100 HISTOIRES DE COUPES DU MONDE 1987 1995 2003 2011 Le grand témoin : Le grand témoin : Le grand témoin : Fabien Galthié Le grand témoin : Thierry Dussautoir 1. Le premier essai de la première coupe du Monde de 26. Comment Frederick de Klerk a sauvé la Coupe du 51. -Fidji : et Caucaunibuca se révèle au monde 76. De « Tu m'emmerdes avec ta question aux sales Rugby monde 52. Australie-Namibie en Tasmanie : 142-0, 22 essais à gosses », la Coupe du monde de Marc Lièvremont 2. La bombe Kirwan 27. Près de Prétoria, le Quinze de France est sous la haute cherche… 77. Et le Canada battit les Tonga 3. Tsimba le Lion Noir du Zimbabwe surveillance de Berbizier et s’entraîne en prison 53. France-Irlande en quarts de finale, une heure de jeu de 78. Dan Carter, grandissime dans la douleur 4. Le Genou de Bonneval 28. Le drame de Max Brito rêve 79. France Tonga, psychodrame à 5. Deux capitaines pour un coq : Duboscq . Dintrans 29. France - Ecosse, les Bleus se sauvent à la dernière 54. Bondi Beach, la belle vie bleue… 80. Quade Cooper, le Kiwi australien que la Nouvelle- 6. La révélation fidjienne minute 55. Et Ibanez part en forêt et dit qu’il stoppe sa carrière Zélande aimait haïr 7. Le vestiaire de Sydney 30. Acco se casse le bras, Galthié rappelé, Hueber écarté internationale… 81. Les Anglais balancent des nains et régalent les tabloïds 8. Les exploits de Blanco 31. Demi-finale Nouvelle-Zélande - Angleterre: Lomu 56. Et Galthié la stoppe pour de vrai en partant comme un 82. L'Irlande surprend l'Australie 9. L’hôtel Mondésir devient un phénomène planétaire voleur… 83. Les moustachus se font l'Angleterre 10. Les gouttières d’Auckland 32. Demi-finale France - Afrique du Sud: il pleuvait sur 57. la demie Australie-NZ : un modèle tactique 84. France – Galles : la plus moche des qualifications 11. Le sourire de Kirk, Dalton, Les Cavaliers et les Baby Durban ce jour là 58. Michalak avant la demie : trop vite, trop haut, pas assez 85. Quand la Nouvelle-Zélande tremble et s'en remet à Piri Blacks 33. La guerre Rupert Murdoch - Kerry Packer conduit à fort… Weepu 12. Le record des Cambé père et fils l’avènement du rugby professionnel 59. L’Angleterre, l’armée des grands pères 86. Une finale immense 13. Les montres de M. Kampf 34. Angleterre - France : une troisième place et une 60. La ½ finale France-Angle : le plan B, quel plan B 87. , quel capitaine ! troisième mi-temps d’anthologie + Sella 61. Le triomphe de Sir Woodward 88. Craig Joubert, l'infâme, chapitre 1 35. Un étrange virus frappe les All Blacks 62. La balade (ou la ballade) de Jonny (W) 36. Nelson Mandela, François Pienaar : quand le sacre des 63. la finale, quel