L’ARCHÉOLOGIE SOUS-MARINE À GRANDE PROFONDEUR: FICTION OU RÉALITÉ

D’importants résultats sont acquis non seulement au point de vue de la prospection, mais de la technique même de la fouille. Celle-ci est limitée par la profon- deur, qui pratiquement ne peut dépasser une cinquan- taine de mètres. F. Benoît, RSL, 1952

1. Introduction

L’archéologie sous-marine, en cette fin de siècle, est vraisemblablement en train de vivre une étape intéressante de son évolution. Ainsi, après 50 années d’existence, la voici de plus en plus confrontée au défi des épaves profondes, sur lesquelles l’homme ne peut intervenir directement mais doit utiliser des sous-marins ou des robots. L’archéologue se passerait sans doute de jouer si prématurément un nouvel épisode d’“Abysse” ou de la “Guerre des Etoiles” si des épaves encore intactes et bien conservées, par quelques centaines de mètres de fond, ne faisaient déjà l’objet de convoitises incontrô- lées. Dans les eaux internationales, où aucune loi n’est encore en mesure d’assurer réellement la protection du patrimoine, les progrès techniques et l’attrait du gain ou de la notoriété médiatique, livrent ainsi chaque année nombre de ces sites aux pirates et aux chercheurs de trésors. Mais ce pro- blème ne peut rester une simple affaire de droit international car le danger, armé d’un bras manipulateur et d’une caméra-vidéo, menace également nos côtes. Ainsi, ces sites profonds, loin de constituer pour l’avenir de grandes réserves archéologiques (1), sont appelés à subir le même sort que les épaves littorales, dont la plupart sont aujourd’hui complètement dévastées. Nous tenterons donc ici d’évaluer la menace en définissant au préalable l’intérêt des sites profonds, leur fréquence, les dommages encourus, les moyens d’intervention et les qui s’offrent aux scientifiques pour mettre au point dès aujourd’hui une stratégie de la fouille profonde. Nous n’aborde- rons que de manière succincte les problèmes de coût (cf. Tab. 3), qui sont généralement prohibitifs mais peuvent varier considérablement d’un projet à un autre, pour nous attacher plus précisément aux méthodes et à leur valida- tion sur le terrain. Mais sans doute est-il nécessaire, au préalable, d’examiner de près la notion de profondeur.

(1) TCHERNIA, POMEY 1991.

341

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale 2. Notions de profondeurs et moyens d’intervention (Tab. 1)

Dans le domaine de la plongée, la notion de profondeur reste encore très subjective. F. Benoît, en 1965, parlait par exemple de «profondeur con- sidérable» pour évoquer la découverte fortuite par un pêcheur d’un trésor monétaire (épave C de la Ciotat) à plus de 110 m de fond. Le qualificatif se substituait à la précision arithmétique qui n’avait plus aucune espèce d’im- portance puisque le site restait dans tous les cas inaccessible à l’homme. Dans le même temps et depuis les années 50, les plongeurs fréquentaient assidû- ment le fond des mers jusqu’à 80 m environ, limite jugée extrêmement dan- gereuse aujourd’hui en plongée à l’air. On peut donc se demander à partir de quel seuil désormais une épave doit être considérée comme profonde. Sur ce point, la législation française en matière de protection et de for- mation des travailleurs en milieu hyperbare (2) divise le domaine d’interven- tion en trois grandes classes. La première catégorie s’étend jusqu’à 40 m mais comprend au préalable une «sous-classe 1a» qui s’arrête à 12 m. Ainsi, peut- on considérer comme le législateur que ces deux tranches d’eau correspon- dent à des faible et moyenne profondeurs. Selon cette même législation, la classe II est comprise entre 40 et 60 m et ponctue les limites de la plongée à l’air. Dans cet espace, où l’on qualifiera volontiers les épaves de semi ou pré- profondes, le plongeur doit être très expérimenté et n’est pas à l’abri des phénomènes de narcose dus à la pression partielle d’azote dissous dans le sang. Si la recherche où la simple expertise d’épave peut y être pratiquée couramment, le plongeur, dans le cas d’un chantier plus lourd, devra rester vigilant et doser chacun de ses efforts, le moindre incident pouvant débou- cher sur une issue dramatique. En outre, la précision de tout travail intellec- tuel, par exemple la réflexion et la prise de mesures, est considérablement altérée à partir de 45 ou 50 m. Au vrai, les véritables opérations de fouille sont rares au delà de 40 m et se limitent le plus souvent à des explorations ou à des sondages de courte durée. Celles qui ont dépassé ce stade ont payé parfois fort cher le risque consenti. Ce fut notamment le cas en 1983 sur l’épave romaine du Petit Con- gloué, près de Marseille, par 60 m de fond (3). La fouille de sauvetage menée par le Drassm fut endeuillée par l’accident mortel survenu à Victor Stern, l’un des fouilleurs. Entre 50 et 60 m, certains chantiers professionnels se sont déjà pourvus en mélanges gazeux, même s’ils ne sont pas obligatoires à cette profondeur, afin d’assurer aux plongeurs une plus grande sécurité.

(2) Décret n° 90-277 du 28 mars 1990 relatif à la protection des travailleurs interve- nant en milieu hyperbare (Journal officiel du 29/03/90) (3) CORSI SCIALLANO, LIOU 1985, pp. 26-43.

342

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Tab. 1 – Notions de profondeurs & moyens d’interven tion.

Ce n’est donc pas un hasard si la législation est désormais beaucoup plus sévère pour accéder à un chantier qui dépasse 40 m et n’admet aucune dérogation. Mais on évoquera plus spécialement ici le cas des sites qui échap- pent d’emblée à la plongée à l’air et en scaphandre autonome. Ce seuil, fixé en France à 60 m par le Ministère du travail, souligne dans le même temps les limites d’intervention des archéologues. Rares en effet sont parmi eux les plongeurs légalement aptes à utiliser des mélanges synthétiques. La formation en ce domaine (Classe III), dispensée à Marseille par l’Institut National de la Plongée Professionnelle (Inpp), est bien trop onéreuse pour que l’on puisse espérer un jour constituer une équipe de fouille pluridisciplinaire et, à l’évidence, généraliser ce type d’intervention. Néanmoins, un stage de formation spécifique destiné aux scientifiques et aux techniciens plongeurs du Drassm est actuellement à l’étude. Il s’agira de former ce personnel à l’intervention à l’air enrichi d’hélium dans les limi- tes raisonnables de la plongée d’incursion, soit l’intervention unitaire jusqu’à 80 m. Ce niveau de formation, situé entre le classe II et le classe III, ne permettra pas de préparer soi-même les mélanges gazeux ni de contrôler le système de plongée mais autorisera néanmoins les archéologues, placés sous la tutelle de professionnels, à prendre part directement à un chantier pro- fond. Dans ce cas, les procédés d’intervention seront la bulle, que l’on peut utiliser jusqu’à 90 m, ou la tourelle, avec une décompression au sec, dans la tourelle puis en caisson. Mais ces plongées de type acrobatique nécessiteront toujours des moyens lourds et un support médical conséquent. Soulignons que les interventions unitaires en tourelle restent possibles à l’héliox, entre 120 et 180 m, mais ne sont guère rentables au regard des temps de décom- pression extrêmement longs. Déjà, pour 120 minutes passées à 120 m à

