Manifeste pour un Nouveau Radical La sortie de Lords Of Chaos, biopic realisee par Jonas Akerlund -ex-membre de Bathory, formation culte de la première vague de Black Metal-, retracant les elucubrations de la scène Black Metal Norvegienne au debut des annees 90, et les reactions qu'elle aura suscite au sein de la communaute Black Metal, nous amène a un constat qu'il devient difcile de nier. Bien que vivre dans le deni des limites de son propre delire soit propre a la communaute Black Metal, force est de constater que son fantasme arrive a expiration. Des debuts tumultueux retraces dans le flm, ou le Black Metal Norvegien et ses geniteurs ont cree leur propre mythe, celui-ci a ete perpetue jusqu'a l'ecoeurement. Par ses adeptes et par les artistes ayant emboite le pas aux grands noms de Mayhem, Burzum et consorts, probablement sans avoir conscience que le mythe etait caduque depuis quasiment sa creation. 27 ans après que Burzum ait tue Mayhem, les Black Metalleux.ses s'accrochent encore pour beaucoup au cadavre de leur ideal du Black Metal, qu'iels essayent de reanimer. Mort au dogmatisme musical.

L'intention originelle du Black Metal etait de proposer une musique abrasive, violente et sans concession. Porteur d'une esthetique sonore profondement lo-f, les initiateurs du genre s'inscrivaient cependant dans une tendance commune a l'epoque, celle de la recherche sur les textures sonores et d'une experimentation personnelle et inspiree. Rappelons que « A Blaze In The Northern Sky » de Darkthrone et « Loveless » de My Bloody Valentine sont sortis la meme annee et ont tous deux bouleverse la vision de ce qu'il etait possible de faire avec une formation Rock, et n'en deplaise aux puristes, l'avenement de l'hybride /Black Metal une vingtaine d'annees apres etait deja grave dans la roche. Le son du True Black Metal s'inscrit dans un contexte. Sa date d'expiration est arrivee au moment meme de sa democratisation, quand d'autres formations ont pousse sa demarche encore plus loin (Mutiilation, Xasthur, Striborg, Velvet Cacoon...). Pourtant cela fait 25 ans que des personnes s'epoumonent a decreter ce que doit etre le Black Metal et comment il doit etre fait, au prix du mepris de l'experimentation, du renouvellement des sonorites. 25 ans que les memes brandissent avec acharnement ce concept totalement passeiste de « True Black Metal », bien que quasiment de maniere spontanee, le genre s'est ouvert de lui meme. Le Black Metal est probablement l'un des sous-genre de Metal comportant le plus de ramifcations en son sein. Il en est l'un des representants les plus diversifes et eclectiques, ou se regroupent sous la meme banniere aussi bien Abruptum que Basarabian Hills, et ou se cotoient des formations aux sonorites et aux demarches radicalement opposees. Egalement, rappelons que les premiers artistes a avoir profane le sacro-saint True Black Metal sont ses createurs meme. Mayhem, Darkthrone, Ulver, Emperor ont autant pose de bases qu'ils en ont detruit. Meme en 2019, il est possible de faire un Black Metal epure et brut, sans le faire de maniere dogmatique, un peu de talent et de suite dans les idees font en general l'afaire. Malheureusement ce ne sont que rarement les porteurs de l'etendard qui rentrent dans cette categorie Peut-etre est-ce la meme l'essence du Black Metal, sa capacite a se foutre de lui meme et de ses standards. Et qui sait, si Euronymous etait toujours des notres, vers quels horizons il se serait dirige.?

L'ence phalogramme line aire de l'esprit Black Metal.

