne, des classes laborieuses, des travailleurs salariés et même des entrepreneurs’ qu’il a salués dans son discours d’investiture, avaient sans nul doute exactement les rêves contraires.

13 Ainsi, que l’on se proclame socialiste ou indigène, on peut vouloir lutter contre la privatisation du service de l’eau, mais pour des raisons bien différentes : d’une part, pour minimiser l’emprise du secteur privé sur les biens collectifs ; d’autre part, pour

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revenir à un système de distribution ancestral de la ressource. Il n’est donc pas évident que les luttes menées pour la remunicipalisation du service de l’eau aboutissent aux mêmes résultats dans un cas ou dans l’autre : défendre la reconnaissance de son identité culturelle ne revient pas forcément à redéfinir un nouveau modèle économique susceptible de contrecarrer la prééminence accordée au secteur privé.

14 Dans un pays comptant officiellement plus de 60% d’indigènes, la recomposition partielle de la gauche autour de thématiques identitaires a finalement débouché sur un succès électoral exceptionnel en décembre 2005. Certes, les logiques indianistes et socialistes sont loin d’être incompatibles, comme le montre par exemple l’entretien avec le vice-président Alvaro Garcia Linea en annexe du livre (pp. 306-310), et l’importance de la réhabilitation des populations dites « originaires » ne peut être séparée d’un contexte national où la discrimination raciale n’a cessé d’affecter les couches populaires. L’expérience indigène de gouvernement menée depuis l’élection d’Evo Morales rencontre malgré tout des limites liées à l’exercice même du pouvoir. Le problème de la prééminence – quand bien même serait-elle seulement rhétorique – des thématiques identitaires au sein d’une politique de transformation sociale est qu’elle laisse inévitablement de côté ceux qui ne correspondent pas aux nouvelles normes de gouvernement, quelle que soit la légitimité de la cause soutenue. On peut ainsi tout à la fois trouver légitime la réhabilitation historique des populations dites « originaires » et remarquer que la politique du gouvernement Morales néglige les secteurs urbains et métis, dont le soutien a pourtant été essentiel à son élection en 2005, et qui n’ont pas semblé appuyer avec la même force le projet de nouvelle constitution, approuvé avec « seulement » 60% des voix en janvier 2009. Que sa rhétorique en appelle essentiellement au syndicalisme indígeno-campesino dans la définition de ses orientations majeures tient assurément à la nécessité de conforter des appuis indéfectibles, dans une période troublée par la profondeur des changements politiques et sociaux entrepris (et donc des oppositions rencontrées) en trois années de mandat : nationalisations, réforme agraire, nouvelle constitution politique visant à instaurer un Etat plurinational, etc. Cette référence n’en explique pas moins la perte de croyance progressive en la validité du processus en cours, perceptible dans la fraction de l’électorat qui ne s’identifie pas à un quelconque groupe ethnico-culturel. De même, les habitants des régions orientales du pays, telles Santa Cruz ou le Béni, peinent parfois à se reconnaître dans une politique qu’ils soupçonnent d’être modelée en faveur des seules communautés indiennes de l’Altiplano. Ce décrochage intervient au moment où les élites locales leur proposent un principe d’identification beaucoup plus accessible : une identité régionale synonyme de « dynamisme économique » et de « modernité ».

15 Il n’est pas dit que les objectifs de défense des identités et de lutte contre les inégalités sociales soient incompatibles : mais il faut pour les concilier tout un travail politique de mise en cohérence, que le gouvernement Morales et les intellectuels organiques qui l’appuient ne semblent pas avoir toujours privilégié (comme le montre Jean-Loup Amselle). Le problème n’est pas tant de trouver une redéfinition identitaire plus large ou plus « incluante », que de se demander si l’importance prise par le principe identitaire dans les recompositions idéologiques récentes ne mène pas à des impasses politiques plus grandes encore que les fractures ethnico-sociales que ce principe prétend combattre. Le multiculturalisme libéral s’accommodait fort bien des inégalités, puisqu’il incitait finalement les populations dites « originaires », qui sont aussi les plus défavorisées, à gérer elles-mêmes leur pauvreté en leur accordant l’exercice territorial

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de leurs « us et coutumes ». L’Etat plurinational promu par le MAS dans le projet de nouvelle constitution suscite peut-être des risques de « séparatisme » social similaires, dès lors qu’il entérine différents niveaux d’autonomie, indigène, municipale ou régionale, sans définir leur articulation. Le contexte postcolonial de la Bolivie, où les divisions entre classes se conjuguent avec des divisions ethniques qui ne les recoupent pas tout à fait, permet alors de se demander si l’alliance entre socialisme et revendications identitaires, qui s’est révélée efficace d’un point de vue électoral, reste viable quand il s’agit d’exercer le pouvoir dans la durée.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. L’indianisme est ici entendu comme une idéologie politique mettant en avant « la revendication d’une identité indienne spécifique dont il cherche à assurer la promotion » (Lavaud 1992 : 63-78). Par opposition, l’indigénisme renvoie à un discours intellectuel (principalement formulé par des « créoles ») visant à intégrer les populations « indigènes » à un projet de construction nationale. 2. D’une part le Mouvement Révolutionnaire Túpac Katari (MRTK), dont l’action s’inscrit dans le cadre de l’Etat bolivien, et qui s’allie à une coalition de gauche, l’Unité Démocratique et Populaire (UDP) ; d’autre part, le Mouvement Indien Túpac Katari (MITKA), défendant l’autodétermination

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des peuples indiens comme un premier pas vers une stratégie de sécession et de refondation du Kollasuyo (la Bolivie précoloniale). Lors des élections de juillet 1979, l’UDP récolte 24% des voix, tandis que le MRTK n’en obtient que 0,71%. 3. En particulier Javier Sanjinés (2005).

AUTEURS

FRANCK POUPEAU CSE – MSH. Centre de sociologie européenne, Maison des Sciences de l’Homme, 54 boulevard Raspail, 75006 Paris. [email protected]

HERVÉ DO ALTO IEP – Aix-en-Provence. [email protected]

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