LL’’OORRIIGGIINNEE DDEE MMAARRTTEELL

1 MARGUERITE GUÉLY

2 LL’’OORRIIGGIINNEE DDEE MMAARRTTEELL

I- La tradition orale

Dans quelle mesure peut-on se fier aux traditions orales, celles que des générations de paysans se sont transmises, et que recouvrent-elles exactement ? Peut-on d’abord en dater l’origine et la provenance ? S’agit-il de contes, de légendes ou bien de faits historiques plus ou moins transformés ? A- Traditions sur les gallo-romains Dans les campagnes françaises, il n’y a aucune tradition orale concernant les Gaulois ou les Romains. En revanche, à trois reprises, au moment des travaux sur (le Puy d’Issolud), des érudits ont parcouru les campagnes autour de ce site. Au XVIIe siècle, les spécialistes de la question étaient la famille de la Serre, l’érudit Justel et l’érudit Baluze, à qui il faut ajouter des chanoines de et de Tulle. Ils voulaient prouver que la bataille s’était déroulée là, et qu’il y avait donc des monnaies romaines dans la zone. C’est vrai qu’à force de prospecter et de pousser leurs paysans à chercher, ils en ont trouvées, les ont montrées au jeune vicomte Frédéric Maurice de La Tour qui passait par-là. Nécessairement pour intéresser les paysans, ils leur ont raconté la guerre des Gaules et la dernière bataille d’Uxellodunum. Le fait s’est reproduit lors des fouilles de 1862, faites par Cessac au temps de Napoléon III. Enfin, lors des très longues fouilles de Laurent Bruzy vers 1920-1930. Tout cela fait, qu’à trois reprises, les paysans du secteur ont entendu parler des Gaulois et des Romains, et ont brodé largement sur ce thème. Ajoutons à cela, que les instituteurs, à partir de 1885, documentaient abondamment les enfants, sur le thème de « Nos ancêtres, les Gaulois ». Or, livrés à eux-mêmes et sans documentation, les paysans du Sud Ouest appellent les monnaies gauloises des pièces « sarrazines » et les tumulus préhistoriques des « tombeaux de géants ».

3 B-Traditions concernant les siècles obscurs allant de 500 à 1000 Là, l’origine des histoires est à chercher dans l’Église (moines et curés). Les abbayes y ont une large part. Pour expliquer l’ancienneté de leur fondation et la perte des archives concernant leurs origines, les moines ont fabriqué de fausses chartes qui énumèrent les personnages prestigieux qui leur ont fait des dons. Ils ont aussi écrit des chroniques pour expliquer leurs malheurs. Invariablement, les deux ennemis désignés étaient les Sarrasins et les Normands. Naturellement ces traditions reposaient sur un fond de vérité. Sarrasins et Normands ont réellement envahi le territoire à plusieurs reprises en commettant des dégâts. Ce genre d’histoire ne devait circuler qu’auprès d’un public citadin et les chansons de geste en sont des échos affaiblis. Le long des chemins de pèlerinage et particulièrement le long du chemin de St Jacques « matamore », les histoires concernant les Normands et surtout les Sarrasins, ont une particulière fortune, notamment celles concernant Roland. Roland Cet obscur général breton, tué dans un combat d’arrière-garde par les basques est devenu, grâce à la tradition orale, un neveu de Charlemagne, tué par les Sarrasins. Les épées de Roland, les pas de Roland marqués dans la pierre, sont innombrables. Dans la région, l’épée de Roland qui se trouvait à , fait partie de cette tradition. Charles Martel Pour Charles Martel, c’est plus compliqué. Il ne semble pas qu’il ait atteint la notoriété de Roland, comme pourfendeur de Sarrasins, bien que lui, il les ait réellement rencontrés à Poitiers, et plus tard à Narbonne entre 732 et 735. Dans notre région, ce sont les moines de Tulle qui lancent Charles Martel. Ils expliquent que leur abbaye est très vieille, que ses biens ont été usurpés ensuite par des seigneurs, et qu’en 930, un puissant seigneur appelé Ademar des Échelles, voulant se repentir, leur a rendu ce qui leur avait été volé. L’érudit Baluze, qui écrivait à la fin du XVIIe siècle, prétend qu’un a eul de cet Adémar, qu’il ne nomme pas, aurait reçu après 732 de Charles Martel, les biens de l’abbaye de Tulle en récompense de services rendus. (Il y a cependant 200 ans entre cet a eul et Adémar) La thèse est séduisante, parce qu’elle permet de vieillir considérablement l’abbaye de Tulle, et d’autre part, d’expliquer le repentir d’Adémar, qui donne un nombre considérable de biens dans le Limousin et le aux abbayes de Beaulieu et de Tulle. Les moines de Tulle désiraient montrer qu’ils étaient installés depuis très longtemps au Quercy (spécialement à , Rocamadour, Floirac, etc.) parce qu’ils étaient en bisbille avec des abbayes quercynoises concurrentes : Marcillac pour Rocamadour et Souillac pour le Causse de Martel. Cependant, ils ne sont pas responsables de la tradition Charles Martel, combat- tant en Quercy. Nous avons perdu les cartulaires de Souillac et de l’évêque de Cahors, ce qui est dommage, car nous verrions peut-être, qu’eux aussi, avaient cherché à vieillir leurs possessions. Souillac, fondé vers 930 par l’abbaye d’, se prétendait fondée en 632 par St Éloi. Naturellement, entre 632 et 900, Sarrasins et Normands étaient passés par-là pour tout détruire.