343

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale l’héliox, le temps de décompression calculé par les tables du Ministère du Travail est de 27 heures 36 minutes. Au bilan, on peut donc considérer que la tranche 60-80 m constitue une première catégorie d’épaves profondes pour lesquelles l’approche directe des scientifiques n’est pas complètement exclue et sera peut-être expérimentée dans l’avenir. Avec le procédé de la plongée à saturation, nous abordons un domaine d’intervention qui offre assez peu de possibilité directe aux archéologues mais qui permet néanmoins à des plongeurs professionnels Classe III d’assu- rer un maximum de travail sans interruption pendant de longues durées (21 jours pour une même équipe à raison de 5 à 6 heures par jour et par per- sonne), avec une seule décompression finale. Les expériences réalisées à l’héliox, jusqu’à environ 610 m, et les récents records utilisant un mélange ternaire à base d’hydrogène (hydréliox), jusqu’à 650 et 701 m (4), paraissent élargir encore le domaine de l’intervention humaine. Toutefois, le condition- nement hautement dangereux de l’hydrogène asservira encore longtemps ce gaz terriblement explosif au domaine expérimental et le recours à l’héliox, soumis au risque du syndrome nerveux des hautes pressions (Snhp) (5), reste aujourd’hui raisonnablement limité à environ 250 ou 300 m. En attendant donc que les progrès de la recherche tirent toujours plus bas les limites verticales signalées ici, la tranche 80-300 m constitue selon nous la deuxième catégorie des épaves profondes, au sein de laquelle peu- vent intervenir, dans le meilleur des cas, des plongeurs professionnels dirigés depuis la surface par les archéologues. Pour pouvoir suivre le déroulement de la fouille, il est d’emblée possible d’utiliser divers systèmes d’observation et de communication à distance, tels que télévision, téléphone ou robot. Mais il existe aussi des moyens lourds impliquant plus directement le directeur de fouille sur le terrain, comme par exemple le sous-marin de poche ou le sca- phandre rigide motorisé. Dans les deux cas, l’observateur reste dans un mi- lieu à pression atmosphérique et n’est pas assujetti lors de la remontée aux paliers de décompression. La liste des épaves où des cloches d’observation ou des submersibles d’appoint ont donné une vision directe du chantier au chef de fouille serait longue. On citera par exemple le sous-marin Asherah, capa- ble d’atteindre 200 m et utilisé, dès 1964, par G.F. Bass, pour prospecter les eaux turques. En 1967, G.F. Bass eut également recours à une capsule d’acier habitée et dotée d’un téléphone. Remorquée depuis la surface, elle avait pour mission de retrouver une épave d’amphores et de statues signalée par des pêcheurs d’éponges, près de Bodrum, par 90 m de fond (6). Par ailleurs, en

(4) GARDETTE, DELAUZE 1993; GARDETTE 1994; DUNOYER DE SEGONZAC 1992. (5) FRUCTUS et al. 1969. (6) MCKEE 1968, p. 94.

344

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale 1977, le sous-marin d’observation P 51 et la cloche d’observation Robertina permirent d’améliorer la liaison entre les archéologues et les plongeurs, sur l’épave de la Secca di Capistello, par 58 à 80 m de fond. Sur ce gisement, les plongeurs professionnels intervenant à partir d’une tourelle avaient remplacé les archéologues, après le décès accidentel de deux des leurs (7). Plus récem- ment, en 1988, le sous-marin Griffon autorisa J.-P. Joncheray à suivre l’inter- vention des plongeurs de la Marine sur l’épave romaine Héliopolis 2 (île du Levant), par 80 m de fond. La même année, M. Guérout profitait du sous- marin SO 450 d’Intersub pour effectuer 9 plongées sur l’épave du bâtiment confédéré L’Alabama, coulé en 1864 devant Cherbourg, par 60 m de fond. Cette épave donna aussi l’occasion, en 1992, de tester, hélas sans trop de succès, un robot chenillé télécommandé, équipé d’un bras manipulateur, de plusieurs caméra de surveillance et d’une suceuse. En 1990, M. L’Hour eut à son tour l’opportunité de visiter en direct l’épave de la Sainte-Dorothéa (Ville- franche), par 72 m de fond, grâce au premier Rémora de la société Comex (8). Au large de Manille, en 1992 et 1993, F. Goddio, après sa plongée en bouteille par 55 m de fond, pouvait contrôler en toute quiétude la fouille du galion espagnol San-Diego, depuis le hublot du sous-marin Small (Fig. 1) (9). D’abord témoins passifs de chantiers archéologiques de moyenne pro- fondeur, on verra que ces submersibles et engins divers apportent désormais une aide de plus en plus efficace dans l’étude de sites interdits à la plongée. Sur ce point, les profondeurs supérieures à 300 m n’étant, pour l’heure, uniquement accessibles en sous-marin ou au moyen d’un robot, et cela jus- qu’à 6000 m, cette tranche très large illustrera la troisième catégorie. Cepen- dant, le nombre de submersibles équipés d’une sphère en titane apte à résis- ter aux pressions qui s’exercent entre 3000 et 6000 m est très restreint. Enfin, les fosses quasi inaccessibles qui échappent aux engins submersi- bles classiques, entre 6000 et 11000 m, abriteront peut-être encore long- temps les épaves profondes de la dernière catégorie. Seuls les , aujourd’hui désactivés, ont eu accès de manière exceptionnelle à ces abysses qui, au demeurant, ne représentent que 3% de la surface totale des mers.

3. Particularités des épaves profondes

Après que Nino Lamboglia eut récupéré à la benne les amphores de l’épave d’Albenga et que le commandant Cousteau, au pied du Grand Con- gloué, eut fouillé deux épaves sans s’en rendre compte, deux décennies au

(7) CAVALIER 1985, pp. 52-61. (8) L’HOUR 1993, pp. 5-36. (9) CARRÉ, DESROCHES, GODDIO (dir.) 1994.

345

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 1 – Le sous-marin Small et le robot du National Geographic par 55 m de fond sur l’épave du San Diego, à Manille (Photo: F. Osada).

moins furent nécessaires pour affiner les méthodes de fouille et préparer les archéologues à la plongée. Entre-temps la majorité des épaves de faible et moyenne profondeur, situées au dessus de 60 m, avaient été dévastées par le pillage, privant les scientifiques d’un grand nombre d’informations. Ces don- nées concernaient par exemple la chronologie, le tonnage, le mode de char- gement du navire ou le conditionnement des marchandises. Ainsi, les archéo- logues sous-marins, habitués à fouiller aujourd’hui des fonds de carène dé- vastés, éprouvent de plus en plus de difficultés à évaluer la cargaison d’une épave au moment du naufrage. Les épaves profondes représentent donc encore aujourd’hui cet “El Dorado” de l’archéologie où tout ce qui a été englouti demeure en place depuis le premier jour. Mieux encore, les conditions particulières liées aux circonstances du naufrage et au milieu marin constituent autant de garanties que l’épave sera peu altérée, d’une grande lisibilité et que son dévasage, s’il était nécessaire et réalisable, ne présenterait pas une difficulté considérable.

346

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale De fait, généralement perdues en haute mer, ces épaves échappent à l’effet destructeur des récifs et atteignent le fond sans gros dommage. Elles sont, en outre, livrées au froid, qui ralentit la vie marine, à l’absence de lumière, favo- risant d’habitude la prolifération de l’herbier et des organismes vivants. Elles sont soumises à un faible taux d’oxygène, qui entrave le pourrissement des matériaux et à une très faible sédimentation, liée d’ordinaire aux apports continentaux et limitée ici à une vase très volatile. De fait, la limite de cimen- tation naturelle des sols et du concrétionnement, par cristallisation des car- bonates, se situe autour de 200 m. A titre d’exemple, ce qui fut vérifié sur une épave non profonde, le , naufragé en 1628 dans les eaux froides de la Baltique, dont le bois à faible température fut épargné par les tarets, s’est confirmé pour le Hamilton et le Scourge, qui gisent tous deux depuis 1813 dans le Lac Ontario, par 91 m de fond (Fig. 2). Un plan précis des vestiges de l’une et de l’autre épaves ont été dressés en trois mois à partir de l’observation faite par un robot (10). Si la coque de bois de l’épave romaine baptisée “Isis”, au Nord de Sherki Bank, par 818 m de fond (11) et celle de l’épave Plage d’Arles 4, par 662 m au large de la Camargue, étaient bien moins conservées que les vaisseaux du XVIIIème ou du XIXème siècle, des vestiges de membrures restaient néanmoins visibles à la surface du sédiment. Sur l’épave romaine d’Ustica, naufragée par 3200 m au large de la Si- cile, les photographies prises par le , sous-marin de l’Ifremer, laissent clairement deviner la nature et l’organisation du chargement, composé d’am- phores africaines et orientales de type divers (Fig. 3). De même, les clichés effectués par l’inventeur sur l’épave antique Grand Ribaud E (Presqu’île de Giens, Var), par 70 m de fond, nous renseignent sur le conditionnement de la vaisselle campanienne, disposée en caisse au dessus des amphores (Fig. 4). Par ailleurs, l’étude menée grâce à ce même Nautile sur la couche de surface de l’épave romaine Plage d’Arles 4, révèle la parfaite symétrie de cette cargai- son de Bétique dans la distribution des formes d’amphores. Le centre est occupé par les récipients à saumure Dressel 7/11, puis de part et d’autre prennent place les Dressel 20 tandis que chaque extrémité est réservée aux Dressel 28 et aux pots à garum. Si l’avant, matérialisé par les ancres, est effilé, la vision que donne le chargement de la partie arrière, arrondie et volumineuse, rappelle assez la forme des navis onerariae traditionnelles. De fait, les conteneurs à huile et à vin sont deux fois plus nombreux sur l’arrière. Là, on peut discerner, en outre, un lot complémentaire d’amphores Haltern 70 tandis que, sur les bords, quelques amphores d’Ibiza, de type PE 25, té- moignent d’une escale aux Baléares.

