VERS UNE NOUVELLE LECTURE DES ABSURDISTES (COURS DE LITTÉRATURE FRANÇAISE)

PRÉSENTÉE PAR : AL SARA MOHAMED AHMED SIDDIG LICENCE ES LETTRES ET PEDAGOGIE HONOURS (LANGUE FRANCAISE) (U DE K) 1991 MAITRISE ES LETTRES (LANGUE FRANCAISE) ) (U DE K) 1996

THÈSE PRÉSENTÉE Á L’UNIVERSITÉ DE KHARTOUM POUR I’OBTENTION DU DOCTORAT ES LETTRES EN (LITTÉRATURE FRANÇAISE)

SOUS LA DIRECTION DE : DR. NAJAT BABIKIR EL RASHID

FACULTÉ DE PÉDAGOGIE DÉPARTEMENT DU FRANÇAIS

MAI 2009

A MES ENFANTS ALA ET ALIA

ALSARA. SIDDIG 2009

I

REMERCIEMENTS

D’abord je remercie Dr. Najat Babikir Elrashid, la directrice de la recherche, qui l’a suivie patiemment et attentivement et sans son aide et son encouragement je ne pourrais pas terminer ce travail.

Je suis aussi redevable à Dr. Viviane Amina Y agi qui a lu le plan initial de cette recherche il y a dix ans et qui m’a beaucoup encouragée à continuer.

Je remercie aussi Mme Nada Da Falla et Mlle Eltoma Mohammed, qui ont dactylographié cette recherche.

En fin tous mes remerciements vont à mes collègues, à ma famille, à mon époux Imad et à mes enfants Ala et Alia dont la présence près de moi, a joué un rôle important dans la composition de ce mémoire.

II

RÉSUMÉ

Cette étude a pour but de simplifier la lecture de la littérature de l’absurde, et elle est basée sur la méthode comparative des textes originaux de ces écrivains. Elle présente une nouvelle classification des écrivains absurdistes selon laquelle il y a trois groupes :

(1) Le premier est celui de la passivité lucide, incarné par Beckett et Ionesco. Ce groupe se contente de montrer l’absurde et de rien faire pour lutter contre lui.

(2) Le deuxième est celui de la transcendance existentialiste, incarné par Sartre et De Beauvoir. Il nous propose l’action politique et la création artistique comme issue de l’absurde en gardant présent à l’esprit que ce but est impossible à atteindre.

(3)Le troisième est celui de la pensée de midi, incarné par Camus. Cet écrivain choisit le chemin moyen entre la passivité et la transcendance et il nous présente une solution humaine réalisable.

III

ﻣﺴﺘﺨﻠﺺ اﻟﺒﺤﺚ

اﻟﺒﺤﺚ ﻣﺤﺎوﻟﺔ ﻟﺘﺒﺴﻴﻂ دراﺳﺔ أدب اﻟﻼﻣﻌﻘﻮل (اﻷآﺜﺮ ﺗ ﺪ ر ﻳ ﺴ ﺎً ﻓﻲ آﻞ ﻣﺆﺳﺴﺎت ﺗﻌﻠﻴﻢ اﻟﻠﻐﺔ اﻟﻔﺮﻧﺴﻴﺔ ﻓﻲ اﻟﻌﺎﻟﻢ) وذﻟﻚ ﺑﺘﺼﻨﻴﻒ آُﺘﺎب هﺬا اﻟﺘﻴﺎر اﻷدﺑﻲ ﻓﻲ ﺛﻼث ﻣﺠﻤﻮﻋﺎت و ﻳﻌﺘﻤﺪ اﻟﺒﺤﺚ ﻋﻠﻲ اﻷﺳﻠﻮب اﻟﻤﻘﺎرن ﻟﻠﻨﺼﻮص اﻷﺻﻠﻴﺔ ﻷدﺑﺎء هﺬﻩ اﻟﻤﺪرﺳﺔ. و ﻗﺪ ﺧﻠﺼﺖ اﻟﺪراﺳﺔ إﻟﻲ أن هﺬﻩ اﻟﻤﺠﻤﻮﻋﺎت هﻲ:

(1) اﻟﻤﺠﻤﻮﻋﺔ اﻷوﻟﻰ :- هﻲ ﻣﺠﻤﻮﻋﺔ اﻟﺴﻠﺒﻴﺔ اﻟﻮاﻋﻴﺔ اﻟﻤﺴﺘﻨﻴﺮة ﺑﻤﺜﻠﻬﺎ ﺑﻴﻜﺖ واوﻧﻴﺴﻜﻮ. و هﻲ اﻟﻤﺠﻤﻮﻋﺔ اﻟﺘﻲ إآﺘﻔﺖ ﺑﺘﻌﺮﻳﻒ اﻟﻼﻣﻌﻘﻮل ﻓﺈﺧﺘﺎرت أن ﺗﻘﻒ ﻣﻜﺘﻮﻓﺔ اﻷﻳﺪي أﻣﺎﻣﻪ.

(2) اﻟﻤﺠﻤﻮﻋﺔ اﻟﺜﺎﻧﻴﺔ -: هﻲ ﻣﺠﻤﻮﻋﺔ اﻟﺘﻌﺎﻟﻲ اﻟﻮﺟﻮدي وﻳﻤﺜﻠﻬﺎ ﺳﺎرﺗﺮ ودىﺒﻮﻓﻮر. . و هﻲ اﻟﻤﺠﻤﻮﻋﺔ اﻟﺘﻲ إﻗﺘﺮﺣﺖ اﻟﻌﻤﻞ اﻟﺴﻴﺎﺳﻲ و اﻷﺑﺪاع اﻟﻔﻨﻲ آﻤﺨﺮج ﻣﻦ ﺣﺎﻟﺔ اﻟﻌﻤﺎء و اﻟﻼﺗﻜﻮن ﻟﻠﻮﺻﻮل ﻟﺘﺤﻘﻴﻖ اﻟﺬات اﻟﺬي ﻳﺴﺘﺤﻴﻞ ﺗﺤﻘﻴﻘﻪ ﺣﺴﺐ ﻗﻮل هﺆﻻء اﻟﻜﺘﺎب أﻧﻔﺴﻬﻢ.

(3) اﻟﻤﺠﻤﻮﻋﺔ اﻟﺜﺎﻟﺜﺔ -: هﻲ ﻣﺠﻤﻮﻋﺔ ﻓﻜﺮ اﻟﻮﺳﻂ (ﻓﻠﺴﻔﺔ ﻣﻨﺘﺼﻒ اﻟﻨﻬﺎر آﻤﺎ ﻳﺴﻤﻴﻬﺎ آﺎﻣﻮ ) وﻳﻤﺜﻠﻬﺎ آﺎﻣﻮ. و هﻲ اﻟﻤﺠﻤﻮﻋﺔ اﻟﺘﻲ إﺧﺘﺎرت اﻟﻄﺮﻳﻖ ااﻟﺬي ﻳﺘﻮﺳﻂ اﻟﺴﻠﺒﻴﺔ اﻟﻮاﻋﻴﺔ و اﻹﻳﺠﺎﺑﻴﻪ اﻟﻮﺟﻮدﻳﺔ ﻣﻘﺘﺮﺣﺔ اﻟﺤﻞ اﻹﻧﺴﺎﻧﻲ اﻟﺬي ﻳﻤﻜﻦ ﺗﺤﻘﻴﻘﻪ ﻋﻠﻲ أرض اﻟﻮاﻗﻊ.

IV

ABSTRACT

The study tries to simplify the reading of the literature of the absurd by regrouping the absurdists in three groups. It is based on the comparative method of the original text of the absurdists.

(1) The First group :- Is that of the enlightened passivity represented by Beckett and Ionesco. Those writers content with the definition of the absurd and don’t suggest any solution.

(2) The second group :- Is that of the existentialist’s transcendence represented by Sartre and De Beauvoir. This group presents the political action and the artistic creation as a way out of the absurd, and according to them this aim is difficulty attainable.

(3) The third group :- Is that of the midway thought, embodied by Camus. This writer did choose his own path that allow him to take advantage of the solutions of the two other groups in presenting a humane and realistic solution.

V

INTRODUCTION

1 Introduction

Comme Martin ESSLIN l’écrivain de l’ouvrage intitulé “Le Théâtre de l’Absurde”, on est convaincu que le thème majeur de l’ensemble de la littérature du monde entier, dès l’antiquité jusqu’à maintenant, est le thème de l’absurde. Toujours on écrit parce qu’on est mécontent, et on est triste parce qu’on se sent l’absurde dans tout ce qui va à l’encontre de ce qu’on veut. On est malheureux parce que l’antérieure de chacun d’entre nous est le théâtre du conflit perpétuel entre le vouloir et le pouvoir et c’est la raison pour laquelle on recourt à l’écriture et à la lecture. Si on est content, on vit, on n’écrit pas. S’il n’y a rien d’extraordinaire et d’irrationnel, il y n’aura pas de littérature. Dans les pièces de mimiques de l’antiquité le clochard apparaît en tant que morose or idiot : son comportement absurde vient de son incapacité de comprendre les relations logiques simples. Même dans les écrits de Shakespeare, on rencontre les fous et les clochards qui renversent le raisonnement logique ce qui veut dire que le fantastique, le non-sens généralement, ont leur tradition respectée et acceptée. Donc toute littérature est une littérature de l’absurde, néanmoins la notion de l’absurde est difficile à cerner : elle rêve des significations sensiblement différentes, selon qu’elle s’applique à telle situation familière, à l’expérience métaphysique de l’Existentialisme, ou au mouvement dramatique des années 50. Mais dans tous les cas elle désigne ce qui est contraire à la raison et au sens commun, et tout ce qui échappe à toute logique, y compris les problèmes du Bien et du Mal, du péché et de la mort, de l’inaptitude à vivre heureux ici-bas, pour l’homme dévoré par la nostalgie ardente et incompréhensible d’un ailleurs qu’il ne saurait définir. L’un des objectifs de notre étude, est de tracer les sens différents de l’absurde. L’étude essaye de répondre à cette question : qu’est-ce que le terme absurde signifie exactement chez les écrivains du théâtre de l’absurde, chez les existentialistes et chez Camus ? Cependant l’objectif principal de la recherche est de définir l’attitude de chaque écrivain absurdiste à l’égard de ce drame. L’hypothèse qu’on fait dès le début est que la position camusienne vis-à-vis de l’absurde, est modéré. Camus, qui à déjà choisi le chemin moyen entre la transcendance divine et la transcendance humaine, se tient obstinément à son choix premier et adopte la pensée de midi entre la contemplation pure et l’action pure. Il préfère la voie du milieu, entre celle des écrivains du théâtre de l’absurde, et celle des existentialistes. Les premiers choisissent le pessimisme de l’inaction, Ils se contentent de l’attitude passive qui se limite à dire la situation n’est pas bonne. Les derniers, c’est-à-dire les existentialistes préfèrent la transcendance. Camus entre les deux, adopte une attitude tempérée, il refuse de rester les bras croisés devant l’irrationnel, et simultanément il se met contre la transcendance.

2 Introduction

Pourquoi choisit-on ce sujet ? D’abord pour donner une nouvelle classification des écrivains de l’absurde. L’originalité de notre étude, est dans la comparaison entre Camus et tous les autres absurdistes. Si la plupart des études faites, ont pour but de parler des différends politiques entre Camus et Sartre, nous allons grandir le champs de recherche pour qu’il comprenne d’autres écrivains : Beckett, Ionesco et Beauvoir. Cette nouvelle classification est basée sur les attitudes différentes des héros de ces écrivains, et elle a pour objectif de simplifier la compréhension de leurs écrits et de faciliter l’accès à leurs œuvres. La deuxième justification du choix, est professionnelle. On traite cette question d’abord parce que ces écrivains sont les plus étudiés dans tous les établissements où on enseigne le français. Ensuite parce que leurs écrits sont à la portée de tous, en ce qui concerne la langue. Même avec des débutants on peut aborder des textes choisis de leurs œuvres, mais cela doit arriver en gardant présent à l’esprit que ce qui se cache derrière leurs mots simples, est très sophistiqué. Troisième raison pour laquelle, on a choisi ces auteurs, est le fait que nous en tant que professeurs à l’université, nous nous adressons à un public des jeunes adultes qui se préoccupent beaucoup de certaines questions de : l’existence, la foi, l’irrationnel etc., et elles s’imposent fortement chez eux. Un de nos buts est de les aider en leur facilitant l’accès à la lecture lucide de ces écrivains. La recherche est devisée en trois parties. La première intitulée la lucidité passive, qui est consacrée à Beckett et Ionesco. On parle de la signification de l’absurde chez eux, et des attitudes de leurs protagonistes. La deuxième partie, intitulée la transcendance existentialiste, aborde la même question chez Sartre et Beauvoir. La dernière partie dont le titre est la pensée de midi, est consacrée à notre écrivain absurdiste tempéré : Camus. Le premier chapitre parle du cycle de Sisyphe et son homme absurde. Le deuxième a pour but de parler du cycle de Prométhée et de son homme révolté. A la fin de cette partie, on aborde légèrement le cycle de Némisis et on parle de l’ouvrage posthume qui a été publié trente ans après la mort de Camus : “ Le Premier Homme” Notre corpus est l’ensemble des œuvres de ces cinq écrivains. De plus, quelquefois on recourt à quelques ouvrages écrits sur eux, et d’autres d’histoire littéraire. Mais dès le début, il faut signaler que notre bibliographie concerne délibérément les ouvrages parus pendent la première moitié du vingtième siècle. La justification de ce choix, est que notre objectif est de simplifier la lecture de ces auteurs en parlant de l’essentiel à partir de leurs propres œuvres, car notre étude est inspirée de “Le Théâtre De L’Absurde”de Martin ESSLIN, qui est considéré comme manuel à enseigner dans tous les établissements où on étudie la littérature de l’absurde. La

3 Introduction

deuxième justification est que les ouvrages d’analyse littéraire actuels, ne présentent que les points de vu personnels de leurs auteurs et cela entrave la compréhension de ces auteurs de l’absurde, au lieu de la rendre facile.

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Partie LA LUCIDITÉ PASSIVE 1

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Chapitre L’ATTENTE LUCIDE 1 (L’ABSURDE CHEZ BECKETT)

6 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

Pour Beckett tout est absurde, l’homme, la condition humaine, les relations humaines, la langue etc. A travers son œuvre, il critique tout, l’homme, Dieu, la langue et il les condamne tous. La lecture de l’œuvre beckettienne est très difficile parce qu’on ne peut pas interpréter ces écrits, on ne peut pas dire ce qu’Ils veulent dire exactement. Beckett, lui-même, prétend qu’il ne connaît pas la signification de ce qu’il a écrit. Quand Alain Scheider, qui était le dernier directeur de la première production d’ “ En attendant Godot” a demandé à Beckett qui et quoi il voulait dire par Godot, il a reçu cette réponse “ si je connaisait, je le dirait dans la pièce” (1). “ C’est un avertissement singulier pour n’importe quelle personne qui s’approche des pièces de Beckett avec l’intention de découvrir la clé de leur compréhension, de montrer ce qu’elles veulent dire exactement” (2).et ce n’est pas seulement avec ses pièces, c’est avec l’ensemble de son œuvre. Si on essaie d’interpréter cette œuvre on arrive à la fin que “ tout essai pour trouver le sens de texte est déçu précisément par le refus de texte d’exposer, de confirmer, d’établir une relation référentielle entre lui et la réalité” (3).C’est pourquoi, modestement, nous allons dire ce que nous avons compris sans prétendre que c’est la seule interprétation plausible de l’œuvre beckettienne. De fait cette œuvre a passé par deux étapes principales. La première c’est le cycle romanesque. La deuxième c’est le cycle théâtral.

(1.1.1) Le Cycle Romanesque

Le texte romanesque beckettien comprend une douzaine de récits. Le héros dans ces récits a passé par trois phases. Dans la première phase le protagoniste est un citoyen de ce monde. La deuxième nous présente un héros paria. Le dernier homme beckettien n’est qu’une voix.

(1.1.1.1) Le héros citoyen de monde

Les protagonistes de “ More Bricks Than Kicks” et de “Murphy” incarnent ce héros citoyen du monde. “ More Bricks Than Kicks” est composé de dix nouvelles, La première intitulée “ Dante and Lobster” nous raconte l’histoire d’un jeune Belacqua qui vit en Dublin, et qui essaie d’étudier “Paradiso. Canto II”, où Béatrice réfute la théorie de Dante à propos de l’origine des boutons de la lune.

(1)Alain SCHNDLER, “ Waiting For Godot ”, Chesla Review, New York, Autumn 1958. (2)Martin ESSLIN, “ The Theatre Of The Absurd ”, éd. Penguin Books in association with Eyre and Spottiswoode, 1991, P 44. (3)David WATSON, “ Paradox And Desire In Samuel Beckett’s Fiction ”, éd. St- Martin press, New York, 1991, P21. 7 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

Belacqua découvre que ce texte est impénétrable, il s’arrête pour préparer son dîner. Il nous raconte en détails comment se brûlent deux morceaux de pain, comment on met sur eux du sel et comment on prépare les pâtes, ce qui le rend heureux. Après il va au “ pub” pour manger son sandwich. Quand il est en train de partir, il téléphone au poissonnier pour lui demander un homard que veut sa tante. Après il va à l’école des langues pour une leçon d’Italien avec Signorina Adriana Ottolengni. Après la leçon il va chez lui avec l’homard. Ce qui est terrifiant est qu’il découvre que l’homard est vivant, et qu’il ne meurt que dans la casserole. Belacqua croit que “ c’est une mort rapide” (1). La deuxième nouvelle intitulée “ Fingal”. Dans cette nouvelle Belacqua a emmené son amie Winnie à la montagne de Wolves hors de Dublin pour regarder le paysage de Fingal et l’ Asile Portrane Lunatic, l’institution où se trouve le cœur de Belacqua comme il prétend, et aussi où se trouve l’ami de Winnie qui est médecin. Belacqua a quitté Winnie pour son ami Dr Sholto, et il va voler un vélo qui appartient à un fermier. Il va au vélo au café de M. Taylor où il boit et rit d’une manière que M. Taylor n’aime pas. Il se montre content de gagner le vélo et de perdre son amie. “ Ding-Dong” nous raconte l’histoire de Belacqua quand il est en train de vagabonder et d’errer à l’entour de sa ville natale. A travers “ Ding- Dong” il raconte des petites histoires de la dernière phase de son solipsisme avant de se délecter du monde en y obéissant. Une de ces histoires est celle de la femme qui le rencontre au café et qui achète des places au ciel pour Belacqua. “ A Wet Night” dont les événements passent pendant Noёl, nous raconte que Belacqua est invité par Miss Caleken Frica pour une réception des intellectuels. Avant d’aller à la réception, il va dans un café où il dispute avec un agent de police, il est heureux d’être mouillé par la pluie. Ce qui le gêne c’est l’artificialité de tout. Il préfère rester avec une bouteille de vin ou sortir dans la rue où il y a la pluie. A la fin il tombe malade, il a mal au ventre et il est transporté par un agent de police au trottoir. “ Love and Lethe” c’est l’histoire d’un pacte de suicide, signé par Belacqua et la célibataire Kuby Tough. Le pacte est totalement avorté, et au lieu de mourir Ils se marient. Belacqua se contente en se disant que “ l’Amour et la Mort-caesura-n’est qu’une même chose” (2). Dans “ Walking Out”, Belacqua veut se marier avec Lucy, et essaie de la convaincre de changer sa manière de vivre, elle refuse. Elle a un accident à cause duquel elle devient handicapée. Le résultat de cet accident est qu’Ils se marient et mènent une vie heureuse. “ Il trouve dans

(1)Samuel BECKETT “ More Bricks Than Kicks”, éd – John Calder 1993. P. 21. (2)Ibid P 105 8 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

ces grands yeux, les meilleurs mondes où Ils ne font pas allusion aux jours où elle rêve d’une place au soleil” (1). La septième nouvelle “ What a Misfortune” nous raconte l’histoire du mariage de Belacqua après la mort de Lucy, avec Thelma. “ Smeraldina’s Billet Doux” est une lettre d’amour écrite par Smeraldina à Belacqua. Mais, il est dans l’hôpital, attendant de faire une opération à cause de la quelle il est mort, c’est l’événement de “Yellow”, suivie de “ Draff”, la dernière nouvelle qui nous raconte l’histoire du mariage de Sameraldina (la troisième femme de Belacqua) avec son ami Capper qui l’enterre, et va pour commencer une nouvelle vie avec elle. Elle murmure “ c’est peut-être, après tout, ce que mon amour Bel voulait” (2). Belacqua a une attitude absurde à l’égard de tout, son attitude à l’égard du dîner et la préparation des pâtes dans la première nouvelle, son incapacité d’être à l’aise avec les autres, surtout dans les réceptions et les fêtes. Même ses rapports avec les femmes nous proposent un homme incapable d’agir normalement quand les questions d’amour et de sexe, surgissent. Un exemple, il ne mène pas une vie normale avec Lucy qu’après l’accident. Donc “ Le premier des héros beckettiens est un homme solitaire, étranger radical et volontaire” (3). Cependant, malgré ses particularités, on le considère comme un citoyen du monde, parce qu’il est acceptable pour la plupart des gens. Il a peur de la société et de ses semblables et cherche la reconnaissance des gens normaux. “ Il est, comme on a vu, étrange à l’apparence et aux conduites, mais il fréquente le même épicier, le même café pour éviter de provoquer la curiosité et le rire chez ceux qui ne le connaissent pas” (4). Beckett, dès le début de son œuvre, avance la question de l’esprit et le corps, mais Belacqua “ face aux deux options : la retraite à l’esprit ou le retour au monde, il choisit le dernier” (5) parce qu’il est l’un de ces citoyens du monde. Il est étranger qui ne veut pas montrer son absurdité aux autres. Notre deuxième citoyen de monde c’est “ Murphy”, qui vient de Dublin comme Belacqua et Beckett. Quand l’histoire commence, Murphy est à Londres pour installer une maison pour recevoir sa fiancée Miss Couihan, et il doit tout mettre dans cette maison, tout le luxe auquel elle s’habitue. Mais ses poursuites à Londres le conduisent à “ une tombe glorieuse”, il s’allonge sur l’herbe de “ Hyde Park” et s’y installe “ pour six mois, il mange, boit, dort et met ses vêtements et déshabille dans la cage moyenne de nord ouest” (6).Murphy est sans profession, ni occupation et ni commerce. Quand Mr

(1)Ibid P 121 (2)Ibid P 203 (3)John FLETCHER,“ The Novels of Samuel Beckett”, éd. Chatto and Windus, 1964, P34. (4)Ibid P 30 (5)Ibid P 36 (6)Samuel BECKETT, “Murphy”, éd Calder Publications, 1993, P.5 9 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

Willoughby Kelly pose la question à sa petite fille Celia, l’amant de Murphy “ Qui est-ce Murphy ? Pour qui tu négliges ton travail, comme je voit ? Qu’est-qu’il est ? D’où il vient ? Quelle est sa famille ? Qu’est-ce qu’il fait ? Il a de l’argent ? Est-ce qu’il a des perspectives d’avenir ? Est-ce qu’il a des rétrospectives ? Est-ce qu’il a n’importe quoi ? Celia répond que Murphy est Murphy et qu’il n’a pas de profession, qu’il vient de Dublin et qu’il a un oncle M.Quigley qui vit au Pays Bas et il survit sur l’aide qui vient de cet oncle” (1). Murphy est étudiant de gymnastique chez Neary. Il ne peut pas apprendre de Neary le talent d’arrêter le cœur. Murphy quitte le gymnastique, “ un mois avant que Neary rencontre Miss Couihan. A partir de ce moment, les nouvelles de Murphy disent qu’il est vu à Londres, Le jeudi saint, à midi s’allongant sur l’herbe en Cockpit à Hyde Park, tout seul tombé dans une torpeur dont tous les efforts pour l’éveiller, ont échoué” (2). Neary, tombe amoureux de Miss Couihan. Il lui envoie des cadeaux, des cigarettes Cuban, des mangues et des orchidées. Elle ne refuse pas les cadeaux et accepte de le rencontrer au cimetière du père Proust. Mais elle refuse ses propositions d’avoir une relation amoureuse avec lui parce qu’elle n’est pas libre jusqu’à l’arrivée des nouvelles certaines à propos de Murphy. Maintenant, c’est à lui, Neary, de chercher les preuves de la mort de Murphy, de la répudiation de leur contrat, de l’infidélité, ou l’échec économique. Neary envoie Cooper son adjoint, à Londres pour voir s’il est possible d’avoir les preuves requises. “ Maintenant tout dépend de Cooper. Si Cooper échoue, Neary va se mettre à la porte de son hôtel, très tôt le matin” (3). Au moment où Neary est en train d’établir une relation avec Miss Counihan, Celia, la prostituée irlandaise, est entrain d’en établir une avec Murphy. Elle le voit, la première fois, au Stadium Street où il en train de contempler le ciel, elle va pour vivre avec lui. Il propose à Celia de se marier avec lui? Mais Ils ne peuvent pas à cause de son revenu faible. Elle essaie de le convaincre de travailler. Elle a deux raisons pour lesquelles, elle lui demande toujours de chercher du travail, la première est de faire de lui un homme, la deuxième est d’arrêter son travail: comme prostituée. Tous les jours, Murphy sort pour chercher du travail mais il n’est pas sérieux. Célia lui dit qu’elle va le quitter s’il ne trouve pas un poste. “ Il sait ce que cela veut dire. Il n’y a plus de musique ?!” (4). À Dublin, Cooper a échoué à la mission de trouver Murphy parce qu’il est devenu alcoolique, séduit par les métropolitains. C’est pourquoi Neary, le remplace par Wylie, un autre étudiant. Wylie conseille Neary d’aller lui-

(1)Ibid P 14 (2)Ibid P 32 (3)Ibid P 35 (4)Ibid P 47 10 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

même à Londres pour être sur place, et suit la recherche de Murphy. Neary part pour Londres. Wylie devient l’amant de Miss Conihan. Cooper qui est remplacé par Neary, revient à Dublin pour servir Miss Conihan et Wylie. Les trois: Miss Conihan, Wylie et Cooper vont pour chercher Murphy. “ Wylie propose qu’Ils aillent à Londres, elle, lui et Cooper. Elle sera le cœur et l’esprit, lui le cerveau, Cooper la griffe de l’expédition. Cela lui permettra de lâcher ses affections affolées contre Murphy quand il sera retrouvé” (1)et c’est Neary qui va payer. Maintenant Ils sont quatre, à chercher Murphy. Revenons à Londres et à Murphy, qui enfin trouve un poste à l’hôpital de Magdalena Mental Mercy Seat. Il remplace l’infirmier Ticklepenny. Ce dernier cherche à annuler le contrat avec l’hôpital psychiatrique parce qu’il a peur d’être un psychopathe. Ticklepenny fait apprendre à Murphy ce qu’il va faire. Dans ce poste, on attend de Murphy de faire les lits, porter les plateaux, nettoyer la saleté régulière et irrégulière, lire les thermomètres, écrire les cartes, donner les médicaments, etc. Il lui faut faire tous ces devoirs en gardant présent à l’esprit qu’il s’entretient avec des malades qui ne sont pas responsables de ce qu’Ils font et de ce qu’Ils disent. Il ne doit pas être affecté par les injures quoi qu’elles soient parce que normalement les malades voient les anciens infirmiers comme persécuteurs et les nouveaux comme sauveurs. Enfin, Murphy se trouve dans ce travail parce qu’il y rencontre “ le type de gens dont il est si longtemps désespéré de trouver” (2) car dans leur monde il voit le repli complet de la contingence de ce monde. “ Murphy se sent qu’il est devisé en deux parties, le corps et le cœur. Ils ont un rapport apparent, autrement dit il ne voit pas d’autre chose de commun d’entre eux” (3) et c’est la raison pour laquelle, il est très content parmi les fous. Tous se rencontrent chez Neary. Cooper leur annonce la nouvelle que Murphy est enfin retrouvé. Ils vont ensemble chez Celia mais Murphy n’est pas là. Deux jours après, Ils reçoivent une lettre de l’hôpital disant que Murphy est mort à cause d’une explosion de bouteille de gaz. Ils vont à la morgue pour identifier le corps carbonisé de Murphy et pour enlever les restes et les brûler parce que Murphy a écrit une note à Celia,y disant qu’il doit “ être brûler et d’être mis dans une poche et emmener au Théâtre Abbey, l’avenue L r Abbey Dublin et d’être posé dans ce que Lord Chesterfield appelle la maison nécessaire, où il a passé les moments les plus heureux …et Murphy désire qu’on tire la chasse d’eau sur eux, s’il est possible pendant qu’on joue de la musique, tout doit être exécuter sans faire des cérémonies ni montrer de douleur” (4).

(1)Ibid P 74 (2)Ibid P 47 (3)Ibid P 64 (4)Ibid P 151 11 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

Soulagé de la recherche fatigante de Murphy, Neary a quitté Wylie et Miss Counihan qui vont se marier. Cooper a pris le reste du corps de Murphy et les jeter par terre dans un café. “La fin de nuit, le corps et le cœur et l’esprit de Murphy sont librement distribués sur le plancher du salon, et avant l’arrivée d’un autre jour la terre grisaillée, doit être balayée par la sable, la bière, les mégots, les bouteilles, les allumettes, les broches, les vomissements” (1).Celia part tristement. Cependant “ dans son refus de gagner sa vie, Murphy montre qu’il est plutôt étranger que Belacqua dont les attitudes à l’égard de la situation caractéristique de la vie humaine ne sont jamais à l’encontre de normal. En fait la solitude de Murphy est complète et volontaire” (2). La question beckettienne la plus traitée dans son oeuvre nous surgit pour la deuxième fois : le corps et l’esprit. Murphy est aliéné, séparé de son corps par ses pensées car toujours chez lui “l’expérience mentale est coupée de l’expérience physique” (3).Murphy est profondément devisé en deux. Quand il va à Magdalen Mercy Seat, il espère y trouver l’accompagnement de ceux qui ont achevé l’indifférence vis-à-vis de l’absurdité de monde et il croit que cela le rend capable de fermer une fois et pour toujours, l’issue vers la sincérité de l’esprit. Autrement dit, il croit qu’il va trouver le soulagement et la sincérité parmi les fous. Mais de fait il a sur simplifié la question. Les malades ne sont pas heureux car les vexations thérapeutiques exercées par le staff médical contre eux, les rendent tristes. Ils le qualifient comme sympathisant parmi les autres tourmenteurs mais Ils sont incapables de l’admettre dans leur groupe. Dans “ Murphy” pour la première fois, Beckett essaie de mettre un accord entre la forme et le contenue. L’économie est sa première étape d’évolution de son style, toutes les transitions qui n’ont pas d’importance, sont enlevées. Un exemple du cette économie la conversation entre Neary et Wylie où le dernier essaie de se plaindre et de parler de ses financiers qui vont mal: “Neary se cache la figure de ses mains “Cathleen ’ Wylie “ dites au Professeur le pire” “Huit six quarante huit ’Cathleen dit “Et deux sieze une livre” “Dans la rue Neary dit “ Wylie. Pourquoi vous êtes si tendre ?” (4). Un autre écrivain peut remplir une page par les détails de ce dialogue. L’économie, c’est la première critique adressée par Beckett contre la langue comme une institution sociale traditionnelle. Il a bien choisi sa première attaque, car son

(1)Ibid P 47 (2)Ibid P 154 (3)John FLETCHER. OP cit P 54. (4)Ibid P 38 12 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

héros dans cette étape, reste de ce monde, sa révolte n’est pas complète et c’est pourquoi il a choisi la forme qui va avec le contenue. L’économie est le bon choix dans cette phase. “ Murphy”, “ c’est un récit lacunaire, qui nous montre un reclus prisonnier de la Cité et de ses mirages. Enfermé dans un asile psychiatrique où il attend la mort, Murphy, qui est. “ Né-retraité”, s’irréalise peu du monde des vivants” [parce que Murphy est un] “un achèvement qui n’en finira pas” (1).le fiasco de la parole s’arrête à la phase de l’économie.

(1.1.1.2) Les héros comme paria

Le premier héros paria, c’est “ Watt”. Le premier chapitre se passe dans un parc où M. Hackett, un vieillard qui veut prendre l’air pendant une nuit d’été, mais le banc où il veut s’asseoir, est occupé par deux amants et c’est pourquoi il a appelé un gendarme pour les enlever. Quand il est là, M et Mme Nixon le saluent et une longue conversation se passe entre eux. Le métro s’arrête à l’opposé d’eux, “ sur le trottoir, une forme solitaire et immobile, de moins en moins éclairée par les lumières fuyantes, jusqu’à ce qu’elle est distinguée à peine du mur sombre qui se trouve derrière elle. Tetty n’était pas certain si c’est un homme ou une femme. Mr Hackett n’était pas sûr s’il était un colis, un tapis par exemple, ou un rouleau de bâche enveloppée dans une feuille de papier est liée au milieu par un cordon” (2). Cet objet là est Watt, notre héros. M.Nixon traverse la rue pour faire des remontrances à WATT. Il revient à sa femme et M. Hackett pour leur annoncer la mauvaise nouvelle que Watt reste encore incapable de payer de retour la dette de sept ans. Watt lui dit qu’il peut lui payer quatre shillings et quatre penses, mais M. Nixon refuse la compression car l’homme sera sans un sou et il sait que Watt est en train de faire un voyage. M. Hackett est beaucoup dérouté par la personnalité de Watt mais il a obtenu de si petites informations de M. Nixon concernant Watt, car le premier ne connaît pas bien le dernier. Maintenant nous sommes dans la gare où Watt se conge contre un porteur et c’est pourquoi ce dernier crie, cela arrive avant l’entrée de Watt dans une compatriote qu’il partage avec M. Spire, le rédacteur en chef d’un mensuel catholique intitulé “ Crux”. Ce dernier harangue Watt et lui parle des sujets théologiques jusqu’à son arrivée à sa destination. Là, il va à pieds jusqu’à la maison de M. Knott, où il arrive la nuit. Dans la rue, il rencontre Mme Cann, qui est fidèle à ses traditions catholiques et militaires, elle lance des pierres contre Watt, mais heureusement il n’est pas blessé. Il

(1)J. p de BEAUMARCHAIS, Daniel COUTY, Alain KEY, “Dictionnaire Des Littératures De La Lange Française ” éd, Bordas, paris, 1987, P218. (2)Samuel BECKETT, “ Watt ”, éd. john Calder, 1998, P14 13 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

entre dans la maison de M. Knott mais il ne sait pas d’où, ou comment il le fait. Dans la cuisine, Watt se repose. Brusquement apparaît Arsen qui est le ex-serviteur qui va être remplacé par Watt pour servir l’étrange M. Knott.Dans un discours si long, Arsen lui parle de la vie dans cette maison et le conseille de ne pas faire le même que son successeur, “ et maintenant pour ce que j’ai mal dit et pour ce que j’ai bien dit et pour ce que j’ai dit et pour ce je n’ai pas dit, je vous demande de me pardonner. Et pour ce que j’ai fait et pour ce que je n’ai pas fait, je vous demande aussi de me pardonner” (1). Ce sont les mots par lesquels Arsen met fin à son discours. Le deuxième chapitre nous parle du service de Watt au raz-de- chaussée de la maison de M. Knott car le premier étage est fermé par un autre serviteur appelé Erskin. Très tôt le matin, Watt est gêné par la visite des Galls, le père et le fils qui sont joueurs de piano. Ce qui gène Watt c’est le fait que cette visite est sans objectif déterminé. “ Ce qui détressait Watt dans cet incident des Galls père et fils, et dans les incidents semblables suivants n’était pas trop car il ne savait pas ce qui s’est passé, car il ne s’intéressait pas à ce qui s’est passé, parce rien n’est arrivé” (2). Brièvement on peut dire qu’il se montre mécontent parce qu’il est entouré par les incertitudes. Pendant son séjour au rez-de-chaussée, Watt est en train d’apprendre les arrangements extrêmement élaborés pour la préparation des repas pour M.Knott, et aussi il essaie d’apprendre comment nettoyer les ordures. Cependant il se préoccupe d’autres problèmes comme celui de la sonnerie qu’il doit presser, lui ou Erskire. Un autre problème qui le rend perplexe, c’est le tableau qui est à l’entrée et sa signification. “ A la fin de son séjour chez M. Knott, Watt a appris que rien n’est arrivé” (3). Le troisième chapitre s’ouvre par l’histoire de Watt, et c’est Watt lui- même qui la raconte entièrement à Sam qui est un collègue intime d’un hôpital psychiatrique. Sam rencontre beaucoup de difficultés qui entravent sa compréhension de l’histoire de Watt, car ce dernier a sa manière propre et sa langue propre. “ Il désirait que les mots soient appliqués à sa situation” (4). Et c’est pour quoi il a de la peine d’être obligé d’utiliser la langue de tous les hommes et c’est la raison pour laquelle quelquefois il a besoin de secours sémantique si non il essaie tous les noms à toutes les choses” (5). Ainsi la communication entre les deux hommes, Sam et Watt, devient-elle impossible. La seule information que Sam a réussi d’obtenir de Watt, c’est à propos de l’arrivée d’Arthur, qui remplace Watt, et de son rapport avec M.

(1)Ibid P 62 (2)Ibid P 73 (3)Ibid P 77 (4)Ibid P 78 (5)voir lbid PP 79, 8o. 14 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

Graves, le jardinier d’Ernest Louit. Watt remarque que “ tous les serviteurs de M. Knott ne sont pas autorisés de faire de sa maison un refuge dernier, mais Ils doivent se déplacer continuellement quand un successeur arrive, soit à pour la première étage si Ils sont au rez-de-chaussée, ou Ils leur faut retourner au monde extérieur s’il sont déjà à la première étage, parce que ce qui vient est l’ombre de ce qui va et ce qui va est l’ombre de ce qui vient” (1). Watt a passé un certain temps chez M. Knott mais il ne sait pas combien de temps exactement; il prétend qu’il a passé un si long temps. Il sort de la maison de M. Knott, et il va à la gare où il passe toute la nuit chez l’aiguilleur. Le matin, il est stupéfait quand la porte est ouverte violemment par le porteur. Pour le réveiller, les cheminots renversent les ordures sur lui et l’injurient. Il achète un billet pour aller si loin, pour arriver à la fin de trajet. Le train arrive à sa dernière destination. Les cheminots se mettent à rire chaleureusement de voir Watt encore vivant. “ Watt” c’est d’abord un superbe roman sériel mais c’est surtout la chronique fantasmatique d’une dérive clochardesque. On y suit un “tortigrade emballé” qui déblatère d’interminables litanies afin de meubler le silence et de sauter une réalité devenue insensée” (2). Watt comme tous les héros beckettiens, “ comme les fous et les criminels, les héros de Beckett considérés par les pouvoirs comme des éléments anti-sociaux, qui ont besoin de surveillance” (3). Pour eux il y a toujours une lacune entre la langue et la réalité de l’existence humaine et c’est pourquoi Ils se montrent toujours contre la langue. “ Le roman de Beckett fait comprendre combien tout langage est déjà une représentation, une structure qui modèle la pensée de celui qui s’en sert. Parler un langage, c’est se soumettre à sa syntaxe, à sa grammaire, à sa sémantique, bref à sa représentation. Briser la grammaire, vider les mots de leur signification apparaît aujourd’hui comme le seul moyen de continuer à écrire” (4). Et c’est Watt, le premier des héros de Beckett, qui reconnaisse la lacune entre la langue et le monde. Dès le début, Watt, se montre comme un personnage étrange. Il a une personnalité mystérieuse et incertaine pour ses semblables. “ L’exil de Watt est celui de Murphy qui a très envie de le partager avec les malades. Mais ce dernier arrive à cet exil après beaucoup de souffrances ……… [tandis qu’] en effet Watt arrive à cet exile complète du monde des hommes seulement après son séjour chez M. Knott qui détruit pour lui le monde des objets, de logique, des noms et qui le prend un pas d’avant dans un calvaire

(1)John FLETCHER, op. cit, P. 62 (2)J. P de BEAUMARCHAIS, D. COUTY, A.REY loc. cit. (3)D. WATSON, “ Pardox and desire in Samuel Beckett fiction ”. éd St Martin Press, 1999, P 1. (4)Olga BERNAL, “ Langage Et Fiction Dans Le Roman De Beckett”., éd Gallimard, PP 116 – 117 cité par D. WATSON op. – cit., P9. 15 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

douloureux qui est la voie de l’héros beckettien dès Belacqua de Dublin jusqu’ au boueux Pim des Pays-Bas” (1). Toujours le héros beckettien est entouré par l’ignorance. Personne ne le connaît et il ne connaît personne et il ne sait rien. Il est toujours incertain. Si on lui pose la question “qui est M. Knott?” son maître, il se trouve incapable de répondre et c’est pourquoi” le syntaxe de Watt s’effondre sous la tension, quand il essaie de parler de son maître à Sam, qui apparaît comme un dieu négatif, le Néant duquel on ne peut rien prédire” (2). Dans “ Watt” il y a une diversité de styles. Quelquefois, on voit l’économie. D’autrefois des détails dans des pages et des pages qui parlent de rien. La manière dont il utilise pour parler de la préparation des repas de M. Knott, est trop détaillée. Tantôt ce sont les énigmes qui nous rencontrent dans ce roman, exemple l’histoire des serviteurs qui se déplacent et se remplacent chez M. Knott. “ Beckett prend un plaisir sadique à gaspiller le lexique jusqu’à l’onomatopée : un roman comme “Watt” est littéralement saturé de combinatoire, de permutations de jeux formels, d’explorations sérielle, afin de mener à l’épuisement le cheminement littéraire” (3).La plupart des événements dans le livre sont narrâtes aux petits soins, avec une longueur inutile” (4).Prenons comme exemple ce passage où on parle des cheminots qui rencontrent Watt à la gare, sortant de la maison de M.Knott “ M. Nolan regarde M. Case, M. Case regarde M. Nolan, M. Gorman regarde M. Case, M. Gorman regarde M. Nolan, M. Nolan regarde M. Gorman. Case regarde M.Gorman. Case regarde M. Gorman. M.Gorman regarde encore M. Case, et encore M. Nolan” (5) au lieu de dire simplement qu’Ils se regardent. De fait l’intention qui se cache derrière cette diversité de style, semble être toujours une démystification de l’acte de la création littéraire. c’est de propos délibéré que l’ensemble de l’œuvre beckettienne est toujours “ en rupture avec la technique traditionnelle”(6). Passons maintenant à nos héros paria“ Mercier et Camier” qui est l’histoire de deux hommes symbolisant ceux qui n’ont pas de gîte, les maladroits, les damnés, les faibles, les infortunés. Un jour, Ils décident de partir mais sans savoir où ni pourquoi “ Tu ne sais pas où nous allons ? Dit Camier. Qu’est-ce que ça peut nous faire, dit Mercier où nous allons ? Nous allons c’est suffisant” (7). Ils se livrent donc à une sorte d’errance qui les conduits toujours dans les mêmes lieux où Ils rencontrent d’autres

(1)Johm FLETCHER, op. cit PP 78 – 79. (2)Ibid P. 86. (3)J. P de BEAUMARCHAIS et autres, op. cit., P. P 220-21. (4)FLETCHER. op. cit., P72. (5)S. Beckett, “ Watt ”, P246. (6)André LAGARE, “ Laurent MICHARD, XX e siècle”, éd Bordas, coll. Lagarde et Michard, Paris,1988, P 683. (7)Samuel BECKETT, “ Mercier and Camier ”, ed – Grove press, 1975, P 90 16 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

clochards du même acabit qu’eux, affligés des mêmes maladies honteuses tuant tant bien que mal le temps qu’Ils ont à vivre. Mercier et Camier sont deux vieux irlandais qui décident de faire un voyage. Mercier est grand, mince, les cheveux sales, un nez large et des yeux creux et ce grand exsangue représente l’esprit dans le dualisme beckettien. Tandis que Camier, le petit pléthorique repèsent le corps. Leur voyage “ fut un voyage matériellement assez facile sans mers ni frontières à franchir, à travers des régions peu accidentées, quoique désertiques par endroits. Ils restèrent chez eux, Mercier et Camier, Ils eurent cette chance inestimable. Ils n’eurent pas à affronter, avec plus ou moins de bonheur, des mœurs étrangères, une langue, un code, un climat et une cuisine bizarres, dans un décor n’ayant que peu de rapport, au point de vue de la ressemblance, avec celui auquel l’âge tendre d’abord, ensuite l’âge mûr, les avaient endurcis. Le temps, quoique souvent inclément (mais Ils en avaient l’habitude) ne sortait jamais des limites du tempéré, c’est-à-dire de ce que peut supporter, sans danger. Sinon sans désagrément, un homme de chez eux convenablement vêtu et chaussé. Quant à l’argent, s’Ils n’en avaient pas assez pour voyager en première classe et pour descendre dans les palaces Ils en avaient assez pour aller et venir, sans tendre la main. On peut donc affirmer qu’à ce point de vue les conditions leur étaient favorables, modérément Ils eurent à lutter mais moins que beaucoup de gens, moins peut-être que la plupart des gens qui s’en vont, poussés par un besoin tantôt clair, tantôt obscur” (1). Cependant pour faire cet étrange voyage “ Ils s’étaient longuement consultés avant d’entreprendre ce voyage, pesant, avec tout le calme dont Ils étaient capables, les avantages et désavantages qui pouvaient en résulter, pour eux. Le noir, le rose, Ils les soutenaient à tour de rôle. La seule certitude qu’Ils tiraient de ces débats était celle de ne pas se lancer à la légère dans l’aventure” (2). La première mésaventure qui a lieu dans ce voyage, est qu’Ils perdent à peu près une heure cherchant l’un l’autre. “Camier arriva le premier au rendez-vous. C’est-à-dire qu’à son arrivée Mercier n’y était pas. En réalité, Mercier l’avait devancé de dix bonnes minutes. Ce fut donc. Mercier, et non Camier, qui arriva le premier au rendez-vous. Ayant patienté pendant cinq minutes, en scrutant les diverses voies d’accès que pouvait emprunter son ami, Mercier partit faire un tour qui devait durer un quart d’heure. Camier à son tour, ne voyant pas Mercier venir partit au bout de cinq minutes faire un petit tour. Revenu au rendez-vous un quart d’heure plus tard, ce fut en vain qu’il chercha Mercier des yeux. Et cela se comprend. Car Mercier, ayant patienté encore cinq minutes à l’endroit convenu, était reparti se débrouiller

(1)BECKETT, OP. cit., P 7. (2)Ibid P. P 7, 8 17 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

les jambes, pour employer une expression qui lui était chère. Camier donc, après cinq minutes d’une attente hébétée, s’en alla de nouveau, en se disant : peut être tomberai je sur lui dans les rues avoisinantes. C’est à cet instant que Mercier, de retour de sa petite promenade qui cette fois-ci ne s’était pas prolongée au-delà de dix minutes, vit s’éloigner une silhouette qui dans les brumes du matin ressemblait vaguement à celle de Camier, et qui l’était en effet. Malheureusement elle disparut, comme engloutie par le pavé, et Mercier reprit sa station. Mais après les cinq minutes en voie apparemment de devenir réglementaires il l’abandonna, ayant besoin de mouvement. Leur joie fut donc pendant un instant extrême, celle de Mercier et celle de Camier, lorsque après cinq et dix minutes respectivement d’inquiète musardise, débuchant simultanément sur la place, Ils se trouvaient face à face, pour la première fois depuis la veille au soir. Il était neuf heures cinquante.

Soit Arr. Dép. Arr. Dép. Arr. Dép. Arr.

Mercier 9. 05 9. 10 9.25 9. 30 9. 40 9. 45 9. 50

Camier 9. 15 9. 20 9. 35 9. 40 9. 50” (1).

Un extrait si long mais un bon exemple pour le style beckettien qui accumule les mots jusqu’à dérision pour parler des hommes qui vont mais qui n’arrivent jamais, et qui partent pour revenir et qui parlent mais cela ne sert à rien. Un tas des mots qui nous rappelle le vide et le rien de la vie qui nous entourent. Revenons à nos deux clochards Mercier et Camier qui se rencontrent enfin mais Ils ne peuvent pas commencer leur voyage parce qu’il pleut. Ils passent la nuit chez une certaine Hélène avec laquelle Ils ont un rapport sexuel, tous les deux. Enfin Le voyage commence mais au lieu de prendre l’express, Mercier et Camier prennent un train qui a beaucoup d’arrêts. Ils y rencontrent M. Madden qui insiste à leur raconter l’histoire de sa vie. Dans un village, ils s’installent dans un petit auberge mais ils partent l’aube et Ils y oublient leur seul manteau. Ils décident de rentrer à leur ville afin de chercher d’autres possessions, la musette, le vélo et le parapluie. Ils arrivent mais Ils se séparent, Mercier va chercher la musette et le vélo et Camier le par pluie. Camier est vu dans le café où il rencontre Mercier. Le parapluie est perdu, la musette impossible à trouver et le vélo est en panne. Ils quittent le café pour rencontrer le gendarme qui refuse de leur montrer le bordel. Ils

(1)OP. cit. PP 8.9 18 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

rentrent chez eux pour se séparer encore. Ils se rencontrent après l’été et se séparent pour toujours, chacunière partant s’enfonce dans une solitude sans issue. “ Bon, je m’en vais, dit-il Adieu, Mercier-Bonne nuit, dit Mercier”. Seul, il regarde son ciel s’éteindre, l’ombre se parfaire” (1). Le voyage de Mercier et Camier est un symbole de la recherche stérile pour une signification de la vie. Portant contrairement aux héros précédents, ce sont eux qui choisissent de sortir, Ils ne sont pas rejetés par la société. Dans ce voyage on peut voir “ l’odyssée aberrante d’un couple déchiré qui parle, parle et parle encore pour ne pas mourir : pour Beckett, le langage est le seul matériau capable de boucher ces chiffes vides que sont le corps et l’esprit, le seul qui puisse en colmater les trous. Comme si les mots n’étaient plus les instruments du sens ou de la communication, mais une sorte d’hypertrophie du gâchis existentiel. Une hypertrophie qui sape la parole à son fondement pour la liquider en parlotes, bavardages et babils : si le réel n’est pas rationnel, au moins est-il saturable” (2). Le roman qui suit c’est la trilogie qui est composée de : “ Molloy”, “ Malone ; Dies” et “ The Unnamable” “ Molloy” est devisé en deux parties. La première c’est l’histoire de Molloy qui se trouve dans la chambre de sa mère “ Je suis dans la chambre de ma mère. C’est moi qui vis là-bas maintenant. Je ne sais pas comment je viens ici. Peut-être dans une ambulance ou dans une véhicule de certain type” (3).Il y a un an il est transporté par ce véhicule parce qu’il s’est arrêté de marcher à pieds. Il a pris la place de sa mère mais il ne sait pas où elle se trouve. Il nous dit qu’il est obligé d’écrire son histoire pour un homme qui vient chaque semaine pour collectionner ses pages et puis il commence à nous raconter son dernier voyage. Il est au sommet d’une colline, sous l’ombre d’un rocher, de là il voit deux hommes qui marchent l’un cherchant l’autre, Ils se rencontrent, se parlent et se séparent pour la deuxième fois ces deux hommes s’appellent A et C. L’homme C a un chapeau distingué et extraordinaire et il a un bâton à la main et c’est en utilisant ce bâton qu’il s’approche de Moran dans les forêts dans la deuxième partie. Donc l’apparition de ce personnage a beaucoup d’importance dans la deuxième partie mais Molloy écarte ce qu’il appelle “ les chiffons qui couvèrent mes hontes” (4) parce que l’important est de trouver sa mère “ je résout d’aller et de voir cette femme, pour une raison naturelle urgente, et c’est par cette raison, car je ne sais pas qu’est-ce que je fais, ou où je vais? c’était un jeu d’enfant pour moi, seulement le jeu d’enfant, pour remplir mon

(1)lbid P. 122 (2)J. P de BEAUMARCHAIS, Daniel COUTY, Alain KEY OP. cit. PP 8. g. (3)S.BECKETT, Three Novels, “ Molloy, Malone Dies, The Unnamable”. éd.Grove Press, New York, 1991,P.7. (4)lbid P. 15. 19 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

cerveau jusqu’à qu’il soit prêt pour d’autre préoccupation” (1).Il fixe ses béquilles, sans lesquelles il ne peut pas marcher car il a une jambe raide, il les arrache à son vélo et s’en va. Quand il arrive à sa ville il est arrêté, et plus tard il est questionné par un agent de police pour une irrégularité ambiguë dans sa manière de conduire le vélo. Plus tard Molloy est libre, il va à la campagne, puis rentre à la ville car il n’est pas certain si sa mère est à la ville. Là-bas il cherche un chien perdu. Pour elle, Molloy (….) remplace l’animal mort (le chien). Il reste chez elle et se montre content mais il ne peut pas partir parce que Lousse drogue sa nourriture. Il a perdu son vélo et il décide de partir avec ses béquilles seulement. Molloy prétend que Lousse le garde pour des raisons sexuelles mais ce qui est surprenant c’est qu’elle n’a pas essayé de l’empêcher de partir. Après le départ, il erre autour de la ville et il essaye de suicider mais il échoue. Enfin il est parti, très soucieux de l’image de sa mère. Graduellement il perd la capacité de marcher. Pendant qu’il rampe, il entend des voix qui lui disent “ Molloy nous” (2).et il se laisse tomber dans un fossé au bois et c’est de ce fossé qu’il est sauvé et mis dans la chambre de sa mère pour écrire son histoire. L’histoire circulaire qu’on peut raconter du début à la fin ou au contraire de la fin au début. Donc la première partie “ suit les déambulations de Molloy, un clochard à moitié paralysé, écrivain et héros à la fois de sa propre histoire. Triste chose que ce Molloy : il est à la recherche d’une mère “ impossible”, avec, pour seuls fétiches, une paire de béquilles, une vieille bicyclette et quelques cailloux qu’il suce selon un rituel démentiel. Une laver, plutôt qu’un humain. Guidée par une voix intérieure, son aventure le conduit au cœur d’une forêt. Il a à peine la force de s’y traîner en s’accrochant aux arbres avec ses béquilles, qui lui serviront d’ailleurs à tuer un vieillard rencontré là par hasard …… Un jour, le gisant qu’il est devenu atteint la lisière de la forêt, mais ses membres, totalement atrophiés ne lui permettent plus de continuer. Il finit au fond d’un fossé” (3). Le style de ce roman est à la fois simple et compliqué. “Roman gigogne, roman du dédoublement spéculaire. Molloy est un de ceux qui mettent le mieux en scène l’autoboulimie narrative qu’on trouve partout chez Beckett …….. Au lieu d’avancer, le récit remonte donc ici, en un perpétuel recommencement, vers sa propre source mais c’est pour constater qu’elle est taire. La fin de texte est aussi origine, la progression de la lecture équivaut à une régression” (4).

(1)loc. cit. (2)lbid. P 91 (3)J. P de BEAU MARCHAIS, op.. cit., P223 (4)Loc.. cit. 20 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

Passons maintenant à la deuxième partie. Celui qui parle dans cette partie, c’est Moran qui est un employé dans une agence mystérieuse dirigé par Youdi. Un dimanche l’agence envoie Gaber à Moran pour lui donner des instructions de partir tout de suite avec son fils Jacques pour chercher Molloy. La mission qualifiée par Gaber comme simple, au fur et à mesure se montre compliquée et extraordinaire. Elle rend Moran inquiet, puis confus et finalement il patauge. Péniblement il se prépare pour partir, et soudainement il a mal aux genoux. Avant d’être complètement paralysé, il envoie son fils à la ville pour acheter une bicyclette. Il y reste là trois jours et pendant lesquels deux événements importants arrivent. Le premier, c’est la rencontre avec l’homme appelé C par Molloy, l’homme avec un bâton à la main. Le deuxième événement c’est la rencontre avec un autre homme qui ressemble à Moran avec sa jambe raide et qui lui demande s’il voit un homme avec un bâton, Moran lui répond “ non”. Puis il le tue. Le fils arrive et Moran ne lui dit rien, mais le père et le fils se disputent et en conséquence le fils part. Gaber arrive pour dire que Youdi lui demande de rentrer chez lui. Moran croit que Youdi est fâchée mais Gaber au contraire croit que Youdi aime bien la vie, rit et prétend que “ la vie est belle et elle est la joie pour toujours” (1). Là, commence le retour pénible de Moran. Au printemps il arrive chez lui, il passe deux mois dans son jardin et c’est en Août qu’il décide d’écrire le rapport déjà mentionné au début de cette partie. “ Molloy” peut-être interprété comme la recherche de soi Moran triomphe psychologiquement quand il détruit C, et se réconcilie avec Molloy mais “ son succès est stérile, il le condamne à la liberté terrible, la solitude éternelle de “ Malone” et “ l’lnnomable” (2). “ Malone” est comme Molloy il est mort dans sa chambre et comme lui, il raconte son histoire mais son style n’est pas circulaire. Il commence à un moment précis et termine quand il est mort. “ Très vieux, en l’espace totalement clos d’une chambre-prison, Malone n’en finit pas de mourir dans son lit. Bien sûr, comme toujours chez Beckett, il ignore pourquoi il est là. Une femme lui apporte régulièrement sa gamelle et vide son pot en se jouant de lui comme d’une mécanique. Et c’est tout. Dans l’indifférence la plus totale, Malone voit son corps peu à peu L’abandonner : paralysie progressive. A peine s’il lui reste la force de se glisser dans l’écriture, de gribouiller des pages en s’intentant des doubles, aussi aberrants que sa propre image ……Le tout dans une solitude sinistre”

(1)BECKETT, op. cit., P / 68. (2)FLETCHER, op cit., P149 21 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

(1) et quand il s’arrête d’écrire et de parler, il s’arrête de vivre “ c’est fini sur moi, je ne dirai plus je” (2).

(1.1.1.3) Les héros en tant que voix

Le premier protagoniste beckettien voix, c’est “ “L’lnnommable”. Quelle est l’histoire de cet innommable ? De fait, il n’a pas d’histoire mais des histoires. Dans les premières pages, il décrit l’endroit où il se trouve. Il essaye de répondre à ces questions “ Où maintenant ? Quand maintenant ? Qui maintenant ?” (3).Il nous parle de ses délégués qui l’éclairent sur le monde des hommes et de leurs manières de vivre. Un de ces délégués s’appelle Basil mais il change son nom pour être Mahood. Il commence par une des histoires de Mahood quand ce dernier erre autour de l’endroit où se trouve sa famille. Il lui faut du temps pour compléter son voyage car tous les membres de sa famille sont morts empoisonnés. Il arrive pour ramasser leurs restes pour qu’il puisse sortir et partir dehors encore. Au début Mahood a mal aux jambes mais quand il apparaît pour la deuxième fois il a les jambes torses et son corps est raide et même il ne peut pas tourner sa tête et pour la deuxième fois il change le nom de celui qui parle pour être Worm. Ce Worm ne sait rien et ne comprend rien et cela le protège des tyrans. “L’Innommable” continue à utiliser ce Worm pour trois raisons: l’incapacité de parler, l’incapacité de sectaire et la solitude. De plus en plus l’lnnommable est menacé par les voix et le silence et se trouve obligé de parler et de bavarder et de raconter des histoires sans arrêts. La fin de ce roman est défiante, courageuse et sublime. “ Je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, jusqu’à ce qu’Ils me trouvent, jusqu’à ce qu’Ils me disent, étrange peine, étrange faute, il faut continuer, c’est peut- être déjà fait. Ils m’ont peut-être déjà dit, Ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon histoire, ça m’étonnerait, si elle s’ouvre, ça va être moi, ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurai jamais, dans le silence on ne sait pas, il faut continuer, je, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, jusqu’à ce qu’Ils me trouvent, jusqu’à ce qu’Ils me disent, étrange peine,étrange faute,il faut continuer, c’est peut-être déjà fait. Ils m’ont peut-être déjà dit, Ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon histoire, ça m’étonnerait, si elle s’ouvre, ça va être moi, ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurai jamais,

(1)BEAUMARCHAIS, op. cit., P 224. (2)BECKETT, op. cit. P283. (3)Ibid. P 291. 22 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

dans le silence on ne sait pas, il faut continuer, je ne peut pas continuer, je vais continuer” (1). Le style de ce livre est original “ L’lnnommable” est un récit qui se déroule en saccades, une interminable rature jonchée de reprise annulées, de silences réamorcés, d’hésitations différées : le livre où Beckett a poussé plus loin sa méditation sur le langage, comme négativité. Ce long monologue est le scénario d’une parole dégradée, privée de tout espoir de raconter ou d’inventer, et pourtant condamné à se fabriquer éternellement. Une oralité panique, une saturation par la signification, le roman rongé par des velléités bavardes” (2). Le héros voix réapparaît dans “ Comment C’est”. Ce roman, avec ses paragraphes sans ponctuation, nous raconte une histoire devisée en trois partie : avant, avec et après Pim. La première partie, nous présente le narrateur rampe à travers la boue avec un sac des poissons. Dans la deuxième partie, le narrateur rencontre un autre être dans la boue, il l’appelle Pim. A la différence de lui, ce Pim a la capacité de parler. Après l’arrivée de Pim, arrivent Bom et Bem qui jouent les rôles du tourmentant et le victime. Puis un tas des personnages et des noms apparaissent et disparaissent : Pam Prime, un chien, Skom Skum et Krim. Surprise à la fin le narrateur nie tout. “ Cette histoire de procession pas de réponse cette histoire de procession oui jamais eu de procession non ni de voyage non jamais eu de Pim non ni de Bom non jamais eu personne non que moi pas de réponse que moi oui ça alors c’était vrai oui moi c’était vrai oui je m’appelle comment pas de réponse MOI JE M’APPEIIE COMMENT hurlement bon” (3). Plus il s’enferme dans son domaine propre, plus l’esprit se réduit à la solitude : il n’a plus prise sur rien, il se découvre paralysé dans une prison qu’il a construite sur le vide” (4) et c’est le cas du dernier héros beckettien.

(1.1.2) Le Cycle théâtral (la tentative orale)

Comme dans son roman, dans son théâtre Beckett réaffirme que “la présence de l’homme sur la terre semble dépourvue de tout intérêt, de toute signification, inspire tantôt l’ennui et le dégoût, tantôt une sorte d’angoisse métaphysique” (5). Mais son théâtre est classé dans l’anti-théâtre parce qu’il est en rupture avec la technique traditionnelle. La langue théâtrale chez Beckett a deux objectifs: le premier est de parler de l’auteur lui-même. La seconde est

(1)Ibid P 414 (2)BEAUMARCHAIS, loc. cit. (3)BECKETT (Samuel ), “ How It Is ”, éd John Calder publisher, London, 1996, P 159. (4)ONIMUS (Jean ), “ Beckett ” éd. Desclée De Brouwer, coll. Les écrivains (5)LAGARDE (André ), MICHARD (Laurent ), op. cit., P 683 23 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

d’adresser individuellement l’audience. Les personnages sont “des hommes et des femmes qui se parlent à eux-mêmes, [ et à travers eux ] Beckett raconte à lui-même une histoire dans la forme de pièce, chaque spectateur raconte une histoire à lui-même dans la forme de la pièce de Beckett” (1). La pièce la plus importante chez Beckett c’est “ En Attendant Godot”. Dans cette pièce, on rencontre deux clochards, Vladimir et Estragon qui sont sur une route à la campagne sous un arbre sans feuilles, Ils attendent Godot avec qui Ils ont un rendez-vous. Mais chaque soir ce Godot leur envoie un garçon pour leur dire qu’il viendra sûrement demain. Pendant leur attente deux autres personnages surgissent : Pozzo et Lucky. Pozzo qui joue le rôle de maître, sûr de lui, cruel et Lucky qui symbolise l’esclave qui porte les bagages et qui est toujours méprisé, tyrannisé par son maître et quand Estragon pose la question “ avec force : Bagages ! (Il pointe son doigt vers Lucky) Pourquoi ? Toujours tenir. (Il fait celui qui ploie, haletant) Jamais déposer. (Il ouvre les mains, se redresse avec soulagement) Pourquoi ? [Pozzo lui répond] : c’est pour m’impressionner ” (2).Les quatre hommes parlent des choses qui n’ont pas d’importance, afin de tuer le temps en attendant Godot, “ l’attente, mixte de désir et de peur” (3). “ Il y a cependant deux façons de ne pas attendre que Beckett distingue fort bien : celle qui résulte d’une trop longue attente déçue et celle de l’homme actif, ou plutôt agité, absorbé par la vie présente. Celui-ci n’attend pas : il réalise. Il est plongé dans l’action et son activité le possède. Solidement enserré dans les structures du temps et de l’espace, il ne se pose pas de questions, la vie l’entraîne en avant comme le courant les grains de sable, le malheur même et la misère ne réussissent pas à l’éveiller à lui-même. Tel est, par exemple Pozzo. Ni lui ni “ son écho dialectique” Lucky n’ont été effleurés par la moindre nostalgie. Leur façon d’éprouver la durée n’est pas celle des pauvres hères, des quêteurs d’absolu, des inquiets. L’un botté, le fouet au poing, exerce sur ses semblables sa volonté de puissance, l’autre n’est qu’une marionnette passive. Mais tous deux sont encombrés de bagages car l’Avoir pèse plus lourd chez eux que l’Être” (4).Le premier acte se termine par la scène où Vladimir et Estragon s’ennuyant et décident de se tuer en se pendant à l’arbre par une corde, mais Ils ne le font pas. Le jour d’après, à l’acte ll, les deux clochards qui sont séparés, se retrouvent au même endroit. Et pour se donner l’impression d’exister en

(1)FLETCHER (John ) et SPNRLING ( John ), “ Beckett ” A Study Of His Plays, éd Eyre Methuen, London, 1972, PP 37, 38. (2)BECKETT ( Samuel ), “ The Complete Dramatic Works” éd.Faber and Faber, coll. plays, London Boston, 1990, PP 30, 31 (3)ONIMUS, OP. cit, P79. (4)Ibid PP 81, 82. 24 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

attendant leur Godot, Ils bavardent comme d’habitude. De nouveau Pozzo et Lucky arrivent avec leurs bagages, mais cette fois on voit Pozzo aveugle et c’est lui qui a besoin de Lucky et il appelle au secours. Vladmir et Estragon se demandent s’il faut l’aider et à travers leur dialogue Ils posent des questions sur le sens de l’activité humaine. Vladmir dit à Estragon“ Ne perdons pas notre temps en vains discours …….Faisons quelque chose pendant que l’occasion se présente ! Ce n’est pas tous les jours qu’on a besoin de nous. Non pas à vrai dire qu’on ait précisément besoin de nous. D’autres feraient aussi bien l’affaire, sinon mieux. L’appel que nous venons d’entendre, c’est plutôt à l’humanité toute entière qu’il s’adresse. Mais à cet endroit, en ce moment, l’humanité, c’est nous, que ça nous plaise ou non. Profitons-en, avant qu’il soit trop tard. Représentons dignement pour une fois l’engeance ou le malheur nous a fourrés. Qu’en dis-tu ? (Estragon n’en dit rien). Il est vrai qu’en pesant, les bras croisés, le pour et le contre, nous faisons également honneur à notre condition. Le tigre se précipite au secours de ses congénères sans la moindre réflexion. Ou bien il se sauve au plus profond des taillis. Mais la question n’est pas là. Que faisons-nous ici, voilà ce qu’il faut se demander. Nous avons la chance de le savoir. Oui dans cette immense confusion, une seule chose est claire : nous attendons que Godot vienne” (1). Pozzo et Lucky partent et Vladmir et Estragon sont à nouveau seuls, au milieu des solitudes. Ils décident de partir mais Ils ne bougent pas. “ La pièce repose sur [l’impossible rencontre de Godot], elle trace le va-et-vient sordide de ces attelages de la misère. Et elle se referme sur un grand vide : Godot n’est pas venu” (2). “ Fin De Partie” c’est la deuxième pièce beckettienne. Dans cette pièce, nous somme dans une chambre vide qui a deux fenêtres où il y a un homme aveugle et handicapé, Hamm. Il a un servant qui s’appelle Clov. Contrairement à son maître Clov ne peut pas s’asseoir. Les deux autres personnages sont Nagg et Nelle, les parents d’Hamm, qui sont aussi sans jambes qu’ils ont perdus dans un accident. Clov n’aime pas Hamm mais malgré ça, il ne peut pas le quitter et il ne peut pas s’empêcher d’obéir à ses ordres. De fait le deux sont liés l’un à l’autre. Si Clov part, Hamm va mourir car Clov et le seul qui lui donne à manger. Mais Clov aussi va mourir s’il part parce que le stock de nourriture d’Hamm est la seule source pour Clov. C’est la raison pour laquelle il croit qu’il se suicide s’il tue Hamm. Ce dernier se croit ou se voit comme un auteur d’une histoire. Chaque jour, il compose une partie de cette histoire qui nous parle d’une catastrophe qui tue beaucoup de gens. Quand la pièce

(1)BECKETT, op. cit., P. 74. (2)BEAUMARCHAIS, op. cit., P. 224.