4 Les premiers à faire le lien, entre Martel et Charles Martel sont, pour le grand public, Guyon de Malleville (les esbats du Quercy)-vers 1600, et pour les érudits, Jean Vidal, chancelier de l’Université de Cahors, auteur d’une histoire de Cahors (1669). 1- Guyon de Maleville cite le moine Aimoin de Fleury, qui dit que Charles Martel a passé la Loire pour aller à Bordeaux ou Blaye, soumettre la région et rétablir la paix. (Il s’agit de la guerre de Charles Martel contre Eudes, duc d’Aquitaine) 2- Guyon de Maleville dit que « Martel passe l’Oyre (724), saccage et brûle partie de l’Aquitaine, malgré Eudes en 724. Eudes fait venir à son secours contre Martel, Abdirama, gouverneur d’Espagne, conduisant environ 400 000 hommes ( ! ! !) tant combattants que mesnages. » « Qu’iceux Sarrasins firent leurs feux, rages et chemins par le Quercy il le semble de ce qu’en la terre de Lauzerte et près Cazals et ailleurs dans ledit pays, il y a des chemins nommés Cami Sarrazi » 730 « En octobre, fut défait Abdirrahamen avec ses mores prés Tours par Martel et ses Aquitains. Eudes fait encore quelques guerres contre Charles Martel, mais il y demeure tou- jours vaincu, finalement il meurt, laissant son État à ses enfants. Martel, après le décès d’Eudes, passe l’Oire, va vainqueur jusqu’à Blaye et Bordeaux. Aimoin Livre 4 chapître 53. » 3- Là, Guyon de Maleville ajoute une note personnelle et cela devient intéressant : « Vraysemblablement, Charles Martel, en ce voyage, ayant quelque victoire près du lieu où est Martel dans le Quercy vers Lochat T ou le Choc et où il y a un vieil cimetière, il donna commencement à la ville de Martel et lui imposa son nom, y fit église sous le nom de Saint- Maur, auquel lui et Théodoric avaient dévotion. » Je ne veux pas faire une critique historique de Guyon. Il est certain qu’il commet des erreurs sur le nombre des Sarrasins, la date de leur invasion, le fait qu’Eudes les a appelés, alors qu’au contraire il s’est fait écraser par eux et a demandé du secours à Charles etc. Mais son hypothèse à propos de Martel est intéressante : il connaissait bien l’endroit, et en particulier l’existence de Loupchat et du vieux cimetière de la chapelle Saulet, ou de La Lande. Mais, on peut remarquer, qu’en aucun moment, il ne parle de bataille entre les Sarrasins et Martel, mais bien d’une bataille entre Martel et les fils d’Eudes, autrement dit les Aquitains contre les Francs.

C’est Jean Vidal qui franchit le pas : « Charles Martel ayant vaincu les Sarrasins en 734-735, fit bâtir l’église de St Maur au lieu appelé depuis Martel, en souvenir de la victoire qu’il avait remporté en cet endroit. » (Abrégé de l’histoire des Évêques de Cahors 1669)

Ce n’est pas clair. Vidal veut-il dire qu’ayant battu les Sarrasins à Martel, il fait bâtir St Maur, et qu’ensuite on appelle l’endroit Martel, après sa mort ? Les victoires de 734-735 ont lieu d’ailleurs en Languedoc à Narbonne, et non en Aquitaine.

L’abbé Marche, qui a écrit une horrible histoire de la vicomté de Turenne, que l’on continue à rééditer par paresse, brode sur Vidal « En poursuivant les débris de leur armée, il arriva jusqu’à Martel, où il leur aurait livré plusieurs combats meurtriers et décisifs. »

5 (Vicomté de Turenne 1880. Craufon Tulle) Il ajoute « Nous donnerons là-dessus des renseignements détaillés, qui ont échappé à l’histoire ( !) et qu’a bien voulu nous fournir un sincère et très digne prêtre de l’endroit, l’abbé

L’itinéraire des Sarrazins

Larnaudie, après avoir consulté la tradition orale et exploré lui-même les lieux qui lui étaient désignés. » Là dessus, il se lance dans une description topographique : « Arrivés par Turenne, ils se dirigent vers l’Hôpital saint Jean. (moi, j’aurai dit : arrivés par Brive, ils se dirigent vers l’Hôpital-Saint Jean.) Ils se tiennent sur les hauteurs, puis s’engagent dans le défilé formé par le ruisseau du Vignon pour y faire désaltérer leurs chevaux et leurs soldats ou pour se dérober à la vue des Francs. » (Çà, c’est imprudent : les défilés, nous savons ce que cela a coûté à Roland) Charles Martel les voit s’engager, les attend à Murlat (près du vieux château) et leur fait subir des pertes sérieuses. De nombreux ossements sont encore à cet endroit et le nom de Mara- dène qu’on donne à une vieille église, qui s’élève tout à côté veut dire le maure. Après cet exploit, et pour les empêcher de se reformer, le lendemain, il livre une bataille à Combe Sangui, près de Louchat, d’où le nom du village de la Maurétie ( Le maure tué) « Les musulmans descendent alors dans la magnifique plaine de Condat » (c’est-à-dire qu’ils remontent vers le Nord) et sont battus dans les marais de . Mais ils restent quand même sur place et construisent une ville appelée Mormartel. »