spectacle Springboks devient un moment d’histoire 37. La montre de monsieur Bevan 2007 2015 Le grand témoin : Cédric Heymans Le grand témoin : Frédéric Michalak 1991 1999 64. Chabal a de la barbe, donc 89. Croydon, Milton Keynes : les Bleus avaient aussi perdu 65. Brian Lima, l’équarisseur et ses 5 Mondiaux au tirage au sort des hôtels Le grand témoin : Témoin : Rafael Ibanez 66. La folle épopée des 90. La croix de Saint-André 14. Sans Berbizier, Charvet et les Rapetous 38. Les grands débuts du Millenium 67. la lettre de Guy Môquet + la malédiction argentine ? 91. Le Japon bat les Springboks : coup de tonnerre à 15. L’exploit Samoan 39. Pour la première fois, 20 pays en lice (Uruguay et 68. Avant le quart, la compo de Bernie le dingue Brighton 16. Les étonnants Canadiens Espagne) 69. les maillots gris des Blacks 92. L'Angleterre humiliée chez elle 17. Menace de grève des joueurs 40. Les 5 drops de De Beer en quarts de finale Afsud- 70. Le ¼ de : le grand frisson (le haka des Bleus, 93. Les faux révoltés de Newport, Dusautoir capitaine 18. Campese fait son numéro Angleterre M.Barnes et les 2P…) abandonné 19. Les remplaçants français mis au piquet 41. L”Argentine, pour la première fois en quarts de finale 71. Dusautoir, the Dark destroyer 94. Nouvelle-Zélande – France : le quart de finale de la 20. France-Angleterre : un arbitre dans le viseur 42. Quand Galthié débarque à Seilh, avant Fidji 72. La ½ France-Ang : la cuillère de Joe Worsley… honte 21. France-Angleterre : objectif numéro un, découper 43. Castaignède le maudit, sa blessure 73. Ibanez finit sur un carton jaune… 95. Argentine – Irlande : les Pumas, le Millennium, the fields Blanco 44. L’Australie, la “machine” de Mac Queen (et son staff 74. Habana, serial marqueur of Athenry un match souvenir 22. France : après la défaite, la débâcle pléthorique) 75. Les Sud Af, blacks, blancs, boers (White ses young 96. La métamorphose de l'Argentine 23. Polémique autour du jeu restrictif des Anglais 45. France-AB, la ½, victoire de l’intelligence situationnelle boys) 97. Australie-Ecosse, Craig Joubert, l'infâme chapitre 2 24. Sur le chemin de la finale Anglais (contre l’Ecosse) et (et pas du French Flair!) 98. Australie : Cheika, le chef de bande Australiens (contre l’Irlande) se font peur 46. L’extraordinaire ½ finale de Titou Lamaison 99. Nouvelle-Zélande, Dan Carter, Richie McCaw, just 25. Les Australiens champions à l’anglaise 47. Larkham, un drop dans sa carrière : celui décisif en perfect demie 100. La finale : un chef-d’œuvre 48. John Eales, le triomphe de Mister Nobody 49. John Hart, le banni néo-zélandais… 50. Lomu, encore et toujours au sommet

