MARDI 7 NOVEMBRE 2017 73EANNÉE– NO 22649 2,50 €– FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR― FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

LES 350 MILLIARDS ▶ « » : l’enquête du « Monde », du Consor- tium international CACHÉS DE L’ÉVASION FISCALE de journalistes et de 95 médias partenaires, révèle les secrets de l’optimisation fiscale des multinationales 1 ÉDITORIAL et grandes fortunes ▶ 350 milliards d’euros L’ENVERS DE sont soustraits chaque LA MONDIALISATION année à la fiscalité des Etats, 120 milliards pour par JÉRÔME FENOGLIO l’Union européenne et 20 pour la France e voyage par les couloirs dérobés de l’économie ▶ Treize proches de L mondiale n’en finit pas. Donald Trump, minis- Après le Luxembourg en 2014, la Suisse en 2015, le Panama l’an tres, conseillers et dernier, la nouvelle enquête au donateurs, recourent long cours « Paradise Papers », systématiquement menée par le Consortium inter- national des journalistes d’inves- aux paradis fiscaux tigation (ICIJ), Le Monde et 95 mé- pour éviter l’impôt dias partenaires, s’arrête cette semaine sur un chapelet d’îles. ▶ La reine d’Angleterre, Caïmans, Vanuatu, Malte, Jersey, Man ou encore Bermudes, l’archi- elle-même, a investi pel nord-américain où s’est établi dans des places le cabinet d’avocats Appleby, l’un offshore, tout comme des leaders mondiaux de la fi- nance offshore, dont nos enquê- un proche du premier teurs ont pu analyser 6,8 millions ministre canadien, de documents internes.

Justin Trudeau LIRE LA SUITE PAGE 24 PREMIER VOLET DE NOTRE ENQUÊTE – PAGES 2-11

Climat L’offensive du prince Politique Etats-Unis Consommation Une nouvelle Enquête Contradictions héritier saoudien Macron, fusillade fait sur le grand bluff américaines Riyad a mené une purge anticorruption massive la technocratie 26 morts dans de la pénurie réformateur et autoritaire, le pagne anticorruption, qui vise à une église au Texas de beurre à la COP23 jeune prince héritier, Moham- éliminer tous ceux qui peuvent au pouvoir PAGE 14 CAHIER ÉCO – PAGE 2 med Ben Salman, est le bénéfi- s’opposer à l’ascension du futur La nouvelle Conférence ciaire de la campagne d’arresta- roi, s’est doublée d’un regain de Le président fêtera les tions ordonnée samedi 4 novem- tension avec l’Iran, le rival régio- six mois de son élection, des Nations unies sur le bre, en Arabie saoudite. Une nal de l’Arabie saoudite. Le pre- climat débute lundi 6 no- cinquantaine de hauts responsa- mier ministre libanais, Saad Ha- mardi 7 novembre. Pour vembre. Les petits Etats bles, dont 11 princes de la famille riri, a en effet annoncé sa démis- l’heure, il déroule son ca- insulaires, comme Fidji, royale, ont été interpellés et assi- sion samedi depuis Riyad, lendrier comme prévu et défendent l’accélération gnés à résidence dans un palace mettant en cause le Hezbollah et tient à distance le jeu poli- de la capitale. Même le prince Al- l’Iran. Le soir, un missile tiré de- tique, donnant ainsi peu de l’accord de Paris contre Walid Ben Talal, propriétaire de puis le Yémen était intercepté au- l’administration Trump l’Hôtel George-V et actionnaire dessus de la capitale saoudienne. de prise aux oppositions PLANÈTE – PAGE 14 de Twitter, a été arrêté. Cette cam- PAGE 12 PAGE 15

LE REGARD DE PLANTU Théâtre Le retour   d’Emmanuelle Devos

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Algérie 220 DA, Allemagne 3,00 €, Andorre 3,00 €, Autriche 3,10 €, Belgique 2,70 €, Cameroun 2 100 F CFA, Canada 5,20 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 100 F CFA, Danemark 33 KRD, Espagne 2,90 €, Finlande 4,50 €, Gabon 2 100 F CFA, Grande-Bretagne 2,40 £, Grèce 3,00 €, Guadeloupe-Martinique 2,90 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,90 €, Italie 2,90 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,70 €, Malte 2,70 €, Maroc 17 DH, Pays-Bas 3,00 €, Portugal cont. 2,90 €, La Réunion 2,90 €, Sénégal 2 100 F CFA, Slovénie 2,90 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,90 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,10 DT, Afrique CFA autres 2 100 F CFA 0123 2 | MARDI 7 NOVEMBRE 2017

Révélations sur les secrets offshore de l’optimisation fiscale Près de 7 millions de documents d’Appleby, un cabinet d’avocats spécialisé dans la finance offshore, ont été analysés par « Le Monde » et le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). L’enquête « Paradise Papers » révèle comment 350 milliards d’euros sont soustraits chaque année aux Etats par des multinationales ou de très riches particuliers

u’ont en commun Wilbur Ross et Rex Tillerson, hommes forts de la Mai- CE QU’IL FAUT SAVOIR son Blanche, Stephen Bronfman, trésorier du Les « Paradise Papers » parti libéral canadien et désignent la nouvelle Q proche de Justin Trudeau, enquête menée par le mais aussi des multinationales comme Consortium international des Nike et Apple, de grandes fortunes françai- journalistes d’investigation (ICIJ) ses, des oligarques russes, des hommes d’af- et ses 96 médias partenaires, faires africains et des grands sportifs ? Ils dont Le Monde, soit 400 journa- partagent l’affiche des « Paradise Papers », la listes de 67 pays. Ces révélations nouvelle enquête internationale sur les pa- s’appuient sur une fuite de radis fiscaux et le business offshore que pu- documents transmis en 2016 au blie aujourd’hui Le Monde, associé au Con- quotidien allemand Süddeutsche sortium international des journalistes d’in- Zeitung par une source ano- vestigation (ICIJ) et à 95 médias partenaires nyme. Les « Paradise dans le monde, dont la Süddeutsche Zeitung Papers » sont composés de en Allemagne, le Guardian au Royaume-Uni trois ensembles de données. et le New York Times aux Etats-Unis. 6,8 millions de documents Dix-huit mois après les « Panama Papers », internes du cabinet internatio- cette enquête, qui a mobilisé une douzaine nal d’avocats Appleby aux Ber- de