6 Selon lui, l’église de Maradène aurait été édifiée en souvenir de ces combats et à Barbaroux, des religieuses auraient été installées par Charles Martel qui aurait fondé le prieuré. Donc, vers 1880, l’abbé Larnaudie arpente le terrain et attribue, en stratège, tel ou tel lieu à la bataille. Enfin, dans les années 1950, je pense, un personnage pittoresque appelé Gussy Lherm écrit un opuscule étrange intitulé « La bataille de Martel », développant la thèse de l’abbé Larnaudie. Il devait connaître la région, car il y a une intéressante photo de Barbaroux (tas de pierres) et une cheminée à signes cabalistiques qui se trouve près de Catus ( ?) Pour lui, le nom de Loutcha veut dire Piloups ? Il donne de plus en plus de détails précis. « Abderame est retranché à Chireygeol » (je rappelle qu’il est mort à Poitiers). « Les femmes et enfants pris en otages sont écorchés pour effrayer les guerriers de Charles Martel » (que Gussy Lherm appelle des Gaulois ! ! !). « La Bataille se livre avec des double grappins qui happent le fantassin gaulois et avec des cognées. Charles Martel arrache un marteau à une selle de sarrasin et abat à coups de Mortel ses ennemis. » Enfin, lors de la descente dans la combe boisée de Combe Sangui ou Chongui. « 500 Gaulois restent sur le carreau, enterrés sous un tumulus, à Combe Sangui. Finalement, une compagnie d’éclaireurs gaulois voit les 100 arabes à cheval restants, chercher à s’échapper. Ils descendent au pas de charge en criant « Lo mort oï chi» (La Morétie ! !) De 4 000 chevaux, les arabes sont descendus à 100. Ils se précipitent du haut de la falaise de Sangou. (Ce qui veut dire chongoua (chon : sang ; goua : boudin) ( ! !) Les 4 000 cavaliers (encore ?) sont finalement enlisés dans les marais de Cavagnac. » Bien entendu, il n’y a pas à discuter de la vraisemblance de ces récits, mais plutôt de leur origine et du pourquoi de leurs détails. Lorsque nous sommes arrivés en 1962 à Martel, où nous avions acheté le moulin de Murel, j’ai été frappée par le grand nombre d’histoires à caractère historique ou pseudo historique, qu’on nous racontait pour expliquer les noms de lieux ou certains détails de relief. Cela confinait, la plupart du temps, aux calembours farceurs comme St Michel de Bannières (5 miches et 2 bannières), La Morétie (La mort ici). Or, les gens de la campagne, connaissent assez bien, ou en tout cas connaissaient assez bien l’occitan, pour savoir que Combe Sangui veut dire la combe des cornouillers, la Morétie, le village de Moret et Barbaroux le bois barré ou fermé. Mara- denou (et non Maradène) a été nommé par les moines de Maradène à Vegennes, qui avaient là une annexe, et on pense que Maradène était le Mas-Ladenus, du nom d’un prêtre qui fit des donations à Beaulieu. L’histoire de la ville disparue de Malmartel, dans le marais de Cavagnac a été, selon les histoires, attribuée aux Gaulois, aux Sarrasins, et sa disparition à la mauvaise conduite des habitants, comme à Sodome. Il est probable que cette fixation, sur une zone topographique assez limitée, a ses raisons. J’aurai tendance à les faire remonter au repeuplement d’après la guerre de Cent Ans. Tout un chacun a remarqué l’abondance de grottes des Anglais et de maisons des Anglais ça et là. Pour la zone qui nous intéresse, il y avait le « vieux château », c’est à dire les tours du doyen, de Souillac, situé à Murlat, que les gens de Martel ont détruites en 1373. Il n’y a pas d’ossements car le sol est trop léger mais nombre de tessons de poterie et de moellons brûlés sur la pente du ruisseau. Les souvenirs d’une bataille,

7 déformée par les nouveaux arrivants, qui, comme nous, n’étaient pas originaires du pays, ont dû stimuler les imaginations ; Mais l’explication la plus récente est sans doute plus simple. Les curés de la fin du XIXe siècle étaient des érudits. Ils lisaient encore le latin, étaient membres des sociétés savantes qui se sont créées dans la région après 1870 et ont écrit beaucoup d’articles. Je ne veux pas être vexante, mais leur technique sur le plan historique est nulle. Ils acceptent, sans l’ombre d’un doute, n’importe quelle charte, n’importe quelle chronique. Ils sont dotés d’une bonne imagination, ils parcourent leurs paroisses et interrogent leurs ouailles, qui pour leur faire plaisir (ou pour se moquer d’eux, car dans le Quercy on ne manque pas d’esprit de dérision) leur fournissent maints détails supplémentaires. Enfin, serais-je tentée de dire, le chanoine Albe vint. La véritable histoire du Haut Quercy peut commencer. Mon seul regret est qu’il n’ait pu suffire à la tâche, et faire l’histoire des paroisses qu’il avait mise en fiches. Mais il était plus souvent à Rome, aux archives vaticanes et à Londres, aux archives de la Tour, pour avoir le loisir de rédiger. Son époque (début XXe siècle) est émaillée de controverses féroces : controverses sur l’authenticité des chartes de Tulle et de Beaulieu., controverses sur l’antiquité de Rocamadour, sur l’apostolicité de saint Martial, controverse interminable sur l’empla- cement d’Uxellodunum. C’est dire si les textes et les traditions sont douteux !

Vers 1900, après les curés, les instituteurs se mettent à leur tour à faire de l’histoire. Leur obsession, c’est la féodalité, les « crimes » des templiers, les rois cruels et « nos ancêtres les Gaulois ». En commun avec les curés, ils ont une grande foi dans ce qui est écrit, et un grand désir d’expliquer les choses inexplicables. Dans la région, curés et instituteurs, vont s’attaquer principalement aux pierres levées (les rares qui restent), aux dolmens et aux tumulus, qu’ils attribuent aux Gaulois. La proximité d’Uxellodunum explique cela. Depuis toujours, les paysans les ont repérés, les appelant « tombeau de l’homme mort », « tombe des géants », quand ce n’est pas « tombe des Anglais ». Ils en ont éventré la plupart, à la recherche d’un trésor. Quand on repasse derrière eux on ne trouve effectivement que des débris d’ossements et de poterie, le reste s’il y en avait, ayant été perdu ou dispersé. Instituteurs et curés emmènent dans leurs promenades d’investigation, les enfants du pays, et leur racontent maintes histoires sur leur origine. Tout cela va donner naissance à des récits, de plus en plus étoffés et de plus en plus raisonnés. Le plus amusant, c’est que les gens de Martel, malgré la prudence de Ramet et du chanoine Serrurier Dubois, auteurs d’histoires de la ville, acceptent sans discussion, et même avec plaisir, la fondation de la ville par Charles Martel.