RUGBY RUGBY DE DE 100 HISTOIRES 100 HISTOIRES COUPES DU8 MONDE COUPES DU9 MONDE 24 COUPE1987 DU MONDE

Le sourire de Les montres de Kirk Serge Kampf 20 juin Le XV tricolore vient de réaliser l’exploit : battre l’Australie Dès le retour en France, Serge Kampf invite Jacques chez elle, à Sydney, en demi-finale de Coupe du monde. Fouroux dans sa maison de Biviers, à côté de Grenoble Le capitaine de l’équipe la plus terrible de la Coupe Le soir de ce match historique et emballant, la délégation dans un but très précis : établir la liste de tous ceux à qui il du monde avait un sourire d’enfant. David Kirk française s’apprête à fêter la victoire dans un restaurant offrira une Patek Philippe (valeur estimée de 9 000 euros, – qui arrêtera le rugby peu de temps après sur une de luxe lorsque Guy Basquet, vice-président de la ce qui, à l’époque du rugby amateur, représente une décision personnelle, reprendra ses études à Oxford fédération et président des Barbarians, présente à Albert somme rondelette). Tous les joueurs français ayant et deviendra un chef d’entreprise de presse – souleva Ferrasse un homme aux cheveux grisonnants portant un participé à la compétition figurent bien sûr sur cette la coupe devant Albert Ferrasse dans les tribunes sobre complet bleu : Serge Kampf. Ce Grenoblois plutôt liste, mais on y trouve aussi plusieurs membres influents d’Auckland. Il était là grâce à d’innombrables concours discret est l’une des plus grosses fortunes françaises ; de la fédération, les entraîneurs, et même quelques de circonstances. À peine un an plus tôt le rugby néo- il est passionné de rugby, admire Serge Blanco et s’est journalistes. zélandais avait été frappé par un séisme. Une tournée rendu en Australie en simple supporteur avec un groupe avait été organisée pour les 30 meilleurs All Blacks, dauphinois. Même si le geste est sincère et ne comporte aucune payés en sous-main, sous le nom médiéval des Cavaliers malice, ni contrepartie, les récipiendaires se trouvent pour se rendre en Afrique du Sud, alors frappée d’un Albert Ferrasse lui propose de partager leur dîner. Une d’une certaine façon liés par ce cadeau commun. Dans boycott international dû au régime d’apartheid en invitation que l’intéressé accepte avec une joie enfantine. le petit monde ovale on parlera par la suite de « la vigueur. Le tollé avait été immense. L’image du sport À la fin du repas lorsque le trésorier de la fédération confrérie de la montre » et on attribuera, à tort, une sorte roi du pays flétrie. La fédération néo-zélandaise dut se s’avance pour payer l’addition, on lui répond : « C’est déjà d’influence occulte à Serge Kampf, lequel a simplement résoudre à suspendre tous ses joueurs internationaux réglé. » Serge Kampf vient d’accomplir son premier geste voulu remercier ceux qui, selon lui, venaient de lui faire pour deux matchs. Paradoxalement, elle permit, en de mécène du rugby français. Ce ne sera pas le dernier. le plus somptueux des cadeaux : partager pendant mettant en congé les vaches sacrées, l’émergence En attendant cela lui vaut d’être régulièrement convié à quelques heures la vie de l’équipe de France. d’une nouvelle génération. David Kirk en faisait partie. partager la vie de l’équipe. , qui parmi Ainsi, il partit en France pour la tournée d’automne de ses innombrables talents possède celui d’être un habile Néanmoins, ce geste en entraînera bien d’autres au point 1986 et connu le naufrage de Nantes où il fut humilié pickpocket, s’amuse que Serge Kampf deviendra par la puissance française, mais prit un ascendant un jour à lui dérober un des plus grands mécènes moral et intellectuel sur ses coéquipiers tout au long la montre qu’il porte du rugby français. Engagé de la tournée. Pour les sélectionneurs néo-zélandais à son poignet, une auprès des clubs de Grenoble il était pourtant hors de question de se séparer de Patek Philippe de et de Biarritz, il apportera leur talonneur historique, Andy Dalton, capitaine grand luxe. Le jeu aussi son soutien financier emblématique et grand meneur d’hommes. Il possédait plaît à Serge Kampf à de nombreux joueurs et à une autre arme en la personne de Jocks Hobbs, avocat qui, le soir du quelques clubs en difficulté. dans le civil, austère mais vigoureux flancker. Dans les banquet final de la Il deviendra également le mois qui précédèrent la Coupe du monde, Jocks Hobbs Coupe du monde, seul non-joueur nommé à un eut un accident cérébral suffisamment inquiétant pour se souvenant de cet poste de responsable des que le rugby lui soit à jamais proscrit. Restait ce vieux épisode, décroche Barbarians (vice-président). guerrier de Dalton. Lors des derniers entraînements la montre de son avant l’ouverture de la compétition, Andy Dalton se poignet pour l’offrir Au fond, de la Coupe du blessa au genou et dut laisser sa place au jeune Sean à son voisin de table : monde 1987 jusqu’à sa mort Fitzpatrick. David Kirk devint donc capitaine et demi son idole Serge en 2016, Serge Kampf sera de mêlée. Et c’est lui qui souleva pour la première fois Blanco. Ce dernier, resté un personnage aussi la coupe Webb Ellis qui récompensait les vainqueurs. grand seigneur, discret qu’incontournable du décline le cadeau en rugby français. disant : « C’est très gentil de votre part, mais nous étions quinze à jouer, je ne peux pas accepter un tel présent. »