journalistes du Monde pendant plus d’un mudes ont fuité. Appleby est an, exploite notamment sept millions de do- présent dans une dizaine de pa- cuments issus d’une fuite massive (leak en radis fiscaux. anglais) de données en provenance d’un ca- 566 000 documents internes binet international d’avocats, Appleby, basé du cabinet Asiaciti Trust , aux Bermudes. Elle porte un nouveau coup de Singapour. de projecteur sur les trous noirs de la finance 6,2 millions de documents issus mondiale et révèle comment, grâce à des des registres confidentiels des schémas sophistiqués d’optimisation fis- sociétés de dix-neuf paradis fis- cale, des milliers de milliards de dollars caux : Antigua-et-Barbuda, échappent toujours à la fiscalité des Etats. Aruba, Bahamas, Barbade, Ber- mudes, Dominique, Grenade, Failles pour contourner la règle îles Caïmans, îles Cook, îles Selon les calculs spécialement effectués pour Marshall, Labuan, Liban, Malte, Le Monde et l’ICIJ par Gabriel Zucman, écono- Saint-Kitts-et-Nevis, miste français et professeur à l’université de Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et- Berkeley en Californie, l’évasion fiscale des les-Grenadines, Samoa, entreprises et des grandes fortunes coûte Trinité-et-Tobago, Vanuatu. 350 milliards d’euros de pertes fiscales par an Toute la semaine, Le Monde aux Etats du monde entier, dont 120 mil- publiera des révélations. liards pour l’Union européenne. Le manque à gagner pour la France atteint 20 milliards d’euros par an. C’est la première fois qu’une estimation aussi fine et globale est réalisée. des, les Caïmans, Jersey, l’île de Man… Les riades de sociétés-écrans, pour échapper au n’existe pas. Un monde réservé aux élites du Contrairement aux « Panama Papers », avocats d’Appleby sont loin de s’affranchir contrôle. Ceux, enfin, de compagnies mi- CES HISTOIRES XXIe siècle, qui souligne le problème de cette nouvelle enquête concerne moins le des règles avec autant de désinvolture que nières utilisant les paradis fiscaux comme MISES BOUT À BOUT l’équité fiscale et du partage de l’impôt entre blanchiment d’argent sale, issu de la fraude leurs homologues panaméens de Mossack paravents à des opérations douteuses. des contribuables qui ont le pouvoir d’y fiscale et d’autres activités illicites (trafics Fonseca. Fiers de leur réputation, ils atta- Les « Paradise Papers » vous feront aussi COMPOSENT échapper et d’autres qui ne peuvent agir sur d’armes, de drogue…), que des schémas lé- chent une grande importance à satisfaire voyager… en Méditerranée, à Malte, et en leur facture fiscale. Un monde, enfin, qui se gaux montés par des bataillons d’experts en leurs clients en repoussant autant que pos- mer d’Irlande, sur l’île de Man. Deux territoi- UN MONDE À PART, joue des tentatives de régulation des Etats. optimisation fiscale. L’argent, ici, a le plus sible les limites de la légalité. C’est juste- res insulaires qui, malgré leur petite taille, OÙ L’IMPÔT N’EXISTE Malgré le durcissement récent des lois, souvent été soustrait à l’impôt de façon lé- ment ce qui fait le sel et l’intérêt de cette grèvent les recettes fiscales de l’Union euro- l’argent continue d’irriguer les paradis fis- gale ou aux frontières de la légalité, grâce nouvelle enquête. Elle ouvre les portes péenne en attirant les yachts et les jets privés PAS. UN MONDE caux grâce aux structures hyperopaques aux failles du système fiscal international. d’une industrie offshore en perpétuel mou- des milliardaires, les sociétés d’assurances et que sont les sociétés-écrans et les trusts, ces Le cabinet Appleby, dont sont issus les sept vement pour trouver, dans les législations de jeux en ligne, grâce à des rabais fiscaux et QUI SOULIGNE entités de droit anglo-saxon dont les Caï- millions de documents de ce leak, compte des Etats, les failles pour contourner la règle d’autres stratagèmes réglementaires… mans et Jersey ont fait leur miel. Grâce aussi parmi les « Rolls-Royce » de la finance offs- et échapper à leurs taxes et impôts. Ils permettent une plongée au cœur des ré- LE PROBLÈME à des intermédiaires financiers dont le pou- hore. De ces sociétés qui ont pignon sur rue glementations de pays européens de premier DE L’ÉQUITÉ FISCALE voir de nuisance n’a jamais été aussi fort. à la City de Londres ou à Wall Street. De cel- Voyage dans l’Europe de l’offshore plan comme l’Irlande et les Pays-Bas, qui Les « Paradise Papers » braquent ainsi les les qui sont invitées dans les conférences in- Dans les prochains jours, les « Paradise Pa- n’ont rien à envier aux Bermudes et aux îles projecteurs sur ces nombreux cabinets qui, ternationales et qu’on érige en exemple pers » vous révéleront les secrets offshore Caïmans en termes d’optimisation. Ce nou- comme Appleby, ont longtemps été igno- pour défendre une industrie à la réputation de multinationales bien connues, y com- veau leak permet par ailleurs de porter à la rés de la lutte contre l’évasion fiscale. entachée par des scandales à répétition. Ap- pris françaises, qui déplacent artificielle- connaissance du public les registres du com- Ce sont pourtant eux qui contribuent, par pleby réunit 470 employés travaillant pour ment leurs profits vers des territoires prati- merce de dix-neuf des paradis fiscaux parmi leur génie juridique, à opacifier un l’élite mondiale des affaires : une popula- quant l’impôt zéro, afin de payer le moins les plus opaques, inaccessibles ou difficiles monde financier que les Etats ont toujours tion d’ultra-riches et de multinationales de taxes possible là où elles exercent réelle- d’accès, dont la Barbade, le Vanuatu, le Liban plus de mal à contrôler. p prestigieuses, établie dans les centres finan- ment leurs activités. Les secrets, aussi, de et les îles Cook. Ces histoires mises bout à jérémie baruch, jean-baptiste chastand, ciers offshore les plus actifs, dont les Bermu- conglomérats dissimulés derrière des my- bout composent un monde à part, où l’impôt anne michel et maxime vaudano 0123 MARDI 7 NOVEMBRE 2017 | 3