8 Les voies antiques

Martel

Souillac

9 Comment douter, lorsqu’on apprend, dans Vidal, que Charles Martel a construit l’église de Saint-Maur « dans un lieu appelé Maur », puis un « monastère pour cénobites » puis une autre église pour les cénobites en question « avec de bonnes préclôtures » puis une villa fortifiée pour lui, qu’il habita quelque temps. Histoire détaillée, reprise par Glück dans le « illustré », et qui proviendrait d’une « chronique manuscrite disparue conservée dans les archives de la commune », chronique disparue depuis longtemps. C’est seulement lors de la controverse, toute récente et purement politique, que les habitants de Martel sentent le besoin de se faire préciser leurs origines, et se décident à faire appel à l’histoire véritable, c’est-à-dire aux sources écrites fiables, pour tenter de comprendre leur passé. En ce sens, il faut être reconnaissant aux deux camps antagonistes qui ont réveillé les paresseux, secoué l’inertie de la municipalité, et obligé tout le monde à s’informer. Qu’est-ce qu’on peut retenir de la tradition locale ? Qu’est-ce qu’on peut accepter ou non, suivant les sources historiques ?

II- LES SOURCES HISTORIQUES A- Le passage des Sarrasins On peut admettre raisonnablement, qu’en 732, les Sarrasins ayant écrasé Eudes d’Aquitaine au confluent Garonne, sont ensuite remontés vers Poitiers par la Saintonge et l’Aunis mais non par le Quercy. Qu’ils aient pillé et brûlé sur leur passage, n’a rien d’impossible. Au retour, ils ont perdu leur chef, et pensent sans doute à regagner leurs bases. Charles Martel ne les a pas suivis puisque, comme on l’observe très justement, les arabes étaient à cheval et Charles Martel faisait combattre des piétons. En revanche, les Aquitains d’Eudes, écrasés à Poitiers, ne doivent pas nourrir de sentiments très tendres envers les Sarrasins. Avant que ces derniers ne soient exterminés au passage des cols par les Basques, ils ont dû les harceler, pour les obliger à refluer plus vite. Sont-ils passés alors par le Limousin et le Quercy ? C’est plausible car le vieil axe de circulation passait effectivement entre l’Hôpital-Saint-Jean qui n’existait pas encore, et Martel qui n’existait pas non plus, au dessus de l’Œil de la Doux. Ensuite, il s’agissait de passer la Dordogne en hiver. On traverse avec des bacs et il y en a plusieurs à Floirac, à Gluges, à Creysse, etc. à peu prés tous les deux kilomè- tres. Je suppose que le problème des Sarrasins est d’aller vite et de rester groupés. Ils traversent tout de même un pays peuplé d’éléments qui leur sont hostiles. Un cavalier isolé peut être attiré facilement dans une embuscade, par des paysans qui lorgnent son cheval et son équipement. Dans ces conditions, ont-ils le temps de brûler et de piller une nouvelle fois la région ? S’ils se battent du côté de Martel avec des Aquitains, (on parle de l’évêque de

10 Limoges), ça n’a rien d’impossible. Mais, en revanche, je vois mal ces Aquitains bapti- ser un village en l’honneur de Charles Martel, leur ennemi héréditaire. C’est comme si nous avions fondé en 1941 des villages en l’honneur d’Hitler. Je n’ai donc rien contre le passage possible des Sarrasins, mais beaucoup d’objections au sujet de la fondation de Martel à cette occasion. B- L’ancienneté de Martel Prenons maintenant les sources historiques locales. Ce sont les cartulaires de Beaulieu (à partir de 832), de Tulle (930), d’Aurillac (900), d’Obazine (1140). Le plus précieux et le plus ancien, est le cartulaire de Beaulieu, pour l’époque qui suit, de cent ans, l’époque de Charles Martel. Le pays est alors divisé en comtés et vicairies. Martel (qui n’existe pas) fait partie de la vicairie de Cazillac. Dans le cartulaire de Beaulieu, on cite (vicairie), Bétaille, Beyssac, Brassac (plaine de ), de nombreux lieux autour de Sarrazac, Condat, Creysse, Fargas (Saint-Martin de Farges), peut-être Fouilloux (de la commune de Martel) qui serait la tour Fouillouse, etc. Pas une seule fois, Martel n’est mentionné. Dans le cartulaire de Tulle, (Ier texte, 930), il n’y a aucune mention de Martel sauf un texte non daté, dans lequel il est dit que Martel fait partie de l’honor (c’est-à-dire de la seigneurie) de Creysse, avec Mirandol. On doit en rendre hommage à Tulle, comme faisant partie de la terre de saint Martin (de Tulle ?) Or, Creysse fait partie de la vicairie

AU TEMPS DES CAROLINGIENS VICAIRIES et ARCHIPRÊTÉS

vers 800

11 de Cazillac et appartient à Saint-Martin de Souillac. C’est le nommé Frotard, qui l’a donné aux moines de Souillac en 930. Le texte de Tulle doit donc dater du XIe siècle seulement, et faire partie des prétentions de cette abbaye sur le Quercy. La première mention de Martel est dans le cartulaire d’Obazine et dans l’histoire des Vicomtes de Turenne. D’un seul coup, on apprend que ce bourg existe, a ses mesures et ses marchands (1154), que le Vicomte a dû l’acheter ou l’avoir eu en héritage puisqu’il y vient et y donne une course de chevaux en 1184. Le doyen de Souillac a dû, entre 900 et 1100, y construire l’église paroissiale Sainte-Madeleine, puis, en 1150 à peu près, l’église roma- ne Saint-Maur. Simultanément, Rocamadour devient un grand pèlerinage avec la découverte du corps d’Amadour en 1166. Il est possible que le village de Sainte-Madeleine se soit appelé Martel. En tout cas, en latin dans le cartulaire de Tulle ou d’Obazine, cela donne Martellum.

