Revue Proteus – Cahiers des théories de l’art
La simulation de la chair
Falling, floating, and flying ? So, what’s next, fucking ? véritablement parler de sadisme, alors qu’il n’y a The Lawnmover Man aucune douleur, ni mort, ni traumatisme ? Selon Deleuze, le sadisme ne s’arrête nullement à la Deux corps métalliques flottent dans un vortex souffrance, il véhicule, et enseigne, l’idée d’un mal cyberorganique. La femme, novice, est initiée par suprême, d’une nature absolument mauvaise, l’homme, omniscient ; les deux entités s’enlacent, « renversement du platonisme, et renversement de s’embrassent, se fondent, tourbillonnent et se la loi même6 », et dépasse ainsi la rigoureuse pro- transforment. Soudain, l’avatar féminin est englué fanation du corps pour atteindre l’idée même de dans une surface visqueuse, tandis que l’homme corps. Marguerite Yourcenar surprend lorsqu’elle l’instruit : « Ça vient de notre esprit primaire. » Il déclare à un ami : se transforme alors en monstre, il torture et déchire la prisonnière de ses tentacules. Je vous confierai que je n’aime pas Sade à qui Cette scène, extraite du film Le Cobaye1, illustre j’en veux de son manque de réalisme… Rien de le fantasme d’un métavers2 qui promet une nou- moins physiologique que cet homme qui se croit velle interface corporelle, des sens artificiellement préoccupé de sexualité. On ne flaire pas le sang simulés, et une nouvelle façon de faire l’amour, chez cet auteur sanglant, ni aucune autre odeur 7 mais révèle, du fait de sa permissivité et de son d’excrétion ou de sécrétion humaine . accès à l’inconscient, ce que l’esprit humain pos- sède de plus primitif. Le motif de la violence N’est-ce pas là pourtant, plutôt qu’un contresens sexuelle dans les univers virtuels n’est pas spéci- vis-à-vis d’un imaginaire sadique indissociable de fique à ce film : nous pourrions citer la cellule sa pratique, l’une des signatures du sadisme, à « hallucinée » dédiée à la torture dans Videodrome3, savoir une vision « virtuelle » du corps au détri- la collection mentale de « cadavres vivants » féti- ment du corps ? Sade n’a-t-il pas écrit dans l’isole- chisés dans The Cell4, ou encore la motion capture ment de ses prisons, accompagné de son seul qui simule un rapport sexuel entre deux monstres, imaginaire, Cent Vingt Journées de Sodome (ce qui 5 fera dire à Simone de Beauvoir que, en prison, dans Holy Motors . Ainsi, le sadisme est paradoxa- 8 lement présenté au cinéma comme l’accomplisse- « agonise un homme, naît un écrivain ») ? Qu’il ment de la sexualité technosimulée. Pouvons-nous nous soit donc permis de considérer ici le sadisme dans son aspect « virtuel ». Cependant, nous sommes en droit de nous demander : pourquoi l’imaginaire sadique accom- 1. Brett LEONARD, The Lawnmower Man. New Line Cinema, pagne la simulation du corps avec une telle 1992. Le dialogue est issu de la version française. 2. Un métavers, contraction de meta universe, est un monde constance ? Qu’en est-il dans le circuit pornogra- artificiellement créé par un programme informatique, habité par des avatars (incarnation virtuelle de joueur) ou des bots (diminutif de « robots », personnages contrôlés par 6. Gilles DELEUZE, Présentation de Sacher-Masoch : le froid et le l’intelligence artificielle du programme), et dont les règles cruel. Paris, Minuit, 1967, p. 76. – lois physiques, sociales, économiques – dépendent du 7. Josyane SAVIGNEAU, Marguerite Yourcenar : l’invention d’une vie. même protocole de code informatique. Le terme de Paris, Gallimard, 1990. Cité dans : Phillipe SOLLERS, « Sur le métavers provient du Samourai virtuel de Neal Stephenson, trop d’irréalité ». Le Magazine Littéraire Collections. ouvrage de science-fiction cyberpunk publié en 1992, cinq novembre 2008, vol. 15. p. 13. ans avant les premiers mondes virtuels du Web. 8. Simone de BEAUVOIR, Faut- il brûler Sade ? , Paris, 3. David CRONENBERG, Videodrome. Filmplan International, Gallimard, coll. Idées, 1972, cité à la page 232 de la thèse de 1983. Nabila RIFAI :