(10) BASS 1996, pp. 173-181. (11) BALLARD 1990; cf. aussi: GIBBINS 1991, pp. 163-168; BOWEN 1990.

347

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 2 – Vue de la figure de proue du Scourge, en excellent état de conservation par 91 m de fond dans le lac Ontario, depuis 1913 (tiré de BASS 1996). Fig. 3 – Chargement d’amphores de l’épave profonde d’Ustica, Sicile (VIème siècle ap. J.-C., 3200 m) (photo Ifremer).

348

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 4 – Epave Grand Ribaud C (Hyères, France, 70 m) avec son chargement de vaisselle campanienne (photo J.-P. Ormailler).

A l’évidence, à travers ces quelques exemples, l’état de conservation et la lecture immédiate favorisent, sans comparaison possible avec les épaves ensablées et moins profondes, la compréhension des vestiges.

4. Fréquence des épaves profondes

Si la plongée conventionnelle à l’air a permis, dès l’origine, la récupéra- tion d’objets isolés ou l’observation d’épaves jusqu’à une profondeur d’envi- ron 100 m, il est clair que ces découvertes et ces interventions sont restées sporadiques. On retiendra à titre d’exemple la plongée d’expertise réalisée en 1965 par Jacques Dumas, sur l’épave romaine de la Basse du Verhuge (St- Tropez, Var), par 100 m de fond. Mais depuis 1980, les progrès techniques réalisés dans le domaine des petits submersibles, des robots filoguidés et des systèmes de repérage et de positionnement par satellite, aujourd’hui très ré- pandu à bord des chalutiers, a nettement multiplié le nombre des découvertes. Si l’on prend le cas de la Méditerranée française où sont répertoriées au moins 600 épaves homogènes à caractère archéologique, le nombre des sites profonds représente 12% du total (Fig. 5, 6, 7 et Tab. 2). Les plus nombreux

349

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale aise (dessin G. Frommherz). ç e fran é diterran é paves profondes de M é rale des é n é Carte de distribution g – Fig. 5 Fig.

350

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Nice (dessin G. Frommherz). à paves profondes de Port-Vendres paves profondes de Port-Vendres é e des é taill é Carte de distribution d – Fig. 6 Fig.

351

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 7 – Carte de distribution détaillée des épaves profondes autour de la Corse (dessin G. Frommherz).

se rangent évidemment dans la première catégorie, entre 60 et 80 m, zone où la plongée à l’air, pratiquée notamment par les corailleurs, ou celle d’incur- sion au mélange, sont encore possibles mais restent réservées à quelques plon- geurs téméraires ou très bien entraînés. Là se concentrent environ 9 % du total des épaves, soit 71% des gisements profonds. Sur les 73 épaves profondes recensées en Méditerranée française, la plongée à l’air est à l’origine de la majorité des découvertes (53%). Toute- fois le chalutage en génère 25%, la pêche au corail 12%, tandis que sous-

352

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale 353

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale 354

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Tab. 2 – Epaves profondes de Méditerrannée française.

355

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale marins et robots représentent déjà aujourd’hui 10% des déclarations. On remarquera, par ailleurs, que la plus grande de ces sites (80% d’entre eux) se répartit entre Marseille et Nice, sur la bande litto- rale la plus fréquentée par les plongeurs et où l’isobathe des 60 m vient par- fois flirter avec le trait de côte. Quant aux découvertes liées à la pêche pélagique, elles se signalent prin- cipalement en Camargue, région où est concentrée la principale flotte de chalutiers, avec les ports de Sète et du Grau-du-Roi, et en Corse, au large de Porto-Vecchio. Dans ces régions, eu égard au nombre grandissant de déclara- tions, le travail d’information et de relation publique effectué depuis long- temps auprès des pêcheurs et des gens de mer par les archéologues du Drassm, paraît porter ses fruits. S’il est difficile, par ailleurs, de connaître la proportion exacte de navi- res naufragés très au large, on s’accordent généralement pour penser que les risques sont moindres en haute mer et que les sinistres ne s’y produisent que pour des raisons bien définies: ripage de la cargaison au cours d’une tempête, abordage, danger isolé, incendie (12). Cependant, à l’échelle de l’Antiquité, il est vraisemblable que nombre de navires ont disparu loin des côtes en empruntant les voies maritimes directes qui, en Méditerranée, traversent des fosses supérieures à 2500 m. On connaît certaines de ces routes, notamment celle qui reliait en droiture la Bétique à Rome, jalonnée de multiples naufra- ges aux abords des récifs, entre la Corse et la Sardaigne. Aujourd’hui, l’épave Plage d’Arles 4, sise à 80 km face à la Camargue, met en relief une autre de ces routes. Avec, on l’a vu, son chargement d’amphores à huile, à vin et à saumure, complété par quelques amphores PE.25, l’épave illustre un axe de navigation qui, depuis le sud de l’Espagne et les Baléares, menait directement à l’embouchure du Rhône. De même, la position de l’épave Plage d’Arles 5, chargée de céramique sigillée de la Graufesenque, est intéressante. Située à hauteur de Narbonne, par 450 m de fond, elle suggère une route directe vers Rome qui doublait le cap Corse et traversait au préalable le golfe du Lion. Enfin, l’épave de Sherki Bank, au sud de la Sicile, par 818 m de fond, atteste d’un commerce des amphores cylindriques africaines en droite ligne entre la Tunisie et Rome. Aujourd’hui les systèmes de détection acoustique et les procédés de re- connaissance vidéo sont suffisamment avancés pour que des prospections sur ces grands axes concourent à des résultats positifs. On peut donc à la fois se réjouir et s’inquiéter de tels progrès car si les systèmes de localisation et de prélèvement sont déjà payants, la fouille de terrain à grande profondeur reste encore balbutiante.

(12) Voir sur ce point les notes dans: LONG 1990, tableau p. 66.

356

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale 5. Les dommages encourus

Il ne fait aucun doute qu’une part non négligeable des épaves de la pre- mière catégorie est livrée aux fouilleurs clandestins intervenant à l’air. Ainsi, pour ne citer qu’un petit nombre de celles qui ont essuyé les assauts répétés des pillards nous rappellerons le graves dommages occasionnés sur les épaves Grand Ribaud E, à 70 m, Roches d’Aurelle, à 72 m, ou Basses de Can, à 75 m, qui ont toutes été sérieusement mutilées, du moins dans la couche de surface. Les chalutages à répétition sur des épaves sises à plusieurs centaines de mètres, désormais faciles à retrouver pour des navires équipés d’un système de positionnement par satellite (GPS différentiel, précis à quelques mètres), ravagent encore plus systématiquement les sites. Au large de la Camargue, nous l’avons vu, les patrons de chalut commencent à nous signaler des épaves antiques, situées entre 90 et 450 m de fond. Dernièrement, nous avons pu examiner une très faible partie des nombreux cols d’amphores Dressel 1B arrachés par les filets à l’épave Saintes-Maries-de-la-Mer 14, par 116 m de fond. Là, les amphores en position verticale sont systématiquement décapi- tées à chaque passage. Tout dernièrement encore, à l’est du Grand Congloué à Marseille, une nouvelle épave d’amphores Dressel 1B a été dévastée par ce type de pêche, à 108 m de fond. A l’évidence, les quelques informations glanées à la surface de tertres jusque là intacts restent très ténues et sans commune mesure avec les dégâts qu’occasionnent le passage répété de ces laboureurs de la mer. En 1995, au sud de l’île d’Elbe, une très grosse épave originaire de Bétique a été repérée par le sous-marin de la Comex, le Rémora 2000, par 177 m de fond. Au vu des images vidéo enregistrées par H. G. Delauze, cette épave d’environ 40 m de long a été la proie des chaluts, à tel point que ce gigantesque champ d’am- phores à saumure est complètement réduit en miettes (Fig. 8). Les chercheurs de trésor, généralement mieux équipés que les archéo- logues, fréquentent progressivement l’hydrospace lourd. Avec près de huit cents épaves recensées (13), dont la majorité est en eau profonde, l’archipel des Açores sera pour ces équipes un lieu d’exercice privilégié si les autorités locales et le gouvernement portugais n’y prennent garde. Récemment, au large de Lisbonne, l’épave de la frégate espagnole Nuestra Señora de las Mercedes, naufragée en 1804 par plus de mille mètres de fond, a été visitée par une équipe de pirates britanniques. Mais les archéologues eux-mêmes, en proie à ce qu’il convient d’appe- ler le «syndrome de la benne» (14) et avides d’expérimenter des engins dotés

(13) ALVES, MONTEIRO 1998. (14) LONG, 1995, pp. 14-46.