25 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

commence, l’histoire arrive au moment où un père vient chez Hamm pour lui demander du pain pour son enfant qui va mourir de faim. Enfin le père supplie Hamm de prendre l’enfant chez lui pour qu’il reste vivant quand le père rentre chez lui. Qui est cet enfant ? C’est Clov qui est emmené chez Hamm quand il était petit. Hamm se sent toujours coupable, et il est plein de remords parce qu’il pouvait sauver beaucoup de gens qui lui ont demandé. Par exemple, la mère Pegg lui a demandé de l’huile pour sa lampe mais il l’a mise à la porte, la conséquence est qu’elle est morte de l’obscurité. Maintenant tout s’est épuisé chez Hamm. Hamm est comme les enfants, il aime jouer avec son jeu de chien. Il aime beaucoup voir ce qui se passe à l’extérieur mais car il est handicapé il sert de Clov et l’utilise comme ses yeux Clov regarde dehors par les deux fenêtres. L’adroite se donne sur la terre, l’autre sur la mer. Hamm n’aime pas du tout ses parents. Sa mère Nelle, conseille Clov de l’abandonner. Le père. Nagg qui écoute l’histoire racontée par Hamm, crie que“tu a appelé quand tu étais petit effrayé dans le noir ? Ta mère ? Non ? Moi” (1).Mais il a négligé les appels de son fils et il est sorti avec la mère pour chercher le calme loin de lui, Ils étaient égoïstes. Près de la fin de la pièce, Hamm imagine ce que va arriver quand Clov part et le quitte. Il est certain qu’à ce moment-là il va appeler son père et son fils “ là je me met à l’ancien abri, seul contre le silence et ……la tranquillité …………j’appellerai mon père et j’appellerai mon fils” (2). Pour la dernière fois, Clov regarde dehors par son télescope et il voit un garçon et il y voit le signe de la continuité de la vie, un procréateur potentiel. L’apparition de ce garçon met fin à la relation entre Hamm et Clov. Les deux décident simultanément qu’Ils n’ont pas besoin l’un de l’autre. Clov a pris sa décision pour toujours “ j’ouvre la porte de la cellule et je m’en vais. Je me courbe que je ne vois que mes pieds. Si j’ouvre mes yeux et je vois entre pieds une trace de poussière je me dis que c’est la terre obscure et c’est pourquoi je ne l’ai pas vue en lumière …….c’est facile de partir ……… Quand je tombe, je vais pleurer de joie” (3). Mais les rideaux se ferment et Clov ne part pas. Dans “ Fin De Partie” “ l’univers, cette fois, est saturé, bouché. Rien ne se passe, et presque rien ne bouge. Nulle attente, nul espoir. Le temps arrêté sous des décors absents : “ toute la maison pue de cadavre”. Quand au scénario, il se résume au chassé-croisé sado-masochiste de quatre épaves enfermées dans une chambre grise : Hamm, le bourreau cloué sur son fauteuil, tyrannise Clov tout en le suppliant de l’achever. Devant eux,

(1)BECKETT, op., cit., p 119. (2)lbid P. 119. (3)Ibid P. 132. 26 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

deux poubelles : Nagg et Nell y sont enfermés, les “ maudits pro géniteurs” d’ Hamm. Entre l’humour noir, et le silence blanc d’une mort qui n’en finit pas de rôder, la pièce piétine et ressasse : “ la fin est dans le commencement, et cependant on continue” (1).Chez Beckett c’est toujours l’attente, dans “ Fin de partie”, l’attente est pour une fin différée. Encore le thème de l’être en marche vers le néant, surgit dans “ Oh Les Beaux Jours” Cette pièce est à deux personnages. Une femme Winnie et son époux Willie. “ Une plaine dénudée Enterrée jusqu’au-dessus de la taille dans un mamelon, Winnie, “ la cinquantaine, de beaux restes, blonde de préférence, grassouillette, bras et épaules nus, corsage très décolleté, poitrine plantureuse, collier de perles …… A coté d’elle, à sa gauche, un Grand sac noir, genre cabas et à sa droite une ombrelle à manche rentrant”. A sa droite, et derrière elle, allongé par terre, Willie, qui vient de lui donner une brève réplique” (2). Découvrant la condition absurde de l’homme, étant sûre de la vanité de ses actes et de ses paroles Winnie afin de donner une signification à son existence, parle sans arrêt à Willie qui se limite à être un auditeur et ne dit qu’un seul mot “ et encore !”. De quoi parle Winnie pour meubler l’interminable journée ? Elle parle de ses souvenirs, des objets qui se trouvent dans son sac, de la toilette, du jeu de l’ombrelle et elle chante. “ Winnie “ à Willie” : Tu t’es déjà bien assez dépensé, pour le moment, détends-toi à présent, repose-toi, je ne t’embêterai plus à moins d’y être acculée, simplement te savoir là à portée de voix et sait-on jamais sur le demi qui-vive, c’est pour moi ….. C’est mon coin d’azur. (Un temps) La journée. Est maintenant bien avancée. (Sourire). Le vieux style ! (Fin du sourire) Et cependant il est encore un peu tôt est une grave erreur, je trouve. (Elle se tourne vers le sac) Le sac. (Elle revient de face) Saurais-je en énumérer le contenu ? (Un temps) Non. (Un temps) Saurais-je répondre si quelque bonne âme venant à passer, me demandait, Winnie, ce grand sac noir, de quoi est-il rempli, saurais-je répondre de façon exhaustive ? (Un temps) Non. (Un temps) Les profondeurs surtout, qui sait quels trésors. Quels réconforts. (Elle revient de face) Mais, je m’entends dire, N’exagère pas, Winnie, avec ton sac, profites-en bien sûr, aide-t’en pour aller ……. De l’avant quand tu es coincée, bien sûr, mais sois prévoyante, je me l’entends dire, Winnie, sois prévoyante pense au moment où les mots te lécheront- (elle ferme les yeux, un temps, elle ouvre les yeux) et n’exagère pas avec ton sac. (Elle se tourne vers le sac) Un tout petit plongeon peut-être quand même, en vitesse. (Elle revient de face, ferme les yeux, allonge le bras gauche, plonge la main dans le sac et en sort le revolver. Dégoûtée) Encore toi ! (Elle ouvre les yeux, revient de face avec le revolver et le contemple)

(1)BEAUMARCHAIS, P224 (2)BECKETT, op. cit., P138. 27 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

Vieux Brownie ! (Elle le soupèse dans le creux de sa main) Pas encore assez lourd pour rester au fond avec les ………. Dernières cartouches ? Pensez-vous ! Toujours en tête. (Un temps) Brownie …….. (*) (Se tournant un peu vers Willie) Tu te rappelles l’époque où tu étais toujours à me bassiner pour que je l’enlève ? Enlève-moi ça, Winnie, enlève-moi ça, avant que je mette fin à mes souffrances (Elle revient de face. Méprisante) Tes souffrances ! [ ……]. Pardonne-moi, Willie, on a de ces ….. Bouillons de mélancolie. Enfin, quelle joie, te savoir là au moins ça, fidèle au poste, et peut-être réveillé, et peut-être à l’affût, par moments, quel beau jour encore ……… pour moi …….. Ça aura été (Un temps). Jusqu’ici. (Un temps). Quelle bénédiction que rien ne pousse, imagine-toi si toute cette saloperie se remettait à pousser. (Un temps) lmagine-toi (Un temps). Ah oui, de grandes bontés. (Un temps long.) Je ne peux plus parler. (Un temps) Pour le moment. (Elle se tourne vers le sac Un temps. Elle revient de face. Sourire) Non, non. (Fin de sourire. Elle regarde l’ombrelle) Je pourrais sans doute. (Elle ramasse l’ombrelle). Oui, sans doute, hisser cet engin, c’est le moment. (Elle commence à l’ouvrir. Les difficultés qu’en ce faisant elle rencontre, et surmonte, ponctuent ce qui suit) On s’abstient on se retient de hisser crainte de hisser trop tôt et le jour passe sans retour sans qu’on ait hissé-le moins du monde. (L’ombrelle est maintenant ouverte. Tournée vers sa droite elle la fait pivoter distraitement, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre) Hé oui, si peu à dire, si peu à faire, et la crainte si forte, certains jours, de se trouver …….. À bout, des heures devant soi, avant que ça sonne, pour le sommeil, et plus rien à dire, plus rien à faire, que les jours passent, certains jours passent sans retour, ça sonne pour le sommeil, et rien ou presque rien de dit, rien ou presque rien de fait (Elle lève l’ombrelle) Voilà le danger ! (Elle revient de face) Donc il faut se garer. ( Elle regarde devant elle, tenant de la main droite l’ombrelle au-dessus de sa tête” (1). Dans ce monologue si long, réside toute l’histoire de Winnie. Tout se qui se passe, est qu’elle entre graduellement dans la terre en nous parlant des détails de son menu de quotidien. Elle imagine un bonheur qu’elle n’avait pas. Mais à la fin de pièce, Willie qui perd son temps à lire le journal, fait un effort pour être près de Winnie afin de l’embrasser, cela est suffisant pour rendre ce jour-là un beau jour pour elle. “Oh les Beaux Jours” reste “ une manière beckettienne de remplacer la vie par la matière, de vider la conscience de ses illusions humanistes ou humanitaires et de la remplir avec les données immédiates du réel. Si l’on a pu voir dans cette pièce le drame absurde de l’incommunicabilité, il serait sans doute plus honnête d’y lire la réconciliation de l’homme et du cosmos. Chez Beckett, la boue ne saurit être un symbole de la chute : elle est le plaisir de la renaissance. En ce sens, parce qu’elle tourne totalement le dos

(1)BECKETT, op. cit., PP148, 149, 151, 152 28 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

à nos codes et à nos valeurs, cette pièce serait peut-être la plus optimiste de Beckett : c’est-à-dire la plus provocatrice” (1). “ All that fall” nous présente une héroïne irlandaise Maddy Ronney, une femme malade, grosse, marche avec difficulté. Elle une fille qui est morte il y a quarante ans. Elle est en train d’aller à la gare de Boghill pour chercher son mari aveugle Dan Ronney qui doit arriver par le train de midi et demie. Elle marche lentement, rencontre beaucoup de gens avec lesquels, essaye d’établir des contacts mais elle échoue. Elle trouve que sa communication avec les autres les rend toujours froids et elle ne sait pas pourquoi. “ Trouvez-vous une chose …… bizarre dans la manière dont je parle [pause] Je ne veux pas dire la voix. [Pause] Non, je veux dire les mots [pause, à elle-même]. J’utilise les mots les plus simples, je crois, mais quelquefois je trouve la manière dont je parle très ……. bizarre” (2). Enfin, elle arrive à la gare mais le train n’est pas encore arrivé pour une raison mystérieuse, il est en retard. Puis Mr Ronney arrive et il va avec sa femme chez eux. En marchant dans la rue les enfants se moquent d’eux. Dan demande à Maddy “ Jamais tu avais envie de tuer un enfant ? …….. L’écraser [Pause] Plusieurs fois pendant la nuit, en hiver, dans la rue derrière la maison, j’ai presque attaqué le petit” (3).Le petit c’est le garçon qui le conduisait tous les jours chez lui. Ils arrivent chez eux et le même petit court auprès d’eux. Le petit prétend qu’il veut rendre une chose que Mr Ronney a oubliée dans son compartiment, c’est un ballon d’enfant. Le petit sait pourquoi le train est arrivé en retard. On dit qu’un enfant est tombé du train, et ce dernier a tout détruit sur son passage. Beaucoup de questions se posent. Est-ce c’est Mr Ronney qui a poussé l’enfant ? Son envie de mettre fin à la vie des petits, a surgit quand il était dans le train ? Est-ce qu’il y a un rapport entre cette volonté et le fait que Maddy n’a pas d’enfant ? Est-ce c’est Maddy qui représente la force de protection et Ronney celle de la destruction ? Est-ce que Ronney veut prendre la vengeance de Dieu qui donne de fausses promesses “ Dieu soutient tout ce qui tombe, et, Il lève tout ce qui se courbe” (4). Beckett essaie toujours à travers ses pièces “d’attirer l’attention à l’incapacité des mots de communiquer une signification ou de faire circuler une information -sauf ce qui est déjà vieux ou habituel- conséquence est que les mots et les phrases familiers apparaissent sous une nouvelle lumière : partiellement en tant que voix et rythmes faits pour le plaisir de soi- même quelquefois des sens archaïques, pétrifiés qui sont désertés de leur

(1)BEAUMARCHAIS, op. cit., PP 224 225 (2)BECKETT, op. cit., p 173. (3)Ibid P 191. (4)LBI p 198. 29 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

contexte” (1).Ce Beckett nous présente deux pièces intitulées “A c t Without Words l” et “ A c t Without Words 2” qui ont pour objectif de nous transmettre le message beckettien que la langue est le moyen le moins efficace pour communiquer nos sentiments les plus profonds et, nos convinscitions les plus solides, à autrui. “ Act Without Words 1” nous présente un seul acteur et plusieurs scènes, des mécanismes différents et tas d’objets. La scène est composée de deux parties : une est claire vue par le spectateur, l’autre est cachée, inspirée par l’auteur d’une manière qui nous oblige de faire un effort pour interpréter et comprendre. La pièce est inspirée de la mythe grecque Tantalus qui est puni à cause d’une faute qu’il a commise, il est puni de rester soif et faim dans une flaque d’eau qui s’éloigne quand il veut boire, et sous des arbres des fruits que le vent éloigne ses branches quand il veut manger. Le personnage est poussé par des stimulants extérieurs (les sifflements) qui représentent des personnages malveillants. Stimulé par ces voix mystérieuses qui viennent quelquefois d’en haut, quelquefois d’en bas, tantôt de devant et tantôt de derrière, il va et vient dans toutes les directions, essayant de retrouver la source des sons. Enfin, en échouant de découvrir la vérité, il s’arrête et “ regarde ses mains” (2). “ A c t Without Words 1” traite la question de l’existence d’autrui, elle nous présente un de “ ces personnages beckettiens dont les mots sont volés par autrui contre lui, et dont la présence est pertifiée par le regard d’autrui” (3). “ A c t Without Words 2” est la deuxième pièce qui se passe d’explication. Même dans cette scène, l’action est stimulée par un agent extérieur et nous sommes invités d’imaginer ce qu’il est exactement cet agent et ce qu’il représente pour le protganiste et pour nous. Les héros de cette pièce, sont deux: l’un est lent, paresseux, l’autre est vif comme Estragon et Vladimir d’ “ En Attendant Godo”. Leur stimulant est un ensemble des roues qui les poussent lentement hors de leurs sacs. Les rideaux sont fermés quand on entend “ des crawls sortant des sacs, des haltes, des nichées des prières” (4).Pourquoi le recours aux sons ? Pourquoi Beckett a choisi d’écrire cette scène sans mots ? Parce qu’il est convaincu que “n’importe quel homme de théâtre modern, qui veut que ses pièces soient une chose plus qu’elles soient à propos d’une chose, inévitablement doit affronter cet obstacle : les mots qu’il utilise ont une invention commune, et automatiquement Ils transmettent un sens déjà établi …… [Et c’est

(1)John FLETCHER, John SPURLING, “ BECKETT a study of his plays ”, éd Eyre Methuen, 1972, P. 115. (2)Samuel BECKETT, op. ci, P 206. (3)Lance St. John Butler “ Samuel BECKETT And The Meaning Of Being. Astudy Of Ontological Barable ”, éd St. Martin’s press, New York, P 104 (4)Samuel BECKETT, op. cit, P 211. 30 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

pourquoi les mots] se sont arrêtés prétendre qu’Ils sont véhicules de communication entre les personnages” (1). “ Krapp’s Last Tape” est une pièce qui utilise la bande magnétique pour nous parler encore une fois de la personnalité impossible à coincer. Krapp écoute sa voix enregistrée. C’est un homme vieux de soixante-neuf ans et qui a enregistré beaucoup d’événements importants de sa vie personnelle. Il se présente, comme la plupart des héros beckettiens, comme auteur mais son seul livre n’avait pas de succès, seulement dix-sept exemplaires sont vendus. La voix de Krapp qu’il est en train d’écouter, est sa propre voix il y a trente ans. Cependant la voix se montre étrange à Krapp comme si c’était la voix de quelqu’un d’autre, d’un autre homme qu’il ne connaît pas, “ en écoutant ce salaud stupide je me vois il y a trente ans, difficile à croire que j’étais pire comme ça” (2).Quelquefois la voix se montre étrange au degré que Krapp lui-même cherche la signification de certains mots dans le dictionnaire “ Krapp [ en lisant le dictionnaire ] Etat - ou - conduite - intérieure - de - rester - veuve - ou veuf” (3).Il fait recours au dictionnaire pour comprendre son soi de passé. Quand la bande est en train de nous parler des moments trésors pour Krapp, il ne peut pas écouter et c’est pourquoi il remonte la bande. Le moment qui réussit d’attirer son attention, c’est celui de la description d’une scène sentimentale au bord d’un lac. En écoutant l’histoire de sa trentaine, il décide d’écrire celle de sa soixantaine, mais il découvre qu’il y a “ rien à dire, même pas un murmure” (4).Il se borne à écouter et les moments les plus heureux pour lui, étaient dans l’histoire d’amour. La fin est le moment où il cède et se donne à la bande et à l’écoute silencieuse “ Krapp immobile regarde fixement devant lui. La bande continue, et lui en silence” (5). Beckett à travers “ Krapps Last Tape” montre le présent incapable d’affronter le passé, et l’autrefois se moquant de l’avenir. Le conflit antérieur entre ce qu’on était, ce qu’on est et ce qu’on sera, est le thème majeur de cette œuvre beckettienne. L’idée du conflit entre la personnalité avant la prise de conscience de soi-même et celle d’après, est une idée existentialiste sartrienne et “ Beckett a souvent travaillé sur l’idée de conscience affrontant elle-même. Dans certains de ses romans, et de ses pièces, il retrouve une corrélation objective pour cette idée en affrontant les (6) personnages contre leur passé” parce que l’identité de l’homme se

(1)John FLETCHER, John SPURLING, loc. cit. (2)Samuel BECKETT op. cit P. 222. (3)Ibid P. 219 (4)Ibid p 222 (5)Ibid p 223 (6)BUTLER, op. cit., p 82 31 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

change perpétuellement et ne se met jamais d’accord avec ses incarnations anciennes. “ Embers” s’ouvre, avec les sons de la mer et des chaussures d’Henry qui marchent au bord de la mer. Mais graduellement on découvre que les barrages de la mer sont pour toujours “ dans la tête d’Henry. Il essaie de les calmer en se parlant à haute voix et même il prend toujours un gramophone avec lui afin d’arrêter les sons de la mer. Ou tantôt il agite l’air qui l’entoure par les gouttes d’eau. et en jettent les pierres, en rêvant de vivre si loin de Pampas et de ses mugissements des vagues. Avec dégoût Henry dit à sa femme “ Je suis allé à la Suisse pour m’éloigner de cette malédiction” (1) et sa femme qui s’étonne de ses réactions lui dit “ qu’est-ce qui ne va pas dans ce son ravissant, doux ? Pourquoi tu ne l’aimes pas ?” (2). Elle est certaine que l’anormal c’est le cerveau d’Henry, qui doit aller chez le médecin. Contrairement à son époux bavarde, Ada reste toujours près de lui mais en silence. L’univers d’Henry est remplis d’autres sons. Par exemple on entend la voix de sa fille Eddie punie par le professeur de musique et de chevalerie. Henry est comme Malon, qui invente des histoires pour s’empêcher d’écouter les sons de sa mort, mais le premier parle à haute voix, et fait sortir beaucoup de sons de son imagination auditive fertile, pour ne pas entendre les échos de la mer dans son cerveau. L’histoire qu’il a construite, nous parle d’un homme qui s’appelle Bolton qui est en train de recevoir une visite de Dr. Holloway quand les braises sont en train de s’éteindre. Mais comme d’habitude chez Beckett, l’histoire n’est pas terminée. Brusquement Henry, nous parle de son père qui ne dit rien et qui, selon Ada, s’assoit au rocher pour regarder la mer. Encore, Henry revient-il à son personnage Bolton qui reste un énigme pour l’auditeur. Henry vit derrière un huis clos, “ habitait une cage située dans une impasse [ parce que ] l’être humain est né scellé par le péché originel de la réflexion qui à la fois le construite et rend impossible l’essor de l’innocence” (3).La maladie d’Henry et tous les héros de Beckett, est celle d’une conscience lucide et aveugle simultanément. Ces prisonniers de la lucidité, voient tout mais Ils n’essayent jamais de s’évader. A travers leurs expériences avec les autres, Ils prennent conscience d’eux-mêmes et de leur isolement. “ Séparée des autres, dénuée de tout, la conscience se rejette alors curieusement sur les petites choses [ …….] Grâce à elles, grâce à ces tromperies, la conscience ne se noie pas tout à fait à l’intérieur d’elle-même. Ce qui subsiste d’elle reste tout juste capable d’alimenter la

(1)BECKETT, OP. cit., p 254 (2)lbid p 260 (3)Je ln ONIMUS, “ Beckett ” éd – De sclée De Brouwer, coll. Les écrivains devant dieu, p 45 32 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

haine-la haine de soi et la haine des autres dans la maigreur et la mesquinerie d’une lucidité tatillonne” (1). Ada avertit Henry “ Un jour personne ne vous parlera même les étrangers. Tu seras tout seul, il n’y aura d’autres voix dans le monde que la tienne” (2).La fin de la pièce se met d’accord avec l’avertissement d’Ada, Henry se parle et s’écoute, tout seul. Mais comme “En Attendant Godot”, on n’est pas certain si le personnage principal retrouve le salut et se soulage de ses souffrances ou non. La pièce théâtrale intitulée “ Play” nous présente trois personnalités, deux femmes et un homme. Les trois sont enterrés dans des urnes funéraires, on ne voit que leurs têtes. A travers leurs conversations on arrive à une histoire sans importance qui se passe dans une chambre à coucher française, la fin de cette histoire est tragique, les trois personnages se suicident. Donc maintenant nous sommes devant trois morts qui se parlent. L’époux, l’épouse et la maîtresse. Chacun d’entre eux ne se préoccupe que de sa mort, jamais de la présence des autres. Les phrases fragmentées qu’Ils utilisent ont pour objectif de nous parler des derniers moments de leur vie. L’idée que Beckett veut nous transmettre est que “ la réussite de la conscience de se libérer de soi-même, et du besoin de se raconter son propre histoire, cette réussite est impossible. Car la véritable liberté se réside dans le fait de connaître qu’on n’est pas encore conscient. Même avec la mort, la conscience s’arrête, et on ne sait pas qu’on ne sait pas qu’on n’existe plus là. Désormais le dernier moment de la conscience du mort, qui peut être imaginé, condamné pour toujours dans une situation éternelle de l’ignorance de cession” (3). “ Come and Go” traite la question de la lutte humaine contre la situation difficile de toute l’humanité. Au lieu de régler nos problèmes nous préférons d’en parler à nos semblables. Tous les personnages de “ Comme and Go” sont des femmes. Elles s’appellent Flo, Vi et Ru. Qu’est-ce qu’elles font ces trois femmes ? Tous deux parlent de la troisième quand elle est absente. De quoi elles parlent ? D’une catastrophe qui est en fait la mort de cette troisième. Vi propose de “ne pas parler du passé [ ni ] de l’avenir[et de]mettre les mains l’un sur l’autre comme autrefois” (4). Toutes les permutations possibles se terminent et les trois amies s’arrêtent muettes devant nous. “ Come and Go” “ est l’histoire complète de trois petites filles d’une école qui deviennent des femmes mais elles ne se marient pas et maintenant elles sont en train de mourir” (5).

(1)Ibid p54 (2)Samuel BECKETT, OP. cit., p 262 (3)Martin ESSLIN, op. cit., pp 82, 83 (4)BECKETT, op. cit., p 355. (5)FLETCHER, SPURLING, op. cit. p 116 33 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

“ Eleuthéria” nous parle de la famille Krapp, qui ne peut pas se mettre en contact avec leur fils Victor. Celui-ci, délibérément se retire de sa famille et de tout le monde. Le premier acte de cette pièce nous parle des membres de la famille Krapp et de leurs amis et leurs relations pendant leur explosion à cause de la fermeture de Victor. Les événements du deuxième acte se passent quand tout la famille se met à retirer Victor de sa solitude. La dernière scène essaye de persuader le spectateur de prendre la part de la famille, et de faire une dernière tentative pour convaincre Victor de changer son avis ou au moins d’expliquer sa conduite. Sa justification est qu’il voulait toujours être libre. Il prétend que c’est son espoir et il ne sait pas ce qu’il veut dire mais autrefois il voulait cette liberté, maintenant il la veut et il la voudra pour toujours. Il quitte sa famille pour la chercher, et car il découvre qu’il reste prisonnier de lui-même, il quitte le monde et même lui-même. Victor se limite et se contente d’être si petit. Il essaie de vivre sans réfléchir sans rêver, sans parler, sans écouter, sans savoir, sans vouloir ni pouvoir puisqu’il croit que ce sont ses prisons. Victor c’est le personnage beckettien le plus courgeaux, La signification qu’il donne au mot liberté et qu’il vit authentiquement “ est précisément que Beckett retire de tous les autres personnages semblables, et la tention dramatique que Victor casse facilement en tournant le dos à toute l’affaire dès le début n’est pas ralentie encore une fois” (1).Tous les autres héros beckettiens veulent s’enfuir mais Ils ne peuvent pas le faire. De fait “ les écrits de Beckett représentent une tentative de s’enfuir de toute sorte de facticité et posséder la liberté de maintenant ……..Victor en “ Eleuthéria” veut être néant. Murphy cherche de s’enfuir à travers les transes, l’amortissement de cerveau, et il prend d’autres routes vers Nirvana. Watt recherche Nirvana dans la négativité de la maison de Mr Knott. Tous ceux-ci cherchent de s’enfuir de la commotion et le pèle mêle des mondes où Ils sont jetés, et Ils essaient de retrouver la liberté dans l’absolu” (2). “ Eh Joe” est la première pièce écrite pour la télévision et il y utilise l’économie qu’il a déjà utilisée en “ Come and Go”. La première scène nous introduit un homme vieux, tout seul sur son lit dans sa chambre. Qu’est-ce qu’il fait ? Rien, il ne parle pas mais il écoute une voix de femme. Lorsque cette voix se rapproche de lui, il se montre effrayé. Qu’est-ce que la femme dit ? Elle nous raconte une histoire d’amour avec cet homme vieux quand il était jeune. La femme est son ex-maîtresse qui lui rappelle la relation qu’il avait avec une autre femme. “ Il y avait une n’est-ce pas ? …….. Tu connais laquelle je veux dire Joe ……. La verte ……… L’étroite …… Toujours pâle

(1)ov – cit., p 54 (2)L. st J. BUTLER, op. cit., P 165. 34 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

……… Les yeux pâles” (1).A cause de sa négligence, elle a essayé de se jeter, puis de couper ses poignets et finalement il a avalé un tube des comprimés pour arrêter cet amour non-requérable. Donc, c’est la dureté de son cœur qui l’a conduite au suicide. Quand l’histoire se rapproche de sa fin, le caméra se rapproche de Joe et il s’arrête à ses yeux, on ne voit que ses yeux. L’ensemble de l’œuvre beckettienne n’est qu’une recherche de soi et “ dans “ Eh Joe” la voix que Joe entend, a le timbre d’une voix d’une femme. Et même cette voix-ci dans un autre sens, est dans sa tête, est la sienne, est le ronronnement de sa propre conscience, est celle de sa contrainte de raconter sa propre histoire à lui-même. Car être vivant veut dire être conscient de soi-même, et veut dire entendre ses propres idées le flot inépuisable et implacable des mots. En tant qu’un être humain quelquefois elle se montre comme un instrument divin, tantôt comme un bourdonnements insensé” (2). “ Words and Music” nous présente un autre vieux qui essaye d’exprimer sa faim pour les mots et leur utilisation. Le vieux s’appelle Croak, il a deux esclaves, Mots et Musique qu’il force de traiter les thèmes qui lui amènent le soulagement et le rendent content, certains thèmes comme “ L’amour” “ l’âge” et“ le visage”. Les deux, c’est-à-dire les mots et la musique, se combattent. La poésie et la mélodie horriblement se heurtent et Ils nous présente une foire esthétique et pour mettre fin à ce conflit artistique Croak, sort d’un pas traînant de la tour où il se trouve parce qu’il ne retrouve pas son soulagement qui réside dans le fait de voir les Mots et la Musique des amis. “ Mon réconfort. Soyez des amis” (3). Croak ressemble à Opiner en “ Cascando” la seule différence, est que les voix sont dans sa tête. “ Cascanda” est “ L’lnnomable” théâtral. Le thème beckettien, est toujours le même, l’histoire qui ne peut pas être racontée et qui se termine par l’abondon de son narrateur. Les voix maintenant sont d’Opener et Voice. En plus le thème de la fascination et simultanément le peur de l’artiste de son moyen d’expression, est profondément traité dans cette pièce. La question qui s’impose : qu’est-ce qui est le plus important : le message ou le moyen d’expression ? Néanmoins c’est l’originalité de l’œuvre beckettienne, qui renforce l’intérêt du message qu’il veut nous adresser, mais qui est en même temps complique sa compréhension en utilisant un moyen d’expression étrange ( la langue proprement beckettienne ). “ Si les pièces théâtrales de Beckett ont pour objectif d’exprimer la difficulté, de retrouver une signification au monde, objet de changement

(1)BECKETT, ov. Cit. p 365. (2)M. ESSLIN,op. cit., P 84. (3)BECKETT, op. cit., p 291. 35 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

interminable, son utilisation de la langue sonde les limitations de la langue, simultanément en tant que moyen de communication et en tant que véhicule d’expression des déclarations valables, un instrument de réflexion” (1). “ Breath” commence par un silence qui est interrompue, après cinq minutes, par un cri de bébé, un nouveau né. La lumière devient de plus en plus grande comme une aspiration de l’haleine. Mais dix minutes plus tard la lumière diminue, accompagné du même cri enfantin. Traitant de cette manière la question de la mort qui nous attend avant notre naissance, Beckett nous présente “ Breath”. “ Film” est un film de cinéma, mais qui est classé parmi l’œuvre dramatique de Beckett. Le thème majeur dans ce film est la fuite de la perception de soi. lci Beckett essaye de visualiser l’idée du vol en provenance de soi en essayant d’atteindre le néant de la non-existence ……………. Dans “ Film” ( ce thème ) est concrétisé par la fuite du héros d’un poursuivant, qui n’est en fait que le héros lui-même” (2).L’homme qui poursuit notre héros incarne le regard d’autrui, et il se met d’accord avec tous les autres protagonistes beckettiens dont les mondes sont volés par les autres, et dont la présence est trahi par le regard d’autrui. De plus cet homme qui est auprès du héros de “ Film”, représente la conscience qui se confronte en se réveillant. “ Not l” nous présente trois identités mais un seul personnage. Celui-ci est faiblement clair, mystérieux, si vague qu’on ne peut pas distinguer son sex. Il ou Elle s’appelle Auditor et il (elle) est absorbé (é) par Mouthe. Mouthe est l’organe de parole, dirigé par le cerveau. Mouthe se rappelle de la naissance d’une petite fille, délaissée par ses parents. Cette fille mène une vie normale jusqu’ à l’âge de dix-sept ans. Elle se promène dans le jardin et brusquement la lumière s’éteint ; mais elle écoute des murmures et voit une lumière faible. Elle croit qu’elle est en train d’être punie mais il n’y a pas de peine. Elle se sent qu’elle est paralysée mais le cerveau ne s’arrête pas encore. Elle se rend compte que les mots viennent spontanément, et découvre sa propre voix. La chose qu’on ne doit pas oublier est qu’elle était muette et autrefois elle évitait de parler. Elle a peur de perdre cette capacité et c’est pourquoi elle se met à parler sans arrêt. La bouche parle et la tête lui fournit des mémoires. Elle s’oblige de parler perpétuellement mais les questions qui se posent chez elle : De quoi faut-il parler ? La naissance de la fille ? Non. Sa vie ? Non. Enfin elle se donne à raconter des choses qui n’ont pas d’importance. Nous sommes encore devant les questions du conflit entre l’homme et sa conscience, le corps et le cerveau l’acte et la parole.

(1)M. ESSLIN, op. cit. p 85. (2)Loc.. cit. M. ESSLIN, op. cit., p 81. 36 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

Soit dans son roman, soit à travers le théâtre, Beckett nous présente le même héros. Le clochard, le vagabond, le fou sont toujours les héros beckettiens “ qui sont motivés par deux impulsions : le désir d’errer et le désir de rester ; soit qu’il est un vagabond qui voyage sans but, ou il reste immobile sur son lit dans sa chambre” (1).Et quand Ils parlent et nous racontent des histoires, Ils affirment que “ tous les problèmes dans le monde, …….. Viennent de ceux qui ne peuvent pas rester calmes chez eux facilement on peut paraphraser cela en lisant toutes les histoires dans le monde : dans le cœur de toute histoire se pose un problème à régler. Le problème le plus grand est qu’il nous manque le foyer auquel on fait recours” (2). Donc la conclusion qu’on peut tirer de cette vue d’ensemble de l’œuvre beckettienne, est que Beckett, à travers son héros, nous présente une vision si clairvoyante, lucide de la situation humaine absurde mais cette largesse d’esprit est limitée par la passivité de son protagoniste. On n’est pas d’accord avec ceux qui prétendent que les héros beckettiens ne sont pas résignés, et que “ leur attitude montre qu’Ils voient que leur situation est inéluctable et Ils choisissent d’attendre” (3).Ils adoptent une attitude lucide mais passive. En attendant “ l’homme beckettien veut s’arrêter de choisir, d’être libre” (4).Mais on ne voit pas cette attitude chez tous les héros parce (5) que Beckett “ commence par la surface et se porte vers la profondeur” mais “sa vision de monde reste toujours la même” (6).L’œuvre de Beckett se développe et passe par trois phases ;chaque étape nous introduit une lucidité passive différente des deux autres “ les premiers héros beckettiens ont tendance d’ être individualisés, humains traités comme étrangers par les gens normaux ; les derniers héros ont tendance d’être innombrables, inhumains et extraordinaires. Vous pouvez rencontrer et reconnaître (7) Murphy en Hyde Park, vous ne rencontrerez jamais un des“ perdus” mais tous attendent Godot. L’originalité de Beckett réside dans la langue qu’il utilise. L’œuvre “ de Beckett fait comprendre combien tout langage est déjà une représentation, une structure qui modèle la pensée de celui qui s’en sert : parler un langage, c’est se soumettre à sa syntaxe, à sa grammaire, à sa sémantique, bref à sa représentation. Briser la grammaire, vider les mots de leur signification apparaît aujourd’hui comme le seul moyen de continuer à

(1)D. WATSON, op. cit., p (2)Ibid P.55 (3)L. StJBUTLER, op. cit., P 95 (4)Ibid P. 89. (5)Ibid P. 154. (6)Ibid P. 155. (7)Loc. cit. 37 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre1: L’attente Lucide (L’absurde Chez Beckett)

écrire” (1) et cela explique pourquoi les héros chez Beckett, sont toujours des fous, des criminels ou des vagabonds qui essayent toujours de dépasser les limites et les structures, et Ils sont toujours poursuivis par la police qui est une police discursive.

(1)BERNAL1969, PP116- 17 cité par D.WATSON.op. cit. P 9. 38

Chapitre LA SOUMISSION CLAIRVOYANTE 2 ( L’ABSURDE CHEZ IONESCO )

39 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

Le théâtre d’lonesco ressemble à celle de Beckett parce qu’elle vient de la même école de pessimisme lucide mais c’est l’aspect comique qui domine son œuvre “ Il tire parti de l’absurde et de l’insolite des situations quotidiennes dans une sorte de parodie permanente d’un théâtre qui visait, avant lui, à reproduire la réalité” (1).Le tragique, chez Ionesco, se transforme en comique et le comique en tragique. Le théâtre pour lui est la projection sur la scène du dedans. Il prend sa matière théâtrale de : ses angoisses, ses désirs obscurs, et mêmes de ses contradictions intérieures. Mais pourquoi il écrit ? Il prétend que “ les explications que moi-même je me donne de ce que je fais me semblent incomplètes, fausses ou précaires. Ne sachant donc pas quel est le but de l’existence, je ne sais pas non plus tout à fait exactement pourquoi j’écris. J’écris portant, depuis toujours, comme je vis depuis toujours en me demandant aussi quel est le sens de ma vie. Je suis poussé à écrire, c’est- à-dire à m’interroger et à regarder et à dire ce que je vois. Mais en écrivant, dénoncer ce qui m’apparaît être comme le mal, critiquer et parodier les autres et leurs comportements ; être moraliste, tout cela me semble souvent ne s’inscrire que dans un cadre très limité” (2). Pourquoi on prétend toujours qu’il fait partie de l’école de la lucidité pessimiste ? Parce que c’est lui qui affirme qu’ “ [ il croit] qu’ [ il est ] plus authentique lorsqu’ [ il ] exprime dans [ ses ] œuvres l’étonnement et le désarroi. C’est,dans cet étonnement que plongent les racines de la vie. Tout à fait au fond de [ lui-même], c’est la nuit qu’ [ il ] trouve ….., la nuit ou plutôt une lumière aveuglante” (3). En plus son théâtre ressemble à celui de Beckett dans ses moyens d’expression et parce que le thème est original, il a choisi la langue originale pour en parler. “ Une vision ne s’exprime que par les moyens d’expression qui lui conviennent, à tel point qu’elle est cette expression même, unique” (4). Ionesco consacre l’ensemble de son œuvre à la question de l’absurde, parce qu’il est certain que c’est un problème universel et très humain. “ Il y a des états d’esprit, des intuitions absolument extratemporelles, extra historiques. Lorsque je m’éveille, par un matin de grâce, aussi bien de mon sommeil nocturne que du sommeil mental de l’accoutumance, et que je prends soudain conscience de mon existence, et de la présence universelle, que tout me parait étrange, et à la fois familier, lorsque l’étonnement d’être m’envahit, ce sentiment, cette intuition appartient à n’importe quel homme, à n’importe quel temps. Cet état d’esprit, on peut le retrouver exprimé presque avec les mêmes mots chez

(1)Jean Claude BERTON, “ Histoire De La Littérature Et Des Idées [en Au XX siècle ”, éd – Hatier, coll. Profil Formation, Français, 1983, p136. (2)Eugénie IONESCO, “ Notes et Contre – Notes ”, éd – Gallimard, Coll. – Idées, 1966, p 21. (3)Ibid p 22. (4)Ibid p 81. 40 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

les poètes, des mystiques, des philosophes, qui le ressentent exactement comme je le ressens et comme l’ont certainement ressenti tous les hommes, s’Ils ne sont pas morts spirituellement ou aveuglés par les besognes de la politique ; on peut retrouver cet état d’esprit, clairement exprimé, absolument le même, aussi bien au Moyen Age que dans l’Antiquité ou à n’importe quel siècle “ historique”. Dans cet instant éternel, le cordonnier, le philosophe, l’“ esclave”, le “maître”, le prêtre et le profane se rencontrent, s’identifient” (1). La première pièce théâtrale écrite par Ionesco, est “ la Cantatrice Chauve”. Quand et pourquoi, il l’a écrite ? Il répond “ en 1948 avant d’écrire ma première pièce : “ La Cantatrice Chauve”, je ne voulais pas devenir un auteur dramatique. J’avais tout simplement l’ambition de connaître l’anglais. L’apprentissage de l’anglais ne mène pas nécessairement à la dramaturgie. Au contraire, c’est parce que je n’ai pas réussi à apprendre l’anglais que je suis devenu écrivain de théâtre” (2).Pour connaître l’anglais, il a acheté un manuel de conversation Franco-Anglaise, la méthode “ Assimil” adressée aux débutants. Il a copié les phrases pour les apprendre par cœur “ en les lisant, j’appris donc, non pas l’anglais mais des vérités surprenantes : qu’il a sept jours dans la semaine, par exemple, ce que je savais d’ailleurs : ou bien que le plancher est en bas, le plafond en haut, chose que je savais également, peut-être, mais à laquelle je n’avais jamais réfléchi sérieusement ou que l’avais oubliée, et qui m’apparaissait tout à coup aussi stupéfiante qu’indiscutablement vraie. J’ai, sans doute, assez d’esprit philosophique pour m’être aperçu que ce n’était de simples phrases anglaises dans leur traduction française que je recopiais sur mon cahier, mais bien des vérités fondamentales, des constations profondes” (3).Voilà l’origine de “La Cantatrice Chauve”. Pourquoi ce titre “ La Cantatrice Chauve”? Est-ce que vraiment il y a une chanteuse des chansons classiques dans cette pièce théâtrale ? La réponse est : non. A propos de titre Ionesco dit “ on ne trouvais pas de titre convenable. C’est le hasard qui le trouva. Henri -Jaques Huet- qui jouait admirablement le rôle du Pompier eut un lapsus linguae au cours des dernières répétitions. En récitant le monologue du Rhume ou il était incidemment question d’une “ institutrice blonde”, Henri-Jaques se trompa et prononce “ cantatrice chauve”. “ Voila le titre de la pièce !” m’écriai-je. C’est ainsi donc que. “ La Cantatrice Chauve” s’appela “ La Cantatrice Chauve” (4).

(1)Ibid p 65. (2)IONESCO, op. cit, P247 (3)Ibid, P 248. (4)Ibid. PP 257, 258. 41 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

De quoi parle cette pièce ? La première scène se passe dans une maison anglaise “ intérieur bourgeois anglais, avec des fauteuils anglais. Soirée anglaise. M. Smith, Anglais, dans son fauteuil anglais et ses pantoufles anglaises, fume sa pipe anglaise et lit un journal anglais, prés d’un feu anglais. Il a des lunettes anglaises, une petite moustache grise, anglaise. A coté de lui, dans un autre fauteuil anglais, Mme Smith, Anglaise, raccommode des chaussettes anglaises. Un long moment de silence anglais. La pendule anglaise frappe dix-sept coups anglais” (1). Qu’est-ce qu’Ils font ces deux anglais dans cette ambiance anglaise ? Ils échangent des conversations communes, automatiques, vides de tout intérêt. La première qui parle c’est Mme Smith, qu’est-ce qu’elle dit ? “ Tiens, il est neuf heures. Nous avons mangé de la soupe, du poisson, des pommes de terre au lard, de la salade anglaise. Les enfants ont bu de l’eau anglaise. Nous avons bien mangé, ce soir. C’est parce que nous habitons dans les environs de Londres et que notre nom est Smith” (2). La conversation entre deux êtres étrangers l’un à l’autre, qui parlent des banalités, continue. Ils parlent des pommes de terre, de l’huile de l’épicier du coin qui sont bonnes. Ils parlent de leur domestique Mary qui cuit bien les pommes de terre, les poissons et la soupe. Ils parlent de leur petit fIls qui ressemble à son père et de leur fille qui ressemble à sa mère et “ qui ne boit que du lait et ne mange que de la bouillie. Ça se voit qu’elle n’a que deux ans. Elle s’appelle Peggy” (3). On nous parle aussi de la tarte aux coings et aux haricots du “y a route [ qui ] est excellent pour l’estomac, les reines, l’appendicite et l’apothéose. C’est ce que m’a dit le docteur Mackenzie King qui soigne les enfants de nos voisins, les John. C’est un bon médecin. On peut avoir confiance en lui. Il ne recommande jamais d’autres médicaments que ceux dont il a fait l’expérience sur lui-même. Avant d’opérer Parker, c’est lui d’abord qui s’est fait opérer du foie, sans être aucunement malade” (4).La scène se termine par une dispute entre les Smith à propos de ce que font les hommes tous les jours et ce que font les femmes. Mme Smith est fâchée mais M. Smith essaie de la contenter en lui disant “ quel ridicule couple de vieux amoureux nous faisons ! Viens, nous allons éteindre et nous allons faire dodo” (5). La deuxième scène nous introduit Mary qui se présente d’une manière ridicule en disant “ je suis, la bonne. J’ai passé un après-midi, très agréable. J’ai été au cinéma avec un homme et j’ai vu un film avec des femmes. A la

(1)Eugène IONESCO, “ Théâtre (1) ”, éd Gallimard, coll. nrf, 1954. P 19. (2)Loc. cit. (3)Ibid P 20. (4)Ibid P 21. (5)Ibid P 25. 42 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

sortie du cinéma, nous sommes allés boire de l’eau de vie et du lait et puis on a lu le journal” (1). La troisième scène nous introduit M et Mme Martin qui rendent visite aux Smith. Mary ouvre la porte et les fait entrer en leur disant “ Pourquoi êtes-vous venus si tard ! Vous n’êtes pas polis. Il faut venir à l’heure. Compris ? Asseyez-vous quand même là, et attendez, maintenant” (2). De La même façon comique, les Martin se présentent dans la quatrième scène. Ils nous parlent de leur origine qui est Manchester. Ils se rencontrent avec les Smith dans le train. M. Martin se montre étonné de cette rencontre ordinaire “ comme c’est curieux, comme c’est bizarre, quelle coïncidence ! Eh bien alors, alors nous sommes, peut-être, connus à ce moment-là Madame ?” (3). M.Martin se montre étonné aussi d’habiter la même chambre et de dormir dans le même lit et d’avoir la même fille blonde qui a deux ans et qui a un œil blanc et un œil rouge, que Mme Martin. Mary revient dans la cinquième scène pour “ révéler un secret. Elisabeth n’est pas Elisabeth, Donald n’est pas Donald. En voici la preuve : l’enfant dont parle Donald n’est pas la fille d’Elisabeth, ce n’est pas la même personne. La fillette de Donald a un œil blanc et un autre rouge tout comme la fillette d’Elisabeth. Mais tandis que l’enfant de Donald a l’œil blanc à droite et l’œil rouge à gauche, l’enfant d’Elisabeth, lui, a l’œil rouge à droite et le blanc à gauche ! Ainsi tout le système d’argumentation de Donald s’écroule en se heurtant à ce dernier obstacle qui anéantit toute sa théorie. Malgré les coïncidences extraordinaires qui semblent être des preuves définitives, Donald et Elisabeth n’étant pas les parents du même enfant ne sont pas Donald et Elisabeth. Il a beau se croire qu’elle est Elisabeth. Elle a beau croire qu’il est Donald : Ils se trompent amèrement. Mais qui est le véritable Donald ? Quelle est la véritable Elisabeth ? Qui donc a intérêt à faire durer cette confusion ? Je n’en sais rien. Ne tâchons pas de le savoir. Laissons les choses comme elles sont (Elle fait quelques pas vers la porte, puis revient et s’adresse au public). Mon vrai nom est Sherlock Holmès” (4). La sixième scène présente la réconciliation entre les Martin. M. Martin propose à sa femme d’oublier tout ce qui est passé entre eux et parce qu’Ils se sont retrouvés, ils tâchent de ne plus se perdre et de vivre comme avant. Dans la septième les Smith et les Martin se rencontrent encore. Ils parlent des choses qu’Ils qualifient d’extraordinaires, comme l’homme que Mme Martin a vu dans la rue qui se tenait penché pour nouer les lacets de

(1)Loc.. cit. (2)Ibid P 26 (3)Ibid P 29 (4)Ibid P. P 31 32. 43 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

sa chaussure qui s’étaient défaits. M. Martin croit qu’il a vu des choses encore plus extraordinaires par exemple il a vu dans le métro assis sur une banquette, un monsieur qui lisait un journal Mme Smith lui affirme que c’est original. On sonne et c’est le Capitaine des pompiers qui arrive. Le pompier est en mission de service, il a l’ordre d’éteindre tous les incendies dans la ville et parce que les affaires vont mal, rien ne va: le commerce, l’agriculture ne marchent pas comme le feu “ Pas de blé pas de feu, pas d’inondation non plus” (1).Le pompier se trouve obligé de bavarder avec Les Smith et Les Martins de parler des membres de sa famille et de sa vie quotidienne. Mary entre et reconnaît le pompier se jette sur son cou. Il affirme que Mary était son petit jet d’eau qui a éteint ses premiers feux. Nous sommes maintenant devant une scène poétique qui se termine par un poème récité par Mary en l’honneur du Capitaine qui s’intitule “ Le Feu”. Mary s’en va suivie par le pompier qui souhaite la bonne chance et le bon feu pour tout le monde. Après le départ de pompier “ le dialogue entre ces interlocuteurs qui n’ont rien à se dire devient de plus en plus automatique et les personnages transformés en pantins s’affrontent en un langage incohérent. Peu à peu, le mécanisme verbal fonctionne seul, jusqu’à la désintégration totale de langage : truismes (“ le plafond est en haut, le plancher est en bas”), proverbes, faux proverbes cocasses (“ Celui qui vend aujourd’hui un bœuf, demain aura un œuf”), puis exercices d’élocution (“ Touche pas la mouche, mouche pas la touche”), voyelles, onomatopées. Cette prolifération sans objet suit un rythme accéléré, comme si les personnages se disputaient pour d’excellentes raisons. Tout à coup la lumière s’éteint. Les paroles cessent brusquement. De nouveau, lumière. M. et Mme Martin sont assis comme Smith au début de la pièce. La pièce recommence avec les Martin, qui disent exactement les répliques des Smith dans la première, tandis que le rideau se ferme doucement. Ces personnages sans vie intérieure parlent pour ne rien dire et sont donc interchangeables : la structure circulaire de la pièce (Fréquente chez Ionesco ), souligne l’absurdité de la vie”“ (2). “ La Cantatrice Chauve” nous présente des personnages sans caractères, des êtres vagues sans visages, des fantoches qui incarnent l’absurde chez Ionesco qui n’était donc pas au départ, l’absurde philosophique hérité de Kierkegaard développé par Sartre et par Camus, c’était l’étonnement devant le quotidien, le commun, la banalité anonyme des êtres.

(1)Ibid P 41. (2)A. LAGARE, L. MICHARD, op. cit, P674

44 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

Le renouvellement technique est claire dans cette pièce. La justification de ce renouvellement, est que l’écrivain essaye de dire des choses qu’on ne peut pas dire à travers les mots habituels. Il lui faut renouveler la technique parce que l’expérience dont il parle, est compliquée, n’est-il pas lui qui dit, en parlant du sentiment d’absurde chez lui “ le monde m’apparaît à moments comme vidé de signification la réalité : irréelle. C’est ce sentiment d’irréalité, la recherche d’une réalité essentielle, oubliée, innomée hors de laquelle je ne me sens pas être que j’ai voulu exprimer à travers mes personnages qui errent dans l’incohérent, n’ayant rien en propre en dehors de leurs angoisses, leurs remords, leurs échecs, la vacuité de leur vie. Des êtres noyés dans l’absence de sens ne peuvent être que dérisoirement tragique. Le monde m’étant incompréhensible j’attends qu’on m’explique” (1). Les personnages de cette pièce n’ont d’autre épaisseur que celle de leurs paroles parce que leur créateur est convaincu le monde et la vie sont comme les mots, privés de sens. Il a découvert que le langage est un lien par excellence où se révèle l’absurdité des échanges quotidiens. “ La Leçon”, la deuxième pièce d’ Inoseco et sa deuxième tentative de traiter la question du langage comme moyen de communication. Les personnages principaux sont un vieux professeur et un élève. Il vient pour lui donner une leçon, mais comment le faire quand il prétend que “ nous ne pouvons être sûr de rien, Mademoiselle, en ce monde?” (2). La leçon est extraordinaire elle dure une heure mais qui comprend d’autres leçons de géographie, de mathématiques, de linguistique et d’ autres matières. L’élève “ est une fille polie, bien élevée mais bien vivante, gaie, dynamique” (3).Le professeur est “ excessivement poli, très timide, voix assourdie par la timidité, très correct, très professeur” (4). La leçon commence par la géographie nationale que la bonne élève connaît sur le bout des ongles. Elle veut se présenter le plus tôt possible, au premier concours de doctorat total. Puis Ils passent à l’arithmétique mais la bonne les interrompt pour calmer le professeur qui se montre nerveux parce qu’il essaie déjà une certaine autorité pendant les questions d’arithmétique. Graduellement le professeur timide devient sûr de lui et le passage entre la timidité à l’assurance se passe quand le professeur “ retrouve une incertaine équilibre, sa voix commence à se timbrer dès que la première question scolaire est posée. Il attend de l’élève une réponse qu’il connaît, il se sent donc en sécurité. Le dialogue devrait être sans surprise pour lui, l’élève doit

(1)IONESCO, “ Notes et Coutre – Notes ”, P 261 (2)IONESCO “ Théâtre (1) ”, P62 (3)Ibid P 60 (4)Ibid P 61 45 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

avoir des réponses justes ou fausses d’élève pour qu’il se rassure d’abord et la domine ensuite de plus en plus. Il craint d’elle, au début, soit un individu pouvant le dérouter par son dialogue et son univers personnels” (1). Un exemple de cette autorité, qui est au fur et à mesure commence d’être claire dans le dialogue entre le professeur et l’élève, est dans cette scène : “ Le professeur : Oui. Je veux dire : retirez trois de quatre. L’élève : ça fait ………sept ? Le professeur : Je m’excuse d’être obligé de vous contredire. Quatre moins trois ne font pas sept. Vous confondez : quatre plus trois sept, quatre moins trois ne font pas sept ……..Il ne s’agit plus d’additionner, il faut soustraire maintenant” (2). L’élève ne peut pas trouver la réponse correcte et cela rend le professeur plus violent et il la décourage en lui affirmant que si elle n’arrive pas à comprendre profondément ces principes, et ces archétypes arithmétiques, elle n’arrivera jamais à faire correctement un travail de polytechnicien et il va dans le sadisme jusqu’à lui dire “ je crains que vous ne puissiez vous présenter au concours du doctorat total” (3). Maintenant, Ils passent à la linguistique et la philologie et pour la deuxième fois la bonne intervient et supplie le professeur de ne pas enseigner la philologie parce que “ la philologie mène au pire” (4).La voix de professeur devient de plus en plus haute et agressive. Il l’ordonne d’écouter avec la plus grande attention son cour sur les origines des langues néo- espagnoles et il lui donne l’ordre de prendre des notes pour acquérir les principes fondamentaux de la philologie linguistique. La leçon de linguistique continue mais l’élève se montre fatiguée parce qu’elle a mal aux dents. Plusieurs fois elle essaie d’arrêter le professeur mais il répète “ ça n’a pas d’importance nous n’allons nous arrêter pour si peu de chose. Continuons …..” (5).Il continue à donner son cours et elle continue à se plaindre. La bonne réapparaît pour affirmer qu’ avoir mal aux dents est le symptôme. Le professeur “ ( va vite vers le tiroir, y découvre un grand couteau invisible ou réel, selon le goût du metteur en scène, le saisit, le brandit, tout joyeux ) En voilà un, Mademoiselle, voilà un couteau. C’est dommage qu’il n’y ait que celui-là : mais nous allons tâcher de nous en servir pour toutes les langues ! Il suffira que vous prononciez le mot couteau dans toutes les langues, en regardant l’objet, de très fixement, et vous imaginant qu’il est de la langue que vous dites” (6).Mais est-ce que cette menace arrête les plaintes de l’élève ? Non.

(1)Simone BENMUSSA, “ Ionesco ” éd. Seghers, coll. Théâtre de tous les temps, 1971, P 94 (2)IONESCO, op. cit. P 67 (3)Ibid P 74. (4)Ibid P 75 (5)Ibid P 78 (6)Ibid P 87 46 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

Parce que l’élève ne comprend rien, le professeur, qui est convaincu qu’il n’y a rien de mieux que la pratique, il lui demande de répéter le mot couteau malgré les douleurs qu’elle à la gorge, aux épaules, au sein et au ventre. Tout à coup le professeur tue l’élève. “ Elle crie aussi : “ Aaah !” puis tombe, s’affale en une attitude impudique sur une chaise qui comme par hasard, se trouvait près de la fenêtre ; Ils crient “ Aaad !” en même temps, le meurtrier et le victime : après couteau, l’élève est affalée sur la chaise ; les jambes, très écartées, pendent des deux cotés de la chaise : le professeur se tient debout, en face d’elle, le dos au public : après le premier coup de couteau, il frappe l’élève morte d’un second coup” (1).La mort de l’élève lui fait du bien. La bonne entre pour nous montrer que c’est la quatrième élève tuée par le professeur mais la question qui se pose ici : la bonne est-elle une complice ? Le dialogue après le crime, donne une réponse affirmative. “ ( Elle va vers la porte de gauche, l’ouvre ). Vous êtes venue pour la leçon ? Le professeur vous attend. Je vais lui annoncer votre arrivée. Il descend toute suite ! Entrez donc, entrez, Mademoiselle” (2). Dans “ La Leçon” il y a plusieurs leçons. D’abord l’écrivain essaye de nous parler de la question de la langue comme moyen de communication. “ Le même mot a des significations différentes. C’est la démonstration de l’impossibilité fondamentale de communication. Les mots ne peuvent pas transmettre les sens parce qu’Ils se détachent des associations personnelles qu’Ils portent de chaque individu. C’est une des raisons pour lesquelles le professeur ne peut pas pénétrer son élève. Leurs idées sont toujours différentes et ne se rencontrent jamais” (3). “ La Leçon” est un symbole de victoire du corps contre le cerveau. De plus elle est symbole de toute sorte de dictature. Le professeur représentant l’oppresseur, l’élève l’opprimé. D’abord il commence par le langage qui “ a un but extérieur, il doit faire basculer la témérité de l’élève en soumission et la timidité du professeur en agressivité. La porale est incisive, elle est un élément hypnotique pour réduire l’élève, elle préfigure le couteau” (4).De la violence verbale, le professeur va à la violence physique. “ Jacques ou La Soumission” est la troisième pièce d’Inoseco. A travers cette pièce, il nous présente le conflit entre l’individu et la société. “ L’individu intimidé dans le conformisme de la société et de ses conventions à travers l’opération de l’instinct sexuel” (5).La pièce commence par la scène où la mère parle à son fils Jacques en pleurant “ Mon fils, mon enfant, après tout ce que l’on a fait pour toi. A près tant de sacrifices ! Jamais je n’aurais cru cela de toi. Tu l’es encore, car je ne puis croire, non je ne puis croire, “

(1)Ibid P 89 (2)Ibid P 93 (3)ESSLIN, op. ci, P146 (4)BENMUSSA,op. cit., P94 (5)ELSSIN, op. cit. P148. 47 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

per Bacco” que tu t’obstineras ! Tu n’aimes donc plus tes parents, tes vêtements, ta sœur, tes grands-parents” (1). Qu’est-ce qu’elle veut cette mère ? Elle le supplie de se mettre d’accord avec les règles sociales. Pour montrer son refus et sa résistance de la pression de sa famille, Jacques refuse de parler, il n’accepte pas de prononcer les mots habituels de sa famille “ J’adore les pommes de terre au Lard”. Sa sœur Jaqueline essaie de le convaincre de parler et de dire. Il crie “ O paroles, que de crimes on commet en votre nom” (2).Mais elle a réussi de le faire quand elle lui dit “tu es chronométrable” (3) le système a réussi. Jacques répète “ tirons- en les circonstances, les ficelles m’y obligent ! C’est dur, mais c’est le jeu de la règle. Elle roule dans ces cas-là ( Débat de conscience muet. Seulement de temps à autre : “ Chro-no mé-trable, chro-no-mé-trable ?” Puis, finalement excédé, très haut : ) Eh bien oui, na,j’adore les pommes de terre au Lard !” (4).A partir de ce moment la soumission commence. La famille maintenant est contente de cette résignation de leur fils révolté et elle y trouve un signal pour une autre soumission, au mariage. On lui présente Roberte comme fiancée. Heureusement la fiancée a des pieds pour marcher, elle a des mains pour torchonner, des orteils pour se les écraser et même des aisselles pour les vaisselles et elle a tout ce qu’il faut pour être la femme de Jacques ou comme le dit sa mère “ en somme vous n’auriez à craindre, c’est la crâne de la crème” (5).Malheureusement notre renégat Jaques trouve qu’ “ elle n’en a pas assez ! Il m’en faut une avec trois nez. Je dis : trois nez, au moins” (6).Elle, elle a deux nez seulement. Cependant les parents de la fiancée, règle le problème en affirmant “ Ça ne fait rien, il n’y a pas de mal Messieurs dames …………….. Nous avions prévu cet incident. Nous avons à votre disposition une seconde fille unique. Et celle-là, elle a ses trois nez au complet” (7). La fiancée à trois nez, sait comment pénétrer cette personnalité étrange. Elle le calme en lui disant “ je vous comprends, vous n’êtes pas pareil aux autres. Vous êtes un être supérieur” (8). Il ose lui dire “ Ah ! Ecoutez, vous m’inspirez confiance. Roberte ll : Alors parlez” (9).Il commence à lui raconter son histoire qui est celle de toute l’humanité. “ J’ai vite compris. Je n’ai pas voulu accepter la situation. Je l’ai dit carrément. Je n’admettais pas cela ………Ah, Ils m’ont menti des siècles

(1)IONESCO, Théâtre (1), P98. (2)Ibid P 103 (3)Loc. cit. (4)Ibid PP 103, 104 (5)Ibid P 110 (6)Ibid P 112 (7)Loc. cit. (8)Ibid P 119. (9)Ibid P 120. 48 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

et des siècles ont passé ! les gens..…..Ils avaient tous le mot bonté à la bouche le couteau sanglant entre les dents ……… Vous me comprenez ? J’ai patienté, patienté. On devait venir me chercher. J’ai voulu protester : il n’y avait plus personne………… sauf ceux-là, que vous connaissez, qui ne comptent pas. Ils m’ont trompé ………….…. Et comment sortir ? Ils ont bouché les portes, les fenêtres avec du rien, Ils ont enlevé les escaliers …….. On ne part plus par le grenier, par en haut plus moyen ……….. pourtant, m’a-t-on dit, Ils ont laissé un peu partout des trappes ……… Si je les découvrais ………. Je veux absolument m’en aller.” (1). Roberte l’a vaincu et l’a convaincu. Elle lui parle d’elle-même et de ses rêves d’une manière qui le pousse à crier “ cha-a-armant”. A la fin, nous sommes devant un dialogue entre deux amants où tous les termes commencent par “ chat” comme “ cha-peau”, “ cha-pitre”, “ château” Enfin Ils s’aiment comme les enfants “ Roberte ll : Oh, mon chat. Jacques : Ma chatte, ma châtelaine Roberte ll : Dans la cave de mon château, tout est chat Jacques : Tout est chat. Roberte ll : Pour y désigner les choses, un seul mot : chat. Les chats s’appellent chat, les aliments : chat, les insectes : chat, les chaises : chat toi : chat, moi : chat …….. Il y devient facile de parler …………. ( ….). Jacques : Oh oui ! C’est facile de parler ……… Ce n’est même plus la peine (……..) je me marie avec vous” (2).C’est la femme qui représente l’instinct sexuel, qui force l’homme d’accepter le conformisme qu’il a refusé au début. Avec “ Les Chaises” nous passons à un autre thème, celui de la solitude et le vide. Les héros de cette pièce sont un homme vieux et sa femme qui vivent dans une tour dans une île isolée. Le vieux travaille comme concierge. Ils attendent la visite d’un groupe d’hommes importants qui sont invités pour écouter un message. Le vieux prétend “ j’ai un message, tu dis vrai, je lutte, une mission, j’ai quelque chose dans le ventre, un message à communiquer à l’humanité” (3).Mais parce qu’il a tant de mal à s’exprimer, il a engagé un orateur de métier qui parlera en son nom. Les invités arrivent mais ils sont invisibles. Une dame, un colonel et même L’empereur lui-même arrivent. Le vieux en s’adressant à L’Empereur, dit “ Portant moi, écoutez, je vous le dis, moi seul aurais pu sauver l’humanité, qui est bien malade. Votre Majesté s’en rend compte comme moi …….. ou, moins, j’aurais pu lui épargner les maux dont elle a tant souffert ce dernier quart de siècle, si j’avais eu l’occasion de communiquer mon message ; je ne désespère pas de la sauver, il est encore temps, j’ai le plan ……… hélas, je m’exprime difficilement …….” (4).

(1)Ibid PP 120, 121. (2)Ibid PP 126, 127. (3)Ibid P 137 (4)Ibid P 171. 49 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

L’orateur arrive mais il reste toujours solennel et immobile sauf la main qui, automatiquement, signe des autographes. Le vieux commence à s’adresser son message. Il précise en détails le public auquel il s’adresse, les hommes, les femmes, les enfants, les techniciens, les machinistes la vendeuse de chocolats glacés etc. Enfin le message attendu arrive “ Majesté, ma femme et moi-même n’avons plus rien à demander à la vie. Notre existence peut s’achever dans cette apothéose ……. merci au ciel qui nous a accordé de si longues et si paisibles années …….. Ma vie a été bien remplie. Ma mission est accomplie. Je n’aurai pas vécu en vain, puisque, puisque mon message sera révélé au monde” (1). Qui va présenter ce message ? L’Orateur qui ne parle pas et qui se borne à demander des autographes. A l’orateur “ Qu’importe à présent tout cela, puisque je te laisse, à toi, mon cher Orateur et ami, ( ….. ) le soin de faire rayonner sur la postérité la lumière de mon esprit …….. Fais donc connaître à l’Univers ma philosophie. Ne néglige pas non plus les détails, tantôt cocasses, tantôt douloureux ou attendrissant de ma vie privée mes goûts, mon amusante gourmandise ……… parle de ma compagne ( ….. ) Je compte sur toi, grand maître et Orateur ……. Quant à moi et ma fidèle compagne, après de longues années de labeur pour le progrès de l’humanité pendant lesquelles nous fûmes les soldats de la juste cause, il ne nous reste plus qu’à l’instant, afin de faire le sacrifice suprême que personne ne nous demande mais que nous accomplirons quand même …….” (2).Le vieux et sa femme se jettent chacun par sa fenêtre en criant “ Vive L’Empereur”. Les personnages de cette pièce, posent cette question “ Que va-t-il se passer avant leur mort ? Quelque chose d’extraordinaire, Ils le savent, une sorte de fête magnifique au cours de laquelle Ils pourront enfin remplir leur devoir : la communication de leur sagesse devant l’assemblée de tous les représentants de l’humanité. Cette fête est une espèce de sursis car, Ils le savent également, quand elle aura lieu ce sera aussi la fin de leur existence. Ils souhaitent l’arrivée de ces gens, Ils en sont heureux mais brusquement le premier coup de sonnette leur fait prendre conscience que cette arrivée sera la signe de leur fin. Ils se trouvent devant cette réalité et ne peuvent plus reculer” (3). La cinquième pièce intitulée “ Victimes Du Devoir” Les héros de cette pièce sont trois : Choubert, sa femme Madeline et Le Policier. Choubert assis près de sa femme, lit le journal. Ils parlent des choses différentes mais Ils s’arrêtent à cette question posée par Ionesco à travers son personnage Choubert “ Penses-tu vraiment que l’on puisse faire du nouveau au

(1)Ibid P 176. (2)Ibid PP176, 177. (3)BEMUSSA, op. cit., P107. 50 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

théâtre ?” (1).La réponse est : non. “ Toutes les pièces qui ont été écrites, depuis l’antiquité jusqu'à nos jours, n’ont jamais été que policières. Le théâtre n’a jamais été que réaliste et policier. Toute pièce est une enquête menée à la bonne, qui nous est révélée à la dernière scène. Quelquefois, avant. On cherche, on trouve. Autant tout révéler dès le début” (2). On frappe à la porte, Choubert ouvre et le policier apparaît. Il vient pour demander un renseignement à la concierge et elle n’est pas là. Il veut seulement savoir si les locataires qui ont précédé Les Choubert, s’appelaient Mallot avec un“ t”à la fin ou Mallod avec un “d” c’est tout. Choubert lui affirme qu’Ils s’appellent Mallot avec un “ t”, mais un peu plu tard il hésite et dit au Policier qu’il n’est pas certain et même il ne sait pas s’il les a connus ou non. Maintenant Choubert se montre gêné parce qu’il ne peut pas se rappeler. Le Policier demande à Madeleine de lui enlever la cravate et la ceinture mais rien ne change. Graduellement le policier s’habitue à la maison et à Madeleine, il se bascule sur sa chaise et demande à Madeleine un café bien. La simple question devient une interrogation et le ton de policier devient autoritaire. Choubert n’est pas là, il est complètement perdu. On ne sait pas s’il rêve ou il dort mais ce qui est certain, c’est qu’il nous parle d’un endroit sombre où on ne voit rien et c’est le policier et son épouse qui le dirigent. Ils l’aident à descendre “ Choubert s’appuie sur le bras de Madeleine, comme si c’était une rampe d’escalier ; il fait comme s’il descendait des marches” (3). Madeleine change d’allure, de voix et de robe pour séduire le policier. Choubert continue à descendre dans la boue. Il arrive à son histoire avec Madeleine mais le policier ne s’intéresse pas de ce moment. “ Ce n’est pas ça, ce n’est pas ça. Tu perds ton temps, tu oublies Mallot, tu t’arrêtes ( …… ) tu n’es pas dans la bonne direction. Si tu ne vois pas Mallot dans les feuillages ou dans l’eau des sources, ne t’arrête pas, continue. Nous n’avons pas le temps. Lui, pendant ce temps-là, il court qui sait où. Toi tu t’attendris” (4). Choubert descend et simultanément Madeleine se vieillit. Il lui parle de leur passé et leur amour. “ Comment tu as changé ! Mais quand cela est- il arrivé ? Comment n’a-t-on pas empêché ? Ce matin il y avait des fleurs sur notre chemin. Le soleil remplissait le ciel. Ton rire était clair. Nous avions des vêtements tout neufs, nous étions entourés d’amis. Personnes n’était mort, tu n’avais encore jamais pleuré. L’hiver est venu brusquement. Notre route est déserte. Où sont les autres ? Dans les tombeaux, au bord

(1)Ibid P185. (2)loc. cit. (3)Ibid P 195. (4)Ibid PP 197, 198. 51 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

de la route. Je veux notre joie, nous avons été volés, nous avons été dépouillés. Hélas ! hélas, retrouverons-nous la lumière bleue. Madeleine, crois-moi, je te jure ce n’est pas moi qui t’ai vieillie ! Non …… je ne veux pas, je ne crois pas, l’amour est toujours jeune, l’amour ne meurt jamais. Je n’ai pas changé. Toi non plus, tu fais semblant. Oh pourtant si, je ne puis me mentir, tu es vieille, comme tu es vieille ! Qui t’a fait vieillir” (1). La descente continue jusqu’à l’enfance de Choubert “ J’ai huit ans, c’est le soir. Ma mère me tient par la main, c’est la rue Blomet après les bombardements. Nous longeons des ruines. J’ai peur. La main de ma mère tremble dans ma main. ( …… ) Il fait tellement sombre que je ne vois plus ma mère. Sa main s’est fondue. (…….) Seul sa voix, un souffle, me dirige. Elle dit ( ….) Il faudra pardonner, mon enfant, c’est cela le plus dur ( ….. ) Le temps des larmes viendra, le temps des remords, la pénitence, il faut être bon, tu souffriras si tu n’es pas bon, si tu ne pardonnes pas. Quand tu le verras, obéis-lui, embrasse-le pardonne-lui” (2). Le père surgit et c’est le policier qui l’incarne. Choubert s’adresse au Policier en tant que son père. Il était dur avec le petit Choubert “ Tu étais dur, tu n’étais peut-être pas trop méchant. Ce n’est peut-être pas ta faute. Ce n’est pas toi. Je haïssais ta violence, ton égoïsme. Je n’ai pas eu de pitié pour tes faiblesses, tu me frappait.” (3). Représentant le père, le policier répond “ Mon enfant, je représentais des maisons de commerce. Mon métier m’obligeait d’errer sur toute la terre ( ….. ) Tu naquis, mon fIls juste au moment où j’allais dynamiter la planète. C’est ta naissance qui la sauva. Tu m’empêchas du moins, de tuer le monde dans mon cœur. Tu me réconcilias avec l’humanité, tu me lias indissolublement à son histoire à ses malheurs, ses crimes, ses espoirs, ses désespoirs. Je tremblais pour son sort ….et pour le tien” (4). La recherche de soi continue et Choubert ne sait pas ou il est. De fait il est dans les contradictions “ un joie ….. de la douleur ….. un déchirement …… un apaisement …….. De la plénitude …..Du vide” (5).Le policier s’inquiète de cette perte “ Choubert, Choubert, Choubert, Comprends-moi bien, il faut retrouver Mallot. C’est une question de vie ou de mort. C’est ton devoir” (6). Le cauchemar finit et Choubert revient de la profondeur à la surface. Mais au lieu de rester à la surface, Choubert se hausse pour être plus haut que Mont Blanc, il est en danger d’être aéroporté. Comment l’arrêter ? Le policier pour le faire descendre du somment au normal, le fait manger parce

(1)Ibid P 197. (2)Ibid PP202, 203. (3)Loc. cit.. (4)Ibid PP 204, 205 (5)Ibid P211. (6)ov. cit. 52 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

qu’il doit absolument grossir pour boucher les trous de sa mémoire. Brusquement entre Nicolas, un nouveau personnage dont la raison d’être, est de nous parler des écoles différentes du théâtre, le théâtre psychologique, réaliste et irrationaliste dont il rêve. Nicolas tue le policier et le remplace. Ils sont tous victimes d’un seul devoir qui est de répondre à la question initiale : Mallot se termine par“ t”ou par “d” ?. Le thème majeur dans “ Victimes Du Devoir” est philosophique, qui est l’existence humaine avant et après la prise de conscience de soi. Les questions philosophiques s’imposent aussi dans “Amédée, Ou Comment Se Débarrasser”. “ Amédée est un écrivain qui n’arrive pas, depuis quinze ans, à écrire une ligne (…… ) Il vit avec sa femme Madeleine dans un petit appartement ou Ils ne perçoivent du monde que les bruits de l’immeuble. Madeleine fait vivre Amédée et le lui reproche aigrement. Elle est standardiste et travaille sur un petit standard installé dans l’appartement. Un cadavre vit avec eux, matérialisation d’une faute, d’une culpabilité envers le père, image d’un univers obscur de l’inconscient qui bouge en eux, se transforme, les oppresse, rendant tout amour impossible. Ce n’est pas, comme on a pu le dire, l’image de leur amour mort mais plutôt d’une obstruction à l’amour qui pouvait être entre eux. Ce cadavre a la maladie incurable des morts : la progression géométrique. Durant les trois actes, il grandira jusqu’à pousser les portes, les meubles envahissent l’appartement. Tandis que, symboles de la décomposition, des champignons pousseront partout” (1). Pour se débarrasser du cadavre, Amédée s’envole avec lui dans les airs. La question posée par Ionesco ici : peut-on se libérer de soi-même, de son passé ? “ Le désaccord entre Amédée et Madeleine, leur dialogue où se déchiffrent des images sexuelles interprétées par l’un comme élan d’amour oublié ou désiré, par l’autre comme acte de violence, sont la projection du conflit qui déchire le héros de Ionesco entre deux pôles : la pesanteur, l’étouffement et l’euphorie de l’envol” (2).La pièce est un rêve d’une vie nouvelle qui efface le passé. Le vol d’Amédée incarne une émancipation de la prolifération de la matière représentée par Madeleine. Amédée rêve d’une maison de verre et de lumière, tandis que Madeleine insiste que leur maison est de fer et de nuit. Amédée se met toujours dans le coté romantique, le gère, transparent, libre et heureux. Au contraire Madeleine adopte tout qui est matériel, pesant, opaque rigide et mélancolique. “C’est que la femme, dans le théâtre de M.Ionesco, est l’amie de l’Ombre. Elle s’y plait. Elle joue à y représenter le Mal. Sans doute est-ce elle qui a attiré l’homme aux enfers. Tentatrice et corruptrice, elle est l’initiatrice de sa chute. ( …. ) Symbole de la mort, de la matière, de la

(1)BENMUSSA, op. cit., P. 97. (2)loc. cit. 53 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

pesanteur, la femme aux bracelets fermés est l’adversaire du rêve qui allége et libère. Elle refuse l’espoir. Elle reproche toujours à l’homme d’être paresseux, velléitaire, lâche, mais quand il s’enlace dans les airs à la poursuite d’une chimère, elle s’écrie ( ….. ) A la foi, elle oppose la loi. À l’esprit, elle oppose la lettre. La femme dans le théâtre de M. Ionesco, c’est l’ordre établi. Or, l’homme, accablé par le pesanteur de cet ordre,rêve d’une grâce perdue ( …… ) Ainsi l’Ange du Mal chasse-t-il l’homme de tous les paradis où il croit pouvoir fixer ses migrations la terre sera toujours promise, jamais donnée” (1). Le thème chère à Ionesco, le théâtre, ses écoles et sa raison d’être, est le thème principal de “ L’lmpromptu De L’Alma”. Le personnage principal est Ionesco. Avec lui il y a quatre personnages : Bartholoméus l, Bartholoméus ll, Bartholoméus lll et Marie. Ionesco est un écrivain de théâtre. “ Parmis les livres et les manuscrits, Ionesco dort, la tête sur la table. Il a, dans une main, un crayon à bille qu’il tient le bout en l’air. On sonne. Ionesco ronfle. On sonne de nouveau, puis on frappe de grands coups à appelle : “ Ionesco ! Ionesco !” Finalement Ionesco sursaute, se frotte les yeux ( ….. ) Arrangeant cheveux décoiffé, Ionesco, se dirige vers la porte, ouvre. Apparaît Bartholomeus I, en robe de docteur” (2). Ionesco est en train d’écrire, Bartholomeus veut savoir quel est le titre de la pièce ? Et quel est son sujet ? Ionesco “ un peu cabotin et embarrassé : Euh le sujet ? …… Vous me demandez le sujet ? …… Le titre ? Euh ……. Vous savez, je ne sais jamais raconter mes pièces ……. Tout est dans les répliques, dans le jeu, dans les images scéniques, c’est très visuel, comme toujours ….. C’est une image, une première réplique, qui déclenche toujours chez moi, le mécanisme de la création, ensuite, je me laisse porter par mes propres personnages, je ne sais jamais où je vais exactement …. Toute pièce est, pour moi, une aventure, une chasse, une découverte d’un univers qui se révèle à moi-même, de la présence duquel je suis le premier à être étonné” (3). Sa pièce est intitulée “ Le Caméléon Du Berger”. Bartholomeus veut savoir pourquoi ce titre. Ionesco répond “ C’est la scène de base de ma pièce, son moteur. J’ai aperçu une fois, dans une grande ville de province, au milieu de la rue, en été, un jeune berger, vers trois heures de l’après midi, qui embrassait un caméléon …… Ceci m’avait beaucoup touché ….. J’ai décidé d’en faire une farce tragique” (4).