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ment remboursés. Pas gagner des mille et des cents, juste être défrayés à la valeur de ce que nous apportions. On n’était pas innocents. On savait ce que les autres équipes avaient deman- dé et obtenu. Sauf que chez elles, le problème avait été pris en compte bien en amont. Chez nous, dialogue de sourds jusqu’à la veille du quart de finale contre l’Angleterre. Sans compter que les dirigeants étaient en campagne électorale. Lors de nos préparations à Aix-les-Bains puis à Hendaye, les prétendants Le grand témoin à la succession de “Bébert” ont défilé. On a vu Jean Fabre, 1991 Marcel Martin et même Bernard Lapasset me semble-t-il. Cha- cun avec ses promesses pour le futur. Nous, ce qu’on voulait, c’était régler cette histoire et passer au jeu. En fait tout s’est Serge Blanco terminé quand Albert Ferrasse, aussi agacé par les promesses de ses possibles successeurs que par nos revendications, est arrivé en nous disant : “Bon, si vous n’êtes pas contents, j’en appelle quinze autres et ils jouent à votre place.” C’était la mé- Curieusement, je me souviens davantage des cou- thode Ferrasse et elle a marché, mais le mal était fait. Il a fallu lisses de cette Coupe du monde que de ce match que Serge Kampf passe par là. Il a payé de sa poche après la dont on me parle sans arrêt : le quart du finale contre les An- Coupe du monde. C’est comme ça qu’on est partis glais« qui nous sort de la compétition. En fait, tout était dit dès pour le match contre les Anglais. Et que j’ai le début. Les Anglais avaient décidé de me hacher. On l’a appris joué pour la dernière fois en bleu ce plus tard officiellement mais sur le terrain je l’ai su en direct. Je quart de finale au Parc des reprends un ballon devant l’en-but pour un arrêt de volée. L’ai- Princes. » lier Nigel Heslop vient m’exploser dix secondes plus tard. Je lui donne un coup de poing. Pénalité pour les Anglais. Et l’arbitre me prévient : “Prochaine fois je vous sors.” Bref autant dire que c’était plié.

Mais ce n’est pas ça qui m’a marqué. C’est toute la prépa- ration de cette Coupe du monde. J’étais capitaine. On sortait d’une période plutôt agitée pour ne pas parler de crise de pou- voir. Pierre Berbizier et , deux joueurs impor- tants, étaient restés à la maison. La fédération allait changer de mains. C’était la fin de l’ère Ferrasse. Nous, sur le terrain, on savait combien cette Coupe du monde allait rapporter. Autant on était partis insouciants, quatre ans plus tôt en Nouvelle-Zé- lande, sans savoir quelle serait l’indemnité journalière – si bien que quand tu avais passé deux coups de fil à ta femme et à tes parents c’est toi qui devais de l’argent – là, on voulait être juste-

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L’orage et les larmes de Durban 17 juin

Dans l’histoire de la Coupe du monde le destin d’un match a-t-il été plus dépendant des décisions arbitrales que cette demi-finale entre la France et l’Afrique du Sud le 17 juin 1995 à Durban ? Il y eut bien sûr d’autres polémiques comme le quart de finale de Cardiff en 2007 entre les Bleus et les All Blacks. Ou encore quatre ans plus tard, à Auckland, cette finale que Thierry Dusautoir et ses camarades furent si près de ravir aux Néo-Zélandais.

Mais ces deux rencontres n’ont pas laissé la même impression de déni de justice et le sentiment d’avoir assisté à une pièce dont le dénouement a été par avance écrit dans les coulisses, dicté par des intérêts qui ne relèvent pas de la morale sportive.