Appleby, un prestigieux cabinet d’avocats au service des fortunes cachées La firme, présente dans les paradis fiscaux, est une spécialiste du montage offshore. Qui ne s’inquiète pas toujours de la provenance des fonds de ses riches clients

n fuite de 6,8 millions de été diffusées en direct aux Etats- Appleby a continué à travailler s’est pas révélée très efficace. Lors documents confiden- APPLEBY SE TARGUE Unis, mais les responsables du avec Arye Laniado. d’un nouvel audit, en octo- U tiels dévoile le fonction- DE FAIRE PARTIE bureau des Bermudes d’Appleby Dans leurs opérations quoti- bre 2014, la BMA découvrait des nement de l’un des plus presti- ne semblent pas l’avoir remarqué. diennes, les employés d’Appleby manquements « de haute impor- gieux cabinets d’avocats anglo- DU « CERCLE MAGIQUE » Crescent Petroleum, contrôlée se reposent sur un logiciel censé tance » dans pas moins de neuf saxons spécialisés dans les activi- par l’homme d’affaires Abdul Ha- éviter les erreurs humaines et les domaines d’activité du cabinet. tés offshore : Appleby. Ces DES CABINETS OFFSHORE mid Dhia Jafar, était cliente d’Ap- aider à repérer sur Internet les Près de la moitié (46 %) des dos- courriels, fiches clients, avis juri- LES PLUS CHEVRONNÉS. pleby depuis 1984. La relation a clients risqués. Même s’il y a eu siers clients examinés par le régu- diques et mémos internes ont été perduré sans anicroche pendant des ratés, Appleby a parfois refusé lateur ne donnaient pas les infor- obtenus par le quotidien alle- SON RÉSEAU près de trente ans. Ce n’est que le d’entrer en relation avec des mations nécessaires sur l’origine mand Süddeutsche Zeitung et par- jour où Crescent Petroleum a sol- clients trop exposés. C’est le cas des fonds des clients. L’autorité fi- tagés avec le Consortium interna- EST TENTACULAIRE licité l’aide du cabinet en 2013, du Russe Boris Shemyakin, un nancière observait qu’Appleby ne tional des journalistes d’investi- pour se restructurer, que les res- magnat de l’immobilier. Des arti- cherchait pas vraiment les soup- gation (ICIJ), dont Le Monde est ponsables d’Appleby se sont sou- cles de presse l’ont dit impliqué çons de blanchiment ou de finan- partenaire. Ils offrent une plon- qu’Appleby n’avait pas la nationa- dain rendu compte du pedigree dans une fraude, ce qu’il a nié. cement du terrorisme, et qu’elle gée dans les rouages d’un univers lité bermudéenne, en faisant va- de leur client – le frère d’Abdul Ha- La firme a également décliné une n’avait pas amélioré ses pratiques invisible : les réseaux d’avocats, loir que l’équipe de direction était mid Dhia Jafar notamment, offre du cabinet d’audit Ernst après les précédents contrôles. de comptables et de banquiers en fait installée à Jersey… « Nous n’était autre que le responsable & Young, qui demandait d’organi- La direction d’Appleby savait chargés d’administrer les fortu- sommes une organisation globale du programme nucléaire irakien. ser l’achat de deux jets privés à que la répétition de ces manque- nes offshore de leurs riches avec dix bureaux d’importance « Nous avons ce client depuis un 20 millions de dollars (17 millions ments l’exposait à des sanctions, clients et les stratagèmes fiscaux égale. Nous n’avons pas de siège so- moment déjà, s’étonnait alors un d’euros) pour les deux fils d’un mais elle savait aussi que l’affaire des plus grandes multinationales. cial », a finalement assuré la firme avocat d’Appleby dans un courriel ancien ministre d’Azerbaïdjan. ne portait pas vraiment à consé- La firme a été fondée en 1898 aux dans un communiqué publié interne. Comment n’avons-nous Contacté par l’ICIJ, Ernst & Young quence. Des documents internes Bermudes par le major Reginald quelques jours avant nos révéla- pas remarqué cela plus tôt ? » n’a pas souhaité s’en expliquer. montrent que la firme a provi- Appleby. Un homme qui, une fois tions. De quoi donner le tournis. D’autres fortunes ont échappé à sionné 500 000 dollars pour ré- devenu député au Parlement local Pour ne rien arranger, Appleby la vigilance du cabinet, comme le Longue liste de déficiences gler une éventuelle amende. La en 1940, avait vivement critiqué a été divisée en deux en jan- diamantaire Arye Laniado, direc- Mais plusieurs audits de contrôle preuve d’une telle sanction n’a ja- l’introduction d’un impôt sur le vier 2016. La branche « fidu- teur et copropriétaire de la firme externes montrent qu’Appleby n’a mais été rapportée publique- revenu dans l’archipel. The Royal ciaire », qui gérait trusts, jets pri- belge Omega Diamonds. En pas toujours fait ce qu’il aurait dû ment, ni par la BMA ni par Ap- Gazette, le quotidien de l’archipel, vés et actifs de riches particuliers mai 2013, les médias ont révélé pour lutter contre les risques de pleby. « Il n’y a pas eu de censure », l’avait d’ailleurs classé dans le du monde entier, a été rebaptisée que la société avait versé 160 mil- blanchiment d’argent. De 2005 à se félicitait un directeur d’Ap- camp de ceux qui qualifient cet « Estera » et revendue à certains lions d’euros aux autorités belges 2015, plus d’une douzaine d’audits pleby, puisque le régulateur « a impôt « d’ultime raffinement de la des associés. Les deux entreprises pour mettre fin à une enquête ont relevé des manquements accepté de considérer l’affaire torture humaine, auquel il faut sont toutefois restées très pro- pour fraude fiscale et importa- dans les contrôles internes du ca- comme entièrement privée. » s’opposer à tout prix ». Il faut ches : elles continuent souvent de tion illégale de diamants. Omega binet, sur ses sites de l’île de Man, Un porte-parole du régulateur croire que cela a porté : les Bermu- partager les mêmes locaux. Con- Diamonds avait nié toute culpa- des îles Caïmans, des îles Vierges des Bermudes a indiqué