(1)Philippe SÉNART, “IONESCO ”, éd. Editions Universitaires,coll. Classiques du XX siècle, 1964 PP105,106, 108. (2)Eugène IONESCO, “ Theater II ”, éd. Gallimard, coll. nrf, 1958, P11. (3)Ibid P 13. (4)Ibid P 14. 54 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

Le docteur Bartholoméus I accuse Ionesco d’avoir des expériences qui n’ont pas de valeur, parce qu’elle ne sont pas scientifiques. Quand il est en train de lui lire sa pièce, le docteur Bartholoméus ll arrive. Il vient pour la même raison que le premier Bartholoméus, il veut savoir si la nouvelle pièce est prête parce qu’il l’attend, puis Bartholoméus lll arrive. Les trois critiques se disputent entre eux car chacun d’entre eux définit le théâtre et la critique à sa manière propre. Chacun d’entre eux donne ses réponses à ces questions : Pourquoi on va au théâtre ? Quel est le rôle de l’auteur ? Ils croient qu’on doit aller au théâtre pour apprendre et non pas pour rire, ni pour pleurer, ni oublier, ni pour s’oublier, ni pour s’engluer ni pour s’identifier. Selon eux l’écrivain doit être instituteur et les critiques et les docteurs forment les instituteurs. L’œuvre ne compte pas chez eux, seuls comptent les principes. C’est Marie, la voisine qui fait le ménage pour Ionesco, qui met fin à la querelle des trois docteurs, qui cause une confusion insupportable chez Ionesco, “ Marie à Ionesco : Ils n’ont rien à faire savoir ! ….. Ces malheureux docteurs n’ont pas à donner des conseils, c’est à eux de prendre des leçons du théâtre” (1).Et elle les met à la porte. Elle l’encourage, il devient capable de dire les vérités qui” deviennent dangereuses lors qu’elles prennent l’allure de dogmes infaillibles et lorsque, en leur nom, les docteurs et critiques prétendent exclure d’autres vérités et diriger voir tyranniser, la création artistique. La critique doit être descriptive, non pas normative. Le docteur, comme Marie vient de vous le dire, ont tout à apprendre, rien enseigner, car le créateur est lui-même le seul témoin valable de son temps, il le découvre en lui-même, c’est lui seul qui, mystérieusement, librement, l’exprime” (2). Eugène Ionesco a été beaucoup critiqué parce qu’il est convaincu qu’“ une œuvre d’art n’a rien à voir avec les doctrines” (3) c’est pourquoi il a écrit “ L’lmpromptu de l’Alma”. “ Tueur Sans Gages” est une pièce composée de trois actes. Le premier nous présente Bérenger avec un architecte. Ce dernier porte sous le bras un porte-document assez lourd et épais. Dans ces documents il y a le projet d’un quartier magnifique où il y a : des jardins, pas de fleur fatiguée, des arbres dont les feuilles sont assez grandes pour laisser filtrer la lumière, pas trop pour ne pas assombrir les façades. Le projet est réalisé et la réalité dépasse l’imagination. Béregner l’avoue à l’architecte “ la réalité de votre cité radieuse est indiscutable. On la touche du doigt” (4).

(1)Ibid P 54. (2)Ibid PP 56 ,57. (3)IONESCO, “ Contes Et Contres – Notes ”, P 141 (4)IONESCO, “ Théâtre ll ”, P 66. 55 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

Bérenger entre dans la cité radieuse par hasard. Il est invité par l’architecte qui réserve une heure pour le faire visiter le quartier où le printemps est perpétuel. Il accepte l’invitation parce qu’il a “ tellement besoin d’une autre vie, d’une nouvelle vie. Un autre cadre, un autre décor [ où il y a ] le jaillissement, le prolongement de l’univers du dedans. Seulement, pour qu’il puisse jaillir, cet univers du dedans, il lui faut le secours extérieur d’une certaine lumière existante, physique, d’un monde objectivement nouveau. (……) En somme, monde intérieur, monde extérieur, ce sont des expressions impropres, il n’y a pas de véritables frontières pourtant entre ces deux mondes ; il y a une impulsion première, évidement, qui vient de nous, et lorsqu’elle ne peut s’extérioriser, lorsqu’elle ne peut se réaliser objectivement, lors qu’il n’y a pas un accord total entre moi du dedans et moi du dehors, c’est la catastrophe, la contradiction universelle, la cassure” (1). Bérenger remarque que les rues de la cité lumineuse, sont vides même désertiques, pourquoi ? Les gens veulent quitter le quartier radieux.“ Ils n’ont pas où loger autre part. Sans cela, Ils auraient tous plié bagages. Peut-être aussi se font-Ils un point d’honneur de ne pas fuir. Ils préfèrent rester cachés dans leurs appartements. Ils n’en sortent qu’en cas d’extrême nécessité par groupes de dix ou quinze. Et même alors, le danger n’est pas écarté” (2).Tous les habitants, sont menacés par un tueur, Ils “ se décideront bien à le quitter finalement …… ou alors, Ils seront tous tués [ …..] Les riches ne sont pas toujours heureux, non plus, ni les habitants des quartiers résidentiels …… ni les radieux ! … Il n’y a pas de radieux” (3). Le tueur “ est là c’est à l’arrêt du tramway qu’il fait son coup. Lorsque des passagers en descendent pour rentrer chez eux, car les voitures individuelles ne circulent que dans la cité radieuse, il va à leur rencontre, déguisé en mendiant. (…….) il choisit la bonne âme, entrâmes une conversation avec elle, s’accroche, ne la lâche pas d’une semelle. Il propose de lui vendre des menus objets qu’il sort de son panier ( …..). Généralement, ses services sont refusés, la bonne âme se dépêche ( ….) il arrive avec elle près du bassin (……) Alors, tout de suite, c’est le grand moyen : il offre de lui montrer la photo du colonel. C’est irrésistible. Comme il ne fait plus très clair, la bonne âme se penche pour mieux voir. A ce moment elle est perdue. Profitant de ce qu’elle est confondue dans la contemplation de l’image, il la pousse, elle tombe dans le bassin, elle se noie. Le coup est fait, il n’a plus qu’à s’enquérir d’une nouvelle victime” (4).Quand il est en train d’écouter cette histoire, une nouvelle arrive : on a

(1)Ibid P 73. (2)Ibid P 86. (3)Ibid P 89. (4)Ibid P 95. 56 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

tué Mlle Dany, qui est la secrétaire de l’architecte et fiancée de Bérénger. Ce dernier décide de chercher ce tueur mystérieux. Les événements du deuxième acte, se passent dans la chambre de Bérenger. Un nouveau personnage Edouard, arrive et Bérenger lui raconte l’histoire du tueur. Edouard ne se montre pas étonné. Béregner veut se coucher, il passe près de la table où se trouve la serviette d’Edouard, elle s’ouvre et une partie de son contenu se desserve sur la table. Il y a des photos du colonel et tous les objets du monstre même sa carte d’identité, le plan de ses crimes, son horaire fixé à l’avance, lieu par lieu seconde par seconde. Bérenger décide d’avertir la police mais Edouard disparaît. Le troisième acte s’ouvre par une réunion politique. La mère Pipe s’adresse à une foule, elle les promet de tout changer.“Pour tout changer il faut rien changer. On change les noms, on ne change pas les choses (……) Il n’y aura que des malentendus. Nous perfectionnerons le mensonge” (1).Contrairement à la mère Pipe, un homme ivre vient pour affirmer que “ la science et l’art ont fait beaucoup plus pour changer la mentalité que la politique. La révolution véritable se fait dans les laboratoires des savants, dans les ateliers des artistes. Einstein, Oppenheimer, Breton, Kandinski, Picasso, Pavlov, voilà les authentiques rénovateurs. Ils étendent le champ de nos connaissances, renouvellent notre vision du monde, nous transforment” (2).Bérenger découvert que la serviette n’est pas là, il s’adresse aux agents de police mais ils sont très occupés par la circulation. La dernière scène nous présente Bérenger tout seul devant le tueur, essayant de le convaincre par un discours y utilisant tous les moyens, de ne pas tuer. Le tueur ne dit rien, Bérenger essaie de le tuer, échouant de le faire, il se soumet au couteau d’Edouard. Ainsi, il nous quitte hésités devant cette question : qui est le tueur sans gages ? Est-il le mal ? Ou bien la mort ? Toutes les réponses sont possibles. “ Bérenger assume ainsi la culpabilité du Tueur. Invite l’Humanité toute entière à racheter le Tueur” (3). “ Le Nouveau Locataire”, est une pièce simple qui nous présente un homme qui vient d’habiter dans une chambre vide. Il meuble la chambre d’abord par les meubles dont il a besoin. Graduellement elle est remplie par les déménageurs qui font entrer des objets divers. D’autres objets arrivent tous seuls. Le monsieur est enterré par les meubles, il n’a pas de place pour y rester. Il fait rester dehors d’autres meubles qui sont très grands, les portes ne sont pas assez hautes pour qu’Ils puissent passer. Ils sont dans l’escalier, dans la rue, les voitures ne circulent pas en ville à cause d’eux, les souterrains et les métros, sont tout bloqués. Les déménageurs veulent

(1)Ibid P 138. (2)Ibid P145. (3)SENART, op. cit. P 45. 57 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

partir, ils demandent au nouveau locataire “ vous n’avez besoin de rien” Il leur demandent “ Merci, Eteignez”. Qu’est-ce que Ionesco veut dire à travers cette pièce ? “ Est-ce que la chambre vide qui est en train d’être remplie par les meubles, lentement au début, mais très vite à la fin, est l’image de la vie humaine, vide au début, mais graduellement encombrée des expériences répétitives et des mémoires ? Où est-ce que la pièce n’est qu’une traduction, à travers des termes scéniques, de la claustrophobie, le sentiment d’être prisonnier de la pesanteur, la matière oppressive, ou de la dépression mentale dont souffre Ionesco ?” (1). “ Si M Ionesco ne peut arriver à s’en sortir bien même, il use de tous les subterfuges du théâtre c’est que, peut-être, il n’est pas prisonnier du monde, mais de lui-même. Le Monsieur en noir, à la fin du “ Nouveau Locataire”, est complètement emmuré. Il reste une ouverture au plafond ; il la fait fermer. Ainsi scelle-t-il son appartement transformé volontairement à la réclusion. Les déménageurs qui ont apporté ces meubles dans l’espace où il se tient et où il ne peut plus ni bouger ni, sans doute respirer, lui demandent en le quittant, s’il n’a besoin de rien. “ Eteignez”, leur dit-il simplement” (2). “ L’Avenir Est Dans Les Œufs” traite la même question abordé par “ Jacques ou la Soumission” c’est-à-dire le conflit entre l’individu et la société, la soumission ou la révolte. Jacques et Roberte, ont maintenant une corbeille remplie d’œufs. Ils pensent à l’avenir de tous les enfants. Ils prétendent qu’Ils vont en faire des officiers, des patrons, des diplomates, de la laine à tricoter, des opportunistes, des nationalistes, des actionnaires, des réactionnaires etc. Toute la famille demande à Roberte de continuer et de ne pas arrêter la production et demande à Jaques de ne pas parler et de s’occuper de ses œufs parce que “ comme par le passé, l’avenir est dans les œufs” (3). “ A la famille, incombe le rôle de pondre. “ Vive la production ! Encore la Production ! Produisez ! Produisez ! calme. Dans “ L’Avenir Est Dans Les Œufs”, le père de la famille Jaques le Réfractaire s’est soumis il a accepté de manger des pommes de terre au lard, il a épousé Roberte, il assure désormais, dans la discipline, la continuité de l’espèce. Les œufs s’accumulent aux cris frénétiques de “ Vivre La Production Vive a Race Blanche !” poussé par un aïeul mort dans son cadre. Et le mécanisme, ainsi déclenché, ainsi surveillé, ainsi remonté au besoin, fonctionne avec une obscène régularité. Au Teuf ! Teuf ! de Jacques répond le Cot ! Cot !

(1)ESSLIN, op. cit., P165. (2)SENART, op. cit., P 99. (3)IONESCO, “ Théâtre ll ” P229. 58 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

Codec ! de Roberte. Les œufs tombent, tombent...... ……Il n’y a plus pour la famille qu’à les ramasser dans des corbeilles et à faire des comptes” (1). “Le Maître” ressemble à la pièce de Beckett, “ En attendant Godot” d’une part. Les héros sont : un annonciateur, un amant, une amante, un admirateur, une admiratrice. Les trois attendent Le Maître qui “avait pour (2) tant bien juré qu’il passerait par ici” on ne le voit pas mais l’annonciateur affirme que “ le maître arrive. Il apparaît. Il coule. Il roucoule (…..) Il saute (…..) il signe des autographes (….) On le photographie avec sa danseuse d’une main, le hérisson de l’autre. Il crache très loin ( …..) Il laisse venir à lui les tout-petits enfants. Il a confiance dans tous les hommes. Il instaure la police. Il honore les grands vainqueurs, il honore les grands vaincus” (3).Le maître arrive mais il n’a pas de tête, on ne voit que son chapeau. Le maître incarne-t-il l’espoir ou la promesse qui viendra parce qu’il a promis ? “ Symbole de l’Etat, de la puissance, de l’autorité, clef de voûte de toute société, cet homme décapité, figuration du Néant, est au milieu des hommes à tête d’oie, le Robot-roi-on s’étonne qu’il n’ait pas de tête. L’Annonciateur déclare : “ il n’en a pas besoin. Il a du bénie”. Ainsi le Génie de la Machine peut-il remplacer l’Âme Humaine, ainsi, l’Intelligence peut- elle désincarnée et déspiritualisée, s’installer, tyrannique dans l’Abstraction” (4). “ La Jeune Fille à Marier” nous présente une surprise. Une femme parle de sa fille, qui vient de terminer ses études. Elle parle de ses espérances, de ses qualités. Elle est bien élevée, sa mère en parlant à un monsieur dit “ Je n’ai pas eu à m’en plaindre, comme tant d’autres parents. Elle nous a toujours donné parfaite satisfaction” (5).La mère parle à ce monsieur comme si elle est un homme comme lui. Quand il lui parle des défauts des hommes, elle lui affirme “ Ne me parlez pas des hommes, oh, là, là, je connaîs ça, ils ne valent pas plus que les femmes, ils se ressemblent tous, il n’y a pas le choix” (6). Elle revient à sa fille et prétend qu’elle a voulu lui donner instruction solide, une profession respectable, afin qu’elle gagne honorablement sa vie par ses propres moyens et qu’elle sache respecter les autres en commençant par elle-même. La fille, selon la mère, a poussé très lions ses études parce que la mère rêve toujours d’en faire une dactylo. Elle vient d’obtenir son diplôme. Elle aura un engagement dans un bureau de prévarication elle danse de joie du matin au soir. Elle a tellement travaillé, la pauvre petit mais elle a la récompense de son labeur. Il ne reste plus qu’à

(1)SENART, OP. 57, 58. (2)IONESCO, “ Théâtre ll ”, P 234 (3)Ibid PP 238. (4)SENART,op. cit., P 67. (5)IONESCO, “ Théâtre ll ”, P 245. (6)Ibid P 248. 59 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

lui trouver un bon mari. La surprise, la fille de la dame entre, c’est un homme, d’une trentaine d’années, vigoureux, viril, fortes, moustaches noires, costume gris. Le monsieur dit à la dame “ elle vous ressemble, Madame, comme un crachat” (1). Qu’est-ce que Ionesco veut dire à travers cette pièce ? Critique-t-il le féminisme ou l’époque qui a tout des naturalisé ? Toutes les réponses sont possibles mais l’anti-féminisme est attendu d’Ionesco dont les héroïnes incarnent toujours l’aspect négatif et passif de l’expérience humaine. “ Rhinocéros” est la plus connue chez les lecteurs d’Ionesco “ Dans une contrée imaginaire, où la vie est simple et heureuse, on signale soudain la présence d’un, puis de plusieurs rhinocéros, qu’on croit un moment échappés d’un cirque” (2). Bérenger le héros est un employé, il aime Mlle Daisy et il a un ami qui s’appelle Jean. Un dimanche les deux amis voient un rhinocéros dans les rues de leur petite ville tranquille. Graduellement le nombre des rhinocéros augmente. Jean, tombé malade, devient de plus en plus vert, sa voix change, devient méconnaissable. Même ses idées se transforment, au fur et à mesure il se montre convaincu que les rhinocéros sont des créatures comme nous. Il croit qu’il faut dépasser la morale et mettre à sa place la nature parce que cette dernière a ses lois et sa morale. Il renverse la philosophie commune, qui le lie à son ami Berénge, selon laquelle ces animaux n’ont pas, un système de valeurs irremplaçables comme les valeurs humaines. Il se moque de son ami et le rapproche d’être un vieux sentimentale ridicule. Il devient rhinocéros parce qu’il aime les changements. “ Sous les regards effarés de Berénger en plein désarroi, son ami Jean se métamorphose en rhinocéros ; la contagion commence à s’étendre à toute la cité” (3). “ L’humanité, en effet, est frappée d’un mal mystérieux : les rhinocéros. Tous les hommes, les uns après les autres, deviennent des rhinocéros. Et le pachyderme qui a écrasé le petit chat ne risquerait plus d’exciter la curiosité dans une ville où l’on ne peut sortir sans risquer de se trouver corne à corne avec l’ami qu’on a quitté la veille. On n’entend plus que grondements, barrissements, piétinements. La rhinocerocité ne cesse de s’étendre. C’est un délire collectif, une hystérie grégaire, une fièvre totalitaire” (4). Tous abandonnent Berénger même sa fiancée Daisy parce que la rhinocerocité est maintenant la normale et Berénger reste le seul être humain. Il refuse de suivre la masse.” Comme tout le monde, je me

(1)Ibid P 252. (2)BEAUMAR CHAIS, op. cit., P 1169. (3)LAGARDE, op. P 676. (4)SEART, op. cit., P38 60 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

défendrai, contre tout le monde, je me défendrai ! Je suis le dernier homme, je le resterai jusqu’au bout ! Je ne capitule pas” (1). En répondant à la question : qu’est-ce qui est cette rhinocerocité ? Ionesco dit “je me suis souvenu d’avoir été frappé au cours de ma vie par ce qu’on pourrait appeler le courant d’opinion, par son évolution rapide, sa force de contagion qui est celle d’une véritable épidémie. Les gens tout à coup se laissent envahir par une religion nouvelle, une doctrine, un fanatisme, enfin parce que les professeurs de philosophie et les journalistes à oripeaux philosophiques appellent le “ moment nécessairement historique”.On assiste alors à une véritable mutation mentale. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais lorsque les gens ne partagent plus votre opinion, lorsqu’ on ne peut plus s’entendre avec eux, on a l’impression de (2) s’adresser à des monstres” à des rhinocéros. “ Rhinocéros”nous présente le conflit dramatisé, entre la conscience isolée et la conscience universelle. “ Le Piéton De L’Air” nous présente un écrivain des pièces théâtrales qui aborde la question : pourquoi on écrit ? Il avoue qu’il n’avait aucune raison d’écrire. Il affirme “ les gens font des choses bien qu’il ait aucune raison d’en faire. Toutefois, les âmes faibles se donnent des raisons apparentes de leurs activités. Ils font semblant d’y croire. Il faut bien faire quelque chose, disent-ils-Je ne suis pas ceux-là. Il y avait autrefois en moi une force inexplicable qui me déterminait à agir ou à écrire malgré un nihilisme fondamental. Je ne peux plus continuer” (3).Quant à son message, il prétend qu’il ne le connaît pas mais il se dévoilera de lui-même dans la fiction. Bérenger a une capacité étrange, il peut voler, il peut nager dans l’air. A propos d’un homme qui lui ressemble, Bérenger dit “ Il n’a pas fondu dans l’air. Il n’est pas tombé ( ….) Il continue sa route. Nous ne pouvons plus le suivre. C’est un être qui n’est pas de chez nous. Il nous côtoie cependant, mais il n’est pas de chez nous. Il est de l’anti-mode ; il est passé de l’autre coté du mur” (4) invisible et pas transparent. Il prétend qu’il a trouvé le moyen oublié.“ Tout le monde doit savoir voler. C’est une faculté innée. Tout le monde oublie. Comment en ai-je pu oublier le procédé ? C’est simple, pourtant, lumineux, enfantin. Quand on ne vole pas, c’est pire que si nous étions privés de nourriture C’est pour cela sans doute que nous nous sentons malheureux” (5). Cette expérience solitaire et distinguée, montre à Berénger le tragique de la condition humaine. De plus, elle lui montre que “ l’homme n’est pas un criquet, mais qu’il peut, s’il le veut, être un dieu. Vouloir, c’est. Pouvoir,

(1)IONESCO, “ Théâtre lll ”, P 117. (2)IONESCO, “ Notes et Contre – Notes ”, P285. (3)IONESCO, “ Théâtre lll ”, P127. (4)Ibid P 145. (5)Ibid P 166. 61 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

répète-t-il avec obstination. Ainsi Bérenger n’atteindra-t-il le point culminant de l’univers que s’il le veut, s’il a confiance, s’il ne doute pas de lui. Le pays où l’on n’arrive jamais n’est pas une contrée géographique, une terre incognito qui est encore à explorer et à conquérir, c’est un royaume moral où l’on ne peut accéder que si l’on est bon est frais, si l’on sait aimer. “ Aime les gens, dit le Piéton de l’Air, si tu les aimes, Ils ne seront plus des étrangers, il n’y aura plus d’enfer “Pour être sauvé, il n’est point besoin d’aller au bout du monde, mais il suffit de rentrer dans la Demeure du Père, c’est-à-dire de rentrer en soi-même” (1). “ Délire À Deux” nous présente un homme et une femme, enfermés soit dans une chambre soit dans une cellule et surveillés par un soldat. La femme a quitté son mari pour vivre avec son amant. Lui, il a fait la même chose, mais Ils ne sont pas heureux, chacun reproche à l’autre d’être un idiot. La femme mécontente lui affirme “ la vie que tu m’avais promise ! Celle que tu me fais ! J’ai quitté un mari pour suivre un amant. Le romantisme ! Le mari valait dix fois mieux, séducteur ! Il ne me contredisait pas lui, bêtement” (2). Ils se disputent parce qu’Ils sont en train de discuter une question : Le limaçon et la tortue. La femme affirme que c’est la même bête, l’homme dit le contraire. On ne s’étendra jamais parce que les deux sont têtus. Ils ne peuvent pas s’entendre et Ils ne veulent pas s’entendre. Dehors il y a du feu ou des bombardements par tout, leur maison est à la frontière des deux quartiers où il y a des conflits. Ils ne peuvent pas vivre tranquillement et c’est en dehors de leur volonté parce que les voisins ou les gens qui entourent leur maison, “ sont en train de faire la guerre. Ils trouvent que ça les repose” (3). Pendant leur dispute ils abordent certaines questions d’une manière philosophique et ironique. Ils posent la question : pourquoi la guerre ? Ils prétendent qu’ “ au lieu de mourir tout seul, il y a des gens qui se font tuer par les autres. Ils n’ont pas la patience. Ou ça leur fait plaisir. Ou bien c’est pour se prouver que c’est pas vrai. Ou parce que c’est peut-être plus facile. C’est plus gai. C’est ça la communauté. Ils tuent les uns les autres. Ils se tuent chacun leur tour”“ (4). Leur réponse à la question pourquoi la paix ? L’homme dit “ça ne peut pas durer longtemps. Comme je les connais, comme je les connais, tant qu’ils ont quelque chose dans la tête, c’est effrayant, mais quand ils n’ont rien, alors ils se mettent à chercher. Ils peuvent trouver n’importe quoi ; des inventions, on peut s’attendre à tout. Au moins, quand ils se battent, s’ils ne

(1)SENART, op. cit. PP 110, 111. (2)IONESCO, op. cit., P 201. (3)Ibid P 214. (4)Ibid P 217. 62 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

savent pas pourquoi au début, ils se trouvent toujours des raisons. Ils ne vont pas au-delà de leurs raisons ou si, quand même, mais ça se canalise dans un sens, quand c’est fini ça doit reprendre” (1). De plus le thème des relations humaines en tant que conflits des consciences, est aussi traité dans cette pièce. Les deux personnages querellent et se combattent sans arrêt mais ils se montrent incapables d’abonder l’un, l’autre parce qu’Ils sont prisonniers “ d’un amour malheureux. Et coupable. On peut dire que c’est une juste punition” (2). “ Le Tableau” s’ouvre par la scène ou il y a deux hommes. Le Gros Monsieur, assis dans un fauteuil et le peintre qui est très pauvrement vêtu, mal rasé est debout. Le Gros Monsieur veut acheter le tableau de ce peintre, parce qu il a le goût des arts mais il a sa propre philosophie, il croit que l’art est une façon de combattre. Selon lui “L’art, à sa manière, est une lutte pour la vie qui vaut les autres, comme la guerre ou le commerce, la traite des blanches ou le marché noir. Le choix est une affaire de tempérament ! En somme, ce que nous cherchons tous, c’est le bonheur ; nous sommes les compagnons du même idéal : le bonheur, la satisfaction des instincts, des besoins ! ….. de nos appétits et de notre amour propre ! y-a-t-il idéal plus noble ? Non …..” (3). Le peintre insiste que le Gros Monsieur doit voir le tableau avant de préciser le prix mais le Gros Monsieur veut régler le problème de prix avant de le voir. Le peintre demande 400, 000 francs parce que son art n’est pas facile et il n’est pas à la portée de tous, et parce qu’il doit vivre. Le Gros Monsieur n’accepte pas parce qu’il veut payer 400 francs mais il dévoile la toile, on voit une femme très belle, d’aspect royal, c’est une reine. Le Gros Monsieur prétend qu’il ne peut pas prendre le tableau dans son état actuel, il a besoin qu’on y ajoute quelques amendements essentiels. Le peintre fait une concession et il accepte seulement 300 francs parce que le tableau est lourd et encombrant. Le Gros Monsieur pour rendre service au peintre, décide de garder le tableau définitivement mais sans payer, car il assume une responsabilité si lourde, le peintre le remercie. Le Gros Monsieur le met à la porte. Alice, la sœur laide du Gros Monsieur, veut savoir pourquoi il a acheté ce vilain tableau. Dès qu’il l’accroche au mur, l’attitude d’Alice change, elle n’agit pas en tant que sœur mais comme une épouse ou une amante jalouse. Elle irrite Le Gros Monsieur, elle insiste de critiquer le tableau et de lui montrer comment elle ne l’aime pas du tout. Le Gros Monsieur la menace et met le pistolet sous son nez “ Il lui met le pistolet sur la joue. Alice sourit ; elle gardera son sourire figé jusqu’à la fin. Il s’éloigne un peu”

(1)Ibid P 221 (2)Ibid P 214 (3)Ibid P 236 63 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

(1). [ il tire ] Alice est décolletée, elle a exactement le buste de la femme du tableau. Dans son mouvement de frayeur, sa perruque blanche, ses lunettes sont tombées ; ses cheveux brunes apparaissent, ses yeux, sa figure sont exactement ceux de la femme peinte” (2). La voisine laide comme Alice, arrive et quand Le Gros Monsieur, qui se croit un artiste, quand il tire, la voisine devient belle comme Alice après la transformation. Le Gros Monsieur “monte sur un escabeau, tire en l’air ; l’éclairage fait que le décor aussi est métamorphosé : du plafond tombent des fleurs, des serpentins ; des pétards, des feux d’artifice illuminent la scène. Ne pas craindre le faste “ fête foraine. Ah ! Ah ! Ah ! Bravo …… Aah et moi ? Et moi ? (Désole ) Oh … je suis toujours pas beau ! (Au public, tendant le pistolet ) Voulez vous tirer sur moi ? Qui veut tirer moi ? Qui veut tirer moi ?” (3).Par la terreur le Gros Monsieur peut surpasser le talent du peintre. Il a réussi d’effacer la laideur et de créer la beauté en utilisant la force et la violence. Ionesco est contre toute forme d’engagement qui déforme l’art. “ Aucune obligation, aucune contrainte du dehors ne m’empêchera un matin de juin, de me trouver seul, face à la création, dans une conscience renouvelée de l’étonnement d’être” (4).Selon lui, les écrivains, les artistes “ les peintres abstraits, non plus, ne sont accessibles pour le moment ni aux hommes d’affaires ni aux midinettes, ni aux épiciers, ni aux petits bourgeois communistes ou anticommunistes ; ni aux grossiers rusés et sots adjudants et dictateurs” (5). “ Scène à Quatre” nous présent quatre personnages : Dupont, vêtu comme Durand, Martin qui est aussi vêtu de la même façonne et une jolie femme. Les trois hommes parlent pour ne rien dire “Il y a des fois cependant où l’on parle plus en ne disant rien et où l’on ne dit rien en parlant trop. Cela dépend des moments et des gens. Mais que [ disent-Ils ], en somme, depuis déjà un bon moment ? Rien absolument rien. N’importe qui peut l’affirmer” (6). c’est l’entrée de la jolie femme qui met fin à cette discussion sans but et sans raison. Elle les fait taire tous les trois. “ Les Salutations” est comme son titre, un festival des salutations où on utilise tous les adverbes qu’on utilise pour saluer et pour répondre à la question : comment ça va ? Agréablement mais ce qui fait rire, ce sont les adverses qui n’ont rien avec la salutation comme: théoriquement, pratiquement, concrètement etc. Même des inventions: adénitement arthritiquement ionescamment. En inventant des mots nouveaux, Ionesco

(1)Ibid P 269. (2)Ov. cit. (3)Ibid P 273 (4)IONESCO, “ Notes Et Contre – Notes ”, P 305. (5)Ibid P 301. (6)IONESCO, “ Théâtre 111 ”, P384. 64 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

revient à la même question traitée par Beckett : la langue est une institution sociale et traditionnelle qui borne l’imagination chez le créateur et c’est la raison pour laquelle il se trouve obligé d’y changer, ajouter et effacer tout ce qui va à l’encontre de sa création artistique. Ionesco dit “ je voulais surtout dire des choses et je cherchais, au-delà des mots habituels ou à travers ou malgré les mots habituels, à les dire” (1). “ La Colère” est un scénario de film composé des scènes différentes mais il est centré autour de deux personnages : Un monsieur seul et une speakerine de la télévision. Le monsieur se met petit à petit en colère et quand une bagarre éclatée grandit, sa colère grandit aussi. Son visage éclate avant que la planète éclate. L’autre personnage tout calme et souriante de temps en temps, elle fait des annonces qui n’ont rien à voir avec l’action. “ A près l’éclatement de la tête du Monsieur, juste avant l’éclatement de la planète, elle annonce, avec son plus beau sourire en montrant ses belles dents : “ Mesdames, Messieurs, dans quelques instants il y aura la fin du monde” Dernière image : la planète explosant” (2). “ Le Roi Se Meurt” traite la question de la hantise de la mort.“ Partout présente dans l’œuvre de Ionesco, l’angoisse de la mort s’est surtout exprimée à l’état pur dans une pièce qui a été considérée comme son chef d’œuvre : “ Le Roi Se Meurt” est une des deux seules pièces avec “ Macbett”, “ en costume”, où un roi de conte de fées se prépare aussi mal que possible à sa disparition finale” (3). Le roi Bérenger est malade et il s’arrête de parler. Le médecin dit aux deux femmes du roi “ Il ne peut plus remuer, vous voyez, Majesté. Il ne peut plus parler, il est pétrifié. Il ne vous écoute plus. C’est un symptôme caractéristique” (4).On lui dit qu’il va mourir dans une heure vingt cinq minutes. D’abord, il refuse l’idée et il leur dit qu’il ne veut pas mourir et il se montre incrédule. Il refuse le temps et essaie en vain de le retourner en arrière ou d’avoir un siècle devant lui pour commencer. La deuxième réaction du roi, c’est l’appel à l’aide des hommes. “ Je veux que tout le monde sache que je vais mourir (…. ) Au secours ! Votre roi va mourir” (5).mais il a découvert que cela ne sert à rien de crier. Graduellement “ ça va plutôt mieux. Il gémit, il pleure mais il commence tout de même à raisonner. Il s’exprime, il proteste, cela veut dire qu’il commence à se résigner” (6). Puis il passe à la phase du désespoir “ Des milliards de morts. Ils multiplient mon angoisse. Je suis leurs agonies. Ma mort est innombrable.

(1)IONESCO,“ Notes et Contre - Notes ”, P 335. (2)IONESCO, “ Théâtre 111 ”, P 304. (3)BEAUMARCHAIS, op. cit., P 1170. (4)IONESCO, “ Théâtre IV ” P 24. (5)Ibid P 33. (6)Ibid P 38. 65 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

Tant d’univers s’éteignent en moi” (1).Maintenant il commence à apprendre la résignation. Il accepte l’inacceptable. Il refuse la médecine qui calme “ je ne veux pas de piqûre” (2). Il refuse toute parole pitoyable. Il s’adresse à la reine tendre Mari “ N’approche pas, toi non plus. Ta pitié me fait peur” (3). Il se montre étonné de la brièveté de la vie “ je suis venu au monde il y a cinq minutes, je me suis marié il y a trois minutes ( …. ) Je suis monté au trône il y a deux minutes et demie ( …. ) Pas le temps de dire ouf ! Je n’ai pas eu le temps de connaître la vie” (4). L’étape d’après c’est celle de l’oubli. Il décide d’oublier et pour oublier il se préoccupe des soucis domestiques en parlant avec Juliette, la femme de ménage, infirmière. Elle lui parle des pots de chambre à vider, des lits à faire, des parquets à frotter, des chambres à balayer, de ses douleurs au dots etc. Avec ravissement, le roi lui dit “ ça n’en finit pas ( …. ) Tant de choses m’ont échappé. Je n’ai pas tout su. Je n’ai pas été partout. Ma vie aurait pu être pleine” (5). Les derniers moments sont ceux du consentement à l’impression que tout s’anéantit “ Je suis …… Des bruits, des échos émergent des profondeurs, cela s’éloigne, cela calme” (6). Dans la “ dernière scène, disparaître progressivement les portes, les fenêtres, les murs ( …. ). Le Roi assis sur son trône doit rester visible quelque temps avant de sombrer dans une sorte de brume” (7). “ Le Roi Se Meurt”nous parle de “ l’homme moderne, qui a perdu toute foi dans les jugements de valeur, ces mesures conventionnelles que la tradition et le conditionnement avaient fini par rendre naturelles. Roi sans métaphysique, c’est-à dire sans imagination, il ne dispose d’aucune lampe du soir pour éclairer sa solitude : cet amant de la vie a expulsé le sacré de son univers mental. Les mythes consolateurs des religions lui sont étrangers” (8).Le roi doit apprendre les arts de mourir pour trouver l’ombre sacrée qu’il a perdu. “ La Soif Et La Faim” nous raconte l’histoire de deux jeunes gens : Jean et sa femme Marie-Madeleine. Le premier acte nous présente les deux époux quand Ils sont de retour dans un appartement de rez-de- chaussée. Dans un temps passé et imprécis, ils avait habité cet

(1)Ibid P 45. (2)Ibid P 35. (3)Ibid P 37. (4)OV. cit. (5)Ibid P49. (6)Ibid P 69.. (7)Ibid 74 (8)Bernard GROS, “ Le Roi Se Meurt Ionesco ”, éd. Hatier coll. Profil – littérature ( profile d’une œuvre ), Paris, 1972, P27. 66 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

appartement. Jean n’aime pas ce lieu “ Je n’arrive pas à te comprendre ! Pourquoi revenir sur ces lieux ? Nous étions si bien là-bas, dans la nouvelle maison” (1). Il ne l’aime pas parce qu’elle est sombre, triste, humide et surtout parce qu’il s’en fonce petit à petit dans la terre et même les meubles sont encombrés de vase. De plus il le déteste parce qu’il lui représente la solitude, la peur, la mort. Jean veut s’enfuir de cette maison parce que “ c’est [ son ] cauchemar. Depuis toujours, depuis qu’il est tout petit il [ lui ] arrive souvent de [ se ] réveiller le matin, la gorge serrée, après avoir rêvé de ces habitations affreuses, englouties à moitié dans l’eau, à moitié dans la terre, pleines de boue” (2). D’abord vient le souvenir de la maison d’enfance, la maison de la mère “ qui a emprisonné l’enfant quand il rêvait d’adolescence, la maison qui a enfermé l’adolescent quand il rêvait d’être adulte, celle où, maintenant l’adulte aspire à l’aventure. Les prisons où l’on ne rêve que de libertés et de naissances douloureuses successives” (3).Il essaie d’oublier les souvenirs d’une vie qu’il n’a pas vécue. Jean est contre les souvenirs “pour qu’Ils ne l’enterrent, [lui] qui enterre les souvenirs. [il] ne jette la mémoire. [il] en garde juste ce qu’il faut pour savoir qu’ [il est], [il] oublie tout, sauf ceci : [il n’est] rien d’autre que [lui], [il ne doit être que lui- même”. Marie-Madeleine qui est typiquement la femme ionescienne, qui retarde et ne peut jamais pousser en avant, dit à son mari “ as-tu vraiment pu arracher les racines, mon amour ? Peux-tu vraiment arracher les racines d’amour, l’amour que tu portes, l’amour que tu as pour nous, pourrais-tu l’arracher sans blessure ? ( …. ) Quel jardin veux- tu chercher ? Tu ne peux vraiment partir, tu sais bien que nous sommes, là tu sais bien que je suis là, n’est-ce pas que tu plaisantes, n’est-ce pas que tu restes, n’est-ce pas que tu joues ?” (4). Comme toutes les héroïnes chez Ionesco, qui sont le symbole de l’ordre établi, Marie-Madelaine essaye de convaincre son époux de rester et de s’habituer à la maison telle quelle. “Tu vas t’habituer, je t’aiderai. Tu vas voir, on se fait un nid de tout, on se couvre de ses nostalgies. On se nourrit de ses désirs, on boit la coupe d’espérance et on n’a plus soif. L’attente est une distraction. Les souvenirs que tu n’aimes pas, tu peux les adoucir, tu peux en faire un spectacle (…. ) Fais de l’échec un repos, une détente. Des le matin, espère le soir qui apaise : il viendra. La nuit, rêve à la fête de l’aurore. Elle aussi reviendra. Ainsi tout s’accomplit” (5).Elle le conseille de faire du vide qu’il ressent, une plénitude.

(1)IONESCO, “ Théâtre IV ”, P 77. (2)Loc. cit. (3)BENMUSSA, OV cit., P IO. (4)IONESCO, “Théâtre IV”, P 98. (5)Ibid p 94. 67 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

Cette pièce est un appel, l’histoire d’une errance, d’une quête. Jean circule par le monde pour satisfaire ce besoin ; seulement il se trompe de chemins et de désirs. Il n’obtient rien. Il continue d’avoir soif et faim. Aucune soif ne peut être étanchée, aucune faim assouvie pour lui. Pourquoi cette insatisfaction ? Parce que tout homme a le goût de l’absolu et de l’infini, et cherche une réponse justement dans tout ce qui est relatif et temporaire” (1). “ La Lacune” nous présente un académicien qui vient de demander au secrétariat de la faculté où il travaille, un duplicata de son diplôme de licence. Ils ont cherche, sont revenus d’un air gêné pour lui dire qu’il a passé sa licence mais elle n’est plus valable, parce qu’il y a un trou derrière elle. Il s’est inscrit a la Faculté des Lettres sans avoir sa deuxième partie du diplôme. Lui, qui a plusieurs doctorats, doit se présenter à l’examen du baccalauréat. Il s’est présenté mais il a échoué. Pourquoi lui, l’humaniste, l’auteur de “Défense Et Illustration De L’Humanisme”, pourquoi il a échoué ? Selon sa femme, les professeurs qui connaissent les règles de la composition, trouvent que ce qu’il a traité n’a rien avec le sujet. Mais la seule justification de cette échec, réside dans cette phrase. “ Lorsqu’on a une mentalité enfantine, on ne se présente pas a un examen de maturité” (2). Dans “La Lacune” on voit clairement la réaction d’Ionesco contre les académiciens qui l’ont beaucoup attaqué académiquement, et lui, il défend obstinément sa mentalité enfantine qui est l’origine et la source de sa création artistique. Ionesco répète plusieurs fois qu’ “une œuvre d’art n’a rien voir avec les doctrines” (3).Pour écrire des œuvres littéraires : romans, nouvelles, poèmes (….) il suffit tout simplement d’être sincère(….) Le signe que vous êtes sincère, c’est qu’on vous traite de menteur ; puisque vous êtes honnête, on vous traite de fumiste. “ Le Salon De L’Automobile” présente la confusion dans le monde d’aujourd’hui, où on ne peut pas distinguer l’homme de ses objets. Un monsieur vient au salon pour acheter une voiture, reçu par une demoiselle. On parle de la voiture comme si elle était une jeune fille“ elle a de jolis pneus (….) de bons coussins, de très belles jambes, (….) une taille fine, un moteur excellent”(1). Il décide d’acheter l’automobile, et la demoiselle accepte d’être sa voiture et de se marier avec lui. D’autres animaux arrivent au salon pour acheter des voitures, on les appelle les maries. Critique-t-il la femme objet ? Ou bien parle-t-il des valeurs humaines qui sont devenues des valeurs matérielle ? C’est à nous de trouver la réponse. “ L’Œuf Dur” suivie par “ Pour Préparer Un Œuf Dur” nous explique qu’est-ce qu’un œuf dur ? Et nous présente une recette de cuisine pour préparer l’œuf dur ? Les deux pièces nous mettent devant, ce qui est

(1)BENMUSSA, OV. cit., P 9 (2)IONESCO,“ Théâtre IV ”, P186 (3)IONESCO, “Notes Et Contre – Notes”, P 141. 68 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

appelé par Ionesco comme l’anti-littérature qui aborde des questions jamais traitées dans la littérature traditionnelle. “ Le Jeune Homme À Marier” est un scénario pour un ballet télévise, traite la même question déjà traitée dans “ Jacques Ou La Soumission”. Le jeune homme, entouré par les membres de sa famille, se trouve obligé de choisir une de deux femmes. Epuisé, le Jeune Homme tombe dans les bras de la Fiancée (….) Les parents sortent un a un ; c’est une danse de joie, (1) danse de noces des parents autour des jeunes mariés” illustrant de cette manière télévisée la soumission du révolté au conformisme social. “Apprendre À Marcher” est une autre idée de ballet où il y a un jeune homme tombé sur la route et ne peut pas bouger. Une vieille femme et un médecin essaient de le soulever. L’infirmière entre et le réapprentissage du mouvement commence. “L’infirmière apprend au jeune homme à bouger une main et les doigts (….) le soulève à elle toute seule. L’infirmière enlève son voile, puis progressivement, son tablier, sa robe, etc. : dans un collant, elle sera une danseuse. (….) La jeune fille ( ex-infirmière ) montrera au jeune homme comment faire bouger une jambe (….). Le jeune homme est maintenant un prodige de la danse (….). Au même moment, celui-ci au lieu de se diriger vers elle, s’élance vers l’escalier et y grimpe en dansant” (2).Chez Ionesco c’est toujours la femme qui apprend l’ordre et l’homme s’hausse pour dépasser l’ordre établi.

Conclusion De La Première Partie

La vue d’ensemble de l’œuvre de Beckett et Ionesco, nous met devant cette conclusion : Les écrits de ces deux auteurs nous présentent des héros très lucides, très clairvoyants qui nous aident à bien comprendre l’absurde, le voir, le sentir. Mais simultanément ils sont pessimistes et passifs. Ils se bornent a contempler. Ils se donnent a l’inaction consciemment. Ils se contentent à s’arrêter les bras croisés devant l’irrationnel, et nous disent que la situation n’est pas bonne. L’originalité de ces deux écrivains réside dans la langue, la technique et l’image a travers lesquels, ils abordent la question de l’absurde. Le clochard muet chez Beckett a bien réussi d’incarner l’attente lucide. Tandis que le protagoniste chez Ionesco nous a bien transmis le message de la soumission clairvoyante. Dans l’œuvre de ces auteurs, il n’y pas de solution parce que leurs écrits ont pour objectif de nous parler des expériences très personnelles et très profondes, et de nous communiquer la peur, l’angoisse, la souffrance de l’écrivain et de l’humanité entière, a travers des images poétiques. Leurs

(1)Ibid P 246 (2)Ibid P 241 69 Partie1:La Lucidité Passive Chapitre2: La Soumission Clairvoyante ( L’absurde Chez Ionesco)

pièces et leurs romans s’adressent au plus profond de l’homme mais ils ne le promettent pas une solution à son drame ni à la folie de la condition humaine La littérature d’absurde chez ces deux écrivains, à travers leurs héros, au lieu de nous fournir une solution, met [ le lecteur ] devant le défi de formuler des questions pour pouvoir s’approcher d’elle. Ionesco en s’adressant à un critique qui le reproche “ d’avoir dénoncé le mal mais de ne pas avoir dit ce qui était le bien. ( …. ) [Ionesco lui dit ] c’est à lui et non pas à moi de trouver la solution, à lui aux autres critiques, et surtout aux spectateurs” (1).Selon lui, et d’après son héros et celui de Beckett “ l’auteur dramatique pose des problèmes. Dans leur recueillement, dans leur solitude, les gens doivent y penser et tacher de les résoudre pour eux en toute liberté” (2).

(1)IONESCO, Notes et Contre – Notes., P291. (2)Ibid p292. 70

Partie LA TRANSCENDANCE EXISTENTIALISTE 2

71

Chapitre LA TRANSCENDANCE HUMAINE 1 (L’ABSURDE CHEZ SARTRE)

72 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

Sartre c’est le philosophe français qui a bien réussi á faciliter la compréhension de la philosophie existentialiste, et l’a rendue à la portée de tout le monde. A travers ses romans et ses pièces théâtrales, il a popularisé les idées existentialistes. Cependant, la question qui se pose ici, c’est qu’est-ce que l’existentialisme? Quels sont les principes sur lesquels, cette philosophie est basée? Dans ce chapitre nous allons parler de cette pensée, et de la définition qu’elle donne au terme “absurde”.

(2.1.1) Qu’est-ce que l’existentialisme?

Toutes les philosophies avant l’existentialisme, sont essentialistes. Autrement dit elles avancent l’essence avant l’existence. Mais qu’est-ce que l’existence ? Et qu’est-ce que l’essence ? L’essence signifie l’être le plus profond “par essence on entend ce qu’est un être: ceci, c’est du papier :je suis un homme, je possède l’essence humaine”(1).Néanmoins, “entrant dans l’essence humaine,par exemple, l’homme gagne les caractères essentiels de l’homme, c’est-à-dire ceux sans lesquels il serait non plus un homme, mais une autre chose : un pur esprit, ou un ange, s’il n’avait pas de corps; un animal, s’il lui manquait une âme pensante”(2). Passons maintenant á l’existence, sans laquelle l’essence ne peut être réalité. “L’existence est donc ce qui actualise l’essence… Lorsque je dis: “je suis un homme”, “je suis”affirme l’existence; “homme”désigne l’essence”(3). La philosophie essentialiste, à l’encontre de l’existentialisme, prétend qu’il y a deux mondes : le monde sensible et le monde intelligible. Le premier c’est celui des existences, et le deuxième est celui des essences. “Le monde sensible est le seul que connaisse le vulgaire. Il est constitué par l’ensemble des réalités perçues par les sens. On y observe des individus multiples reproduisant le même type, des violettes, des chevaux, des hommes etc. …, et présentant des caractères communs : formes, couleurs (…) Au contraire, ne pouvant qu’être conçu par l’esprit, le monde intelligible est ignoré de la masse. C’est là qu’on peut contempler les types mêmes que reproduisent les êtres du monde sensible : la violette, le cheval, I’ Homme; ou plutôt (…) l’Etre lui-même dans sa pureté ou du moins ses formes les plus générales: la Bonté, la Beauté, la Justice etc”(4). Selon les essentialistes, l’essence vient avant l’existence puisque “tout l’être des existants dérive des essences dont ils participent comme

(1)Paul FOULQUIE “L’Existentialisme”, éd- P.U.F, coll. ( que sais – je), 1984 P. 5. (2)Ibid, P 6. (3)Loc. Cit. (4)Ibid, P 11 73 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

toute la réalité des ombres dérive de la lumière et des objets qui dessinent leur contours”(1). Sartre affirme le contraire, en rejetant l’idée d’une essence type de I’ homme. Son vocabulaire est différent ‘ pour l’essence, il propose le terme “en-soi”et pour existence il utilise le terme “pour-soi”La conséquence est qu’il y a deux mondes : Le monde en-soi et le monde pour-soi. Ici surgissent deux questions: Qu’est-ce que le monde en-soi? Et qu’est-ce que le monde pour-soi? Sartre en définissant le terme “en-soi”dit “L’être en-soi n’est jamais ni possible ni impossible, il est. C’est ce que la conscience exprimera en termes anthropomorphiques en disant qu’il est de trop, c’est-à-dire qu’elle ne peut absolument le dériver de rien, ni d’un autre être, ni d’un possible, ni d’une loi nécessaire. Incréé, sans raison d’être, sans rapport aucun avec un autre être l’être en-soi est de trop pour l’éternité”(2). Le monde en-soi c’est le monde avant l’intervention de la conscience. L’en soi, c’est l’état de l’homme avant la prise de conscience de lui-même, quand il est un chaos absurde, quand il n’est ceci, ni cela. Donc l’absurde chez Sartre c’est l’homme en tant qu’en soi “rien de plus, c’est-à-dire que l’en soi ne renvoie à rien d’autre qui serait sa cause ou sa fin ou le plan qu’il réaliserait ; il n’a ni raison d’être ni signification. S’il est, c’est pour rien ; il n’a qu’un être de fait, sans aucune nécessité d’être et sans l’intervention d’une puissance créatrice qui l’expliquerait : sa contingence créatrice qui l’expliquerait : sa contingence ou sa facticité”(3). L’étape de l’en soi, c’est l’étape ou l’homme existe physiquement par son corps, mais il ne mène pas une existence authentique. Quant au pour soi, il est défini comme la conscience sans laquelle le monde n’a pas de signification. Le monde pour-soi contrairement au monde en-soi, dépend en nous, et sans nous il n’a pas de sens. “Ainsi le seul monde qui existe pour moi est l’œuvre de ma conscience”(4). Donc, selon Sartre le pour soi c’est la conscience pour quoi et par quoi il y a un monde mais la conscience ou le pour soi n’est qu’une contradiction. Pourquoi? Parce que pour me connaître et pour prendre conscience de moi-même, il me faut prendre une attitude objective vis-à-vis de moi-même et me voir ou me regarde comme quelqu’un de moi-même pour voir ou me regarde comme quel qu’un d’autre. Donc il me faut vider moi-même de moi-même pour voir moi-même. “Le pour soi est soi là-bas

(1)Ibid, P 13 (2)Jean – Paul SARTRE, “L’Etre et Le Néant” éd. Gallimard, coll, nrf 1943 P.68. (3)P. FOULKIE, op. cit, P68. (4)Ibid. P70. 74 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

hors d’atteinte aux lointains de ses possibilités”(1). “En fait,le soi ne peut être saisi comme existant réel: le sujet ne peut être soi, car la coïncidence avec soi, fait, nous l’avons vu, disparaître le soi. Mais il ne peut pas non plus ne pas être soi, puisque le soi est indication du sujet lui-même. Le soi représente donc une distance idéale dans l’immanence du sujet par rapport à lui-même, une façon de ne pas être sa propre coïncidence”(2). Donc I’ en soi c’est I’ absurde et I’ existence inauthentique et le pour soi c’est la conscience. Maintenant, nous voulons savoir qu’est-ce que l’existence authentique? Et comment peut-on mener ure existence authentique? Autrement dit pour les existentialistes qu’est-ce que “exister”? Est-ce que chez eux “exister”veut dire “être”? La réponse est: non. Chez eux “exister”n’est pas synonyme d’être et l’existence n’est pas un état mais un acte parce que la chaise est, mais elle n’existe pas et c’est I’ homme qui lui donne son existence. Selon cette philosophie, pour mener une vie authentique, I’homme doit choisir librement de passer de l’état d’en soi par le pour soi pour être l’être en soi pour soi, c’est ce qu’on appelle la transcendance. L’homme doit se projeter hors de lui-même pour être un homme, et c’est pourquoi. Chez l’homme l’existence précède l’essence. “ Cela signifie que I’ homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se définit après. L’homme, tel que le conçoit l’existentialiste s’il n’est pas définissable, c’est qu’il n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait. Ainsi, il n’y a pas de nature humaine, puisqu’ il n’y a pas de Dieu pour la concevoir. L’homme est non seulement tel qu’il se conçoit, mais tel qu’il se veut, et comme il se conçoit après cet élan vers l’existence, l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait”(3). Ainsi Sartre qui refuse l’idée de Dieu parce que “ Dieu aurait dû être “ l’en soi pour soi”, c’est-à-dire un en soi infini, habité par un pour soi infini, et que cette notion d “en soi pour soi était en elle-même contradictoire et ne pouvait pas constituer une preuve de l’existence de Dieu”(4).Sartre lui-même nous propose la transcendance humaine pour remplacer la transcendance divine. Selon lui “ le projet fondamental de la réalité humaine, c’est que l’homme est l’être qui projette d’être Dieu …. Etre homme, c’est tendre à être Dieu ou si l’on préfère, l’homme est fondamentalement désir d’être Dieu”(5).

(1)J.P SARTRE, op. cit. P148. (2)Ibid p. 119 (3)Jean – Paul SARTRE, “L’ Existentialisme est un Humanisme” éd. Gallimard, call folies essais, 1996, PP89,30. (4) “La Cérémonie Des Adieux” ed – Gallimard, cool folio,1981, P615. (5)J.P.SARTRE, “L’Etre Et Le Neant”, PP653,654. 75 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

La philosophie existentialiste contrairement aux écrivains de théâtre de l’absurde essaye d’aider l’homme pour dépasser l’absurde mais est-ce que sa proposition est réalisable ? La réponse se trouve dans ce passage : “ Toute réalité humaine est une passion, en ce qu’ elle projette de se perdre pour fonder l’être et pour constituer du même coup l’En soi qui échappe à la contingence en étant son propre fondement, L’ENS causa sui que les religions nomment Dieu … Mais l’idée de Dieu est contradictoire et nous perdons en vain : l’homme est une passion inutile”(1).Mais faites attention ce n’est pas du point de vue pessimiste qu’on prétend que l’homme n’atteindra jamais l’état d’un pour soi en soi et il est condamné à poursuivre cette transcendance sans fin, quand Sartre dit ça, il ne veut pas décourager l’ homme qui “ n’est rien d’autre qu’une série d’entreprises, qu’il est la somme, l’organisation l’ensemble des relations qui constituent ces entreprises”(2). D’après cette pensée, l’homme pour être authentiquement un homme, il est obligé de se choisir librement et “la liberté est une liberté de choisir, mais non la liberté de ne pas choisir. Ne pas choisir, en effet, c’est choisir de ne pas choisir”(3).Donc jamais on ne peut se cacher dans la paix du premier état de l’en-soi, même si on reste à son état premier et refuse de se faire, on se choisit. La liberté chez les existentialistes est sans limites, ils refusent les excuses de ceux qui ont peur de l’inquiétude et l’angoisse de la liberté de choix. Ceux-ci, ont la mauvaise foi et Sartre les appelle les salauds. Ils prétendent toujours que le changement est difficile et même impossible sous les contraints et le déterminisme et selon eux, les circonstances sont toujours contre eux. Mais au fond, ils sont des gens qui sont mal à l’aise avec leurs consciences, ils se mentent à eux-mêmes et ils se croient. “En fait, chacun a en soi, dans son corps,dans ça personne, dans sa conscience de quoi être, sinon un génie, en tout cas un homme réel, un homme avec des qualités d’ homme ; mais la majorité des gens ne le veut pas, elle s’arrête, elle s’arrête à un niveau quelconque, et finalement elle est presque toujours responsable du niveau auquel elle est restée. (….). Les salauds sont précisément des gens qui mettent leur liberté à se faire reconnaître comme bons par d’autres, alors qu’en réalités, ils sont mauvais à cause de leur activité même”(4).Celui qui pratique la mauvaise foi essaye de masquer la vérité déplaisante et nous présente comme vérité une erreur plaisante. Donc, la mauvaise foi n’est qu’un mensonge mais la différence,

(1)Ibid. P 708 (2)J.P,SARTRE “L’Exisentialisme Est un Humanisme” P53. (3)J.P.SARTRE “L’Etre et le Néant” P561. (4)S. de BEAUVOIR, “La Cérémonie Des Adieux ” P352. 76 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

est que dans l’état de mauvaise foi l’homme masque la vérité à lui-même. Le danger dans ce mensonge est qu’il aide l’homme à fuir “ ce qu’on est” parce qu’il représente la menace immédiate et permanente de tout projet de l’être humain, c’est que la conscience recèle en son être un risque permanent de mauvaise foi. Et l’origine de ce risque c’est que la conscience, à la fois et dans son être, est ce qu’ elle n’est pas et n’est pas ce qu’il est”(1).Ce qui est ridicule, c’est que le salaud est persuadé qu’il vit authentiquement, alors qu’il en fait prisonnier d’une sorte de pesanteur qui lui enlève toute liberté :son passé, son avenir, son métier, la société,les autres, sa morale traditionnelle quand il fait une faute, il en accuse les autres. Ainsi, la pensée existentialiste nous précise qu’est-ce que l’existence authentique et qu’est-ce que l’existence inauthentique, il nous reste à savoir, comment elle répond à certaines questions comme : les relations humaines, la morale et quelle transcendance humaine, nous propose-t- elle ? Pour Sartre la base sur laquelle est fondée toute relation humaine, est le conflit. La première phase de la présence d’autrui dans ma vie, est celle où il n’est qu’un objet. “ cette femme que je vois venir vers moi,cet homme qui passe dans la rue, ce mendiant que j’entends chanter de ma fenêtre sont pour moi des objets”(2).Donc la liaison fondamentale et la base de toute théorie d’autrui, est qu’autrui est celui qui me regarde. D’abord le monde existe par moi et pour moi, il n’a pas d’existence sans moi. Graduellement et avec le surgissement d’autrui, j’ai l’impression qu’on me vole mon monde, et il devient une partie du monde de l’autre conscience qui cherche sa transcendance. “Ce n’est pas, à proprement parler, que je me sens perdre ma liberté pour devenir une chose, mais elle est là hors de ma liberté vécue, comme un attribut donné de cet être que je suis pour l’autre. Je saisis le regard de l’autre au sein même de mon acte, comme solidification et aliénation de mes propres possibilités. Ces possibilités, en effet, que je suis et qui sont la condition de ma transcendance, par la peur, par l’attente anxieuse ou prudente, je sens qu’elles se donnent ailleurs à leur tour par ses propres possibilités. Et l’autre, comme regard, n’est que cela : ma transcendance transcendée”(3). Autrui ne se montre pas content de me voler mon monde, son deuxième essai est de changer mon être que je cherche à l’être. Chaque homme veut exister authentiquement et cherche à réaliser son projet d’être soi et c’est la raison pour laquelle il nie les projets d’autrui et le sert à ses

(1)J.P.SARTRE. “Etre Et le Néant” P 111 (2)Ibid P315 (3)Ibid P321 77 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

fins. Donc, contrairement à la philosophie idéaliste, l’existentialisme prétend que la société n’est pas cette communauté idyllique basée sur la fraternité. Selon Sartre, il y a deux attitudes envers autrui. La première est celle de : l’amour, le langage et le masochisme. Le deuxième est celle de : l’indifférence, le désir, la haine et le sadisme. Cependant toutes ses relations sont fondées sur le fait que : “Tout ce qui vaut pour moi vaut pour autrui. Pendant que je tente de me libérer de l’emprise d’autrui, autrui tente de se libérer de l’emprise de la mienne ; pendant que je cherche à asservir autrui, autrui cherche à m’asservir. Il ne s’agit nullement ici de relations unilatérales avec un objet en soi, mais de rapports réciproques et mouvants. Les descriptions qui vont suivre doivent donc être envisagées dans la perspective du conflit. Le conflit est le sens originel de l’être pour autrui”(1). Commençons par l’amour. L’amour comme toutes les autres relations concrètes avec autrui, il n’est qu’une volonté de puissance mais l’amant ne ressemble pas au tyran qui utilise la peur pour s’approprier d’autrui. “ Au contraire, celui qui veut être aimé ne désire pas l’asservissement de l’être aimé. Il ne tient pas à devenir l’objet d’une passion débordante et mécanique. Il ne veut pas posséder un automatisme, et si on veut l’humilier, il suffit de lui présenter la passion de l’aimé comme le résultat d’un déterminisme psychologique : l’amant se sentira dévalorisé dans son amour et dans son être. Si Tristan et Iseult sont affolés par un philtre, ils intéressent moins ; et il arrive qu’un asservissement total de l’être aimé, tue l’amour de l’amant. Le but est dépassé: l’amant se retrouve seul si l’aimé s’est transformé en automate. Ainsi l’amant ne désire-t-il pas posséder une chose ; il réclame un type spécial d’appropriation. Il veut posséder une liberté comme liberté”. (2) Donc la notion de propriété réside au fond de tout rapport réciproque et l’amour ne fait pas exception. L’amant veut intérioriser tout le système de l’être aimé ; et pour l’assimiler et pour le faire le sien, il lui faut chercher le moyen convenable, il y trouve dans la séduction. “ L’amant doit donc séduire l’aimé ; et son amour ne se distingue pas de cette entreprise de séduction (….) par ce regard je ferais disparaître la subjectivité d’autrui et c’est elle que je veux m’assimiler. Séduire, c’est assumer entièrement et comme un risque à courir mon objectité pour autrui, c’est me mettre sous son regard et me faire regarder par lui, c’est courir le danger d’être vu pour faire un nouveau départ et m’approprier l’autre dans et par mon objectité”(3).

(1)Ibid P431 (2)Ibid P434 (3)Ibid P439 78 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

Le projet de ‘amant est contradictoire, parce qu’il aime voir le soi de l’être aimé se perdre dans son soi et quand cela arrive il perd l’aimé et il se trouve seul devant lui-même. “ Si nous pouvions intérioriser tout le système, nous serions fondement de nous-mêmes”(1). Après l’analyse sartrienne de l’amour, vient celle du langage en tant que moyen pour posséder autrui. “Le langage n’est pas un phénomène surajouté à l’être pour autrui: il est originellement l’être pour autrui, c’est-à- dire le fait qu’une subjectivité s’éprouve comme objet pour l’autre. Dans un univers de purs objets,le langage ne saurait en aucun cas être “ inventé”, puisque il suppose originellement un rapport à un autre sujet ; et sans l’intersubjectivité des pour autrui, il n’est pas nécessaire de l’inventer, car il est déjà donné dans la reconnaissance de l’autre”(2). Quand l’autre surgit en face de moi comme regard il m’oblige de recourir au langage pour le convaincre de céder et se donner”“ Le langage me relève la liberté de celui qui m’écoute en silence, c’est-à-dire sa transcendance (…). Ainsi, le mot est-il sacré quand c’est moi qui l’utilise,et magique quand l’autre l’entend”(3). L’attitude masochiste est une autre façon pour réaliser l’assimilation d’autrui et de moi-même “ son idéal sera l’inverse de celui que nous venons de décrire “le langage”: au lieu de projet d’absorber l’autre en lui conservant son altérité, je projetterai de me faire absorber par l’autre et de me perdre en sa subjectivité pour me débarrasser de la mienne”(4). Donc, le masochisme n’est qu’un échec parce qu’il “est un perpétuel effort pour anéantir la subjectivité du sujet en la faisant réassimiler par l’autre et que cet effort est accompagné de l’épuisante et délicieuse conscience de l’échec, au point que c’est l’échec lui-même que le sujet finit par rechercher comme but principal”(5). Maintenant, nous allons aborder la deuxième attitude envers autrui que l’on prend quand la première échoue. Quand je rencontre l’impossibilité de m’assimiler la conscience d’autrui, à ce moment je me trouver obligé de regarder le regard d’autrui, c’est-à-dire d’affronter sa liberté. Ce conflit en pleine lumière, a beaucoup de formes. L’indifférence est une de ces formes. “ Cela signifie que je peux, dans mon surgissement au monde, me choisir comme regardant le regard de l’autre et bâtir ma subjectivité sur l’effondrement de celle de l’autre, C’est cette attitude que nous nommerons

(1)Loc. cit. (2)Ibid P440 (3)Ibid P442 (4)Ibid P446 (5)Ibid P447 79 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

l’indifférence envers autrui”(1).Mais elle est de mauvaise foi et ne mène pas à l’existence authentique. A travers l’indifférence “ je pratique alors une sorte de solipsisme de fait ; les autres, ce sont ces formes qui passent dans la rue, ces objets magiques qui sont susceptibles d’agir à distance et sur lesquels je peux agir par des conduites déterminées. J’y prends à peine garde. J’agis comme si j’étais seul au monde ; je frêle les murs, je les évite comme j’évite des obstacles”(2). Passons maintenant à une autre forme de la mauvaise foi, le désir. “Le désir est une conscience qui se fait corps pour s’approprier le corps d’autrui saisi comme totalité organique en situation avec la conscience à l’horizonne, quelle est la signification du désir ; c’est-à-dire : pourquoi la conscience se fait elle ou tente vainement de se faire corps et qu’attend-elle de l’objet de son désir ? Il sera facile de répondre si l’on réfléchit que, dans le désir, je me fais chair en présence d’autrui pour m’approprier la chair d’autrui. Cela signifie qu’il ne s’agit pas seulement de saisir des épaules ou des flancs ou d’attirer un corps contre moi : il faut encore les saisir avec cet instrument particulier qu’est le corps en tant qu’il empâte la conscience”. (3) L’autre face du désir c’est, le sadisme. Le sadique est un homme qui a perdu la compréhension nette de ce qu’il cherche. “ Je prends et je me découvre en train de prendre, mais ce que je prends dans mes mains est autre chose que ce je coulait prendre”(4). Le sadisme est un terrible échec. Alors “le sadique découvre son erreur lorsque sa victime le regarde, c’est-à- dire qu’il éprouve l’aliénation absolue de son être dans la liberté de l’autre :il réalise alors non seulement qu’il n’a pas récupéré son “ être dehors”, mais encore que l’activité par laquelle il cherche à le récupérer est elle même transcendée et figée en “ sadisme”comme habitus et propriété avec son cortège de mortes possibilités et que cette transformation a lieu par et pour l’autre qu’il veut asservir”.(5) C’est par le regard de la victime que fait s’effondre le monde du sadique,et le prive de son sens et son but. Quant à la haine, “ elle implique une résignation fondamentale: le pour soi abandonne sa prétention de réaliser une union avec l’autre: il renonce à utiliser l’autre comme instrument pour récupérer son être en soi. Il veut simplement retrouver une liberté sans limites de fait : C’est-à-dire se débarrasser de son insaisissable être objet pour l’autre et abolir sa dimension d’aliénation. Cela évoquant à projeter de réaliser un monde ou

(1)Ibid P448 (2)Ibid P449 (3)Ibid P458 (4)Ibid P468 (5)Ibid P476 80 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

l’autre n’existe pas”(1). Aussi l’haine, comme le désir, le sadisme et l’indifférence, n’est-il qu’un échec, car “ son projet initial, en effet,est de supprimer les autres consciences. Mais si même elle y parvenait, c’est-à- dire si elle pouvait aboutir l’autre dans le moment présent, elle ne pourrait faire que l’autre n’ait pas été”(2).La haine n’est qu’une tentative de désespoir. Maintenant on va aborder le problème moral chez Sartre. Dès le début, Sartre déclare que la structure fondamentale de cette philosophie, ne permet pas l’existence d’une morale stable puisque “ l’ontologie ne saurait formuler elle-même des prescriptions morales. Elle s’occupe uniquement de ce qui est, et il n’est pas possible de tirer des impératifs de ses indicatifs”(3). Pour Sartre ce n’est pas ce que l’homme fait, qui compte mais le degré de liberté avec laquelle il l’accomplit. “ Ainsi revient-il au même de s’enivrer solitairement ou de conduire les peuples. Si l’une de ces activités l’emporte sur l’autre, ce ne sera pas à cause de son but réel, mais à cause du degré de conscience qu’elle possède de son but idéal(4). La question qui se pose : comment peut-on choisir entre deux actes, s’ on est délaissé sans Dieu au ciel, ni une morale stable sur la terre? En gardant présent qu’il n’y a pas de nature humaine préexistante, ni de morale générale, l’homme se trouve obligé de choisir sa morale. Puisqu’on ne peut pas décider à priori de ce qu’il y a à faire, l’homme doit créer et inventer son éthique propre. Il n’y a pas de moyen de juger parce que la morale existentialiste est inventée et quand “ il y a toujours une invention. La seule chose qui compte c’est de savoir si l’invention qui se fait, se fait au nom de la liberté”(5). La liberté sans limites dont nous parle Sartre, cause chez l’homme l’angoisse. L’homme chez Sartre, est le maître de ses choix. Il choisit ses propres normes sans avoir pu, auparavant juger de leur valeur, puisque cette valeur leur vient de ce choix, et l’angoisse résulte du sentiment de la responsabilité. La liberté sans limite donne l’existentialiste le sentiment de la responsabilité. “L’homme étant condamné à être libre porte le poids du monde entier sur ses épaules : il est responsable du monde et de lui- même”(6). Après la question morale, arrive la question la plus importante, celle de la transcendance, la solution proposée par Sartre pour dépasser

(1)Ibid P720 (2)Ibid P721 (3)Ibid P720 (4)Ibid P721 (5)J.P.SARTRE “L’Existentialisme Est Un Humanisme”, P71 (6)J.P.SARTRE, “L’Etre Et Le Néant, ” P639 81 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

l’absurde. Qu’est-ce que la transcendance en elle-même ? Et quelle forme de transcendance nous propose Sartre ? D’après “l’Etre et Le Néant”on appelle “ transcendance cette négation interne et réalisant qui dévoile l’en soi en déterminant le pour soi dans son être”(1) et pour atteindre cette transcendance, l’homme doit se projeter hors de lui-même pour devenir ce qu’il veut et ce qu’il n’est pas. Sartre refuse la proposition de la transcendance divine parce que l’idée de Dieu est contradictoire donc inacceptable. En justifiant son non croyance en Dieu, Sartre dit que la notion d’un être qui serait le fondement de soi-même est illogique parce que cet être pour fonder sa propre existence, il faudrait exister avant exister pour qu’il puisse faire son propre existence. Cependant ce qui est vraiment étonnant est que Sartre lui-même qui refuse l’idée de Dieu prétend que “ même si on ne croit pas en Dieu, il y a des éléments de l’idée de Dieu qui demeurent en nous et qui nous font voir le monde avec des aspects divins (…). Moi, je me sens non plus comme une poussière apparue dans le monde, mais comme un être attendu, provoqué, préfiguré. Bref, comme un être qui ne semble pouvoir venir que d’un créateur, et cette idée d’une main créatrice qui m’aurait créé me renvoie à Dieu. Naturellement,ça n’est pas une idée claire et précise que je mets en œuvre chaque fois que je pense à moi ; elle contredit beaucoup d’autres de mes idées mais elle est là vague”(2). Sartre ne croit pas en Dieu, mais il a avoué que la notion de Dieu est sensible au cœur de l’homme et c’est pourquoi il la remplace par la transcendance humaine en répétant toujours qu’ “ être homme, c’est tendre à être Dieu ; ou si l’on préfère l’homme est fondamentalement désir d’être Dieu”(3). Pour dépasser le drame de l’absurde chez Sartre, on peut choisir soit la transcendance humaine de la création artistique, soit celle de l’action politique. Un exemple de la création artistique l’écrit, écrire pour une mentalité existentialiste veut dire “à la fois dévoiler le monde et le proposer comme une tâche à la générosité du lecteur. C’est recourir à la conscience d’autrui pour se faire reconnaître comme essentiel à la totalité de l’être”(4).La création justifie l’existence de l’homme et le prive du sentiment de trop. De plus par la création on mène une existence infinie que affronte la mort elle- même et engendre l’immortalité. “ Après ma mort, je survivais sous forme

(1)Ibid P228 (2)S.de BEAUVOIR “La Cérémonie Des Adieux” P 616. (3)JP SARTRE, “L’Etre Et Le Néant ” PP653 (4)J.P. SARTRE, “Qu’est – Ce Que La Littérature”, éd. Gallimard, coll idées nrf, 1948, P76. 82 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

de mes livres, c’est une vie immortelle. La vrai vie ou on n’a plus besoin de posséder un corps et une conscience”(1). La deuxième transcendance humaine celle de l’action, est considérée comme la solution préférée pour Sartre dans la deuxième phase de ses écrits cour nés par son livre “ Critique De La Raison Dialectique”. Dans cette étape Sartre parle du monde réel et ce monde réel ne se relève qu’à l’action et c’est pourquoi il déclare “ pour nous, le faire est révélateur de l’être, chaque geste dessine des figures nouvelles sur la terre, chaque technique, chaque outil est un sens ouvert sur le monde ; les choses ont autant de visages qu’il y a de manières de posséder le monde mais avec ceux qui veulent le changer, et c’est au projet même de le changer qu’il révèle les secrets de son être”(2). La transcendance de l’action nous fait surgir l’homme de la rareté qui lutte perpétuellement contre la rareté et la praxis. L’homme de la rareté est comme tous les existentialistes, est convaincu que les valeurs morales ne sont pas stables. Comme ses frères de la première phase de la pensée sartrienne, ce qui compte pour lui ce n’est pas l’action, mais le but qu’on vent atteindre. Il travaille pour un meilleur avenir et pour l’avènement d’une humanité meilleure, il recourt à n’importe quel moyen même la violence et le traitement d’autrui comme une chose. D’une autre manière, l’homme poussé par le besoin, ne rencontre jamais la conscience d’autrui, sa conscience et celle de l’autre se confondent avec la situation où elles se trouvent. La conséquence est qu’autrui ne doit pas se plaindre qu’on le confond avec cette situation. La violence selon Sartre n’est qu’un échec “ mais c’est un échec inévitable parce que nous sommes dans un univers de violence ; et s’il est vrai aussi que c’est l’unique moyen de le faire cesser”(3). La transcendance humaine de l’action, nous met devant une attitude sartrienne un peu compliquée et n’est pas facile ê comprendre. Sartre se met d’accord avec les marxistes malgré sa bourgeoisie en avouant que “ nous demeurons bourgeois par notre culture, notre mode de vie et notre public actuel. Mais,en même temps, la situation historique nous incite à nous joindre au prolétariat pour construire une société sans classes”(4). Simultanément “ La Critique De La Raison Dialectique”a pour but de critiquer le marxisme qui traite l’homme en tant qu’objet et le prive de sa liberté. Il représente la tendance politique qui essaye de lier le socialisme et la liberté tandis que pour les communistes, “ ce qui importe pour eux, c’est

(1)S.De BAUVOR “Les Cérémonies Des Adieux ” P581 (2)J.P. SARTRE, “ Qu’est.Ce Que La LittérAture ”,P286. (3)Ibid P347 (4)Ibid P333 83 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

le type de société qu’ils vont former, mais, dans les structures de cette société, les personnes s’insèrent comme des machines”(1).Donc, on peut dire que Sartre est pour le socialisme, et pour la violence s’ il est le seul moyen pour arriver à notre fin mais contre les régimes qui privent l’homme de sa liberté. La largesse d’esprit sartrienne réside dans cette attitude lucide qui met Sartre au côté de ceux qui veulent changer à la fois la condition sociale de l’homme et la conception qu’il a de lui-même(2).