Tout fut hors norme ce jour-là. L’orage qui s’abattit sur Durban pour commencer. Il fait beau en juin sur la côte du Kwazulu Natal. Une semaine plus tôt, c’est sous le soleil que Philippe Saint- André et ses camarades ont éliminé les Irlandais. Mais en ce début d’après-midi, le ciel se noircit brusquement. C’est un déluge qui tombe sur le stade de Kings Park. La pelouse est gorgée d’eau, dangereuse. L’arbitre Derek Bevan repousse le coup d’envoi une première fois d’une heure. Toutes les solutions sont envisagées pour que la rencontre puisse être disputée. Une brigade de femmes armées de balais et de serpillières s’attelle à la tâche. Mais la pluie continue de tomber et le coup d’envoi est de nouveau retardé. Dans les vestiaires, les joueurs français patientent, boivent du café, s’échauffent à nouveau. « Trois fois on s’est préparés à sortir, et trois fois il a fallu faire redescendre la cocotte-minute », se souvient Saint-André.

Ce que le capitaine des Bleus et Pierre Berbizier ignorent, c’est que si le match ne peut être disputé, la France est qualifiée. Pourquoi ? Parce que les Springboks ont été pénalisés d’un carton rouge lors des matchs de poules. Mais Bernard Lapasset, qui préside l’International Board en même temps que la fédération française, ne les a pas prévenus de ce point de règlement et les Français acceptent de jouer malgré les conditions apocalyptiques.

Le début de match est à l’avantage des Springboks qui se détachent grâce à la botte de Joël Stransky et M. Bevan accorde un essai à Ruben Kruger qui semble coincé dans l’en-but par les avants français. L’arbitre gallois n’a pas hésité un instant. Des années plus tard, le troisième ligne aile avouera qu’il n’avait pas aplati le ballon.

En seconde mi-temps, les Bleus refont peu à peu leur retard grâce à et Émile Ntamack se voit refuser un essai pour un en-avant que M. Bevan est le seul à avoir vu. Les Français ne sont plus distancés que de quatre points (19-15) quand, à la 77e minute, à la réception d’une chandelle, Abdel Benazzi est stoppé devant l’en-but. Le troisième ligne agenais a-t-il posé le ballon sur la ligne. Lui a-t-il manqué une dizaine de centimètres pour marquer l’essai ? L’arbitre gallois n’a pas hésité un instant pour le refuser. Les Français vont réinvestir le camp sud-africain et hériter d’une succession de mêlées à cinq mètres de la ligne. Le pack des Boks se met à la faute. Et alors qu’il reste quatre minutes d’arrêt de jeu à disputer, Derek Bevan donne un dernier coup de sifflet. C’en est fini des rêves des Bleus.

« Je n’ai jamais ressenti autant de détresse que dans ce vestiaire après la rencontre », confie Saint- André. « Nous nous étions programmés pour gagner cette Coupe du monde. Je nous revois encore le jour de la finale, dans la tribune derrière les poteaux. Je me souviens que des joueurs pleuraient. Moi aussi, j’avais les larmes aux yeux. Quelle qu’ait été l’importance de cette finale pour l’Afrique du Sud, c’est nous qui aurions dû la jouer. »