357

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 8 – Epave d’amphores de Bétique totalement ravagée par les chaluts, au Sud de l’île d’Elbe, par 177 m de fond (photo tirée d’une vidéo Comex).

d’un bras télémanipulateur, peuvent être tentés de se livrer à des récupéra- tions rapides et irrationnelles, préjudiciables sans une étude préalable du site. Sur ce point, les très courtes interventions du Drassm, en 1977 avec le sous- marin Griffon, et en 1981 avec la soucoupe Cyana, sur l’épave romaine Cap Bénat 4 (15), n’ont pas fait preuve de grandes ambitions scientifiques (Fig. 9). Toutefois, ces expertises ponctuelles qui, par 328 m de fond, ne dépassaient pas le stade d’un simple «safari photographique» au ramassage limité, n’alté- raient pas véritablement la nature de l’épave. Quant à la récupération du mobilier de l’épave antique de Sherki Bank (Fig. 10), si elle n’est pas illégale puisque nous sommes dans une zone de vide juridique, elle reste déontologiquement discutable, d’autant que les relevés graphiques effectués sur l’épave sont de qualité médiocre. La présence sur ce chantier d’une archéologue de renom, A.-M. MacCann, dont la caution scien- tifique est indiscutable, ne change en rien notre jugement sur ce type d’opé- ration. Le contre-exemple frappant est vraisemblablement la mission sur l’épave internationale Plage d’Arles 4, où le relevé fut des plus précis sans aucun prélèvement d’objet.

(15) LONG, 1987, pp. 99-108.

358

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 9 – Epave Cap Bénat 4 (Est-Hyères, 328 m) lors de sa découverte en 1977 (photo Gismer). Fig. 10 – Intervention du robot Jason sur l’épave de Sherki Bank, à 818 m de fond (photo Quest Group, d’après MCCANN 1994).

359

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Mais, à en croire la presse, les nouveaux projets de R. Ballard dans les zones méditerranéennes internationales sont bien plus inquiétants. Avec le sous- marin nucléaire américain NR1, qui n’est visiblement pas fait pour l’archéologie, il convoite désormais les cimetières marins antiques situés entre Carthage et Rome (16). Si les juristes ne sont dans cette affaire d’aucune utilité, il revient peut-être aux archéologues méditerranéens et à la communauté scientifique toute entière de se mobiliser pour imposer un cahier des charges à de tels projets.

6. L’expérience acquise

L’utilisation de robot ou de sous-marin lors de fouilles archéologiques est aujourd’hui suffisamment attestée pour juger de leur efficacité scientifi- que. A l’origine, si leur apport restait essentiellement médiatique et permet- tait au mieux, au chef de mission, d’avoir une vue directe sur l’opération, ils consentent aujourd’hui une aide de plus en plus active dans la recherche et dans l’étude des sites. Au cours de ces dix dernières années un certain nombre d’expériences, réalisées par le Drassm, ont conduit à l’élaboration d’un processus d’étude des épaves profondes qui s’avère relativement satisfaisant.

6.1 ETUDE DE LA COUCHE DE SURFACE L’expertise improvisée de l’épave Cap Bénat 4, par 328 m de fond, n’avait duré que quelques heures en 1981 et s’était limitée à des prises de vues désordonnées et à une récupération d’amphores, sans possibilité de dres- ser un plan précis du site. Mais les enseignements furent tirés, en 1987, sur l’épave des Basses de Can, au sud-est de Saint-Tropez (17). Là, une opération de topographie fut effectuée à l’aide du sous-marin monoplace Nérée 201, qui arpenta l’épave au moyen de règles graduées, entre 80 et 90 m de fond, afin d’étalonner le plan obtenu grâce à divers survols photo et vidéo (Fig. 11). Ce n’est qu’à l’issue de ces fructueux travaux de topographie qu’une soixan- taine d’objets, directement menacés par le pillage, furent récupérés. Une étape importante dans l’étude des gisements profonds, notamment pour la capture des informations de la couche de surface, fut franchie lors de la mission non destructrice organisée avec l’aide de l’Ifremer, en 1993. Cette mission, baptisée “Nautilion”, se déroula dans les eaux internationales sur l’épave romaine Plage d’Arles 4 (18). Le premier objectif consistait à mettre

(16) BALLARD 1998, pp. 32-41. (17) LONG 1988, pp. 5-19. (18) LONG, VOLPE 1995, pp. 10-11.

360

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 11 – Epave des Basses de Can (St-Tropez), mesures du site à l’aide de règles graduées déplacées par le sous-marin Nérée 201 (dessin L. Long).

en place sur le site, grâce au bras télémanipulateur du sous-marin Nautile, des référentiels nécessaires au calcul des déformations et à l’enregistrement des coordonnées cartésiennes. Il s’agissait d’un cube-étalon bardé de cibles, de règles graduées et de mires altimétriques. Les prises de vues du tumulus furent ensuite réalisées à hauteur constante (environ 3 m), d’abord obliques, puis verticales. On utilisa à cet effet, outre les caméras Benthos du Nautile, deux appareils semi-métriques Rollei 6006 disposés dans des caissons étan- ches à l’avant du submersible. Ainsi pour la première fois, un sous-marin venait de réaliser le relevé en photographies stéréoscopiques précis d’une épave. Jusque-là, seul le petit engin habité Ashera (University of Pennsylvania Museum) avait procédé à un survol photographique, en 1964, sur l’épave Yassi Ada 2. Mais la phase d’étalonnage des mesures avait été réglée au préa- lable, à 35 m de fond, par des plongeurs (Fig. 12) (19). Profitant de l’expérience acquise en quatre jours sur l’épave Plage d’Ar-

(19) BASS, ROSENCRANTZ 1973, pp. 285-298; cf. egalement BASS, VAN DOORNINCK 1969, pp. 9-20, fig. 2 (reproduite ici).

361

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 12 – Représentation des prises de vues stéréoscopiques réalisées en Turquie avec le sous- marin Ashera sur l’épave Yassi Ada 2 (d’après BASS-VAN DOORNINCK 1964); (diapo de dessin).

les 4, il fut possible de développer au pied levé, durant le dernier jour de notre mission avec l’Ifremer, une stéréophotogrammétrie des vestiges appa- rents de l’épave de “La Lune” (20). Pour des raisons financières, la restitu- tion photogrammétrique des reliques de ce vaisseau de Louis XIV, naufragé en 1664 devant Toulon, par 88 m de fond, n’a pas été entreprise. Toutefois, cette intervention improvisée a prouvé, pour une équipe bien entraînée, qu’il était possible de “cloner” avec un sous-marin la surface d’un site de 30 m de long en une seule journée. Après l’opération Nautilion, nous avons eu l’occasion de réitérer ce type d’exploit lors de la fouille menée en étroite collaboration avec la Comex durant le mois de juin 1996, sur l’épave Sud-Caveaux 1 (21). Connue depuis 1977, date de sa découverte par H.G. Delauze, à bord du sous-marin indus- triel Moana 04, la situation de cette épave d’amphores Lamboglia 2 devenait préoccupante. Elle avait été redécouverte en 1982 par le robot Mic Modexa, lors d’une plongée d’essai. Gisant par 63 m de fond au milieu de la Baie de Marseille, elle faisait l’objet, selon nos informations, de recherches soute-

(20) DELAUZE 1993, p. 42; LONG 1993, p. 42. (21) LONG, DELAUZE 1996, pp. 84-86.