(2.1.2) L’absurde dans le roman Sartrien

Le roman sartrien aborde tous ses thèmes philosophiques. De fait Sartre a bien réussi de vulgariser sa philosophie à travers ses romans et son théâtre. La plupart de ses idées sont comprises et devenues à la portée de tous grâce à ses romans et à ses pièces. Il est rapproché de cette vulgarisation mais il la justifie en disant : “si vraiment la philosophie existentialiste est avant tout une philosophie qui dit : l’existence précède l’essence, elle doit être vécue pour être vraiment sincère. Vivre en existentialiste, c’est accepter de payer pour cette doctrine, et non pas l’imposer dans le livre. Si vous voulez que cette philosophie soit vraiment un engagement, vous devez en rendre comte aux gens qui la discutent sur le plan politique ou moral”(3). Commençons par “Le Mur”qui est composé de cinq nouvelles. “le Mur”c’est la première nouvelle dont les événements se déroulent en Espagne pendant la guerre civile. Elle nous présente trois hommes prisonniers dans une cellule. Ils attendent l’exécution demain matin, donc ils sont condamnés à mort. Le mur représente l’endroit fermé où ils sont et en même temps il représente la mort qui les attend. L’histoire racontée par Pablo Ibbieta, un des trois prisonniers. “ On nous poussa dans une grande salle blanche (…) on avait massé les autres prisonniers dans le fond (….). Il y en avait plusieurs que je connaissais et d’autres qui devaient être étrangers. Les deux qui étaient devant moi étaient blonds avec des crânes ronds ; ils se ressemblaient: des Français”(4) ils étaient Tom l’irlandais et Juan. La mort s’approche et ils se montrent avoir peur sauf notre héros. Pablo voit la mort à travers la peur de Tom en déclarant” je ne pouvait pas clairement penser ma mort, mais je la voyais partout, sur les choses, dans la façon dont les choses avaient reculé et se tenait à distance,

(1)S de BEUVOIR “La Cérémonie Des Adieux” P561 (2)Voir J.PSARTRE “ Situation ll ”, éd. Gallimard, 1947,P 16 (3)J.P SARTRE, “l’Existentialisme Est Un Humanisme ”P 83 (4)J.P.SARTRE “Le Mur”, éd Gallimard, coll. Le livre de poche, 1939,P9. 84 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

discrètement, comme des gens qui parlent bas au chevet d’un mourant. C’était sa mort que Tom venait de toucher sur le banc”(1).Tom s’approche de Pablo et se serre contre lui, Pablo est mouillé de sueur et d’urine de Tom. Quant à Juan, il tremble de peur. “ Le petit Juan se mit à crier. Il se tordait les mains, ils suppliait : “ Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir. Il courut à travers toute la cave”(2). Pablo sue et tremble mais il n’a pas peur comme eux. Il réfléchit à la notion de la mort plus qu’à sa mort, il croit que ce n’est pas naturel de mourir mais il se dit “ si l’on était venu m’annoncer que je pouvait rentrer tranquillement chez-moi, qu’on me laissait la vie sauve, ça m’aurait laissé froid quelques heures ou quelques années d’attente, c’est tout pareil, quand on a perdu l’illusion d’être éternel. Je ne tenais plus à rien, en un sens, j’étais calme. Mais c’était un calme horrible à cause de mon corps : mon corps je voyais avec ses yeux, j’entendais avec ses oreilles, mais ce n’était plus moi, il suait et tremblait tout seul, et je ne le reconnaissais plus. J’étais obligé de le toucher et de le regarder pour savoir ce qu’il devenait, comme si cela avait été le corps d’un autre”(3). Dans cet extrait, on est devant la question déjà abordée par Beckett, le corps et l’esprit. Devant la mort le corps de Pablo séparé de son âme il a peur tandis que Pablo lui-même, il ne veut pas la mort mais il n’en a pas peur. De plus d’autres questions philosophiques se posent dans cette nouvelle : “Est-ce à dire que la mort trace les limites de notre liberté? En renonçant à l’être pour mourir de donner librement à notre être une signification dont nous soyons responsables? Bien au contraire, il nous semble que la mort, en se découvrant à nous comme elle est, nous libère entièrement de sa prétendue contrainte”(4).C’est pour quoi prés de la mort Pablo se sent libéré et son sentiment de valeurs s’efface et pour lui tous les actes sont égaux à ce moment là. “ Tout cela était parfaitement j’aurais voulu comprendre les raisons de ma conduite. Je préférais plutôt crever que de livrer Gris. Pourquoi ? Je n’aimais plus Roman Gris. Mon amitié pour lui était morte un peu avant l’aube en même temps que mon désire de vivre. Sans doute je l’estimais toujours ; c’est un dur. Mais ça n’était pas pour cette raison que j’acceptais de mourir à sa place ; sa vie n’avait pas plus de valeur que la mienne; aucune vie n’avait de valeur. On allait coller un homme contre un mur et lui tirer dessus jusqu’à ce qu’il en crève : que ce fût moi ou un autre c’est pareil. Je savais bien qu’il était plus utile que moi à

(1)Ibid P26 (2)Ibid P27 (3)J.P SARTRE “L’Etre et Le Néant” P630 (4)Ov. cit 85 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

la cause de l’Espagne mais je me foutais de l’Espagne et de l’anarchie: rien n’avait plus d’importance”(1). Pourquoi en face de la mort, Pablo se sent que son corps et son âme, sont séparés ? Et pourquoi il se dit “ je veux mourir proprement”(2). Simplement parce qu’on voit et on sent la mort d’autrui mais on ne voit pas sa propre mort. “ La mort n’est aucunement structure ontologique de mon être, du moins entant qu’il est pour soi ; c’est l’autre qui est mortel dans son être. Il n’y a aucune place pour la mort dans l’être pour soi ; il ne peut ni l’attendre, ni la réaliser, ni se projeter vers elle ; elle n’est aucunement le fondement de sa finitude comme projet de la liberté originelle, ni être fondée du dehors comme une qualité par le pour soi. Qu’est-elle donc ? Rien d’autre qu’un certain aspect de la facticité et de l’être pour autrui”(3). La mort pour Pablo n’est pas une issue qui libère mais au contraire une issue qui supprime la liberté. La deuxième nouvelle: “La Chambre”nous présente Eve, l’héroïne qui s’est mariée avec Pierre qui est malade psychique, il a une certaine sorte de dégénération mentale et peut-être dans un ou deux ans il deviendra fou. Eve habite avec son mari dans une chambre obscure d’un vieil immeuble. Elle essaya toujours d’entrer dans les hallucinations de Pierre. M. Darbedât le bourgeois est le père d’Eve, il n’aime pas Pierre et il se demande toujours pourquoi sa fille aime ce fou ? Pourquoi elle s’est mariée avec lui ? Et pourquoi elle ne veut pas le quitter ? Il essaye en vain de le faire entrer dans une maison de repos. Il lui répète toujours “ mais ce que tu veux faire est au dessus des forces humaines. Tu veux vivre par l’imagination, n’est-ce pas ? Tu ne veux pas admettre qu’il est malade? Tu ne veux pas voir Pierre d’aujourd’hui, c’est bien ça ? Tu n’as d’yeux que pour Pierre d’autrefois”(4). Pour la convaincre, il lui montre que Pierre a hérité cette maladie de sa mère qui a vécu dans un état de tension nerveuse à cause de la mort de son fils, mais cela ne change rien de ses idées. Pour la faire sympathiser avec lui, son père lui parle de sa mère malade et de son devoir envers ses parents, elle refuse de l’envoyer à la clinique de Franchit. Qu’est-ce que Sartre veut dire à travers “La Chambre “ ? Il veut dire que c’est mieux d’être fou que d’être bourgeois. M. Darbedât l’avoue quand il dit “je suis très exactement ce que je reproche à Eve, se dit-il en s’engageant sur le boulevard Saint Germain. Je lui reproche de vivre en dehors de l’humain. Pierre n’est plus un être humain : tous les soins, tout les soins, tout l’amour

(1)J.P SARTRE, “Le Mur” PP31,32 (2)Ibid P28 (3)J.P SARE “L’Etre et Le Néant”, P631 (4)J.P SARTRE, “Le Mur” P53 86 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

qu’elle lui donne, elle en prive un peu tous ces gens-là. On n’a pas le droit de refuser aux hommes; quand le diable y serait, nous vivons en société”(1) et en sécurité. Eve se tient à ses conventions et se met contre cette sécurité trompeuse. Le jour où Pierre commence à guérir, il a l’air bête et il ne trouve plus ses idées. Á ce moment-là elle décide de le tuer. Pierre cède à la récapitulation, elle non. “Erostrate”, la troisième nouvelle nous introduit Hilbert le sadique. Il n’aime pas les hommes. Il croit qu’il faut les voir d’en haut, parce qu’ils sont des fourmis. Il les considère comme ses ennemis. Il s’amuse de leur douleur. Il achète un revolver. Il décide de tirer sur les hommes. Ses rapports avec les femmes, nous présentent un sadique typique. Il s’amuse de commencer et de s’arrêter avant de finir avec les femmes “Voilà ce que (2) je voudrais, les étonner tous” et les hommes et les femmes parce qu’ils sont là pour le voler. “Les outils mêmes dont je me servais, je sentais qu’ils étaient à eux; les mots par exemple: j’aurais voulu des mots à moi”(3). Enfin il a tiré, “au bout d’un moment, je me voyais leur tirer dessus. Je les dégringolais comme des pipes, ils tombaient les uns sur les autres”(4). Puis il s’est enfuit. Ici Sartre nous transmet un message implicite disant que c’est mieux de choisir d’être un sadique que d’être indifférent. “Intimité”la quatrième nouvelle, nous raconte l’histoire de Lulu, une jeune femme qui s’est mariée avec un homme impotent, Henri. En même temps elle a une relation illégitime avec un amant viril, Pierre. Son amant essaye de la convaincre de quitter son époux pour venir vivre avec lui. Pierre recourt à son amie Risette qui peut s’entretenir avec Lulu. Risette lui dit: “vous devez partir avec Pierre, ma petite Lulu; c’est la seule chose intelligente (….) vous ne pouvez pas rester avec Henri, puisque vous ne l’aimez plus; ce serait un crime”(5). Le problème de Lulu est qu’elle a deux personnalités, deux têtes. Elle ne veut pas quitter son mari et simultanément elle veut garder Pierre avec elle. Le premier lui représente la société, le deuxième la liberté. Son projet est contradictoire donc irréalisable : vivre libre et simultanément se mettre d’accord avec la société. La conséquence est qu’elle mène une mauvaise foi, elle est classée parmi les salauds. Lulu abandonne Henri et se prépare pour aller vivre avec Pierre. Mais pour des fausses justifications qu’elle cite pour mentir à elle-même, elle revient pour être près d’Henri. Pierre est convaincu que c’est mieux parce

(1)Ibid P 56. (2)Ibid P85 (3)Ibid P91 (4)Ibid P86 (5)Ibid P108 87 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

qu’il est un homme de bonne foi, il ne veut pas mener une vie trompeuse. Risette est déçue, car ses efforts pour s’y prendre avec elle, mènent à rien. La dernière nouvelle “L’Enfance D’Un Chef”, raconte l’histoire d’un jeune bourgeois Lucien. Le héros est obsédé par la notion de la coïncidence avec lui-même, dès son enfance et il ne le remarque pas. Lucien était un enfant gâté et menait une enfance heureuse, sa mère est une femme tendre, son père est autoritaire mais d’une autorité paternelle qui se montre clairement avec les ouvriers de son usine. Adolescent Lucien commence à se poser la question : “Qui suis-je ? je regarde le bureau, je regarde le cahier. Je m’appelle Lucien Fleurir mais ce n’est qu’un nom. Je me gobe. Je ne me gobe pas. Ça n’a pas de sens (…) ça y est, pense-t-il, ça y est ! J’en étais sûr : je n’existe pas”(1).Il ne croit plus à Dieu. “Lucien se lasse de ce jeu parce qu’il fallait faire de trop gros efforts et puis finalement on ne savais jamais si le bon Dieu avait gagné ou perdu. Lucien ne s’occupe plus de Dieu”(2). Lucien fait la connaissance d’un jeune anarchiste qui l’introduit à un surréaliste homosexuel. Mais il dégoûte la vie avec Bergère et il le quitte pour rencontrer un antisémitique, membre de l’Action Française. Il est fier d’adhérer à un mouvement antisémitique parce qu’il se croit qu’il est fait pour l’action et aussi parce qu’il va être respecté par tous ceux qui l’entourent. Il a une maîtresse. Il a l’air heureux quand il est devenu un homme sérieux et c’est pourquoi il va laisser pousser sa moustache. Il a trouvé son existence authentique dans la vie ordinaire d’un bourgeois. “Bien avant sa naissance sa place était marquée au soleil à Féroiles. Déjà bien avant même, le mariage de son père on l’attendait; s’il était venu au monde, c’est pour occuper cette place: “J’existe, pense-t-il, parce que j’ai le droit d’exister”Et pour la première, peut-être il eut une vision fulgurante et glorieuse de son destin”(3).Lucien est devenu un des hommes sérieux dont se moque Sartre, parce qu’ils justifient leur existence d’une manière ridicule. Il est un de ceux qui se contentent de leur héritage culturel comme raison d’être. Après “Le Mur”vient le roman le plus important “La Nausée”. Ce roman nous présente un jeune homme de trente ans, Antoine Roquentin qui vit en solitaire à Bouville “Le Havre”. Il est archéologue historien qui a visité beaucoup de pays de monde. Maintenant, il est en train de faire une recherche à propos d’un homme de dix-huitième siècle, M. De Rollebon. Pour faire ce travail, il doit aller à la bibliothèque municipale. Le livre ou la recherche qu’il est en train de faire prend la forme d’un agenda qu’il garde

(1)Ibid p. 177 (2)Ibid p. 165 (3)Ibid p. 244 88 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

toujours avec lui, et dans lequel il cite toutes ses expériences extraordinaires. Roquentin est toujours seul dans cette ville, il s’entretient rarement avec quelques gens. De fait, ce n’est pas seulement dans la ville mais dans la vie qu’il vit solitaire. La seule personne qui essaye d’être près de lui, est son ex-maîtresse Anny mais ils se sont séparés il y a quatre ans. Il envie les autres d’avoir des relations si fortes. “Je suis seul au milieu de ces voix joyeuses et raisonnables. Tous ces types passent leur temps à s’expliquer, à reconnaître avec bonheur qu’ils sont du même avis. Quelle importance ils attouchent, mon Dieu, à penser tous ensemble les mêmes choses”(1). Donc Roquentin est une conscience isolée prête pour s’occuper de sa contingence. Avec Roquentin on voit une conscience qui fait toutes les expériences existentialistes dont nous parle “L’Etre et Le Néant”. Tous les thèmes chères à Sartre, se trouvent dans “La Nausée “. L’existence inauthentique, la mauvaise foi, la transcendance de la création. D’abord il nous parle de la contingence, l’état d’en soi, de l’existence inauthentique. Un jour d’hiver au Jardin publique, entre les grands troncs noirs, entre les mains noires et noueuses qui se tendent vers le ciel, la nausée reprend Roquentin Dans ce passage, il essaye d’expliquer ce sentiment. “Je ne peux pas dire que je me sens allégé ni content; au contraire, ça m’écrase. Seulement mon but est atteint : je sais ce que je voulais savoir; tout ce qui m’est arrivé depuis le mois de janvier, je l’ai compris. La Nausée ne m’a pas quitté et je ne crois pas qu’elle me quittera de si tôt; mais je la subis plus, ce n’est plus une maladie ni une quinte passagère: c’est moi. Donc j’étais tout à l’heure au Jardin public. La racine du marronnier s’enfonçait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c’était une racine. Les mots s’étaient évanouis et, avec eux, la signification des choses, leurs modes d’emploi, les faibles repères que les hommes ont tracés à leur surface. J’étais assis, un peu voûté, la tête basse, seul enfance de cette masse noire et noueuse, entièrement brute et qui me faisait peur. Et puis j’ai eu cette illumination. Ça m’a coupé le souffle. Jamais, avant ces derniers jours, je n’avais pressenti ce que voulait dire “exister”. J’étais comme les autres, comme ceux qui se promènent au bord de la mer dans leurs habits de printemps. Je disais comme eux “la mer est vert”; ce point blanc, là-haut, c’est une mouette, mais je ne sentais pas que ça existait, que la mouette était une “mouette existante”; à l’ordinaire l’existence se cache. Elle est là, autour de nous, en nous, elle est nous, on ne peut pas dire deux mots sans parler d’elle, et finalement, on ne la touche pas. Quand je croyais y penser, il faut

(1)J.P.SARTRE, “LaNausée “ éd. GALLIMARD,coll. Folio, 1938, P27. 89 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

croire que je ne pensais rien, j’avais la tête vide, ou tout juste un mot dans la tête, le mot “être”(1). L’existence en soi des choses lui montre l’absurdité de son existence. Il se sent de trop parce qu’il mène une existence in authentique. “Et moi- veule alangui, obscène, digérant, ballottant de mornes pensées-moi aussi j’étais de trop. Heureusement, je ne le sentais pas, je le comprenais surtout, mais j’étais mal à l’aise parce que j’avais peur de le sentir “encore â présent j’en ai peur, j’ai peur que ça ne me soulève comme par le derrière de ma tête et que ça ne me soulève comme une lame de fond”. Je rêvais vaguement de me supprimer, pour anéantir au moins une de ces existences superflues. Mais ma mort même eût été de trop. De trop, mon cadavre, mon sang sur ces cailloux, entre ces plantes, au fond de ce jardin souriant. Et rongée eût été de trop dans la terre qui l’eut reçue et mes os, enfin, né Hoyés, écorcés, propres et nets comme des dents eussent encore été de trop : j’étais de trop pour l’éternité”(2). Ainsi “La Nausée” rapporte-t-il le surgissement de plus en plus intense d’une sensation d’écoeurement accompagnant le sentiment de l’existence dans la vie d’un homme que sa solitude et son oisiveté rendent particulièrement attentif au fait brut de sa présence au monde. Son existence apparaît au personnage principal, Antoine Roquetin, dans toute sa gratuité. Il lui semble être de trop et son existence, n’ayant nulle nécessité, se réduit au simple fait “d’être là”. A l’image d’ailleurs de tontes les existences, celle des êtres humains comme celle des choses, qu’il ressent comme “une mollesse, une faiblesse de l’être”(3). Une autre chose qui donne la nausée à Roquentin: c’est la mauvaise foi des salauds, qui l’entourent par tout. Parlant de l’un de ces hommes sérieux qui se mènent à eux-mêmes, Roquentin dit “Mais pour ce bel homme sans défauts, mort aujourd'hui, pour jean Pacôme, fils du Pacôme de la Défense nationale, il en avait été tout autrement les battements de son cœur et les rumeurs sourdes de ses organes lui parvenaient sous forme de petits droits instantanés et purs. Pendant soixante ans, sans défaillance, il avait fait usage du droit de vivre. Les magnifiques yeux gris! Jamais le moindre doute ne les avait traversés. Jamais non plus Pacôme ne s’était trompé”(4).Pacôme est le fils de la plus riche famille de Bouville, il avait fait son devoir en tant que fils, époux, père, chef et il avait réclamé son droit en

(1)Ibid PP178, 179 (2)Ibid P181. (3)Gilles VANNIER, “Histoire de la Littérature Française XXe Siècle tone (2) “1945-1988”éd Bords 1988, P143. (4)J. P. SARTRE, “La Nausée “ P122 90 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

tant qu’enfant, mari, père et chef parce que le droit n’est que l’autre face du devoir. “Il n’avait jamais fait d’autre retour sur soi : c’était un chef”(1). Roquentin se moque de ces hommes sérieux, parce qu’ils sont menteurs. “Ça me répugne, de penser que je vais revoir leurs faces épaisses et rassurées. Ils légifèrent, ils écrivent des romans populistes, ils se marient, ils ont l’extrême sottise de faire des enfants. Ils se marient, ils ont l’extrême sottise de faire des enfants. Cependant la grande nature vague S’est glissée dans leur ville, elle s’est, partout, dans leur maison, dans leurs bureaux en eux-mêmes. Elle ne bouge pas, elle se tient tranquille et eux, ils sont en plein dedans, ils la respirent et ils ne la voient pas, ils s’imaginent qu’elle est dehors”(2).Ils font cela parce que “l’acte premier de mauvaise foi est pour fuir ce qu’on ne peut pas fuir, pour fuir ce qu’on est”(3). Maintenant Roquentin pose la question: comment je peux dépasser cette absurdité et cette nausée ? Il trouve la réponse dans une chanson. “A ce moment précis, de l’autre coté de l’existence, dans cet autre monde qu’on peut voir de loin mais sans jamais l’approcher, une petite mélodie s’est mise à danser, à chanter : “C’est comme moi qu’il faut être; il faut souffrir en mesure”La voix chante : Somes of these days. You’ll miss me honey On a dû rayer le disque à cet endroit-là, parce que ça fait un drôle de bruit. Et il y a quelque chose qui serre le cœur: c’est que la mélodie n’est absolument pas touchée par ce petit toussotement de l’aiguille sur le disque. Elle est si loin, si loin derrière. Ça aussi je le comprends: le disque se raye et s’use la chanteuse est peut-être morte; moi je vais m’en aller, je vais prendre mon train. Mais derrière l’existant qui tombe d’un présent à l’autre, sans passé, sans avenir, derrière ces sons qui, de jour en jour, se décomposent, s’écaillent et glissent vers la mort, la mélodie reste la même, jeune et ferme, comme un témoin sans pitié”(4). Roquentin trouve sa raison d’être dans l’art et c’est pourquoi il choisit d’écrire un roman. Dans son livre “il faudrait qu’on devine, derrière les mots imprimés, derrière les pages, quelque chose qui n’existerait pas, qui serait au dessus de l’existence”(5). “La Nausée”nous propose “Les chemins De la liberté”, un roman composé de trois parties. La première intitulée “L’Age de Raison”. Les héros de ces romans, contrairement à Roquentin, ne se contentent pas de la

(1)Ibid P 123. (2)Ibid P 221. (3)J. P. SARTRE “L'Etre et Le Néant “ P 111. (4)J.P. SARTRE, “La Nausée “ P224. (5)Ibid P 274. 91 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

création artistique comme solution, ils nous présentent l’idée que sans l’action collective, le sentiment de l’existence reste encore absurde. “L’Age de Raison”nous présente trois personnages principaux. Mathieu, un professeur de philosophie dans un lysée parisien et ces deux amis Daniel, l’homosexuel qui n’a pas d’autre souci que d’être homosexuel, et Brunet un communiste actif. En plus le roman nous présente une foule de personnages secondaires qui jouent des rôles importants. Mathieu est un homme intelligent, comme Roquentin il souffre de l’angoisse existentialiste causée par la douloureuse contradiction quand il se trouve, obligé de choisir sans aucun principe de choix, sans aucun étalon d’après lequel il puisse juger s’il a bien ou mal choisi. Mathieu ne se met jamais d’accord avec lui-même, parce qu’il est toujours contraint à des options dont il n’aperçoit pas toutes les conséquences et qu’il ne saurait justifier. Mathieu envie son ami Brunet qui se consacre à la vie politique en adhérant au parti communiste où il retrouve le soulagement parce qu’il est libéré de la pesanteur du choix individuel. “Le calme de Brunet était énorme. C’était apaisant et exaspérant à la foi. Il n’avait jamais l’air d’être un seul homme, il avait la vie lente, silencieuse et bruissante d’une foule”(1).Il connaît son chemin et son choix, il ne demande pas à Mathieu son avis parce qu’il est “l’avis d’un bourgeois, d’un sale intellectuel, d’un chien de garde”(2). Quant à Daniel, le deuxième ami, l’homosexuel qui exerce plusieurs formes de tortures contre lui-même, arrivant de cette manière à l’existence inauthentique comme son ami Mathieu, car “un homosexuel a fréquemment un intolérable sentiment de culpabilité et son existence tout entière se détermine par rapport à ce sentiment. On en augurera volontiers qu’il est mauvaise foi. Et, en effet, il arrive fréquemment que cet homme, tout en reconnaissant son penchant homosexuel, tout en avouant une à une chaque faute singulière qu’il a commise, refuse de toutes ses forces de se considérer comme “un pédéraste”. Son cas est toujours “à part”singulier; il y entre du jeu, du hasard, de la malchance; ce sont des erreurs passées, elle s’expliquent par une certaine conception du beau que les femmes ne sauraient satisfaire, il faut y voir plutôt les effets d’une recherche inquiète que les manifestations d’une tendance bien profondément enracinée, etc. Voilà assurément un homme d’une mauvaise foi qui touche au comique puisque, reconnaissant tous les faits qui, lui sont imputés, il refuse d’en tirer la conséquence qui s’impose”(3).Daniel se voit comme “un seul, un lâche, un

(1)J. P. SARTRE, “L'Age de Raison “, éd. Gallimard, coll. Le Livre de Poche, 1945,P60 (2)J Ibid P 61. (3)J. P. SARTRE, “L'Etre et Le Néant “ PP103,104. 92 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

type qui aimait ses chats et qui ne voulait pas les foutres à l’eau. (…). En silence: même au dedans de lui-même il faisait silence, il avait trop honte pour parler devant soi (…) c’était comme s’il passait en détournant la tête devant quelqu’un qui le regardait avec mépris. En lui, c’était toujours le désert et le silence”(1). Revenons à notre histoire essentielle, celle de Mathieu. Mathieu a une maîtresse, Marcelle, qui est enceinte. Mathieu ne veut pas de ce bébé et ne veut pas se marier avec Marcelle. Selon lui parce qu’il ne l’aime plus et en plus parce qu’il est un intellectuel et un certain type des hommes ne doit pas se marier ni avoir une famille, ou des enfants. C’est pourquoi il décide de la faire avorter mais l’opération est très chère, donc, il lui faut chercher de l’argent. Mathieu est déchiré par les contradictions. Il réclame la liberté mais il ne veut pas en assumer la responsabilité. Ses amis le voient un “homme qui veut être libre. Il mange, il boit ne ment, il ne fait pas de politique, il lit L’Œuvre et Le Populaire, il a des ennuis d’argent. Seulement, il veut être libre, comme d’autres ventent une collection de timbres. La liberté, c’est son jardin secret. Sa petite connivence avec lui-même. Un type paresseux et froid, un peu chimérique mais très raisonnable au fond, qui s’est sournoisement confectionné un médiocre et solide bonheur d’inertie et qui se justifie de temps en temps par des considérations élevées”(2). Pendant qu’il est en train de chercher l’argent pour l’avortement, il se préoccupe de la guerre civile en Espagne et il le regret de ne pas y participer. En plus il se donne à l’amour d’une jeune russe, Ivich. Brièvement on peut dire que Mathieu est l’ensemble des contradictions, qui marche à pied. Il est professeur mais il ne croit pas à l’enseignement, tous ses actes contredisent sa mission “L’Age de Raison”, se termine par le mariage de Daniel avec Marcelle, l’union par laquelle Daniel veut se punir, contenter Marcelle et garder l’enfant. Enfin Daniel se retrouve en affirmant que les pédérastes qui se vantent ou qui s’affirment ou simplement qui consentent … ce sont des morts; ils se sont tués à force d’avoir honte. Je ne veux pas de cette mort-là {…} “C’est vrai, pensa Mathieu, il a été jusqu’au bout, cette fois. Il est libre”, pensa-t-il. Et l’horreur que Daniel lui inspirait, se mélangea soudain d’envie”(3). “Le Sursis”est un panorama européen pendant la crise de Munich. Les mêmes trois personnages de “L’Age de Raison”réapparaissent avec d’autres, y compris Neville Chambelain, Sir Horace Wilson et Benes. Les événements du roman se passent simultanément en France, en Allemagne, et en Angleterre. L’approche existentialiste des personnages, surgit

(1)J. P. SARTRE, “L'Age de Raison “, P132 (2)J Ibid P 71. (3)J Ibid P 437. 93 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

rarement quand les protagonistes luttent pitoyablement dans les situations politiques ou ils sont, ils le font pour acquérir la transcendance humaine. Le souci sartrien qu’on est responsable de tout ce qui se passe dans le monde entier, est si clair dans ce roman. Le roman commence le 26 septembre 1938, un jour avant le sursis de Munich. En Allemagne Hitler parle, en France une jeune israélite, Ella écoute avec horreur son discours transmis par la radio. Mathieu, le professeur de philosophie, est en vacances, il pense à la voix d’Hitler qui remplit tout l’Europe et il pense à la guerre inévitable. “Il pensa: je pars pour la guerre et cela ne signifiât rien. Quelque chose lui était arrivée qui le dépassait. La guerre le dépassait. Ça n’est pas tant qu’elle me dépasse, c’est qu’elle n’est pas là. Où est-elle? Par tout : elle prend naissance de par tout, le train fonce dans la guerre, Gomes atterrit dans la guerre, ces estivants en toile blanche se promènent dans la guerre, il n’est pas un battement de cœur qui ne l’alimente, pas une conscience qui n’en soit traversée. Et pourtant, elle est comme la voix d’Hitler, qui remplit ce train et que je ne peux pas entendre : J’ai déclaré nettement à M. Chamberlain ce que nous considérons maintenant comme la seule possibilité de solution; de temps en temps on croit qu’on va la toucher, sur n’importe quoi, dans la sauce d’un tournedos, on avance la main, elle n’est plus là: il ne reste qu’un bout de viande dans la sauce. Ah! Pense-t-il, il faudrait être partout à la fois”1 Ainsi Sartre donne-t-il un sens existentialisme au simultanéisme, et en lisant ce roman, on est partout à la fois. Avec le troisième roman “La Mort dans L’Ame”, on revient au gros plan de nos trois personnages principaux : Mathieu, Daniel et Brunet. Mathieu et Brunet sont dans l’armée. Daniel qui ne fait pas partie des combattants, se trouve à Paris quand les troupes allemandes arrivent. Mathieu est dans un petit village avec les soldats français qui ont perdu leurs dirigeants. Ils s’organisent et réunissent à arrêter l’avance des Aallemands. Soudainement, Mathieu prend la décision de tirer, et il prend vengeance de toutes ses hésitations d’autrefois. “Il s’approcha du parapet et se mit à tirer debout. C’était une énorme revanche; chaque coup de feu le vengeait d’un ancien scrupule. Un coup sur Lola que je n’ai pas osé voler, un coup sur Marcelle que j’aurais du plaquer, un coup sur Odette que je n’ai pas voulu baiser. Celui-ci pour les livres que je n’ai pas osé écrire, celui-ci pour les voyages que je me suis refusés, cet autre sur tous les types, en bloc, que j’avais envie de détester et que j’ai essayé de comprendre. Il tirait les lois volaient en l’air, tu aimeras ton prochain comme toi-même, pan dans cette gueule de con tu ne tueras point, pan sur le faux jeton d’en face. Il tirait sur l’Homme, sur la Vertu, sur le Monde : La Liberté, c’est La Terreur le

(1)J. P. SARTRE, “Le Suris”, éd. Gallimard, coll-folio, 1972, P315 94 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

feu brûlait dans la mairie, brûlait dans sa tête (…) Il tira : il était pur, il était tout puissant, il était libre”(1). Quant à Daniel, il profite de la confusion de la guerre pour revenir à ses relations homosexuelles avec un jeune révolté, Philippe. Dans l’autre côté, on voit Brunet avec les prisonniers Français en Allemagne, il devient un dirigeant communiste puritain, il impose certaines règles à ses camardes afin qu’ils soient prêts pour la libération. Ce qu’on remarque dans tous les romans sartriens, est qu’ils nous présentent des lâches qui vivent dans la mauvaise foi comme protagonistes set ce n’est pas par hasard qu'ils sont comme ça. Sartre parlant du message qu’il veut transmettre à travers ces personnages, dit “si les gens nous reprochent nos œuvres romanesques dans lesquelles nous décrivons des êtres veules, faibles, lâches et quelquefois même franchement mauvais car si comme Zola, nous déclarions qu’ils sont ainsi à cause de l’hérédité, à cause de l’action du milieu, de la société, à cause d’un déterminisme organique ou psychologique, les gens seraient rassurés, ils diraient : voilà nous sommes comme ça, personne ne peut rien y faire; mais l’existentialiste, lors qu’il décrit un lâche, dit que ce lâche est responsable de sa lâcheté. Il n’est pas comme ça parce qu’il a un cœur, un poumon on un cerveau lâche est responsable de sa lâcheté mais il est comme ça parce qu’il s’est construit lâche par ces actes (….). Un des reproches qu’on fait le plus souvent aux “Chemins De La Liberté”se formule ainsi : mais enfin, ces gens qui sont si veules, comment en ferez-vous des héros ? Cette objection prête plutôt à rive car elle suppose que les gens naissent héros (….) Ce que dit l’existentialiste, c’est que le lâche se fait lâche, que le héros se fait héros; il y a toujours une possibilité pour le lâche de ne plus être lâche, et pour le héros de cesser d’être un héros”(2).

(2.1.3) L’absurde dans le théâtre sartrien

Sartre adore le théâtre parce qu’il y retrouve le moyen d’expression le plus efficace, selon lui “un livre peut parler à voix basse : le drame et la comédie doivent élever la voix. C’est peut-être ce qui m’attire dans le théâtre : ce coup de force et cette voix forte et le risque de tout perdre en une nuit. Cela m’oblige à parler autrement, cela est vraie”(3).Il croit que le théâtre est la chose du public, il doit être un théâtre populaire, c’est-à-dire un théâtre qui parle au public de lui-même et”s’il est vrai que l’homme est libre dans une situation donnée et qu’il se choisit dans et par cette situation,

(1)J. P. SARTRE, “La Mort dans L'Ame “ éd.Gallimard, coll. Le livre de poche,1949,PP280,281 (2)J. P. SARTRE, “L’Existentialisme est un Humanisme” PP 54, 55, 56. (3)J. P. SARTRE, “Un Théâtre de situations”, éd – Gallimard, coll. nrf, 1973, PP 92, 93. 95 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

alors il faut montrer au théâtre des situations simples et humaines et des libertés qui se choisissent dans ces situations”(1). D’abord nous allons aborder “Les Mouches”. Oreste, c’est, le héros de cette pièce théâtrale. L’amant de sa mère Egisthe, a tué son père, Agamemnon et il a pris le pouvoir et devenu le roi d’Argos. L’assassin règne et les gens n’ont rien dit et “le lendemain, quand ils ont entendu leur roi hurler de douleur dans le palais, et ils n’ont rien dit encore, ils ont baissé leurs paupières sur leurs yeux retournés de volupté et la ville tout entière était comme une femme en rut”(2).Même les Dieux n’ont rien dit parce qu’ils croient qu’il a refusé l’ordre moral. Peu après la mort de Agamemnon, Egisthe a donné l’ordre d’assassiner Oreste. Ses meurtriers pris de pitié l’ont abandonné dans la forêt. Il a été recueilli et élevé par des riches bourgeois d'Athènes. Comme tous les fils des riches, il a été élevé par un pédagogue. Ce pédagogue a consacré dix ans à Oreste. Il lui a fait lire tous les livres pour le familiariser avec la diversité des opinions humaines et pour le montrer en chaque circonstance comme c’est une chose variable que les mœurs des hommes. A présent Oreste est “jeune, riche, et beau, avisé comme un vieillard, affranchi de toutes les servitudes et de toutes les croyances, sans famille, sans patrie, sans religion, sans métier, libre pour tous les engagements et sachant qu’il ne faut jamais s’engager, un homme supérieur enfin”(3). Les Dieux ont envoyé des mouches à Argos, comme châtiment, toute la ville est en noir. Electre, la sœur d’Oreste est devenue une servante, est toujours maltraitée et battue, tous les jours il lui faut laver le linge du roi et de la reine et vider la caisse des ordures. Il lui faut aussi servir Jupier le dieu de la mort et des mouches. Elle est toujours seule et elle n’a pas le courage de s’enfuir. Oreste décide de tuer sa mère et son amant, tandis que Electre qui se montre révoltée, vacille et a peur des mouches, les déesses du remords. Oreste, étranger aux notions traditionnelles du Bien et du Mal, devient le symbole de la liberté humaine incompatible avec l’existence de Dieu, de la responsabilité assumée dans un geste authentique. Il dit à Electre qui ne veut pas qu’ils soient pour toujours les assassins de leur mère, “Crois-tu que je voudrais l’empêcher? J’ai fait mon acte, Electre, et cet acte était bon. Je le porterai sur mes épaules comme un passeur d’eau porte les voyageurs, je le ferrai passer sur l’autre rive et j’en rendrai compte, en plus il sera lourd à porter, plus je me réjouirai, car ma liberté, c’est lui”(4).

(1) I bid P20. (2)J. P SARTRE, “Les Mouches”, éd. Gallimard, coll. Folio 1947, P112 (3) Ibid PP 122, 123 (4) I bid P210 96 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

Oreste défie Jupiter en lui affirmant “hier, j’étais près d’Electre; toute ta nature se pressait autour de moi; elle chantait ton Bien, la sirène, et me prodiguait les conseils (….) Ma jeunesse, obéissant à tes ordres s’était levée (…) tout à coup la liberté a fondu sur moi et m’a transi, la nature a sauté en arrière, et je n’ai plus eu d’âge, et je me suis senti tout seul, au milieu de ton petit monde bénin, comme quelqu’un qui a perdu son ombre ! et il n'y a plus rien en un ciel, ni Bien ni Mal, ni personne pour me donner des ordres”(1). Oreste assume toute la responsabilité et sort, suivi des mouches. D’après Sartre “Oreste est libre pour le crime et par delà le crime {il l’a} montré en proie à la liberté comme Oedipe est en proie à son destin. Il se débat sous cette poigne de fer mais il faudra bien qu’il tue pour finir, et qu’il, charge son meurtre sur ses épaules et qu’il le passe sur l’autre rive. Car la liberté n’est que ce pouvoir abstrait de survoler la condition humaine: C’est l’engagement le plus absurde et le plus inexorable. Oreste poursuivra son chemin, injustifiable, sans excuse, sans recours, seul. Comme un héros. Comme n’importe qui”(2). Sartre, le philosophe répète toujours que “l’enfer c’est les autres”et la phrase reste mal comprise et c’est pourquoi il a écrit “Huis Clos”. La pièce nous présente trois personnages morts Garcin, Estelle et Inès. Garcin n’est qu’un lâche qui se prenait pour un héros. Il voit sa vérité dans le regard d’autrui quand Inès lui raconte son histoire: “Tu as rêvé trente ans que tu avais du cœur; et tu te passais mille petites faiblesses parce que tout est permis aux héros. Comme c’était commode! Et puis à l’heure du danger, on t’a mis au pied du mur et … tu as pris le train pour Mexico”3 Garcin torturait sa femme parce que c’était facile. Elle en est morte. Au début d’une guerre, au lieu d’affirmer son pacifisme, il a fui. Il a été arrêté et a été fusillé. Pour convaincre Inès, la femme qui n’aime pas les hommes, il lui dit qu’il n’a pas rêvé de cet héroïsme mais il l’a choisi parce qu’on est ce qu’on veut Inés qui est comme Sartre, convaincue que nous nous faisons de nous-mêmes et nos intentions sont sans valeur et que ce sont nos actes qui nous jugent, elle demande de Garcin de prouver cette vérité par les actes. Il lui dit qu’il est mort si jeune et on ne lui a pas laissé le temps de faire ses actes. Le conflit des consciences continue. Négligent le regard d'Inès, Garcin veut embrasser Estelle, Inès qui a besoin des souffrances des autres pour subsister, leur dit “Garcin le lâche tient dans ses bras Estelle l’infanticide. Les pairs sont ouverts. Garcin le lâche l’embrassera-t-il? Je vous vois, je vous vois; à moi seule je suis une foule, la foule, Garcin, la foule, l’entends-

(1) I bid P236 (2) J. P SARTRE “Un Théâtre De Situations” P223 (3) J. P SARTRE, “Huis Clos”, éd. Gallimard, coll. Folio, 1947, P90 97 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

tu? En vain tu me fuis, je ne te lâcherai pas. Que vas-tu chercher sur ses lèvres? L’oubli? Mais je ne t’oublierai pas, moi. C’est moi qu’il faut convaincre. Moi. Viens, viens ! Je t’attends. Tu vois Estelle, il desserre son étreinte, il est docile comme un chien … Tu ne l’auras pas !”1 Estelle essaye de tuer Inès, elle prend le coupe-papier qui est sur la table, s’approche d'Inès et lui donne des coups. Tout ce qu’elle a fait est en vain parce que Inès est morte, de fait, les trois, sont morts. “Elle laisse tomber le couteau. Un temps Inès ramasse le couteau et s’en frappe avec rage. Inès Morte ! Morte ! Morte ! Ni le couteau, ni le poison, ni la corde. C’est déjà fait, comprends-tu? Et nous sommes ensemble pour toujours”(2). Garcin adressant la parole à Estelle et Inès dit “tons ces regards qui me mangent “Il se retourne brusquement”Ha ! Vous n’êtes que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses. “Il rit”Alors C’est ça l’enfer. Je n’aurais jamais cru … vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril ….! Ah! Quelle plaisanterie! Pas besoin de gril: l’enfer, c’est les Autres”(3). Beaucoup de lecteurs croient que Sartre veut dire que tous les rapports avec les autres, sont empoisonnés et infernaux, et ce n’est pas vrai. Sartre dit “je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l’autre ne peut être que l’enfer. Pourquoi? Parce que les autres sont au fond, ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître au fond nous usons des connaissances que les autres ont déjà sur nous. Nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont nous ont donnés de nous juger. Quoi que je dise sur moi, toujours le jugement d’autrui entre dedans. Quoi que je sente en moi, le jugement d’autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d’autrui. Et alors en effet je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu’ils dépendent trop du jugement d’autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu’on ne puisse avoir d’autres rapports avec les autres. Ça marque simplement l’importance capitale de tous les autres pour chacun de nous”(4). De plus â travers “Huis Clos”il parle des morts vivants. On remarque que les trois personnages sont morts, “bien entendu, ici, “morts”symbolise quelque chose. Ce que {Sartre a} voulu indiquer, c’est précisément que beaucoup de gens sont encroûtes dans une série d’habitudes, des coutumes, qu’ils ont sur eux des jugements dont ils souffrent mais qu’ils ne

(1) I bid PP 92, 93 (2) I bid P 94 (3) I bid P 93 (4) J. P. SARTRE, “Un Théâter De Situations” P238 98 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

cherchent même pas à changer. Et que ces gens-là sont comme morts. En ce sens qu’ils ne peuvent briser le cadre de leurs soucis, de leurs préoccupations et de leurs coutumes; et qu’ils restent ainsi victimes souvent des jugements qu’on a portés sur eux. A partir de là, il est bien évident qu’ils sont lâches ou méchants, par exemple. S’ils ont commencé à être lâches, rien ne vient changer le fait qu’ils étaient lâches. C’est pour cela qu’ils sont morts, c’est pour cela, c’est une manière de dire que c’est une mort vivante que d’être entouré par le souci perpétuel de jugements et d’actions que l’on ne veut pas changer”(1). Sartre nous donne l’espoir quand il prétend que quel que soit le cercle d’enfer qui nous entoure, nous pouvons si nous voulons le briser et si nous refusons de le faire, nous nous mettons librement en enfer. Le thème du bourreau et la victime, s’incarne dans “Morts Sans Sépultures”. Les héros de la pièce sont des résistants contre l’occupation allemande, et des miliciens qui collaborent avec elle. Canons, Sorbier, François, Lucie Jean et Henri, sont arrêtés par les miliciens. Ils ont le sentiment de culpabilité. “Trois cents. Trois cents qui n’avaient pas accepté de mourir et qui sont morts pour rien. Ils ont couchés entre les pierres et le soleil les noircit; on doit les voir de toutes les fenêtres. A cause de nous, a cause de nous, dans ce village il n’y a plus que des miliciens, des morts et des pierres! ”(2 ). Ils sont enfermés dans une chambre, et chacun à son tour, est appelé par les miliciens pour être torturé afin de dire qui est leur chef et où se trouve-t-il ? De fait leur chef c’est Jean. Alors commence la torture, qu’est-ce qu’ils vont faire ? C’est la raison pour la quelle Sartre dit “Ce n’est pas une pièce sur la Résistance. Ce qui m’intéresse, ce sont les situations limites, et les réactions de ceux qui s’y trouvent placés. J’ai pensé, à un moment, à situer ma pièce pendant la guerre d’Espagne. Elle pourrait aussi bien passer en Chine. Mes personnages se posent cette question qui a tourmenté tant d’hommes de notre génération dans le monde entier. “Comment tiendrais-je devant la torture?”(3). On prend chacun d’entre eux, on l’isole et on le torture. Les miliciens se montrent contents d’entendre les cris et de voir la peur, la honte sur la visage de leur victime. François, le môme ayant peur des cris et de la torture, dit aux autres “vous m’avez dit : La Résistance a besoin d’hommes, vous ne m’avez pas dit qu’elle avait besoin de héros”(4). Il ne peut plus le

(1) I bid P239 (2) J. P SARTRE, “Morts Sans Sepulture”, éd. Gallimond coll. Nrf, 1947, P175 (3) J. P SARTRE, “Un Théâtre De Situations”, P241 (4) J. P SARTRE, “Morts Sans Sépulture”, P182 99 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

supporter, il décide de parler parce qu’il veut n’importe quelle vie, quant à l’honte elle passe quand la vie est longue. Les résistants l’ont tué parce qu’ils veulent gagner. Gagner quoi ? Ils croient qu’ “il y a deux équipes : l’une qui veut faire parler l’autre”(1) s’ils parlent, ils ont tout perdu. Défait, le thème principal c’est la honte que le criminel veut voir dans les yeux de sa victime pour se satisfaire. Sartre a voulu “montrer en particulier cette espèce d’intimité qui finit par naître entre le bourreau et sa victime, et qui dépasse le conflit de principes. Le milicien a besoin d’abaisser le résistant, de le contraindre à une lâcheté proche de la sienne : car cela lui apporte la seule justification qu’il puisse trouver”(2).C’est pourquoi quand les résistants leur donnent des informations, les miliciens se montrent contents ne pas parce qu’ils ont obtenu ces informations mais parce qu’ “on a fini par les avoir”(3).Leur sortie est différente, ils étaient moins fiers qu’à l’entrée. Les miliciens sont sadiques et le regard de la victime leur fait peur parce que le “regard d'Autrui dans le monde de sadique fait s’effondrer le sens et le but du sadisme”(4).Quand Lucie violée dit “J’étais de pierre et je n’ai pas senti leurs mains. Je les regardais de face et je pensais : il ne se passe rien (…) A la fin, je leur faisais peur”(5) quand Luci dit ces mots, elle explique comment le sadique découvre son échec dans le regard de la victime, et comment il découvre qu’il ne peut pas agir sur la liberté de l’Autre par les instruments de torture. La quatrième pièce qu’on va aborder c’est “La Putain Respectueuse “. La putain américaine Lizzie est en train de manœuvrer l’aspirateur quand un nègre arrive chez elle pour lui demander de dire qu'il n'a rien fait et pour se cacher chez elle. En même temps, dans la salle de bain, se trouve Fred qui a passé la nuit avec elle mais il refuse de lui dire son nom. Graduellement on connaît l’histoire de Fred. Il vient chez Lizzie pour l’empêcher de dire la vérité. Quelle vérité ? Lizzie est arrivée avant hier de New York par le rapide de six heures. Deux nègres sont entrés dans la wagon de Lizzie, ils étaient tranquilles et parlaient entre eux; ils n’ont même pas regardé Lizzie. Après, quatre blancs sont montés et il y en a deux qui ont serré Lizzie de près. Ils venaient de gagner un match de rugby, ils étaient saouls. Ils ont dit que ça sentait le nègre et ils ont voulu jeter les noirs par la portière. Les autres se sont défendus comme ils ont pu; à la fin un blanc a reçu un coup de poing sur l’œil; c’est là qu’il a sorti son revolver

(1) I bid P218 (2) J. P. SARTRE “Un Théâtre De Situations” PP241, 242 (3) J. P. SARTRE “Morts Sans Sépulture”, P250 (4) J. P. SARTRE “L’Etre et Le Néant” P477 (5) J. P. SARTRE “Morts sans Sépulture” P 221, 222 100 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

et qu’il a tiré. C’est tout. L’autre nègre a sauté du train comme on arrivait en gare”(1).Le blanc c’est le cousin de Fred. Fred essaye de convaincre Lizzie de ne pas témoigner contre un blanc pour un noir, mais elle insiste que le coupable c’est le blanc et elle dira ce qu’elle a vu. En utilisant tous le moyens possibles Fred, tente de persuader Lizzie de changer son avis. D’abord il lui montre que Thomas c’est son cousin et qu’il est un homme de bien et qu’il est un chef. Ensuite il lui donne de l’argent. Après il lui menace en lui disant “Tu ne dis rien? Tu es donc pourrie jusqu’aux os? “Il la jette à genoux”A genoux, putain ! A genoux devant le portrait de l’homme que tu veux déshonorer!”(2). Maintenant arrive le père de la famille, le sénateur et il change de style et de manière à convaincre. Il fait recourt au langage que Sartre considère comme un des moyens qui nous aident à priver autrui de sa liberté. Le sénateur à ses fils et à Lizzie”elle a parfaitement raison. Vous entrez chez elle sans en avoir le droit (….). Sans en avoir le moindre droit; vous la brutalisez et vous voulez la faire parler contre sa conscience. Ce ne sont pas des procédés américains? Est-ce que le nègre vous a violentée, mon enfant”(3). Puis il lui parle de Mary, sa sœur et la mère de Thomas. Il a réussi de la convaincre de signer le témoignage écrit qui est faux d’un bout à l’autre. Brusquement, Lizzie se réveille, décide de le cacher chez elle. A la fin Fred revient pour tuer le nègre et pour lui demander de se marier avec lui. Qu’est-ce que Sartre veut dire à travers cette pièce antiraciste? Il veut dire “dans n’importe quelle circonstance, dans n’importe quel temps et dans n’importe quel lieu, l’homme est libre de se choisir traître ou héros, lâche ou vainqueur. En choisissant pour lui-même l’esclavage ou la liberté, il choisit du même coup un monde où l’homme est libre ou esclave et le drame naît de ses efforts pour justifier ce choix. En face des dieux, en face de la mort ou des tyrans, une même certitude, triomphante ou angoissée, nous reste: celle de notre liberté”(4). Passons à la pièce sartrienne la plus importante “Les Mains Sales”. L’action des “Mains Sales”se passe dans un pays imaginaire, L’Illyrie dont la situation ressemble à celle de la Hongrie. Les héros sont Hugo et Hoederer. Hugo est un jeune intellectuel d’origine bourgeoise. Le parti communiste lui a accordé la mission d’assassiner Hoederer, le chef du parti, parce que ce dernier est en train de former avec la droite un gouvernement provisoire pour éviter la guerre avec les russes. Hoederrer aime beaucoup

(1) Voir J. P. SARTRE, “La Putain Respectueuse”éd Gallimard, coll. nrf, 1947, P 271 (2) I bid P 278 (3) I bid P 279 (4) J. P. SARTRE, “ Un Théâtre De Situations ” PP244, 245 101 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

Hugo et c’est pourquoi il essaye de lui faire apprendre que quelquefois la fin justifie le moyen et pour être efficace parfois on se trouve obligé de se salir les mains en lui disant “tous les moyens sont bons quand ils sont efficace”(1). A la fin Hugo tue Hoederer pour rien car à la demande des russes, tous les communistes adoptent sa politique. Mais on n' est pas certain s’il l'a tué parce que le parti lui avait demandé de le faire, ou parce qu'il a trouvé son amante dans ses bras. A travers cette pièce, Sartre veut examiner dialectiquement le problème des exigences de la praxis à l’époque car à l’époque des “Mains Sales”, Sartre adopte une nouvelle attitude. Autrefois pendant le temps de “La Nausée”, “Sartre croyait que c’était seulement en existant sur le plan imaginaire, seulement en créant des œuvres d’imagination qu’il échapperait à la grande masse informe et visqueuse de la vie contingente {….}. Son évolution dans une tout autre direction s’amorça juste avant la guerre et se poursuivit plus rapidement dans le camp de prisonniers en Allemagne où il passa neuf mois. Cela le poussa à prendre une part active dans la Résistance, mais ce n’était que le signe extérieur d’une nouvelle attitude. Il en vint à penser qu’au lieu de chercher un refuge contre l’horreur et l’insuffisance des choses dans un monde imaginaire, il fallait le chercher dans le cœur de l’homme. L’homme en tant que conscience, disait Sartre s’arrache à la masse visqueuse du donné, tandis que l’homme en tant que liberté transcende cette masse pour se projeter dans l’avenir”(2). L’attitude de Sartre à l’égard de ses personnages est un peu compliquée, il comprend Hugo mais il est pour Hœderer et il l’a dit à un journaliste “j’ai la plus grande compréhension pour l’attitude de Hugo, mais vous avez tort de penser que je m’incarne en lui. Je m’incarne en Hœderer”(3).Sartre de la deuxième phase, est convaincu comme Hœderer que “nous ne luttons ni contre des hommes ni contre une politique mais contre la classe qui produit cette politique et ces hommes”(4).Hœderer critique les intellectuels et les anarchistes bourgeois, y compris Hugo, qui tire prétexte de la pureté pour ne rien faire, Quant à lui, Hœderer, il a les mains sales jusqu’aux coudes et il les a pongées dans la merde et dans le sang parce qu’on ne peut gouverner innocemment(5) Selon Sartre et Hœderer, un révolutionnaire rêve d’une révolution qui change le monde et ne le fait sauter et pour le faire s’il est obligé de mentir,

(1) - J. P. SARTRE, “Les Mains Sales”, éd. Gallimard, coll. Le livre de poche, 1948, P202 (2) Calude FRANCIS, Fernande CONTIER “Les écrits de Simone de Beauvoir”, éd. Gallimard, coll. nrf, 1979, P334 (3) J. P. SARTRE, “UN Théâtre De Situation”, P259 (4) J. P. SARTRE, “Les Mains Sales” P202 (5) Ibid P203 102 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

il ment. Tandis que “Le refus du mensonge est chez Hugo un fait radical {et pour Sartre et Hœderer} le mensonge doit être réduit le plus possible dans les limites imposées par les exigences de le praxis. Le mensonge ne doit pas être condamné ni, naturellement, approuvé a priori “en faisant par exemple une technique machiavélique) mais il n’est pas anormal qu’il apparaisse quand les circonstances l’imposent”(1). La pièce suivante c’est “Le Diable Et Le Bon Dieu”. Elle nous présente Goetz qui est un chef allemand. Il est malfaiteur, criminel. Le Mal est sa raison d’être. Il assiège Worms, la ville des prêtres, parce qu’il veut la prendre. Les prêtres demandent aux paysans de défendre leur ville. Les pauvres guidés par Nasty refusent et se révoltent contre l'église. Un curé, Heinrich, pour protéger ses frères, donne la clé de la ville à Goetz. Comme d’habitude Gotez qui aime le Mal, décide de détruire Worms et de tuer tout, les prêtres et les paysans. Mais Heinrich le convainc que tout le monde fait le Mal et personne ne fait le Bien. Gotez lui parie de faire le Bien. Il lève le siège, il libère les prêtres et il donne ses terres aux paysans. Mais ils se tuent et la discipline disparaît. Soudain, Goetz découvre qu’il n’y a pas de Providence ni de morale absolue. C’est pourquoi déclare-t-il, en s’adressant à Heinrich “moi seul curé, tu as raison. Moi seul. Je suppliais, je quémandais un signe, j’envoyais au Ciel des messages: pas de réponse. Le Ciel ignore jusqu’ à mon nom. Je me demande à chaque minute ce que je pouvais être aux yeux de Dieu. A présent je connais la réponse: rien. Dieu ne me voit pas, Dieu ne m’entend pas, Dieu ne me connaît pas Tu vois ce vide au-dessus de nos têtes? C’est Dieu. Tu vois cette brèche dans la porte? C’est Dieu. Tu vois ce trou dans la terre c’est Dieu encore. Le silence c’est Dieu L’absence c’est Dieu. Dieu c’est la solitude des hommes. Il n’y avait que moi : j’ai décidé seul du Mal; seule j’ai inventé le Bien. C’est moi qui ai triché, moi qui ai fait des miracles, c’est moi qui m’accuse aujourd’hui, moi seul qui peux m’absoudre; moi, l’homme. Si Dieu existe, l’homme est néant si l’homme existe”(2).Dieu est néant. “Goetz triche parce que le problème est faux. Les événements le lui montrent. Qu’il fasse le Bien ou le Mal, les résultats sont les mêmes et les mêmes désastres l’accablent. Pourquoi? Parce que dans les deux cas ses actes sont déterminés par des rapports à Dieu, non par rapport à l’homme. Il exerce d’abord la violence pour défier Dieu; et les paysans par exemple, souffrent de ses pillages. Puis il se l’interdit pour lui obéir, mais il les voue de même au malheur en refusant d’organiser leur révolte. Sur un plan personnel d’autre part, en observant les lois divines, il n’aboutit qu’à détruire

(1) J. P. SARTRE “ Un Théâtre De Situation ” P263 (2) J. P. SARTRE “Le Diable Et Le Bon Dieu”, éd Gallimard, coll. Folio, 1951, PP 237, 238 103 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

systématiquement l’humain en lui {….}. Il avait chéri la violence, d’abord pour braver Dieu, puis l’avait bannie pour lui plaire. Il sait maintenant qu’il faut parfois être violent, parfois se montrer pacifique. Il entre donc parmi ses frères et se joint à la révolte des paysans. Entre le Diable Dieu, il choisit l’homme”1 La dernière pièce que nous allons aborder c’est “Les Séquestré D'Altona “. La pièce nous parle d’une famille des industriels allemands. Von Gerlach le père de la famille est un homme dur, cynique, il n’aime pas les nazis, son éducation s’oppose à leurs idées et à leurs camps de concentration, mais ce qui est contradictoire, c’est qu’il compose avec l’hitlérisme et il se justifie en disant “je ne peux pas souffrir les exactions hitlériennes, mais ce n’est pas moi qui crée les camps, je vends seulement les terrains sur lesquels ils sont construits”“Qu’y a-t-il à expliquer? Himmler a des prisonniers à caser. Si j’avais refusé mes terrains, il en aurait acheté d’autres”(2). Après la guerre, tout change et L’Allemagne entre dans le cadre de la politique américaine, mais ce qui ne change pas c’est la contradiction entre sa formation psychologique et la réalité allemande qui s’impose de nouveau à lui. Il travaille avec les américains mais il ne peut pas suivre les évolutions rapides qui causent la séparation, les fonctions de propriétaire et celle de gestion. Gerlach a un fils, Frantz. Il l’a élevé pour qu’il soit le chef de son entreprise. Frantz est révolté quand il avait dix-neuf ans, il a aidé un prisonnier à s’enfuir des nazis et pour le punir on l’a tué devant lui. Frantz part pour le front russe et là-bas il commet des crimes terribles. Après sa visite de plusieurs pays européens, il rentre chez lui et c’est pourquoi il reste enfermé et séquestré pendant treize ans et il refuse de voir son père. Le père sait que son fils lui ressemble, les deux sont des témoins qui se taisent sur le crime, donc des complices. Mais le fils n’ose pas à l’avouer. Le père retrouve le fils, lui parle de la vérité et les deux se décident de se suicider. Ils vont en auto sur l’Elbe et se tuent. “En réalité il ne s’agit pas exactement ni de la culpabilité nazie ni de la culpabilité allemande ni des fautes commises dans la guerre d’Algérie, bien que ces deux thèmes soient abordés dans la pièce. Il s’agit au contraire surtout de montrer comment vit l’homme d’aujourd’hui, comment il se débrouille dans la situation où il se trouve. Dans l’époque que nous avons vécu dans notre siècle de violence et de sang, l’homme adulte d’aujourd’hui {…} est forcément témoin ou complice et il a une responsabilité”(3).

(1) J. P. SARTRE “Un Théâtre De Situations”, P269 (2) J. P. SARTRE “Les Séquestrés D’Altona”, éd – Gallimard, coll. Folio, 1960, 974 (3) J. P. SARTRE,“ Un Théâtre De Situations”, P333 104 Partie2:La Transcendance Existentialiste Chapitre1: La Transcendance Humaine (L’absurde Chez Sartre)

A la fin de notre chapitre consacré à Sartre on se met d’accord avec De Beauvoir qui dit “Jean Paul Sartre est un personnage d’un genre nouveau dans la vie et dans les lettres. L’une des idées maîtresses exprimée dans son grand ouvrage philosophique “L’Etre Et Le Néant”, mise en œuvre dans ses romans, ses nouvelles et les deux pièces que tout Paris a vue est l’idée qu’il y a deux modes d’existence. D’un coté, il y a le mode propre aux choses qui demeurent toujours exactement ce qu’elles sont dans le monde “donné”des contingences et des circonstances; d’autre part il y a le mode propre aux personnes qui représente la conscience et la liberté. Bien des gens envient le sommeil des arbres et des pierres et tâchent de leur ressembler; ils mettent leur conscience en sommeil, ils ne font aucun usage de leur liberté. Sartre au contraire, peut être défini comme quelqu’un qui refuse passionnément d’exister sur le mode des choses, et s’efforce de s’affirmer comme conscience et pure liberté”(1).Il ne se limite pas à se changer mais il veut aider les autres à se changer en répétant toujours “je voulais donner ma vision du monde en même temps que je la faisais vivre par des personnages dans mes œuvres littéraires ou dans des essais. Je décrivais cette vision à mes contemporains”(2).

(1) G. FRANCIS, F. GONTIER,“ Les Ecrits De Simone DE Beauvoir,” P 223 (2) S. De. BEAUVOIR, “La Cérémonie Des Adieux”, P223 105

Chapitre LA TRANSCENDANCE FÉMININE 2 (L’ABSURDE CHEZ SIMONE DE BEAUVOIR)

106 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

Comme Jean-Paul Sartre, Simone De Beauvoir est une philosophe, essayiste et romancière. De plus elle est comme lui existentialiste. Quand Sartre se donne à la question de la transcendance humaine, elle en tant que femme et comme féministe convaincue, elle ne cesse pas de lutter pour que la femme ait une vie indépendante donc sa propre transcendance. C’est la raison pour la quelle, elle est considérée comme la fondatrice du féminisme moderne. La question qui se pose ici qu’est-ce que le féminisme? Dans ce chapitre on va essayer de répondre à cette question et on va voir comment cette écrivain féministe acharnée, aborde la question de l’absurde à travers ces personnages féminins?

(2.2.1) Qu’est-ce que le féminisme?

“Longtemps le féminisme fut un mot vaguement péjoratif et ridicule. A une époque encore peu lointaine, il évoquait de vieilles harpies, autoritaires et masculines, de grandes perches aux talons plats, incarnations vivantes de la cheftaine des années 40. Avec Simone De Beauvoir, tout allait changer : intelligence et passion, notoriété et prestige seront désormais au service de la cause des femmes et de la lutte pour leur libération. Entraînée dans l’aventure intellectuelle de l’après guerre avec la philosophie existentialiste, l’ex-jeune fille rangée s’est métamorphosée, à travers les mésaventures de la gloire mondiale, des prises de positions politiques et des engagements sociaux, en championne de l’émancipation des femmes” (1). Simone De Beauvoir elle-même définit le féminisme en disant “Qu’est- ce que le féminisme? La lutte pour effacer toute discrimination entre l’homme et la femme. Mais ce ne sont pas seulement des mesures en faveur de la condition féminine dont chaque femme ressent sa place et son rôle. Un changement dont les conséquences pourraient bouleverser la société de demain. “On ne naît pas femme, on le devient” (2). Afin d’établir les bases de son féminisme, Simone De Beauvoir décide d’écrire “Le Deuxième Sexe”. Elle affirme “j’ai longtemps hésité à écrire un livre sur la femme. Le sujet est irritant, surtout pour les femmes; il n’est pas neuf La querelle du féminisme a fait couler assez d’encre, à présent elle est à peu près close : n’en parlons plus. On en parle encore cependant. Et il ne semble pas que les volumineuses sottises débitées pendant ce dernier siècle aient beaucoup éclairé le problème. D’ailleurs y a-t-il un problème? Et quel est-il? Y a-t-il même des femmes? Certes la théorie de l’éternel féminin

(1)Jacques – J – ZEPHIR avec la collaboration de louise B. ZEPHIR “Le Néo – Féminisme De Simone De Beauvoir”, éd. Denoël / Gonthier, 1982, P9. (2)Simmone De BAUVOIR, “Les Femmes Peuvent Bouleverser La société Demain” Télé 7 jours, 7 avril 1975, P30, cite par ZEPHIR, op-cit, P23 107 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

compte encore des adeptes; ils chuchotent : “Même en Russie, elles restent bien femmes” : mais d’autres gens bien informés et les mêmes aussi quelquefois soupirent : “la femme se perd, la femme est perdue”. On ne sait plus bien s’il existe encore des femmes, s’il en existera toujours, s’il faut ou non le souhaiter, quelle place elles occupent en ce monde, quelle place elle devraient y occuper?” (1). Quant à De Beauvoir, elle croit que la fonction de femelle ne suffit pas à définir la femme, ni “l’éternel féminin” peut l’expliquer. Pour répondre à la question : qu’est-ce qu’une femme? De Beauvoir commence par les données de la biologie. Ce qui est frappant de l’examen de ces données, est qu’ils nous présentent beaucoup de traits qui proviennent la subordination de la femme à l’espèce. Mais De Beauvoir déclare que “ces données biologiques sont d’une extrême importance : elles jouent dans l’histoire de la femme un rôle de premier plan, elles sont un élément essentiel de sa situation : dans toutes nos descriptions ultérieures nous aurons à nous y référer. Car le corps étant l’instrument de notre prise sur le monde, le monde se présente tout autrement selon qu’il est appréhendé d’une manière ou d’une autre. C’est pourquoi nous les avons si longuement étudiées; elles sont une des clefs qui permettent de comprendre la femme. Mais ce que nous refusons, c’est l’idée qu’elles constituent pour elle un destin figé. Elles ne suffisent pas à définir une hiérarchie des sexes; elles n’expliquent pas pourquoi la femme est L’Autre; elles ne la condamnent pas à conserver à jamais ce rôle subordonné” (2). Dans le deuxième chapitre, elle examine le point de vue psychanalytique. De Beauvoir après une étude approfondie, déclare qu’elle refuse la méthode de la plupart des psychanalystes qui n’étudient pas la libido féminine de front mais seulement à partir de la libido mâle. D’autre part affirme-t-elle “nous poserons tout autrement le problème de la destinée féminine : nous situerons la femme dans un monde de valeurs et nous donnerons à ses conduites une dimensions de liberté. Nous pensons qu’elle a à choisir entre l’affirmation de sa transcendance et son aliénation en objet; elle n’est pas le jouet de pulsions contradictoires; elle invente des solutions entre lesquelles existe une hiérarchie éthique. Substituant à la valeur l’autorité, au choix la pulsion, la psychanalyse propose un ersatz de la morale : c’est l’idée de normalité. Cette idée est certes fort utile en thérapeutique; mais elle a pris dans la psychanalyse en générale une inquiétante extension” (3). Elle refuse les définitions de la psychanalyse car la femme pour elle “se définit comme un être humain en quête de valeurs au sein d’un monde de valeurs, monde dont il est indispensable de

(1)Simone DE BAUVOIR, “Le Deuxième Sexe 1” éd. Gallimard, coll folio – essais, 1976, P11. (2)I bid P71 (3)I bid P93 108 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

connaître la structure économique et sociale; {elle l’étudiera} dans une perspective existentielle à travers sa situation totale” (1). Puis elle passe à l’examen du point de vue du matérialisme historique. Selon De Beauvoir “la théorie du matérialisme historique a mis en lumière de très importantes vérités. L’humanité n’est pas une espèce animale : c’est une réalité historique. La société humaine est une anti-physis : elle ne subit pas passivement la présence de la nature, elle la reprend à son compte. Cette reprise n’est pas une opération intérieure et subjective : elle s'effectue objectivement dans la praxis. Ainsi la femme ne saurait être considérée simplement comme un organisme sexué : parmi les données biologiques, seules ont une importance celles qui prennent dans l’action une valeur concrète; la conscience que la femme prend d’elle-même n’est pas définie par sa seule sexualité : elle reflète une situation qui dépend de la structure économique de la société, structure qui traduit le degré de l’évolution technique auquel est parvenue l’humanité” (2). Mais elle n’est pas complètement d’accord avec la thèse marxiste parce que la femme “n’a pas été créée par le seul outil de bronze : la machine ne suffit pas à l’abolir. Revendiquer pour elle tous les droits, toutes les chances de l’être humain en général ne signifie pas qu’on doive s’aveugler sur sa situation singulière. Et pour la connaître il faut déborder le matérialisme historique qui ne voit dans l’homme et la femme que des entités économiques” (3). Donc ni la psychanalyse ni le matérialisme historique ne peut définir la femme concrète. Maintenant elle passe à une étude historique de la condition féminine dans le monde entier. Ce qu’on peut se dégager de cette vue d’ensemble est que “toute l’histoire des femmes a été faite par les hommes (…). Ce sont eux qui ont toujours tenu le sort de la femme entre leurs mains, et ils n’en ont pas décidé en fonction de son intérêt; c’est à leurs propres projets, à leurs craintes, à leurs besoins qu’ils ont en égard (…). Le féminisme lui- même n’a jamais été un mouvement autonome: ce fut en partie un instrument aux mains des politiciens, en partie un épiphénomène reflétant un drame social plus profond. Jamais les femmes n’ont constitué une caste séparée : et en vérité elles n’ont pas cherché à jouer en tant que sexe un rôle dans l’histoire. Les doctrines qui réclament l’avènement de la femme en tant qu’elle est chair, vie, immanence, qu’elle est L’Autre, sont des idéologies masculines qui n’expriment aucunement les revendications féminines. La majorité des femmes se résigne à leur sort sans tenter aucune action, celles qui ont essayé de changer ont prétendu non s’enfermer dans leur singularité et la faire triompher mais la surmonter.