à l’ICIJ des ne prélèvent toujours aucun tactées par Le Monde et ses parte- bilité et Arye Laniado n’était pas britanniques, aux Bermudes et à qu’il ne pouvait pas s’exprimer sur impôt sur le revenu. naires, les deux firmes se sont impliqué personnellement. Londres. En 2005, l’autorité mo- d’éventuelles sanctions imposées d’ailleurs défendues de manière Mais quelques mois après la ré- nétaire des Bermudes (BMA) a, par à l’époque. La BMA, depuis 2016, L’appât du gain similaire en affirmant « respecter vélation de l’affaire, Appleby ac- exemple, relevé une longue liste publie désormais sanctions et Cent-dix-neuf ans plus tard, son toutes les règlements », ne pas ceptait deux versements de de déficiences et exigé de la firme amendes sur Internet. Peu après la cabinet est devenu un des plus faire « de conseil fiscal ». Elles se 5 000 dollars (4 300 euros) du dia- qu’elle mette à jour ses dossiers révélation des « Panama Papers », respectés du secteur. Il se targue sont ensuite renvoyé la balle sur mantaire. Ce n’est que plus tard, clients, y compris les copies de en 2016, Appleby avait reçu une of- de faire partie du « cercle magi- les questions précises des avoirs alors qu’Arye Laniado cherchait à passeport, leurs adresses et les in- fre d’une société d’analyse des ris- que » des cabinets offshore les de leurs clients. ouvrir un nouveau trust, qu’un formations sur la source de leur ques qui lui proposait une forma- plus chevronnés. Son réseau est A l’époque des « Panama Pa- employé d’Appleby a remarqué fortune. Un an plus tard, un con- tion continue sur ses contrôles tentaculaire. « Vous ressemblez à pers », en avril 2016, les profes- les articles sur les déboires judi- trôle interne sur 45 fiches clients antiblanchiment. La firme avait un monstre, et c’est très bien ! », sionnels de l’industrie offshore ciaires d’Omega Diamonds… prises au hasard montrait qu’une décliné, puisque ses contrôles s’exclamait un client dans une avaient minimisé l’importance de Patrick Wood, directeur chargé seule d’entre elles respectait les di- étaient déjà « extrêmement robus- étude de satisfaction en 2013. Mossack Fonseca, la firme pana- de la conformité d’Appleby, n’a rectives internes de l’entreprise. tes », avait-elle répondu. p Appleby emploie aujourd’hui méenne au cœur du scandale, en pas apprécié la nouvelle quand il En 2008, un audit des autorités rigoberto carvajal, 470 personnes, dont 60 partenai- la décrivant comme un canard l’a découverte trois mois plus des îles Caïmans critiquait sévère- emilia díaz-struck, res associés dans sept « juridic- boiteux. « Mossack Fonseca repré- tard. « Il est question d’une struc- ment le cabinet, et s’inquiétait will fitzgibbon (icij), tions clés » du monde offshore : sente un des derniers bastions d’un ture de trust et ces allégations d’un risque élevé « d’activités frau- frederik obermaier, les Bermudes, les îles Vierges système financier de l’ombre qui sont très graves, écrivait-il dans duleuses ». En 2012, le régulateur bastian obermayer britanniques, les îles Caïmans, cessera rapidement d’exister », écri- un courriel à ses collègues. Il des îles Vierges britanniques dé- (« süddeutsche zeitung ») Jersey, Guernesey, l’île de Man, vait alors le magazine Wealth Ma- s’agit de diamants du sang. Pour- nonçait, à son tour, les faiblesses jean-baptiste chastand Maurice et les Seychelles. nagement. Dix-huit mois plus quoi ne m’a-t-on pas prévenu ? » des contrôles d’Appleby. Cette et françois pilet Une pieuvre mondiale, au point tard, les documents internes d’Ap- Malgré les réserves du directeur, succession de mises en garde ne pour « le monde » qu’il est impossible de localiser le pleby montrent que même les fir- véritable siège social de l’entre- mes les plus respectables et sou- prise. Son patron, Michael O’Con- cieuses de leur réputation peinent Le cabinet Appleby : « Nous ne tolérons nell, est officiellement basé à Jer- à lutter contre les fonds d’origine sey. Sur le réseau social profes- suspecte. Dans un monde bâti sur aucun comportement illégal » Les bureaux sionnel LinkedIn, en revanche, le le secret, l’appât du gain l’emporte du cabinet d’avocats cabinet se décrivait jusqu’à ré- souvent sur la prudence. Appleby, sur l’île cemment comme localisé aux nous avons reçu du cabinet Appleby la réac- Nous sommes un cabinet d’avocats offshore de Man, le 12 octobre. Bermudes, là ou il a été fondé et où Une douzaine d’audits tion suivante : qui conseillons nos clients sur les façons légiti- ED ALCOCK/MYOP il dispose du plus grand nombre Bien qu’opérant dans différentes « Appleby a récemment reçu des demandes de mes et légales de conduire leurs activités. Nous POUR « LE MONDE » d’employés… mais cette page ren- juridictions, Appleby est sou- renseignement de la part du Consortium inter- ne tolérons aucun comportement illégal, mais voie désormais vers l’île de Man, mise à des règles de « com- national des journalistes d’investigation (ICIJ) ne sommes certes pas infaillibles. Lorsque nous où la holding du groupe est enre- pliance » (de conformité) qui et d’un certain nombre de médias partenaires. découvrons que des erreurs ont été commises, gistrée. A la suite des questions s’appliquent peu ou prou à tous Ces demandes, qui concernent des documents nous prenons les mesures qui s’imposent pour y adressées par l’ICIJ, le gouverne- les centres financiers. Les firmes que les journalistes disent avoir consultés, met- remédier dans les meilleurs délais et pour signa- ment des Bermudes a, lui, assuré offshore doivent notamment tent en cause nos activités et celles de certains ler ce qui doit l’être aux autorités compétentes. identifier précisément les clients de nos clients. Nous mettons un point d’honneur à protéger qui utilisent leurs services, Nous prenons toute accusation, même impli- les données de nos clients et avons revu nos L’ICIJ, une gigantesque rédaction virtuelle