Au-dela de son puritanisme musical, la.e true black metalleux.se a egalement la sale tendance a taper du point sur la table quand il s'agit egalement de toucher au sous- texte de son genre fetiche. Deja dans les annees 2000, Wolves In The Throne Room, leurs chemises de bucherons, leur musique chargee de spiritualite un brin new age faisaient grincer des dents. Evoquer les energies mystiques de la bioregion sauvage, montagneuse et boisee de Cascadia passait visiblement moins bien que le culte des fjords et des glaciers sur fond de neo-paganisme. Le Black Metal devrait etre ce que le Black Inner Circle a defni : Satanisme, Haine, et un individualisme se rapprochement superfciellement du concept de l'ubermensch Nitzscheen. En revanche, un detail de l'histoire semble passer a la trappe. Ces valeurs et ce registre thematique, au meme titre que la demarche musicale, ont ete defni par des adolescents. Quelques adolescents de classe moyenne d'un des pays les plus riches au monde. Quelques adolescents qui, il est vrai, devaient s'ennuyer un peu dans une contree ou l’Etat Providence peinait a masquer les travers d'une societe ultra-normative, lisse et bigote. Le christianisme etoufant etait de fait un pretexte a la revolte et la perfection afchee du modele social et economique norvegien devait etre un frein a la fureur de vivre et a la fougue de la jeunesse. Il etait donc, certes naif, mais au moins coherent de provoquer par le biais du satanisme individualiste dans ce contexte. Le Black Metal et ses adeptes ont egalement de maniere inexplicable conserve une forme d'elitisme en carton pate. Soyons clair, il etait elitiste efectivement d'avoir ete initie au Black Metal en Norvege en trainant avec les cools kids de l'Inner Circle (a se demander meme si l'elitisme n'etait pas une habile strategie marketing), il etait elitiste de decouvrir le Black Metal du fond de son appartement sans lumiere et rempli de cartons de pizzas, via des cassettes audio passees sous le manteau ou du merch commande par correspondance chez Osmose Productions. Cependant, a moins d'avoir vecu sur Mars au cours des 25 dernieres annee, il ne vous aura pas echappe que quelque chose est arrive dans ce monde : l'Internet. Une fois que le partage de culture permis par cet outil a ete democratise, et que l'on avait acces a un repertoire infni depuis chez soi, la notion meme de sous-culture musicale est morte. Une œuvre, une fois accouchee, n'appartient sans doute plus a l'artiste, mais elle appartient encore moins a des personnes se masturbant sur l'histoire du Black Metal norvegien, s'inventant un elitisme sur la base d’œuvres musicales auxquelles tout le monde a acces. Aimer ses œuvres des trefonds de son ame est une excellente chose, en faire un critere d'unicite et de force ou un pretexte pour etre condescendance et elitiste n'est qu'un enieme symptome du culte du soi du bain ideologique neoliberal. Aussi subversif et dangereux se veut-il, la.e Black Metalleux.se semble ne pas avoir fait le lien entre son individualisme forcene et un monde le poussant a ce meme individualisme. Il n'est, nous l'esperons, pas a mentionner que depuis les vagues d'incendies d'Eglises, s'en prendre symboliquement au christianisme est devenu quasiment institutionnel au point de devenir un gimmick ironique. Il appartient toujours a la liberte de chacun de se retrouver dans une forme de spiritualite mais, toutes nos excuses, Satan ne fait plus peur a grand monde.

Metal Noir, le privile ge du faible ?

Il y a quelque chose d'intriguant et de fascinant au sein de la communaute Black Metal. Des qu'une polemique eclate en son sein, le discours tenu sur un objet semble en dire plus sur les personnes tenant le discours que sur l'objet lui meme. De toute l'encre qui a pu couler quand Ulver s'est mis au Trip-Hop, quand Enslaved a sorti « Isa », des larmes de haine devant le rose famboyant de l'artwork du « Sunbather » de Deafheaven, ou des rales autour la sortie de l'adaptation cinematographique de « Lords of chaos », il semble que le Black Metal ait du mal a accepter qu'on touche a l'autel deja branlant de son mythe. Si Deafheaven est plus un respectueux condense d'infuences , Post- Rock et Shoegaze, il n'en demeure pas moins qu'il contient quelque chose d'essentiellement Black Metal, aussi dilue soit-il. Autrement les fans de Black Metal ne se seraient pas senti.e.s aussi foue.e.s a sa sortie. Il est possible que le veritable probleme avec Deafheaven soit que des personnes aux cheveux courts et aux vetements passe- partout puissent faire un (Post-)Black Metal d'une violence et d'une intensite pour lesquelles un grand nombre de formations vendraient leur ame a Satan une deuxieme fois. Et pire encore que ce Black Metal accepte quelque chose d'essentiel : sa propre faiblesse et sa propre fragilite. Adolescente, sensible et probablement naive, la musique de Deafheaven et ses paroles contemplatives, nostalgiques et autobiographiques embrassent l'essence du style : l'acceptation de sa sensibilite propre. Et si « Lords Of Chaos » a oule autant d'encre, c'est pour ses aspects Teen-Crisis Movie. Et ce pour une bonne raison, le Black Metal est une musique d'adolescent en crise. La prestation de Rory Culkin dans le role d'Euronymous n'en est d'ailleurs que plus juste. Plus il se barricade derriere une agressivite et la construction de son propre mythe, plus celui-ci semble etre sur le point de s'efondrer. Est-ce cela meme qui rend le Black Metal si beau, poetique et sincere ? Qu'il ait ete genere sous l'impulsion de l'adolescence et de son tourbillon emotionnel, meme si il s'est cache derriere le masque de la haine ? Peut- etre est-il temps d'accepter l'humanite derriere une musique se voulant inhumaine, d'accepter d'etre fragile et accepter de n'etre rien.