(1)I bid P95 (2)I bid P96 (3)I bid P96 109 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

Quand elles sont intervenues dans le cours du monde, c’est en accord avec les hommes, dans leurs perspectives masculines” (1). Et dans l’ensemble cette intervention a été secondaire. Dans la partie consacrée aux mythes, les hommes la rêvent. Selon De Beauvoir les mythes nous présentent une contradiction, car “l’homme recherche dans la femme l’Autre comme Nature et comme son semblable. Mais on sait quels sentiments ambivalents la Nature inspire à l’homme. Il l’exploite, mais elle l’écrase, il naît d’elle et il meurt en elle; c’est la source de son être et le royaume qu’il sommet à sa volonté; c’est une gangue matérielle dans laquelle l’âme est prisonnière, et c’est la réalité suprême: elle est la contingence et l’idée, la finitude et la totalité; elle est ce qui s’oppose à l’Esprit et lui-même. Tour à tour alliée, ennemie, elle apparaît comme le chaos ténébreux d’où sourd la vie, comme cette vie même, et comme l’au-delà vers lequel elle tend : la femme résume la nature en tant que mère, epouse et idée; ces figures tantôt se confondent et tantôt s’opposent et chacune d’elles a un double visage” (2). La mythe et la littérature nous présentent la femme de visage double, “elle tout ce que l’homme appelle et tout ce qu’il n’atteint pas. Elle est le sage médiateur entre la Nature propice et l’homme et elle est la tentation de la nature indomptée contre toute sagesse. Du bien au mal elle incarne charnellement toutes les valeurs morales et leur contraire; elle est substance de l’action et ce qui lui fait obstacle, la prise de l’homme sur le monde et son échec; comme telle, elle est la source et de toute expression qu’il en peut donner, cependant, elle s’emploie à le détourner de lui-même, à le faire sombrer dans le silence et dans la mort. Servante et son juge, qu’elle le confirme dans son être; mais elle le conteste par son indifférence, voire ses moqueries et ses rires. Il projette en elle ce qu’il désire et ce qu’il craint ce qu’il aime et ce qu’il hait. Et s’il est difficile de rien en dire, c’est parce que l’homme se cherche en elle et qu’elle est Tout. Seulement elle est Tout sur le monde de l’inessentiel elle est tout l’Autre. Et en tant qu’autre, elle est aussi autre qu’elle-même, autre que ce qui est attendu d’elle. Etant tout, elle n’est jamais ceci justement qu’elle devrait être, elle est perpétuellement déception même de l’existence qui ne réussit jamais à s’atteindre ni à se réconcilier avec la totalité des existants” (3). Comme exemples De Beauvoir prend la femme chez Montherlant, chez Lawrence, chez Claudel et chez Stendhal. Pour Montherlant la femme empêche l’homme d’être Dieu et c’est la raison pour laquelle il juge le mariage néfaste pour “l’homme supérieure”. “Le lot de la femme déclare-t-il, c’est la vie dans ce qu’elle a d’immédiat, elle

(1)I bid PP 221, 222 (2)I bid PP 243 (3)I bid PP318, 319 110 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

se nourrit de sensations, elle se vautre dans l’immanence, elle a la manie du bonheur : elle veut y en fermer l’homme; elle n’éprouve pas l’élan de sa transcendance, elle n’a pas le sens de grandeur; elle aime son amant dans sa faiblesse et non dans sa force, dans ses peines et non dans sa joie; elle le souhaite désarmé, malheureux au point de vouloir contre toute évidence le convaincre de sa misère. Il la dépasse et par là il lui échappe : elle entend le réduire à sa propre mesure pour s'emparer de lui. Car elle a besoin de lui, elle ne se suffit pas, c’est un être parasitaire (….) aimer, pour la femme, c’est dévorer; elle prétend se donner, et elle prend” (1). Chez Montherlant la femme est toujours inférieure, pitoyable et méprisable. “Il la méprise en tant que femme, par décret; il dit justement que ce n’est pas le mystère féminin qui suscite les rêves mâles, mais ces rêves qui créent du mystère” (2). Selon De Beauvoir, Montherlant ne peut pas mener une existence authentique et c’est pourquoi il voit la femme à cette manière. Il échoue d’être un véritable héros parmi les hommes et se nomme héros parmi les femmes. “Montherlant a eu peur de risquer parmi les hommes sa supériorité; pour s’enivrer de ce vin exaltant, il s’est retiré dans les nuées: l’Unique est assurément souverain. Il s’enferme dans un cabinet de mirages à l’infini, les glaces lui envoient son image et il croit qu’il suffit à peupler la terre; mais il n’est que reclus prisonnier de soi-même. Il se croit libre; mais il aliène sa liberté au profit de son ego. (…). La liberté de Montherlant est une attitude, non une réalité. L’action lui étant, faute de but, impossible, il se console avec des geste; c’est un mime. Les femmes lui sont des partenaires commodes; elle lui donnent la réplique, il accapare le premier rôle, il se ceint de lauriers et se drape de pourpre: mais tout se passe sur sa scène privée; jeté sure la place publique, dans la vraie lumière, sous un vrai ciel, le comédien n’y voit plus clair, ne lient plus debout, il titube, il tombe” (3). Lawrence, selon De Beauvoir, n’est pas comme Montherlant. “Il ne s’agit pas pour lui de définir les rapports singuliers de la femme et de l’homme, mais de les replacer tous deux dans la vérité de la vie. Cette vérité n’est ni représentation ni volonté: elle enveloppe l’animalité, ou l’être humain à ses racines. Lawrence refuse avec passion l’antithèse sexe cerveau; il y a chez lui un optimisme cosmique qui s’oppose radicalement au pessimisme de Schopenhauer, le vouloir-vivre qui s’exprime dans le phallus est joie: et c’est en lui que pensée et action doivent avoir leur source sous peine d’être concept vide, mécanisme stérile” (4).

(1)I bid P322 (2)I bid P331 (3)I bid P339 (4)I bid P341 111 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

D’après De Beauvoir les écrits de Lawrence “sont avant tout des éducations de femmes”. Il est infiniment plus difficile pour la femme que pour l’homme de se soumettre à l’ordre cosmique, parce que lui s’y sommet de façon autonome, tandis qu’elle a besoin de la médiation du mâle” (1). Contrairement à Montherlant “la femme n’est pas le mal, elle est même bonne; mais subordonnée. C’est encore l’idéal de “la vraie femme” que Lawrence nous propose, c’est-à-dire de la femme qui accepte sans réticence de se définir comme l’Autre” (2). Claudel donne la primauté à l’homme comme Lawrence. Selon lui “c’est l’homme qui laboure les champs, qui construit les cathédrales, qui combat par l’épée, explore le monde, conquiert des terres, qui agit, qui entreprend. C’est par lui que s’accomplissent les dessins de Dieu sur cette terre. La femme n’apparaît que comme une auxiliaire. Elle est celle qui reste sur place, qui attend, et qui maintient” (3). Claudel nous présente l’idéal chrétien, la vierge, l’épouse de christ et la mère. “Sur le plan humain, elle apparaît donc comme puisant sa grandeur dans sa subordination même. Mais, aux yeux de Dieu, elle est une personne parfaitement autonome. Que pour l’homme l’existence se dépasse tandis que pour la femme elle se mataient n’établit entre eux de différence qu’au regard de la terre : de toute façon ce n’est pas sur terre que la transcendance s’accomplit, c’est en Dieu. Et la femme a avec lui un lien aussi direct, plus intime même et plus secret que son compagnon” (4). Donc pour Claudel, la femme a une vocation terrestre qu’il lui faut faire pour atteindre son autonomie surnaturelle. “Se dévouer aux enfants, au mari, au foyer au domaine, à la patrie, à l’Eglise, c’est son lot, le lot que la bourgeoisie lui a toujours assigné : l’homme donne son activité, la femme sa personne; sanctifier cette hiérarchie au nom de la volonté divine, ce n’est en rien la modifier, mais au contraire prétendre la figer dans l’éternel” (5). Maintenant De Beauvoir passe à la femme mythe dans la poésie de Breton. Selon elle, pour ce poète, la femme est un médiateur très important dont l’absence se fait taire la terre. C’est de la femme que tout tire son sens. “C’est précisément par l’amour et par lui seul que se réalise au plus haut degré la fusion de l’essence et de l’existence” (6). Le point de vue de Breton est exclusivement poétique et dans sa poésie la femme n’a pas d’autre vocation que l’amour. Elle est “l’être le plus ancré dans la nature, le plus proche de la terre est aussi la clé de l’au-delà.

(1)I bid P352 (2)I bid P 353 (3)I bid PP 360, 361 (4)I bid P 362 (5)I bid P 366 (6)I bid P 371 112 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

Vérité, Beauté, poésie, elle est Tout : une fois de plus tout sous la figure de l’autre. Tout excepté soi-même” (1). De Beauvoir considère son dernier écrivain Stendhal comme un ami des femmes et c’est pourquoi elle a intitulé le chapitre consacré à son œuvre “Ce Tendre Ami Des Femmes”, et précisément parce qu’il les aime dans leur vérité et ne croit pas au mystère féminin: aucune essence ne définit une fois pour toutes la femme: l’idée d’un “éternel féminin” lui semble pédante et ridicule “Des pédants nous répètent depuis deux mille ans que les femmes ont l’esprit plus vif et les hommes plus de solidité; que les femmes ont plus de délicatesse dans les idées et les hommes plus de force d’attention. Un badaud de Paris qui se promenait autrefois dans les jardins de Versailles concluait ainsi de tout ce qu’il voyait que les arbres naissent taillés. Les différence qu’on remarque entre les hommes et les femmes reflètent celle de leur situation” (2). Les femmes chez Stendhal sont libres et elles “sont pathétiques quand leur cœur leur pose des problèmes imprévus: aucun loi, aucune recette, aucun raisonnement, aucun exemple venu du dehors ne peut plus les guider, il faut qu’elle décident seules: ce délaissement est le moment extrême de la liberté” (3). Selon De Beauvoir, Stendhal est un écrivain féministe, “d’ordinaire les féministes sont des esprits rationnels qui adoptent en toutes choses le point de vue de l’universel, mais c’est non seulement au nom de la liberté en général, c’est au nom du bonheur individuel que Stendhal réclame l’émancipation des femmes. L’amour n’aura, pense-t-il, rien à y perdre; au contraire, il sera d’autant plus vrai que la femme étant pour l’homme une égale pourra plus complètement le comprendre. Sans doute certaines des qualités qu’on goûte chez la femme disparaîtront : mais leur prix vient de la liberté qui s’y exprime; celle-ci se manifestera sous d’autres visages; et le romanesque ne s’évanouira pas du monde. Deux êtres séparés placés en des situations différentes, s’affrontant dans leur liberté et cherchant l’un à travers l’autre la justification de l’existence, vivront toujours une aventure pleine de risques et de promesses. Stendhal fait confiance en la vérité; dès qu’on la fuit on meurt le bonheur, l’amour, une joie qui porte en soi sa justification. C’est pourquoi autant que les mystifications du sérieux, il refuse la fausse poésie des mythes. La réalité humaine lui suffit. La femme selon lui est simplement un être humain: les rêves ne sauraient rien forger de plus enivrant” (4).

(1)I bid P 375 (2)I bid PP 376, 377 (3)I bid P 383 (4)I bid PP 388, 389 113 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

L’étude du mythe nous met devant cette conclusion: “En tout cas, {la femme} apparaît comme L’Autre privilégié à travers lequel le sujet s’accomplit : une des mesures de l’homme, son équilibre, son salut, son aventure, son bonheur” (1). Donc les mythes sont incapables de répondre à la question : qu’est-ce que la femme? “Le mythe est un de ces pièges de la fausse objectivité dans lesquels l’esprit de sérieux donne tête baissée. Il s’agit encore une fois de remplacer l’expérience vécue et les libres jugements qu’elle réclame par une idole figée. A un rapport authentique avec un existant autonome, le mythe de la Femme substitue l’immobile contemplation d’un mirage” (2). Passons maintenant du mariage à la formation de la femme selon le point de vue beauvoirien. Le premier chapitre du “Deuxième Sexe II” est consacré à l’enfance de la femme. Dès le début, De Beauvoir déclare “on ne naît pas femme: on le devient. Aucun destin biologique, psychique, économique ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine: c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin. Seule la médiation d’autrui peut constituer un individu comme un Autre. En tant qu’il existe pour soi l’enfant ne saurait se saisir comme sexuellement différencié. Chez les filles et les garçons, le corps est d’abord le rayonnement d’une subjectivité, l’instrument qui effectuer la compréhension du monde : c’est à travers les yeux, les mains, non par les parties sexuelles qu’ils appréhendent l’univers” (3). Selon De Beauvoir c’est l’influence de l’éducation et de l’entourage qui cause la différence entre la fillette et le garçon. “Ainsi la passivité qui caractérisera essentiellement la femme” féminine est un trait qui se développe en elle des ses premières années. Mais il est faux de prétendre que c’est là une donnée biologique : en vérité, c’est un destin qui lui est imposé par ses éducateurs et par la société. L’immense chance du garçon, c’est que sa manière d’exister pour autrui l’encourage à se poser pour soi. Il fait l’apprentissage de son existence comme libre mouvement vers le monde (….). Il entreprend, il invente, il ose certes, il s’éprouve aussi comme “pour autrui”, il met en question sa virilité et il s’ensuit par rapport aux adultes et aux camarades bien de problèmes. Mais ce qui est très, important, c’est qu’il n’y a pas d’opposition fondamentale entre le souci de cette figure objective qui est sienne et sa volonté de s’affirmer dans des projets concrets. C’est en faisant qu’il se fait être, d’un seul mouvement. Au contraire, chez la femme il y a, au départ un conflit entre son existence autonome et son “être autre”; on lui apprend que pour plaire il faut chercher

(1)Ov. Cit. (2)I bid P 405 (3)Simone DE BEAUVOIR, “Le Deuxième Sexe II”, éd. Gallimard, coll. Folio – essays, 1976, P13 114 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

à plaire, il faut se faire objet : elle doit donc renoncer à son autonomie. On la traite comme une poupée vivante et on lui refuse la liberté : ainsi se noue un cercle vicieux : car moins elle exercera sa liberté pour comprendre, saisir et découvrir le monde qui l’entoure, moins elle trouvera en lui de ressources, moins elle osera s’affirmer comme sujet : si on l’y encourageait, elle pourrait manifester la même esprit d’initiative, la même hardiesse qu’un garçon” (1). La formation de la jeune fille est aussi influencée par son entourage. “Le caractère et les conduites de la jeune fille expriment sa situation; si celle-ci se modifie, la figure de l’adolescente apparaît aussi comme différente. Aujourd’hui, il lui devient possible de prendre son sort entre ses mains, au lieu de s’en remettre à l’homme. Si elle est absorbée par des études, des sports, un apprentissage professionnel, une activité sociale et politique, elle s’affranchit de l’obsession du mâle, elle est beaucoup moins préoccupée par ses conflits sentimentaux et sexuels. Cependant, elle a beaucoup plus de difficulté que le jeune homme à s’accomplir comme un individu autonome. J’ai dit que ni sa famille ni les mœurs ne favorisaient son effort. En outre même si elle choisit l’indépendance, elle n’en fait pas moins une place dans sa vie à l’homme, à l’amour. Elle aura souvent peur si elle se donne tout entière à quelque entreprise de manquer son destin de femme” (2). Quant à la vie sexuelle, elle reste le domaine le plus influencé par l’éducation. “la civilisation patriarcale a voué la femme à la chasteté : on reconnaît plus ou moins ouvertement le droit du mâle à assouvir ses désirs sexuels tandis que la femme est confinée dans le mariage : pour elle l’acte de chair, s’il n’est pas sanctifié par le code, par le sacrement, est une faute, une chute, une défaite, une faiblesse : elle se doit de défendre sa vertu, son honneur : si elle “cède”, si elle “tombe”, elle suscite le mépris : tandis que dans le blâme même qu’on inflige à son vainqueur, il entre de l’admiration” (3). Aussi on fait apprendre à la jeune fille que le lit pour elle n’est qu’un service et il n’y a pas de réciprocité dans ses rapports sexuels avec son mari. La société la conseille d’être passive. “Qu’elle s’adapte plus ou moins exactement à son rôle passif, la femme est toujours frustrée en tant qu’individu actif” (4). Selon De Beauvoir la formation sexuelle peut être la cause de l’homosexualité n’est pas plus une perversion délibérée qu’une malédiction fatale. C’est une attitude choisie en situation, c’est-à-dire à la fois motivée et librement adoptée. Aucun des facteurs que le sujet assume par ce choix

(1)I bid PP 29, 30 (2)I bid P 144 (3)I bid P 150 (4)I bid P 191 115 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

données physiologiques, histoire psychologique, circonstances sociales n’est déterminant encore que tous contribuent à l’expliquer. C’est pour la femme une manière parmi d’autres de résoudre les problèmes posés par sa condition en général, par sa situation érotique en particulier. Comme toutes les conduites humaines, elle entraînera comédies, déséquilibres, échec, mensonge ou, au contraire, elle sera source d’expériences fécondes, selon qu’elle sera vécue dans la mauvaise foi, la paresse et l’inauthenticité ou dans la lucidité, la générosité et la liberté” (1). La formation de la jeune fille peut être sa cause mais non sa justification. Après la formation, De Beauvoir aborde la situation de la femme en tant que femme mariée, mère, sa vie de société, prostituées et hétaires et comme vieille femme. Selon De Beauvoir, traditionnellement la société propose le mariage à la femme comme destinée et comme carrière. “Le mariage s’est toujours présenté de manière radicalement différente pour l’homme et pour la femme. Les deux sexes sont nécessaires l’un à l’autre, mais cette nécessité n’a jamais engendré entre eux de réciprocité; jamais les femmes n’ont constitué une caste établissant avec la caste mâle sur un pied d’égalité des échanges et des contrats. Socialement l’homme est un individu autonome et complet : il est envisagé avant tout comme producteur et son existence est justifié par le travail qu’il fournit à la collectivité, on a vu pour quelles raisons le rôle reproducteur et domestique dans lequel est contaminée la femme ne lui a pas garanti une égale dignité” (2). Mais “l’évolution économique de la condition féminine est en train de bouleverser l’institution du mariage : il devient une union librement consentie par deux individualités autonomes : l’adultère est pour les deux parties une dénonciation du contrat : le divorce peut être obtenue par l’une et l’autre aux mêmes conditions. La femme n’est plus cantonnée dans la fonction reproductrice: celle-ci a perdu en grande partie son caractère de servitude naturelle, elle se présente comme une charge volontairement assumée” (3). Quant à la maternité, De Beauvoir en citant beaucoup d’exemples, elle prétend que ces exemples montrent “qu’il n’existe pas d’ “instinct” maternel : le mot ne s’applique en aucun cas à l’espèce humaine. L’attitude de la mère est définie par l’ensemble de sa situation et par la manière dont elle l’assume” (4). Donc la vocation maternelle n’est pas quelque chose d’inné à la nature féminine et ce n’est pas parce que la femme peut être mère qu’elle doit nécessairement le devenir. “La maternité, selon qu’elle est délibérée ou subie, peut être considérée comme la cause permanente de

(1)I bid PP 217, 218 (2)I bid P 222 (3)I bid P221 (4)I bid P322 116 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

l’inégalité entre les sexes et par suite, la pierre d’achoppement de toute véritable libération des femmes” (1). Pour De Beauvoir “l’amour maternel n’a rien de naturel” (2). “Le rapport de la mère avec ses enfants dépend de ses relations avec son mari, avec son passé, avec ses occupations avec soi-même” (3). Et c’est la raison pour laquelle De Beauvoir se montre toujours pour la contraception et l’avortement. “ “Le birth-control” et l’avortement légal permettraient à la femme d’assumer librement ses maternités” (4). De fait elle est pour la mère qui ne se trouve pas contrainte à engendrer contre son gré. De plus, elle est persuadée que les femmes continueront à être opprimées tant que le mythe de la famille n’aura pas été supprimée par ce qu’elle est un des moyens du capitalisme pour emprisonner la femme au foyer et elle, De Beauvoir, elle est socialiste, elle “semble être beaucoup plus en faveur de l’abolition de la famille et du mariage que de la maternité : supprimer le capitalisme, ce n’est pas supprimer la tradition patriarcale, tant qu’on garde la famille. Je crois qu’il faut non seulement supprimer le capitalisme, changer les moyens de production, mais qu’il faut aussi changer la structure familiale (….) Je pense qu’il faut supprimer la famille” (5). Et d’après elle, la famille peut être remplacée par la collectivité, car. “La femme, retenue au foyer par ses enfants, devient du même coup une ménagère à qui on extorque quasi gratuitement sa force de travail. Cependant la femme ne serait pas esclave du foyer, si elle a le moyen de planifier ses maternités selon ses désirs et ses intérêts {et cela arrive} dans une société bien organisée ou la mère pourrait facilement et sans honte abandonner ses enfants au soin de la collectivité. La seule qui puisse assumer la responsabilité de la maternité c'est la femme qui travaille. Quand la femme ne trouve pas la satisfaction, elle va la chercher dans sa vie sociale par l’amitié, l’adultère et la vie mondaine. Elle croit qu’elle retrouve sa raison d’être “Les amitiés féminines qu’elle parvient à conserver ou à créer seront précieuses à la femme; elles ont un caractère très différent des relations que connaissent les hommes: ceux-ci communiquent entre eux en tant qu’individus à travers les idées, les projets qui leur sont personnels : les femmes, enfermées dans la généralité de leur destin de femme, sont unies par une sorte de complicité immanente. Et ce que d’abord elles cherchent les unes auprès des autres, c’est l’affirmation de l’univers qui leur est commun. Elles ne discutent pas des opinions; elles échangent des confidences et des recettes: elles se liguent pour créer une

(1)ZEPHIR, op. cit, P76 (2)“Le Deuxieme sexe II”, P386 (3)I bid P384 (4)I bid P343 (5)The French Review” vol 52, no 5, avril 1979, P60 cité par ZEHIR, op. cit, P79. 117 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

sorte de contre univers dont les valeurs l’emportent sur les valeurs mâles” (1). “Cependant, il est rare que la complicité féminine s’élève jusqu’ à une véritable amitié : les femmes se sentent plus spontanément solidaires que les hommes, mais du sein de cette solidarité ce n’est pas chacune vers l’autre qu’elles se dépassent : ensemble, elles sont tournées vers le monde masculin dont elles souhaitent accaparer : chacune pour soi les valeurs. Leurs rapports ne sont pas construits sur leur singularité : et par là s’introduit aussitôt un élément d’hostilité” (2). Si ce n’est pas dans l’amitié que la femme retrouve son repos, elle le cherche dans l’adultère “Le mariage, en refusant les femmes de toute satisfaction érotique, en leur déniant la liberté et la singularité de leurs sentiments, les conduit par une dialectique nécessaire et ironique à l’adultère” (3). De toute façon adultère, amitiés, vie mondaine ne constituent dans la vie conjugale que des divertissements : ils peuvent aider à en supporter les contraintes mais ne les brisent pas. Ce ne sont que des fausses évasions qui ne permettent aucunement à la femme de reprendre authentiquement en main sa destinée” (4). Une autre situation dont nous parle De Beauvoir, c’est le corrélatif immédiat du mariage : la prostitution. Dans la plupart des cas la femme entre dans le monde des prostituées et des hétaires pour gagner de l’argent. “Mais dans l’ensemble, l’attitude de l’hétaire a des analogies avec celle de l’aventurier : comme celui-ci, elle est souvent à mi-chemin entre le sérieux et l’aventure proprement dite : elle vise des valeurs toutes faites : argent et gloire : mais elle attache au fait de les conquérir autant de prix qu’à leur possession : et finalement, la valeur suprême à ses yeux, c’est sa réussite subjective. Elle justifie, elle aussi, cet individualisme par un nihilisme plus ou moins systématique, mais vécu avec d’autant plus de conviction qu’elle est hostile aux hommes et voit dans les autres femmes des ennemies. Si elle est assez intelligente pour sentir le besoin d’une justification morale, elle invoquera un nietzschéisme plus ou moins bien assimilé : elle affirmera le droit de l’être d’élite sur le vulgaire. Sa personne lui apparaît comme un trésor dont la simple existence est don : si bien qu’en se consacrant à soi-même elle prétendra servir la collectivité. La destinée de la femme dévouée à l’homme est hantée par l’amour : celle qui exploite le mâle se repose dans le culte qu’elle se rend. Si elle attache tant de prix à sa gloire, ce n’est pas seulement par intérêt économique : elle y cherche l’apothéose de son narcissisme” (5).

(1)I bid P410 (2)I bid P414 (3)I bid P421 (4)I bid P428 (5)I bid P322 118 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

Enfin arrive la vieillesse puisque’ “exister, pour la réalité humaine, c’est se temporaliser : au présent nous visons l’avenir par des projets qui dépassent notre passé où nos activités retombent, figées et chargées d’exigences inertes. L’âge modifie notre rapport au temps, au fil des années, notre avenir se raccourcit tandis que notre passé s’alourdit. On peut définir la vieillard comme un individu qui a une longue vie derrière lui et devant lui une espérance de survie très limitée. Les conséquences de ces changements se représentent les unes sur les autres pour engendrer une situation, variable selon l’histoire antérieure de l’individu, mais dont on peut dégager des constantes” (1). Contrairement à ce qu’on attend, “c’est dans son automne, dans son hiver que la femme s’affranchit de ses chaînes : elle prend prétexte de son âge pour éluder les corvées qui lui pèsent. (…) elle découvre cette liberté au moment où elle ne trouve plus rien à en faire” (2). L’approche de la mort “ la délivre de l’angoisse de l’avenir, que la vieille femme trouve d’ordinaire la sérénité” (3). Pourquoi on devient serein et sincère parce que “ la vieillesse réduit les forces, elle éteint es passion: La disparition de la libido entraîne, on l’a ou, celle d’une certaine agressivité biologique; l’abattement physique, la fatigue, l’indifférence où sombre souvent la vieillesse la détournent de se préoccuper d’autrui” (4). Mais est-ce que l’indépendance de la vieille femme ressemble à celle requise par De Beauvoir? Non : C’est vrai que la vieille femme “connaît l’envers du décor. Mais si son expérience lui permet de dénoncer mystifications et mensonges, elle ne suffit pas à lui découvrir la vérité. Amusée ou amère, la sagesse de la vieille femme demeure encore toute négative : elle est contestation, accusation, refus : elle est stérile. Dans sa pensée comme dans ses actes, la plus haute forme de liberté que puisse connaître la femme parasite c’est le défi stoïcien ou l’ironie sceptique. A aucun âge de sa vie, elle ne réussit à être à la fois efficace et indépendante” (5). Donc pour De Beauvoir, le trait caractéristique qu’on voit chez toutes les femmes et qui est le produit de leur éducation est la résignation à la transcendance masculine. On a enseigné la femme “à accepter l’autorité masculine : elle renonce donc à critiquer, à examiner et juger pour son compte. Elle s’en remet à la case supérieure. C’est pourquoi le monde masculin lui apparaît une réalité transcendante, un absolu” (6). La question qui se pose, comment la femme peut-elle trouver sa transcendance propre?

(1)Simone DE BAUVOIR “La Vieilesse”, éd. Gallimard coll. nrf, 1970, P383 (2)“Le Deuxieme Sexe II”, P467. (3)I bid P 481. (4)“La Veiellesse”, P424 (5)“Le Deuxieme Sexe II”, P482. (6)I bid P487 119 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

“Elle ne saurait authentiquement s’assumer que dans la révolte : c’est le seul chemin ouvert à ceux qui n’ont la possibilité de rien construire; il faut qu’ils refusent les limites de leur situation et cherchent à s’ouvrir les chemins de l’avenir : la résignation n’est qu’une démission et une fuite : il n’y a pour la femme aucune autre issue que de travailler à sa libération. Cette libération ne saurait être que collective, et elle exige avant tout que s’achève l’évolution économique de la condition féminine. Cependant il y a eu, il y a encore une quantité de femmes qui cherchent solitairement à réaliser leur salut individuel. Elles essaient de justifier leur existence au sein de leur immanence, c’est-à-dire de réaliser la transcendance dans l’immanence. C’est cet ultime effort parfois ridicule, souvent pathétique de la femme emprisonnée pour convertir sa prison en un ciel de gloire, sa servitude en souveraine liberté que nous trouvons chez la narcissiste, chez l’amoureuse, chez la mystique” (1). La narcissiste prétend qu’elle retrouve la justification de son existence dans l’amour propre, mais c’est au détriment de “la vie réelle que la comédie narcissiste se déroule; un personnage imaginaire sollicite l’admiration d’un public imaginaire; la femme en proie à son moi perd toute prise sur le monde concret, elle ne se soucie d’établir avec autrui aucun rapport réel (…). La narcissiste refuse d’admettre qu’on puisse la voir autrement qu’elle ne se montre : c’est ce qui explique que, si occupée à se contempler, elle réussisse si mal à se juger et qu’elle sombre si facilement dans le ridicule. Elle n’écoute plus, et quand elle parle elle débite son rôle” (2). Ce qui est ridicule c’est qu’elle demande l’amour à celui qu’elle nie “Ce lien qui la rive à autrui n’implique pas la réciprocité de l’échange : si elle cherchait à se faire reconnaître par la liberté d’autrui tout en la reconnaissant aussi comme fin à travers des activités, elle cesserait d’être narcissiste. Le paradoxe de son attitude, c’est qu’elle dénie toute valeur, puisqu’elle seule compte à ses propres yeux. Le suffrage étranger est une puissance inhumaine, mystérieuse, capricieuse, qu’il faut chercher à capter magiquement. En dépit de sa superficielle arrogance, la narcissiste se sait menacée : c’est pourquoi elle inquiète, susceptible, irritable, sans cesse aux aguets : sa vanité n’est jamais rassasiée : plus elle vieillit, plus elle cherche anxieusement éloge et succès, plus elle soupçonne autour d’elle de complots : égarée, obsédée, elle s’enfonce dans la nuit de la mauvaise foi et finit souvent par édifier autour d’elle un délire paranoïaque c’est à elle que s’applique singulièrement la parole : “Qui veut sauver sa vie la perdra” (3).

(1)I bid P522 (2)I bid P542 (3)I bid PP 544, 545 120 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

Même dans l’amour, la femme ne peut pas trouver sa raison d’être parce que le sens qu’elle donne au mot “amour”, est beaucoup influencé par sa situation en tant que être immanent. “En vérité, ce n’est pas d’une loi de la nature qu’il s’agit. C’est la différence de leur situation qui se reflète dans la conception que l’homme et la femme se font de l’amour. L’individu qui est sujet, qui est soi-même, s’il a le goût généreux de la transcendance, s’efforce d’élargir sa prise sur le monde : il est ambitieux, il agit. Mais un être inessentiel ne peut découvrir l’absolu au cœur de sa subjectivité : un être voué à l’immanence ne saurait se réaliser dans des actes. (…) Puisqu’elle est condamnée à la dépendance, plutôt que d’obéir à des tyrans parents, mari, protecteur elle préfère servir un dieu; elle choisit de vouloir si ardemment son esclavage qu’il lui apparaîtra comme l’expression de sa liberté : elle s’efforcera de surmonter sa situation d’objet inessentiel en l’assumant radicalement : à travers sa chair, ses sentiments, ses conduites, elle exaltera souverainement l’aimé, elle le posera comme la valeur et la réalité suprême : elle s’anéantira devant lui. L’amour devient pour elle une religion” (1). Cependant pour De Beauvoir, l’amour authentique n’est pas une religion ni un salut mais une relation interhumaine ou il faut “assumer la contingence de l’autre, c’est-à-dire ses manques, ses limites, et sa gratuité originelle” (2). “L’amour authentique devrait être fondé sur la reconnaissance réciproque de deux libertés : chacun des amants s’éprouverait alors comme soi-même et comme l’autre; aucun n’abdiquerait sa transcendance, aucun ne se mutilerait : tous deux dévoileraient ensemble dans le monde des valeurs et des fins. Pour l’un et l’autre l’amour serait révélation de soi-même par le don de soi et enrichissement de l’univers” (3). “L’effort commun, les entreprises communes constituent dans la pensée beauvoirienne, les fondements véritables de l’amour authentique” (4). “L’amour a été assigné à la femme comme sa suprême vocation et, quand elle l’adresse à un homme, en lui elle recherche Dieu; si les circonstances lui interdisent l’amour humain, si elle est déçue ou exigeante, c’est en dieu même qu’elle choisira d’adorer la divinité” (5). Mais pour De Beauvoir “la ferveur mystique, comme l’amour et le narcissisme même, peuvent être intégrés à des vies actives et indépendante mais en soi ces efforts de salut individuel ne sauraient aboutir qu’à des échecs : ou la femme se met en rapport avec un irréel : son double, ou Dieu : ou elle crée un irréel rapport avec un être réel; elle n’a en tout cas pas de prise sur le monde; elle ne s’évade pas de sa subjectivité;

(1)I bid PP 547, 546. (2)I bid P 562. (3)I bid P 579 (4)ZEHIR, op. cit, P211 (5)“Le Demscième Sexe II” P582 121 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

sa liberté demeure mystifiée; il n’est de la projeter par une action positive dans la société humaine” (1). Ainsi l’analyse beauvoirienne de la condition de femme, nous fait surgir la question, qu’est-ce que la femme pour Simone De Beauvoir? La femme pour elle c’est la femme indépendante et “c’est par le travail que la femme a en grande partie franchit la distance qui la séparait du mâle : c’est le travail qui peut seul lui garantir une liberté concrète. Dès qu’elle cesse d’être une parasite, le système fondé sur sa dépendance s’écroule entre elle et l’univers il n’est plus besoin d’un médiateur masculin” (2). Néanmoins, libérer la femme ne veut pas dire nier l’existence de l’homme, ni être homme. “Il demeurera toujours entre l’homme et la femme certaines différences; son érotisme, donc son monde sexuel, ayant une figure singulière ne saurait manquer d’engendrer chez elle une sensualité, une sensibilité singulière : ses rapports à son corps, au corps mâle, à l’enfant ne seront jamais identiques à ceux que l’homme soutient avec son corps, avec le corps féminin et avec l’enfant : ceux qui parlent tant d’ “égalité dans la différence” auraient mauvaise grâce à ne pas m’accorder qu’il puisse exister des différences dans l’égalité” (3). Voilà le résumé de l’analyse de la condition féminine, qui représente la base sur laquelle le féminisme beauvorien est fondé. Selon laquelle l’absurde c’est l’existence immanente de la femme dépendante. Maintenant nous allons voir comment les héroïnes beauvoiriennes affrontent cet absurde.

(2.2.2) L’absurde dans le roman beauvoirien

Tous les romans beauvoiriens, sont nourris par la pensée existentialiste et féministe qui pose toujours des questions comme : L’être humain a-t-il une valeur absolue? Possède-t-il seul le pouvoir de fondé son existence? Ou bien, solidaire des autres individus, ne peut-il exercer sa liberté qu’à travers celle d’autrui? Mais ce qui caractérise le roman de De Beauvoir, c’est le contenu moral et l’éthique dont elle parle est celle de la responsabilité. Elle se met contre toute interprétation qui dit que l’individu selon la pensée existentialiste, se choisit comme créateur de ses propres valeurs et il cherche à les imposer à autrui créant de cette manière un conflit des volontés adverses, enfermées dans leur solitude. Elle les contredit en affirmant qu’au contraire “dans la mesure où l’esprit d’aventure, la passion, l’orgueil conduisent à cette tyrannie et à ces conflits, la morale existentialiste les condamne; et cela, non au nom d’une loi abstraite, mais

(1)I bid P593. (2)I bid P597 (3)I bid P 561 122 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

parce que, s’il est vrai que tout projet émane d’une subjectivité, il est vrai aussi que ce mouvement subjectif pose de soi-même un dépassement de la subjectivité. L’homme ne peut trouver que dans l’existence des autres hommes une justification de sa propre existence. Or, il a besoin d’une telle justification, il ne peut y échapper” (1). Le premier roman de De Beauvoir c’est “L’lnvitée”. On y rencontre un couple: Françoise et Pierre qui travaillent tous les deux au théâtre, ils sont des acteurs. Ils s’aiment et sont heureux. “Pierre était sur la scène, elle était dans la salle, et cependant pour tous deux, c’était la même pièce qui se déroulait, dans un même théâtre. Leur vie, c’était pareille; ils ne la voyaient pas toujours sous le même angle; à travers ses désirs, ses humeurs, ses plaisirs, chacun en découvrait un aspect différent : ça n’en était pas moins la même vie. Ni le temps, ni la distance ne pouvaient la scinder; sans doute il y avait des rues, des idées, des visages qui existaient d’abord pour Pierre et d’autres existaient d’abord pour Françoise; mais ces instants épars, ils les rattachaient fidèlement à un ensemble unique, ou le tien et le mien devenaient indiscernables. Aucun des deux n’en distrayait jamais pour soi la moindre parcelle: c’aurait été la pire trahison, la seule possible” (2). Dès le début, nous sommes devant une héroïne existentialiste, comme Roquentin de “La Nausée” de Sartre, consigne l’impression de réveiller par sa présence un monde d’objets qui semblaient comme morts “Elle sortit du bureau. Elle n’avait pas tant envie de Whisky : c’étaient ces corridors noirs qui l’attiraient. Quand elle n’était pas là, cette odeur de poussière, cette pénombre, cette solitude désolée, tout ça n’existait pour personne, ça n’existait pas du tout. Et maintenant elle était là, le rouge de tapis perçait l’obscurité comme une veilleuse timide. Elle avait ce pouvoir : sa présence arrachait les choses à leur inconscience, elle leur donnait leur couleur, leur odeur. Elle descendit un étage et pousse la porte de la salle; c’était comme une mission qui lui avait été confiée, il fallait la faire exister, cette salle déserte, et pleine de nuit. Le rideau de fer était baissé, les murs sentaient la peinture fraîche; les fauteuils de peluche rouge s’alignaient inertes, en attente. Tout à l’heure ils n’attendaient rien. Et maintenant elle était là et ils tendaient leurs bras. Ils regardaient la scène masquée par le rideau de fer, ils appelaient Pierre, et les lumières de la rampe et une foule recueillie. Il aurait fallu rester là toujours, pour perpétuer cette solitude et cette attente; mais il avérait fallu être aussi ailleurs, dans le magasin d’accessoires, dans les loges, au foyer : il aurait fallu être partout à la fois. Elle traversa une avant-scène et monta sur le plateau : elle ouvrit la porte de foyer, elle descendit dans la cour on moisissait de vieux décors. Elle était

(1)Simone De BEAUVOIR, “Pour Une Morale De L’ambiguité”, éd. Gallimard / Idée, coll. nrf, 1947, PP 103, 104 (2)Simone De BEAUVOIR, “L’nvitée”, éd Gallimard, coll. Le livre de poche, 1943, P 59 123 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

seule à dégager le sens de ces lieux abondons, de ces objets en sommeil; elle était là et ils lui appartenaient. Le monde lui appartenait” (1). Cette expérience métaphysique et unique nous introduit un personnage très intelligent et très sensible c’est Françoise et c’est la crise de conscience réveillée et la souffrance d’une personnalité sensible et lucide que De Beauvoir nous présente à travers son protagoniste. La vraie histoire commence avec l’arrivée d’Xavière, une étudiante qui vient de la campagne, est invitée par le couple heureux, Françoise et Pierre. Le roman est inspiré d’une expérience personnelle qu’a vécue Simone De Beauvoir quand une jeune Rouennaise, Olga, devant ses yeux, étalait une relation amoureuse avec Jean-Paul Sartre. La vie de couple est mise à l’épreuve par la présence d’Olga. De fait c’est la présence d’autrui qui se pose entre eux, par la présence de cette invitée. Comme Olga, Xavière est invitée par le couple de venir vivre avec eux. Il la prend comme enfant. Au début Xavière était l’œuvre du couple et leur bonheur. “Les choses se passaient comme nous l’avions escompté. {Xavière} connaissait nos amis, elle partageait nos expériences; nous l’aidions à s’enrichir, et son regard ranimait pour nous les couleurs du monde. Ses dédains d’aristocrate en exile s’accordaient avec notre anarchisme antibourgeois. Ensemble, nous haïssions les foules dominicales, les dames et les messieurs comme il faut, la province, les familles, les enfants et tous les humanismes. Nous aimions la musique exotique, les quais de la Seine, les péniches et les rôdeurs, les petits caboulots douteusement famés, le désert des nuits. Terrés au fond d’un bar, nous tissions avec des mots et des sourires des cocons soyeux qui nous protégeaient (…) du monde entier : pris à la magie qui naissait de nos regards entrecroisés, chacun se sentait à la fois ensorceleur et ensorcelé. Dans ces instants, le “trio” semblait une éblouissante réussite. Pourtant, des fissures avaient tout de suite craqueté ce bel édifice” (2). Le drame commence quand Pierre tombe amoureux d’Xavière. “Françoise se tourna contre le mur. Dans sa chambre en dessous d’eux, Xavière buvait du thé : elle avait allumé une cigarette, elle était libre de choisir l’heure ou elle se coucherait, seule dans son lit, loin de toute présence étrangère; elle était totalement libre de ses sentiments, de ses pensées, et sûrement à cette minute elle s’enchantait de cette liberté; elle en usait pour condamner Françoise; elle voyait Françoise allongée aux côtés de Pierre et toute écrasée de fatigue et elle se complaisait en un orgueilleux mépris, Françoise se raidit, mais elle ne pouvait plus simplement fermer les yeux et effacer Xavière. Xavière n’avait cessé de grandir toute la soirée, elle remplissait la pensée aussi lourdement que le gros gâteau du

(1)I bid P 8 (2)Simone DE BEAUVOIR “La Force De L’âge” éd. Gallimard, coll. Le livre de poche, 1960, P293 124 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

Pôle Nord. Ses exigences, ses jalousies, ses dédains, on ne pouvait plus les ignorer puisque Pierre se mêlait d’y attacher de prix. Cette Xavière précieuse et encombrante qui venait de se révéler, Françoise la repoussait de toutes ses forces : c’était presque de l'hostilité qu’elle sentait en elle. Mais il n’y avait rien à faire, aucun moyen de revenir en arrière, Xavière existait” (1). La présence de Xavière, lui représente la présence d’une autre conscience. Xavière “m’oblige à affronter une vérité que jusqu’alors, je l'ai dit, je m’étais ingéniée à esquiver : autrui existe, au même titre que moi, et avec autant d’évidence. Par tempérament et aussi à cause du rôle qui lui était assigné dans le trio, elle conservait avec entêtement son quant à soi; elle pouvait se donner sans réserve à l’amitié pendant un temps plus ou moins long, mais toujours elle se reprenait; il n’y avait pas entre nous la communauté de projets qui assure la continuité d’une entente. Séparée de moi, elle me regardait avec des yeux étrangers qui me changeaient en objet; parfois une idole, parfois une ennemie” (2). Xavière représente le mythe de la jeune fille et “le vocable “jeune fille” pour les existentialiste est dénué de sens. Pour eux, le mythe de la jeune fille est creux et vide car il n’offre qu’un masque et un visage d’emprunt derrière lequel se cache le vrai drame de la recherche de l’être. Derrière une “jeune fille” au sens traditionnel ce n’est rien décrire du tout, c’est confondre une figure mensongère et fictive avec le personnage authentique qu’elle dissimule” (3). Xavière est envahie par l’ennui et elle répète toujours qu’elle s’ennuie et Pierre lui conseille toujours d’avoir quelque chose à faire, une occupation qui remplit le temps et qui donne sens à sa vie. Xavière représente la jeune fille existentialiste elle n’est pas comme la jeune fille traditionnelle qui se donne à l’attente du mari. Les jeunes filles chez les écrivains existentialistes, y comprise Xavière cherchent à vivre dans la liberté. “Elles veulent remplir leur vie. Le vieil alibi a disparu : on n’attend plus l’époux en s’initiant aux mille besognes de la future maîtresse de maison. Mais on ne les a pas remplacées et l’on ne sait plus trop que faire à la place. On est dans une sorte de “no man’s land”. On n’attend plus l’Homme avec une majuscule, ou le Mari, mais c’est encore l’attente qui est la caractéristique essentielle de cette situation; et, allant même un pas plus loin, cette sorte de” (4) dégoût de vivre, de manque d’intérêt, d’indifférence qui caractérise la jeune fille existentialiste.

(1)“L’luvitée”, PP 79, 80 (2)“La force de l’âge”, P299 (3)Hélène NAHAS, “La Femme Dans La Literature Existentialiste”, éd P.U.F, 1957, P 48 (4)I bid P52 125 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

Françoise représente la femme mûre et authentique qui se trouve dans une situation, compliquée qui l’a beaucoup blessée à l’antérieur malgré cela elle essaye de comprendre tous les deux. C’est pourquoi elle est tombée malade. Xavière reste près d’elle. Son amour est menacé par l’existence de Xavière. “Françoise s’assit devant une table et alluma une cigarette. Sa main tremblait, elle était étonnée de la violence de son désarroi. Sans doute était-ce la tension de ces dernières heures qui, en se brisant, la laissait ainsi désarmée. Elle se sentait rejetée vers des espaces incertains, déracinés et inquiets. Mais l’existence d’Xavière l’avait toujours menacée par delà les contours même de sa vie et c’était cette ancienne angoisse qu’elle reconnaissait avec épouvante” (1). La fin de “L’Invitée” est inattendue, Françoise tue Xavière. “Elle resta debout, surveillant la porte de Xavière. Seule. Sans appui. Ne reposant plus que sur elle-même. Elle attendis un long moment, puis elle entra dans la cuisine et posa la main sur le levier du compteur. Sa main se crispa. Ça semblait impossible. En face de sa solitude, hors de l’espace, hors du temps, il y avait cette présence ennemie qui depuis si longtemps l'écrasait de son ombre aveugle; elle était là, n’existait que pour soi, toute entière réfléchie en elle-même, réduisant au néant tout ce qu’elle excluait : elle enfermait le monde entier dans sa propre solitude triomphante, elle s’épanouissait sans limites, infinie, unique : tout ce qu’elle était, elle le tirait d’elle-même, elle se refusait à toute emprise, elle était l’absolue séparation. Et cependant il suffisait d’abaisser ce levier pour l’anéantir. Anéantir une conscience. Comment puis-je? Pensa Françoise. Mais comment se pouvait- il qu’une conscience existait qui ne fût pas la sienne? Alors, c’était elle qui n’existait pas. Elle répéta : “Elle ou moi”. Elle abaissa le levier. (…) seul. Elle avait agi seule. Aussi seule que dans la mort. Un jour Pierre saurait. Mais même lui ne pourrait la condamner ni l’absoudre. Son acte n’appartenait qu’à elle “C’est moi qui le veux”. C’était sa volonté qui était en train de s’accomplir, plus rien ne la séparait d’elle-même. Elle avait enfin choisi. Elle s’était choisie” (2). Selon De Beauvoir, “Françoise a renoncé à trouver une solution éthique au problème de la coexistence : elle subit l’Autre comme un irréductible scandale; elle s’en défend en suscitant dans le” (3) monde un fait également brutal et irrationnel: un meurtre. Le deuxième roman de De Beauvoir c’est “Le Sang Des Autres”. Elle a écrit ce roman pendant la guerre. “A partir de 1939, tout changea; le monde devint un chaos, et je cessai de rien bâtir; je n’eus d’autre recours que cette conjuration verbale : une morale abstraite; je cherchait des raisons, des formules pour me justifier de subir ce qui m’était imposé. J’en

(1)“L’Invitée”, P481 (2)I bid PP503, 504 (3)“La Frorce De L’âge”, P 391 126 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

trouvai auxquelles je crois encore; je découvris la solidarité, mes responsabilités, et la possibilité de consentir à la mort pour que la vie gardât un sens. Mais j’appris ces vérités en quelque sorte contre moi-même : j’usai de mots pour m’exhorter à les accueillir; je m’expliquais je me persuadais, je me faisais la leçon : c’est cette leçon qui je m’efforçai de transmettre, sans me rendre compte qu’elle n’avait pas forcement la même fraîcheur pour le lecteur que pour moi” (1). La leçon du “Sans Des Autres” c’est la relation à autrui “mais j’en comprenais mieux qu’autrefois la complexité. Mon nouveau héros, Jean Blomart n’exigeait pas comme Françoise, de demeurer en face des autres le sujet unique : il refusait d’être pour eux un objet, intervenant dans leurs existences avec la brutale opacité des choses : son problème était de dépasser ce scandale en établissant avec eux des rapports translucides, de liberté à libertés” (2). Avec notre héros communiste d’origine bourgeoise, il y une héroïne d’origine humble Hélène qui recherche l’existence authentique. Elle se pose la question d’existence quand elle est en train de rompre avec Paul, son premier amour. “Paul. Ma vie, ma varie vie. Je n’ai plus de vie. Seulement cette absence. Je ne vais pas le revoir avant des jours. Et lui ne perse pas qu’il ne me verra pas; il ne pense pas qu’il ne m’aime pas. Toul est plein autour de lui. Je n’existe pas pour lui. Je n’existe pas du tout” (3). Jean Blomart est un “fils d’un riche imprimeur, (…). Il se révoltait contre ses privilèges; il s’engageait comme ouvrier chez un concurrent de son père : ayant ainsi éliminé les injustices du hasard, il pensait pouvoir désormais coïncider avec le choix qu’il faisait de lui-même. Il perdait vite cette illusion : son meilleur ami trouvait la mort dans une bagarre politique où il l’avait entraînée : ses responsabilités débordaient, de loin, ses volontés. Alors, il se réfugiait dans l’abstention : neutralité politique, refuse des engagements sentimentaux. Mais ses fuites et ses silences avaient autant de poids que des gestes et des paroles : l’histoire collective et son aventure privée l’en convainquaient. Il se débattait. Il ne prenait pas son parti de l’inerte culpabilité qui était son lot mais il ne se résolvait pas à agir car toute action est choix, et tout choix lui semblait arbitraire : les hommes ne sont pas des unités qu’on peut additionner, multiplier, soustraire; ils n’entrent dans aucune équation parce que leurs existences sont incommensurables; en sacrifier un pour en sauver dix, c’est consentir à l’absurde. A la fin, la défaite, l’occupation l’acculaient à une décision : par delà tous les raisonnements et tous les calculs, il découvrait en lui des refus et des impératifs absolus. Il renonçait à démêler le nœud gordien : il

(1)I bid P 630 (2)I bid P 623 (3)Simone DE BEAUVOIR, “Le Sang Des Autres”, êd. Gallimard, coll. Folio, 1945, P103 127 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

tranchait. Après des années de pacifisme, il acceptait la violence, il organisait des attentats, en dépit des représailles. Cette détermination ne lui apportait pas la paix au cœur; mais il ne la cherchait plus : il se résignait à vivre dans l’angoisse” (1). Quant à Hélène, quittant Paul, elle est tombée amoureuse de Jean. Mais Jeane ne l’aime pas. “Je ne vous aime pas, dit-il durement (…). Il faut vous en aller maintenant, dit Blomart” (2). Déçue, elle sort pour coucher avec un sale type et quand elle se trouve enceinte, il est parti et elle ne le voit plus depuis longtemps. Maintenant, elle a besoin de quelqu’un pour passer la unit auprès d’elle parce qu’elle fait ça, elle lui dit “Je voudrais me venger” (3). Jean avoue “celui qui l’avait couchée sur ce lit, c’était moi. Je n’avais pas voulu entrer dans sa vie, j’avais fui, et ma fuite avait bouleversé sa vie. Je refusais d’agir sur son destin et j’avais disposé d’elle aussi brutalement que par un viol. Tu souffrais à cause de moi, parce que j’existais. Qui m’avait condamné?” (4). La sympathie les réunit. Pour qu’il reste avec elle à Paris, Hélène lui cherche un travail mais il refuse. Séparée de lui, à cause de l’occupation allemande elle choisit de vivre avec un protecteur allemand. Après un moment de prise de conscience, elle décide de rejoindre la résistance et Blomart la retrouve tuée dans une mission. Devant son corps, il lui avoue son amour et lui dit qu’elle a réussi de mener l’existence authentique “ Il regarda le lit. Pour toi, rien qu’une pierre innocente : tu avais choisi. Ceux qu’on fusillera demain n’ont pas choisi : je suis le roc qui les écrase ; je n’échapperai pas à la malédiction : à jamais je restai pour eux un autre, à jamais je serai pour eux la force aveugle de la fatalité, à jamais séparé d’eux. Mais que seulement je m’emploie à défendre ce bien suprême qui rend innocents et vains toutes les pierres et tous les rocs, ce bien qui sauve chaque homme de tous les autres et de moi-même : la liberté; alors, ma passion n’aura pas été inutile. Tu ne m’as pas donné la paix : mais pourquoi voudrais-je la paix ? Tu m'as donné le courage d’accepter à jamais le risque et l’angoisse, de supporter mes crimes et le remords qui me déchirera sans fin. Il n’y a pas d’autre route” (5). L’angoisse c’est le prix de la liberté. “ Dans les dernières pages, pourtant la femme qu’il aimait et qui agonisait près de lui, à cause de lui, le déliait de ses scrupules: dans les destins d’autrui, tu n’es jamais qu’un instrument, lui disait-elle ; rien d’extérieur ne saurait empiéter sur une liberté ; c’est moi qui ai voulu ma mort. Blomart concluait que chacun a donc le droit de suivre son chemin, s’il conduit à des buts valables. (…). Dans sa jeunesse, Hélène ne situait aux

(1)“La Force De L’âge”, PP 623, 624 (2)“Le Sang Des Autres”, PP 120, 121 (3)I bid P 129 (4)Ioc-cit (5)Ibid P 314. 128 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

antipodes de Blomart ; elle se croyait radicalement détachée de la collectivité : elle ne se souciait que de son salut personnel. Ce qu’elle apparentait au cours de son évolution, c’était la solidarité”. En 1946 De Beauvoir a terminé “ Tous Les Hommes Sont Mortels”. Ce roman nous présente une héroïne, Régine. Elle se montre obsédée par l’idée de l’immortalité. Elle poursuit et essaye d séduire un homme lunatique et pathétique car elle est convaincue qu’il est immortel. Lui, aussi il essaye de la persuader de son immortalité, voyons ce dialogue où on voit la recherche d’une sorte de l’immortalité : Régine s’adresse à Fosca “ Elle le regarde avec ardeur “ Essayez d’écrire un belle pièce que je jouerai. Il toucha le papier d’un air perplexe : “ une pièce que vous jouerez ?” “ Qui sait ? Vous ferez peut-être un chef-d'oeuvre. Et alors ce sera la gloire pour vous et pour moi” “ Est-ce si important pour vous, la gloire ?” “ Rien d’autre ne compte dit-elle. Il la regarde et la prit brusquement dans ses bras : “ pourquoi ne serai-je pas capable de faire ce qu’on fait des hommes mortels ? dit-il avec une espèces de colère. Je vous aiderai. Je veux vous aider” (1). Les deux héros sont d’accord avec Sartre qui dit “ J’écrivais quelque chose d’absolu ; je créais quelque chose d’absolu, qui était en somme, moi. Je m’étais transporté dans une vie éternelle. Un objet d’art survit an siècle; si je crée un objet d’art, il survit au siècle, donc moi, son auteur incarné en lui, je survis au siècle” par-derrière il y a avait l’idée d’immortalité chrétienne: je passais de la vie mortelle à une survie immortelle” (2). Régine est une femme riche, belle, elle a toute la santé, la beauté et l’argent mais une seule chose la dérange beaucoup c’est la mort. Elle veut être l’unique par l’immortalité qu’elle retrouve chez Fosca. Il lui dit qu’il est né au XIIIe siècle en 1848, il s’endormi dans un bois et y est resté soixante ans, ensuite il a passé trente ans dans un asile. Les amis de Régine essayent de la convaincre qu’il est fou et que c’est un classique délire de grandeur. Elle les affirme “ pourquoi ne serait-il pas immortel ? demande-t- elle avec défi. Ça ne me semble pas un plus grand miracle que de naître et de mourir” (3). La mort épouvante Régine comme De Beauvoir qui répète souvent “ Et peut-être cette mort qui m’aura fait peur toute ma vie sera épuisée en une seconde ; je ne m’en apercevrai pas. Accident ou maladie, ce sera peut-être tellement facile. Une résignation conduit à une autre. Je serai morte pour les autres et ne me verrai. (….) sans doute je mourrai dans mon lit ; mon lit me fait peur : une barque qui m’emporte, vertige ; je m’éloigne, je m’éloigne de la rive, immobile, auprès de quelqu’un qui parle et sourit, et

(1)Simone DE BRAUVOIR, “Tous Les Hommes Sont Mortels”, éd. Gallomard, coll. Folio, 1946, P75 (2)“La Cérémonie Des Adieux” P220 (3)“Tous Les Hommes Sont Mortels”, P51 129 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

dont le visage s’efface à la surface de l’eau où j’enfonce : j’enfonce, et je glisse, et je pars,pour nulle part, sur mon lit, au fil de l’eau, du temps, de la nuit” (1). Mais contrairement à Régine, De Beauvoir affirme “ pourtant, je ne pouvais pas même souhaiter d’échapper à cette malédiction : infinie, notre vie se dissoudrait dans l’universelle indifférence. La mort conteste notre existence mais c’est elle qui lui donne son sens ; par elle s’accomplit l’absolue séparation, mais elle est aussi la clef de toute communication”(2). “ Dans ce roman, Fosca, le héros, prétend s’identifier à l’univers puis il découvre que le monde se résout en libertés individuelles, dont chacune est hors d’atteinte (…..). Effrayé par les massacres et les malheurs qu’entraîne la recherche du Bien universel, il doute du Bien même (….)/ L’univers n’est nulle part constate-t-il : “ il n’ y a que des hommes, des hommes à jamais divisés” (….). “ On ne peut rien pour les hommes ; leur bien ne dépend que d’eux-mêmes (….) ce n’est pas le bonheur qu’ils veulent; ils veulent vivre. On ne peut rien ni pour eux, ni contre eux, on ne peut rien” (3). Au début Fosca est un être que “ tout se défait entre ses mains, ses amours successifs se corrompent. Il n’est plus de l’espèce humaine : “ son regard dévaste l'univers: c’est le regard de Dieu (…..). Le regard de celui qui nivelle et transcende tout, qui sait tout, peut tout et change l’homme envers de terre. L’immortalité de Fosca équivaut à une damnation pure et simple : aussi étrangère qu’un météorite, chu des espaces sidéraux, elle est condamnée à ne jamais saisir la vérité de ce monde fini : l’absolu de toute conscience éphémère. A travers cette rêverie sur une immortalité hors d’atteinte, ce qui est également mis en cause c’est le mythe de l’humanité enfin une et réalisée légué par Hegel et au marxisme” (4). Mais à la fin Fosca change d’avis, il essaye d’aider Régine à voir la vérité “ Il n’y a rien de plus à raconter, dit Fosca. Chaque jour le soleil s’est levé, s’est couché. Je suis entré dans l’asile, j’en suis sorti. Il y a en des guerres. Après la guerre, la paix, après la paix, une autre guerre. Tous les jours des hommes naissent, et d’autres meurent” (5). Quand à Régine elle “ est dévorée d’envie, elle veut dominer ses semblables et se révolte contre toutes les limites. Et à travers Fosca, elle veut devenir l’unique (…). Elle voit avec épouvante sa vie se dégrader en comédie ; elle tombe dans la folie” (6). “ Elle regarda autour d’elle : i l y avait peut-être une issue ; furtif comme un battement de paupière, quelque chose effleura son cœur ; ce n’était pas même un espoir et déjà cela s’était

(1)“La Force De L’âge”, P 696 (2)Ibid P 698 (3)Simone DEBEAUVOIR, “La Force Des Choses ”éd – Gallimard », 1963, 96 (4)“Tous Les Homes Sont Mortels”, PP 7,8 (5)Ibid 526 (6)“La Force Des Choses” ; p98 130 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

évanoui ; elle était trop fatiguée. Elle écrasa ses mains contre sa bouche, elle inclina la tête, elle était vaincue ; dans l’horreur, dans la terreur, elle acceptait la métamorphose : moucherons, écume fourni jusqu’à la mort” ce n’est que le commencement”, pesa-t-elle, et elle restait immobile comme s’il eut été possible de ruser avec le temps, de l’empêcher de poursuivre sa course. Ce fut quand l’heure commence de sonner au cloche qu’elle poussa le premier cri” (1). Régine incarne une sorte de l’aliénation des consciences que “ est basée sur le mensonge et la facticité. Elle naît de la non acceptation de la réalité et se refuge dans un monde qu’il crée de toutes pièces elle appartient au groupe des mythomanes, appelés aussi “les salauds”. Leur instrument est l’imagination et leur voie la mauvaise foi” (2). Régine est une actrice qui “ s’est fait un monde factice où elle joue un rôle. Elle essayait le jeu de la maîtresse de maison, le jeu de la gloire, le jeu de la séduction tout cela n'étant qu'un seul jeu : le jeu de l’existence. Elle s’est entourée d’une masse de bibelots, d’objets précieux qui sont les signes de la vie qu’elle veut jouer : masques nègres, statuettes, marionnette. Elle feint passionnément d’exister. Mais Fosca l’aide doucement à voir la vérité (…). Lorsqu’elle y verra enfin clair, son premier geste sera de briser et de piétiner ces bibelots qui ne lui sembleront plus que des bricoles de bazar” (3). Mon internat nous allons aborder le roman le plus important de Simone de Beauvoir “ Les Mandarins”. L’histoire est racontée par l’héroïne, Anne. Une femme dans les quarantaines très intelligente qui travaille comme psychanalyste. Elle est la femme de Robert qui est un philosophe, et aussi elle est la mère d’une fille neurogène, Nadine. Le héros c’est Henri qui est intellectuel idéaliste. Il est l’éditeur d’un journal indépendant de gauche L’Espoir. Son problème principal est qu’il veut et qu’il essaye toujours de garder son journal indépendant mais il ne sait pas comment le faire. Après la disparition du premier enthousiasme de la libération de la zone occupée, il devient difficile pour un journal sérieux d’entrer dans la compétition avec des rivaux commerciaux. Discrètement, il reçoit d’argent des Etats Unis puis des communistes. Sa sympathie reste toujours à la Russie, mais il ne veut pas se donner complètement ni aux américains ni aux communistes. Il adhère au mouvement marxiste indépendant de Dubreuil. Mais même l’aide de Dubreuil il ne peut pas la garder, il risque de la perdre quand il décide de publier un article à propos des camps de concentration russes.

(1)“Tous Les Hommes Sont Mortels”, P528 (2)Héléne NAHAS “La Femme Dans La Littérature Existentielle” , P80 (3)Ibid PP 81, 82 131 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

Restant rigide et refusant de modifier ses idées et ses valeurs, il perd son journal. Dans sa vie privée, il montre une certaine flexibilité éthique, quand il se trouve dans une relation amoureuse avec Josette, qui est une collaboratrice, et pour la sauver, il mène et il donne des faux témoignages au tribunal, de la police pronazie. En plus il cache l’homme qui a des témoignages contre Josette. Ainsi se met-il dans une situation critiquée et mal vue par tous ses amis des jours de la résistance. Il entre dans une crise de conscience, ayant le remords et le sentiment de la culpabilité, il fait recourt à Dubreuil et il l’avoue tout. A sa surprise Dubreuil ne lui reproche rien, au contraire il l’invite d’apprendre de ses expériences. Il lui affirme que les valeurs morales changent selon la situation. “ La question, affirmait Dubreuil h, c’est de décider parmi les choses qui existent celles qu’on préfère. Il ne s’agit pas de résignation : on se résigne quand entre deux choses réelles, on accepte celle que vaut le moins; mais au dessus de l’humanité telle qu’elle est, il n’ y a rien. Oui, sur certains plans Henri était d’accord. Préférer le vide au plein, c’est qu’il avait reproché à Paul : elle se cramponnait à de vieux mythes au lieu de le prendre tel qu’il était. Inversement, il n’avait jamais cherché en Nadine “ la femme idéale” ; il avait choisi de vivre avec elle en connaissant ses défauts c’est surtout quand on pensait aux livres et aux œuvres d’art que, l’attitude de Dubreuilh semblait justifiée. On n’écrit jamais les livres qu’on veut et qu’on peut s’amuser à regarder tout chef-d’œuvre comme un échec; pourtant nous ne rêvons pas d’un art supraterrestre : les œuvrés que nous préférons, c’est d’un amour absolu que nous les aimons. Sur le plan politique, Henri se sentait moins convaincu : parce que là le mal intervient ; il n’est pas seulement un moindre bien : il est l’absolu du malheur, de la mort. Seulement si on attache de l’importance au malheur, à la mort, aux hommes un à un, il ne suffit pas de se dire : “ De toute façon l’histoire est malheureuse”, pour se sentir autorisé à s’en laver les mains : c’est important qu’elle soit plus au moins malheureuse” (1). Quant au personnage principal féminin, Anne, elle se montre passive. On attend d’une femme psychanalyste comme elle, d’avoir l’automatie dont parle toujours Mme De Beauvoir. A propos de cette héroïne, De Beauvoir dit “ faute d’avoir des buts et des projets à soi, elle mène la vie “ relative” d’un être secondaire. Ce sont surtout les aspects négatifs de mon expérience que j’ai exprimé à travers elle : la peur de mourir et le vertige de néant, la vanité du divertissement terrestre, la honte d’oublier, le scandale de vivre” (2). Elle a peur de la vieillesse en s’avouant je me retrouve pour apprendre que je suis condamnée : ma vieillesse m’attend, aucun moyen de

(1)Simone DE BEAUVOIR, “Les Mandarins”, éd Gallimard, coll. nrf, 1954, 558 (2)“La Force Des Choses(1)” P334 132 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

lui échapper déjà je l’entrevois au fond du miroir. Oh! Je suis encore une femme, je saigne encore chaque mois, rien n’est changé ; seulement maintenant je sais. Je soulève mes cheveux : ces stries blanches, ce n’est plus une curiosité ni un signe : un commencement ; ma tête va prendre, vivante, la couleur de mes os. Mon visage peut encore paraître lisse et dru, mais d’un instant à l’autre, le masque va s’effondrer, dénudant des yeux enrhumés de vieille femme” (1). Elle s’emprisonne dans la hantise de la mort, de la vieillesse, elle s’ennuie et pour se libérer, elle décide de partir en voyage aux Etats-Unis. “ Un avion qui m’emporte, une vieille géante, et pourtant trois mois, nulle autre consigne que de m’instruire et m’amuser : tant de liberté, tant de nouveauté, comme je les souhaiterais ! C’était sans doute une folle imprudence d’aller m’égarer au monde des vivants, moi qui m’étais fait un nid sous les myrtes : tant pis ! Je cessai de me défendre contre cette joie que montait. Que ce soir même je répondrais oui. Survivre, après tout, c’est sans cesse recommencer à vivre. J’espérais que je sauris encore” (2). Là bas aux Etats-Unis, elle aime un américain, Lewis, Mais elle est déchirée entre cet amour et les consignes qu’elle s’impose à elle-même. “ C’est une bien étrange entreprise, de vivre un amour en le refusant. Les lettres de Lewis me fendaient le cœur. “ Est-ce que je vais continuer à vous aimer chaque jour de plus en plus ?” m’écrivait-il. Et une autre fois : “ C’est un drôle de tour que vous m'avez joué. Je ne peux plus ramener chez moi des femmes d’une nuit. Celles à qui j’aurais pu donner un petit bout de mon cœur, je n’ai plus rien à leur offrir” Comme j’avais envie, quand je lisais ces mots, de me jeter dans ses bras ! Puisque ça m’était interdit, j’aurais lui dire : “ oubliez-moi”. Mais je ne voulais pas le dire ; je voulais qu’il m’aime ; je voulais tout le mal que je lui faisais ; je subissais sa tristesse dans le remords. Je souffrais aussi pour mon compte ; comme le temps passait lentement, comme il passait vite! Lewis restait toujours aussi loin de moi ; mais je me rapprochais de jour en jour de ma vieillesse ; notre amour vitalisait, un jour il mourrait sans avoir vécu. C’était une pensée insupportable. J’ai été contente de quitter Saint-Martin, de retrouver à Paris des malades, des amis, du bruit, des occupations qui m’empêchaient de penser à moi” (3). Déçue, elle décide de se suicider. Mais elle change d’avis pour Robert qui l’aime ? Ou pour Nadine qui va se marier avec Henri? Ou pour elle- même? Elle se répète “ je suis ici. Ils vivent, ils me parlent, je suis vivante. De nouveau, j’ai sauté à pieds joints dans la vie. Les mots entrent dans mes oreilles, peu à peu ils prennent un sens. Voilà les devis de l’hebdomadaire

(1)“Les Mandarins”, P78 (2)Ibid P216 (3)I bid P 397 133 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

et les maquettes que propose Henri. Est-ce que je n’ai pas d’idée pour un titre ? Aucun de ceux auxquels on a pensé jusqu’ici ne convient. Je cherche un titre. Je me dis que puisque’ ils ont été assez forts pour m’attacher à la mort, peut-être qu'ils sauront m’aider de nouveau à vivre. Ils sauront sûrement. Ou on sombre dans l’indifférence, ou la terre se repeuple ; je n’ai pas sombre. Puisque mon cœur continue à battre, il faudra bien qu’il batte, il faudra bien qu’il batte pour quelque chose, pour quelqu’un. Puisque je ne suis pas sourde, je m’entendrai de nouveau appeler. Qui sait ? Peut-être un jour serai-je de nouveau heureuse. Qui sait ?” (1). Le seul récit écrit par Simone De Beauvoir c’est “ Une Mort Très Douce” à travers lequel elle décrit le refus de sa mère de la mort, “ Maman aimait la vie comme je l’aime et elle éprouvait devant la mort la même révolte que moi. J’ai reçu pendant son agonie beaucoup de lettres qui commentaient mon dernier livre : “ si vous n’aviez pas perdu la foi, la mort ne vous effraierait pas tant”, m’écrivaient, avec une fielleuse commisération, des dévos. Des lecteurs bienveillants m’exhortaient : “ Disparaître, ce n’est rien : votre œuvre restera” Et à tous je répondais en moi-même qu’ils se trompaient. La religion ne pouvait pas plus pour ma mère que pour moi l’espoir d’un succès posthume. Quand on l’imagine céleste ou terrestre, l’immortalité, quand on tient à la vie, ne console pas de la mort” (2). “ A travers l’œuvre de Simone de Beauvoir, autobiographie, essais, et fiction, on retrouve constamment une analyse de la mort: thème philosophique et thème concret. Dans ses mémoires, elle appelle la mort une aventure brutale (…). Dans ses romans, Anne dans “ Les Mandarins” est tentée par le suicide, Françoise tue dans “ l’invitée”, “ Le Sang désastres” se déroule au chevet d’une mourante ; dans “ Les Bouches Inutiles”, il s’agit d’infliger la mort ou de risquer de la partager ; “ Tous Les Hommes Sont Mortels” est une méditation sur la mort, et le thème réapparaît dans les nouvelles de “ La Femme Rompue”, et dans “ Les Belles Images” (3). La mort occupe cette place importante dans les écrits de Mme De Beauvoir, parce que pour elle “ il n’y a pas de mort naturelle : rien de ce qui arrive à l’homme n’est jamais naturel puisque sa présence met le monde en question. Tous les homme sont mortels : mais pour chaque homme sa mort est un accident et, même s’il la connaît et y consent, une violence indue” (4). Quant aux “ Belles Images”, Mme De Beauvoir prétend “ j’ai repris un autre projet : évoquer cette société technocratique dont je me tiens le plus possible à distance mais dans laquelle néanmoins je vis : à travers les

(1)I bid P 579 (2)Simone DE BEAUVOIR, “Une Mort très Douce » éd – Gallimard, coll. Folio,1964,P132 (3)Claude FRANCIS, Fernande GONTIER, “Les écrits De Simone De Beauvoir ”éd.Gallimard coll. Nrf.1979, P 212 (4)“La Mort Très Douce”,P152 134 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

journaux, les magazines, la publicité, la radio, elle m’investit. Mon attention n’était pas de décrire l’expérience vécue et singulière de certains de ses membres : je voulais faire entendre ce qu’on appelle aujourd’hui son “ discours”. J’ai feuilleté les revues, les livres où il s’inscrit. J’y ai trouvé des raisonnements, des formules qui me saisissaient par leur inanité ; d’autres dont les prémisses ou les implications me révoltaient. Ne retentant que les textes dont les auteurs “ font autorité”, j’ai constitué un sottisier aussi consternant que divertissant. Personne, dans cet univers auquel je suis hostile, ne pouvait parler en mon nom : cependant pour le donner à voir il me fallait prendre à son égard un certain recul. J’ai choisi comme témoin une jeune femme assez complice de son entourage pour ne pas le juger, assez honnête pour vivre cette connivence dans la malaise. Je l’ai dotée d’une mère “ dans le vent” et d’un père passéiste : cette double appartenance expliquait ses incertitudes. Grâce à son père, elle doutait des valeurs admises dans son milieu. La réussite, l’argent. Une question posée par sa fille de dix ans l’amenait à s’interroger sérieusement; elle ne trouvait pas de réponse et elle se débattait dans des ténèbres qu’elle souhaitait en vain percer. La difficulté c’était, sans intervenir moi-même, de faire transparaître du fond de sa nuit la laideur du monde où elle étouffait” (1). Notre héroïne s’appelle Laurence. Dès le début elle se montre déchirée entre un amant, Lucien et un mari Jean-charles. Lucien “ a fait un sérieux effort pour accepter la situation. Il sait qu’elle ne divorcera jamais et il ne menace plus de rompre. Il se plie à tout, ou presque. Elle tient à lui : il la repose de Jean-Charles ; si différent : l’eau et le feu” (2). En plus, dès son enfance, elle se trouve déchirée entre un père qui essaye toujours de mettre sa vie en accord avec ses principes. “Avec son père, même les banalités ne sont pas banales : à cause de cette lueur complice dans ses yeux. Ils ont tous deux le goût de la complicité : ces instants où on ne sent aussi proches que si on ne vivait que l’un pour l’autre” (3). Mais elle affirme “ toute ma vie ainsi : c’est mon père que j’aimais et ma mère qui m’a faite” (4). Et cette mère qui l’a faite, est une femme qui cherche le refus dans les apparences : les vêtements, l’argent, le luxe. Elle adopte les valeurs américaines. “ A défaut de qualité le seul étalon qui demeure pour estimer travail et les réalisations de l’homme est quantitatif : l’argent. Et l’argent n’est qu’un signe abstrait pour la véritable richesse. Le culte pour l’argent qu’on trouve ici ne provient ni de l’avarice ni de la mesquinerie, il exprime le fait que l’individu ne peut engager sa liberté dans

(1)Simone DE BEAUVOIR “Tout Compte Fait”, éd. Gallimard, coll. Folio, 1972, P172. (2)Simone DE BEAUVOIR, “Les Belles Images”, éd. Galimard,coll. Folio, 1966, P32 (3)Ibid P34. (4)Ov. Cit. 135 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

aucun domaine concret ; gagner de l’argent est le seul but qu’on puisse fixer dans un monde où tous les dessins ont été réduits à ce commun dénominateur” (1). La mère de Laurence, est une incarnation de la femme “ objet” car “ plus le drame se passe au niveau des consciences, plus l’apparence physique est secondaire, et inversement. Plus la personne est “ objet”, et objet érotique, plus l’accent est mis sur les vêtements” (2). La crise de conscience se passe chez la fille de Laurence de dix ans qui pose des questions qui n’ont pas de réponses. Elle veut savoir pourquoi on existe ? Pourquoi la mort et le mal existent? Et ce que rend le problème plus grave c’est l’athéisme “ la mort, le mal, c’est dur pour une enfant de les affronter si on ne croit pas en Dieu. Si elle croyait, ça l’aiderait” (3). Catherine a une amie, Brigitte, entre elles se posent toutes les questions existentielles qui bouleversent la vie des adolescents mais c’est par l'amitié qu’elles peuvent la dépasser. La famille de Laurence veut empêcher Catherine de voir son amie pour qu'elle se donne à la vie de la télévision, le cinéma et l’inanité. Maintenant la crise de conscience se passe de la fille à la mère. Laurence refuse la décision de la famille. “ Elle retombe sur son oreiller. Ils la forceront à manger, ils lui feront tout avaler ; tout quoi? Tout ce qu’elle vomit, sa vie, celle des autres avec leur fausse amour, leurs histoires d’argent, leurs mensonges. Ils guériront de ses refus, de son désespoir. Non. Pourquoi non ? Cette taupe qui ouvre les yeux et voit qu’il fait noir, à quoi ça l’avance-t-il ? Refermer les yeux. Et Catherine ? Lui couler les paupières? “ Non” ; elle a crié tout haut. Pas Catherine. Je ne permettrai pas qu’on lui fasse ce qu’on m’a fait. Qu’a-t-on fait de moi ? Cette femme qui n’aime personne insensible aux beautés du monde, incapable même de pleurer, cette femme que je vomis. Catherine : au contraire lui ouvrir les yeux tout de suite et peut-être elle s’en sortira… De quoi ? De cette nuit. De l’ignorance, de l’indifférence. Catherine … Elle se redresse soudain “ on ne lui fera pas ce qu’on a fait” (4). “ La Femme Rompue” est un recueil des nouvelles où il y a trois nouvelles. La première intitulée “ L’âge De Discrétion” De Beauvoir dit dans “ L’âge De Discrétion” je rependais un des thèmes du roman que j’avais abandonnés la vieillesse. Un mot de Bachelard, dénonçant la stérilité des vieux savants, m’avait frappée: comment un individu actif peut-il se survivre quand il se sent réduit à l’impuissance ? J’ai imaginé qu’un couple d’intellectuels, jusqu’alors très unis, se trouvait divisé parce qu’ils ne

(1)Simone DE BEAUVOIR, “Points De Vue D’une Existentialiste Sur Les Américains ”, The New York Times magazine mai 1971, cité in Les Ecrits de Simone de Beauvoir, P349 (2)“La Femme Dans La Littérature Existentielle“, P136 (3)“Les Belles Images ”P76 (4)Ibid PP 180,181 136 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

supportaient pas de la même manière le poids des ans. La crise éclatait à propos d’un conflit avec leur fils ; mais ce qui m’intéressait c’était le rapport des parents enter eux” (1). Le couple intellectuel essaye de se mettre d’accord avec la vieillesse. “ Que faire quand le monde s’est décoloré ? Il ne reste qu’à tuer le temps. Moi aussi, j’ai traversé une mauvaise période. Il y a dix ans, j’étais déboutée de mon corps. Philippe était devenu un adulte après le succès de mon livre sur Rousseau je me sentais vidée. Vieillir m’angoissait. Et puis j’ai entrepris une étude sur Montesquieu, j’ai réussi à faire passer l’agrégation à Philippe, à lui faire commencer une thèse. On m’a confié des cours en Sorbonne qui m’ont intéressée plus encore que ma khâgne. Je me suis résignée à mon corps. Il m’a semblé n’avait pas de son âge une conscience aussi aiguë, j’oublierais facilement le mien” (2). Leur fils a pris la décision de quitter l’université et de se marier avec une de ces jeunes femmes “dans le vent” qui ont “ un vague métier, on prétend se cultiver, faire du sport, bien s’habiller, tenir impeccablement son intérieur, élever parfaitement ses enfants, mener une vie mondaine, bref réussir sur tous les plans. Et on retient vraiment à rien” (3). Les parents sont choqués et déçus et pour quelques semaines ils se sont séparés. Enfin ils se réunissent et prennent la décision de ne pas regarder loin. “ Ne pas regarder trop loin. Au loin c’étaient les râteliers les sciatiques, les infirmités, la stérilité mentale, la solitude dans un monde étranger que nous comprendrons plus et qui continuera sa course sans nous. Réussirai-je à ne pas lever les yeux vers ces horizons à les apercevoir sans nous ? Nous sommes ensemble, c’est notre chance. Nous nous aiderons à vivre cette derrière aventure dont nous ne reviendrons pas. Cela nous la rendra-t-il tolérable ? Je ne sais pas. Espérons. Nous n’avons pas le choix” (4). La deuxième nouvelle c’est “ Monologue”.A propos de ce “ Monologue” Mme De Beauvoir dit “ il s’agit aussi du rapport de la vérité avec les mensonges du discours : certaines lettres que j’avais reçues m’avaient montré comment elle pouvait éclater à travers des phrases destinées à la dissimuler. Ma correspondante dénonçait l’ingratitude d’un enfant, indifférence d’un époux ; en fait elle peignait son propre portrait : celui d’une mère abusive, d’une insupportable mégère. J’ai choisi un cas extrême : une femme que se sait responsable du suicide de sa fille et que tout son entourage condamne. J’ai essayé de construire l’ensemble des sophismes, des vaticinations, des fuites par lesquels elle tente de se donner

(1)“Tout Compte Fait ” PP 141- 143. (2)Simone DEBEAUVIR “La Femme Rompue”, éd Gallimaed, coll. Folio, 1967, P16 (3)I bid P 23 (4)Ibid PP 83,84 137 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

raison. Elle n’y parvient qu’en poussant jusqu’à la paraphrénie sa distorsion de la réalité. Pour récuser le monde entier” (1). “La Femme Rompue” “ c’est la dernière nouvelle où on rencontre Monique, une épouse depuis vingt deux ans d’un médecin avec qui elle forme un couple très uni. Mère de deux filles dont l’une est mariée et l’autre en Amérique, elle souffre de voir son mari consacrer de plus en plus de temps à ses travaux de recherche et s'éloigner d'elle peu à peu. Une nuit où il est rentré à une heure très tardive, elle le presse aux questions : “ J’ai demandé doucement “ Dis-moi pourquoi tu rentres si tard ?” Il n’a rien répondu “ vous avez bu ? Joué au poker ?vous êtes sortis ? Tu as oublié l’heure ?” Il continuait à se taire, avec une espèce d’insistance, en faisant tourner son verre entre ses doigts. J’ai jeté au hasard des mots absurdes pour le faire sortir de ses gonds et lui arracher une explication “ Qu’est-ce qui se passe ? Il y a une femme dans ta vie ?” Sans me quitter des yeux, il a dit : “ Oui Monique : il y a une femme dans ma vie” (2). Abandonnée par son mari, elle cherche le refuge chez ses filles et ses amis mais malheureusement ils sont tous occupés. Donc nous sommes devant une “ femme attachante mais d’une affectivité envahissante ; ayant renoncé à une carrière personnelle, elle n’avait pas su s’intéresser à celle de son mari. Intellectuellement très supérieure à elle, celui-ci avait depuis longtemps cessé de l’aimer. Il s’éprenait très sérieusement d’une avocate plus ouverte, plus vivante que sa femme et beaucoup plus proche de lui. Peu à peu il se libérait de Monique pour recommencer une nouvelle vie” (3). Heureusement cette femme victime de la vie qu’elle s’est choisie, décide de se libérer en affirmant dans les dernière pages: “ Mais je sais que je bougerai. La porte s’ouvrira lentement et je verrai ce qu’il y a derrière la porte. C’est l’avenir. La porte de l’avenir va s’ouvrir. Lentement implaçablement. Je suis sur le seuil. Il n’y a que cette porte et ce qui guette derrière. J’ai peur. Et je ne me peux appeler personne au secours. J’ai peur” (4). La vue d’ensemble des héroïnes beauvoiriennes nous met vis à vis d’une conclusion un peu étrange et inattendue : La plus part des héroïnes de Mme De Beauvoir ne sont pas comme il faut. On attend de rencontrer chez elles des femmes indépendantes mais on ne voit que les faibles qui ont la mauvaise fois et qui mènent une existence inauthentique. Mme De Beauvoir répond : “ On m’a reproché parfois de n’avoir élu, pour représenter mon sexe, aucune femme assumant, à égalité avec des hommes, des responsabilités professionnelles et politiques : (…) j’ai décrit les femmes

(1)“Tout Compte Fait”,P176 (2)“La Femme Rompue”, P131 (3)“Tout Compte Fait”, P175 (4)“La Femme Rompue”,P252 138 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

telles que, en général, je les voyais, telles que je les vois encore : divisées. Aucune, d’un point de vue féministe, ne peut être considérée comme “ une héroïne positive” J’en conviens, mais sans m’en repentir” (1). Même ses disciples et ses filles, les féministes, l’ont attaquée. “ J’ai été plus touchée par la réaction de certaines femmes qui luttent pour la cause des femmes et que mes récits ont déçues parce qu’ils n’avaient rien de militant. “ Elle nous trahies” ont-elles dit et elles m’on envoyé des lettres de reproche. Rien n’interdit de tirer une conclusion féministe de “ La femme rompue” : son malheur vient de la dépendance à laquelle elle a consenti. Mais surtout je ne me sens pas astreinte à choisir des héroïnes exemplaires. Décrire l’échec, l’erreur, la mauvaise foi, ce n’est, me semble- t-il, trahir personne” (2). Donc l’étude de l’ensemble de l’œuvre beauvoirienne nous présente ces trois conclusions : la première est que la femme dans cette œuvre “est présentée dans ses archétypes les plus traditionnels: la mère, l’épouse, la maîtresse, la femme frigide... Mais ce n’est pas sa valeur dans ces prototypes qui compte. Ces prototypes sont des situations ; chacun est la situation individuelle et concrète d’une femme (…) Derrière chaque situation il y a le problème de l’existence” (3). La deuxième conclusion est que “ le problème du couple demeure central. Il n’est, toute fois, qu’une des tentatives de la conscience pour réaliser son “ être pour autrui” (4). La dernière conclusion est que la femme dans cette œuvre représente son cœur” comme l’homme. Seulement les mots d’homme et de femme doivent être pris dans un sens nouveau. Ils ne sont plus complémentaire l’un à l’autre, et leurs drames ne sont plus ceux de “ l’amoureux poison” (….). Leur situation dans le monde actuel les définit. Ils sont engagés en tant qu'existants, ayant à vivre leur époque métaphysiquement d’abord, concrètement ensuite, d’où en partie seulement sexuellement” (5).

