Pierre BOUTANG DU MÊME AUTEUR

Philosophie Ontologie du secret, P.U.F., 1973 et 1989 (« Quadrige »). La Fontaine politique, Albin Michel, 1981. Apocalypse du désir, Grasset, 1979. Reprendre le pouvoir, Sagittaire, 1978. , Archives du XX siècle, J.-M. Place, 1977. Le1972. Banquet de Platon, traduction et commentaire, Hermann, La Politique, Froissart, 1948. Sur l'Apologie de Socrate, R. Wittmann, 1946. Le Temps, Hatier, 1993. Critique Karin Pozzi ou la Quête de l'immortalité, La Différence, 1991. manichéen et visionnaire, La Différence, 1990. Art poétique Table Ronde, 1988. Le Suicide de Stravroguine dans Dostoïevski, l'Herne, 1974. William Blake, l'Herne, 1970. Préface aux Possédés de Dostoïevski, le Livre de poche, Hachette, 1967. La Satire Ménippée, dans Tableau de la littérature française, Gallimard, 1963. Commentaire sur 49 dizaines de la Délie, Gallimard, 1953. Les Abeilles de Delphes, Table Ronde, 1952. Maurras, la destinée et l'œuvre, La Différence, 1993. Romans Le Secret de René Dorlinde, Fasquelle, 1957; rééd. La Dif- férence, 1991. Quand le furet s'endort, Table Ronde, 1949; rééd. La Dif- férence, 1991. La Maison un dimanche, Table Ronde, 1947; rééd. La Dif- férence, 1991. Le Purgatoire, Sagittaire, 1976; rééd. La Différence, 1991. Pamphlets Précis de Foutriquet, Albin Michel-Hallier, 1981. La Terreur en question, Fasquelle, 1958. La République de Joinovici, Amiot-Dumont, 1948. Sartre est-il un possédé, Table Ronde, 1947. Traductions G.K. Chesterton, L'Auberge volante, L'Age d'Homme, 1990. William Blake, Chansons et Mythes, traduction et présenta- tion, collection « Orphée », La Différence, 1989. DIALOGUES George STEINER

DU MÊME AUTEUR

Anno domini, Seuil, 1966. Langage et Silence, Seuil, 1969. Le Transport de A.H., Julliard, 1981. Martin Heidegger, Albin Michel, 1981. Dans le château de Barbe-Bleue, Gallimard, 1986. Les Antigones, Gallimard, 1986. Le Sens du sens, Vrin, 1988. Après Babel, Albin Michel, 1991. Réelles Présences, Gallimard, 1991. La Mort de la tragédie, Gallimard, 1993. Épreuves, Gallimard, 1993.

© Pierre BOUTANG et George STEINER 1987/1994 © Pour la présente édition, Éditions Jean-Claude Lattès 1994 PIERRE GEORGE BOUTANG STEINER