362

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale nues de la part de plongeurs clandestins qui sont à l’origine de notre mission de sauvetage. Sur ce site, la phase de stéréo-préparation, c’est à dire le posi- tionnement des règles graduées, des mires altimétriques et du cube étalon, fut entièrement réalisée par le ROV Super-Achille, secondé par le sous-marin Rémora 2000. Ce dernier transporta notamment le matériel lourd ou encom- brant sur le site. Les prises de vues stéréophotographiques furent exécutées cette fois au moyen d’une chambre métrique, conditionnée sur le sous-ma- rin, selon le principe adopté sur l’épave d’Arles et sur celle de La Lune. L’ar- chéologue assis à côté du pilote pouvait commander le cap et la cadence des prises de vues. Au total cinq couvertures photogrammétriques, dont trois sont d’un recouvrement parfait, ont été enregistrées au fur et à mesure du dégagement de l’épave. De manière totalement improvisée, Patrice Pomey et Honor Frost, qui s’étaient joint à nous, ont pu procéder directement à des séries de prises de vues. Une autre possibilité, utilisée comme test sur l’épave de La Lune puis sur celle de l’Alabama, a tout simplement consisté à photographier à cadence régulière les images vidéo de l’épave qui défilaient à l’écran. Ce système, dont la qualité et la définition sont moins bonnes, permet néanmoins d’obte- nir une base en trois dimensions à partir de seuls survols vidéo. En poussant plus loin l’expérience, P.-H. Nargeolet (Ifremer), sur l’Alabama, a mis au point un système de vidéogrammétrie, grâce à deux caméra fixées sur le sous- marin SO 450, qui autorise une visualisation 3D couleur du site.

6.2 DÉGAGEMENT DU SÉDIMENT Lors d’un deuxième voyage dans le Dodécanèse, en 1976, le Cdt Cous- teau et son équipe poursuivirent l’exploration de l’épave romaine d’Anticy- thère (22). Son fabuleux chargement d’œuvres d’art, peut-être dérobées à la cité de Pergame, avait été découvert au début du siècle par des pêcheurs d’éponge, entre 55 et 60 m de fond. Les statues avaient été partiellement récupérées en 1901, à la demande du gouvernement grec, par des scaphan- driers pieds-lourds. Lors de cette nouvelle mission, les plongeurs de la Ca- lypso, maniant avec difficulté une lourde suceuse à air, furent épaulés par A. Falco, à bord de la soucoupe plongeante. Celle-ci était équipée pour la cir- constance d’une lance à eau alimentée par la batterie du submersible et pou- vait découper et émulsionner le sédiment grâce à un jet puissant. En dépit du champ limité des hublots, il devenait possible avec un peu d’habitude de contrôler le dégagement des objets (Fig. 13) (23).

(22) WEINBERG et al. 1965. (23) BEURDELEY 1991, p. 66. Cf aussi pour plus de détails: DUMAS 1980, pp. 58-63. COUSTEAU 1983, p. 337.

363

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 13 – Epave d’Anticythère (Grèce, 60 m) utilisation d’une lance à eau à partir de la soucoupe plongeante de la Calypso (photo Cousteau).

Excepté cet exemple ponctuel, le cap du dévasage automatisé, sans l’aide d’aucun plongeur, n’avait jamais encore été atteint. Ce fut donc l’une des ambitions de la mission organisée en relation avec la Comex sur l’épave Sud- Caveaux 1. Renonçant à l’idée de suceuses conventionnelles alimentées par des pompes immergées, ce dévasage partiel a été réalisé au moyen d’un ven- tilateur sous-marin de type “blaster”. Cet engin relativement destructeur, comme son nom l’indique, a été mis au point par les wreckers américains sur les épaves à trésor. Posé directement sur le sol, son pouvoir de perforation dissuade habituellement tout archéologue qui se respecte. Sur ce point, les expériences tentées en France par M. L’Hour, sur l’épave de la Sainte Dorothéa, à 72 m de fond, et par M.-P. Jézégou sur le gisement médiéval du Batéguier, à 56 m, ont vite tourné court. Sur l’épave Sud-Caveaux 1, le redoutable engin était disposé entre 3 et 5 m au dessus du site, contrôlé et alimenté depuis le navire Minibex (Comex). Les variateurs d’altitude et de puissance de ces deux hélices lentes, tournant en sens inverse, ont complètement maîtrisé l’engin. Au contraire, sa caméra de contrôle, disposée dans «l’oeil du cyclone» et le positionnement dynamique du navire, calé par satellite, ont permis un dé- vasage non destructeur dans des zones déterminées à l’avance par les archéo- logues (Fig. 14).

364

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 14 – Epave Sud-Caveaux 1 (Marseille, 63 m) mise à l’eau du blaster, suspendu au navire Minibex, à la verticale de l’épave (photo A. Rosenfeld).

Un dévasage encore plus méticuleux a été rendu possible, notamment pour le dégagement de la céramique fine, des ancres et des tous premiers vestiges de bois, en équipant le bras du robot Super-Achille d’un ventilateur de petite taille (Fig. 15). Ainsi, ce système de ventilation du sédiment, sur une large superficie ou de manière plus chirurgicale, s’est substitué aux suceuses traditionnelles et a été ici validé. Utilisable à de plus grandes profondeurs, il pourrait tout aussi bien être mis en place sur des épaves plus classiques, ac- cessibles à la plongée à l’air.

6.3 NUMÉROTATION IN SITU DU MOBILIER ARCHÉOLOGIQUE Quelle que soit la méthode d’enregistrement choisie sur la fouille, il est presque toujours nécessaire de déposer des repères de terrain ou de marquer tout ou partie du mobilier archéologique. S’il est envisageable, en cas de nécessité, de carroyer un site à l’aide d’un bras automatique, il est clair qu’on devra pour un temps au moins renoncer à l’idée d’une fouille à ce point minutieuse qu’elle impliquerait dans chaque carré la numérotation des moin- dres tessons de céramique. Mais lors de la récupération massive d’objets ré- pétitifs, comme c’est le cas d’un chargement d’amphores, cette nécessité se fera plus nettement ressentir.

365

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Sur l’épave des Basses de Can, des petits cubes de bois marqués d’une lettre sur chaque facette avaient balisé les trois groupes d’amphores. Ces cubes, reliés par une courte drisse à un petit lest, avaient été déposés par le sous-marin Nérée 201 et s’élevaient à quelques dizaines de centimètres au dessus du sol afin d’être vus facilement. Soumis à une pression supérieure à leur flottabilité, ces cubes se sont rapidement imbibés d’eau puis affaissés sur le sol. Quant aux amphores, numérotées par avance sur le plan, elles furent récupérées une à une et inventoriées en surface. Dans le cas de l’épave Sud-Caveaux 1, afin de pallier au désordre d’une récupération par groupe d’objets, nous avons préféré marquer les amphores sur le fond. L’inventaire in situ a été confié au ROV qui déposa dans le col des récipients, entre leurs anses ou dans la vasque des céramiques, des bouées rigides lestées, servant de support à la numérotation (Fig. 16). Au préalable un cylindre en PVC qui contenait l’ensemble des lests, ouvert longitudinale- ment pour le passage des bouées, faisait office de magasin et était disposé sur l’avant du sous-marin. Ainsi, dans le principe, chaque objet avait été indivi- dualisé; il faudrait veiller naturellement à ce que l’amphore et son marqueur soient bien remontés ensemble et restent toujours associés.