Conclusion De La Deuxième partie

L’ensemble de l’œuvre existentialiste nous introduit des écrivains lucides et plus optimistes que les écrivains du théâtre de l’absurde. Les existentialistes nous présentent l’espoir que nous cherchons dans ce monde absurde, en nous proposant la transcendance humaine comme solution de notre drame. En se projetant hors de lui ; et en se choisissant, l’homme peut trouver l’harmonie qu’il lui manque. Mais jamais il ne peut pas

(1)“La Force Des Choses (1)”, PP 364, 365 (2)“Tout Compte Fait”, P179 (3)“La Femme Dans La Littérature Existentielle », P 143 (4)Ibid P 144. (5)Ibid P 145 139 Partie2:La Transcendance Existentialiste-Chapitre2:La Transcendance Féminine (L’absurde Chez Beauvoir)

retrouver le calme et le repos éternels parce que la transcendance reste toujours hors atteinte. Le style et les moyens d’expression qu’on rencontre chez ces écrivains, sont traditionnels, leur originalité réside dans le contenu qu’ils présentent et non pas dans la forme. Chez eux en “ abordant directement les problèmes de l’heure, la littérature resserre ses liens avec la vie, mais il arrive que ce soit au détriment de l’élaboration esthétique” (1). Leur excuse est dans le fait que “ les écrivains existentiels apportent leur vision totale du monde et la condition humaine, et non point une vision partielle et artificiellement détachée. Cette marche est irréversible depuis que la littérature a insensiblement abandonné le cercle restreint des lettres et des initiés pour devenir l’affaire de tout le monde” (2).

(1)“XXe Siècle”, P 702 (2)“Femme Dans La Littérature Existentielle”, 1oc – cit. 140

Partie LA PENSÉE DE MIDI 3

141

Chapitre LE CYCLE DE SISYPHE 1 (L’ABSURDE CHEZ L’HOMME ABSURDE)

142 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

L’absurde chez Camus ressemble quelquefois à celui des écrivains du théâtre de l’absurde. D’autrefois il se présente comme le frère de l’absurde existentialiste mais en générale ce qui peut distinguer le sien de celui des autres c’est l’attitude de ses héros à l’égard de cet absurde. L’idée qui domine l’ensemble de l’œuvre Camusienne c’est celle de l’absurde qui naît d’une situation métaphysique individuelle. L’absurde chez lui crée un décalage entre l’homme et ses semblables et le rejette dans un univers privé des lois habituelles de la morale. Pour , l’absurde c’est la mort au cœur de la vie. L’œuvre camusienne passe par deux étapes principales. Dans la première étape son héros reste confiné dans une individualité indépassable, et dans cette étape ce héros ressemble à celui des écrivains du théâtre de l’absurde. Dans la deuxième phase le personnage principal s’ouvre à la fraternité et à la solidarité de ses semblables. Cependant avant aborder les œuvres du cycle de Sisyphe, le premier cycle, nous allons commencer par ses premiers écrits où on rencontre les origines de la pensée camusienne.

(3.1.1) Ses écrits avant le cycle le cycle de Sisyphe.

Les premiers trois livres de Camus sont : “L’Envers et L’Endroit” “ Noces” et “ La Mort Heureuse”. “ Camus pendant de longues années, se refusa toute réédition de son premier recueil L’Envers et L’Endroit”, devenu introuvable. Non pas du tout qu’il en jugeât les textes, pour le fond, lointains ou dépassé. Bien au contraire il voulait les reprendre déprendre pour les rendre plus forts. Il leur reprochait une emphase maladroite, mais il était certain d’avoir tenté d’ y exprimer, déjà, l’essentiel d ce qu’il était, sentait et pensait, de ce qu’il pouvait avoir à dire. (1). Le style de Camus de vingt deux ans, est disparate et parfois maladroite mais malgré ça dans “ l’Envers et L’Endroit” se trouvent les vieilles pierres sur lesquelles l’ensemble de l’œuvre camusienne est construit. “ Depuis le temps où ces pages ont été écrites, j’ai vieillie traversé beaucoup de choses. J’ai appris sur moi-même connaissant mes limites, et presque toutes mes faiblesses (….) Qu’importe ! Je voulais seulement marquer que, si j’ai beaucoup marché depuis ce livre, je n’ai pas tellement progressé. Souvent croyant avancer, je reculais. Mais, à la fin, mes fautes, mes ignorances et mes fidélités m’ont toujours ramené sur cet ancien chemin que j’ai commencé d’ouvrir avec “L’Envers et L’Endroit”, dont on voit les traces dans tout ce que J’ai fait ensuite (…….) si malgré tant d’effort

(1 )Pol GAILLARD, “Albert Camus” éd Bordas, coll. Pénsées Littéraires, 1973 P43. 143 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

pour édifier un langage et faire vivre “L’Envers et L’Endroit”, je ne serai jamais parvenu à rien, voilà ma conviction obscure (1). A travers “L’Envers et L’Endroit”, on voit “ sur quelles images s’est ouvert le cœur de Camus, sur quelles réflexions son intelligence, son premier recueil nous le livre en effet de la façon la plus nue et pourtant avec une telle pudeur, un tel respect de la complexité des êtres, du monde, de lui-même que, comme lui, nous hésitons, nous ne pouvons conclure … cinq essais très courts, aux titres opposés ou énigmatiques : “La Mort Dans L’Ame”, “Amour de Vivre”, “Entre Oui et Non”, “L’Ironie” et, pour finir, le texte qui donne son double nom à l’ouvrage entier, “L’Envers et L’Endroit”. Que faut-il comprendre ? Ou pourrait croire d’abord que Camus se borne à raconter simplement, pour rien, quelques épisodes vécus par lui ou par d’autres, apparemment sans signification particulière, des faits bruts, des, “ tranches de vie”(2). Le premier essai “ L’Ironie” nous raconte l’histoire d’une vieille femme. “ Elle souffrait d’une maladie dont elle avait bien cru mourir. Tout son coté droit avait été paralysé. Elle n’avait qu’une moitié d’elle en ce monde quand l’autre lui était déjà étrangère. Petite vieille remuante et bavarde on l’avait réduite au silence et l’immobilité. Seule de longues journées, illettrée, peu sensible, sa vie entière se ramenait à Dieu. Elle croyait en lui. Et la preuve est qu’elle avait un chapelet, un christ de plomb et, en stuc, un saint Joseph portant L’Enfant Elle doutait que sa maladie fût incunable, mais l’affirmait pour qu’on s’intéressât à elle, s’en remettant du reste au Dieu qu’elle aimait si mal” (3). Parce qu’elle n’a plus rien d’autre la vieille femme infirme se raccroche à Dieu et à son chapelet mais quand sa fille la voit prier, elle la rabroue en lui disant “ La voilà encore qui prie ! Qu’est-ce que ça peut te faire ? disait la malade. Ça ne me fait rien, mais ça m’énerve à la fin” (4). Elle ne répond pas mais elle ne veut pas renoncer car elle ne veut pas abandonner son seul secours contre la mort, ce Dieu mystérieux et vague auquel une croyance venue du fond des âges la persuade maintenant de se soumettre. “ Elle verra bien quand elle sera vieille. Elle aussi en aura besoin !”(5). Pourtant un jour, la vie renaît un peu pour la vieille femme. “ Ce jour- là, quelqu’un s’intéressait à elle. C’était un jeune homme. (….) Il avait pris un véritable intérêt à l’ennui de la vieille femme. Cela, elle l’avait bien senti. Et cet intérêt était une aubine inespérée pour la malade. Elle disait ses peines avec animation : elle était au bout de son rouleau, et il faut bien

(1 )Albert CAMUS, “L’Envers et L’Endroit”éd. Gallimard, Coll.folio, 1958, P25_P27 (2 )GAILLARD, op.cit pp44, 45 (3 )CAMUS, OP.CIT p35 (4 )Ibid P37 (5 )Loc. Cit. 144 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

laisser la place aux jeunes. Si elle s’ennuyait ? Cela était sûr. On ne lui parlait pas. Elle était dans son coin, comme un chien. Il valait mieux en finir. Parce qu’elle aimait mieux mourir que d’être à la charge de quelqu’un” (1). Tout change dans la vie de la vieille délaissée partout le monde. L’arrivée de cet jeune homme un peu plus attentif que les autres, qui s’occupe d’elle, s’intéresse à elle et qui l’écoute, cette arrivée la fait croire que le jeune homme va rester toujours près d’elle et qu’il ne va pas aller au cinéma avec les autres pour lui tenir compagnie. “ Tout le monde était prêt. On s’approchait de la vieille femme pour l’embrasser et lui souhaiter un bon soir. Elle avait déjà compris et serrait avec force son chapelet. Mais il paraissait bien que ce geste pouvait être autant de désespoir que de ferveur. On l’avait embrassée. Il ne restait que le jeune homme. Il avait serré la main de la femme avec affection et se retournait déjà. Mais l’autre voyait partir celui qui s’était intéressé à elle. Elle ne voulait pas être seule. Elle sentait déjà l’horreur de sa solitude, l’insomnie prolongée, le tête-à-tête décevant avec Dieu. Elle avait peur, ne se reposait plus qu’en l’homme, et se rattachant au seul être qui lui eût marqué de l’intérêt, ne lâchait pas sa main, la serrait, le remerciant maladroitement pour justifier cette insistance. Le jeune homme était gêné. Déjà, les autres se retournaient pour l’inviter à neuf heures et il valait mieux un peu tôt pour ne pas attendre au guichet. Lui se sentait placé devant le plus affreux malheur qu’il eût encore connu : celui d’une vieille femme infirme qu’on abandonne pour aller au cinéma. Il voulait partir et se dérober, ne voulait pas savoir, essayait de retirer sa main. Une seconde durant, il eut une haine féroce pour cette vieille” (2). Il part et avec lui l’illusion est finie et la seule certitude en laquelle elle peut reposer, s’évanouît. Elle lui reste Dieu, mais elle affirme le contraire “ rien ne la protégeait maintenant. Et livrée tout entière à la pensée de sa mort, elle ne savait pas exactement ce qui l’effrayait, mais sentait qu’elle ne voulait pas être seule. Dieu ne lui servait de rien, qu’à l’ôter aux hommes et à la rendre seule. Elle ne voulait pas quitter les hommes. C’est pour cela qu’elle se mit à pleurer” (3). Le royaume de la vieille et celui de Camus est de ce monde. Dans cet essai on voit l’homme devant la mort et le problème de l’existence de Dieu se pose. “ Dieu n’est ici que la conscience angoissée de la mort prochaine, conscience douloureuse qui trouve tout ensemble son apaisement et son aiguillon dans la foi.” Elle ne voulait pas quitter les hommes” mais les hommes la quittent. S’ils y consentaient, si seulement ils y prêtaient la main, elle leur reviendrait bien vite, plantant là Saint Joseph, et le réservant pour de futures angoisses. C’est une pareille atmosphère de

(1 )Ibid P36 (2 )Ibid PP39, 40 (3 )Loc. cit 145 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

pauvreté spirituelle que Camus découvre le caractère fondamental de la foi. Il en sait toute l’humanité, tout le naturel. Aussi, n’aura-t-il jamais pour la religion cette haine intellectuelle ou cet esprit d’âpre rivalité qui hantent un Sartre” (1). Tous les essais de “L’Envers et L’Endroit” parlent de la mort et son absurdité. De fait il s’agit des” destins semblables et pourtant différents. La mort pour tous, mais à chacun sa mort”(2). Le deuxième essai parle d’une femme pauvre, plus desservie que d’autres par la nature ; une femme qui toute la journée, fait des ménages et rentre lasse, le soir, dans un foyer sans âme, dominé par sa mère autoritaire. “ Elle avait une mère rude et dominatrice qui sacrifiait tout à un amour propre de bête susceptible et qui, avait longtemps dominé l’esprit faible de sa vie. Emancipée par le mariage, celle-ci est docilement revenue, son mari est mort. (…). Elle a oublié son mari, mais parle encore du père de ses enfants. Pour élever ces derniers, elle travaille et donne son argent à sa mère. Celle-ci fait l’éducation des enfants avec une cravache. Quand elle frappe trop fort, sa fille lui dit : “ Ne frappe pas sur la tête”. Parce que ce sont ses enfants, elle aime bien. Elle les aime d’un égal amour qui ne s’est jamais révélé à eux” (3). A travers “ Entre Oui et Non” Camus nous présente le monde des pauvres où les sentiments sont sincères mais ils ne s’expriment à la manière habituelle. De cette pauvreté quasi anomale se dégage un amour à la fois primitif et sûr d’une mère bizarrement silencieuse. En certaines circonstances, on lui posait une question : “ A quoi tu penses ?” “ A rien”, répondait-elle. Et c’est bien vrai, tout est là, donc rien. Sa vie, ses intérêts, ses enfants se bornent à être là, donc présence trop naturelle pour être sentie” (4). “ C’est vrai, il ne lui a jamais parlé. Mais quel besoin, en vérité ? A se taire, la situation s’éclaircit. Il est son fils, elle, est sa mère” (5).” Lorsque la mère et le fils échangent une parole. C’est pour dire quelque chose. De toute façon, le contenu n’a pas d’importance : l’essentiel est de se toucher de la voix, de rendre au silence monotone son épaisseur et son prix. (….). C’est la vie toute plate, limitée au travail, à la fatigue, au sommeil. Le langage, ici, a repris ses véritables proportions : instrument d’échanges vitaux ou murmure gratuit échappé à la tendresse” (6). Le troisième essai, intitulé “ La Mort Dans L’Âme” nous parle de la solitude totale d’un voyageur perdu dans une ville étrangère comme la créature dans le cosmos. Le narrateur nous dit qu’il est à Prague et qu’il est

(1 )Rogér Quilliot, “Le Mer Et Les Prisons Essai Sur Albert Camus” éd. Gollimard, coll. Nrf, 1956, P32. (2 )CAMUS, op.cit, P52. (3 )Ibid P. 60 (4 )Ibid P 59 (5 )Ibid P68 (6 )QUILLOT, op.cit, PP33,34 146 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

en train de chercher un hôtel et parce qu’il doit rester six jours et il n’a pas assez d’argent, il choisit un hôtel modeste. Là-bas, tout lui donne l’impression qu’il est étranger: la nourriture et les gens. Au restaurant pour demander le menu, il a besoin d’un interprète. “ Vite, au hasard, j’indique sur le menu, incompréhensible pour moi, un plat. Mais il paraît que ça vaut une explication. Et le garçon m’interroge en tchèque. Je réponds avec le peu d’allemand que je sais. Il ignore l’allemand Je m’énerve. Il appelle une des filles qui s’avance une pose classique, main gauche sur la hanche, cigarette dans la droite et sourire mouillé. Elle s’assied à ma table et m’interroge dans un allemand que je juge aussi mauvais que le mien Tout s’explique” (1). Tous les jours il mange le même plat qu’il n’aime pas de tout pour ne pas demander une interprète tous les matins. Pour oublier ce sentiment pénible qu’il est étranger et pour dépasser sa solitude, il sort tous les jours et se promène dans les rues de Prague. Quelques jours après, un événement réveille ce sentiment chez lui. “ Dans le hall le personnel chuchotait. Je montai rapidement les étages pour me trouver plus vite en face de ce que j’attendais. C’était bien cela. La porte de la chambre était à demi ouverte, de sorte que l’on voyait seulement un grand mur peint en bleu. Mais la lumière sourde dont j’ai parlé plus haut projetait sur cet écran l’ombre d’un mort étendu sur le lit et celle d’un policier montant la garde devant le corps. Les deux ombres se coupaient à angle droit. Cette lumière me bouleversa. Elle était authentique, une vraie lumière de vie, d’après-midi, de vie, une lumière que fait qu’on s’aperçoit qu’on vit. Il était mort. Seul dans sa chambre. Je savais que ce n’était pas un suicide. Je rentrai précipitamment dans ma chambre et me jetai sur mon lit. Un homme comme beaucoup d’autres, petit et gros si j’en croyais l’ombre. Il y avait longtemps qu’il était sans doute. Et la vie avait continué dans l’hôtel, jusqu’ à ce que le garçon ait eu l’idée de l’appeler. Il était arrivé là sans se douter de rien et il était mort seul” (2). “ Amour de Vivre”, est le quatrième essai, nous raconte l’histoire d’une danseuse espagnole énorme dans un cabaret populaire de Palma. Quand elle danse “ au milieu de la joie trépignant l’entourait, elle était comme l’image ignoble et exaltante de la vie, avec le désespoir de ses yeux et la sueur épaisse de son ventre” (3). Elle n’est qu’ “ une image de la via parmi des multitudes d’autres. Des millions d’êtres existent comme ils peuvent de toutes les façons possibles, aimant, jouant, crânant, souffrant, luttant, jusqu’à la mort qui les abat tous”. (4).

(1 )CAMUS, op. cit, PP77, 78 (2 )Ibid PP 85, 86 (3 )Ibid P 102 (4 )GAILLARD, op. cit, PP47 147 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

De plus dans cet essai, Camus répond à la question : pourquoi on écrit ? Qu’est-ce que l’art sert dans notre vie ? “ Il n’est plus possible de tricher de se masquer derrière des heures de bureau et de chantier (ces heures contre lesquelles nous protestons si fort et qui nous défendent si sûrement contre la souffrance d’être seul). C’est ainsi que j’a toujours envie d’écrire des romans où mes héros diraient : “Qu’est-ce que je deviendrais sans mes heures de bureau ?” ou encore: “ Ma femme est morte, mais par bonheur, j’ai un gros paquet d’expéditions à rédiger pour demain” (1). On écrit, on danse pour justifier la vie. Le dernier essai nous raconte l’histoire d’une femme qui incarne le grand courage dont nous parle Camus quand il dit “ le grand courage, c’est encore de tenir les yeux ouverts sur la lumière comme sur la mort”(2).C’est une femme originale et solitaire. Elle a reçu un petit héritage de cinq mille francs à la fin de sa vie. “ Cette femme resta fidèle à elle-même. Près de la mort, elle voulut abriter ses vieux os. Une véritable occasion s’offrait à elle. Au cimetière de sa vie, une concession venait d’exprimer et, sur ce terrain, les propriétaires avaient érigé un somptueux caveau, sobre de lignes,en marbre noir, un vrai trésor à tout dire, qu’on lui laissait pour la somme de quatre mille francs. Elle acheta ce caveau. C’était là une valeur sûre, à l’abri des fluctuations boursières et des événements politiques. Elle fit aménager la fosse intérieure, la tint prête à recevoir son propre corps. Et, tout achevé, elle fit graver son nom en capitales d’or. Cette affaire la contenta si profondément qu’elle fut prise d’un véritable amour pour son tombeau. Elle venait voir au début les progrès des travaux. Elle finit par lui rendre visite tous les dimanches après midi, elle faisait le long trajet qui l’amenait aux portes de la ville où se trouvait le cimetière. Elle entrait dans le petit caveau, refermait soigneusement la porte, et s’agenouillait sur le prie Dieu. C’est ainsi que, mise en présence d’elle-même, confrontant ce qu’elle était et ce qu’elle devait être” (3). Devant l’absurdité de l’existence chacun choisit son attitude, mais Camus choisit la terre et les solutions terrestres et simultanément il ne méprise pas ceux qui choisissent le ciel. “Un homme contemple et l’autre creuse son tombeau : comment les séparer ? Les hommes et leur absurdité ? Mais voici le sourire du ciel. La lumière se gonfle et c’est bientôt l’été ? Mais voici les yeux et la voix de ceux qu’il faut aimer. Je tiens au monde par tous mes gestes, aux hommes par toute ma pitié et ma reconnaissance. Entre cet endroit et cet envers du monde, je ne veux pas choisir, je n’aime pas qu’on choisisse” (4).

(1 )CAMUS, op. cit, PP102, 103 (2 )Ibid P119 (3 )Ibid PP 113, 114, 115 (4 )Ibid PP113,114, 115 148 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

“ Noces à Tipasa” nous décrit Tipasa pendant le printemps. “ Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuirassé d’argent, le ciel bleu écru, ruines ouvertes de fleurs et la lumières à gros bouillons dans les amas de pierres”(1). “ Noce à Tipasa” célèbre un jour de noces avec le monde. Ce site exceptionnel, où les ruines romaines descendent en allées majestueuses jusqu’à la mer, ce parc odorant, entre les roches de la côté et les pierres antiques qui, en ce temps-là, n’était pas encore clos et d’accès réglementé, mais où l’on pouvait s’attarder librement, le jour et même la nuit, devait paraître un don des dieux. Le jeune homme s’y sent le fils d’une race née du soleil et de la mer. Comment s’étonner qu’au sommet d’un tel bonheur, il cherche à retrouver cet accord entre le silence et l’amour” (2). Pourquoi Camus choisit Tipasa pour en parler, il répond : “ A Tipasa, je vois équivaut à je crois, et je ne m’obstine pas à nier ce que ma main peut toucher et mes lèvres caresser. Je n’éprouve pas le besoin d’en faire une oeuvre d’art, mais de raconter ce qui est différent. Tipasa m’apparaît comme ces personnages qu’on décrit pour signifier indirectement un point de vue sur le monde. Comme eux, mon ivresse n’aura plus de fin. Il y a un temps pour vivre. Il y a aussi un temps pour créer, ce qui est moins naturel. Il me suffit de vivre de tout mon corps et de témoigner de tout mon cœur. Vivre Tipasa, témoigner et l’œuvre d’art viendra ensuite. Il y a là une liberté” (3). “ Le Vent à Djémila” est le deuxième essai. Pour Camus Djémila est un” des lieux où meurt l’esprit pour que naisse une vérité qui est sa négation même” (4). “ Au crépuscule, dans le décor tragique sa certitude consciente d’une mort sans espoir. Mais l’horreur même de cette mort ne l’en distraira pas. Jusqu’au bout, il sera lucide” (5). “ Il ne me plait pas de croire que la mort ouvre sur une autre vie. Elle est pour moi une porte fermée. Je ne dis pas que c’est un pas qu’il faut franchir : mais que s’est une aventure horrible et sale. Tout ce qu’on me propose s’efforce de décharger l’homme du poids de sa propre vie. Et devant le vol lourd des grands oiseaux dans le ciel de Djémila, c’est justement un certain poids de vie que je réclame et que j’obtiens. Être entier dans cette passion passive et le reste ne m’appartient plus. J’ai trop de jeunesse en moi pour pouvoir parler de la mort. Mais il me semble que si je le devais, c’est ici que je

(1 )Albert CAMUS “Noces suivi de L’Eté ”, éd. Gallimard, coll. Folio, 1959, P 11 (2 )Roger GRENIER, “Albert Camus Soleil et Ombre ”, éd. Gallimard, coll. Nrf, 1987, P 59 (3 )CAMUS, op. cit, PP18, 19 (4 )Jean – Claude BRISVILLE, “Camus”, éd. Gallimard coll. La Bibliothèque ldéale, 1959, P 122 (5 )Ibid P23 149 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

trouverais le mot exact qui dirait, entre l’horreur et le silence, la certitude consciente d’une mort sans espoir”(1). A travers “ L’Été à Alger” il nous présente une description psychologique d’Alger et de la vie des Algérois. Pour lui Alger c’est “ une ville sans passé qui ignore le sens du mot vertu, mais qui a sa morale et où les hommes trouvent pendant toute leur jeunesse une vie à la mesure de leur beauté” (2). Pour les habitants de cette ville “ il ne s’agit pas de réfléchir et de devenir meilleur. La notion d’enfer, par exemple, n’est ici qu’une aimable plaisanterie. De pareilles imaginations ne sont permises qu’aux très vertueux. Et je crois bien que la vertu est un mot sans signification dans toute l’Algérie. Non ce que des hommes manquent de principes. On a sa morale, et bien particulière on ne “ manque” pas à sa mère. On fait respecter la femme dans les rues. On a des égards pour la femme enceinte. On ne tombe pas à deux sur un adversaire, parce que “ ça fait vilain”. Pour qui n’observe pas ces commandements élémentaires, “ il n’est pas un homme”, et l’affaire est réglée. Ceci me parait juste et fort. Nous sommes encore beaucoup à observer inconsciemment ce code de la rue, le seul désintéressé que je connaisse. Mais en même temps la morale boutiquière y est inconnue. J’ai toujours vu autour de moi les visages s’apitoyer sur le passage d’un homme encadré d’agents. Et, avant de savoir si l’homme avait volé, était parricide ou simplement non conformiste : “ le pauvre”, disait-on encore, ou avec une nuance d’admiration : “ celui-là, c’est un pirate” (3). Après “ Noce” Camus a écrit “ La Mort Heureuse”. Ce roman est composé de deux parties, la première est intitulée “ Mort Naturelle” et la deuxième c’est “ La Mort consciente”. La première partie nous présente le personnage principal Patrice Meursault qui est un employé qui mène une vie médiocre. “ Il logeait dans la chambre qu’habitait sa mère. Ils avaient longtemps vécu dans ce petit appartement de trois pièces. Seul, Meursault avait loué deux pièces à un tonnelier de ses amis qui vivait avec sa sœur, et il avait gardé la meilleure chambre. Sa mère était morte à cinquante-six ans. (…) Il avait été contraint d’arrêter ses études et de travailler. Jusqu’à la mort de sa mère, il avait tant duré que ceux qui l’entouraient prirent l’habitude de sa maladie et oublièrent qu’atteinte gravement elle pouvait succomber. Elle mourut un jour. Dans le quartier, on plaignit Meursault. On attendait beaucoup de l’enterrement. On rappelait le grand sentiment du fils pour la mère. On adjurait les parents éloignés de ne point pleurer afin que Batrice ne sentît point sa douleur s’accroître. On le suppliait de le protéger et de se consacrer à lui. Lui,

(1 )CAMUS, op.cit, PP27, 28 (2 )BRISVILLE, op.cit, PP123 (3 )CAMUS,op. Cit, PP 42, 43 150 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

cependant, s’habilla du mieux qu’il pu et, le chapeau à la main, contempla les préparatifs. Il suivit le convoi, assista au service religieux, jeta sa poignée de terre et serra des mains. Une fois seulement, il s’étonna et il exprima son mécontentement de ce qu’il y eût si peu de voitures pour les invités. Ce faut routé. Le lendemain, on put voir à l’une des fenêtres de l’appartement un écriteau : “ A louer”. A présent, il habitait la chambre de sa mère. Auparavant, la pauvreté près de sa mère avait une douceur. Lors qu’ils se retrouvaient le soir et mangeaient en silence autour de la lampe à pétrole, il y avait un bonheur secret dans cette simplicité et ce retranchement : Le quartier autour d’eux était silencieux” (1). Meursault fait la connaissance d’une jeune femme qui s’appelle Marthe. “ Ce jour-là Meursault commença de s’attacher à Marthe. Il l’avait connue quelques mois auparavant. Il avait été frappé par sa beauté et son élégance. Dans un visage un peu large mais régulier, elle avait des yeux dorés et des lèvres si parfaitement fardées, qu’elle semblait quelque déesse au visage peint. Une bêtise naturelle qui luisait dans ses yeux accusait encore son air lointain et impassible. Jusqu’ici chaque fois que Meursault avait lié avec une femme les premiers gestes qui engagent conscient du malheur qui veut que l’amour et le désir s’expriment de la même façon, il songeait à la rupture avant d’avoir serré cet être dans ses bras. Mais Marthe était arrivée à un moment où Meursault se délivrait de tout et de lui même. Le souci de liberté et d’indépendance ne se conçoit que chez un être qui vit encore d’espoir. Pour Meursault rien ne comptait alors” (2). Il n’aime pas Marthe mais il veut rester près d’elle. Quand elle lui demande s’il l’aime, il lui répond “ à notre âge, on n’aime pas, voyons. On se plaît, c’est tout. C’est plus tard, quand on est vieux et impuissant qu’on peut aimer. A notre âge, on croit qu’on aime. C’est tout, quoi” (3). Autrefois Marthe aimait Zagreaus maintenant il a les jambes coupées et il vit tout seul. Marthe va le voir des fois et lui parle de Meursault. Zagreaus lui a dit qu’il aimerait le connaître. Ainsi une amitié entre les deux hommes est-elle née. Zagreaùs reproche à Meursault sa pauvreté et l’a convaincu qu’il est mécontent parce qu’il n’a pas d’argent. “ Vous êtes pauvre, Meursault. Ça explique la moitié de votre dégoût. El l’autre moitié, vous la devez à l’absurde consentement que voue apportez à la pauvreté” (4). Puis il lui raconte son historie et comment il est devenu riche. “ A vingt-cinq ans, j’ai commencé ma fortune. Je n’ai pas reculé devant l’escroquerie je n’aurais reculé devant rien. En quelques années, j’avais réalisé toute ma fortune

(1 )Albert CANUS, “La Mort Heureuse”, éd. Gallimard coll. Nrf, 1971, PP 39, 40 (2 )Ibid PP 54,55 (3 )Ibid P 62 (4 )Ibid P 69 151 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

liquide. Vous rendez vous compte, Meursault, près de deux millions. Le monde s’ouvrit à moi. Et avec le monde, la vie que je rêvais dans la solitude et l’ardeur….” Après un temps, Zagreus reprit plus sourdement : “ La vie que j’aurais eue, Meursault sans l’accident qui emporta mes jambes presque aussitôt (….). Depuis vingt ans, mon argent est là, près de moi. J’ai vécu modestement. A peine ai-je écorné la somme.” Il passa ses mains dures sur ses paupières et dit un peu plus bas : “ Il ne faut jamais salir la vie avec des baisers d’infirme” (1). Deux jours après, Meursault, profitant de cette confidence, revient à la villa de Zagreus et l’assassine. “ Zagreus, sans bouger, semblait contempler toute l’inhumaine beauté de ce matin d’avril. Lorsqu’il sentait le canon du revolver sur sa tempe droite, il ne détourne pas les yeux. Mais Patrice qui le regarde, vit son regard s’emplir de larmes. Ce fit lui qui ferma les yeux. Il fit un pas en arrière et tira. Un moment appuyé contre le mur, les yeux toujours fermés, il sentait son sang battre encore à ses oreilles. Il regarda. La tête s’était rejetée sur l’épaule gauche, le corps à peine dévie. Si bien qu’on ne voyait plus Zagreus, mais seulement une énorme plaie dans son relief de cervelle, d’os et de sang. Meursault se mit à trembler. Il passa de l’autre coté du fauteuil, prit à tâtons la main droite, lui fit saisir le revolver, la porta à hauteur de la tempe et la laissa retomber. Le revolver tomba sur le bras du fauteuil et de là sur les genoux de Zagreus. Dans ce mouvement Meursault aperçut la bouche et le menton de l’infirme (….). Meursault prit sa valise, ouvrit la porte dont le loquet luisait sous un rayon de soleil et sortit la tête battante et la langue sèche. Il franchit la porte d’entrée et partit d’un grand pas. Il n’ y avait personne, sinon un groupe d’enfants à une extrémité de la petite place. Il s’éloigna (….). Tout se taisait en Meursault. Un troisième éternuement le secoua, et il sentit comme un frisson de fièvre. Alors il s’enfuit sans regarder autour de lui, dans le grincement de da valise et le bruit de ses pas. Arrivé chez lui, sa valise dans un coin, il se coucha et dormit jusqu’ au milieu de l’après-midi” (2). La première partie se termine quand Meursault part en voyage, la santé chancelante mais la bource pleine. Pourquoi la mort de Zagreus est une “ Mort Naturelle”parce qu’il est en train de se suicider. Il a écrit “ je ne supprime qu’une moitié d’homme” (3). Il doit mourir parce qu’il ne veut pas vivre. La deuxième partie commence par le séjour de Meursault à Prague. Là, il se sent perdu étranger, seul et malade. Tout à Prague “ apportait à Meursault la conscience douloureuse et ardente d’une solitude sans ferveur où l’amour n’avait plus de part. Et s’arrêtant devant le parfum d’eaux et de feuilles qui montait jusqu’à lui, la gorge serrée, il imaginait des larmes qui ne

(1 )Ibid P77 (2 )Ibid PP 28, 29,30 (3 )Ibid P27 152 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

venaient pas. Il eût suffi d’un ami, ou de bras ouverts. Mais les larmes s’arrêtaient à la frontière du monde sans tendresse où il était prolongé” (1). “ L’affreuse tristesse de Meursault, à Prague, le met dans un état proche de la nausée existentialiste : c’est la vie inconnue qui monte d’un passage, l’odeur des concombres, tout ce que le monde lui offrait d’étrange et de solitaire” (2). De Prague, Meursault va à Vienne où il a écrit une lettre à Lucienne. Je ne sais ce que vous devenez. Moi, je gagne ma vie en voyageant. J’ai vu d’un cœur amer beaucoup de choses belles. Ici, la beauté a fait place à la civilisation. C’est reposent. Je ne visite pas d’églises ou de lieux antiques. Je me promène sur le Ring. Et le soir venu au-dessus des théâtres et des palais somptueux, l’élan aveugle des chaux de pierre dans le rouge du couchant me met au cœur un singulier mélange d’amertume et de bonheur” (3). Le soir il va au dancing avec une entraîneuse, Hélène. Il passe la nuit avec elle. Il décide de regagner Alger par Gênes pour rejoindre ses trois amies : Rose, Claire et Catherine. “ Comme d’autres ont besoin de solitude avant de prendre leurs grandes décisions et de jouer la partie essentielle d’une vie, lui empoisonné de solitude et d’étrangeté, avait besoin de se retirer dans l’amitié et la confiance et de goûter une sécurité apparente avant de commencer son jeu” (4). Pour arriver à Gênes, il passe par Italie du Nord, et il s’amuse de regarder les jeunes filles “ chaussés de sandales, les seins libres dans les robes éclatantes, les seins libres dans les robes éclatantes et légères, elles laissaient Meursault la langue sèche et le cœur battant d’un désir où il retrouvait à la fois liberté et une justification” (5). Enfin il arrive à Alger et là “ Meursault s’aperçut que pas une seule fois depuis Vienne il n’avait songé à Zagreus comme à l’homme qu’il avait tué de ses mains. Il reconnut en lui cette faculté d’oubli qui n’appartient qu’à l’enfant au génie et à l’innocent. Innocent, bouleversé par la joie, il comprit enfin qu’il était fait pour le bonheur”. (6). En Alger Meursault et ses trois amies, habitent ce qu’ils l’appellent La Maison devant Le Monde, car “ tout entière ouverte sur le paysage, elle était comme une nacelle suspendue dans le ciel éclatant au-dessus de la danse colorée du monde” (7). “ A vivre ainsi devant le monde, à éprouver son poids, à voir tous les jours son visage s’éclairer, puis s’éteindre pour le

(1 )Ibid P166 (2 )GRENIER,op.cit,P69 (3 )Ibid P. 118 (4 )Ibid P120 (5 )Ibid P122 (6 )Ibid P 125 (7 )Ibid P 130 153 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

lendemain brûler de tout sa jeunesse, les quatre habitants de la maison avaient conscience d’une présence qui leur était à la fois un juge et une justification. Le monde ici, devenait personnage, comptait parmi ceux dont nous prenons plus volontiers conseil, chez qui l’équilibre n’a pas tué l’amour. Ils le prenaient à témoin (….). Rose, Claire, Catherine et Patrice aux fenêtres de leur maison, vivaient dans les images et l’apparence, consentaient à cette sorte de jeu qu’ils liaient entre eux, riaient à l’amitié comme à la tendresse, mais revenus devant la danse du ciel et de la mer, retrouvaient la couleur secrète de leur destin et se rencontraient enfin avec le plus profond d’eux-mêmes. (1). Puis Meursault décide de partir pour vivre au Chenoua où il s’installe dans une maison face à la mer. Au Chenoua il écrit à Lucienne pour qu’elle vienne vivre avec lui. “ Il sortit alors dans la compagne, mais avec Lucienne. Il retrouva sa complicité avec le monde, mais en portant sa main sur l’épaule de Lucienne. Et réfugié dans l’homme, il échappait ainsi à sa peur secrète. Deux jours après cependant, Lucienne l’ennuyait” (2). Ensuite et pour des raisons mal expliquées, Meursault épouse Lucienne avec laquelle il vit quelque jours avant sa mort. “ De son lit Meursault perçut ce choc et cette offrande et il ouvrit les yeux sur la mer immense et courbe, rutilante, peuplée des sourires des dieux. Il s’aperçut soudain qu’il était assis sur son lit et que le visage de Lucienne était tout près du sien. En lui montait lentement comme depuis le ventre, un caillou qui cheminait jusqu’à sa gorge. Il respirait de plus en plus vite, profitant des passages. Cela montait toujours. Il regarda Lucienne. Il sourit sans crispation, et ce sourire aussi venait de l’intérieur. Il se renversa sur son lit et il éprouva la lente montée en lui. Il regarda les lèvres gonflées de Lucienne et, derrière elle, le sourire de la terre. Il les regardait du même regard et avec le même désir. “ Dans une minute une seconde”, pensa-t-il. La montée s’arrêta. Et pierre parmi les pierres, il retourna dans la joie de son cœur à la vérité des mondes immobiles” (3). “ Le roman met évidence le thème principal : comment mourir heureux ? C’est-à-dire comment vivre heureux au point que la mort elle- même soit heureuse ? De ce bien vivre et bien mourir la première partie est l’envers, faute d’argent, de temps et de maîtrise sentimentale ; la seconde, grâce à l’indépendance financière, à une organisation du temps et à la paix du cœur l’endroit. Tels sont, sommairement le contenu et le sens de “ la Mort Heureuse” (4).

(1 )Ibid PP 131, 132 (2 )Ibid PP 203, 204 (3 )Ibid PP 203,204 (4 )Jean SAROCCHI, “ Introduction Et Notes”, op.cit, P9 154 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

(3.1.2) Le Cycle De Sisyphe

Camus dans ses “ Carnets”, distingue trois cycles dans son œuvre. Le premier, dominé par la figure de Sisyplie, est centré sur la notion de l’absurde. Le deuxième, met en avant Prométhée et la révolte. Le troisième, devait s’attacher au mythe de Némésis” (1). Nous allons commencer par celui de l’absurde. D’abord nous allons parler du “ Mythe De Sisyphe” où réside l’ensemble des principes de la philosophie de l’absurde. Pour dégager l’origine du sentiment de l’absurde, Camus commence par la question philosophique la plus pressante : pourquoi on se tue ? Selon lui “ il n’y a qu’un problème philosophique sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécu, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. (2). Toujours on traite le suicide comme un phénomène social tandis que pour Camus l’important c’est de faire sortir le rapport entre le suicide et la pensée individuelle. “ La société n’a pas grand-chose à voir dans ces débuts. Le ver se trouve au cœur de l’homme. C’est là qu’il faut le chercher. Ce jeu mortel qui mène de la lucidité en face de l’existence à l’évasion hors de lumière, il faut le suivre et le comprendre. Il y a beaucoup de causes à un suicide et d’une façon générale les plus apparentes n’ont pas été les plus efficaces. On se suicide rarement (….) par réflexion. Ce qui déclenche la crise presque toujours incontrôlable” ou de “ maladie incurable”. Ces explications sont valables. Mais il faudrait savoir si le jour même un ami du désespéré ne lui a pas parlé sur un ton indifférent. Celui-là est le coupable. Car cela peut suffire à précipiter toutes tes rancœurs et toutes les lassitudes encore en suspension” (3). La question qui se pose ici “ quel est donc cet incalculable sentiment qui prive l’esprit du sommeil nécessaire à la vie ? Un monde qu’on peut expliquer même avec de mauvaises raisons est un monde familier. Mais au contraire, dans un univers soudain privé d’illusions et de lumières, l’homme se sent étranger. Cet exile est sans recours puisqu’il est privé des souvenirs d’une partie perdue ou de l’espoir d’une terre promise. Ce divorce entre l’homme de sa vie, l’acteur et son décor, c’est proprement le sentiment de l’absurdité. Tous les hommes sains ayant songé à leur propre suicide, on pourra reconnaître, sans plus d’explication, qu’il y a un lien direct entre ce sentiment et l’aspiration vers le néant” (4).

(1 )Gilles VANNIER, “XXe Siecle” tome 2, ed. Bordas, coll- Historre De La Littérature Erancaise, 1988,P 172. (2 )Albert CAMUS, “Le Mythe De Sisyphe”, ed. Gallimard, coll. foilo – essis, 1942,P 17. (3 )Ibid P. 19 (4 )Ibid PP 20,21 155 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

Voilà donc la source du sentiment de l’absurde qui pousse l’homme à la mort facultative. D’ici surgit une autre question : est-ce que le suicide est une solution ? Pour Camus la réponse est négative. D’après lui “ devant ces contradictions et ces obscurités, faut-il donc croire qu’il n’y a aucun rapport entre l’opinion qu’on peut avoir sur la vie et le geste qu’on fait pour la quitter ? N’exagérons rien dans ce sens. Dans l’attachement d’un homme à sa vie, il y a quelque chose de plus fort que toutes les misères du monde. Le jugement du corps vaut bien celui de l’esprit et le corps recule devant l’anéantissement. Nous prenons l’habitude de vivre avant d’acquérir celle de penser. Dans cette course qui nous précipite tous les jours un peu plus vers la mort, le corps garde cette avance irréparable” (1). Selon Camus l’esprit n’a pas le droit de prendre la décision à la place du corps. Puis Camus passe à l’illustration à ce qu’il appelle les murs absurdes. Ces murs sont tout ce qui éveille notre conscience de l’absurdité de la vie. “ Il arrive que les décors s’écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d’usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement le “ pourquoi” s’élève et tout commence dans cette lassitude teintée d’étonnement. “ Commence” ceci est important. La lassitude est à la fin des actes d’une vie machinale mais elle inaugure en même temps le mouvement de la conscience. Elle l’éveille et elle provoque la suite. La suite, c’est le retour inconscient dans la chaîne, ou c’est l’éveil définitif. Au bout de l’éveil vient, avec le temps, la conséquence : suicide ou rétablissement (….). De même et pour tous les jours d’une vie sans éclat, le temps nous porte. Mai un moment vient toujours où il faut le porter. Nous vivons sur l’avenir : “ demain”, “ plus tord”, “ quand tu auras une situation”, “ avec l’âge tu comprendras”. Ces inconséquences sont admirables, car enfin il s’agit de mourir. Un jour vient pourtant et l’homme constate ou dit qu’il a trente ans. Il affirme ainsi sa jeunesse. Mais du même coup, il se situe par rapport au temps. Il y prend sa place. Il reconnaît qu’il est à un certain moment d’une courbe qu’il confesse devoir parcourir. Il appartient au temps et, à cette horreur qui le saisit, il y reconnaît son pire ennemi. Demain, il souhaitait demain, quand tout lui-même aurait dû s’y refuser cette révolte de la chair, c’est l’absurde.”(2). Ainsi, selon la pensée camusienne, l’absurde n’est-il ni dans l’homme ni dans le monde mais dans leur présence commune. “ Ce monde en lui- même n’est pas raisonnable, c’est la confrontation de cet irrationnel et de ce désire éperdu de clarté dont l’appel résonne au plus profond de l’homme. L’absurde dépend autant de l’homme que du monde. Il est pour le moment

(1 )Ibid PP 22.23 (2 )Ibid PP. 29,30 156 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

leur seul lien. Il les scelle l’un à l’autre comme la haine seul peut river les être” (1). Donc l’absurde naît de la rencontre d’un monde dépourvue de signification et d’une conscience humaine que régit une exigence de clarté. Refusant le suicide comme proposition pour dépasser l’absurde, une nouvelle question se pose : quelles sont les autres solutions proposées ? Selon Camus il y a le suicide philosophique. Pour tous les philosophes, “ de Jaspers à Heidegger, de Kierkegaard à Chestov, des phénoménologues à Scheler, sur le plan logique et sur le plan moral, toutes une famille d’esprits, parents par leur nostalgie, opposés par leurs méthodes ou leurs buts, se sont acharnés à barrer la voie royale de la raison et à retrouver les droits chemins de la vérité (…). Quelles que soient ou qu’aient été leurs ambitions, tous sont partis de cet univers indicible où règnent la contradiction, l’antinomie, l’angoisse ou l’impuissance (…). Pour eux aussi, il faut bien dire que ce qui importe surtout, ce sont les conclusions qu’ils ont pu tirer de ces découverte”(2). Parmi ces philosophes, le seul qui refuse la fuite c’est Heidegger parce qu’il “ considère froidement la condition humaine et annonce que cette existence est humiliée. La seule réalité, c’est le “ souci” dans toute l’échelle des êtres. Pour l’homme perdu dans le monde et ses divertissements, ce souci est une peur prenne brève et fuyante. Mais que cette peur prenne conscience d’elle-même, et elle devient l’angoisse, climat perpétuel de l’homme lucide “ dans lequel l’existence se retrouve” (….). Pour lui non plus, il ne faut pas dormir et il faut veiller jusqu’à la consommation. Il se tient dans ce monde absurde, il en accuse le caractère périssable. Il cherche sa voie au milieu des décombres” (3). Cependant pour les autres philosophes existentialistes, l’issue est dans le suicide philosophiques ou l’évasion. “ Par un raisonnement singulier, partis de l’absurde sur les décombres de la raison, dans un univers fermé et limité à l’humain, ils divinisent ce qui les écrase et retrouvent une raison d’espérer dans ce qui les démunit. Cet espoir forcé est chez tous d’essence religieuse” (4). Quant à Jaspers, selon Camus, il choisit le saut. “ Il n’a rien trouvé dans l’expérience que l’aveu de son impuissance et aucun prétexte à inférer quelque principe satisfaisant. Pourtant, sans justification, il le dit lui-même, il affirme d’un seul jet à la fois le transcendant,l’être de l’expérience et le sens supra humain de la vie en écrivant : “ l’échec ne montre-t-il pas, au-delà de toute explication et de toute interprétation possible, non le néant mais l’être de la transcendance” cet être que soudain, et par un acte aveugle de la

(1 )Ibid P39 (2 )Ibid P 41 (3 )Ibid PP 42, 43 (4 )Ibid PP 52, 53 157 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

confiance humaine, explique tout, il le définit comme “ l’unité inconcevable du général et du particulier”. Ainsi l’absurde devient-il dieu (dans le sens large de ce mot) et cette impuissance à comprendre l’être qui illumine tout”(1). Comme eux Chestov “ découvre l’absurdité fondamentale de toute existence, il ne dit point : “ voici l’absurde”, mais “ voici Dieu” (….). Dieu est peut-être haineux et haïssable, incompréhensible et contradictoire, mais dans la mesure même où son visage est le plus hideux il affirme le plus sa puissance (…). Ainsi pour Chestov l’acceptation de l’absurde est-elle contemporaine de l’absurde lui-même” (2). Quant à la phénoménologie elle “ se refuse à expliquer le monde, elle veut être seulement une description du vécu. Elle rejoint la pensée absurde dans son affirmation initiale qu’il n’est point de vérité, mais seulement des vérités” (3). Mais cette phénoménologie elle-même “ prétend faire une règle rationnelle : après avoir nié le pouvoir intégrant de la raison humaine, il saute par ce biais dans la Raison éternelle” (4). Donc elle divinise l’absurde et selon Camus la distance n’est pas si grande. La raison et l’irrationnel mènent à la même prédication” (5). Pourquoi Camus refuse-t-il toute forme de transcendance ? Parce que selon lui “ l’absurde est essentiellement un divorce. Il n’est ni dans l’un ni dans l’autre des éléments comparés. Il naît de leur confrontation (….). L’absurde n’est pas dans l’homme (….) ni dans le monde, mais dans leur présence commune. Il est pour le moment le seul lien qui les unisse. Si j’en veux rester aux évidences, je sais ce que veut l’homme, je sais ce que lui offre le monde et maintenant je puis dire que je sais encore ce qui les unit. Je n’ai pas besoin de creuser plus avant. Une seule certitude suffit à celui qui cherche. Il s’agit seulement d’en tirer toutes les conséquences” (6). Il se met contre la transcendance parce qu’elle détruit un des termes de l’absurde et “ détruire un de ses termes, c’est la détruire toute entière” (7). L’homme affronte l’absurde consciemment et il doit savoir que c’est une confrontation sans repos et une lutte sans espoir. “ Maintenant le principal est fait. Je tiens quelques évidences dont je ne peux me détacher. Ce que je sais, ce qui est sûr, ce que je ne peux nier, ce que je ne peux rejeter, voilà ce qui compte. Je peux tout réfuter dans ce monde qui m’entoure, me heurte ou me transporte, sauf ce chaos, ce hasard roi et cette divine équivalence qui naît de l‘anarchie. Je ne sais pas

(1 )Ibid P 53 (2 )Ibid P 55 (3 )Ibid P 65 (4 )Ibid P 69 (5 )Ibid P 70 (6 )Ibid P 50 (7 )Ibid P 51 158 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

si ce monde à un sens qui le dépasse. Mais je sais que je ne connais pas ce sens et qu’il m’est impossible pour le moment de le connaître. Que signifie pour moi signification hors de ma condition ? Je ne puis comprendre qu’en termes humains. Ce que je touche, ce qui me résiste, voilà ce que je comprends” (1). Camus nous propose l’homme absurde comme exemple à suivre, cet homme qui tire de l’absurde trois conséquences son défi, sa liberté et sa passion. Refusant le suicide, l’homme absurde transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort. L’homme absurde nous propose le défi conscient quand il affirme par ses actes que “ abolir la révolte consciente, c’est éluder le problème (……). Vivre c’est faire vivre l’absurde. Le fait vivre c’est avant tout le regarder” (2).L’homme absurde est condamné à un confrontation perpétuel contre sa propre obscurité. La deuxième conséquence que l’homme absurde tire de cet absurde c’est la liberté. La découverte de l’absurde lui permet de tout voir un regard neuf. “ L’homme absurde se sent dégagé. De tout ce qui n’est pas cette attention passionnée qui cristallise en lui. Il goûte une liberté à l’égard des règles communes” (3). L’homme absurde vit sans appel, l’important pour lui c’est la quantité des expériences et non leur qualité parce que pour lui ce qui compte ce n’est pas de vivre le mieux mais de vivre le plus” (4). “ La morale d‘un homme, son échelle de valeurs n’ont de sens que par la quantité et la variété d’expériences qu’il lui a été donné d’accumuler” (5). Quant à la qualité des expériences, c’est la passion qui la donne, car l’homme absurde consiste à multiplier avec passion les expériences lucides. “ Sentir sa vie, sa révolte, sa liberté, et le plus possible, c’est vivre et le plus possible. Là où la lucidité règne, l’échelle des valeurs devient inutile” (6). “ Entrer dans le monde dérisoire des dieux, c’est perdre à jamais la plus pure des joies qui est de sentir et sentir sur cette terre. Le présent et la succession des présences devant une âme sans cesse consciente, c’est l’idéal de l’homme absurde” (7). Camus nous a présenté l’idéal de l’homme absurde, maintenant c’est à lui de nous introduire des exemples de cet homme absurde et dés le début il nous “ forme que ces exemples ne sont pas des morales à suivre,

(1 )Ibid P 75 (2 )Ibid P78 (3 )Ibid P84 (4 )Ibid P86 (5 )Ibid P 87 (6 )Ibid P 89 (7 )Ibid P 90 159 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

ils ne sont que des dessins qui représentent un style de vie, rien de plus. “ Il suffit de savoir et de rien masquer” (1). chez notre homme absurde. Le premier dessin c’est Don Juan, l’amant “ pour qui cherche la quantité des joies, seule l’efficacité compte. Les mots de passe qui ont fait leurs preuves, à quoi les compliquer ? Personne ni la femme, ni l’homme ne les écoute, mais bien plutôt la voix qui les prononce. Ils sont la règle, la convention et la politesse. On les dit après quoi le plus important reste à faire” (2). Don juan multiplie les joies sans lendemains parce qu’il sait qu’il n’y a pas d’amour éternel. Le deuxième dessin c’est celui de l’acteur. Il règne dans le périssable, sa gloire est éphémère et innombrable. “ L’acteur a trois heures pour être Iago ou Alceste Phèdre ou Glocester. Dans ce court passage, il les fait naître et mourir sur cinquante mètres carrés de planches. Jamais l’absurde n’a été si bien ni si longtemps illustré. Ces vies merveilleuses, ces dessins uniques quelques heures, quel raccourci souhaiter qui soit plus révélateur (3). La troisième image est celle du conquérant. “ Les conquérants parlent quelquefois de vaincre et surmonter. Mais c’est toujours “ se surmonter” qu’ils entendent sans savez bien ce que cela veut dire. Tout homme s’est senti l’égal d’un dieu à certains moments. C’est ainsi, du moins, qu’on le dit. Mais cela vient de ce que, dans un éclair, il a senti l’étonnante grandeur de l’esprit humain. Les conquérants sont seulement ceux d’entre les hommes qui sentent assez leur force pour être sûrs de vivre constamment à ces hauteurs et dans la pleine conscience de cette grandeur. S’est une question d’arithmétique, de plus ou de moins. Les conquérants peuvent le plus mais ils ne peuvent plus que l’homme lui-même quand il le veut. C’est pourquoi ils ne quittent jamais le creuset humain, plongeant au plus brûlant dans l’âme des révolutions” (4) parce qu’ils savent qu’il n’y a pas de victoire éternelle. Cependant pour Camus le plus absurde des personnages s’est le créateur absurde dont l’œuvre reste consciente de sa gratuité et “ si les commandements de l’absurde n’y sont pas respectés, si elle n’illustre pas le divorce et la révolte, si elle ne sacrifie aux illusions et suscite l’espoir, elle n’est plus gratuite” (5). “ Il y a tant d’espoir dans le cœur humain. Les hommes les plus dépouillés finissent quelquefois par consentir à l’illusion. Cette approbation dictée par le besoin de paix est le frère intérieur du consentement existentiel. Il y a ainsi des dieux de lumière et des idoles de

(1 )Ibid P124 (2 )Ibid P110 (3 )Ibid p (4 )Ibid P121 (5 )Ibid P139 160 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

boue. Mais c’est le chemin moyen qui mène aux visages de l’homme qu’il s’agit de trouver” (1). Pourquoi Camus choisit-il le mythe de Sisyphe pour qu’il soit le symbole de la pensés absurde ? Car dans ce mythe réside le résumé de la philosophie de l’absurde. Sisyphe c’est le héros absurde qui se donne à l’action sans lendemains. Il livra les secrets des dieux et c’est pourquoi ils “ avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir” (2). “Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux” (3). Après la théorie de l’absurde vient la pratique, les ouvrages où on rencontre l’homme absurde, et nous allons commencer par le roman le plus connu “ L’Etranger” “ L’Etranger” nous raconte l’histoire de Meursault et elle est devisée en deux parties. La première commence par la mort de la mère de Meursault “ Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile: “Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués” (4). Il se trouve obligé de demander deux jours de congé parce qu’il va partir d’Alger à Marengo où se trouve l’asile de vieillards, et c’est pourquoi le patron n’est pas content. Avant de partir il mange comme tous les jours chez Célèste et il va chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire. Pendant le trajet Meursault dort. Il arrive à l’asile très fatigué parce qu’il est à deux kilomètres du village et il a fait le chemin à pied. Là, il rencontre le concierge puis le directeur. Ce dernier lui reproche implicitement de faire entrer sa mère dans l’asile malgré le fait qu’il est son seul fils. Maintenant il est en train de veiller la morte. Devant le corps de sa mère il boit du café et fume et il somnole un peu. Les amis de sa mère viennent pour la veiller et lui, il a l’impression qu’ils sont là pour le juger. Parmi eux on lui présente M. Pérez le fiancé de sa mère. Enfin on enterre sa mère.

(1 )Ibid P140 (2 )Ibid P (3 )Ibid P168 (4 )Albert CAMUS, “L’Etranger”, éd-coll.folio, Paris, 1957, P9 161 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

Il revient à Alger, c’est le samedi. Il va à l’établissement de bains du port. Là, il rencontre Marie Cardona une ancienne dactylo de son bureau. Il lui demande si elle veut venir au cinéma, elle accepte. Elle est étonnée de voir la cravate noire, et elle est un peu choquée de savoir que sa mère est morte hier. Ils vont au cinéma et ils passent la nuit ensemble. Le jour d’après il va au bureau et il déjeune avec Emmanuel, chez Céleste. En rentrant chez lui, il rencontre son voisin de palier Salamano. Ce voisin a un chien qui lui ressemble mais Salamano le maltraite. Puis Meursault rencontre son deuxième voisin Raymond qui l’invite et il accepte pour ne pas faire la cuisine. Raymond veut lui demander conseil au sujet d’une bagarre avec un type qui lui cherche des histoires. Ce type est le frère d’une ancienne maîtresse de Raymond et elle l’a trompé et lui, il veut la punir. “ Il voulait lui écrire une lettre “ avec des coups de pied et en même temps des choses pour la faire regretter” Après, quand elle reviendrait, il coucherait avec elle et “ juste au moment de finir” il lui écacherait à la figure et il la mettrait dehors. J’ai trouvé en effet, de cette façon, elle serait punie. Mais Raymond m’a dit qu’il ne se sentait pas capable de faire la lettre qu’il fallait et qu’il avait pensé à moi pour la rédiger” (1). Ainsi l’amitié entre ces deux hommes commence-t-elle. Raymond a puni son ex-maîtresse et la police vient l’interroger. Il demande à Meursault d’être son témoin, Meursault accepte. Puis Raymond invite Meursault à passer la journée de dimanche dans un cabanon d’un ami de Raymond, il accepte. Le soir Marie vient le chercher et lui demande s’il l’aime et s’il veut se marier avec elle, “ j’ai répondu comme je l’avais déjà fait une fois, que cela ne signifiait rien mais que sans doute je ne l’aimais pas. “ Pourquoi m’épouser alors ?” A-t-elle dit. Je lui ai expliqué que cela n’avait d’importance et que si elle le désirait, nous pouvions nous marier” (2). Il dîne chez Céleste et puis sur le pas de sa porte il trouve Salamano triste parce qu’il a perdu son chien. Le dimanche Meursault avec Marie et Raymond, vont chez Masson. Les Arabes, les frères de l’ex-maîtresse de Raymond, les suivent. Ils essayent de les éviter mais un des Arabes tire son couteau. Meursault tire inconsciemment. “ J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage. Ou j’avais été heureux. Alors, j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les vallées les s’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur”. (3). Donc, la première partie nous présente un jeune employé d’Algérie qui mène une vie banale et soudain il se transforme en meurtrier.

(1 )Ibid P53 (2 )Ibid P69 (3 )Ibid P95 162 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

La deuxième partie nous présente le héros en prison. Il est interrogé par le juge d’instruction et au début il ne le prend pas au sérieux et c’est rare quand il se souvient qu’il a tué un homme. Le lendemain, un avocat vient pour le voir à la prison. On lui explique qu’on avait pris des renseignements sur sa vie privée. On avait su que sa mère était morte récemment à l’asile. On avait alors fait une enquête à Marengo. Les instructeurs avaient appris qu’il avait fait preuve d’insensibilité le jour de l’enterrement de sa mère. L’avocat est un peu gêné parce que cela peut être un gros argument pour l’accuser. Meursault dit à l’avocat qu’il aime sa mère mais ce jour-là il était fatigué et il avait sommeil” Il m’a dit : “ ceci n’est pas assez”. Il a réfléchi. Il m’a demandé s’il pouvait dire que ce jour-là j’avais dominé mes sentiments naturels. Je lui ai dit : “ Non, parce que c’est faux.” Il m’a regardé d’une façon bizarre, comme si je lui inspirais un peu de dégoût. Il m’a dit presque méchamment que dans tous les cas le directeur et le personnel de l’asile seraient me jouer un très sale tour” Je lui ai fait remarquer que cette histoire n’avait pas de rapport avec mon affaire” (1). L’avocat part avec un air fâché parce que face à lui Meursault ne manifeste pas de chagrin de la disparition de sa mère et parce qu’il n’accepte pas de mentir. De nouveau Meursault est conduit devant le juge d’instruction. Celui-ci lui demande de raconter l’histoire : Raymond, la plage, le bain, la querelle, encore la plage, la petite source, le soleil et les cinq coups de revolver. Il veut savoir pourquoi Meursault a tiré sur un corps à terre, Meursault se tait. Brusquement, le juge d’instruction passe à une autre question : Dieu. Le juge est déçu pour ne pas pouvoir convaincre Meursault de croire en Dieu et c’est pourquoi il l’appelle L’Antéchrist. Marie lui rend visite mais c’est après la première et la seule visite de Marie que tout a commencé. Du jour ou il a reçu sa lettre où elle lui disait qu’on ne lui permettais plus de venir parce qu’elle n’était pas sa femme, de ce jour-là, il a senti qu’il était chez lui dans sa cellule et que sa vie s’y arrêtait. (2). La vie à la prison est dure mais Meursault s’y habitue graduellement. C’est par l’imagination qu’il peut dépasser l’ennui. “ Je m’arrangeais très bien avec le reste de mon temps. J’ai souvent pensé alors que si l’on m’avait fait vivre dans un tronc d’arbre sec, sans autre occupation que de regarder la fleur du ciel au-dessus de ma tête, je m’ y serais peu à peu habitué. J’aurais attendu des passages d’oiseaux ou de rencontres de nuages comme j’attendais ici les curieuses cravates de mon avocat et comme, dans un autre monde, je patientais jusqu’à samedi pour étreindre le corps de Marie. Or, à bien réfléchir, je n’étais pas dans un arbre sec. Il y

(1 )Ibid P103 (2 )Voir Ibid P 113 163 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

avait plus malheureux que moi. C’était d’ailleurs une idée de maman, et elle le répétait souvent qu’on finissait par s’habituer à tout” (1). Quant au désir d’une femme, il est tourmenté par ce sentiment parce qu’il est jeune “ Je ne pensais jamais à Marie particulièrement. Mais je pensais tellement à toutes les circonstances où je les avais aimées, que ma cellule s’emplissait de tous les visages et se peuplait de mes désires. Dans un sens, cela me déséquilibrait. Mais dans un autre, cela tuait le temps” (2). Donc, il tue le temps par l’imagination, le sommeil et aussi par la lecture d’un vieux morceau de journal qu’il a trouvé entre sa paillasse et la planche du lit. “ Il relatait un fait divers dont le début manquait, mais qui avait dû se passer en Tchécoslovaquie. Un homme était parti d’un village tchèque pour faire fortune. Au bout de cinq ans, riche, il était revenu avec une femme et son enfant dans un autre établissement était allé chez sa mère qui ne l’avait pas reconnu quand il était entré. Par plaisanterie, il avait montré son argent. Dans la nuit, sa mère et sa sœur l’avaient assassiné à coups de marteau pour le voler et avait jeté son corps dans la rivière. Le matin, la femme était venue, avait révélé sans le savoir l’identité du voyageur. La mère s’était pendue. La sœur s’était jetée dans un puits” (3). Puis Meursault commence de nous parler du procès. Il est transporté de la prison au palais de justice, on l’a fait entrer dans le box des accusés. “ Tous me regardaient : j’ai compris que c’étais devant une banquette de tramway et tous ces voyageurs anonymes épiaient le nouvel arrivé pour en recevoir les ridicules. Je sais bien que c’était une idée niaise puisque ici ce n’était pas le ridicule qu’ils cherchaient, mais le crime. Cependant la différence n’est pas grande” (4). L’interrogation commence, le président recommence le récit de ce qu’il a fait. Il lui pose des questions apparemment étrangères à son affaire, mais qui peut-être la touchent de fort près. Il m’a demandé pourquoi j’avais mis maman à l’asile, j’ai répondu que c’était parce que je manquais d’argent pour la faire garder et soigner. Il m’a demandé si cela m’avait coûté personnellement et j’ai répondu que ni maman ni moi attendions plus rien l’un de l’autre, ni d’ailleurs de personne, et que nous nous étions habitués tous les deux à nos vies nouvelles”(5). Puis le procureur demande à Meursault s’il était retourné vers la source tout seule et armée avec l’intention de tuer l’Arabe, il lui dit que c’était le hasard, le procureur n’est pas convaincu. Après, on appelle le directeur de l’asile. Il affirme que la mère de Meursault lui reprochait de l’avoir mise à l’asile. Il dit qu’il était surpris du

(1 )Ibid P 120 (2 )Ibid P 121 (3 )Ibid PP 124, 125 (4 )Ibid P 129 (5 )Ibid P 135 164 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

calme de Meursault le jour de l’enterrement. D après lui, Meursault n’avait pas voulu voir sa mère, n’avait pas pleuré une seule fois, et même ne savait pas l’âge de da mère. Le deuxième témoin de l’accusation c’est le concierge. Celui-ci dit que Meursault n’avait pas pleuré et qu’il avait fumé, dormi et même pris du café au lait. Quand le tour de Pérez est venu, il dit qu’il n’avait pas vu Meursault et il ne sait pas s’il avait pleuré ou non. Suivant les témoins de l’accusation, viennent ceux de la défense. Le premier c’est Céleste. “ Oui, mais c’était aussi un ami” ; ce qu’il pensait de moi et il a répondu que j’étais un homme ; ce qu’il entendait par là et il a déclaré que tout le monde savait ce que cela voulait dire ; s’il avait ce qu’il avait remarqué que j’étais renfermé et il a reconnu seulement que je ne parlais pas pour ne rien dire”(1). Céleste pense que ce crime c’est un malheur, il essaye de faire tout ce qu’il peut pour aider Meursault. Ensuite, c’est le tour de Marie. Elle ne veut pas parler mais devant l’insistance du procureur, elle dit qu’elle est son ami et elle indique la date de leur liaison. Elle parle de leur bain, leur sortie au cinéma et d’une voix blanche elle dit que le film était un film comique. “ Le procureur s’est levé, très grave et d’une voix que j’ai trouvée vraiment émue, le doigt tendu vers moi, il a articulé lentement : “ Messieurs les jurés, le lendemain de la mort de sa mère, cet homme prenait des bains, commençait une liaison irrégulière, et allait rire devant un film comique. Je n’ai rien de plus à vous dire” Il s’est assis, toujours dans le silence. Mais tout d’un coup, Marie a éclaté en sanglots, a dit que ce n’était pas cela, qu’il y avait autre chose, qu’on la forçait à dire le contraire de ce qu’elle pensait, qu’elle me connaissait bien et que je n’avais rien fait de mal. Mais l’huissier, sur un signe du président, l’a emmenée” (2). La même chose arrive avec Masson. À peine on l’écoute quand il affirme que Meursault est un brave homme. Encore à peine on écoute Salamano qui dit que Meursault est bon avec son chien et qu’il comprend Meursault qui a mis sa mère à l’asile parce qu’il n’avait plus rien à lui dire. Enfin Raymond entre, et parce que le procureur est convaincu que la conduite de Meursault a toujours été celle d’un criminel, il dit “ Le même homme qui au lendemain de la mort de sa mère se livrait à la débauche la plus honteuse, a tué pour des raisons futiles et pour liquider une affaire de mœurs inqualifiable”(3). L’avocat veut savoir si Meursault est accusé d’avoir enterré sa mère ou d’avoir tué un homme, le procureur lui répond “ J’accuse cet homme d’avoir enterré une mère avec un cœur de criminel”(4).