DIALOGUES Sur le mythe d'Antigone sur le sacrifice d'Abraham

JOlattès

LIMINAIRES

Le dialogue avec George Steiner, initié dans les années quatre-vingt, com- ment pourrait-il cesser ? Il m'arrive d'imaginer qu'il se prolonge, et s'accomplit, au Purgatoire, sans que j'aie à prouver l'existence de ce lieu ultime, ni en quel sens c'est un lieu, autrement que par l'étrangeté et la pérennité de notre rencontre. Y retrouverons-nous, derechef, Antigone ? C'est par elle, du moins, que commence pour moi ce salut à George Steiner, le merveilleux ami, et le moins attendu, qui aura éclairé une plage déjà tardive de ma vie. Pour la Vierge au clair visage, pour Antigone, l'accord profond fut bien près de tourner à la querelle amère : l'édition française des Antigones est de 1986; son envoi, en octobre, me surprit, m'indigna, même : « Pour Pierre Boutang, allié, mais infidèle de Créon. » Une telle alliance, même pour une minute, m'aurait toujours fait horreur et l'infidé- lité ne l'eût pas réparée à mes yeux. Où diable, ce diable d'homme avait-il pris cela, pour me le flanquer à la figure ? Mon premier mouvement était pré- cipité; il méconnaissait une pente de Steiner à la taquinerie dont, malgré le sens premier du mot, il n'était jamais avare; cette alliance avec Créon n'était qu'une fléchette de Puck ramassée dans le bois autour de Thèbes, et l'une de ses malices. Preuve : dans l'œuvre envoyée elle-même, aux pages 205 et 206 une place heureuse était faite au texte rare et superbe de sur Anti- gone vierge-mère de l'ordre; or Steiner n'ignorait pas ce que Charles Maurras avait été et restait pour moi; rien ne l'obligeait à citer ces pages immortelles que l'adversaire dissimulait toujours soi- gneusement : « L'année 1948 a vu non seule- ment la véhémente attaque de Brecht contre l'apologie hégélienne de Créon, mais une autre critique et un autre renversement de valeurs, infiniment plus radicaux. Dans le pamphlet Anti- gone vierge-mère de l'ordre, mélange de vers et de prose lapidaire, Charles Maurras, à quatre-vingts ans, retournait complètement la vue habituelle de la polémique entre Créon et Antigone. Dans la lignée des paradoxes spécula- tifs énoncés par les monarchistes du XVII et du XVIII siècle, Charles Maur- ras proclamait ce qui était son intuition " depuis l'enfance ". Les interprétations reçues de l' Antigone de Sophocle sont " un contresens complet Le vieux lion a relu le texte immortel. "Il ne peut plus y avoir de doute " mainte- nant, ce n'est aucunement Antigone qui est rebelle à la loi et à l'ordre public : " C'est Créon. Créon a contre lui les dieux de la Religion, les lois fonda- mentales de la polis, les sentiments de la polis vivante. Tel est l'esprit de la pièce. Telle est la leçon qui s'en dégage : Sophocle n'a pas cherché à nous montrer le surgisse- ment de l'amour fraternel, ni même, à travers le personnage d'Hémon, le fiancé d'Antigone, celui de l'amour pur et simple. Ce qu'il cherche aussi à montrer, c'est la punition du tyran qui a essayé de se libé- rer des lois divines et humaines. " C'est donc Créon, et non Antigone, qui détruira la cité, transgression d'autant plus grande qu'elle est en contradiction avec la mission de sauve- garde et les instruments de conservation inhérents à la souveraineté légitime. C'est Créon, et non la fille d'Œdipe, qui cause la ruine de l'autorité et de la suc- cession dynastique. L'édit de Créon contre Polynice n'est pas " constitution- nel ". C'est cette usurpation qui fait la différence entre le despote et le roi véri- table. C'est, soutient Maurras, " une monstrueuse illégalité De plus, si on l'analyse en profondeur, on s'aperçoit que ce despotisme est une manifestation d'anarchie dans l'esprit et les actions du chef. Nous devons, conclut Maurras, réviser notre lecture millénaire d'Anti- gone et des problèmes politico-moraux qu'elle soulève. C'est Antigone, " vierge- mère de l'ordre ", qui incarne " la concor- dance étroite entre les lois de l'Homme, de Dieu et de la Cité. Qui viole et défie toutes ces lois? C'est Créon. C'est lui l'anar- chiste. Lui seul " ». Malice pour malice : pourquoi, au lieu d'assimiler l'interprétation de Créon par Maurras à celle de je ne sais plus quel contemporain boursouflé (qu'il annexe à la « nouvelle droite » quand il n'est que philosophe néo- phyte, et qui, d'ailleurs, fait sans équi- voque l'apologie du bourreau d'Anti- gone), pourquoi Steiner ne se réfère-t-il pas plutôt au jugement de Goethe dans les Conversations avec Eckermann, recueillies à la date du 28 mars 1827? « Créon n'agit du tout par vertu civique, mais par haine contre le mort. Si Polynice cherchait à reconquérir la part d'héritage paternel, dont en usant de violence on l'avait frustré, ce n'était point là un tel crime contre l'État que ce ne fût pas assez de sa mort pour l'expier, qu'il fallût encore l'en punir sur son cadavre innocent (...) Quand Créon défend d'inhumer