55 Revue Proteus n° 5 – Pornographies : entre l’animal et la machine phique ? Et surtout, que nous enseigne ce para- tration, triple pénétration, motif du viol, fisting, doxe ? Dans la perspective de considérer les urophilie, gang bang) et le fantaisiste sophistiqué à enjeux actuels du corps à travers différentes outrance (le Porno chic des studios Vivid et Marc figures de la pornographie, il convient de s’inter- Dorcel, qui présentent un budget élevé, une mise roger sur la pertinence d’une telle iconographie et en scène recherchée, une musique constante et un sur les interrogations qu’elle soulève. Pour cela, montage sophistiqué3, et dont Jenna Jameson fut nous étudierons dans un premier temps la ques- l’égérie). Patrick Baudry aboutit à la conclusion tion du corps dans la culture pornographique, suivante : le porno, ni hyperréalisme ni mensonge, puis nous analyserons sa simulation, pour enfin demeure une mise-en-scène médiatisée d’un examiner le sadisme technosimulé. « faire faire l’amour » qui relève de la représenta- tion du corps plutôt que du corps lui-même4. De fait, aussi obscène ou appliquée que soit l’image Le corps dans la culture pornographique X, elle apparaît insensée, car fondamentalement dépossédée de son objet premier, le corps : « le A priori, nous pourrions opposer la pornographie référent de son propre vide, l’action de sa non- de la génération VHS et DVD, proclamée action5 ». De même, si nous suivons le raisonne- « réelle », pédagogique1, avec de vrais acteurs, en ment de Michela Marzano, la violence pornogra- acte, accomplie dans son obscénité et sa brutalité, phique serait la réponse à « la méconnaissance du et une cyberpornographie « fausse », virtuelle, réel qui rend le désir inaccessible et opaque6 ». En abstraite, sans modèles réels. Cependant, ne somme, cette violence, dont le point culminant est devrions-nous pas considérer la pornographie la vidéo S/M, se révèle comme la négation du réel « réelle » comme étant elle aussi « virtuelle » ? En par l’hyper-réel. Ainsi, la scène pornographique effet, aussi authentiques que soient la pénétration virtuelle n’est finalement pas plus absurde que la et l’éjaculation – signes du « vrai » sexe et de la scène pornographique « réelle », du fait que ces « vraie » jouissance –, cette vérité n’en est pas deux espaces partagent la même absence du moins mise en scène, dirigée, répétée, doublée, corps. simulée souvent, truquée parfois, et, dans l’absolu, La pornographie sur Internet permet de soute- n’est visible qu’à travers l’écran. Dans son ouvrage nir cette analyse, à travers son évolution culturelle La Pornographie et ses images, Patrick Baudry revient qui tend au fétichisme et aux subcultures, notam- sur la question du spectacle pornographique, ment le Cyberpunk, le New Age, le BDSM7 et le notamment l’abstraction du corps de l’autre et le mouvement gothique. Tandis qu’émergent de rapport du corps à l’image. Cette interrogation nouveaux studios, « traditionnels » dans leur s’est posée autour de 1997 durant une division outrance pornographique et la médiocrité reven- culturelle du X, qui opposait un réalisme pro- diquée de leur « univers »8, nous pouvons obser- clamé cathartique (le Gonzo « américain » de John Stagliano, dit « Buttman », soit un plan-séquence en caméra subjective2 ; le « porno crade », incarné 3. Ibid., p.89-91. 4. Patrick BAUDRY, La Pornographie et ses images, Paris, Armand par Rocco Siffredi et Tabatha Cash, avec la géné- Colin/Masson, 1997, p. 212. ralisation de pratiques « extrêmes » : double péné- 5. Ibid., p.116. 6. Michela MARZANO, « La nouvelle pornographie et l’escalade des pratiques : corps, violence et réalité », 1. Le sondage Ifop « Sexe, média et société », commandé Cités 3/2003 (n° 15), p. 17-29. par Marc Dorcel, insiste sur le caractère éducatif de la 7. Le sigle BDSM (Bondage, Domination, Sadisme, pornographie (notamment auprès des femmes). « Sexe, Masochisme) désigne un échange contractuel entre deux média et société »,