(1 )Ibid PP 141, 142 (2 )Ibid PP 144, 145 (3 )Ibid P147 (4 )Ibid P148 165 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

Avec détachement Meursault écoute les plaidoiries. Le procureur l’accuse de préméditation d’insensibilité et de l’ignorance des règles morales de la société. Il a déclaré “ je n’avais rien à faire avec une société dont je méconnaissais les règles les plus essentielles et que je ne pouvais pas en appeler à ce cœur humain dont j’ignorais les réactions élémentaires” (1). A sa grande surprise, la justice cherche une préméditation, des mobiles à ce crime parfaitement gratuit. Il entend ses juges détourner au profit de l’accusation les menus événements de son passé qui l’accusent car ils échappent et créent un décalage entre Meursault et ses semblables parce qu’il ne se conforme pas à leurs valeurs sentimentales et morales. C’est pourquoi il est condamné à mort. En attendant le châtiment, Meursault refuse de recevoir l’aumônier qui vient dans sa cellule. Meursault refuse les consolations de la religion parce qu’il ne croit pas en Dieu et parce qu’il n’aime que cette vie terrestre dont on va la priver. C’est la raison pour laquelle il dit “ Alors, je ne sais pas pourquoi, il y a quelque chose qui a crevé en moi. Je me suis mis à crier à plein gosier et je l’ai insulté et je lui ai dit de ne pas prier. Je l’avais pris par le collet de sa soutane. Je déversais sur lui tout le fond de mon cœur avec des bondissements mêlés de joie et de colère. Il avait l’air si certain, n’est- ce pas ? Pourtant, aucune de ses certitudes ne valait un cheveu de femme. Il n’était même pas sûr d’être en vie puisqu’il vivait comme un mort. Moi j’avais l’air d’avoir les mains vides. Mais j’étais sûr de moi, sûr de tout, plus sûr que lui, sûr de ma vie et de cette mort qui allait venir. Oui, je n’avais que cela. Mais du moins, je tenais cette vérité autant qu’elle me tenait. J’avais eu raison, j’avais vécu de telle façon et j’aurais pu vivre de telle autre. Je n’avais pas fait telle chose alors que j’avais fait cette autre” (2). L’attitude de Meursault à l’égard de la foi, est l’attitude exemplaire de l’homme absurde qui la considère comme un saut et lui il ne veut pas sauter. Meursault n’a pas le remords, au contraire il se montre fier de son indifférence à tout. L’important pour lui, c’est d’épuiser tout ce qui est donné et c’est pourquoi il dit : “ Si près de la mort maman devait s’y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne on avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m’avait purgé du mal, vidé d’espoir, devant cette nuit chargée de signes et d’étoiles, je m’ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l’éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j’ai senti que j’avais été heureux, et que je l’étais encore, pour que tout soit consomme pour que je me sente moins seul, il me reste à souhaiter qu’il y ait beaucoup de

(1 )Ibid P157 (2 )Ibid PP 182, 183 166 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

spectateurs le jour de mon exécution et qu’ils m’accueillent avec des cris de haine” (1). Meursault ne veut pas régler le problème de l’absurde parce qu’il est convaincu “ qu’entrer dans le monde dérisoire des dieux, c’est perdre à jamais la plus pure des joues qui est de sentir et de sentir sur cette terre” (2). Pour bien comprendre son attitude à l’égard de son crime, on doit lire et relire attentivement ces mots : “ Toutes les morales sont fondées sur l’idée qu’un acte a des conséquences qui le légitimait ou l’oblitèrent. Un esprit pénétré d’absurde juge seulement que ces suites doivent être considéré avec sérénité. Il est prêt à payer. Autrement dit, si, pour lui, il peut y avoir des responsables, il n’ y a pas de coupables.”(3). Meursault défie l’absurde et la mort. Il est persuadé que “ vivre une expérience, un destin, c’est l’accepter pleinement. Or on ne vivra pas ce destin, le sachant absurde, si on ne fait pas tout pour maintenir devant soi cet absurde mis à jour par la conscience” (4). Meursault nous incarne l’idée camusienne que “le contraire du suicidé, précisément c’est le condamné à mort” (5). Si le premier échappe à l’absurde par le suicide, le dernier l’affronte consciemment. “ Conscience et révolte, ces refus sont le contraire du renoncement. Tout ce qu’il y a d’irréductible et de passionné dans un cœur humain les anime au contraire de sa vie. Il s’agit de mourir réconcilié et non pas de plein gré. Le suicide est une méconnaissance. L’homme absurde ne peut que tout épuiser, et s’épuiser. L’absurde est sa tension la plus extrême, celle qu’il maintient constamment, d’un effort solitaire, car il sait que dans cette conscience et dans cette révolte qui est le défi” (6). Donc Meursault c’est le premier révolté camusien, mais sa révolte est individuelle et silencieuse. “ Par-delà les questions toujours ouvertes qu’il pose “ L’Etranger” doit peut-être son pouvoir de fascination au sentiment de tragédie qui s’en dégage ; l’incessante recherche d’un sens qui se dérobe toujours, l’opposition structurelle entre la conscience et l’univers social, la certitude de Meursault d’une totale innocence, liée à un désir de lucidité, l’omniprésence de bout en bout, de la mort et du châtiment, font de “ L’Etranger” une “ cérémonie” tragique avec Dieu absent. Ecrire c’est peut- être pour Meursault la seule façon de répondre à cette absence en transformant rétrospectivement sa vie en un destin (7).

(1 )Ibid PP 185, 186 (2 )“Le Mythe De Sisyphe”, P90 (3 )Ibid PP 96,97 (4 )Ibid p 78 (5 )Ibid p 79 (6 )Ibid p 80 (7 )BEAUMARCHAIS ,op.cit,P 373 167 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

La chose qu’on remarque chez tout homme absurde et chez Meursault c’est l’importance qu’il accorde aux relations humaines après la prise de conscience de l’absurde. Si l’absurde ébranle sa foi, il le relie solidement avec ceux qu’il aime. Dans l’absurde, les hommes absurdes” trouvent la créature mutilée, mais ils y rencontrent aussi les seules valeurs qu’ils aiment et qu’ils admirent et leur richesse. Il n’y a qu’un seul luxe pour eux et c’est celui des relations humaines. Comment ne pas comprendre que dans cet univers vulnérable, tout ce qui est humain et n’est que cela prend un sens plus brûlant ? Visages tendus, fraternité menacée, amitié si forte et si pudique des hommes entre eux, ce sont les vraies richesses puisqu’ elles sont périssables. C’est au milieu d’elles que l’esprit sent le mieux ses pouvoirs et ses limites. C’est-à-dire son efficacité” (1). C’est pourquoi Meursault, de la première partie qui se montre indifférent aux autres, change d’attitude et n’hésite pas de déclarer qu’il a envie d’embrasser Céleste pendant le procès et n’hésite pas de dire que les certitudes de l’aumônier ne valent un cheveu de Marie. Passons maintenant à notre deuxième homme absurde “Caligula”. Cette pièce théâtrale nous présente quatre personnages principaux : Caligula, Consonai, Chéréa et Scipion. Les autres personnages nous parle Caligula, jusque-là un empereur parfait, très sensible et qui essaye toujours d’être juste et raisonnable. Il vient de suivre un choc moral terrible c’est la mort de sa sœur amante Drusilla. Le rideau s’ouvre sur le palais de Caligula dont on attend le retour parce qu’il est absent depuis trois jours. Quand il est sorti, il avait un regard étrange et quand on lui a demandé ce qu’il avait, il a répondu par un seul mot : Rien. Tous les patriciens croient que tous les jeunes gens sont ainsi et que l’âge efface tout parce que les chagrins ne sont pas éternels, on n’est pas capable de souffrir plus d’ans. On justifie sa fuite : “ le malheur c’est comme le mariage. “ On croit qu’on choisit et puis on est choisi. C’est comme ça, on n’y peut rien. Notre Caligula est malheureux, mais il ne sait peut-être même pas pourquoi ! Il a dû se sentir coincé, alors il a fui” (2). Lorsqu’il paraît, c’est pour confier à ses proches qu’il s’est “ senti tout à coup un besoin d’impossible” (3) parce que devant le cadavre de Drusilla, son amante, il découvre brusquement que “ ce monde tel qu’il est fait n’est (4) (5) pas supportable” et que “ les hommes meurent et ne sont pas heureux” . Ce n’est pas seulement la question de la mort de son amante. “ Que d’histoires pour la mort d’une femme ! Non, ce n’est pas cela. Je crois me souvenir, il est vrai, qu’il y a quelques jours, une femme que j’aimais est

(1 ) “Le Mythe De Sisyphe”, P 122 (2 )Albert CAMUS, “Caligula”, éd. Gallimard, coll folio 1958, P20 (3 )Ibid p 25 (4 )Ibid p 26 (5 )Ibid p 27 168 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

morte. Mais qu’est-ce que l’amour ? Peu de chose. Cette morte est rien, je te le jure ; elle seulement le signe d’une vérité que me rend la lune nécessaire. C’est une vérité toute simple et toute claire un peu bête, mais difficile à découvrir et lourde à porter” (1). Autrefois Caligula “ disait que la vie n’est pas facile, mais il y avait la religion, l’art et l’amour qu’on nous porte” (2). Maintenant il dit à sa deuxième amante Caesonia “ qu’est-ce qu’un dieu pour que je désire m’égaler à lui ? Ce que je désire de toutes mes forces aujourd’hui, est au-dessus des dieux. Je prends en charge un royaume où l’impossible est roi” (3). Donc il ne se limite pas à ne pas croire en Dieu mais il se nomme Dieu. Quant à l’amour, il prétend qu’il est rien. Il veut vivre,et “ vivre c’est le contraire d’aimer”(4). “ Caligula, lui, veut la vérité, la liberté, “ l’impossible”,il veut la lune lointaine et douce, il veut tout, et, pour commencer, puisqu’il est l’empereur et puisque il a la puissance, il va montrer à tous ces hommes autour de lui se complaisant dans l’illusion de l’existence,que la mort en réalité est déjà en eux ; il la fait planer sur leur tête à toute heure, avec ses compagnes inévitables : la bêtise, l’humiliation, la cruauté et l’absurdité. “Quiconque reconnaît l’absurde conquiert sa liberté, professe-t-il, et tous ceux qui accordent de l’importance aux êtres et aux choses et à eux- mêmes sont des menteurs ; punira ce mensonge car il le hait. Rien n’a aucun sens ; il peut donc faire n’importe quoi, imposer ou laisser faire n’importe quoi” (5). Caligula se nomme acteur qui enseigne par sa violence, la pièce théâtrale du premier et la leçon du deuxième c’est l’absurde. En s’adressant à Caesonia, il dit “ c’est moi qui te le dis et c’est moi qui l’invite à une fête sans mesure, à un procès général, au plus beau des spectacles. Et il me faut du monde, des spectateurs, des victimes et des coupables. (….). Faites entrer les coupables. Il me faut des coupables. Et ils le sont tous. (…). Je veux qu’on fasse entrer les condamnés à mort. Du public, je veux avoir mon public ! Juges, témoins, accusés, tous condamnés d’avance ! Caesonia, je ne libre de cet empire” (6). Afin de réveiller la conscience de l’absurdité de la vie, Caligula menace les hommes dans ce qu’ils ont de plus profond. Il dispose un pouvoir sans limites jusqu’à nier l’homme et le monde. Il choisit la violence parce qu’elle est le moyen qui se met d’accord avec sa fin qui est de ““ voir se dissiper le sens de cette vie, disparaître notre raison d’exister” (7). Caligula choisit la mort et l’exécution parce “ L’exécution soulage et délivre.

(1 )Ibid P 26 (2 )Ibid P 30 (3 )Ibid P 41 (4 )Ibid P 42 (5 )GAILLARD, op. cil p64 (6 )“Caligula”, P 42 (7 )Ibid P 51 169 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

Elle est universelle, fortifiante et juste dans ses applications comme dans ses intentions. On meurt parce qu’on est sujet de Caligula. Or, tout le monde est sujet de Caligula. Donc tout le monde meurt. C’est une question de temps et de patience” (1). Donc Caligula n’est que l’absurde lui-même, il l’incarne pour le montrer aux autres. Il déclare “ à raison de nos besoins, nous ferons mourir ces personnages dans l’ordre d’une liste établie arbitrairement. A l’occasion, nous pourrons modifier cet ordre, toujours arbitrairement (….). L’ordre des exécutions n’a, en effet, aucune importance. Ou plutôt ces exécutions ont une importance égale, ce qui entraîne que’ elles n’en ont point. D’ailleurs, ils sont aussi coupables les uns que les autres” (2). Pendant trois ans, Caligula exerce le pouvoir comme une tyrannie désespérée. Il tue, souille, avilit, détruit au hasard et en sachant fort bien qu’il peut remplir les caisses de l’Etat par le meurtre mais en gardant présent a l’esprit toujours qu’il a besoin de “ la lune, ou du bonheur ou de l’immutabilité, de quelque chose qui soit dément peut être, mais ne soit pas (3) de ce monde” mais il sait bien qu’il n’aboutiras rien. Le nihilisme de Caligula qui menace la vie de tous, oblige les patriciens de monter un complot. De plus ils réussissent de convaincre le littérateur Cherea de rejoindre à eux. Cependant l’empereur absurde refuse les précautions les plus élémentaires, il ne cesse de donner cyniquement à ses proches, à ses victimes le spectacle de son despotisme. Les Dieux peuvent arrêter cette catastrophe mais Caligula ne croit pas en dieux et même il blasphème en affirmant que c’est de la clairvoyance. A Scipion, il dit “ cela restera comme le grand secret de mon règne. Tout ce qu’on peut me reprocher aujourd’hui, c’est d’avoir fait encore un petit progrès sur la voie de la puissance et de la liberté. Pour un homme qui aime le pouvoir, la rivalité des dieux a quelque chose d’agaçant. J’ai supprimé cela. J’ai prouvé à ses dieux illusoires qu’un homme, s’il en a la volonté, peut exercer, sans apprentissage, leur métier ridicule (….). J’ai simplement compris qu’il n’y a qu’une façon de s’égaler : il suffit d’être aussi cruel qu’eux” (4). Alors Caligula comme tout homme absurde ne croit pas en Dieu, mais une question s’impose ici, trahit-il les valeurs de l’homme absurde lorsqu’il se met Dieu ? Renverse-t-il les idées de son créateur Camus qui affirme : “ nous ne l’ignorons pas, toutes les Eglises sont contre nous. Un cœur si tendu se délibère à l’éternel et toutes les Eglises, divines politiques, prétendent à éternel. Le bonheur et le courage, le salaire et la justice, sont

(1 )Ibid PP 66,67 (2 )Ibid PP 33, 34 (3 )Ibid P 26 (4 )Ibid P94 170 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

pour elle des fins secondaires. C’est une doctrine qu’elles apportent et il lui faut y souscrire. Mais je n’ai rien à faire des idées ou de l’éternel. Les vérités qui sont à ma mesure, la main peut les toucher. Je ne puis me séparer d’elles” (1). La réponse de Caligula est dans son refus d’être qualifié comme tyran “ Un tyran est un homme qui sacrifie des peuples à ses idées ou à son ambition. Moi, je n’ai pas d’idées et je n’ai plus rien à briguer en fait d’honneur et de pouvoir. Si j’exerce ce pouvoir, c’est par compensation (….) à la bêtise et à la haine des dieux” (2) et aussi il exerce ce pouvoir afin de montrer l’absurde aux hommes. “ Pour en arriver là, les hommes ont besoin de sévères leçons. Aussi l’entreprise de Caligula et ses crimes même sont- ils essentiellement pédagogiques. Il prétend, à sa manière, évangéliser un monde privé de connaissance et à qu’il manque un professeur qui sache ce dont il parle. Ce maître à penser et à vivre, c’est l’empereur lui-même. Aussi paradoxal que ce puisse être mais l’humanité ne progresse qu’à force de paradoxe il est enfin venu un empereur pour vous enseigner la liberté” (3). Caligula, est-il heureux ? Arrive-t-il à l’immortalité et l’éternité ? Trouve-t-il une seule chose sur cette terre, qui peut le satisfaire ? Non. Il vient de se confier à Caesiona qu’il va être assassiné par les conjurés, se retrouvant au même endroit où il a déjà mis ses victimes, il avoue “ Que ne suis-je à leur place ! J’ai peur. Quel dégoût, après avoir méprisé les autres, de se sentir la même lâcheté dans l’âme. Mais cela ne fait rien. La peur non plus ne dure pas. Je vais retrouver ce grand vide où le cœur s’apaise (…). Tout a l’air si compliqué. Tout est si simple pourtant. Si j’avais eu la lune, si l’amour suffisait, tout serait changé. Mais où étancher cette soif ? Quel cœur, quel dieu aurait pour moi la profondeur d’un lac ? (S’agenouillant et pleurant). Rien dans ce monde, ni dans l’autre qui soit à ma mesure. Je sais pourtant, et tu le sais aussi (il tend les mains vers le miroir en pleurant) qu’il suffirait que l’impossible soit. L’impossible ! Je l’ai cherché aux limites du monde, aux confins de moi-même. J’ai tendu mes mains (…). Je n’ai pas pris la voie qu’il fallait, je n’aboutis à rien. Ma liberté n’est pas la bonne.” (4). Caligula est assassiné, par les conjurés, en criant “ Je suis encore vivant” (5). car l’absurde ne finira jamais. Le dernier ouvrage du cycle de Sisyphe, c’est “ Le Malentendu”. L’histoire de cette pièce théâtrale c’est la même du fait divers lu et relu par Meursault. Le résumé de cette histoire est qu’une mère assassine sans le reconnaître son propre fils en le prenant pour un étranger.

(1 )“Le Mythe De Sisyphe” PP122, 123 (2 )“Caligula” pp 94, 95 (3 )Roger Quilliot, “La Mer et Les Prisons” (4 )“Caligula”, P 149 (5 )Ibid P150 171 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

Le premier acte s’ouvre par la scène ou la mère et la sœur Martha dans leur auberge, parlent de Jan le nouveau voyageur qui vient de passer quelques jours chez elles. Elles préfèrent qu’il soit riche et seul pour qu’elles recommencent. Recommencer quoi ? Leur habitude qui est d’endormir les riches voyageurs et les jeter à la rivière après les avoir dépouillés. La mère se montre fatiguée et elle voudrait se reposer. Le repos qu’elle cherche “ c’est un rêve de vieille femme. J’aspire seulement à la paix, à un peu d’abandon (…). Il y a des soirs où je me sentirais presque des goûts de religion (1). Martha encourage, sa mère fatiguée des crimes en lui disant “ Ah ! Mère ! Quand nous aurons amassé beaucoup d’argent et que nous pourrons quitter ces terres sans horizon, quand nous laisserons derrière nous cette auberge et cette ville pluvieuse, et que nous oublierons ce pays d’ombre, le jour où nous serons enfin devant la mer” (2). Même elle va jusqu’à lui justifier leurs crimes : “ Vous savez bien qu’il ne s’agit même pas de tuer. Il boira son thé, il dormira, et bout vivant encore, nous le porterons à la rivière. On le retrouvera dans longtemps, collé contre un barrage, avec d’autre l’eau, les yeux ouverts. Le jour où nous avons assisté au nettoyage du barrage, vous me le disiez, mère, ce sont les nôtres qui souffrent le moins, la vie est plus cruelle que nous. Redressez-vous, vous trouverez votre repos et nous fuirons d’ici” (3). Donc comme Caligula, elles se mettent à la place de l’absurde, et se donnent le droit de mettre fin à la vie de l’homme, la seule différence et que Caligula le fait pour montrer l’absurde, elles pour collectionner l’argent nécessaire pour dépasser l’absurde de la pauvreté. Jan arrive avec sa femme Maria, Il ne veut pas se présenter à sa mère ni à sa sœur parce qu’il désire être reconnu pour lui-même, alors qu’il n’a jamais donné aux siens une seule nouvelle de lui. Sa femme, refuse, et lui répète beaucoup : “ mais pourquoi ne pas avoir annoncé ton arrive ? Il y a des cas où l’on est bien obligé de faire comme tout le monde. Quand on veut être reconnu, on se nomme, c’est l’évidence même. On finit par tout brouiller en prenant l’air de ce qu’il n’est pas. Comment ne me serais-tu pas traité en étranger dans une maison où tu te présentes comme un étranger. Non, non, tout cela n’est pas sain” (4). Il s’entête. Jan essaye d’entreprendre une véritable communication avec sa mère et sa sœur pour apercevoir mieux ce qui les rend heureuses. Il laisser parler son cœur, il veut prêter son bras à sa mère en tant que fils mais il est déçu par la réponse de Martha “ un fils qui entrait ici trouverait ce que n’importe

(1 )Aibert CAMUS “Le Malentendu”, éd. Gallimard, coll. Folio, 1985, p 158 (2 )Ibid P 160 (3 )Ibid P 162 (4 )Ibid P 167 172 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

quel client est assuré d’y trouver : une indifférence bienveillante. Tous les hommes que nous avons reçus s’en sont accommodés. Ils ont payé leur chambre et reçu une clé. Ils n’ont pas parlé de leur cœur (….). Cela est simplement notre travail (1). “ Ne parlez plus de votre cœur. Nous ne pouvons rien pour lui. J’ai failli vous demander de partir, tant votre ton me lassait. Prenez votre clé, assurez-vous de votre chambre. Mais sachez que vous êtes dans une maison sans ressources pour le cœur. Trop d’années grises ont passé sur ce petit village et sur nous. Elles ont peu à peu refroidi cette maison. Elles nous ont enlevé le goût de la sympathie. Je vous le dis encore, vous n’aurez rien ici qui ressemble à l’intimité” (2). Après plusieurs déceptions et échecs dont la cause est le fait que toujours la bon volonté bute sur la réserve et la dureté de Martha, jan décide de partir pour revenir demain. Il est certain que tous les mots qu’ils utilisent pour approfondir ses relations avec sa mère et sa sœur, creusent, à l’insu des uns et des autres, le fossé qui les sépare. En dépit de toutes les occasions qu’il ne peut s’empêcher de susciter, il n’est pas reconnu. Maintenant il est convaincu comme sa femme Maria, qu’il lui faut dévoiler tout suite sa véritable identité. Après avoir bu le thé Jan se parle avec lassitude “ Je reviendrai demain avec Maria, et je dirai : “ C’est moi”. Je les rendrai heureuses. Tout cela est évident. Maria avait raison” (3). Le domestique a jeté le corps dans l’eau, les deux femmes retrouvent le passeport. La mère décide de se tuer car, pour elle “ quand une mère n’est plus capable de reconnaître son fils, c’est que son rôle sur la terre est fini” (4). Qu’est-ce qu’elle cherche dans le suicide? Qu’est-ce qu’elle veut calmer ? “ La fatigue peut-être, et la soif de repos” (5). Martha comme tout homme absurde ne cherche pas la fuite, elle assume la responsabilité de ce qu’elle a fait avec courage et lucidité et elle se montre prête à payer. Comme Caligula, trop tard elle a découvert l’inutilité du crime. “ J’imagine que le crime était notre foyer et qu’il nous avait unies, ma mère et moi pour toujours (…). Mais je me trompais. Le crime aussi est une solitude, même si on se met à mille pour l’accomplir. Et il est juste que je meure seule, après avoir vécu et tué seule” (6). D’ ailleurs comme tout homme absurde Martha refuse toute forme de repos qui vient de la transcendance divine. ““ Que les portes se referment autour de moi ! Qu’elle ne laisse ma juste colère ! Car avant de mourir, je ne lèverai pas les yeux pour implorer le Ciel. Là-bas, où l’on peut fuir, se délivrer, presser son corps contre un autre, rouler dans la vague, dans ce

(1 )Ibid P 187 (2 )Ibid P 188 (3 )Ibid P 215 (4 )Ibid P 226 (5 )Ibid P 231 (6 )Ibid PP 240, 241 173 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre1: Le Cycle De Sisyphe (L’Absurde chez L’Homme Absurde)

pays défendu par la mer, les dieux n’abordent pas. Mais ici, où le regard s’arrête de tous côtés, toute la terre est dessinée pour que le visage se lève et que le regard supplie. Oh ! Je hais ce monde où nous sommes réduits à Dieu. Mais moi, qui souffre d’injustice, on ne m’a pas fait droit, je ne m’agenouillerai pas. Et privée de ma place sur cette terre, régatée par ma mère, seule au milieu de mes crimes, je quitterai ce monde sans être réconciliée” (1). Voilà le résumé de tous les ouvrages du cycle de Sisyphe, dont la lecture nous met devant un héros lucide qui se donne au défi de l’absurde mais sa révolte est individuelle et silencieuse. L’absurde crée un décalage entre ce héros et les autres et le rejette dans un univers privé, et c’est dans ce point exactement que l’homme absurde se ressemble aux héros de Beckett et d’lonesco, comme ces derniers, il vit solitaire.

(1 )Ibid PP 232, 233 174

Chapitre LE CYCLE DE PROMÉTHÉE 2 (L’ABSURDE CHEZ L’HOMME RÉVOLTÉ)

175 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

(3.2.1) L’Absurde Chez L’Homme Révolté

La deuxième phase de l’œuvre camusienne c’est celle de la révolte. Le héros camusien après avoir pris conscience de l’absurde s’interroge sur son destin et il tire parti des leçons qui lui propose l’Historie. Toute la leçon de l’absurde est de pousser l’homme à la révolte. Mais si l’homme absurde se donne à la révolte individuelle, l’homme révolté entre en communion avec les autres hommes. Si l’homme absurde reste confine dans une individualité indépassable contrairement à lui l’homme révolté s’ouvre à la fraternité et à la solidarité de ses semblables. Les ouvrages de ce cycle sont: “La Peste”, “L’Homme Révolté”, “Les Justes” et “L’Etat De Siége”. Nous allons commencer par L’Homme Révolté parce qu’on y retrouve les principes de la philosophie de l’homme révolté. “L’Homme Révolté” tente d’analyser les raisons et les nécessités de la révolte face à l’absurde social et métaphysique. “Cet essai se propose de poursuivre, devant le crime logique et la révolte, une réflexion commence dans “Le Mythe De Sisyphe” autour du suicide et de la notion d’absurde. L’homme révolté est l’homme qui dit non. Mais ce faisant il parle au nom d’une valeur commune à tous: il n’est plus seul. Je me révolte, donc nous sommes” (1). Comme son frère aîné, l’homme absurde, l’homme révolté est un esprit pénétré de l’absurde mais il veut lutter contre l’absurde par l’action et non pas par la réflexion. Cependant le sentiment de l’absurde quand on prétend d’abord en tirer une règle d’action, rend le meurtre moins indifférent et, par conséquent possible. Si l’on ne croit à rien, si rien n’a de sens et si nous ne pouvons affirmer aucune valeur toute est possible et rien n’a d’importance. Point de pour ni de coutre, l’assassin n’a ni tort ni raison. On peut tisonner les crématoires comme on peut aussi se dévouer à soigner les lépreux. Malice et vertu sont hasard ou caprice” (2). Mais “un esprit pénétré de l’idée d’absurde admet sans doute le meurtre de raisonnement. Vis-à-vis la confrontation meurtre et suicide sont une même chose qu’il faut prendre et rejeter ensemble” (3). “De la même manière, si l’on refuse ses raisons au suicide, il n’est pas possible d’en donner au meurtre. On n’est pas nihiliste à demi. Le raisonnement absurde ne peut à la fois préserver la vie de celui qui parle et accepter le sacrifice des autres. A partir du moment où l’on reconnaît l’impossibilité de la négation absolue et c’est la reconnaître

(1) J.C. BRISVILLE, op. cit, P127. (2)Ablest CAMUS, “L’Homme Révolté ”, e’d. Gallimard, coll. Folio –éssais, 1951, P17. (3)lbid P19. 176 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

que de vivre en quelque manière, la première chose qui ne puisses nier, c’est la vie d’autrui” (1).

La question qui se pose maintenant: “Qu’est-ce qu’un homme révolté? Un homme qui dit non. Mais s’il refuse, il ne renonce pas: c’est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Quel est le contenu de ce “non”? Il signifie, par exemple, “les choses ont trop duré”, “jusque-là oui, au-delà non”, “vous allez trop loin”, et encore, “il y a une limite que vous ne dépasserez pas”. En somme, ce non affirme l’existence d’une frontière. On retrouve la même idée de limite dans ce sentiment du révolté que l’autre “exagère”. Qu’il étend son droit-delà d’une frontière à partir de laquelle un autre droit lui fait face et le limite. Ainsi, le mouvement de révolte s’appuie-t-il, en même temps, sur le refus catégorique d’une intrusion jugée intolérable et sur la certitude confuse d’un bon droit, plus exactement l’impression, chez le révolté qu’il est “en droit de…”. La révolte ne va pas sans le sentiment d’avoir soi-même, en quelque façon, et quelque part, raison” (2). Contrairement à la philosophie existentialiste qui rejette la notion de nature humaine, l’homme révolté agit “au nom d’une valeur, encore confuse, mais dont il a le sentiment, au moins, qu’elle lui est commune avec tous les hommes. On voit que l’affirmation impliquée dans tout acte de révolte s’étend à quelque chose qui déborde l’individu dans la mesure où elle le tire de solitude supposée et le fournit d’une raison d’agir. Mais il importe de remarquer déjà que cette valeur qui préexiste à toute action contredit les philosophies purement historiques, dans lesquelles la valeur est conquise (si elle conquiert) au bout de l’action. L’analyse de la révolte conduit au moins au soupçon qu’il y a une nature humaine, comme le pensaient les Grecs, et contrairement aux postulats de la pensée contemporaine. Pourquoi se révolter s’il n’y a en soi, rien de permanent à préserver? C’est pour tous les existences en même temps que l’esclave se dresse, lorsqu’il juge que, par tel ordre, quelque chose en lui est nié qui ne lui appartient pas seulement, mais qui est un lieu commun où tous les hommes,même celui qui l’insulte et l’opprime, ont une communauté prête (3). Par rapport à l’homme absurde, l’homme révolté fait un progrès. “Dans l’expérience absurde, la souffrance est individuelle. A partir du mouvement de révolte, elle a conscience d’être collective elle est l’aventure de tous. Le premier progrès d’un esprit saisi d’étrangeté est donc de reconnaître qu’il partage cette étrangeté avec tous les hommes et que la

(1)lbid P20. (2)lbid P28. (3)lbid P30. 177 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

réalité humaine, dans sa totalité, souffre de cette distance par rapport à soi et au monde. Le mal qui éprouvait un seul homme devient peste collective. Dans l’épreuve quotidienne qui est la nôtre, la révolte joue le même rôle que le “cogito” dans l’ordre de la pensée: elle est la première évidence. Mais cette évidence tire l’individu de sa solitude. Elle est un lieu commun qui fonde sur tous les hommes la première valeur. Je me révolte donc nous sommes (1). Pour Camus il y a deux types de révolte: la révolte métaphysique et la révolte historique. Qu’est ce que la révolte métaphysique? Elle “est le mouvement par lequel un homme se dresse contre sa condition et la création toute entière. Elle est métaphysique parce qu’elle conteste les fins de l’homme et de la création. L’esclave proteste contre la condition qui lui est faite à l’intérieur de son état: le révolté métaphysique contre la condition qui lui est faite en tant qu’homme. L’esclave rebelle affirme qu’il y a quelque chose en lui qui n’accepte pas la manière dont son maître le traite ; le révolte métaphysique se déclare frustré par la création” (2). Protestant contre la condition dans ce qu’elle a d’inachevé, par la mort, et de dispersé, par le mal, la révolte métaphysique est la revendication motivée d’une unité heureuse, contre la souffrance de vivre et de mourir (…). En même temps qu’il refuse sa condition mortelle, le révolté refuse de reconnaître la puissance qui le fait vivre dans cette condition. Le révolté métaphysique n’est donc pas sûrement athée, comme on pourrait le croire, mais il est forcément blasphémateur. Simplement, il blasphème d’abord au nom de l’ordre, dénonçant en Dieu le père de la mort et le suprême scandale (3). Le révolté métaphysique ne nie pas Dieu mais il y retrouve une existence supérieure contradictoire. Il “défie plus qu’il ne nie”. Primitivement, au moins, il ne supprime pas Dieu, il lui parle seulement d’égal à égal. Mais il ne s’agit pas d’un dialogue courtois. Il s’agit d’une polémique qu’anime le désir de vaincre (4). Selon Camus, le premier révolté métaphysique, c’est Sade. Cet écrivain parle toujours de la stupidité et de la haine divines. “L’idée, au moins, que Sade se fait de Dieu est donc celle d’une divinité criminelle qui écrase l’homme et le nie. Que le meurtre soit un attribut divin se voit assez, selon Sade, dans l’histoire des religions. Pourquoi l’homme serait-il alors vertueux? Le premier mouvement du prisonnier est de sauter dans la conséquence extrême. Si Dieu tue et nie l’homme, rien ne peut interdire

(1)lbid PP37 - 38. (2)lbid P41. (3)lbid P42. (4)lbid P43. 178 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

qu’on nie et tue ses semblables” (1). Donc Sade nie l’homme et sa morale puisque Dieu les nie. Sade nie Dieu au nom de la nature. “La nature pour lui, c’est le sexe, sa logique le conduit dans un univers sans loi où le seul maître sera l’énergie démesurée du désir.(…). La liberté qu’il réclame n’est pas celle des principes, mais des instincts” (2). “Il refuse avec une clairvoyance exceptionnelle en son temps, l’alliance présomptueuse de la liberté et de la vertu. La liberté, surtout quand elle est le rêve du prisonnier, ne peut supporter de limites. Elle est le crime où elle n’est plus la liberté” (3). Chez lui “la liberté illimitée du désir signifie la négation de l’autre et la suppression de la pitié. Il faut tuer le cœur, cette” (faiblesse de l’esprit); le lieu clos et le règlement y pourvoiront. Le règlement, qui joue un rôle capital dans les châteaux fabuleux de Sade, consacre un univers de méfiance. Il aide à tout prévoir afin qu’une tendresse ou une pitié imprévues ne viennent déranger les plans du bon plaisir (4). La deuxième révolte métaphysique c’est celle des dandys (les écrivains romantiques). Dans leurs écrits “La violence divine est ainsi condamnée explicitement. Le révolté s’éloignera de ce Dieu agresseur et indigne.” “Le plus loin de lui est le mieux”, et régnera sur toutes les forces hostiles à l’ordre divin. Le prince du mal n’a choisi sa voie que parce que le bien est une notion définie et utilisée par Dieu pour les dessins injustes (5).Le romantisme inaugure “une esthétique qui règne encore sur notre monde, celles des créateurs solitaires, rivaux obstinés d’un Dieu qu’ils condamnent” (6). Avec Dostoïevski la révolte métaphysique, fait un pas de plus. Si “l’ambition du révolté romantique était de parler à Dieu d’égal à égal. Le mal répond alors au mal, la superbe à la cruauté”(7), chez Dostoïevski, “le ton change”. Dieu est jugé à son tour, et de haut. Si le mal est nécessaire à la création divine alors cette création est inacceptable(8). Un pas de plus, le héros chez cet écrivain “incarne le refus d’être sauvé seul. Il se solidarise avec les damnés et, à cause d’eux, refuse le ciel. S’il croyait, en effet, il pourrait être sauvé, mais d’autres seraient damnés. La souffrance continuerait” (9).Cet héros ne sépare pas la création de son créateur. “Autrement dit, c’est Dieu le père, inséparable de ce qu’il a créé. Son projet

(1)lbid P59. (2)lbid P60. (3)lbid P61. (4)lbid P65 (5)lbid P72 (6)lbid P77 (7)lbid P79 (8)lbid P80 (9)lbid P81 179 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

d’usurpation reste donc tout moral. Il ne veut rien réformer dans la création, Mais la création étant ce qu’elle est, il en tire le droit de s’affranchir moralement et les autres hommes avec lui” (1). La troisième révolte métaphysique c’est celle de Nietzsche. De fait sa philosophie “ tourne autour du problème de la révolte. Exactement, elle commence par être une révolte. Mais on sent le déplacement opéré par Nietzsche. La révolte, avec lui, part du “Dieu est mort” qu’elle considère comme un fait acquis, elle se tourner alors contre tout ce qui vise à remplacer faussement la divinité disparue et déshonore un monde, sans doute sans direction, mais qui demeure le seul creuset des dieux” (2).“Dans un certain sens, la révolte, chez Nietzsche, aboutit encore à l’exaltation du mal”. La différence est qui le mal n’est plus alors face possible du bien et, plus certainement encore comme une fatalité” (3). Une des formes de la révolte métaphysique est celle des surréalistes. “Révolte absolue insoumission totale, le surréalisme, dans son intention première, se définit comme le procès de tout, toujours à recommencer. Le refus de toutes les déterminations est net, tranché, provocant.” “Nous sommes des spécialistes de la révolte” (4).Le surréalisme est “un grand appel vers la vie absente s’arme d’un refus total du monde présent” (5) dont “le procès du monde réel est devenu logiquement le procès de la création” (6). A travers toute forme de révolté métaphysique, “le révolté ne voulait, en principe, que conquérir son être propre et le maintenir à la face de Dieu. Mais il perd la mémoire de ses origines et, par la loi d’un impérialisme spirituel, la voie en marche pour l’empire du monde à travers des meurtres multipliés à l’infini. Il a chassé”. Dieu de son ciel, mais, l’esprit de révolté métaphysique rejoignant alors franchement le mouvement révolutionnaire, la revendication irrationnelle de la liberté va prendre paradoxalement pour arme la raison, seul pouvoir de connaître que lui semble purement humain. Dieu mort, restent les hommes, c’est-à-dire l’histoire qu’il faut comprendre et bâtir. Le nihilisme, qui, au sein de la révolte, submerge alors la force de création, ajoute seulement, qu’on peut la bâtir par tous les moyens. Aux cimes de l’irrationnel, l’homme, sur une terre qu’il sait désormais solitaire, va joindre les crimes de la raison en marche vers l’empire des hommes. Au “je me révolte, donc nous sommes”, il ajoute, méditant de prodigieux

(1)lbid P84 (2)lbid P94 (3)lbid P102 (4)lbid PP121,122 (5)lbid P122 (6)lbid P123 180 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

dessins et la mort même de la révolte: “Et nous sommes seuls” (1).Ainsi commence la révolte historique. “En vérité, la révolution n’est que la suite logique de la révolte métaphysique {et on voit dans ce} mouvement révolutionnaire, le même effort désespéré et sanglant pour affirmer l’homme en face de ce qui le nie”. L’esprit révolutionnaire prend ainsi la défense de cette part de l’homme qui ne veut pas s’incliner. Simplement, il tente de lui donner son règne dans le temps. Refusant Dieu il choisit l’histoire, par une logique apparemment inévitable” (2). Selon Camus la révolution Française est une des premières étapes de la révolte historique qui établit la religion de la raison parce qu’elle n’ “affirme pas encore la divinité de l’homme, mais celle du peuple, dans la mesure où sa volonté coïncide avec celle de la nature et de la raison. Si la volonté générale s’exprime librement, elle ne peut être que l’expression universelle de la raison. Si le peuple est libre, il est infaillible. Le roi mort, les chaînes du vieux despotisme dénouées, le peuple va donc exprimer ce qui de tous temps et en tous lieux, est, a été et sera la vérité. Il est l’oracle qu’il faut consulter pour savoir ce qu’exige l’ordre éternel du monde (…). Des principes éternels commandent notre conduit: la Vérité, la Justice, la Raison enfin. C’est là le nouveau dieu. L’Etre suprême que des cohortes des jeunes filles viennent adorer en fêtant la Raison n’est que l’ancien dieu, désincarné, coupé brusquement de toute attache avec la terre et renvoyé, tel un ballon, dans le ciel vide des grands principes” (3). Cela parce que la révolution française est basée sur les idées du “Contrat Social” de Rousseau, qui “donne une large extension et un exposé dogmatique, à la nouvelle religion dont le dieu est la raison, confondue avec la nature, et le représentant sur la terre, au lieu du roi, le peuple considéré dans sa volonté générale” (4). Puis vient l’époque de Napoléon et “avec Napoléon et Hegel, philosophe napoléonien, commencent les temps de l’efficacité. Jusqu’à Napoléon, les hommes ont découvert l’espace de l’univers, à partie de lui, le temps du monde et l’avenir. L’esprit révolté va s’en trouver profondément transformé” (5). “L’effort de Hegel puis des hégéliens, a été(…) de détruire de plus en plus toute transcendance et toute nostalgie de la transcendance (…). Le vainqueur a toujours raison, c’est là une des leçons que l’on peut tirer du plus grand système allemand du XIXe siècle” (6). C’est pourquoi Hegel lui-même appelle le Maître du monde le dieu réel. “Telle est la

(1)lbid P135 (2)lbid PP 139, 140 (3)lbid P 158 (4)lbid P 150 (5)lbid P 175 (6)lbid P 177 181 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

réponse à la question toujours posées : pourquoi le mouvement révolutionnaire s’est-il identifié avec le matérialisme plutôt qu’avec l’idéalisme? Parce qu’asservir qui maintient les anciens maîtres et à préparer avec l’ascension des nouveaux, les temps de l’homme-roi. Quand la misère aura vécu, quand les contradictions historiques seront résolues, le vrai dieu, le dieu humain sera L’Etat” (1). Pour Camus la révolution russe au début, était noble, Les terroristes étaient des meurtriers délicates. “Ces jeunes gens essayaient de sortir de la contradiction et de créer les valeurs dont ils manquaient. Jusqu’à eux, les hommes mouraient au nom de ce qu’ils savaient ou de ce qu’ils croyaient savoir. A partir d’eux, on prit l’habitude, plus difficile, de se sacrifier pour quelque chose dont on ne savait rien, sinon qu’il fallait mourir pour qu’elle soit (…). Ces hommes futurs, en l’absence de leurs valeurs suprêmes, demeuraient leur dernier recours. L’avenir est la seule transcendance des hommes sans dieu. Les terroristes, sans doute, veulent d’abord détruire, faire chanceler l’absolutisme sous le choc des bombes. Mais par leur mort, au moins, ils visent à recréer une communauté de justice, et d’amour, et à reprendre ainsi une mission que l’Eglise a trahie.” Les terroristes veulent en réalité créer une Eglise d’où jaillira un jour le nouveau Dieu” (2). Mais ils sont déchirés de contradictions. “Au milieu d’un monde qu’ils nient et qui le rejette, ils tentent, comme tous les grands cœurs, de refaire, homme après homme, une fraternité. L’amour qu’ils se portent réciproquement, qui s’étend à l’immense masse de leurs frères asservis et silencieux, donne la mesure de leur détresse et de leur espoir. Pour servir cet amour, il leur faut d’abord tuer, pour affirmer le règne de l’innocence, accepter une certaine culpabilité.” Cette contradiction ne se résoudra pour eux qu’au moment dernier. Solitude et chevalerie, déréliction et espoir ne seront surmontés que dans la libre acceptation de la mort” (3). Ensuite, vient la terreur irrationnelle des révolutions fascistes qui ne méritent pas le titre de révolution. L’ambition universelle leur a manqué. Mussolini et Hitler ont sans doute cherché à créer un empire et les idéologues nationaux-socialistes ont pensé explicitement, à l’empire mondial. Leur différence avec le mouvement révolutionnaire classique est que, dans l’héritage nihiliste, ils ont choisi de défier l’irrationnel, et lui seul, au lieu de diviniser la raison” (4). Cependant le royaume des fins russes nous présente une terre rationnelle. “Sous la pression, pourtant inévitable, des impérialismes adverses naît, en réalité, avec Lénine, l’impérialisme la justice. Mais

(1)lbid PP 188, 189 (2)lbid P 213 (3)lbid P 218 (4)lbid P 228 182 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

l’impérialisme, même de la justice, n’a d’autre fin que la défaite, ou l’empire du monde. Jusque là, il n’a d’autre moyen que l’injustice. Dès lors, la doctrine s’identifie définitivement à la prophétie. Pour une justice lointaine, elle devient cette mystification que Lénine détestait plus que tout au monde. Elle fait accepter l’injustice, le crime et le mensonge par la promesse de miracle. Encore plus de pouvoir, le travail ininterrompu, la douleur incessant, la guerre permanente, et un moment viendra où le servage généralisé dans l’Empire total se changera merveilleusement en son contraire : le loisir libre dans une république universelle. La mystification pseudo-révolutionnaire a maintenant sa formule: il faut tuer toute liberté pour conquérir L’Empire et L’Empire un jour sera la liberté. Le chemin de l’unité passé alors par la totalité” (1). Camus a choisit Prométhée comme symbole parce qu’il est le demi- dieu qui est puni par Zeus parce qu’il aime l’homme et il croit en l’action et il fait apprendre à l’homme la révolte. Mais l’analyse des révolutions de l’homme nous mène à un “itinéraire surprenant de Prométhée. Calmant sa haine des dieux et son amour de l’homme, il se détourne avec mépris de Zeus et vient vers les mortels pour les mener à l’assaut au ciel. Mais les hommes sont faibles, ou lâches ; il faut les organiser. Ils aiment le plaisir et le Bonheur immédiate; il faut leur apprendre à refuser, pour se grandir, le miel des jours.” Ainsi Prométhée, à son tour, devient-il un maître qui enseigne d’abord, commande ensuite. La lutte se prolonge encore et devient épuisante. Les hommes doutent d’abord à la cité du soleil et si cette cité existe. Il faut les sauver eux-mêmes. Le héros leur dit alors qu’il connaît la cité, et qu’il est le seul à la connaître. Ceux qui en doutent seront jetés au désert cloué à un rocher, offerts en pâture aux oiseaux cruels. Les autres marcheront désormais dans les ténèbres, derrière le maître pensif et solitaire. Prométhée, seul, est devenu dieu et règne sur la solitude des hommes. Mais, de Zeus, il n’a conquis que la solitude et la cruauté ; il n’est plus Prométhée, il est César. Le vrai, l’éternel Prométhée a pris maintenant le visage d’une de ses victimes. Le même cri, venu du fond des âges, retentit toujours au fond du désert de Scthie” (2). Maintenant Camus se demande: “Peut-on, éternellement refuser l’injustice sans cesser de saluer la nature de l’homme et la beauté du monde?”. “Notre réponse est oui” (3). “Pour échapper à ce destin, l’esprit révolutionnaire, s’il veut rester vivant, doit donc se retremper aux sources de la révolte et s’inspirer alors de la seule pensée qui soit fidèle à ces origines, la pensée des limites” (4) ou la pensée de midi. Selon Camus il y a

(1)lbid PP 291, 292 (2)lbid PP 305, 306 (3)lbid P 345 (4)lbid P 367 183 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

“pour l’homme, une action et une pensée possibles au niveau moyen qui est le sien” (1). Au midi de la pensée, le révolté refuse ainsi la divinité pour partager les luttes et le destin communs. Nous choisirons Ithauq, la terre fidèle, la pensée audacieuse et frugale, l’action lucide, la générosité de l’homme qui sait. Dans la lumière, le monde reste notre premier et notre dernier amour. Nos frères respirent sous le même ciel que nous, la justice est vivante. Alors naît la joie étrange qui aide à vivre et à mourir et que nous refusons désormais de renvoyer à plus tard” (2). Passons maintenant à l’ouvrage le plus important du cycle de la révolte: “La Peste”. Le héros, le docteur Rieux entreprend de nous raconter par le détail, en chroniquer, l’épidémie qui s’est abattue en 194. Sur la ville d’Oran et l’a isolée du monde pendant presque une année entière, causant des milliers et des milliers de victimes. “A première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus qu’une préfecture française de la côte algérienne. La cité elle-même, on doit l’avouer, est laide. D’aspect tranquille, il faut quelque temps pour qu’elle soit une ville commerçante, sous toutes les latitudes” (3). “Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort, au milieu du palier. Sur le moment, il écarta la bête dans la rue, la pensée lui vint que ce rat n’était pas à sa place” (4). “Mais dans les jours qui suivirent, la situation s’aggrava. Le nombre des rongeurs ramassés allait croissant et la récolte était tous les matins plus abondante. Dès le quatrième jour, les rats commencèrent à sortir pour mourir en groups. Dès réduits, des sous-sols, des caves, des égouts, ils montaient en longues filles titubantes pour venir vaciller à la lumière, tourner sur eux- mêmes et mourir près des humains. La nuit, dans les couloirs ou les ruelles, on entendait distinctement leurs petits cris d’agonie. Le matin, dans les faubourgs, on les trouvait étalés à même le ruisseau, une petite fleur de sang sur le museau pointu, les uns gonflés et punitifs, les autres raidis et les moustaches encore dressés. Dans la ville même, on les rencontre rait par petit tas, sur les paliers ou dans les cours. Ils venaient aussi mourir isolément dans les halls administratifs, dans les préaux d’école, à la terrasse des cafés, quelquefois. Nos concitoyens stupéfaits, les découvraient aux endroits les plus fréquentés du la ville” (5). Mais la vie ordinaire continue. La femme du docteur Rieux est malade et c’est pourquoi elle part pour une station de montagne. Soudain le concierge de Rieux est mort, “étouffait

(1)lbid P 377 (2)lbid P 381 (3)Ablest CAMUS, “La Peste ”, e’d. Gallimard, coll. Folio, 1947, P11. (4)lbid P 12 (5)lbid PP 21, 22 184 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

sous une pesée invisible” (1). La mort du concierge, il est possible de le dire, marqua la fin de cette période remplie de singes déconcertants et le début d’une autre, relativement plus difficile, où la surprise des premiers temps se transforma peu à peu en panique. Nos concitoyens, ils s’en rendaient compte désormais, n’avaient jamais pensée que notre petite ville pût être un lieu particulièrement désigné pour que les rats y meurent au soleil et que les concierges y périssent de maladies bizarres. De ce point de vue, ils se trouvaient, en somme, dans l’erreur et leurs idées étaient à réviser. Si tout s’était arrêté là, les habitudes sans doute l’eussent emporté. Mais d’autres parmi nos concitoyens, et qui n’étaient pas toujours concierges ni pauvres, durent suivre la route sur laquelle M.Michel {le concierge} s’était engagé le premier. C’est à partir de ce moment que la peur, et la réflexion avec elle, commencèrent” (2). Tous les personnages, principaux apparaissent avant la déclaration de la peste. Tarrou “s’était fixé à Oran quelques semaines plus tôt et habitait, depuis ce temps, un grand hôtel du centre. Apparemment, il semblait assez aisé pour vivre de ses revenus. Mais, bien que la ville, se fût peu à peu habitué à lui, personne ne pouvait dire d’où il venait, ni pourquoi il était là” (3). Le troisième personnage c’est Rambert le journaliste qui vient à Oran pour faire une enquête sur les Arabes. Puis on rencontre Grand, l’employé qui “semblait toujours chercher ses mots, bien qu’il parlât le langage le plus simple” (4). Avant lui on rencontre le père Paneloux, le prêtre et le jésuite érudit et militant “qui était très estimé dans notre ville, même parmi ceux qui sont indifférents en matière de religion” (5). Avec l’apparition de Grand, ou voit Cottard qui vient pour des raisons inconnues et on le rencontre chez Rieux quand il est en train de se recommencer, “mais Cottard dit, au milieu de ses larmes, qu’il ne recommencerait pas, que c’était un moment d’affolement et qu’il désirait seulement qu’on lui laissât la paix” (6). Avec Rieux on rencontre un autre médecin c’est Castel. Quelques jours après, “la presse si bavarde dans l’affaire des rats, ne parlait plus de rien. C’est que les rats meurent dans la rue et les hommes dans leurs chambres. Et les journaux ne s’occupent que de la rue. Mais la préfecture et al municipalité commençaient à s’interroger. Aussi long temps que chaque médecin n’avait pas eu connaissance de plus de deux ou trios cas, personne n’avait pensé à bouger. Mais en sommes, il suffit que quelqu’un songeât à faire l’addition. L’addition était consternante. En

(1)lbid P 27 (2)lbid P 28 (3)ov. cit (4)lbid P 24 (5)lbid P 23 (6)lbid P 38 185 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

quelques jours à peine, les cas mortels se multiplièrent et il devint évident pour ceux qui se préoccupaient de ce mal curieux qu’il s’agissait d’une véritable épidémie. C’est le moment que choisit Castel, un confrère de Rieux, beaucoup plus âgé que lui, pour venir le voir” (1). Rieux attend le résultat des analyses mais Castel lui affirme qu’il n’a pas besoin d’analyses parce qu’il a fait une partie de sa carrière en Chine et il a vu quelques cas à Paris, il y a une vingtaine d’années. Rieux ne peut pas croire mais Castel lui dit “c’est à peine croyable. Mais il semble que ce soit la peste” (2). Malgré le fait que Rieux ne veut pas croire au fléau mais “il décide d’agir et de prendre les mesures qui conviennent parce qu’il est un homme pratique, convaincu que la certitude est “dans le travail de tous les jours”. Le reste tenait à des fils: et à des mouvements insignifiants, on ne pouvait s’y arrêter. L’essentiel était de bien faire son métier” (3). Rieux presse les autorités d’agir. “L’épidémie sembla reculer et, pendant quelque jours, on compta une dizaine de morts seulement. Puis, tout d’un coup, elle remonta en flèche. le jour où les chiffre des morts atteignit de nouveau la trentaine, Bernard Rieux regardait la dépêche officielle que le préfet lui avait tendu en disant: “Ils ont peur” La dépêche portrait “Déclarez l’état de peste. Fermez la ville” (4). Maintenant nous allons voir comment nos héros vont affronter la peste et la séparation et les souffrances causées par ce fléau. Les Oraniens étant tous confrontés au même drame de l’isolement et de l’exil, le narrateur, Rieux, peut témoigner pour eux tous. “A partir de ce moment, il est possible de dire que la peste fut notre affaire à tous. Jusque-là, malgré la surprise et l’inquiétude que leur avaient apportées ces événements singuliers, chacun de nos concitoyens avait poursuivi ses occupations, comme il l’avait pu, à sa place ordinaire. Et sans doute, cela devait continuer. Mais une fois les portes fermées, ils s’aperçurent qu’ils étaient tous, et le narrateur lui-même, pris dans le même sac et qu’il fallait s’en arranger. C’est ainsi, par exemple, qu’un sentiment aussi individuel que celui de la séparation d’avec un être aimé devint soudain, dès les premières semaines, celui de tout un peuple, et, avec la peur principale de ce long temps d’exil” (5). Rieux cherche à combattre le fléau de façon pragmatique. Il a l’air froid mais au fond il ne l’est pas, il se durcit le cœur pour faire ce qu’il faut. Tout le jour il lui faut ordonner et même imposer l’hospitalisation de nouveaux malades. Il n’hésite pas à faire appel à la police et même à l’armée. Il a pitié mais, elle sert à rien. Il fait ce qu’il doit faire malgré les cris et les protestations de ceux qui aiment les maladies. “Tous les soirs des

(1)lbid P 39 (2)lbid P 40 (3)lbid P 44 (4)lbid P 64 (5)lbid P 67 186 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

mères hurlaient ainsi, avec un air abstrait, devant des ventres offerts avec tous les singes mortels, tous les soirs des bras s’agrippaient à ceux de Rieux, des paroles inutiles, des promesses et des pleurs se précipitaient, tous les soirs des timbres d’ambulance déclenchaient des crises aussi vaines que toute douleur. Et au bout de cette longue suite de soirs toujours semblables, Rieux ne pouvait espérer rien d’autre qu’une longue suite de scènes pareilles, indéfiniment renouvelées. Oui, la peste, comme l’abstraction, était monotone. Une seule chose peut-être changeait et c’était Rieux lui-même. Il le sentait ce soir-là, au pied du monument à la République, conscient seulement de la difficile indifférence qui commençait à l’emplir. (…)”. Au bout de ces semaines harassantes, (…) Rieux comprenait qu’il n’avait plus à se défendre contre la pitié. On se fatigue de la pitié quand la pitié est inutile” (1). Paneloux qui représente les autorités ecclésiastiques va lutter contre la peste par ses propres moyens. Dans son sermon de clôture Paneloux considère la peste comme un châtiment de Dieu et simultanément comme un instrument de salut pour les hommes. Il croit que la peste “comporte sa leçon. A nos esprits plus clairvoyants, il fait valoir seulement cette lueur exquise d’éternité qui gît au fond de toute souffrance. Elle éclair, cette lueur, les chemins crépusculaires qui mènent vers la délivrance. Elle manifeste la volonté divine qui, sans défaillance, transforme le mal en bien. Aujourd’hui encore, à travers ce cheminement de mort, d’angoisses et de chaleur, elle nous guide vers le silence essentiel et vers le principe de toute vie (…)”. Il espérait contre tout espoir que, malgré l’horreur de ces journées et les cris des agonisants, nos concitoyens adresserait au ciel la seule parole qui fût chrétienne et qui était d’amour. Dieu ferait le reste” (2).Mais contrairement à Paneloux, Rieux ne croit pas en Dieu et il affirme que “s’il croyait en un Dieu tout puissant, il cesserait de guérir les hommes, lui laissant alors ce soin” (3).Rieux dit à Paneloux: “Le salut de l’homme est un trop grand mot pour moi. Je ne vais pas si loin.” C’est sa santé qui m’intéresse, sa santé d’abord” (4). Dans le deuxième prêche, Paneloux change d’attitude. Il se place parmi les sauveteurs, car “il ne s’agissait pas de refuser les précautions, l’ordre intelligent qu’une société introduisait dans le désordre d’un fléau. Il ne fallait pas écouter ces moralistes qui disaient qu’il fallait se mettre à genoux et tout abandonner. Il fallait seulement marcher en avant, dans la ténèbre, un peu à l’aveuglette, et essayer de faire du bien. Mais pour le reste, il fallait demeurer, et accepter de s’en remettre à Dieu, même pour la

(1)lbid P 87 (2)lbid PP 94, 95 (3)lbid P 120 (4)lbid P 199 187 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

mort des enfants et sans chercher de recours personnel” (1).Il change de ton en affirmant que “l’amour de Dieu est un amour difficile”. Paneloux atteint à son tour par ce qui est probablement la peste, meurt en respectant les règles sanitaire, mais sans se défendre ni vouloir qu’on le défende. “A l’hôpital, Paneloux ne desserra pas les dents. Il s’abandonna comme une chose à tous les traitements qu’on lui impose, mais il ne lâcha plus le crucifix. Cependant le cas du prêtre continuait d’être ambigu. Le doute persistait dans l’esprit de Rieux. C’était la peste et ce n’était pas elle.” Depuis quelque temps ailleurs, elle semblait prendre plaisir à dérouter les diagnostics. Mais dans le cas de Paneloux, la suite devait montrer que cette incertitude était sans importance (…). Au milieu du tumulte de la fièvre, Paneloux gardait son regard indifférent et quand, le lendemain matin, on le trouva mort, à demi versé hors du lit, son regard n’exprimait rien. On inscrivit sur sa fiche: “Cas douteux” (2). Camus écarte ce personnage de son roman parce qu’il refuse toute forme de transcendance divine. Contrairement à Paneloux, Tarrou représente la sainteté sans Dieu. Il s’engage dans la lutte contre la peste parce qu’il croit que toute sa vie est pestiférée et ce que lui manqué c’est l’innocence qu’il a perdue pendant un procès où son père l’avocat a demandé la mort d’un homme coupable. Il avoue à Rieux “je souffrais d’épidémie. C’est assez dire que je suis comme tout le monde. Mais il y a des gens qui ne le savent pas, ou qui se trouvent bien dans cet état et des gens qui le savent et qui voudrait en sortir. Moi, j’ai voulu toujours en sortir” (3).Il se met à coté des autres contre la peste parce que “j’ai simplement aperçu que même ceux qui étaient meilleurs que d’autres ne pouvaient s’empêcher aujourd’hui de tuer ou de laisser tuer parce que c’était dans la logique où il vivaient et que nous ne pouvions pas faire un geste en ce monde sans risquer de faire mourir.” Oui j’ai continué à avoir honte, j’ai appris cela, que nous étions tous dans la peste, et j’ai perdu la paix. Je la cherche encore aujourd’hui, essayant de les comprendre tous et de n’être l’ennemi mortel de personne. Je sais seulement qu’il faut faire ce qu’il faut pour ne plus être un pestiféré et que c’est là ce qui peut, seul, nous faire espérer la paix, ou une bonne mort à son défaut. C’est cela qui peut soulager les hommes et, sinon, les sauver, du moins leur faire le moins de mal possible et même parfois un peu de bien. Et c’est pourquoi j’ai décidé de refuser tout ce qui, près ou de loin, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, fait mourir ou justifier qu’on fasse mourir” (4). Rieux comme son créateur Camus ne se met d’accord avec Tarrou et lui répond “je me sens plus de solidarité avec les vaincus qu’avec les saints.

(1)lbid P 206 (2)lbid P 211 (3)lbid P 222 (4)lbid P 228 188 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

Je n’ai pas de goût, je crois, pour l’héroïsme et la sainteté. Ce qui m’intéresse, c’est d’être un homme” (1). Il refuse ses idées mais il ne refuse pas son amitié et c’est pourquoi il nage avec lui et à la fin de ce bain d’amitié, “habillés de nouveau, ils repartirent sans avoir prononcé un mot. Mais ils avaient le même cœur et le souvenir de cette nuit leur était doux” (2).Tarrou est un des personnages que Camus fait mourir parce qu’ils ont des idées toutes faites qui ne peuvent pas affronter la véritable complexité humaine. A la fin, ce furent bien les larmes de l’impuissance qui empêchèrent Rieux de voir Tarrou se tourner brusquement contre le mur, et exprimer dans une plainte creuse, comme si, quelque part en lui, une corde essentielle s’était rompue. (…). C’était partout la même pause, le même intervalle solennel, toujours le même apaisement qui suivait les combats c’était le silence de la défaite. Mais pour celui qui enveloppait maintenant son ami, il était si compact, il s’accordait si étroitement au silence des rues et de la ville libérée de la peste, que Rieux sentait bien qu’il s’agissait cette joies de la défaits définitive, celle qui termine les guerres et fait de la paix elle-même une souffrance sans guérison. Le docteur ne sévît pas si, pour finir, Tarrou avait retrouvé la paix mais, dans ce moment tout au moins, il croyait savoir qu’il n’y aurait jamais plus de paix possible pour lui-même” (3). Le royaume de Rieux est de ce monde, il reste toujours attaché à la terre, au combat de tous les jours, à la conquête des joies possibles. Quelle que soit son affection pour son ami, Rieux refuse, bien entendu, de le suivre sur un pareil terrain. Son attitude générale devant l’absurde reste celle de pragmatisme lucide, de courage et de mesure. Il choisit “de vivre seulement avec ce qu’on sait et ce dont on se souvient, et privé de ce qu’on espère” (4).La mort de son ami, lui prépare à recevoir avec calme la nouvelle de la mort de sa femme. “Depuis des mois et depuis deux jours, c’était la même douleur qui continuait” (5). Parmi les personnages écartés par Camus il y a Cottard. Mais contrairement aux deux écartés précédents, il n’incarne pas le saint mais le satan. Il représente ceux qui collaborent avec le mal. Au début on ne s’occupe pas de lui mais dès que l’état de peste est déclaré et on a fermé la ville, Cottard commence de respirer. Pendant l’époque de la peste “il y avait pourtant dans la ville un homme qui ne paraissait ni épuisé, ni découragé, et qui restait l’image vivante de la satisfaction c’était Cottard. Il continuait à se tenir à l’écart, tout en maintenant ses rapports avec les autres” (6).Tarrou

(1)lbid P 230 (2)lbid P 232 (3)lbid P 262 (4)lbid P 263 (5)lbid P 264 (6)lbid P 177 189 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

était bien renseigné sur son cas et c’est pourquoi il dit “c’est un personnage qui grandit” Apparemment du reste, il grandissait dans la bonne humeur. Il n’était pas mécontent de la tournure que prenaient les événements” (1).C’est facile de comprendre ce personnage à la lumière de sa phrase favorite “les grands mangent toujours les petits” (2). En somme, la peste lui réussit. D’un homme solitaire et qui ne voulait pas l’être, elle fait un complice. Car visiblement c’est un complice et un complice qui se délecte. Il est complice de tout ce qu’il voit, des superstitions, des frayeurs illégitimes de vouloir parler le moins possible de la peste et de ne pas cesser (…) de leur affolement (…) et de leur sensibilité” (3).Toujours Cottard a l’air d’être à l’aise dans la terreur. Cottard a peur du retour à la vie normale et c’est la raison pour laquelle, dès que la peste décroît, il redevient nerveux et même fou quand Oran est ouverte. “Depuis que les statistiques étaient en baisse, celui-ci avait fait plusieurs visite à Rieux, en invoquant divers prétextes. Mais en réalité, chaque fois, il demandait à Rieux des pronostics sur la marche de l’épidémie”. “Croyez-vous qu’elle puisse cesser comme ça, d’un coup, sans prévenir?” Il était sceptique sur ce point ou, du moins, il le déclarait. Mais les questions renouvelées qu’il posait semblaient indiquer une conviction moins ferme. Au mi-janvier, Rieux avait répondu de façon assez optimiste. Et chaque fois, ces réponses, au lieu de réjouir Cottard, en avaient tiré des réactions, variables selon les jours, mais qui allaient de la mauvaise humeur à l’abattement” (4).L’ouverture des portes, veut dire la fin de la séparation des amants. “Le petit rentier déclara tout net qu’il ne s’intéressait pas au cœur et que même le cœur était le dernier de ses soucis. Ce qui l’intéressait, c’était de savoir si l’organisation elle-même ne serait pas transformé, si, par exemple, tous les services fonctionneraient comme par le passé” (5).Il tire les gens qui s’amusent dans la rue et c’est pourquoi les agents le suivent. Un moment, on vit le petit homme au milieu de la chaussée, les pieds enfin au sol, les bras tenus en arrière par les agents. Il criait (…) Il est devenu fou” (6). Puis nous allons parler du côté positif, c’est-à-dire les personnages qui vivent. Grand est un de ces personnages que l’écrivain ne veut pas écarter par la mort à cause de leur relativisme. Cet homme appartient aux groupes des personnage maniaques qui recherchent la perfection, mais il vise la perfection humaine et relative de Rieux, non celle de Tarrou et Paneloux. Grand est un employé de mairie. “Lorsque vingt-deux ans

(1)lbid P 187 (2)lbid P 57 (3)lbid P 179 (4)lbid P 251 (5)lbid P 253 (6)lbid P 276 190 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

auparavant, â la sortie d’une licence que, faute d’argent, il ne pouvait dépasser, il avait accepté cet emploi, on lui avait fait espérer, disait-il, une “titularisation” rapide. Il s’agissait seulement de donner pendant quelque temps les preuves de sa compétence dans les questions délicates que posait l’administration de notre cité. Par la suite, il ne pouvait manquer, on l’en avait assuré, d’arriver à un poste de rédacteur qui lui permettait de vivre largement. Certes, il s’en portait garant avec un sourire mélancolique. Mais la perspective d’une vie matérielle assurée par des moyens honnêtes, et, partant, la possibilité de se livrer sans remords à ses occupations favorites lui était faite, ce fut pour des raisons honorables et, si l’on peut dire par fidélité à un idéal” (1). Quelles sont ses occupations favorites? Elles sont des honorables manies: chercher le mot juste et écrire un livre ou quelque chose d’approchant. Grand ne trouvait pas ses mots. C’est cette particularité qui peignait le mieux notre concitoyen, comme Rieux put le remarquer. C’est elle, en effet, qui l’empêchait toujours d’écrire la lettre de réclamation qu’il méditait, ou de faire la démarche que les circonstances exigeaient. A l’en croire, il se sentait particulièrement empêché d’employer le mot “droit” sur lequel il n’était pas ferme, ni celui de “promesse” qui aurait impliqué qu’il réclamait son dû et aurait par conséquent revêtu un caractère de hardiesse, peu compatible avec la modestie des fonctions qu’il occupait. D’un autre côté, il se refusait utiliser les termes de “bienveillance”, “solliciter”, “gratitude”, dont il estimait qu’ils ne se conciliaient pas avec sa dignité personnelle. C’est ainsi que, faute de trouver le mot juste, notre concitoyen continua d’exercer ses obscures fonctions jusqu’à un âge assez avancé” (2). Mais en générale “sa vie était exemplaire. Il était de ces hommes, rares dans notre ville comme ailleurs, qui ont toujours le courage de leurs bons sentiments.” Le peu qu’il confiait de lui témoignant, en effet, de bontés et d’attachement qu’on n’ose pas avouer de nos neveux et sa sœur, seule parente qu’il eût gardée et qu’il allait tous les deux ans, visiter en France. Il reconnaissait que jeune, lui donnait du chagrin. Il ne refusait pas d’admettre qu’il aimait par-dessus tout une certaine cloche de son quartier qui résonnait doucement vers cinq heures du soir. Mais pour évoquer des émotions si simples cependant, le moindre mot lui coûtait mille peines. Finalement, cette difficulté avait fait son plus grand souci. “Ah! Docteur, disait-il, je voudrais bien apprendre à m’exprimer”. Il en parlait à Rieux chaque fois qu’il le rencontrait” (3).Rieux l’aime beaucoup parce que contrairement à lui, il aime sa mère, sa femme, son ami Tarrou silencieusement.