C- Martel au temps des paroisses : le village de Sainte- Madeleine La première implantation d’un village, portant sans doute le nom de Martel, s’est faite autour de la place actuelle de la Rode, au carrefour d’un chemin menant du vieux village de Louchat au bac de Gluges, et de la route de Souillac à Vayrac. L’église Sainte-Madeleine, première église paroissiale, probablement fondée par l’abbaye de Souillac se dressait à l’est de ce carrefour, bordée par son cimetière. Le cercle quasi parfait qui entoure Sainte-Madeleine, et passe par la porte Pein- che, la porte des Poujols, la porte du Four Bas et la Font Saint-Maur, donne les limites de ce premier village. C’est là, que s’installent les moines d’Obazine, qui, au milieu du XIIème siècle y ont une maison en relation étroite avec leur grange de Bannières (Saint Michel) et leurs biens de Gluges. C’est là aussi, que les moines de Souillac construisent, non loin de Sainte Madeleine, une seconde église dont le patron est saint Maur et dont la construction remonte aussi au milieu du XIIe siècle. Les maisons qui entourent Saint- Maur et Sainte-Madeleine, leur plan et l’aspect sinueux des rues, témoignent de ce très ancien passé de simple village. C’est là aussi, selon le chanoine Albe, que les templiers auraient fondé « un Hôpital » qui devait se trouver dans le barry de Cap de ville, non loin de l’actuelle mai- son de retraite. Une rue du Templier témoigne de cette implantation. Je mets des guillemets à cet hôpital, car le chanoine Albe ajoute que les hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem s’étaient eux établis à la Vere Croix, et ça fait beaucoup d’ordres religieux à la fois dans les parages de 1201-1231. D’autre part, à la dissolution de l’ordre des Templiers en 1312, on ne voit pas que les hospitaliers aient récupéré des biens dans le quartier de Sainte-Madeleine. En fait d’hospitaliers, on devrait d’ailleurs dire plutôt, hospitalières.

12 Le premier village de MARTEL : Sainte-Madeleine

D- Le marché du sel À une certaine distance du village s’est installée, à une période impossible à préciser, une halte sur la route du sel qui mène de la Dordogne à l’Auvergne. Cette implantation dépend de la remontée de cette précieuse marchandise, et du lieu où on la déchargeait pour l’emmener à dos de mulet vers le Limousin ou l’Auvergne.

13 Notre connaissance du régime et du cours de la Dordogne, du type de bateau employé et, d’une manière générale, de la façon dont le commerce du sel se pratiquait, est trop incertaine pour qu’on puisse préciser l’origine du marché du sel de Martel.

Les marchés de Martel et les routes du sel et des pèlerins

À une certaine époque, on a pu remonter le sel en amont de , où se trouve le Port de Sal, d’où partent deux très vieilles routes vers le Causse de au sud et les collines de Queyssac au nord. Pendant très longtemps ensuite, on remonte les bateaux jusqu’à Gluges ou Meyronne. Enfin, Souillac s’impose comme port de déchargement, peut-être après 930, lorsque le doyenné est établi grâce à la générosité de saint Géraud, comte d’Aurillac et fondateur de l’Abbaye de cette ville. La situation de Martel comme halte entre Souillac et l’Auvergne ne s’explique pas très clairement, sinon par la présence de marchands dynamiques qui se seraient installés là plutôt qu’à Souillac même, ou avant le déchargement à Souillac, à Meyron- ne ou à Gluges. Le rôle des moines de Souillac dans ce commerce du sel est également difficile à préciser. Nous savons que le doyenné de Souillac dépendait de l’abbaye d’Aurillac et

14 devait donc servir de relais pour les marchandises transportées de ce monastère d’Au- vergne à l’Atlantique et vice-versa. Les influences auvergnates sont indéniables à Martel, en particulier sur le tympan de l’ancienne église Saint-Maur, conservé à l’inté- rieur du porche de l’église rebâtie au XVe siècle.

Mais ceci ne suffit pas à expliquer le choix de Martel par les marchands. En revanche, une explication plus logique serait la présence, à proximité de la vaste combe où se développera la ville, d’un axe important de circulation nord-sud, allant de Brive à Gramat par Creysse, et servant d’itinéraire aux marchands allant de à . Cet axe ne passe pas à Martel même. Après avoir traversé la combe du Vignon, il suit la ligne des crêtes au-dessus de Murel, parvient à proximité du Fayri et se dirige ensuite franchement vers le sud en passant à la croix de Souillac puis à Montignac. Assez vite, un embranchement s’est créé par la croix Mathieu. Il descendait vers Martel par la route dite de Brive, passait sous la vieille porte du Barry de Brive et aboutissait à la place du sel. (actuelle place Gambetta) De leur côté, les mulets porteurs de sel, venus de Souillac arrivaient par la porte de Souillac remontaient la rue de Souillac et se trouvaient sur le Monturu ou place du Dehors. Sur cet emplacement assez vaste, maintenant remblayé et transformé en boulevard ou avenue Laveyssière, avaient lieu des échanges de marchandises, le sel de l’Atlantique, les fromages d’Auvergne, les châtaignes du Limousin, la laine du Causse etc. Une autre hypothèse avancée par certains historiens et fondée essentiellement sur le nom et les armes de Martel, serait la présence d’artisans habiles, en particulier de forgerons, de maçons, et de charpentiers qui auraient à leur tour attiré des marchands, créant ainsi un ensemble urbain. Mais, comme dans l’histoire de l’œuf et de la poule, qui a attiré qui ? Si on peut comprendre facilement la présence de carriers et de tailleurs de pierres sur le Causse de Martel, celle de forgerons et de charpentiers est plus douteuse. L’ab- sence de cours d’eau, et donc de force motrice, est une caractéristique de Martel. Toutes les autres villes du Haut Quercy et du Bas Limousin sont établies au bord des rivières, à la seule exception de Gramat, et pourront développer un artisanat actif auquel la présence d’eau courante est indispensable. Ni Gramat ni Martel n’ont réussi à dévelop- per véritablement ce type d’activité.