Fuck NSBM

Meme si l'univers cree par les pionniers etait propice a une politisation a droite, que Varg Vikernes est devenu le pere ideologique de beaucoup trop de formations, le fn fond de la bassesse intellectuelle et de la faiblesse est bien celle de la.du Black Metalleux d'extreme droite. Est-il possible quand on a plus de deux reseaux de neurones connectes de penser qu'on a une quelconque subversion a proposer a soutenir une musique raciste, nationaliste ou islamophobe dans une societe engendrant du nationalisme et du repli identitaire, et structurellement raciste et islamophobe? Al-Namrood est une formation dont l'islamophobie pourrait etre justifee par le seul fait qu'iels jouent du Black Metal en Arabie Saoudite, au peril de leurs vies. Difcile de mettre cela en comparaison avec le fantasme reactionnaire du grand remplacement. Comment penser que la haine de l'autre puisse avoir une legitimite dans la guerre du seul-contre-tous-neoliberal ? Vous etes de celles.eux qui ont au moins le merite d'avoir compris que quelque chose n'allait pas, mais par manque de vision d'ensemble ou pure faiblesse, avez choisi l'ideal identitaire et la haine de la diference. Vous n'etes que l'extension radicale de ce monde putride en pretendant en etre l'ennemi. Pas etonnant d'ailleurs que le Black Metal d'extreme droite soit souvent d'une efarante mediocrite, son but etant plus politique que musical. Pire, ces formations revendiquant un extremisme Black Metal subtilisent le vaisseau musical du genre pour y infuser une ideologie, au detriment de la sincerite et de la charge emotionnelle. Les apolitiques du Black Metal, celles.eux qui se dedouanent de leur responsabilite a soutenir des formations nationalistes et activistes, celles.eux qui partent du principe que « ce n'est que de la musique », les organisations et festivals qui demandent au public de laisser de cote leurs opinions politiques «peu importe le bord» et ainsi mettent dos a dos extreme-gauche et extreme droite tout en invitant des formations dont les accointances politiques ne sont inconnues de personne... Vous etes complices de l'invasion ideologique du Black Metal par des personnes qui au-dela d'etre individuellement d'extreme droite, sont des activistes, et ont donc une action politique nuisible pour les personnes racise.e.s, queer etc... sur laquelle vous decidez de fermer les yeux. Devons-nous pour autant nous en ofusquer, le Black Metal etant une musique de blancs pour les blancs, et se faire donner des lecons sur « la necessite de faire l'impasse» par des personnes ne subissant aucune oppression systemique et quotidienne concernant leur couleur de peau est proprement insupportable. Engonce.e.s dans une fragilite blanche, etranger.ere.s a la discrimination raciale ou de genre, ces memes personnes pietinent avec mecontentement devant leur ecran des qu'un concert ou un evenement Black Metal problematique est montre du doigt, renvoye.e.s a l'inconfort du privilege blanc d'ecouter du Black Metal sans se soucier de voir sa legitimite remise en cause pour une question de race.

Conclusion

C'est ici-meme que nous devons replacer la radicalite du Black Metal, dans sa capacite a etre un blinde de combat contre le monde. Non pas avec des carburants comme l'individualisme, le nationalisme ou la haine de l'autre, mais bien au contraire avec ce qui ferait s'ecrouler ce monde : le collectif. Nous devons veiller sur nos prochain.e.s lors des concerts, qui doivent etre l'occasion pour toutes les personnes de faire l'experience de l'intensite de cette musique unique. Si radical le Black Metal doit etre, il doit etre radicalement en combat contre le racisme structurel, anti-fasciste contre une hegemonie NSBM de plus en plus inquietante et contre le totalitarisme neoliberal qui donne un terreau fertile au nationalisme. Inclusif et diversife car il a ete trop longtemps porte par des hommes blancs cisgenre, a tel point que dans le milieu, on se sente oblige.e, par un mecanisme de discrimination meliorative de rendre exceptionnel qu'un groupe comporte en son sein une femme, un.e gay, trans ou une personne de couleur. Le Black Metal doit servir a exprimer les emotions les plus acerbes et les plus intenses. La seule haine valable est la haine du capitalisme, de la civilisation et de l'hetero-cis- normativite blanche. Il doit remettre notre sensibilite et notre afectivite au centre des preoccupations dans un monde ou elles sont un aveu de faiblesse, parler des troubles mentaux epidemiques generes par le capitalisme et vomir sur la psychophobie ambiante. Diversife musicalement, tant que l'ouverture a d'autres sonorites sert a la radicalite et au jusqu'au boutisme. Il doit faire l'apologie de la laideur en opposition avec le culte de la beaute, et pietiner les injonctions normatives qui pesent sur les corps et les esprits. Il peut etre un appel a l'emeute comme un poeme autobiographique, ou un invitation a l'amour.

Le Black Metal se doit de faire l'apologie de tout ce qui met en danger ce monde a l'agonie, au point d'en devenir l'instrument meme de sa mise a mort.