maintenir une documentation cite, très au sérieux. Appleby opère dans des ju- politiques de sécurité informatique et d’accès précise et savoir d’où viennent ridictions hautement réglementées et, comme aux données à la suite d’un incident qui, l’année Le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) les fonds qui transitent par leur toute société sur ces territoires, nous faisons dernière, avait pu compromettre certaines de a été fondé en 1997 et comprend aujourd’hui plus de 200 corres- entremise. Plusieurs exemples l’objet de contrôles fréquents et veillons à res- nos données. Ces modalités ont été révisées pondants-journalistes dans 70 pays. « Nous ne sommes que des prouvent que cela n’a pas tou- pecter les normes strictes fixées par les régula- et testées par les meilleurs spécialistes informa- faciliteurs d’enquête », explique Gerard Ryle, le directeur de l’ICIJ. jours été le cas chez Appleby. teurs. Nous nous imposons également la plus tiques et nous avons la certitude que l’intégrité Lors de chaque opération (« OffshoreLeaks », « SwissLeaks », Peu après la première guerre du forte exigence en matière de service à nos de nos données est bien protégée. « LuxLeaks », « Panama Papers » ou « Paradise Papers »), chaque Golfe, une commission d’enquête clients et de confidentialité. Telles sont les va- Nous regrettons que la presse puisse faire le rédaction détache le nombre d’enquêteurs supplémentaires du Sénat américain s’était pen- leurs que nous défendons sans équivoque. choix d’exploiter des informations qui pour- qui s’impose, dans une confidentialité totale, et choisit les sujets chée sur les finances du régime Après une étude minutieuse et approfondie de raient provenir de documents obtenus illégale- qu’elle veut traiter. Cette gigantesque rédaction virtuelle de Saddam Hussein. Son rapport, ces accusations, Appleby a pu constater qu’il n’y ment, ce qui pourrait exposer des protagonistes est coordonnée depuis Washington, où l’équipe de l’ICIJ publié le 29 juin 1993, montrait avait pas de preuve d’une quelconque irrégula- innocents à des violations de la protection de met – gratuitement – à disposition des médias partenaires, notamment du doigt une société rité de notre part ou de celle de nos clients. Nous leurs données. Après avoir étudié les allégations dans des messageries cryptées, des données extraites pétrolière, Crescent Petroleum, réfutons toute allégation qui laisserait entendre de l’ICIJ, nous sommes convaincus qu’elles sont d’une fuite (« leak » en anglais) qui présentent un intérêt public. soupçonnée d’être une façade le contraire et sommes prêts à collaborer pleine- infondées et reposent sur une mauvaise com- Le consortium est financé à la fois par des mécènes, dont la liste pour le pouvoir de Bagdad. Les ment à toute enquête légitime et autorisée me- préhension des structures légitimes et légales est publique, et des dons privés. conclusions du rapport avaient née par les autorités compétentes. employées dans le domaine de l’offshore. » p 0123 4 | MARDI 7 NOVEMBRE 2017

L’obsession de Trump Randal Quarles Rex Tillerson Vice-président de la FED Secrétaire d’État (Réserve fédérale américaine) 300 contre l’impôt chargé de la supervision bancaire Gary Cohn 750 Wilbur Ross Principal conseiller économique Secrétaire au commerce Jamais administration américaine de la Maison Blanche 2 500 300 FORTUNE ESTIMÉE, EN MILLIONS DE DOLLARS n’a compté autant de millionnaires MEMBRE DE L’ADMINISTRATION CONSEILLER DE D. TRUMP

Carl Icahn DONATEUR DU PARTI RÉPUBLICAIN l flotte depuis longtemps un de veiller à ce que leurs entrepri- Président parfum d’aversion à l’impôt ses suivent le même chemin, qu’il de Icahn Enterprises autour de Donald Trump, le s’agisse de la finance, de casinos, (conglomérat) Charles Koch I Ancien conseiller premier président des Etats-Unis de commerce de matières pre- Président à la Maison Blanche de Koch Industries à refuser de publier sa déclara- mières ou d’immobilier. Des pro- 16 600 tion d’impôt depuis le républi- fils taillés sur mesure pour ac- 48 300 cain Gerald Ford, en 1976. Mais si compagner l’agenda de relance Frères un doute subsistait sur la réalité économique de la Maison Blan- David Koch des secrets offshore de son en- che : après avoir initié un vaste Vice-président tourage, les « Paradise Papers » plan de déréglementation du sec- Tom Barrack de Koch Industries viendraient le balayer. teur financier au tout début de Président 48 300 Les documents du cabinet Ap- son mandat, Donald Trump s’ap- de Colony NorthStar (fonds immobiliers) pleby, obtenus par la Süddeutsche prête à faire voter l’une des plus Zeitung et partagés avec le Con- importantes baisses d’impôt de 1 000 sortium international des jour- l’histoire américaine, qui promet nalistes d’investigation (ICIJ), ré- de bénéficier aux grands patri- vèlent les coulisses des montages moines et aux multinationales. Donald Trump de treize proches du président Le projet de réforme fiscale pré- Président des Etats-Unis américain aux Bermudes, aux voit, en effet, de ramener de 35 % à îles Caïmans, à l’île de Man ou à 20 % le taux d’imposition sur les Jersey. Parmi eux, Wilbur Ross, le sociétés, de façon permanente et secrétaire au commerce, Rex pour toutes les entreprises. L’une Steve Wynn Paul Singer Tillerson, le chef de la diplomatie des mesures les plus spectaculai- Président de Fondateur de Elliot américaine, ou Gary Cohn, l’un res est la « vacance fiscale » que la Wynn Resorts Management des principaux conseillers écono- majorité républicaine s’apprête (casinos) (fonds spéculatifs) 2 700 Sheldon Adelson 2 900 miques du président. à instaurer, si la réforme passe Président de Las Vegas Aucun de ces montages ne sem- l’étape du Congrès. En échange Sands (casinos) ble frauduleux. En revanche, tous d’une taxe réduite à 12 %, s’il s’agit Stephen Schwarzman 35 400 Robert Mercer