E-La fondation de Martel Mais, au Moyen Àge, il n’y a pas de ville sans la volonté d’un seigneur ou d’un pouvoir politique quel qu’il soit, et pour que le petit village de Sainte-Madeleine d’une part, et le marché du sel d’autre part se rejoignent et forment une agglomération cernée de remparts, il a fallu une puissante protection. Martel apparaît brutalement, en pleine lumière, au milieu du XIIe siècle. Simul- tanément, on la trouve citée au cartulaire d’Obazine, et elle a déjà des mesures, signe qu’il s’agit d’un bourg marchand. Le chroniqueur Geoffroy de Vigeois, un peu plus tard, en fait le lieu de la mort d’Henri le Jeune, fils d’Henri II roi d’Angleterre. Le troubadour Bertrand de Born, la cite aussi comme ville appartenant au Vicomte de Turenne, à la même date. C’est l’époque où, nous l’avons dit, les moines de Souillac construisent l’église Saint-Maur. Enfin, c’est probablement le moment où la première enceinte est bâtie, englobant une partie de l’ancien village, et laissant le marché du sel au pied des remparts.

15 La formation de la vicomté au XIIe Turenne siècle, œuvre de Raymond II

Souillac St Céré

Pour comprendre qui est l’auteur de cette transformation en ville, car il ne s’agit pas de fondation ex nihilo comme le serait la fondation d’une bastide, il est nécessaire de rappeler quelques points de l’histoire régionale au Moyen Âge. Le chroniqueur

16 Geoffroy de Vigeois, un peu plus tard, en fait le lieu de la mort d’Henri le Jeune, fils d’Henri II roi d’Angleterre. Le troubadour Bertrand de Born, la cite aussi comme ville appartenant au Vicomte de Turenne, à la même date. C’est l’époque où, nous l’avons dit, les moines de Souillac construisent l’église Saint-Maur. Enfin, c’est probablement le moment où la première enceinte est bâtie, englobant une partie de l’ancien village, et laissant le marché du sel au pied des remparts. Pour comprendre qui est l’auteur de cette transformation en ville, car il ne s’agit pas de fondation ex nihilo comme le serait la fondation d’une bastide, il est nécessaire de rappeler quelques points de l’histoire régionale au Moyen Âge.

Vers 1100, c’est-à-dire les débuts de la ville de Martel, la région est partagée entre deux vicomtes. Le Vicomte de Turenne possède le Tornés, c’est-à-dire la région de Turenne. Le vicomte de Brassac (actuel Montvalent) possède le Sud de la Dordogne, Souillac, Creysse, et d’une manière plus générale, le bord de la Dordogne. Il est également possesseur selon certains historiens de la seigneurie de Cazillac. De laquelle de ces seigneuries dépendait Martel ? En fait, nous n’en savons rien, puisque Martel n’est jamais cité avant 1150. Selon un texte obscur déjà mentionné du cartulaire de Tulle, non daté de surcroît, Martel est à relier avec « l’honor », c’est-à-dire la seigneurie de Creysse, et dans ce cas, dépendrait du vicomte de Brassac. Les vicom- tes de Brassac qui ont aussi sont peu connus. Ils semblent avoir eu une parenté avec Frotard, vicomte de Cahors en 930.

Les vicomtes de Turenne sont plus connus. Après le glorieux Raymond Ier qui participa à la première croisade et mourut en 1120, vient son fils Boson II, mort dans une guerre féodale en 1143, et laissant un enfant posthume, Raymond II. Élevé par sa mère, Eustorgie d’Anduze, qui s’est remariée à un seigneur de Gourdon, Raymond II, a dû avoir une enfance quercynoise avec ses demi-frères de Gourdon. Ses actes politiques ne commencent qu’en 1163, lorsqu’il a 20 ans. C’est une période fort agitée de l’histoire du Quercy à cause d’Henri II roi d’Angleterre et duc d’Aquitaine grâce à sa femme Éléonor, divorcée du roi de . En 1166, lorsque Raymond II a 23 ans, se place un événement considérable dans l’histoire du pèlerinage de Rocamadour On découvre le corps de l’ermite Amadour « qui aurait été caché là au temps des Normands ». Jusque là, petit pèlerinage marial, mollement supervisé par les moines de Marcillac, Rocamadour devient aux mains de l’abbé de Tulle, oncle de Raymond II, un lieu de foi considérable presque à l’égal du Puy ou de Vézelay. Raymond II achète alors la vicomté de Brassac, complétant ainsi son avancée en Quercy puisqu’il s’était fait donner la seigneurie de Saint-Céré. Comment et quand exactement cet achat s’est-il fait, c’est difficile à dire, mais on peut supposer qu’il se place avant 1183, date à laquelle Raymond II reçoit Henri le Jeune à Martel, et fait donner en son honneur une course de chevaux dans cette ville.

Le chroniqueur Geoffroy de Vigeois relate, qu’à la fin de septembre 1178, un bourgeois appelé Jean de Césene et sa famille, ont arrêté en plein jour Raymond de Turenne, et en présence de tout le monde, l’ont conduit dans une haute tour où ils l’ont tenu enfermé jusqu’au lendemain.