56 Revue Proteus – Cahiers des théories de l’art ver l’alt-porn1 : réappropriation décalée, parodique, du langage pornographique coïncidant avec ce que Sergio Messina nomme le « realcore », une por- nographie jouée, réalisée et diffusée par des ama- teurs2. Débarrassée de ses ambitions régulatrices, sanitaires et pédagogiques, la pornographie des années 2000 se proclame indépendante : indépen- dante des grands studios, des figures imposées, de la culture porno chic qui divinise – et modélise – le corps des acteurs. Nous pouvons prendre comme exemple les désormais célèbres Suicide Girls (cf. fig. 1), modèles érotiques amateurs qui proposent de « célébrer la beauté et la culture alternative3 », et représentatives de la girl next door qui se réap- proprie son physique (tatouages, piercing, cou- leurs de cheveux fantaisistes, maquillage gothique, implants mammaires, prothèses). Paradoxalement, la modification du corps alternatif apparaît comme plus authentique que la modification du corps pornographique. Ceci s’explique, selon Julien Servois, par un déplacement de la norme : « monstrueuse » dans le X, elle en vient à devenir « naturelle » dans le corps des girls next door4. Le film pornographique The Doll Underground5, cité comme exemple par Julien Servois6, synthétise le corps pornographique actuel : parodique (les Doll sont des résistantes qui se servent de leurs corps Fig. 1 Fractal “Shock Me”, Suicide Girls. pour corrompre les hommes), fétichiste (le code Source :
57 Revue Proteus n° 5 – Pornographies : entre l’animal et la machine loli, qui situe ce corps et son épreuve sexuelle dans culture otaku2 (moe3, idol4, cosplay5), dont la cyber- le domaine fictif, achevant ainsi d’extraire le corps pornographie s’inspire massivement. pornographique de sa réalité charnelle pour le De la même façon qu’un jeu vidéo est une projeter dans le jeu de références de la cybercul- « autre » réalité, où l’on peut « faire des choses ture. qu’on ne pourrait pas faire dans la vraie vie » tout En ce sens, nous pouvons observer une diver- en demeurant suffisamment cohérent pour éprou- gence entre les représentations du corps porno- ver le plaisir de l’immersion6, la pornographie graphique des studios X occidentaux et celles des alternative, présente l’image hallucinée d’un corps studios japonais. Les premières présentent la per- mis à l’épreuve à défaut d’être éprouvé. C’est dans cette formance physique d’un corps « saturé » de por- perspective subculturelle d’une distinction entre la nographie (par les modifications corporelles, par réalité corporelle et la culture pornographique que l’attitude, par l’épreuve), lorsque les secondes pri- nous appréhendons la simulation cyberpornogra- vilégient la mise-en-scène d’une prétendue inno- phique. cence. Pareillement, les productions occidentales savent montrer une violence sexuelle jusqu’aux limites du soutenable, alors que le porno nippon Simulation présente l’incontournable scène de viol de façon du corps pornographique très codifiée et sans réelle spontanéité. La pénétra- tion dans les films orientaux est autant le fait d’un Le nombre de jeux vidéo pornographiques est acteur que d’un accessoire (vibromasseur, gode- restreint, du fait des aspirations grand public de miché de fortune, prothèse, tentacule en latex…) ; l’industrie vidéoludique, même si nous n’avons de l’éjaculation (signe en Occident de la jouissance et cesse, depuis les simulateurs de plaisir et autre gei- donc du « réel » de la performance) peut être ici sha numériques issus du cyberpunk, de rêver artificielle et massive sans le souci de la crédibi- d’une cybersexualité. lité ; la jouissance féminine, « bavarde » à l’ouest, se visualise à l’est (ahegao, convulsions, éjaculation vaginale…). Le bondage même, utilisé dans les 2. Initialement, otaku désigne une personne qui consacre la vidéos sadiques occidentales comme une doulou- majorité de ses loisirs à une activité ne nécessitant pas de reuse soumission, peut être interprété dans le contact physique avec l’extérieur (manga, jeux vidéo) jusqu’à contexte asiatique comme une remodélisation du l’isolement social. Le terme désigne plus largement la corps et une performance artistique. Cette diffé- culture virtuelle provenant du Japon. rence de traitement peut s’expliquer en partie par 3. Dans la culture otaku, moe décrit l’attraction pour un personnage fictif ou un stéréotype. une approche culturelle distincte : même si le 4. Dans ce contexte, Idol décrit l’activité professionnelle nombre de pornographies japonaises « live » est artistique hypermédiatisée et pluridisciplinaire (acteur, des plus conséquents, la majorité des spécimens chanteur, présentateur) et qui aspire à provoquer un culte pornographiques japonais sont constitués d’élé- médiatique autour du jeune artiste. ments fictifs (manga hentai, doujinshi1 spécialisés, 5. Mot-valise composé des mots anglais costume et playing, cosplay désigne un loisir qui consiste à endosser le rôle d’un anime et jeux vidéo), avec prédominance de la personnage fictif en imitant son costume, sa coiffure, son maquillage, son attitude, sa gestuelle et ses attributs (armes, blessures emblématiques…). Cette pratique, souvent associée à la culture otaku, du fait du culte voué à des personnages fictifs, proviendrait initialement des amateurs de Star Wars et Star Trek des années 1970. Notons la mode actuelle du cosplay dans le domaine pornographique, avec des films parodiant des produits grand public (Katwoman XXX, Nicholas Steel, 2011, Batman XXX: A Porn Parody, Axel Braun, 2010) ou s’appropriant des jeux ou dessins animés en prise de vue réelle (Taimanin Asagi Live Action, Hitoshi Honda, 2010). 1. Recueils ou magazines de nouvelles, de poésies, de 6. Delphine GRELLIER, « Réel et virtuel : l’état des dessins, de manga édités et diffusés par des amateurs. frontières ». omnsh.org, 19 avril 2006.
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Il n’existe les limites technologiques sont notables, nous pas de porno- pouvons relever le traitement de la simulation graphie propre- comme spécificité commune. La gamme de jeu du ment dite dans producteur japonais Illusion en a fait sa signature les jeux vidéo avec Artificial Girl 37 (cf. fig. 2), School Mate8, Hako9 du circuit tradi- ou encore Artificial Academy10 : il s’agit de « choi- tionnel. Des sir » ou de créer son partenaire virtuel, de l’ha- produits tels biller, parfois de le nourrir et de l’éduquer, afin de Grand Theft partager ou d’améliorer une relation sexuelle. Auto IV1, Mass Ainsi, chaque jeu est une variante de la simulation Fig.2 : Artificial Girl 3, Illusion. 2 Source :
59 Revue Proteus n° 5 – Pornographies : entre l’animal et la machine subculturelle (univers fantasy, cyberpunk…) et hen- tai1 (shokushu goukan2, futanari3, eroguro4, ahegao…). Les sites spécialisés sont très nombreux, mettant à disposition plusieurs séries d’images marquées par la culture populaire et underground, aussi invraisem- blables les unes que les autres pour l’internaute non averti : cuissage de fées en uniforme de sou- brette, partouze de vampires dominatrices, strip- tease d’elfes en armure (cf. fig. 3).