utilisent les paradis fiscaux pour d’avoirs en cash (au lieu de 35 %), Président de Blackstone Co-président démissionnaire optimiser, voire éluder l’impôt, des multinationales comme Ap- Group (fonds spéculatifs) de Renaissance Technologies grâce à un écran de fumée autour ple, Google ou Nike pourraient ra- Ancien conseiller (fonds spéculatifs) à la Maison Blanche 900 d’activités et de contrats desti- patrier sur le sol américain, dès 11 200 nés à rester secrets. Une démar- 2018, les près de 3 000 milliards che contre laquelle la commu- de dollars (2 580 milliards d’euros) nauté internationale tente à de trésorerie qu’ils accumulent grand-peine de lutter depuis la dans des places offshore, et de- INFOGRAPHIE LE MONDE crise financière de 2008. puis des années, pour se sous- CRÉDITS PHOTOS AFP, AP, REUTERS, GETTY Faut-il s’étonner de retrouver traire au fisc américain. des contribuables aussi peu exemplaires autour d’un prési- Nouvelles règles du jeu dent qui a fait du slogan « America Les proches du président améri- First » son mantra ? Donald Trump cain sont tous rompus aux prati- a lui même créé près de 400 socié- ques de la planification fiscale et Les activités offshore de treize tés dans l’Etat du Delaware, le pa- se voient aujourd’hui en mesure radis fiscal « maison » des Etats- de décider des nouvelles règles Unis, et dans des centres finan- du jeu : déterminer les conditions ciers offshore des Bermudes, de dans lesquelles l’argent offshore proches du président américain Saint-Martin et de Saint-Vincent- pourra être rapatrié ; tracer les et-les Grenadines, qui ont été ré- nouvelles limites de la légalité… vélés dans ses déclarations d’inté- Les treize hommes du président Deux ministres, des conseillers, des donateurs républicains : ces personnalités du cercle rêts auprès de la Commission ont en commun une autre obses- électorale fédérale (FEC). sion : le secret des affaires. Qu’il ait rapproché de Trump ont eu recours à des montages complexes pour réduire leurs impôts Pendant la campagne présiden- fallu attendre la fuite des données tielle, le candidat républicain avait du cabinet Appleby pour décou- répondu avec aplomb à Hillary vrir que le ministre du commerce est une plongée dans En 2005, le gouvernement yémé- Donateurs influents du Parti répu- Clinton, qui l’accusait de ne plus en exercice, Wilbur Ross, continue les coulisses à la fois de LE RICHE REX TILLERSON, nite met fin à l’accord et cède les blicain, les frères Koch soutien- payer d’impôts fédéraux depuis de gagner des millions grâce à une C’ la finance et de la politi- L’ÉQUIVALENT participations des compagnies nent financièrement la réforme une vingtaine d’années : « Ça fait société de fret maritime qui tra- que américaine, qui passent par étrangères à une société publi- fiscale de Donald Trump, après de moi quelqu’un d’intelligent. » vaille avec le cercle rapproché de les Bermudes, les îles Caïmans ou DE NOTRE MINISTRE que. ExxonMobil s’y oppose et l’avoir boudé durant toute la cam- Grâce aux « Paradise Papers », Vladimir Poutine est symptoma- Marshall. Les millions de docu- dépose une demande d’arbi- pagne électorale. Les « Paradise Pa- le président américain pourra se tique : le monde de l’offshore reste ments des « Paradise Papers », is- DES AFFAIRES trage, qui se conclut, en 2008, en pers » détaillent le fonctionne- rassurer sur l’intelligence de son un refuge inestimable pour les sus notamment du cabinet d’avo- ÉTRANGÈRES, faveur du Yémen. ment des différentes sociétés des entourage. Ses ministres, pro- puissants de ce monde. cats Appleby et analysés pendant Bermudes contrôlées par Georgia- ches conseillers et grands dona- De même, le procureur spécial un an par près de 400 journalistes N’A PAS HÉSITÉ Wilbur Ross Pacific, un fabricant de papier qui teurs de sa campagne, identifiés Robert Mueller a récemment dé- du Consortium international des fait partie des plus grandes filiales par Le Monde et ses partenai- couvert, au détour de son en- journalistes d’investigation (ICIJ), À DISSIMULER DES AVOIRS 79 ans, secrétaire d’Etat de Koch Industries. L’une d’elle, res, sont tous multimillionnai- quête sur l’influence russe dans la dont Le Monde est partenaire, ont au commerce, fondateur Georgia Pacific (Bermuda) Finance res voire milliardaires, et maîtri- campagne présidentielle, que le mis en lumière les montages de WL Ross & Co (fonds vautour) Ltd, est chargée d’énormes prêts sent parfaitement un art de la fi- directeur de la campagne prési- complexes utilisés par des pro- chiment ». De très importants do- Puissant parmi les puissants de financiers –non taxés – entre les nance offshore qui ignore les dentielle de M. Trump, Paul Ma- ches de Donald Trump pour ré- nateurs du Parti républicain figu- l’administration Trump, Wilbur différentes filiales du groupe. frontières, méprise les impôts et nafort, avait probablement blan- duire leurs impôts. rent également dans les « Para- Ross a cédé quatre-vingts de ses Ceux-ci peuvent monter à plu- s’agace des réglementations. chi 75 millions de dollars avec son Si le président américain lui- dise Papers ». Tour d’horizon de sociétés lors de sa nomination, sieurs centaines de millions de Le candidat Trump avait certes associé, en passant par trois para- même n’apparaît pas dans ces do- ces treize proches de Donald mais en a conservé neuf, dans di- dollars, tel le prêt entre l’améri- appelé à briser les grandes ban- dis fiscaux opaques. cuments, son riche secrétaire Trump et de leurs activités offs- vers paradis fiscaux. L’une d’elle, caine Nekoosa Paper et la bermu- ques et à forcer les financiers à Ces révélations ébranleront-el- d’Etat, Rex Tillerson, l’équivalent hore – ou d’une partie, du moins. Navigator Holdings Ltd, spéciali- dienne, qui se chiffre à plus de payer plus d’impôt. Une fois élu, les la classe politique ou l’opinion de notre ministre des affaires sée dans