47 COUPE1995 DU MONDE 128 COUPE2015 DU MONDE Les faux révoltés du Celtic Manor Richie McCaw, Du 11 au 17 octobre le plus grand dans l’adversité Après la défaite, le 11 octobre contre l’Irlande, qui la condamne à la deuxième place de la poule D, l’équipe de France a six jours pour préparer 20 septembre un quart de finalea priori ingagnable contre les All Blacks, champions du monde et favoris à leur propre succession. Six jours entre deux matchs au Au moment où débute cette huitième Coupe du monde, Mais avec leur capitaine, les All Blacks renversent les de Cardiff, six jours pour changer le cours du destin. Richie McCaw approche des 35 ans. Il est déjà plus ou Pumas et s’imposent (26-16). On connaît la suite : ils vont Six jours presque à huis clos au Celtic Manor de Newport, impressionnant moins considéré comme le plus grand joueur de tous marcher royalement sur Twickenham en écrasant tout – en complexe hôtelier à 30 kilomètres de la capitale galloise. Six jours pour les temps, mais ce titre honorifique peut très bien lui particulier le XV de France – sur leur passage. Au sommet convoquer l’histoire. Ce sera en vain. échapper si son équipe, archi-favorite, ne se montre pas de son art en dépit des années, dans un registre un peu à la hauteur des attentes ou si lui-même, que la presse de différent de celui de 2011 où il avait fini sur une jambe À première vue, pourtant, le parallèle avec 2007 est évident. La France son pays croit en « déclin » (comme avant le Mondial 2011, et au courage, Richie McCaw va devenir le 31 octobre se retrouve en quart de finale à Cardiff contre la Nouvelle-Zélande. On soit dit en passant) rate sa compétition. Et il se trouve que 2015 le premier homme à soulever deux fois le trophée se dit que toutes les conditions sont réunies pour un nouvel exploit : les ça commence mal. Webb Ellis comme capitaine. Et établir le jour de la finale Bleus sont en plein doute, sous le feu des critiques, comme en 2007, trois records inégalés : il est aujourd’hui encore, et de tandis que les Blacks n’ont ni beaucoup brillé ni tellement souffert en Le 20 septembre, dans le mythique stade londonien loin, l’homme qui a disputé (148) et gagné (131) le plus phase de poule, comme en 2007. Il n’y a plus qu’à avoir le même sursaut de Wembley, 89 019 spectateurs assistent à l’entrée de matchs internationaux de rugby, et celui qui compte d’orgueil, trouver les ressorts qui ont autorisé ce moment de grâce huit en lice des tenants du titre néo-zélandais face à une plus de capitanats à ce niveau (110). À l’instant où il tire sa ans plus tôt, et tant d’autres pages glorieuses d’un rugby français qui a ambitieuse Argentine : le record d’affluence pour un révérence, le doute n’est plus permis : il est le plus grand. nourri sa légende de révoltes collectives. match international de rugby, qui datait de la finale de la Coupe du monde 2003, est battu1. Et ces tribunes Une « révolte », une « rébellion », de la « colère », c’est ce que le public exceptionnellement garnies huent bientôt Richie McCaw ! attend des joueurs, c’est ce dont parlent toute la semaine les grands anciens dans les colonnes des journaux, c’est le mot que Philippe Saint- Car le flanker côté ouvert le plus sulfureux du monde, André et ses joueurs servent quotidiennement en conférence de presse. l’homme qui s’est fait un nom en flirtant avec les limites Mais très vite, on sent que tout cela est du chiqué. Qu’au fond, ces Bleus de la règle pour devenir l’empereur du jeu au sol, se n’y croient pas eux-mêmes. Thierry Dusautoir, en personne, celui qui fut rend coupable à la 30e minute la révélation du quart de 2007 et le visage serein de la (vraie) révolte de d’un croc-en-jambe sur Juan 2011, a fait un méchant lapsus au soir de la défaite contre l’Irlande : « Il Martin Fernandez Lobbe et nous reste un match à jouer. » écope d’un carton jaune, le troisième seulement en « Titi » a peut-être compris le premier qu’il finirait ce Mondial en capitaine 143 matchs internationaux… abandonné, alors que, quatre ans plus tôt en Nouvelle-Zélande, il Geste d’agacement inhabituel. s’était trouvé des lieutenants dès le lendemain de la défaite face aux Est-il fébrile ? Est-il fini ? Tonga. Là, le lundi, les joueurs, laissés au repos, gèrent séparément leur L’intransigeance de l’arbitre, un récupération, tandis que le capitaine fait un aller-retour protocolaire certain Wayne Barnes (voir le au palais de Buckingham. En coulisses, Mathieu Bastareaud pique une quart de finale de 2007), et les colère. Elle ne se propage pas. Le mercredi, Sud Ouest titre : « S’il y a sifflets du public lorsqu’il sort dix une révolte, elle est bien cachée. » En dehors d’une conférence de presse minutes annoncent en tout cas la piquante de , le jeudi, on n’observe rien de comparable couleur : contrairement à 2011, avec la rage des joueurs lors des deux dernières éditions. À l’image de cette fois, Richie McCaw va jouer leur sélectionneur Philippe Saint-André, les joueurs récitent un discours en terrain hostile. À son retour pragmatique aux faux airs de méthode Coué. Ils n’ont pas tant le mors sur le terrain, son équipe est aux dents que la mort dans l’âme. Comme s’ils savaient déjà ce qui les menée au score et on s’interroge attend le samedi soir… un instant…