Polynice, et, par son cadavre décomposé, non seulement empeste l'air, mais est cause que les chiens et les oiseaux de proie en trans- portent des lambeaux et souillent les autels, une manière d'agir aussi inju- rieuse pour les dieux que pour les hommes n'est nullement vertu civique, mais bien plutôt un crime d'État. » Ces- sons de jouer, fût-ce au jeu millénaire de Créon et de son alliance! Si Grecs que nous restions, sur notre cap toujours plus resserré et menacé d'Europe, encore ivres de notre héritage dilapidé, c'est pourtant autour d'Abraham - le second héros et sujet du dialogue de 1987 - que s'ordonne notre souci. Alors, Steiner n'avait pas encore écrit ses Réelles Pré- sences; il était en chemin, étonné lui aussi du chemin que nous faisions, avions fait, l'un vers l'autre. Certes, dans l'apparence, vus du dehors, on pouvait nous assigner deux destins et attitudes irréconciliables; « au mieux frères enne- mis », pour une critique sagace. Or c'est un fait d'une évidence croissante (et désagréable à quelques-uns) que nous a été épargnée la disgrâce de l'inimitié, même « fraternelle »; mais quel fut le contenu originel, la source de la grâce qui nous fut donnée ainsi? Non pas, sans doute, un seul concept, ni l'espèce de constellation qui, parfois, s'inscrit en une culture commune ou analogue : une Idée, « idée-nombre » au sens et dans l'usage du Philèbe de Platon, qui, peu à peu, à partir de son péras, de sa détermination première, et dans la matière hasardeuse de son apeïron - de la pluralité qu'elle ensemence ou ordonne - selon la causa- lité lumineuse de l'Un-Bien, court son beau risque dans un monde... Cette Idée, grecque comme Anti- gone, mais éternellement affrontée à son « propre » abîme en un Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob et sa Création ori- ginelle hors du Rien et à partir de lui, Steiner ne l'accueille longtemps que comme hypothèse, mais c'est à Abraham - l'Abraham haï de Hegel - qu'il la relie, et c'est là qu'il nomme et rejoint (non sans bien fort regimber) la transcendance étrangère et radicale, celle de Kier- kegaard, de Pascal et de l'Ancien Testa- ment. Dès 1982, Steiner avait publié, pour l'European University Institute, sous le titre Logocrates une « note », Langage et Politique, sur «Maistre, Heidegger et Pierre Boutang », certes attentive et généreuse, mais lumineuse aussi bien (malheureusement dans sa version origi- nale anglaise, et je ne crois pas qu'elle ait été traduite en français). La conjonc- tion des deux mystères révélés de l'Ancien et du Nouveau Testament, celui de la Création du monde et celui de la Parole en quoi l'œuvre des sept jours est prononcée, n'est pas une rêve- rie seulement humaine, intelligible à partir de la simple nature de l'animal rationnel : la Création pourrait être là, seule, en son abîme, et l'être le là du monde interdire toute désignation de Heidegger comme l'un des « logocrates » qu'il fut en effet; le Logos, épékeina tês ousias (« du côté du là-bas de l'essence » ou « vers l'au-delà de l'essence ») échappe à tout idéalisme ou hégélia- nisme; la voix du corps (l'appareil vocal) est unie sans retour ni reniement pos- sible à la vox cordis, la voix du cœur, et le sens que Dieu a voulu commun pour une part, et quels que fussent les effets de la chute, à Lui et à nous. Dans l'étude de l'European Univer- sity Institute, Steiner retient une objec- Pierre Boutang et George Steiner entrent en dialogue. Dissemblables et proches à la fois, ces deux hommes qui ont en partage le souci de la langue, du secret dans la parole, de la présence de Dieu en elle et dans le monde, ouvrent leurs entretiens sous la double invocation du mythe d'Antigone et du sacrifice d'Abraham. A cette occasion, ils abordent, entre autres thèmes, la vio- lence et la culture, le pouvoir ainsi que la justice, mais aussi la mort et la piété, le salut et la grâce. Un dialogue brillant toujours, et profond sans cesse, nous ramenant aux sources essentielles que sont Jérusalem, Athènes et Rome. Pierre Boutang et George Steiner, tous deux, sortent grandis de ce tête à tête, élevé à des dimensions métaphy- siques que le siècle ne connaît plus. Né en Forez le 20 septembre 1916, Pierre Boutang est pro- fesseur honoraire de métaphysique à la Sorbonne. Philosophe, poète, romancier, théoricien et journaliste politique, il a publié entre autres l'Ontologie du secret, Maurras la destinée et l'œuvre, Blake manichéen et visionnaire, Apocalypse du désir ainsi que Le Purgatoire. Né à Paris en 1929, George Steiner enseigne la littérature comparée à Genève et est professeur honoraire au Churchill College à Cambridge. Philosophe du langage, critique littéraire et romancier, il a publié entre autres Après Babel, Les Antigones, Réelles présences ainsi que Le transport d'A.H. et Epreuves. Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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