6.4 RÉCUPÉRATION DU MOBILIER Pour une question de temps, la récupération des amphores et des élé- ments de vaisselle de l’épave Sud-Caveaux 1 a été confiée à des plongeurs professionnels, principalement ceux du Drassm et de la Comex, évoluant avec un mélange enrichi de 10% d’hélium, ou le plus souvent à l’air grâce à une dérogation spécifique. Cette phase demeure toutefois celle que les ar- chéologues de surface, jusque-là habitués à commander des machines doci- les, ont eu le plus de mal à contrôler. Face aux imprévus et aux difficultés et sans doute déjà en proie à une léger engourdissement cérébral, nos plongeurs ont souvent improvisé dans le plus grand désordre, dissociant parfois les amphores de leur numéro, oubliant les consignes précises qui leur avaient été fixées avant chaque plongée. On peut cependant doter un sous-marin ou un robot de toute une série d’outils adaptés selon la taille et la forme de la prise. A titre d’exemple, une fourche rudimentaire équipait le bras du Griffon en 1982 pour saisir sous les anses les amphores Dressel 12 de l’épave Sud-Perduto 1, par 70 m de fond (Fig. 17). En 1981, les deux doigts articulés de la soucoupe Cyana pincèrent par une anse nombre de récipients de l’épave Cap Bénat 4, par 328 m de fond. Là, un panier constitué de poches à échantillons géologiques, disposées autour d’un axe, fut tracté depuis la surface par le bateau-base et déposé à une cinquantaine de mètres de l’épave. En 1987, une fourche rétractable

366

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 15 – Dévasage de petits objets au moyen du Rov Super-Achille (épave Sud-Caveaux 1, Marseille, 63 m) (photo Xavier Desmier). Fig. 16 – Epave Sud-Caveaux 1 (Marseille, 63 m), le Rov Super-Achille effectue la numérotation in situ des amphores (photo Xavier Desmier).

367

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 17 – Le sous-marin Griffon récupérant une amphore sur l’épave Sud-Perduto 1, en Corse (photo Gismer).

permettait au Nérée 201 de faire basculer sans trop de difficulté dans son panier de proue les amphores Dressel 1 de l’épave des Basses de Can, par 80 m de fond. Quant à l’épave de “L’Isis”, sise par 818 m de fond, au nord de Sherki Bank, la récupération fut effectuée par un robot et non plus par un sous-marin, ce qui promeut ces engins à un très brillant avenir. Deux mâ- choires semi-cylindriques parfaitement adaptées à la forme des amphores africaines armaient judicieusement dans sa quête, en 1989, le robot Jason (Fig. 18). Un panier équipé d’un flotteur synthétique permettait ensuite de remonter le mobilier vers la surface, après qu’une commande acoustique l’eut affranchi de son lest (24). Les exemples révélateurs du génie inventif dont on peut faire preuve pour extirper des objets du fond des mers seraient encore nombreux puisque la collecte abyssale demeurait souvent le seul enjeu scientifique des bathysco- pes à pince. Toutefois on ne doit pas perdre de vue que la phase de récupéra- tion, fort destructrice si l’on n’y prend pas garde, est l’une des plus délicates et certainement celle qui requiert le plus de préparation et le plus de temps.

(24) MCCANN, FREED 1994.

368

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 18 – Système de préhension du robot Jason lors du prélèvement d’une amphore africaine (Sherki Bank, 818 m) (photo Quest Group, tiré de MCCANN 1994).

7. Traitement informatique des données

Compte tenu du prix de revient d’une intervention à grande profon- deur (cf. Tab. 3), il est évident que la méthodologie archéologique consistera toujours à recueillir le plus grand nombre d’informations en un minimum de temps. Les opérations d’acquisition et de capture des données in situ pour- ront recourir à diverses méthodes mais conduiront inévitablement vers une archéologie cybernétique, informatique et virtuelle, tournée vers les domai- nes de l’élaboration, de la simulation, de l’expérimentation et de la reconsti- tution au moyen d’ordinateurs (25). Parmi les systèmes d’enregistrement de terrain, mis à part de rudimen- taires photographies ou les simples photomosaïques, la photogrammétrie constitue une méthode rapide, fiable et précise, qui a déjà fait ses preuves. Sur ce point, les couples stéréoscopiques de format 6x6 sont encore quatre fois supérieurs en qualité aux clichés des appareils numériques.

(25) FORTE et al. 1996.

369

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Tab. 3 – Notions de coûts de revient des interventions.

Parmi les autres techniques, le système aveugle de positionnement acous- tique du type Sharps (Sonic High Accuracy ranging and Positioning System), fut utilisé avec succès par R. Grenier sur l’épave de Red-Bay, au Canada. Sur l’épave du Hms “DeBraak”, un seul plongeur effectuait grâce à lui en une heure le travail précédemment accompli en six semaines (26). En 1990 tou- tefois, sur l’épave de la “Sainte Dorothéa” (Villefranche-sur-Mer), par 72 m de fond, M. L’Hour signala, outre le caractère fort schématique du rendu définitif, l’asservissement constant du système aux multiples interférences parasitaires (bruits de moteurs ou des bulles des plongeurs) (27). Au demeu- rant, en 1987, une expédition américaine sponsorisée par la National Geographic Society et le Maryland Geological Survey, avec l’aide de Deep Sea Systems International, avait pour but d’effectuer, au moyen de trois Rov, les relevés acoustiques précis de plusieurs épaves profondes du XIXème siècle. Il s’agissait notamment du vapeur New Jersey perdu à Chesapeake Bay, en 1870. A cette occasion, l’enregistrement effectué par l’acoustic gun du Sharps, ac- tionné dans des zones à faible visibilité jusqu’à une profondeur de 80 m par l’un des robots, était précis à plus ou moins 10 cm (28). Par ailleurs, le providentiel capteur télémétrique laser “Soisic”, mis au point par la société Mensi, développé par Electricité de France et utilisé en

(26) MURRAY 1988, p. 1. (27) Cf. supra note 8, M. L’Hour. (28) SHOMETTE 1988, pp. 1-6.

370

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale 1994 par le Drassm pour le relevé pariétal de la grotte Cosquer (29), sera d’une rare efficacité une fois adapté au milieu marin. Pour l’heure, les expériences tentées en matière de restitution d’épaves profondes constituent de véritables laboratoires de recherches virtuelles. Dans le cas de l’épave Plage d’Arles 4, les techniciens de la Setp (Société d’Etudes et de Travaux Photogrammétriques, Salon-de-Provence) ont utilisé deux fichiers numériques distincts. Le premier était réservé à la répartition spatiale des objets, l’autre à la modélisation des six types de récipients individualisés sur, en gros, le millier d’amphores apparentes. Dans la pratique, chaque forme correspond à une génératrice mise en révolution autour d’un axe. Ces repré- sentations qui apparaissent d’abord en construction filaire (Fig. 19), puis re- vêtues d’une texture (Fig. 20), offrent une première reconstitution virtuelle de la couche apparente du chargement, précise au centimètre. Visualisé et manipulé sur l’écran de l’ordinateur, ce modèle permet de sélectionner des sections et des coupes matérialisées par une table traçante. Pour une question de coût nous avons choisi de standardiser nos amphores et de perdre délibé- rément de nombreuses informations. Issues de la même génératrice, toutes les Dressel 20, par exemple, revêtent la même forme et n’ont conservé aucune particularité telle que: timbre de potier, incision ou marque peinte, détail morphologique ou concrétion. Ainsi, à l’origine, toutes les amphores frag- mentées étaient représentées entières, puis fracturées individuellement par un logiciel de dessin assisté par ordinateur. Nous avons pu ainsi remarquer que les amphores de synthèse étaient beaucoup plus difficiles à briser que leurs prototypes en terre cuite. En contrepartie, ce plan aseptisé (Fig. 21) autorise une compréhension rapide du chargement, notamment pour le comp- tage par forme et la répartition des amphores sur une superficie relativement importante (27x12 m). Exceptée une zone à peu près centrale, où le charge- ment a peut-être explosé sous le choc et où tout n’est que tesson informe, nous avons recensé 585 objets dont 341 sont intacts. Dans le cas de l’épave Sud-Caveaux 1 où les amphores sont beaucoup moins nombreuses et n’occupent qu’une seule couche (Fig. 22), il fut décidé de restituer chaque chose de manière individuelle. Les archéologues ont dû aider les photogrammètres dans l’identification et la définition des formes. Au final, profitant de la récupération du mobilier, les dessins des amphores remontées en surface furent numérisés et positionnés dans la base tridimen- sionnelle (Fig. 23). A titre de test, une animation des images de synthèse de l’épave Plage d’Arles 4 a été réalisée par la société d’infographie Gribouille. Ce petit film offre au public, pendant une vingtaine de secondes, un survol très réaliste du

(29) LONG 1994, pp. 41-42.

371

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 19 – Restitution en image de synthèse sous forme filaire des amphores de l’épave Plage d’Arles 4 (photo Setp). Fig. 20 – Représentation en image de synthèse texturée du champ d’amphores de l’épave Plage d’Arles 4 (photo Setp).