17 Plusieurs barons et l’évêque de Limoges Sebrand leur promettent de leur donner ce qu’ils réclament en échange de sa liberté, mais Raymond, une fois relâché, leur fait crever les yeux.

Pour certains historiens de Martel, c’est au cours d’une révolte des habitants de Martel "à « l’occasion d’une famine » en 1178, que Jean de Cuzance, un bourgeois, aurait pris le vicomte en otage. Or, dans le texte de Geoffroy, la ville n’est pas citée et pourrait être aussi bien Brive ou Malemort et la présence de l’évêque de Limoges paraît insolite en Quercy. Ce fait, qui se serait passé plusieurs années avant le passage d’Henri le Jeune aurait l’intérêt de faire remonter l’achat de la vicomté de Brassac à une date antérieure à 1178, mais répétons le, Martel n’est pas cité. En conclusion, nous ne savons pas si c’est Guillaume, le dernier vicomte de Brassac cité en 1161-1162, ou son frère Raymond vendeur de Brassac ? cité en 1173- 1174, qui sont les « fondateurs » de la ville de Martel, ou bien s’il s’agit de Raymond II de Turenne, attesté sûrement en 1183 et beaucoup moins sûrement en 1178.

18 Les murs et les portes de Martel

19 Les marchands de Martel, riches et orgueilleux, accepteront de plus en plus difficilement cette fondation et ce patronage au cours des siècles.

Ils chercheront mille histoires pour expliquer l’antiquité de leur ville, la méchanceté des vicomtes, l’origine de leur consulat. Fiers de la protection du roi de France qui installe dans cette ville une sénéchaussée royale, ils se proclament aussi capitale de la vicomté de Turenne au grand mécontentement des autres villes de la Vicomté.

Pour nous en tenir à la réalité, que savons-nous sur ces bourgeois de Martel au XIIe siècle ?

III- MARTEL AU XIIE SIÈCLE

A- L’abbaye d’Obazine à Martel Notre meilleure source de renseignements est la vie de saint Étienne d’Obazine et le cartulaire de son abbaye. Cette abbaye cistercienne du Limousin, fondée en 1142, possédait des granges en Quercy et des biens à Martel et Gluges.

Dès 1142, Adémar de Ségur donne un jardin et une terre à Martel sur le conseil des seigneurs de Creysse, Guillaume de Cornil et son frère Pierre. Bernard de Cornil et son frère Bertrand donnent quatre setérées de terre et une rente sur une terre tenue par Pierre Gisbert. Jean Fabri de Noailhac donne trois sous de rente sur sa maison de Martel pour son fils qui se fait moine. Il est imité par Géraud de Vayrac et Géraud de Munferran. Vers 1153, on se sert des mesures de Martel à St Palavy et à Chauffour. En 1162, Guillaume, vicomte de Brassac, donne 100 sous de rente sur le mas du Breuil, dont jouit son frère. En 1167, Jean Mercier de Martel donne des rentes à Saint-Palavy. D’autres bourgeois de Martel, dont les familles sont bien connues au XIIIème siècle, ajoutent leurs témoignages lors d’autres dons. Ainsi, Étienne Fabri de Martel et Gérald Fabri en 1173, Aimeric Bailharc, Pierre de Tournemire, Jean Guillaume, Pierre Pellicier, Guillaume Vassadel, mais le plus souvent cité, sans conteste, est Pierre Girbert (1152-1177) qui figure dans 10 actes.

Tous ces personnages ont une descendance notable au cours des siècles suivants. Les Fabri sont les ancêtres des seigneurs de Mirandol. Ils ont une maison à La Faurie et bien d’autres maisons dans Martel. Les Gisbert seront monétaires du vicom- te ; leur maison se trouvait dans la rue droite. Les Bailharc ont de nombreuses rentes sur des maisons de Martel. Leur maison de la Bessonnière est voisine de celle des Vassadel et se trouve en bordure des vieux

20 murs. Ils l’ont acheté aux Bovis. Une autre maison appelée la Rousselle leur appartient aussi. Les Tournemire sont d’assez puissants bourgeois pour marier une de leurs filles au seigneur de Cazillac au début du XIVe siècle. Ils occupent deux maisons en bordure des vieux murs, sous la grosse tour dite de Cazillac, puis de Tournemire, au nord de la ville. Les Guillaume seront consuls au XIIIe siècle ? Ils habitent une maison dite la Guillaumie. Pierre Pélissier est de la famille ou peut-être même ce troubadour dont on nous dit « Pierre Pélissier était de Martel, bourg du Vicomte de Turenne. C’était un bourgeois, vaillant, preux, libéral et courtois ; Il acquit tant de considération, par son mérite et par son esprit, que le Vicomte le fit bayle de toute sa terre. » Pierre Pélissier prêtait de l’argent au Dauphin d’Auvergne, lorsqu’il venait courtiser la sœur du Vicomte, Na Comtor. Mais quand il voulut se faire rembourser, le Dauphin ne voulut pas le payer et cessa alors de venir voir sa dame.(Na Comtor, l’une des trois filles de Raymond II, a épousé Élie de Comborn mort en 1187. Le Dauphin a cessé de la voir à cette époque) La maison des Vassadel est voisine de celle des Bailharc et de l’hôtel de Ségur. Pendant la guerre de Cent Ans, les dames de l’Hôpital s’y installeront. Les Ségur ont donné leur nom à un barry ou quartier, dit de la Ségurie, proche de la maison d’Obazine. Les ont vécu à Martel jusqu’à la Révolution. L’une de leurs maisons se trouvait sur la place du Dedans, contre la maison des Consuls.