1. Le record sera porté à 89 267 une semaine plus tard lors d’un Irlande-Roumanie disputé dans le même stade.

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Et Craig Joubert s’est encore trompé La métamorphose 18 octobre à confirmer de l’Argentine Dans la carrière de Craig Joubert, l’arbitrage de la finale 25 octobre Nouvelle-Zélande-France en 2011, ponctué de tellement de décisions favorables aux All Blacks, avait laissé une Ce 25 octobre 2015 à Twickenham, devant plus de tache mais le longiligne Sud-Africain gardait une bonne 80 000 spectateurs, l’équipe d’Argentine de Daniel Hourcade réputation aux yeux du grand public… Jusqu’à cette fin s’incline contre l’Australie (15-29), après être restée à portée d’après-midi du 18 octobre 2015. d’essai jusqu’à la 70e minute. C’est la deuxième fois dans l’histoire que les Pumas se sont glissés dans le dernier carré de la Coupe du Il ne reste que deux minutes à jouer et l’Écosse mène monde, mais quelque chose a changé depuis la belle aventure de 34 à 32 dans ce quart de finale épique quand Joubert la génération 2007. accorde une pénalité aux Wallabies à 25 mètres à droite des poteaux. La faute sifflée – un ballon repris en position Cette fois, leur présence à ce niveau de la compétition relève de hors-jeu par Josh Strauss – n’a rien d’évident. Les moins de l’épopée romantique que de la logique sportive et c’est joueurs écossais protestent et réclament au contraire un bien l’un des faits majeurs de cette huitième Coupe du monde. Ils en-avant australien. Tandis que les sifflets montent dans livrent des matchs équilibrés contre les All Blacks et les Wallabies, les tribunes de Twickenham, l’ouvreur australien Bernard puis en petite finale contre l’Afrique du Sud, leur quart de finale Foley réussit la pénalité de la victoire. contre l’Irlande restera l’un des plus beaux matchs de ce Mondial et le demi d’ouverture Nicolas Sanchez finit meilleur réalisateur du Mais c’est ce qui va se passer au coup de sifflet final tournoi avec ses 97 points. qui restera le plus marquant. Sans saluer les joueurs et les entraîneurs, Joubert s’enfuit en courant vers le Depuis 2011, un palier a été franchi : l’entrée dans le Tri Nations couloir des vestiaires, accompagné par une énorme en 2012, qui est alors devenu le Rugby Championship, a changé bronca. « Je voulais éviter un incident, une confrontation », la donne. Les meilleurs joueurs argentins sont revenus au pays et se justifiera-t-il. Le lendemain, reconnaîtra le rugby argentin s’est structuré autour de son équipe nationale dans un communiqué que Joubert s’est trompé en et d’un projet de franchise professionnelle qui disputera le Super accordant cette pénalité aux Australiens. Ce désaveu est Rugby la saison suivante. La confrontation régulière avec les sans précédent. Mais il n’offre qu’une maigre consolation trois grandes Nations du Sud a eu son effet et plus personne ne aux Écossais. s’étonne de retrouver les Argentins aux côtés des Néo-Zélandais, Australiens et Sud-Africains en demi-finale à Londres.

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