372

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 21 – Plan d’ensemble de la couche de surface de l’épave Plage d’Arles 4, précision de restitution: 1 cm (tirage Setp; diapo). Fig. 22 – Plan d’ensemble de l’épave Sud-Caveaux 1, restitution précise au 1 cm (tirage Setp- Comex; diapo).

373

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 23 – Représentation en image de synthèse (filaire et texturée) des amphores de l’épave Sud-Caveaux 1 (photo Setp).

champ d’amphores et préfigure sans doute ce que sera la réalité virtuelle au service de l’archéologie (Fig. 24) (30). Il ne fait aucun doute que l’on pourra très prochainement abandonner les représentations conventionnelles des si- tes étudiés: plans, coupes stratigraphiques, vues axonométriques etc., pour s’immerger en temps réel et naviguer de façon interactive dans les clones virtuels de nos épaves. La précision requise par l’archéologue, de l’ordre du millimètre, est pour l’heure encore incompatible en navigation simulée avec la capacité de mémoire des ordinateurs à notre disposition. Mais cela n’est plus qu’une question de temps.

8. Conclusions

L’ensemble des expériences rappelées ici confirme que la fouille con- duite à distance, à l’aide d’engins automatisés, ne fait plus partie du rêve mais s’avère une chose possible. Du moins, les phases essentielles, telles que l’en-

(30) LONG, VOLPE 1996, cf. fig. p. 89.

374

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale Fig. 24 – Essai de “réalité virtuelle” sur l’épave Plage d’Arles 4 (photo Gribouille).

registrement des données in situ, la numérotation du mobilier archéologi- que, le dévasage et la récupération de quelques dizaines d’objets, ont elles déjà été expérimentées avec succès sur le terrain. Sans doute les phases res- tantes, par exemple le démontage intégral d’une grosse cargaison, le net- toyage des tessons et des bois du navire, afin d’entreprendre l’étude d’archi- tecture navale, ne seront pas exemptes de difficultés. A l’évidence, les moyens financiers et technologiques nécessaires aujourd’hui pour procéder à de telles opérations ne peuvent être réunis par les service en charge de l’archéologie. Sur ce point, on ne peut que déplorer la carence générale des Etats dans le domaine de l’archéologie sous-marine, de sa recherche et de ses innovations. Les diverses expériences relatées ici, on l’a vu, ont été rendues possibles en France grâce au support logistique d’or- ganismes privés, scientifiques ou militaires, désireux de tester leurs outils dans des aventures coûteuses mais somme toute très médiatiques. Il est vrai que parmi les nombreux champs de recherche, l’archéologie est peut-être la science qui possède l’impact le plus fort en matière de vulgarisation. Nous aurons sans doute encore longtemps besoin de ces aides extérieures, même si le Drassm, soutenu par la Mission de la Recherche (Ministère de la Culture), s’est équipé dernièrement d’un robot Achille lui conférant désormais une certaine autonomie dans l’étude ou l’expertise des sites profonds. On sait aujourd’hui que ces engins filoguidés, bientôt entièrement autonomes, vont

375

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale à terme se substituer totalement aux submersibles habités, avec lesquels ils rivalisent déjà en profondeur. Ainsi la fouille profonde automatisée, même si chaque épave présente des caractéristiques et des difficultés qui lui sont propres, apparaît aujourd’hui comme une réalité. Selon le cas, l’achat ou la location du matériel nécessaire sera au total moins onéreux que l’utilisation de plongeurs au mélange (cf. Tab. 3). Jusqu’à certaines profondeurs, on l’a vu, la plongée d’incursion, pra- tiquée par les archéologues eux-mêmes, reste peut-être envisageable. Mais au delà, le recours à la plongée à saturation, constituera toujours un compro- mis entre les ambitions scientifiques des uns et les impératifs de rentabilité des autres. D’apprentissage fastidieux, cette discipline, qui ne s’est pas tota- lement affranchie des barrières physiologiques, est sans doute une étape déjà dépassée pour les archéologues eux-mêmes. Elle garde vraisemblablement sa place pour quelques chantiers exceptionnels dans des profondeurs limitées (1ère et 2ème catégories). Là, le plongeur professionnel ou militaire et l’archéo- logue, jouant à «l’aveugle et au paralytique», collaboreront sans doute étroi- tement. Mais très vite, au gré des pentes, l’ergonomie du plongeur et sa légè- reté de ballerine risquent de céder la place à un cosmonaute somnambule livré aux limites létales de l’être humain. Sur l’épave Sud-Caveaux 1, les cho- ses n’ont jamais si mal marché pour l’archéologue que lorsque les plongeurs se substituèrent au robot et au sous-marin. Par ailleurs, comme on a pu le constater avec les épaves Plage d’Arles 4 et Sud-Caveaux 1, il est techniquement possible d’étudier en détail un gise- ment au moyen de sa représentation virtuelle, sans avoir besoin de replonger dans le milieu naturel. Par ces techniques de traitement de l’image en trois dimensions, qui permettent de reconstruire au plus près du réel un temple égyptien ou une grotte préhistorique, nous garderons peut-être en mémoire le fac simile d’épaves profondes déjà menacées de pillage. La couche de sur- face étant généralement la plus convoitée et la plus fragile, il suffira d’une journée, comme cela fut le cas sur l’épave de la Lune, pour en effectuer le relevé précis. Selon le cas, les données brutes pourront être stockées, tandis que la restitution ne sera programmée qu’en cas de nécessité. Ainsi, du submersible convivial au robot sophistiqué, l’arsenal techno- logique à notre disposition paraît désormais servir au mieux les intérêts de la recherche historique. Paradoxalement, l’archéologie sous-marine profonde, met en application des techniques de relevés dont la précision est souvent supérieure aux méthodes conventionnelles. De fait, la cartographie 3D des épaves Plage d’Arles 4 et Sud Caveaux 1 est plus précise que la majorité des relevés d’épaves effectués en plongée à l’air, y compris celle de la Madrague de Giens qui a eu longtemps valeur d’exemple. On le voit, cette fin de siècle constitue sans doute une charnière temporelle et technique entre des disci- plines et des machines promises jusque-là à des horizons sous-marins diffé-

376

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale rents. N’y a-t-il pas eu, au cours de ces dix dernières années, plus d’opéra- tions sur des épaves profondes que de fouilles conventionnelles dans la dé- cennie des années 50, celle où pourtant F. Benoît, J.-Y. Cousteau et N. Lam- boglia initièrent l’archéologie sous-marine.

LUC LONG

Bibliographie

F. A LVES, P. MONTEIRO, 1998, Arqueologia subaquàtica nos Açores, dans Enciclopédia Açoriana, (coord.; A. Teodoro de Matos à paraître). C. BAUDOIN, B. LIOU, L. LONG, 1994, Une cargaison de bronzes hellénistiques, l’épave Fourmigue C à Golfe-Juan, «Archaeonautica», 12, 143 p. R.D. BALLARD, 1990, The lost wreck of the “Isis”, Sevenoaks, Hodden & Stoughton- Madison Press. R.D. BALLARD, 1998, Roman Shipwrecks, Probing the depths of the Mediterranean Sea, a nuclear submarine locates the remains of trading vessels that sank west of Sicily, 2000 years ago, «National Geographic», 193, 4, april, pp. 32-41. G.F. BASS, F. VAN DOORNINCK, 1969, Excavation of a Byzantine Shipwreck at Yassi Ada, Turkey, «National Geographic Society Research Reports», 1964 Projects, 1969, pp. 9-20, fig. 2. G.F. BASS, D.M. ROSENCRANTZ, 1973, L’utilisation des submersibles pour les recher- ches et la cartographie photogrammétrique sous-marine, dans L’archéologie su- baquatique, une discipline naissante, Paris, Unesco, 1973, pp. 285-298. G.F. BASS, 1996, Ships and Shipwrecks of the Americas, A History Based on Undewater Archeology, Thames and Hudson, pp. 173-181. F. B ENOIT, 1965, Tr ésor monétaire de la Ciotat. Trésor du Brusc, Centenaire de la Société Française de Numismatique (Paris), pp. 197-200. C. BEURDELEY, 1991, L’archéologie sous-marine, L’odyssée des trésors, Bibliothèque des Arts, Paris, p. 66. M.F. BOWEN, 1990, Jason’s Med Adventure, «Oceanus», 33, 1. D. CARRÉ, J.P. DESROCHES, F. GODDIO (dir.), 1994, Le San-Diego, Un trésor sous la mer, Catalogue de l’exposition: On a retrouvé le trésor du San-Diego, AFAA et M, Seuil. M. CAVALIER, 1985, Relitto della Secca di Capistello, «Bollettino d’Arte», suppl. 29, «Archeologia Subacquea», 2, Libreria dello Stato, pp. 52-61. M. CORSI-SCIALLANO, B. LIOU, 1985, Les épaves de Tarraconaise à chargement d’am- phores Dressel 2/4, «Archaeonautica», 5, 183 p. J.-Y. COUSTEAU, 1983, Le monde des Océans, ed. Laffont, Paris, 446 p. H.-G. DELAUZE, 1993, Var, au large de Toulon, Recherche du navire La Lune, «Bilan scientifique du DRASM», Ministère de la Culture et de la Francophonie, p. 42. F. D UMAS, 1980, La mer antique, ed. France-Empire, Paris, 254 p. A. DUNOYER DE SEGONZAC, 1992, Un conquérant sous la mer, Henri-Germain Delauze, Buchet/Castel, 222 p. M. FORTE, et al., 1996, Archéologie virtuelle, le passé retrouvé, ed. Arthaud, 295 p. X. FRUCTUS, et al., 1969, Le syndrome nerveux des hautes pressions, Pub, Marseille Médical, n° 6.