(1)lbid P 48 (2)ov. cit. (3)lbid P 49 191 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

Grand prend sa part de la lutte contre la peste, à sa place en tant qu’employé à la mairie. Il trouve que son travail est nécessaire. “Ses occupations y fussent très diverses, on l’utilisait périodiquement au service des statistiques, à l’état civil. Il était amené ainsi à faire les additions des décès” (1).Rieux croit qu’au milieu d’une peste “c’est le genre d’homme qui est épargné dans ces cas-là” (2).Il se montre plus utile que beaucoup d’autres, en exerçant ses fonctions discrètes mais indispensables. Grand incarne l’héroïsme dont parle Rieux, celui de la place secondaire. Pour les deux hommes, il ne s’agit pas d’héroïsme dans tout cela. Il s’agit d’honnêteté. C’est une idée qui peut faire rire, mais la seule façon de lutter contre la peste, c’est l’honnêteté [qui] consiste à faire mon métier” (3). “Oui, s’il est vrai que les hommes tiennent à se proposer des exemples et des modèles qu’ils appellent héros, et s’il faut absolument qu’il y en ait un dans cette histoire, le narrateur propose justement ce héros insignifiant et efface qui n’avait pour lui qu’un peu de bonté au cœur et un idéal apparemment ridicule. Cela donnera à la vérité ce qui lui revient, à l’addition de deux et deux son totale de quatre, et l’héroïsme la place secondaire qui doit être la sienne, juste après, et jamais avant, l’exigence généreuse du bonheur” (4). Grand explique à Rieux comment sa femme est partie. “Il en est ainsi pour tout le monde : on se marie, on aime encore un peu, on travaille. On travaille tant qu’on en oublie d’aimer. Jeanne aussi travaillait (…). La fatigue aidant, il s’était laissé aller, il s’était tu de plus en plus et il n’avait pas soutenu sa jeune femme dans l’idée qu’elle était aimée. Un homme qui travaille, la pauvreté lentement fermée, le silence des soirs autour de la table, il n’y a pas de place pour la passion dans un tel univers. Probablement Jeanne avait souffert. Elle était restée cependant: il arrive qu’on souffert longtemps sans le savoir. Les années avaient passé. Plus tard, elle était partie” (5).L’histoire de Grand et Jeanne, pousse Rieux à téléphoner à sa femme. Lui comme Grand, a délaissé sa femme. Tous les deux “éprouvaient ainsi la souffrance profonde de tous les prisonniers et de tous les exilés, qui est de vivre avec une mémoire qui ne sert à rien. Ce passé même auquel ils réfléchissaient sans cesse n’avait que le goût du regret” (6).Les deux veulent recommencer mais c’est Grand qui a réussi. L’amour de Rieux est mort, parce que l’efficacité a tué la tendresse chez lui. Rambert est aussi un des personnages positifs sauvés par Camus. Il est un de ceux qui souffrent beaucoup à cause de la séparation. Rambert “essayaient aussi de fuir cette atmosphère de panique naissante, mais avec

(1)lbid P 45 (2)lbid P 47 (3)lbid P 151 (4)lbid P 129 (5)lbid P 80 (6)lbid P 72 192 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

plus d’obstination et d’adresse, sinon plus de succès. Rambert avait d’abord continué ses démarches officielles. Selon ce qu’il disait, il avait toujours pensé que l’obstination finit par triompher de tout et d’un certain point de vue, c’était son métier d’être débrouillant. Il avait donc visité une grande quantité de fonctionnaires et de gens dont on ne discutait ordinairement la compétence. Mais, en l’espèce, cette compétence ne leur servait a rien” (1). Rambert luttait pour empêcher que la peste le recouvre. Ayant acquis la prévue qu’il ne pouvait sortir de la ville par les moyens légaux il était décidé, avait-il dit à Rieux à user des autres” (2). Il veut s’enfuir pas parce qu’il est lâche mais parce qu’il y a des idées qu’il ne peut pas supporter “je ne peux pas supporter l’idée que cela va durer et qu’elle vieillira pendant tout ce temps. A trente ans, on commence à vieillir et il faut profiter de tout”“ (3).Il est capable de mourir pour son amour et il croit que Rieux est un de ceux qui peuvent mourir pour une idée. Mais quand Tarrou lui dit que la femme de Rieux se trouve dans une maison de santé à quelques centaines de kilomètres d’Oran, il comprend qu’il ne comprenait rien. “A la première heure, le lendemain, Rambert téléphonait au docteur : Accepteriez-vous que je travaille avec vous jusqu’à ce que j’aie trouvé le moyen de quitter la ville?” Il y eut un silence au bout du fil, et puis: “Oui, Rambert. Je vous remercie” (4). Malgré ses nouvelles préoccupations, il écrit des lettres d’amour. Grâce à Rambert, Rieux commence à écrire clandestinement à sa femme mais ses lettres sont des télégrammes, il ne peut pas exprimer l’ancienne ferveur comme Rambert. Rieux aime beaucoup Rambert et ne le condamne pas quand il essaye de s’enfuir car il est pour ceux qui protègent bonheur le plus grand qui est la tendresse humaine. “Mais la pratique nous impose souvent, avant que nous les admettions au fond de nous même, les conclusions les plus douloureuses pour l’orgueil humain.” Rieux tel qu’il est médecin lucide, ne peut pas rester heureux avec lui-même, malgré sa tendresse pour sa femme, s’il ne prend pas les mesures nécessaires contre la peste, qui vont le séparer d’elle” (5). Comme la plupart d’entre nous, Rambert comprend lentement. Enfin, il a compris et c’est pourquoi il a décidé de ne pas partir et de rester avec Rieux. “Rambert dit qu’il avait encore réfléchi, qu’il continuait à croire ce qu’il croyait, mais s’il partait il aurait honte. Cela le gênerait pour aimer celle qu’il avait laissée. Mais Rieux se redressa et dit d’une voix ferme que cela était stupide et qu’il n’y avait pas de honte à préférer le bonheur”. “Oui, dit Rambert, mais il peut y avoir de la honte à être heureux tout seul. Tarrou,

(1)lbid P 101 (2)lbid P 131 (3)lbid P 140 (4)lbid P 152 (5)Pol GALLARD, “La Peste Camus”, éd. Hatier, Coll Profil- Littérature, Profil D’une œuvre, Paris, 1972, P27 193 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

qui s’était tu jusque-là, sans tourner la tête ver eux, fit remarquer que si Rambert voulait partager le Malheur des hommes, il n’aurait plus jamais de temps pour le Bonheur. Il fallait choisir”. “Ce n’est pas cela, dit Rambert. J’ai toujours pensé que j’étais étranger à cette ville et que je n’avais rien à faire avec vous. Mais maintenant que j’ai vu ce que j’ai vue, je sais que je suis d’ici, que je le veuille ou non”. Cette histoire nous concerne tous” (1).Rieux lui demande de rester avec eux puisqu’il le désire. Rambert lui répète “Rien au monde ne vaut qu’on se détourne de ce qu’on aime. Et pourtant je m’en détourne de ce qu’on aime.” Et pourtant je m’en détourne, moi aussi, sans que je puisse savoir pour quoi” (2).Rieux lui répond “on ne peut pas en même temps guérir et savoir.” Alors guérissons le plus vite possible. C’est le plus pressé” (3). Rieux sait pourquoi ils se donnent à la lutte contre la peste mais il ne le dit pas à Rambert. Un jour il le dit à Paneloux “Nous travaillons pour quelque chose qui nous réunit au-delà des blasphèmes et des prières” (4) c’est la nature humaine que protége tout homme révolté par sa révolte. “Si l’individu, en effet, accepte de mourir, et meurt à l’occasion, dans le mouvement de sa révolte, il montre par là qu’il se sacrifie au bénéfice d’un bien dont il estime qu’il déborde sa propre destinée. S’il préfère la chance de la mort à la négation de ce droit qu’il défend, c’est qu’il place ce dernier au-dessus de lui-même” (5).Dans l’expérience absurde, la souffrance est individuelle. A partir du mouvement de révolte, elle a conscience d’être collective, elle est l’aventure de tous” (6). Camus prétend qu “on apprend au milieu des fléaux, qu’il y a dans les hommes plus de choses à admirer que des choses à mépriser” (7) et c’est pourquoi il nous présente un autre personnage qui mérite d’être admiré c’est le docteur Castel. Parmi les amants séparés, Castel et sa femme restent les plus forts. Ils ne sont pas jeunes mais ils ont réussi à défendre leur amour, plus que tous les jeunes amants. Le docteur Castel et sa femme “mariés depuis de nombreuses années. Mme Castel quelques jours avant l’épidémie, s’était rendue dans une ville voisine. Ce n’était même pas un de ces ménages qui offrent un monde l’exemple d’un bonheur exemplaire et le narrateur est en mesure de dire que, selon toute probabilité, ces époux, jusqu’ici, n’étaient pas certains d’être satisfaits de leur union. Mais cette séparation brutale et prolongée les avait mis à même de s’assurer qu’ils ne pouvait vivre éloignés l’un de l’autre, et qu’auprès de

(1)lbid P 190 (2)lbid P 191 (3)ov. Cit. (4)lbid P 199 (5)”L’Homme Révolté ” P 30 (6)lbid PP 37, 38 (7) ”La Peste ” P 279 194 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

cette vérité soudain mise au jour, la peste était peu de chose” (1).Mme Castel revient à Oran pour que les vieux amants gagnent la partie de leur amour. Ils savent “que ce monde sans amour était comme un monde mort et qu’il vient toujours une heure où on se lasse des prisons, du travail et du courage pour réclamer le visage d’un être et le cœur émerveillé de la tendresse. Et c’est la raison pour laquelle ils restent ensemble. Quant à Rieux, il est déjà défini par rapport aux autres personnages, en tant qu’un homme “pragmatique, modeste devant l’expérience comme devant les hommes, il sait que la plupart des lois biologiques ne sont que statistiques, valables seulement pour les grands nombres. Elles, seules cependant, permettent de lutter avec quelque chance d’efficacité contre la peste, et il n’hésite pas une seconde à se fonder sur elles lorsqu’il s’agit de l’intérêt général … . Mais il se trouble au contraire lorsqu’il lui faudrait déduire, de ces lois relatives et non absolues, des jugements moraux, des valeurs.” Comment oser articuler? Tu dois si l’on n’a pas une certitude complète Rieux ne s’y résout pas. A l’égard d’un individu, il ne s’accorde le droit ni de juger ni de prescrire. Bien plus se sacrifiant lui-même et imposant des mesures générales au nom de ces lois relatives, il souhaite presque que d’autres les violent et choisissent, eux, ce qu’ils croient l’absolu, c’est-à- dire le bonheur immédiat de la tendresse. Il a envie de faire quelque chose pour ce bonheur dit-il. L’autre, le bonheur à venir, le sien s’il ne meurt pas et celui de tous les habitants d’Oran ou d’ailleurs qu’il aura contribué à sauver de la peste, est trop loin de lui, trop incertain, pour être sensible à son cœur. Il n’arrive pas à appeler la lutte pour ce bonheur là un devoir moral, une obligation de conscience. Il a comme du dégoût pour ces mots dont on a tant usé, et le dévouement pour la future lui paraît à de très nombreux moments une duperie. La nécessité est bien là pourtant, la peste est là, comment la nier? Rieux ne se contraint à agir qu’au nom de la nécessité la plus objective et la plus impersonnelle qui sont “Il faut faire ce qu’il faut faire” (2).C’est par intelligence pratique et par bouté qu’il agit. A première vue, Rieux a l’aire contradictoire, mais au fond il est un homme qui a la largesse d’esprit et la tolérance des hommes de l’âge mûr. A près un long combat, la peste est, vaincue, on ouvre les portes de la ville et les gens délivrés de la peste, se livrent à l’allégresse. Mais il n’y a pas de victoire définitive et “peut-être le jour viendrait où, pour le Malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse” (3). L’itinéraire de l’homme révolté continue et maintenant on va voir des révoltés russes dans “Les Justes”. Camus les appelle les meurtriers délicats

(1)lbid P 70 (2)Pol GAILLARD, op.cit., P 102 (3) ”La Peste ” P 279 195 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

et nous allons voir pourquoi ils sont délicats? “Ce petit groupe d’hommes et de femmes, perdus dans la foule russe, serrés les uns contre les autres, choisissent le métier d’exécuteurs auquel rien ne le destinait. Ils vivent sur le même paradoxe, unissant en eux le respect de la vie humaine en général et un mépris de leur propre vie, qui va jusqu’à la nostalgie du sacrifice suprême” (1). La pièce nous présente un groupe de terroristes qui organise à Moscou, un attentat contre le grand duc pour hâter la libération du peuple russe. Trios terroristes de l’Organisation de combat apparaissent au premier plan: Yvan Kaliayev, Stephan Fedorov et Dora Doulebov. Kaliayev croit à la beauté et à la joie et n’accepte de tuer que pour donner une chance à la vie. Il est convaincu du terrorisme rationnel mais il se montre déchiré quand il se trouve obligé de l’exécuter. Il dit “chacun sert la justice comme il peut. Il faut accepter que soyons différents. Il faut nous aimer, si nous le pouvons” (2).Mais les autres ne l’acceptent tel quel. “Schweitzar le disait déjà”. Trop extraordinaire pour être révolutionnaire “ Je voudrais leur expliquer que je ne suis pas extraordinaire. Ils me trouvent un peu fou, trop spontané. Pourtant je crois comme eux à l’idée. Comme eux, je veux me sacrifier. Moi aussi ; je peux être adroit, taciturne, dissimulé, efficace. Seulement, la vie continue de me paraître merveilleuse. J’aime la beauté, le bonheur! C’est pour cela que je hais le despotisme. Comment leur expliquer? La révolution, bien sûr! Mais la révolution pour la vie, pour donner une chance à la vie (…). Nous tuons pour bâtir un monde où plus jamais personne ne tuera. Nous acceptions d’être criminels pour que la terre se couvre enfin d’innocents” (3).Prompt à saisir les plaisir les plus simples que la vie lui offerte, il tire de son déguisement de colporteur des joies naïves ; incapable de rien faire comme les autres, volontiers facétieux, il modifie le signal conventionnel. On l’appelle le Poète: il chante la gaieté, la beauté, la joie” (4). Quant à Stépan, il ne croit plus qu’à la haine. Contrairement au poète qui la poésie est révolutionnaire, Stépan dit “la bombe seule est révolutionnaire” (5).En plus affirme-t-il “Oui, je suis brutal. Mais pour moi, la haine n’est pas un jeu”. Nous ne sommes pas là pour nous admirer. Nous sommes là pour réussir” (6). “Je n’aime pas la vie, mais la justice qui est audessus de la vie” (7). “Je suis venu pour tuer un homme, non pour l’aimer ni pour saluer sa différence” (8).

(1) ” L’Homme Révolté ” P 215 (2) Ablest CAMUS, “Les Justes ”, e’d. Gallimard, coll. Folio, 1950, P33. (3)lbid P 36 (4)Roger QUILLIOT, op.cit., P 200 (5)“Les Justes ”, P 27 (6)lbid P 19 (7)lbid P 32 (8)lbid P 33 196 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

Dora est une jeune fille qui n’a pas renoncé à son cœur dans son amour de la justice. Elle aime Kaliayeu mais l’amour de justice doit venir en premier. Quand Kaliayev lui dit qu’elle est jolie, elle lui répond “jolie! Je serais contente de l’être”. Mais il ne faut pas y penser” (1).Elle sait qu’ils tuent le despotisme et non un homme mais “un homme est un homme. Le grand duc a peut être des yeux compatissants. Tu le verras se gratter l’oreille ou sourire joyeusement. Qui sait, il portera, peut être, une petite coupure de rasoir. Et s’il te regarde à ce moment là (…). Il faut tuer le despotisme. Je préparerai la bombe et en scellant le tube, tu sais, au moment le plus difficile, quand les nerfs se tendent, j’aurai cependant un étrange bonheur dans le cœur. Mais je ne connais pas le grand duc et ce serait moins facile si, pendant ce temps, il était assis devant moi. Toi, tu vas le voir de près. De très près” (2). Dora, elle, n’est qu’une enfant trop tôt mûrie qui ne cache pas sa nostalgie d’une innocence et d’une irresponsabilité désormais abolies: “Je me souviens du temps où j’étudiais. Je riais, j’étais belle alors. Je passais des heures à me promener et à me rêver”. Un instant grisée par le parfum tenace d’une adolescence effacée, elle tentera d’échapper à l’enfer du présent et d’être une fille comme tant d’autres, appelée “par dessus ce monde empoisonné d’injustice”. Ce qu’elle aime de Kaliayev, n’est-ce pas son exaltation, sa ferveur, sa faiblesse même” (3). Elle l’aime parce qu il a la foi et la force de l’âme. Alors c’est Kaliayev qui doit lancer la bombe sur la calèche représentant de l’autocratie lorsqu’il se rendra au théâtre. Tout est prêt. Mais au dernier moment de la jeter, il aperçoit dans la calèche les neveux du grand-duc, il recule et il suspend son geste. “Je ne pouvais pas prévoir…Des enfants, des enfants surtout. As-tu regardé des enfants?”. Ce regard grave qu’ils ont parfois…Une seconde auparavant, pourtant, dans l’ombre, au coin de la petite place, j’étais heureux. Quand les lanternes de la calèche ont commencé à briller au loin, mon cœur s’est mis à battre de joie, je le jure. Il battait de plus en plus. Fort à mesure que le roulement de la calèche grandissait. Il faisait tant de bruit en moi. J’ai envie de bondir. Je crois que je riais. Et je disais “oui, oui”…Tu comprends? (…). J’ai couru vers elle. C’est à ce moment que je les ai vus. Ils ne riaient pas, eux. Ils se tenaient tout droit et regardaient dans le vide. (…). Alors, je ne sais pas ce qui s’est tremblaient (…) je ne suis pas un lâche, je n’ai pas reculer” (4).Je voulais me tuer. Je suis revenue parce que je pensais que je vous devais des comptes, que vous étiez mes seuls juges, que vous me diriez si j’avais

(1)ov.cit. (2)lbid P 42 (3)Roger QUILLIOT, op.cit., P 200 (4)”Les Justes ”, PP 54,55 197 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

tort ou raison (…). Voila ce que je propose. Si vous décidez qu’il faut tuer ces enfants, j’attendrai la sortie du théâtre et je lancerai seul la bombe sur la calèche. Je sais que je ne manquerai pas mon but. Décidez seulement, j’obéirai à l’Organisation.” (1). Discussion violente entre les terroristes, qui décident, malgré les risques, de ne pas lancer la bombe ce jour-là, quelques jours plus tard quand le grand duc sera seul. Cette nouvelle tentative réussit. Kaliayev tue le grand duc. L’attentat est remis malgré Stépan qui estime que “la terreur ne convient pas aux délicats” (2) et Kaliayev est arrêté. A la prison, Kaliayev reçoit la visite de la grande duchesse, atrocement, atteinte par la mort de son mari, mais qui désire, en tant que chrétienne, pardonner à l’assassin, essayer même de le sauver. Elle lui dit qu’elle demandera sa grâce afin que Dieu le sauve. “Ne me parlez pas comme à votre ennemie (Elle va fermer la porte). Je me remets à vous”. (Elle pleure). Le sang nous sépare. Mais vous pouvez me rejoindre en Dieu, à l’endroit même du Malheur. Priez du moins avec moi” (3). “Je suis venue ici pour vous ramener à Dieu, je le sais maintenant”. Vous voulez vous juger et vous sauver seul. Vous ne le pouvez pas. Dieu le pourra, si vous vivez. Je demanderai votre grâce” (4).Kaliayev refuse de prier et lui défend de demander sa grâce à Dieu. “Je refuse (…). Je ne sens pour vous que de la compassion et vous venez de toucher mon cœur (…). Je ne compte pas sur le rendez-vous avec Dieu. Mais, en mourant, je serai exact au rendez-vous que j’ai pris avec ceux que j’aime, mes frères qui pensent à moi en ce moment. Prier serait les trahir” (5). Skouratov, le directeur du département de la police, lui annonce que, s’il ne dénonce pas ses amis, il publiera le lendemain dans les journaux la nouvelle de son entrevue avec la grande duchesse et l’aveu de son repentir. Kaliayev lui dit que ses amis n’y croiront pas. Mais ceux-ci, malgré tout s’interrogent sur son comportement et se trouvent obligés de souhaiter, maintenant, qu’il meure seule façon de prouver qu’il n’a pas trahi. Quand Stépan vient leur annoncer son exécution, ils sont certains qu’il n’a donc pas trahi. Il ne tremblait pas et quand “le, père Florenski est venu lui présenter le crucifix. Il a refusé de l’embrasser”. Et il a déclaré : “Je vous ai déjà dit que j’en ai fini avec la vie et que je suis en règle avec la mort” (6). Il avait l’air heureux. Car ce serait trop injuste qu’ayant refusé d’être heureux dans la vie pour mieux se préparer au sacrifice, il n’ait pas reçu le bonheur en même temps que la mort. Il était heureux et il a marché

(1)lbid P 56 (2)lbid P 67 (3)lbid PP 121, 122 (4)lbid PP 124, 125 (5)lbid P 122 (6)lbid P 148 198 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

calmement à la potence” (1). Ensuite, on entend “un bruit terrible” (2). Dora qui n’attend plus que de mourir sur le même échafaud que son amant et qui veut s’unir à lui dans la nuit froide de la mort, elle obtient d’être la première à lancer la prochaine bombe. Un si grande oublie de soi-même, allié à un si profond souci de la vie des autres, permet de supposer que ces meurtriers délicats ont vécu le destin révolté dans sa contradiction la plus extrême. On peut croire qu’eux aussi, tout en reconnaissant le caractère inévitable de la violence avouaient cependant qu’elle est injustifiée. Nécessaire et inexcusable, c’est ainsi que le meurtre leur apparaissait. Des cœurs médiocres, confrontés avec ce terrible problème, peuvent se reposer dans l’oubli de l’un des termes (…). Mais les cœurs extrêmes dont il s’agit n’oubliaient rien. Dès lors, incapables de justifier ce qu’ils trouvaient pourtant nécessaire, ils ont imaginé de se donner eux-mêmes en justification et de répondre par le sacrifice personnel à la question qu’ils se posaient. Pour eux, comme pour tous les révoltés jusqu’à eux, le meurtre s’est identifié avec le suicide. Une vie est alors payée par une autre vie et, de ces deux holocaustes, surgit la promesse d’une valeur. Kaliayev Voinaroski et les autres croient à l’équivalence des vies ils ne mettent donc aucune idée. Exactement, ils vivent à la hauteur de l’idée. Ils la justifient, pour finir, en l’incarnant jusqu’à la mort. Nous sommes encore en face d’une conception, sinon religieuse, du moins métaphysique de la révolte” (3). “Les Justes” nous incarne la responsabilité du révolté et son retour à l’innocence par le juste équilibre de la mort. La vie que les justes ont choisie, fait d’eux des “solitaires, des enterrés vivants. Coupés du peuple qui les ignore, coupés de lui au moment même où la bombe les éclaires, la tendresse, dans cette atmosphère raréfiée, leur est finalement interdite. Entre Dora et Kaliayev le meurtre a creusé un fossé. Ils se regardent, s’approchent l’un de l’autre, les bras collés au corps sans se toucher. Une fois pourtant, Dora tend la main, puis elle se ravise, comme si les gestes de l’accueil n’étaient pas pour eux” (4). A défaut de l’amour de tendresse, il y a, pour eux, l’amour fraternel. “Au milieu d’un monde qu’il nient et qui les rejette, ils tentent, comme tous les grands cœurs, de refaire, homme après homme, une fraternité. L’amour q’ils se portent réciproquement, qui fait leur bonheur jusque dans le désert du bagne, qui s’étend à l’immense masse de leurs frères asservis et silencieux, donne la mesure que leur détresse et de leur espoir” (5). Le seul qui refuse cet amour fraternel c’est Stépan. Il est “le seul qui semble chez lui dans le meurtre, le seul qui sache vraiment haïr (…). La

(1)lbid P 149 (2)lbid P 150 (3)” L’Homme Révolté ” P 217 (4)Roger QUILLIOT, op.cit., P 211 (5)” L’Homme Révolté ” P 218 199 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

haine, l’humiliation et le désir de vengeance, ont introduit Stépan au terrorisme par la porte étroite. Les autres, eux, y sont venus par la voie la plus droite et la plus simple” (1). Ils sont entrés à la révolution parce qu’il aiment la vie. La question qui se pose maintenant: Kaliayev est-il vraiment un homme révolté? D’une autre manière respecte-t-il les principes des ce dernier? Comment affronte-t-il l’absurde? Recourt-il à n’importe quel type de transcendance? Non, c’est vrai qu’il a l’âme religieuse, mais il refuse de se mettre à genoux pour régler ses problèmes. Pour la question morale, sa réponse est celle de l’homme révolté: la fin justifie le moyen quelquefois mais il y a toujours des frontières qu’il ne faut pas dépasser. Kaliayev “accepte de tuer le grand duc puisque sa mort peut avancer le temps ou les enfants russes ne mourront plus de faim”. Cela déjà n’est pas facile. Mais la mort des neveux du grand duc n’empêchera aucun enfant de mourir de faim. Même dans la destruction, il y a un ordre, il y a des limites” (2).Quant à l’importance qu’il accorde aux relations humaines, elle prouve qu’il est un véritable homme révolté, il aime le peuple et ses frères dans l’Organisation, il meure d’envie d’aimer Dora avec tendresse. Malheureusement, “il y a trop de sang, trop de dure violence, ceux qui aiment vraiment la justice n’ont pas droit à l’amour. Ils sont dressés (…), la tête levée les yeux fixes. Que viendrait faire l’amour dans ces cœurs fiers? L’amour courbe doucement les têtes” (3).Eux, ils ont la nuque raide”. Néanmoins son désir de vivre cet amour de tendresse, prouve que Khaliayev est un véritable révolté. Cela parcque dans ce cycle, l’amour devient un des critères par lesquels on peut distinguer les véritables des faux, “Le goût de la possession n’est qu’une forme du désir de durer; c’est lui qui fait le délire impuissant de l’amour. Aucun être, même le plus aimé, et qui nous le rend le mieux, n’est jamais en notre possession. Sur la terre cruelle où les amants meurent parfois séparés, naissent toujours divisés, la possession totale d’un être, la communion absolue dans le temps entier de la vie est une impossible exigence. Le goût de la possession est à ce point instable qu’il peut survivre à l’amour même. Aimer, alors, c’est stériliser l’aimé. La honteuse souffrance de l’amant, désormais solitaire, n’est point tant de ne plus être aimé que de savoir que l’autre peut et doit aimer encore. A la limite, tout homme dévore par le désir éperdu de durer et de posséder, souhaite aux êtres qu’il a aimés la stérilité ou la mort. Ceci est la vraie révolte. Ceux qui n’ont pas exilé, un jour au moins, la virginité absolue des êtres et du monde, tremblé de nostalgique et d’impuissance devant son impossibilité, ceux qui, alors sans cesse renvoyés à leur nostalgique

(1)Roger QUILLIOT, op.cit., P 200 (2)”Les Justes ”, P 62 (3)lbid P 84 200 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

d’absolu, ne se sont pas détruits à essayer d’aimer à mi-hauteur, ceux-là ne peuvent comprendre la réalité de la révolte et sa fureur de destruction” (1). A travers “L’Etat De Siège” Camus nous présente un autre groupe des révoltés qui ont l’air déchiré à cause de la recherche en vain de la forme qui leur donne les limites de leur révolte. Ils sont les frères de Kaliayev qui “refusent au contraire la divinité puisqu’ils rejettent le pouvoir illimité de donner la mort. Ils élisent et nous donnent en exemple, la seule règle qui soit originale aujourd’hui: apprendre à vivre et à mourir, et pour être homme refuser d’être dieu” (2). Le personnage principal dans cette pièce théâtrale c’est La Peste: Le lieu c’est Cadix. De date, il n’est est pas question: le spectacle est intemporel, hors des temps, sinon à la fin de temps. San doute le premier acte a-t-il quelque chose de médiéval. Le choix d’une cité espagnole suffisait, il est vrai, à nous donner cette impression: Cadix a ses créneaux, ses alcides; on y donne la comédie sur la place publique; un roi règne encore sur l’Espagne. Le langage des pauvres et des comédiens n’est pas sans analogie avec celui des misères” (3). La pièce commence par des scènes collectives pour nous faire sentir que tout un peuple est en cause. Ils regardent la comète et essayent de savoir qu’elle le signe de quoi? La fin du monde, la guerre ou la chaleur de Cadix. Elle annonce l’arrive de la Peste. Elle apparaît bien à ses côtés. La Mort, elle-même, sous la forme d’une secrétaire assez accorte qui porte toujours sur elle un petit carnet ou sont inscrits les vivants; dès qu’elle raye un nom l’homme tombe. Le premier discours de La Peste est très long mais très important parce qu’il y réside toute sa philosophie. “Moi je règne, c’est un fait, c’est donc un droit. Mais c’est un droit qu’on ne discute pas: vous devez vous adaptez”. Du reste, ne vous y trompez pas, si je règne c’est à ma manière et il serait plus juste de dire que je fonctionne. Vous autres, Espagnoles, êtes un peu romanesques et vous me verriez volontiers sous l’aspect d’un roi noir ou d’un somptueux insecte. Il vous faut du pathétique, c’est connu!Eh bien! Non. Je n’ai pas de sceptre, moi, et j’ai d’un sous- officier. C’est la façon que j’ai pris de vous vexer, car il est bon que vous soyez vexés: vous avez tout à apprendre. Votre roi a les ongles noirs et l’uniforme strict. Il ne trône pas, il siège. Son palais est une caserne, son pavillon de chasse, un tribunal. L’état de siège est proclamé. C’est pourquoi, notez cela, lorsque j’arrive le pathétique s’en va. Il est interdit, le pathétique avec quelques autres balançoires comme la ridicule angoisse du bonheur, le visage stupide des amoureux, la contemplation

(1)” L’Homme Révolté ” P 327 (2)Ibid P 381 (3)Roger QUILLIOT, op.cit., P 191 201 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

égoïste des paysages et la coupable ironie. A la place de tout cela, j’apporte l’organisation. Ça vous géra un peu début, mais vous finirez par comprendre qu’une bonne organisation vaut mieux qu’un mauvais pathétique. Et pour illustrer cette belle pensée, je commence par séparer les hommes des femmes ceci aura force de loi. (Ainsi font les gardes). Vos singeries ont fait leur temps. Il s’agit maintenant d’être sérieux! Je suppose que vous m’avez déjà compris. À partir d’aujourd’hui, vous allez apprendre à mourir dans l’ordre. Jusqu’ici vous mouriez à l’espagnole, un peu au hasard, au jugé pour ainsi dire. Vous mouriez parce qu’il avait fait froid après qu’il eut fait chaud, parce que vos mulets bronchaient, parce qu’il y a des imbéciles mal embouchés qui tuent pour le profit ou pour l’honneur, quand il est tellement plus distingué de tuer pour les plaisirs de la logique. Oui, vous mouriez mal. Un mort par-ci, un mort par-là, celui-ci dans sou lit, celui là dans l’arène : c’était du libertinage. Mais heureusement, ce désordre va être administré. Une seule morte pour tous et selon le bel ordre d’une liste. Vous aurez vos fiches, vous ne mourrez plus par caprice. Le destin, désormais s’est assagi, il a pris ses bureaux. Vous serez dans la statistique et vous allez enfin servir à quelque chose. Parce que j’oubliais de vous, vous mourrez, c’est entendu, mais vous serez incinérés ensuite, ou même avant: c’est plus propre et ça fait partie du plan. Espagne d’abord! Se mettre en rangs pour bien mourir voilà donc le principal! À ce prix vous aurez ma faveur. Mais attention aux idées déraisonnables, aux fièvres de l’âme, comme vous dites, aux petites fièvres qui font les grands révoltés. J’ai supprimé ces complaisances et j’ai mis la logique à déraison. À partir d’aujourd’hui, vous serez donc raisonnables, c’est-à-dire que vous aurez votre insigne. Marqués aux aines, vous porterez publiquement sous l’aisselle l’étoile du bubon qui vous désignera pour être frappés. Les autres, ceux qui, persuadé que ça ne les concerne pas, font la queue aux suspects. Mais n’ayez aucune amertume: ça les concerne. Ils sont sur la liste et je n’oublie personne. Tous suspects, c’est le bon commencement. Du reste, tout cela n’empêche pas la sentimentalité. J’aime les oiseaux, les premières voilettes la bouche fraîche des jeunes filles. De loin en loin, c’est rafraîchissant et il est bien vrai que je suis idéaliste. Mon cœur… Mais je sens que je m’attendris et je ne veux pas aller plus loin. Résumons-nous seulement. Je vous apporte le silence, l’ordre et l’absolue justice. Je ne vous demande pas de m’en remercier, ce que je fais pour vous étant bien naturel. Mais j’exige votre collaboration active. Mon ministère est commencé” (1).Voilà toute la philosophie de la Peste. Heureusement parmi les habitants de Cadix, il y a un jeune homme, sensuel amoureux et occupé de son bonheur et se sent que ce bonheur est

(1)Ablest CAMUS, “L’Etat De Siége ”, e’d. Gallimard, coll. Folio théâtre, 1998, PP 86,87,88. 202 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

menacé par l’existence de la Peste et c’est pourquoi au débout il commence par se protéger égoïstement. En s’adressant à Victoria son amante il dit: “Je veux fuir, Victoria. Je ne sais plus où est le devoir. Je ne comprends pas” (1).La Mort, la secrétaire de la peste, tombe amoureuse de Diego. Elle le poursuit partout même dans la maison de son amante. Il est en train de rejoindre Victoria quand la secrétaire arrive pour leur dire que l’amour est défendu. “Elle frappe Diego à l’aisselle et le marque pour la deuxième fois “vous étiez suspect. Vous voilà contaminé”. Elle regarde Diego “Dommage. Un si joli garçon” A Victoria “Excusez-moi. Mois je préfère les hommes aux femmes, j’ai une partie liée à eux” (2). Tous le hommes ont peur, le seul qui s’accorde avec La Peste, c’est Nada le nihiliste qui hait les hommes et les méprise, qui se définit comme “ivrogne par dédain de toutes choses et par dégoût des honneurs, raillé des hommes parce que j’ai gradé la liberté du mépris”“ (3). Nada ne croit pas en Dieu et même il blasphème et se moque de Dieu. Cependant à l’époque de La Peste, il demande aux hommes de prendre La Peste comme un nouveau Dieu. “Choisissez de vivre à genoux plutôt que de mourir debout afin que l’univers trouve son ordre mesuré à l’équerre des potences, partagé entre les morts tranquilles et les fourmis désormais bien élevées, paradis puritain privé de prairies et de pain, où circulent des anges policiers aux ailes majuscules parmi des bien heureux rassasiés de papier et de nourrissants formules, pro devant le Dieu décoré destructeur de toutes choses et décidément dévoué à dissiper les anciens délires d’un monde trop délicieux” (4). La Peste est contente parce que les habitants de Cadix, ont compris la leçon et ils ont peur. “Nous étions un peuple et nous voici une masse! On nous invitais nous voici convoqués! Nous piétinons et nous disons que personne ne peut rien pour personne et qu’il faut attendre à notre place, dans le rang qui nous est assigné! A quoi bon crier? Nos femmes n’ont plus le visage de fleur qui nous faisait souffler de désir, l’Espagne a disparu! Piétions! Piétions! Ah douleur l C’est nous qui piétions! Nous étouffons dans cette ville clos” (5). La secrétaire trahit la Peste et montre à son amour Diego comment peut-il lutter contre la mort? “Il a toujours suffi qu’un homme surmonte sa peur et se révolte pour que leur machine commence à griser. Je ne dis pas qu’elle s’arrête, il s’en faut. Mais enfin, elle grince et, que quelquefois, elle finit vraiment par se gripper” (6). “Puis sa révolte se révolte contre elle-même:

(1)lbid P 128 (2)lbid P 130 (3)lbid P 39 (4)lbid P 114 (5)lbid P 115 (6)lbid P 147 203 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

il faut trouver un geste inédite, mais lequel? Diego l’invente d’instinct lorsque La Mort surgit devant lui et le raille: il la frappe au visage. Stupeur! Cette gifle donnée efface sur sa chair, à lui, les marques de la condamnation. Car il y a une secrète faille dans les mécanismes de la tyrannie, elle perd tous ses pouvoir devant un homme qui n’a pas peur.” Et maintenant, il ne s’agit plus que d’arracher à toute la ville ce bâillon de la peur. Diego conduira cette entreprise” (1). La résistance s’organise sous la direction de Diego. Maintenant il sait comment il peut lutter contre la Peste. “Je connais la recette”. Il faut tuer pour supprimer le meurtre, violenter pour guérir l’injustice. Il y a des siècles que cela dure! Il y a des siècle que les seigneurs de ta rase pourrissent la plaie du monde sous prétexte de la guérir, et continuent cependant de vanter leur recette, puisque personne ne leur rit au nez” (2). Lui, il rit an nez de la Peste en encourageant les hommes désespérés. “Qui parle de désespérer? Le désespoir est un bâillons”. Et c’est le tonnerre de l’espoir, la fulguration du bonheur qui déchire le silence de cette ville assiégée. Debout, vous dis-je! Si vous voulez grader le pain et l’espoir, détruisez vos certificats, crevez les vitres des bureaux, quittez les files de la peur, criez la liberté aux quatre coins du ciel” (3).Ils commencent à bouger. La Peste aggrave les mesures et apporte sur une civière Victoria, la fiancée de Diego. La Peste propose à Diego de la guérir et de les laisser fuir tous les deux s’ils le laissent régner dans la ville. “Ecoute. Si tu m’offerts ta vie en échange de celle-ci, je suis obligé de l’accepter et cette femme vivra. Mais je te propose un autre marché. Je te donne la vie de cette femme et je vous laisse fuir tous les deux, pourvu que vous me laissiez m’arranger avec cette ville” (4). Diego refuse car “l’amour de cette femme, c’est mon royaume à moi. Je puis en faire ce que je veux. Mais la liberté de ces hommes leur appartient. Je ne puis en disposer [En plus]”. Je ne suis pas né pour contenter à cette justice-là” (5). “J’avais soif d’honneur. Et je ne retrouverai l’honneurs aujourd’hui que parmi les morts” (6).Il accepte la mort, il va périr mais La Peste va être chassé La mort de Diego ressuscite Victoria et délivre Cadix. La pièce s’achève sur un hymne à la liberté. Nada se jette à la mer. “Il est tombé. Les flots emportés le frappent et l’étouffent dans les crinières, Cette bouche menteuse s’emplit de sel et va se taire enfin”. Regardez la mer furieuse à la couleur des anémones. Elle nous venge. Sa colère est la

(1)Morvan LEBESQUE,“Camus Par Lui- Mêre ”, e’d.Du Suiel, coll.Ecrivains De Toujours, Paris, 1963, PP 93,94 (2)” L’Etat De siège ” P 172 (3)lbid P 156 (4)lbid P 170 (5)lbid P 172 (6)lbid P 176 204 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

nôtre. Elle crie le ralliement de tous les hommes de la mer, la réunion des solitaires. Ô vague, ô mer, partie des insurgés voici ton peuple qui ne cédera jamais. La grande lame de fond, nourrie dans l’amertume des eaux, emportera vos cités horribles” (1).

(3.2.2) Les Derniers Ecrits De Camus

Ses derniers écrits les plus importants sont “La Chute, “L’Exile Et Le Royaume”, et “Le Premier Homme”. Dans ses carnets Camus écrit : “après L’Homme Révolté”, la création en liberté” (2) et il ajoute à propos de ses deux premiers cycles “mon œuvre pendant ces deux premiers cycles: des êtres sans mensonges, donc non réels. Ils ne sont pas au monde. C’est pourquoi sans doute et jusqu’ici je ne suis pas un romancier au sens où on l’entend. Mais plutôt un artiste qui crée des mythes à la mesure de sa passion et de son angoisse. C’est pourquoi aussi les êtres qui m’ont transporté en ce monde sont toujours ceux qui avaient la force et l’exclusivité des mythes” (3). Mais “après “L’Homme Révolte”. Le refus agressif, obstiné du système. L’aphorisme désormais” (4). Donc on va voir une évolution da la pensée camusienne dans ces écrits. Commençons par “La Chute” qui nous “propose une nouvelle image de Sisyphe. Cette fois, sa future est une chute sans fin. Sa nouvelle tâche n’est plus de hisser son rocher, mais d’éprouver à jamais la plongée dans l’abîme” (5).Si l’homme absurde lutte silencieusement et individuellement contre l’absurde, et si l’homme révolté affronte le mal par l’action collective, Clémence le héros de “La Chute” se met d’accord avec le mal. C’est la raison pour laquelle Camus appelle ce cycle, celui de Némésis, le dieu de vengeance. “La Chute” “apparaît comme un livre à part dans l’œuvre de Camus, comme une rupture. Il n’a cessé de poser un problème à ses lecteurs, d’autant plus qu’au même moment, le style de l’écrivain semblait atteindre un point de perfection. Jamais Camus n’avait si bien écrit. Mais ceux qui avaient suivi son parcours, de l’absurde à la révolte, qui avaient trouvé chez lui une nourriture réconfortante, des raisons d’accepter la vie, une philosophie de la mesure, ne comprenaient plus. Qu’était-il arrivé à Camus? Le jeune écrivain s’était manifesté au lendemain de la guerre, avait été mêlé à tous les mouvements de l’époque, inventant un nouveau ton de journalisme, après avoir participé à la Résistance. Mieux que quiconque, il avait incarné cette courte période qui suivit la Libération et que l’on pourrait

(1)lbid P P 186, 187 (2)Ablest CAMUS, “Carnets, Januier ”, e’d. Gallimard, coll, 1942_ Mars 1951, nrf, 1964, P 324. (3)lbid P 325 (4)lbid P 343 (5)Roger GRENIER, “Ablest Camus Soleil ET Ombre”, e’d. Gallimard, coll. nrf, 1987, PP 258. 205 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

appeler, pour reprendre expression de Malraux l’illusion lyrique. Puis après “L’Homme Révolté” et l’exaspération des conflits idéologiques était venu pour lui le temps de la retraite, de la solitude. Il n’est pas interdit de penser que La “Chute” en est le fruit amer” (1). L’homme qui parle dans “La Chute” se livre à une confession calculée. Réfugié à Amsterdam dans une ville de canaux et de lumière froide, où il joue à l’ermite et au prophète, cet ancien avocat attend dans un bar douteux des auditeurs complaisants. Il a le cœur modern, c’est-à-dire qu’il ne peut supporter d’être jugé. Il se dépêche donc de faire son propre procès mais c’est pour mieux juger les autres. Le miroir dans lequel il se regarde, il finit par le tendre aux autres. Où commence la confession où l’accusation? Celui qui parle dans ce livre fait-il son procès, ou celui de son temps? Est-il un cas particulier, ou l’homme du jour? Une seule vérité en tout cas, dans ce jeu de glaces étudiés et ce qu’elle promet” (2).Voilà le résumé de Camus lui-même. Pour un si longtemps Clamence était un homme heureux. Il menait ce qu’on appelle une vie réussie. “J’étais du bon côté, cela suffisait à la paix de ma conscience. Le sentiment du droit, la satisfaction d’avoir raison, la joie de s’estimer soi-même, cher monsieur, sont des ressorts puissant pour nous tenir debout ou nous faire avancer” (3).Aimé des femmes, content de lui-même, avocat connu, heureux d’être spécialiste des nobles causes, assoiffé de charité jusqu’à l’exagération, voilà les caractéristiques de cette personnalité. L’important est qu’il veut toujours être le premier. “Oui je ne me suis jamais senti à l’aise que dans les situations élevées. Jusque dans les détails de la vie, j’avais besoin d’être au-dessus. Je préférais l’autobus au métro, les calèches aux taxis, les terrasses aux entre sols (…). Si le destin m’avait obligé de choisir un métier manuel, tourneur ou couvreur, (…) j’eusse choisi les toits et fait amitié avec vertiges” (4). Mais un soir sur les ponts d’Arts, “je sentais monter en moi un vaste sentiment de puissance (…). Je me redressai et j’allais allumer une cigarette de la satisfaction, quand au même moment, un rire éclata derrière moi. Surprise, je fis une brusque volte face : il n’y avait personne. J’allai jusqu’au garde fou: aucune péniche, aucune barque. Je me retournai ver l’île et de nouveau, j’entendis le rire dans mon dos un peu plus lointain, comme s’il descendait le fleuve. Je restais là immobile. Le rire décroissait, mais je l’entendais encore distinctement derrière moi, venu de nulle part, sinon des eux” (5).

(1)lbid P 249 (2)Ablest CAMUS, “Texte De La Prieré D’Insérer ”, cité par Gallimard, op.cit, P 137. (3)Ablest CAMUS, “La Chute ”, e’d. Gallimard, coll.folio, Paris, 1956, P 22. (4)lbid P 28 (5)lbid P 43 206 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

Dès lors sa conscience s’éveille, pour la première fois il se voit vraiment et il voit sa duplicité ancienne. Contrairement à l’idée qu’il nous a donné au début, maintenant il est sûr que son passé est beaucoup influencé par cette duplicité. Il n’a jamais été l’homme qu’il pensait, il a perdu son innocence pour toujours. Une de ses expériences honteuses est quand il a vu une femme qui s’est jetée dans la Seine et il n’a pas essayé de la sauver. Une autre histoire est celle ou il évoque le temps où il était chef de groupe dans un camp de prisonniers, il s’est autorisé de boire l’eau de ses camarades parce qu’il croyait que sa vie est plus précieuse que la leur. Ainsi se multiplient-elles les histories qui montrent sa culpabilité. Clamence ne peut pas supporter d’être jugé et c’est pourquoi il se hâte de faire son propre procès afin de se donner le droit à son tour de juger ses contemporains. Il est devenu “juge pénitent” qui se condamne pour condamner tous les autres et il donne à autrui le miroir dans lequel il se regarde pour que tous s’y reconnaissent “Je ne m’accuse pas pour grossièrement, à grands coups sur la poitrine. Non, je navigue souplement, je multiplie les nuances, les digressions aussi, j’adopte enfin mon discours à l’auditeur, j’amène ce dernier à renchérir. Je mêle ce qui me concerne et ce qui regarde les autres. Je prends les traits communs, les expériences que nous avons ensemble souffertes, les faiblesses que nous partageons, le bon ton, l’homme du jour enfin, tel qu’il servit en moi et chez les autres. Avec cela, je fabrique un portrait qui est celui de tous et de personne. Un masque, en somme, assez semblable à ceux du carnaval, à la fois fidèles et simplifiés, et devant lesquels on se dit: “Tiens, je l’ai rencontre, celui-là!”. Quand le portrait est terminé, comme ce soir, je le montre, plein de désolation: “Voilà, hélas ! Ce que je suis”. Le réquisitoire est achevé, mais, du même coup, le portrait que je tends à mes contemporains devient un miroir” (1). “Ma solution, bien sûr, ce n’est pas l’idéal. Mais quand on n’aime pas sa vie, quand on sait qu’il faut en changer, on n’a pas le choix, n’est-ce pas?” Que faire pour être un autre? Impossible. Il faudrait n’être plus personne s’oublier pour quelqu’un, une fois au moins, mais comment?” (2). Contrairement aux premiers héros camusiens, il ne sait pas comment dépasser l’absurde? Après “La Chute” vient L’Exil El Le Royaume. Ce livre est formé de six nouvelles qui répondent à la nostalgie de Clamence du retour aux sources et au normal. La première nouvelle “La Femme Adultère”, nous raconte l’histoire de Janine une femme mariée depuis vingt-cinq ans. Elle n’aime pas Marcel mais elle reste avec lui parce qu’elle a peur de rester seule. Pour s’enfuir de la solitude et de la nuit, elle se jette sans désir vers le corps de son époux.

(1)lbid P 146 (2)lbid P 150 207 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

Une nuit elle court dans le désert pour se donner aux étoiles et à la nuit. “Dans les épaisseurs de la nuit sèche et froide, des milliers d’étoiles se formaient sans trêve et leur glaçons étincelants aussitôt détaches, commençaient de glisser insensiblement vers l’horizon. Janine ne pouvait s’arracher à la contemplation de ces feux à la dérive. Elle tournait avec eux et le même cheminement immobile la réunissait peu à peu à son être le plus profond, où le froid et le désir maintenant se combattaient. Devant elle, les étoiles tombaient, une à une, puis s’éteignaient parmi les pierres du désert, et à chaque fois Janine s’ouvrait un peu plus à la unit. Elle respirait, elle oubliait le froid, le poids des êtres, la vie démente ou figée, la longue angoisse de vivre et de mourir. A près tant d’années, où fuyant devant la peur, elle avait couru follement sans but elle s’arrêtait enfin. En même temps, il lui semblait retrouver ses racines, la sève montait à nouveau dans son corps qui ne tremblait plus” (1).Elle se retrouve en se mettant d’accord avec la nature. “Le Renégat” est un monologue d’un missionnaire qui était sûr de lui, de sa foi et de son Dieu tout puissant. Il est emprisonné par des barbares païens. Il est devenu leur esclave et ils l’ont coupé la langue. Il a trahi son dieu et se convertit à la divinité du mal parce qu’elle est la plus forte. Un autre missionnaire arrive et le premier essaie de le tuer. Les barbares le punissent. Pour la deuxième fois il se sent abandonné par le dieu du mal. Il rêve du retour à son premier dieu, le dieu du bien. Il se parle “quitte ce visage de haine, sois bon maintenant, nous sommes trompés, nous recommencerons, nous referons la cité de miséricorde, je veux retourner chez moi. Oui, aide-moi c’est cela, tends ta main, donne” (2). “Les Muets” sont des ouvriers dans une petite entreprise de tonnellerie, ils sont en grève parce que leur patron refuse de leur payer davantage. Ils décide ne lui parlent plus et s’enferment dans le silence. L’après-midi du même jour la fille du parton a une attaque. Leur silence est empoisonné de cet accident. Ils sont émus, ils veulent parler mais ils ne peuvent pas, ils restent muets. Encore Camus revient-il au thème de la révolte silencieuse. “L’Hôte” nous présente Daru, instituteur français dans un village algérien. Il se trouve obligé de s’occuper, pendant un unit, d’un Arabe meurtrier. Le matin il le conduit à la police. Il traite l’Arabe comme un hôte. Il le laisse maître de son destin. L’Arabe choisit, de rentrer à la prison. L’Arabe et le Français, les deux sont déchirés des contradictions. Les Arabes croient qu’il a livré leur frère. Dans ce pays qu’il a beaucoup aimé et qu’il a cru le sien, Daru reste seul. “Derrière lui, sur la table au noir, entre les méandres des fleuves français s’étalait, tracée à la craie par une main

(1)Ablest CAMUS, “L’Exil Et Le Royaume ”, é.d Gallimard, coll.folio, 1957, P 33. (2)lbid P 58 208 Partie3: La Pensée De Midi Chapitre2: Lé Cyclé De Prométhée (L’absurde chez L’Homme Révolté)

malhabile, l’inscription qu’il venait de dire: “Tu as livré notre frère. Tu paieras” Daru regardait le ciel, le plateau et, au-delà, les terres invisibles qui s’entendaient jusqu’à la mer. Dans ce vaste pays qu’il avait tant aimé, il était seul” (1).Comme Camus. “Jonas” raconte l’histoire de l’artiste quand la vie quotidienne tue son talent. Pour être solitaire Jonas choisit de vivre seul. “Rateau regardait la toile, entièrement blanche, au centre de laquelle Jonas avait seulement écrit, en très petits caractères un mot qu’on pouvait déchiffrer, mais dont ne savait s’il fallait y lire solitaire ou solidaire” (2). “La Pierre Qui Pousse” présente un ingénieur français D’Arrast qui vit dans une ville brésilienne. Un jour, son ami le cuisinier lui dit que dans un naufrage il a promis au Bon Jésus, s’il était sauvé, de porter une pierre lourde. Mais le cuisinier ne peut pas la faire, son ami D’Arrasat se charge de la pierre. Mais c’est dans l’humble case du cuisinier que le Français dépose la pierre au lieu de la porter à l’église. Le dernier roman de Camus, qui était publié trente ans après sa mort, c’est “Le Premier Homme” il nous raconte l’historie de Jaeques Kormry dont la vie ressemble à celle de Camus. La mère silencieuse, le père qui est mort avant sa naissance, l’école algérienne. Le héros fait un voyage pour trouver le tombeau de son père et pour retrouver ses origines, mais en fait il cherche à se découvrir.

Conclusion De La Troisième Partie

La lecture de l’œuvre camusienne nous introduit des héros qui ont la largesse d’esprit qui les aide à bien comprendre l’absurde et à nous le bien comprendre. Le premier héros camusien nous présente une image passive, individuelle et silencieuse de la révolte. Le deuxième passe à la révolte collective et positive. Le troisième se recule pour se donner à la révolte négative mais il éprouve une nostalgie du retour aux sources. Généralement la philosophie de Camus écarte toute forme de transcendance pour se situer entre le corps et l’âme, la terre et le ciel, entre le moi et l’autre, elle s’arrête à la limite qui est simultanément mesure et commune mesure.

(1)lbid P 99 (2)lbid P 43 209

CONCLUSION GÉNÉRALE

210 Conclusion

La notion de l’absurde n’est pas nouvelle, elle a été déjà traitée par des écrivains du moyen âge comme Tertullien, puis Pascal l’a développée avant d’arriver à Kierkegaard qui à son tour, l’a transmise aux philosophes de vingtième siècle. Mais elle n’est pas de même pour tous ces auteurs. Notre étude trace les significations différentes chez les écrivains les plus connus parmi les absurdistes : Beckett, Ionesco, Sartre, De Beauvoir et Camus. Ces cinq écrivains prétendent qu’ils ne proposent pas une solution au drame de l’absurde. Néanmoins leurs œuvres nous présentent des issues parce qu’ils sont des écrivains engagés consciemment comme dans le cas de Sartre, De Beauvoir et Camus, et inconsciemment comme Beckett et Ionesco. Camus dans son “ Discours De Suéde” l’avoue en affirmant que l’art n’est pas à ses yeux une réjouissance solitaire et il ajoute qu’il se met contre l’art coupé de la réalité vivante. Comme lui Sartre et De Beauvoir répètent toujours que le temps des chers maîtres et des génies montés sur fauteuil, ce temps est terminé. Maintenant on ne peut pas s’enfuir et se cacher, il faut faire sa part à l’époque. La question qui se pose comment faire sa part ? Chaque écrivain a sa réponse propre mais en générale on peut dire que nous sommes à l’égard de trois attitudes. La lecture de l’ensemble des ouvrages de ces cinq auteurs nous met devant cette conclusion: il y a trois groupes des absurdistes selon les attitudes de leurs héros Le premier groupe est celui de la passivité lucide ou la lucidité passive incarnée par les écrivains du théâtre de l’absurde. Ceux-ci ont bien réussi de nous montrer l’absurde en utilisant des moyens d’expression originales. Leur qualité réside dans le style mais leur défaut est dans leur attitude qui nous suggère la contemplation passive en choisissant de ne pas choisir. Contrairement à eux, le deuxième groupe incarné par les existentialistes, Sartre et De Beauvoir nous proposent une solution courageuse qui nous appelle à l’action et qui nous donne l’espoir de changer et de se changer. Mais la transcendance dont ils nous parlent, est difficile à atteindre et aussi cela arrive au détriment de leur moyen d’expression. Leur style est médiocre par rapport au premier groupe. Le troisième courant est incarné par Camus qui se montre toujours comme un absurdiste modéré. Son héros refuse toute forme d’évasion et se met contre tous les paradis terrestres et célestes dont le point commun est le manque de preuves. Il se contente d’être un homme et rien de plus. En plus le style de Camus est beau. En gardant présent à l’esprit qu’il est avant tout un artiste, il nous présente ces propositions pour dépasser le drame de l’absurde à travers un beau texte. C’est la raison pour laquelle on rencontre souvent des images lyriques chez Camus. Notre objectif principal est de simplifier la lecture de ces écrivains en les regroupant sous ces trois catégories et pour le faire notre corpus

211 Conclusion

principal est le résumé des ouvrages les plus connus de ces cinq écrivains. Maintenant c’est facile pour nos étudiants de comprendre la pensée compliquée qui se cache derrière les mots simples de “ L’Etranger” de Camus. ou d’ “ En Attendant Godot” de Beckett. Notre itinéraire ressemble à celui de Martin Esslin l’auteur de “ Le Théâtre De L’Absurde” mais nous avons élargi le champ de recherche pour qu’il comprenne le théâtre, le roman et même l’essai philosophique. De plus nous limitons le nombre des écrivains pour qu’il soit cinq seulement et c’est la raison pour laquelle nous proposons notre étude comme manuel pour nos étudiants en tant qu’une introduction à la littérature absurde.

212

BIBLIOGRAPHIE

213 Bibliographie

1. L’œuvre Beauvoirienne (BEAUVOIR Simone De )

1.1. “ L’lnvitée”, éd. Gallimard, coll. Le liure de poche, paris, 1943. 1.2. “ Le Sang Des Autres”, éd. Gallimard, coll. Folio, paris, 1945. 1.3. “ Tous Les Hommes Sont Mortels”, éd. Gallimard, coll. Jolio, paris, 1946. 1.4. “ Pour une Morale De L’Ambiguïté” éd. Gallimard, coll. idées, Paris, 1947. 1.5. “ Les Mandarins” éd. Gallimard, coll. nrf, paris, 1954. 1.6. “ Mémoires D’Une Jeune Fille Rangée”, éd. Gallimard, coll. folio, paris, 1958. 1.7. “ La Force De L’Âge”, éd. Gallimard, coll. Le livre de poche paris, 1960. 1.8. “ La Force Des Choses 1”, éd. Gallimard, coll. Le livre de poche, paris, 1963. 1.9. “ La Force Des Choses 11”, éd. Gallimard coll. Le livre de 1.10. “ Une Mort Très Douce” éd. Gallimard, coll. folio, paris, 1964 1.11. “ Les Belles Images”, éd. Gallimard, coll. folio, paris, 1966. 1.12. “ La Femme Rompue”, éd. Gallimard, coll. folio, paris, 1967. 1.13. “ La Vieillesse”, éd. Gallimard, coll. nrf, paris, 1970. 1.14. “ Tout Compte Fait”, éd. Gallimard, coll. Folio, paris 1972. 1.15. “ Le Deuxième Sexe I” éd. Gallimard, coll. folio-essais, paris, 1976. 1.16. “ Le Deuxième Sexe II” éd. Gallimard, coll. Folio-essais, paris, 1976. 1.17. “ La Cérémonie Des Adieux”, éd. Gallimard, coll. Folio, paris, 1981.

2. Etudes Sur L’œuvre Beauvoirienne

2.1. FRANCIS (Claude ), GONTIER (Fernande), “ Les Ecrits De Simone De Beauvoir”, éd. Gallimard, coll. nrf, 1979. 2.2. NAHAS (Hélène), “ La Femme Dans La Littérature Existentielle”, éd. Presses Universitaires De France, paris, 1957. 2.3. ZÉPHIR (Jacques. J ), ZÉPHIR (Louise. B ), “Le Néo-Féminisme De Simone De Beauvoir”, éd Denoël, Gonthier, Coll. Femme, Paris, 1982. 3. L’œuvre Beckettienne ( BECKETT Samuel )

3.1. “ Mercier And Camier”, éd. Grove press, New York, 1975.

214 Bibliographie

3.2. “ The Complete Dram“atie Works” éd. Faber and Faber, coll. Plays, London 1986 3.3. “ Three Novels : Molloy, Malone Dies The Unnamable”, éd Grove Press, New York, 1991. 3.4. “ Murphy”, éd. Calder Publications, Montreuil, London, 1993. 3.5. “ How It Is” éd. John Calder publisher, London, 1996. 3.6. “ More Pricks Than Kicks”, éd. John Calder Publisher Paris. London. New York, 1998. 3.7. “ Watt”, éd. John Calder, London, 1998. 3.8.

4. Etudes Sur L’œuvre Beckettienne

4.1. CRUICKSHANK (John ), BEAUMONT ( Ernest ), JENKINS (Cecil ), ESSLIN ( Martin ), WEIGHTMAN (John ) HARTMAN ( Geoffrey ), CRANSTON (Maurice ),LYNES ( Carlos ), “ The Novelist As Philosopher”, éd. Oxford University Poess, London, 1962. 4.2. BUTILER (Lance St. John ), “ Samuel Beckett And The Meaning of Being” éd. st Martin, New York, 1984. 4.3. FLETCHER (John ), “ The Novels of Samuel Beckett” éd. Chalto and Windus, London, 1964. 4.4. FLETCHER (John ) SPUALING (John ), “ Beckett : A Study of tlis Plays”, éd. Eyre Me thuen, London, 1972. 4.5. FLETCHER (John ), FLETCHER (Beryl. S. ), SMITH (Barry ), BACHEM (Walter ), “ A Student’s Guide To The Plays of Samuel Beckett”, éd. Faber and Faber, London and Boston, 1978. 4.6. ONIMUS (Jean ), “ Beckett”, éd. Désclée De Brouwer, coll. Les écrivains devan Dieu, Paris, 1968. 4.7. WATSON (David ), “ Paradox And Desire In Samuel Beckett’s Fiction”, éd. St. Martin’s Press, New York,1991.

5. L’œuvre Camusienne (CAMUS Albert )

5.1. “ Le Mythe De Sisyphe”, éd. Gallimard, coll. folio-essais 1942. 5.2. “ La Peste”, éd Gallimard, coll. Folio, 1947. 5.3. “ L’État De Siège”, éd. Gallimard., coll. Folio-théâtre, 1948. 5.4. “ Les Justes”, éd. Gallimard, coll. Folio, 1950. 5.5. “ L’ttomme Révolté”, éd. Gallimard, coll. Folio-essais, 1951. 5.6. “ La Chute”, éd. Gallimard, coll. Folio, 1956. 5.7. “ L’Etranger”, éd. Gallimard, coll. Folio, 1957.

215 Bibliographie

5.8. “ L’Exile Et Le Royaume”, éd. Gallimard, coll. Folio, 1957 5.9. “ L’Envers Et L’Endroit”, éd.Gallimard, coll. Folio-essais. 1958 5.10. “ Caligula suivi de Le Malentendu”, éd. Gallimard, coll. Folio, 1958. 5.11. “ Discours De Suède”, éd. Gallimard, coll. Folio, 1958. 5.12. “ Noces suivi de L’Été”, éd. Gallimard, coll. Folio, 1959. 5.13. “ Carnets (Mai 1935-Février 1942 )”, éd. Gallimard, coll.nrf, 1962. 5.14. “ Carnets ( Janvier 1942-Mars 1951 )” éd. Gallimard, coll. Folio, 1964. 5.15. “ La Mort Heureuse”, éd. Gallimard, coll. nrf, 1971 5.16. “ Le Premier Homme”, traduit en arabe par Kati Salim, éd, Dar El Sharquiat, Le Caire, 1999.

6. Sur Lœuvre Camusienne.

6.1. BRISVILLE (Jean-Claude ), “ Camus”, éd. Gallimard, coll. nrf, 1959. 6.2. GAILLARD (Pol ), “ La Peste Camus”, éd. Hatier, coll.Profil- Littérature, Profit D’Une œuvre, Paris, 1972. 6.3. GAILLARD (Pol ) “ Albert Camus” Bordas, Paris. Bruxelles. Montréal, 1973. 6.4. GINESTER(Paul ), “ Pour Connaître La Pensée De Camus”, éd. Bordas, Paris, 1964. 6.5. GRENIER(Jean ),“ Albert Camus Souvenirs”, éd. Gallimard coll. nrf, 1968. 6.6. GRENIER (Roger ),“ Albert Camus Soleil Et Ombre”, éd. Gallimard, coll. nrf, 1987. 6.7. LEBESQUE (Morvan ),“Camus Par Lui-Même”, éd Du Seuil, coll. “ Ecrivain De Toujours”, Paris, 1963. 6.8. QUILLIOT (Roger ), “ La Mer Et Les Prisons”, éd Gallimard coll. nrf, 1956. 6.9. ZIMA (Pierre-V), “ L’Indifférence Romanesque : Sartre, Moravia, Camus”, éd. Le Sycomore, coll. Arguments Critiques, Paris, 1982.

7. L’œuvre Inoescoienne (IONESCO Eugène )

7.1. “ Théatre 1”, éd.Gallimard, coll. nrf, Paris 1968. 7.2. “ Theâtre 11”, éd Gallimard, coll. Nrf, Paris, 1967. 7.3. “ Theâtre 111”, éd. Gallimard, coll. Nrf, Paris, 1966. 7.4. “ Theâtre IV”, éd. Gallimard, coll. Nrf, Paris, 1968.

216 Bibliographie

7.5. “ La Photo Du Colonel”, éd.Gallimard, coll. nrf, Paris, 1962 7.6. “ Notes Et Contre-Notes”, éd. Gallimard, coll. Idées, 1975

8. Sur L’œuvre D’Ionesco

8.1. BENMUSSA (Simone ), “ Ionesco”, éd. Seghers, coll. Théâtre de tous les temps, Paris, 1971. 8.2. GROS (Bernard ), “ Le Roi Se Meurt”, éd. Hatier, coll. Profil- Littérature / Profil D’Une Œuvre Paris, 1972. 8.3. SÉNART ( Philippe ), “ Ionesco”, éd.Editions Universitaires coll. Classiques Du XXe Siècle, Paris, 1964.

9. L’œuvre Sartrienne (SARTRE Jean-Paul ).

9.1. “ La Nausée”, éd. Gallimard, coll. folio. Paris 1938. 9.2. “ Le Mur”, éd. Gallimard, coll. folio, Paris, 1939. 9.3. “ L’Etre Et Le Néant”, éd.Gallimard, coll. nrf,1943. 9.4. “ L’Âge De Raison”, éd Gallimard, coll. folio, Paris, 1945. 9.5. “ Huis Clos suivi de Les Mouches”, ed. Gallimard, coll. folio 1947 9.6. “ Théâtre 1”, éd. Gallimard, coll. nrf, Paris, 1947. 9.7. “ Les Mains Sales”,éd. Gallimard, coll. Le livre de poche,Paris 1948 9.8. “ Qu’est-ce que La littérature”, éd. Gallimard, coll. idées. Nrf Paris 1948 9.9. “ La Mort Dans L’Ame”, éd. Gallimard, coll. Le livre de poche, Paris, 1949. 9.10. “ Le Diable Et Le Bon Dieu”, éd. Gallimard, coll. folio, Paris,1951 9.11. “ Critique De La Raison Dialectique”, éd. Gallimard, coll. Précédé De Question De Méthodes. Tome 1. Théorie Des Ensembles Pratiques, éd. Gallimard, coll. nrf, Bibliothèque Des idées, Paris 1960. 9.12. “ Les Séquestrés D’Altona” éd.Gallimard, coll. folio, Paris 1960. 9.13. “ Les Mots”, éd. Gallimard, coll. folio, Paris, 1964. 9.14. “ Le Sursis”, éd. Gallimard, coll. folio, Paris, 1972. 9.15. “ Un Théâtre De Situation”, éd. Gallimard, coll. nrf, Paris, 1973 9.16. “ L’Existentialisme Est Un Humanisme”,éd. Gallimard, coll. folio- essais, Paris,1996. 9.17. “ L’lmaginaire (Psychologie de l’imagination”, traduit en arabe par Hashim Elhussini, éd. Dar Maktabat El haya, Beyrouth.Liban 1997.

217 Bibliographie

10. Etude Sur L’Existentialisme.

10.1. FOULQUIÉ (Paul ), “ L’Existentialisme”, ed. P.U.F, coll. que sais- je ? Paris, 1947.

11. Ouvrages D’Histoire Littéraire.

11.1. BERTON (Jean-Claude ), “Histoire De La Littérature Et Des Idées. En France Au XXe Siècle”, éd. Hatier, coll. Profil Formation Français, Paris, 1983. 11.2. BOISDEFFRE (Pierre De ), “Les Ecrivains Français D’Aujourd’hui”, éd. P.U.F, coll. que sais-je ? Paris, 1985. 11.3. COE ( Richard. N ), JACKSON (R.F ), RYAN (Lawrence ) CHAMBERS (Ross ), DAVISON (Peter ), “ Aspects of Drama And The Théâtre”, éd. Sydney University Press, Sydney,1965 11.4. DÉJEUX (Jean ), “ La Littérature Algérienne contemporaine” éd. P.U.F, coll. que sais-je ? Paris, 1979. 11.5. ESSLIN (Martin ), “ The Theatre of The Absurd”, éd. Penguin Books in association with Eyre and Spottiswood, Great Britain, 1980. 11.6. LAGARDE (André ), MICHARD (Laurent ), AUDIBERT (Raoul ), LEMAITRE (Henri ), VAN DER ELST (Thérèse ), “ XXe Siècle”, Les Grand Auteurs Français, Anthologie Et Histoire Littéraire, éd Bordas, Paris, 1988. 11.7. VANNIER (Gilles ), “ Histoire De La Littérature Française XXe Siècle”, tome2 1945-1988.

12. Dictionnaires

12.1. ATKINS (Béryl. T ), DUVAL (Alain ), LEWIS (Hélène M. A) MILNE (Rosemary-C), “ Robert-Collins Poche Dictionnaire Français- Anglais / Anglais-Français”, éd.Dictionnaire Le Robert et Williams Collins Sons Co Ltd, Paris 1984. 12.2. BEAUMARCHAIS (J. P. De ), COUTY (Daniel ), REY (Alain ), “ Dictionnaire Des Littéraures De Langue Française”, tome A-D, éd Bordas, Paris, 1987 (2 BEAUMARCHAIS (J. P. De ), COUTY (Daniel ), REY (Alain ), “Dictionnaire Des Littératures De Langue Française”, tomme E-L, éd. Bordas, Paris, 1987.

218 Bibliographie

12.3. IDRISS (Souheil ), “ AL-MANHAL”, Dictionnaire Français Arabe, éd Dar Aladab, Beyrouth, 1996. 12.4. REY (Alain ), “ Le Micro Robert Poche, Dictionnaire D’Apprentissage De Langue Française”, éd. Dictionnaire Le Robert, Paris, 1988. 12.5. REY-DEBOVE (Josette ), “ Dictionnaire Du Français”,, éd CLE International / Dictionnaire Le Robert, Egypte, 2001. 12.6. THEVEAU.(P), LECOMTE (J. ), “ Vocabulaire Dratique De La Littérature”, éd. Classiques Roudil, coll. Les Études Par Exemple, Paris, 1982.

13. Sites D’Internet

13.1. http : // fr. wikipedia. org / wiki / Absurdisme. 13.2. http : // fr. wikipedia. org / wiki / Simone _ de _Beauvoir. 13.3. http : // fr. Wikipedia. org / wiki / Samuel _Beckett. 13.4. http : //fr. wikipedia. org / wiki / Albert _ Camus. 13.5. http : //fr. wikipedia. org / wiki / Eugène _ Ionesco. 13.6. http : // fr. wikipedia. org / wiki / Jean. Paul _ Sartre. 13.7. http : //www. site-magister. com / mouvements. htm.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ………………..……..……………………………………………… II III …….…………………….…………………………………....….ﻣﺴﺘﺨﻠﺺ اﻟﺒﺤﺚ ABSTRACT…………………………………………………………………… IV INTRODUCTION…………………………………………………………… 1_4 PARTIE 1 LA LUCIDITÉ PASSIVE…………………………………… 5_70 CHAPITRE 1 L’ATTENTE LUCIDE 1.1 (L’ABSURDE CHEZ BECKETT)…....……...... 6_38 1.1.1 Le Cycle Romanesque………………...……………… 7_23 1.1.1.1 Le Héros Citoyen De Monde….…………………. 7_13 1.1.1.2 Le Héros Comme Paria………….……………….. 13_22 1.1.1.3 Les Héros Entant Que Voix………..…………..… 22_23 1.1.2 Le Cycle Théâtral……………………………………… 23_38 CHAPITRE 2 LA SOUMISSION CLAIRVOYANTE (L’ABSURDE CHEZ IONESCO )……...... …… 39_69 CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTI…………………………… 69_70 PARTIE 2 LA TRANSCENDANCE EXISTENTIALISTE…………..… 71_140 CHAPITRE 1 LA TRANSCENDANCE HUMAINE 2.1 (L’ABSURDE CHEZ SARTRE )…….…..…..…… 72_105 2.1.1 Qu’est – ce que L’Existentialisme ?...... 73_84 2.1.2 L’Absurde Dans Le Roman Sartrien……………….… 84_95 2.1.3 L’Absurde Dans Le Théâtre Sartrien……………….. 95_105 CHAPITRE 2 LA TRANSCENDANCE FEMININE 2.2 (L’ABSURDE CHEZ SIMONE DE BEAUVOIR) 106_139 2.2.1 Qu’est – ce que Le Féminisme?………………………107_122 2.2.2 L’Absurde Dans Le Roman Beauvorien………………122_139 CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE…………..……………… 139_140 PARTIE 3 LA PENSÉE DE MIDI ……………………………………… 141_209 CHAPITRE 1 LE CYCLE DE SISYPHE 3.1 (L’ABSURDE CHEZ L’HOMME ABSUDE).... 142_174 3.1.1 Ses Écrits Avant Le Cycle De Sisyphe ………………143_154 3.1.2 Le Cycle De Sisyphe ………………………………… 155_174 CHAPITRE 2 LE CYCLE DE PROMÉTHÉE…………….....… 175_210 3.2L’Absurde Chez L’Homme Révolté………………...… 176_205 3.2.1 L’Absurde Chez L’Homme Révolté………………...…176_205 3.2.2 Les Derniers Écrits De Camus……………………… 205_209 CONCLUSION DE LA TROISIÈME PARTIE……………………….. 209_209 CONCLUSION GÉNÉRALE……………………………………………… 210_212 BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………… 213_219

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