Il n’est guère étonnant d’observer une tendance au fétichisme dans les jeux vidéo pornogra- phiques et les images X technosimulées : après tout, l’objet ne propose-t-il pas un « fétichisme virtuel », le remplacement d’un être par la simula- tion de sa présence ? Concernant les jeux vidéo pornographiques occidentaux, l’apport du thème de fétichisme le plus notable réside dans les col-
1. Hentai est un mot japonais qui signifie « métamorphose », « perversion », utilisé en Occident pour désigner de façon générale les manga et anime à caractère pornographique. Le terme est spécifique à l’occident : les premiers titres pornographiques importés tels que Urotsukidoji (Hideki Takayama, 1987-1995) ou Angel of Darkness (Kanenari Fig. 3: Jomish, “Something’s Coming”. Source : Tokiwa, 1994) comportent des scènes « anormales », du viol
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Le sadisme vidéoludique phique fait coïncider deux corps distincts : l’empi- rique et le culturel, ce qui n’est pas sans rappeler la C’est dans cette substitution d’un être réel par un distinction que Lynda Hart emploie pour décrire être virtuel que réside l’aspect sadique vidéolu- la performance sadomasochiste : dique, a priori plus surprenant que l’aspect féti- chiste. En effet, dès lors que le corps est absent, il On pourrait comprendre le mot « corps » […] semble paradoxal de comparer la souffrance phy- comme les constructions culturelles, les architec- sique d’acteurs et de performeurs spécialisés à sa tures, les lieux fixés, stabilisés, dont nous savons simulation informatique. Pourtant, le « vocabu- qu’ils sont des inventions de la réalité, mais que laire » sadique est bien présent : la charge pédago- nous renions comme tels afin de survivre à ces désirs instables pour le « réel » de nos fantasmes. La gique des jeux vidéo pornographiques inclut, dans « chair » est cet objet fantasmatique de nos désirs, la logique sadique, la possibilité d’abuser de nos aussi bien envie de mêler les distinctions entre réel créatures. Gilles Deleuze nous l’enseigne à la lec- et fantasmatique que de résister à le faire. Les deux, ture de Sacher-Masoch et Sade, dans Le Froid et le « corps » et « chair » sont des illusions. […] Le cruel : si le masochisme est l’initiation de la mère, « corps » nous garde ancrées dans les mondes que le sadisme est la parodie du père. nous avons élaborés en « réalité ». La « chair » est un lieu que nous essayons d’atteindre, qui se dérobe [L’histoire du sadisme] raconte à son tour com- toujours à notre saisie ; il doit de fait rester hors de ment le moi […] est, battu, expulsé. Comment le portée, car c’est le lieu au-delà (ou en avant) du surmoi déchaîne prend un rôle exclusif, inspiré par « corps » qui nous permet de poursuivre la l’inflation du père. Comment la mère et le moi construction de la réalité, en même temps que deviennent les victimes de choix. Comment la notre désir le désapprouve3. désexualisation, morale ou moralisante dès qu’elle ne s’exerce plus contre un moi intérieur, et se Si nous reprenons la terminologie de Lynda Hart, tourne au-dehors vers des victimes extérieures qui nous trouvons ici une « chair » virtuelle, « objet ont la qualité du moi rejeté. Comment l’instinct de fantasmatique de nos désirs », comme recherche mort apparaît alors comme une terrible pensée d’une épreuve au-delà de la construction culturelle comme une Idée de la raison dans l’idéal du moi, du « corps ». dans le penseur sadique, qui s’oppose à tous égards C’est pourquoi l’image cyberpornographique du au visionnaire masochiste1. corps, aussi improbable qu’elle soit vis-à-vis des Le film Le Cobaye ne s’y est donc pas trompé : valeurs du X, semble pertinente quant à la consi- lorsque l’antagoniste initie sa maîtresse à l’amour dération des enjeux du corps contemporain : il virtuel, il s’empresse de la martyriser jusqu’à la s’agit, par le jeu entre le corporel et l’incorporel, folie, allant même, caractéristique « spéculative- de franchir les limites de la représentation du démonstrative » du sadisme2, jusqu’à l’éduquer : corps pour retranscrire et se réapproprier « ça vient de notre esprit primaire ». l’épreuve corporelle dont la pornographie s’était Que nous enseigne le sadisme cyberpornogra- faite la gardienne conceptuelle. phique ? Nous l’avons observé avec le BDSM : le corps est inlassablement déformé, profané, trans- formé, méconnaissable, dans une tentative d’at- Johann CHATEAU-CANGUILHEM teindre un hyper-réel. Nous l’avons relevé avec la culture alt-porn et otaku, et son application dans les jeux vidéo et la création numérique : la culture pornographique peut s’appliquer sans ou au détri- ment du corps. Ainsi le sadisme cyberpornogra-
1. Gilles DELEUZE, Présentation de Sacher-Masoch : le froid et le cruel. Paris, op. cit., p.112. 3. Lynda Hart, La Performance sado-masochiste, Paris, Epel, 2. Ibid., p. 114. 2003, p. 39.
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