377

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale B. GARDETTE, H.-G. DELAUZE, 1993, Deep hydrogen diving: Hydra 10, a 701 MSW onshore record dive, Comex, BG/cv. R185. 13/93. B. GARDETTE, 1994, Hydra Program 10 years of Comex research on hydrogen, Comex, BG/cv. R90, 17/94. D. GIBBINS, 1991, Archaeology in deep water-a preliminary view, «International Jour- nal of Nautical Archaeology», 20, 2, may, pp. 163-168. J.-P. JONCHERAY, 1972, La recherche archéologique subaquatique en France: perspecti- ves et réalisations, «Archéologia», 48, pp. 8-15. J.-P. JONCHERAY, 1975, Une épave du Bas-Empire: Dramont F, «Cahiers d’Archéolo- gie Subaquatique», 4, pp. 92-140. J.-P. JONCHERAY, 1976, Au sujet des amphores grecques au large de Boulouris, Nou- velle typologie du type massaliète, «Cahiers d’Archéologie Subaquatique», 5, pp. 51-57. M. L’HOUR, 1993a, La Sainte Dorothéa (1693), un vaisseau marchand en rade de Villefranche: Réflexion sur une fouille sous-marine de site profond, «Cahiers d’Archéologie Subaquatique», 11, 1993, pp. 5-36. M. L’HOUR, 1993b, The wreck of danish merchant ship: The Sainte Dorothéa, 1693, «International Journal of Nautical Archaeology», 22, 4, pp. 305-322. B. LIOU, 1973, Informations archéologiques, Recherches sous-marines, «Gallia», 31, pp. 571-608. B. LIOU, 1975, Informations archéologiques, Recherches sous-marines, «Gallia», 33, pp. 571-605. B. LIOU, 1982, Informations archéologiques, Recherches sous-marines, «Gallia», 40, 2, pp. 437-454. R. LEQUÉMENT, 1976, Une épave du Bas-Empire dans la Baie de Pampelonne (presquîle de Saint-Tropez), «Revue Archéologique de Narbonnaise», 9, pp. 177-188. L. LONG, 1987, L’épave antique Bénat 4, expertise archéologique d’un talus d’amphores à grande profondeur, «Cahiers d’Archéologie Subaquatique», 6, pp. 99-108. L. LONG, 1988, L’épave antique des Basses de Can (Var), Nouvelle expertise archéolo- gique à l’aide d’un sous-marin, «Cahiers d’Archéologie Subaquatiques», 7, pp. 5-19. L. LONG, 1990, Amphores massaliètes: objets isolés et gisements sous-marins du litto- ral français méditerranéen, «Etudes Massaliètes 2», Les amphores de Marseille grecque, M. Bats dir., tableau p. 66. L. LONG, 1993, Pointe de Carqueiranne, La Lune (1664), «Bilan scientifique du DRASM», Ministère de la Culture et de la Francophonie, p. 42. L. LONG, 1994, Bouches du Rhône, au large de Marseille, Grotte Cosquer: mission de relevés tridimensionnels, «Bilan scientifique du DRASSM», Ministère de la Cul- ture, 1994, pp. 41-42. L. LONG, 1995, Les archéologues au bras de fer, Nouvelle approche de l’archéologie en eau profonde, dans Protection du patrimoine archéologique sous-marin en Méditerranée, 100 sites historiques d’intérêt commun méditerranéen, documents techniques V, A.M.P.H.I, publié par Atelier du Patrimoine, Ville de Marseille, mars 1995, p. 14-46. L. LONG, 1997, Inventaire des épaves de Camargue, de l’Espiguette au Grand Rhône, des cargaisons de fer antiques aux gisements du XIXème siècle, Leur contribution à l’étude du paléorivage dans Crau, Alpilles, Camargue, Actes du colloque des 18 et 19 nov. 95, Arles, pp. 59-115. L. LONG, H.-G. DELAUZE, 1996, Bouches du Rhône, au large de Marseille, L’épave Sud-Caveaux 1, une nouvelle expérience en matière d’archéologie sous-marine

378

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale profonde, «Bilan scientifique du DRASSM», Ministère de la Culture et de la Communication, pp. 84-86. L. LONG, F. RICHEZ, 1993, L’épave Grand-Congloué 4, dans Un goût d’Italie, Cérami- ques et céramistes italiens en Provence du Moyen-Age au XXème siècle, catalogue de l’exposition Argilla 93, Aubagne, pp. 93-95. L. LONG, G. VOLPE, 1995, L’archeologia delle acque profonde; Il relitto Arles 4 (Fran- cia), Un relievo fotogrammetrico a 662 m di profondità, «L’archeologo subacqueo», 2, pp. 10-11. L. LONG, G. VOLPE, 1996, Archeologia delle acque profonde, «Archeo, Attualità del Passato», XI, 7, pp. 82-89. A.-M. MCCANN, F. FREED, 1994, Deep Water Archaeology: A late-roman ship from Carthage and an ancient trade route near Sherki Bank off Northwest Sicily, «Journal of Roman Archaeology», supp. 13. A. MCKEE, 1968, History under the sea, ed. Hutchinson, Londres, 342 p. M. MURRAY, 1988, DeBraak is test subject for high-tech underwater search, «Evening Journal», 22 novembre, p. 1. A.-J. PARKER, 1992, Ancient Shipwrecks of the Mediterranean & the Roman Provin- ces, Tempus Reparatum, BAR International Series 580, Oxford, 569 p. P. P OMEY, et al., 1988, Gallia information, Recherches sous-marines, 1987-88, pp. 2- 78. A. POLLINO, 1987, L’épave des Roches d’Aurelle, «Cahiers d’Archéologie Subaquati- que», 6, pp. 25-49. C. SANTAMARIA, 1984, L’épave “H” de la Chrétienne à Saint-Raphaël (Var), «Archaeo- nautica», 4, pp. 9-52. D.G. SHOMETTE, 1988, The New Jersey Project: Robots and Ultra-Sonics in Underwater Archaeological Survey, dans Proceedings from the So- ciety for Historical Archaeology Conference, ed. J.P. Delgado, Reno, Nevada, pp. 1-6. A. TCHERNIA, 1969, Informations archéologiques, Recherches sous-marines, «Gallia», 27, pp. 465-499. A. TCHERNIA, P. POMEY, 1991, Besoins en technologie de l’archéologie sous-marine, dans Technologies sous-marines pour la recherche et le développement, fremer, Actes du colloque n° 12. G.D. WEINBERG, et al., 1965, The Antikythera Wreck reconsidered, «Transactions of the American Philosophical Society», 55, part 3. F. Z EVI, A. TCHERNIA, 1969, Amphores d’Afrique Proconsulaire au Bas-Empire, «Anti- quité Africaines», 3, pp. 173-214.

379

© 1998 Edizioni all’Insegna del Giglio s.a.s., vietata la riproduzione e qualsiasi utilizzo a scopo commerciale