Le village de Sainte- Madeleine

21 Les Mercier, peut-être originaires de Saint-Palavy sont notaires au XIVe siècle.

L’un de ces bourgeois a dû être le personnage auquel fait allusion « la vie de saint Étienne d’Obazine » (mort en 1159) Il y avait deux hommes de la bourgade de Martel, un prêtre et un laïque qui possédaient ensemble 40 muids de grains en vrac. Comme il y avait disette en Limou- sin, l’abbé Étienne va à Martel, retient la réserve et la fait envoyer à son monastère. Bien qu’elle ait été entreposée dans de mauvaises conditions, cette réserve se multiplie et semble inépuisable. Mais l’abbé doit la payer. Il hésite à se rendre à Martel car il redoute ses créanciers, surtout l’un d’eux qui était cupide, avare, dur, cruel et inhu- main. Il se rend à l’église et y célèbre la messe. Apprenant sa venue, tout le monde accourt vers lui, et surtout le créancier qui réclame son argent, celui du prêtre, et parle d’intérêts. Étienne lui dit qu’il n’a rien et le miracle se produit. Le créancier déclare qu’il veut qu’on lui envoie en otage tous les moines qui ont mangé du grain, afin qu’il les nourrisse jusqu’à ce qu’il ait touché tout son argent. Mais le prêtre est arrivé à son tour et n’est pas d’accord avec ce marché de dupes. Le bourgeois se charge alors de lui payer sa part et tout le monde loue Dieu d’avoir touché le cœur du créancier. A sa mort, ce créancier remet la moitié de la dette, c’est-à-dire 500 sous au monastère. L’autre moitié, il la cède à son fils et ce dernier à son tour remettra la dette, fera des dons, et assistera aux funérailles de l’abbé Étienne. Touché lui aussi, le prêtre donne quelques muids de méteil de rente aux moines.

La maison de Martel, est le théâtre d’une autre intervention d’Étienne : Près de Martel, se trouve une maison, hors des murs, destinée à l’usage des frères d’Obazine et utilement aménagée pour l’achat et la vente de marchandises. L’abbé Étienne s’y trouve, lorsque le frère chargé d’elle, commence à se plaindre de ses fortes dépenses en bois, en eau, en pain et de la peine qu’il a à se procurer ce qu’il faut pour le monastère. Pour le pain et le bois, Étienne propose l’une de ses plus proches granges qui amènera ces provisions. Pour l’eau, il remarque un endroit propre à en fournir, car dans la région, on peut entendre l’eau et ne pas la voir. Il commence à creuser et trouve l’eau. Les moines construisent alors un puits « qui existe encore de nos jours ».

L’abbaye d’Obazine avait des biens à Gluges, et c’est sans doute là que se produit un autre miracle. Sur les bords de la Dordogne, se trouvait une grange destinée autrefois à devenir abbaye : on en fait une école pour les enfants, et lors de sa construction, on rencontre, sur le côté droit de l’église, un rocher semblable à une montagne qui occupait une grande partie de l’endroit par lequel devait passer le cloître. Les frères s’efforcent de l’aplanir et de l’abaisser. L’église achevée, le prieur se rend auprès de l’abbé et demande quoi faire. Faut-il construire le cloître à gauche ? L’abbé ordonne de faire une fosse et on tente d’y pousser le rocher sans succès. Mais Étienne fait le signe de la croix et le rocher y roule. Bien que légendes pieuses, ces divers textes sont intéressants. Il est vrai qu’à Martel, l’eau est rare, mais si le bois et le pain manquent aussi, à quoi peut bien servir cette maison des frères ? Est-elle une réserve pour le vin ou pour le sel ? Nous n’en saurons pas plus.

22 Son emplacement exact pose aussi un problème. M. Guy Maynard a pensé la situer à l’emplacement de la maison de retraite, mais ces terrains n’étaient que des champs lorsqu’on y construisit un hospice au XVIIIe siècle. Elle est dite « hors les murs », dans l’épisode du puits, qui se déroule avant la mort d’Étienne en 1159. Mais s’agit-il des murs anciens qui n’englobaient que le quartier dit de l’église ou les murs neufs allant jusqu’à la Porte Peinche ? Ces murs neufs étaient-ils si anciens ? Au XIVe siècle, le barry d’Obazine où se trouve cette maison est cité à plusieurs reprises. En 1346, Hélène, femme de Guillaume Lespinasse, y possède une maison un ayrial et un jardin qui confronte la maison de la Treille. En 1364, l’abbé arrente à Pierre Roger, tout un ayrial qui confronte le jardin de la maison d’Obazine avec une muraille entre les deux, l’ayrial du tailleur Martin Monsors et le chemin de Martel à Vayrac. En 1372, Pierre de Saint-Yrieix reconnaît un jardin au territoire d’Obazine confrontant le jardin de Guillaume de Maledene, laboureur, celui Bernard Bidore ainsi que deux ayriaux confrontant la maison d’Obazine et le chemin de la croix Rampal à Martel. Gérard la Fargue a un jardin qui confronte le jardin du seigneur abbé, l’ayrial des héritiers d’Hugues Vital et le chemin de Martel à Louchapt. Martin Mulle a un jardin qui confronte la maison d’Obazine avec une muraille entre les deux et le chemin de Martel à la croix Rampal. Raymonde Peyruchague, femme de Jean Richard, reconnaît un ayrial qui con- fronte le jardin de Pierre Seguy ayant appartenu à Jean de Nabona.

Après la guerre de Cent Ans, il n’est plus fait allusion à cette maison, proba- blement ruinée par les guerres. Située dans le triangle formé par la place de la Rode, la rue des Poujols et la rue Porte Peinche, entourée alors de jardins qui sont séparées d’elle par des murs, elle a dû être vendue à des bourgeois ou à des paysans.

Marguerite GUÉLY

23 Chronique de GEOFFROY, moine de VIGEOIS, traduite par F. Bonnelye

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Limousin

Quercy

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