le fret maritime, lui rap- 650 millions de dollars (559 mil- le roi de l’immobilier et de la télé- publique américaines ? Washing- étrangères, et son secrétaire d’Etat Rex Tillerson porte plusieurs millions de dol- lions d’euros). En 2014, les réalité est revenu à ses fondamen- ton s’est montré prompt, par le au commerce, Wilbur Ross, n’ont lars chaque année en dividendes. « LuxLeaks » avaient révélé les res- taux : « J’aime tous les gens, riches passé, à sanctionner ceux de ses pas hésité à dissimuler des avoirs 65 ans, secrétaire d’Etat, Or, l’un des plus importants crits fiscaux – les réponses de ou pauvres, a-t-il lancé devant ses ressortissants qui avaient dissi- dans des paradis fiscaux. L’en- PDG du géant pétrolier clients de la société de fret est une l’administration aux difficultés supporters de l’Iowa, en juin 2017. mulé des avoirs non déclarés à quête sur M. Ross a par ailleurs ExxonMobil de 2006 à 2016 entreprise russe soutenue par fiscales de Koch Industries – au Mais lorsqu’il s’agit de postes à l’étranger, et à exiger une trans- jeté une lumière inquiétante sur A l’époque président d’Exxon Yé- Moscou et dont les dirigeants Luxembourg. un tel niveau, je ne veux pas d’une parence absolue de pays qui, de possibles conflits d’intérêts, et men Inc., il devient administra- sont visés par des sanctions amé- personne pauvre. » Son gouver- comme la Suisse, les avait héber- sur des soupçons appuyés de col- teur de la Marib Upstream Servi- ricaines. Des liens qui renforcent Paul Singer nement apparaît effectivement gés. Les mêmes exigences s’appli- lusion avec la Russie, alors que ces Company, une société bermu- les soupçons de collusion entre la aujourd’hui comme le plus riche queront-elles envers les diri- l’entourage de Donald Trump est dienne qui gère des opérations campagne présidentielle – et dé- 73 ans, président d’Elliott de l’histoire du pays. D’après For- geants et les paradis fiscaux des mis en cause pour une possible in- pétrolières au Yémen. La Marib sormais l’administration – de Management Corporation bes, les fortunes cumulées de ses Caraïbes, qui prospèrent aux por- gérence russe dans l’élection pré- Company était un joint-venture M. Trump avec le Kremlin. (fonds spéculatifs) membres atteignent 4,3 milliards tes des Etats-Unis ? p sidentielle de 2016 – le directeur de trois entreprises dont les ac- Considéré par le président Trump de dollars (3,7 milliards d’euros), jérémie baruch, de la campagne présidentielle de tionnaires étaient l’entreprise pu- Charles et David Koch comme un « allié très impor- soit plus de quinze fois celles du nicolas bourcier, M. Trump, Paul Manafort, a été in- blique du gaz au Yémen, et deux tant », Paul Singer rachète des det- cabinet de George W. Bush. jean-baptiste chastand, culpé le 30 octobre de plusieurs autres sociétés gérées, entre 82 ans et 77 ans, président et tes souveraines d’Etats via ses fi- Ces ultrariches ont aussi la par- anne michel crimes fédéraux, dont « complot autres, par Exxon, Hunt Oil et la vice-président de Koch Industries, liales offshore. Parmi el- ticularité de payer peu d’impôt, et et maxime vaudano contre les Etats-Unis » et « blan- multinationale française Total. un conglomérat familial les, Kensington Interna- ▶▶▶ 0123 MARDI 7 NOVEMBRE 2017 | 5

▶▶▶ tional Limited, cord de prêts en s’assurant qu’el- coadministrateurs étaient no- Carl Icahn a sollicité le bureau Les démocrates enregistrée aux îles CONSIDÉRÉ les « so[ie]nt exonérées de taxes tamment les fondateurs du d’Appleby de l’île de Man pour aussi travaillent Caïmans, qui a acheté au rabais PAR LE PRÉSIDENT sur l’île de Man en termes d’impôt groupe d’investissement Global obtenir un avis sur les obliga- dans l’offshore plus de 90 millions de dollars de sur le revenu […] et le resteront du- Special Situations, spécialisé tions fiscales de Ferrous Resour- la dette congolaise. Conseillée no- COMME UN « ALLIÉ rant la durée » du prêt. Un avocat dans la gestion des fusions-ac- ces, une société minière brési- Les proches de Donald Trump et tamment par le cabinet Appleby, de ces sociétés a affirmé « que quisitions et les faillites. En lienne. En effet, une structure du Parti républicain ne sont pas Kensington a signé, à l’issue de TRÈS IMPORTANT », tous les actifs avaient été déclarés 2009, la valeur des filiales ber- offshore complexe – via notam- les seuls à être épinglés pour plusieurs années de procès dans PAUL SINGER RACHÈTE à la SEC », la Securities and Ex- mudiennes était estimée à ment le Luxembourg et Malte – a leur pratique dans les paradis plusieurs juridictions, un accord change Commission, l’organisme 37,7 milliards de dollars (32,4 mil- été utilisée pour détenir les fiscaux. Penny Pritzker, la secret en échange du retrait de sa DES DETTES SOUVERAINES fédéral américain de réglementa- liards d’euros). Elles ont été parts de la société d’extraction milliardaire nommée secrétaire plainte contre le Congo. L’accord tion et de contrôle des marchés fi- rayées du registre des Bermudes de fer. Rassuré par les conclu- d’Etat au commerce sous Barack stipule l’obligation pour toutes D’ÉTATS À TRAVERS nanciers. trois ans plus tard. sions d’Appleby, qui estime Obama, a, par exemple, trans- les parties d’effacer les pièces SES FILIALES OFFSHORE qu’« il n’y a pas d’obligation de dé- féré, lors de sa nomination, la confidentielles apportées aux dif- Tom Barrack Robert Mercer clarer cette structure au fisc », gestion de certaines de ses en- férents procès. Icahn Enterprises a racheté des treprises à un trust bermudéen 69 ans, président fondateur 71 ans, coprésident parts supplémentaires de la so- détenu par ses enfants… Ce qui Sheldon Adelson transférer la propriété de ces de Colony NorthStar démissionnaire de Renaissance ciété brésilienne et s’est dé- lui a permis de contourner sa biens vers le Luxembourg et l’île (anciennement Colony Capital, Technologies (fonds spéculatif) fendu en précisant « que la struc- promesse de se débarrasser de 84 ans, président des casinos anglo-normande de Jersey. Dé- fonds immobilier) Homme d’affaires qui a in- ture avait été montée avant la tout conflit d’intérêt. Las Vegas Sands voilé par les « Paradise Papers », le Tom Barrack, un ami de trente fluencé Donald Trump pour participation d’Icahn ». L’ancien général Wesley Clark, Principal donateur du Parti répu- montage offshore, préparé par ans de Donald Trump, est décrit nommer Stephen Bannon au qui faisait figure, au début blicain en 2016, avec plus de des avocats du grand cabinet De- comme « peut-être la personne la poste de conseiller stratégique, Randal Quarles des années 2000, d’espoir 82 millions de dollars (70,6 mil- loitte, passe par un trust de Jersey plus proche de [M. Trump] en de- Robert Mercer détient des parts présidentiel pour le camp lions d’euros), Sheldon Adelson qui permet la location des pro- hors de sa famille immédiate ». Les dans le site Breitbart News, dont 60 ans, gouverneur démocrate après avoir dirigé les est administrateur et actionnaire priétés commerciales tout en fichiers d’Appleby illustrent la M. Bannon est le président, mais de la Réserve fédérale forces de l’OTAN en Europe, a, d’Interface Operations Bermuda s’assurant qu’il n’existe « aucune complexité du montage d’un des il a déclaré vouloir les vendre à et vice-président du directoire, lui aussi, mouillé dans les eaux Ltd, qui propose des jets privés retenue d’impôt sur ces loca- fonds du groupe, spécialisé dans ses filles. Robert Mercer était, chargé de la régulation bancaire troubles de l’offshore. immatriculés aux Bermudes, tions ». La société affirme que ses le rachat de sociétés immobiliè- en 2015, directeur de huit filiales Sous-secrétaire au Trésor sous Depuis son départ à la retraite, « uniquement pour le transport « investissements sont en confor- res en difficulté. Une des filiales de Renaissance Technologies, George W. Bush, Randal Quarles a il mène de front des levées de des dirigeants, administrateurs, mité avec les lois britanniques et caïmanes du groupe, exonérée toutes enregistrées aux Bermu- fondé, en 2014, un fonds d’inves- fonds pour le Parti démocrate employés et invités » des casinos internationales ». d’impôt, recevait des fonds de des. Au moins l’une d’entre elles tissement après avoir connu une et l’étrange métier de « directeur de Las Vegas Sands. Cette der- pension américains via le De- est utilisée pour transférer des carrière lucrative en tant qu’avo- prête-nom » : il vend son nom nière a payé à Interface Opera- Steve Wynn laware, tirant ainsi profit de la fis- parts du fonds de gestion Medal- cat de Wall Street et partenaire du prestigieux à de nombreuses tions plusieurs dizaines de mil- calité avantageuse de l’archipel. lion Fund. En 2014, une enquête groupe de capital-investissement sociétés. Parmi elles, Amaya Inc., lions de dollars entre 2010 et 75 ans, président-fondateur L’officine rapatriait ensuite les du Sénat avait conclu que le Carlyle. Il a été identifié dans les propriétaire du site Pokerstars, 2016, s’assurant un confortable des casinos Wynn Resorts fonds investis dans une autre fi- fonds avait usé d’une manœuvre « Paradise Papers » comme admi- qui a ouvert plusieurs filiales transfert d’argent non taxés vers Wynn Resorts contrôle plusieurs liale du Delaware. commerciale complexe pour bé- nistrateur de deux sociétés des dans des paradis fiscaux une juridiction offshore. sociétés écrans liées à son im- néficier d’une réduction d’impôt îles Caïmans pour le compte du comme l’île de Man. plantation en 2006 à Macao, tem- Gary Cohn de près de 7 milliards de dollars groupe Carlyle. L’une d’elle a ob- George Soros, le milliardaire Stephen Schwarzman ple asiatique du jeu. Un mémo- (6 milliards d’euros). Cette accu- tenu, en 2013, un prêt de 95 mil- américain d’origine hongroise randum confidentiel d’Appleby 57 ans, conseiller économique sation avait alors été contestée lions de dollars (81,8 millions et donateur historique du 70 ans, président du fonds démonte la structure de plusieurs de la Maison Blanche par Renaissance. d’euros) de la plus grande banque Parti démocrate, utilise aussi spéculatif Blackstone sociétés boîtes aux lettres dans De 2002 à 2006, alors qu’il n’était des Bermudes, N.T. Butterfield largement les services d’Appleby Les « Paradise Papers » prouvent différents paradis fiscaux, desti- encore que directeur d’un dépar- Carl Icahn & Son. Carlyle était devenu, trois pour gérer des entités offshore que Blackstone, la société de nées à la supervision du dévelop- tement de la banque d’affaires ans plus tôt, l’actionnaire majori- aux Bermudes ou dans les îles l’Américain Stephen Schwarz- pement d’un casino en Chine. Goldman Sachs (qu’il dirigera 81 ans, président d’Icahn taire de la banque. p Vierges britanniques. Le man, a acheté un centre commer- Avec l’aide de la Société générale, par la suite), Gary Cohn a été à la Enterprises (conglomérat) jérémie baruch, philanthrope a également cial en Ecosse et un immeuble de les sociétés offshore ont utilisé tête de vingt sociétés des Bermu- Conseiller éphémère du prési- nicolas bourcier financé l’ICIJ via sa fondation bureaux en Angleterre, avant de l’île de Man pour structurer un ac- des affiliées à la banque. Ses dent Trump, de janvier à août, et l’icij Open Society.

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Les bonnes affaires de Wilbur Ross avec les Russes Le secrétaire au commerce est actionnaire d’une entreprise de fret maritime qui traite avec des oligarques

l est l’un des poids lourds du au conseil d’administration – on gouvernement Trump, avec se demande si la commission était une fortune estimée à 3 mil- même au courant de ses liens avec I liards de dollars (2,6 milliards cette société des îles Marshall. d’euros), à peine moins que celle Selon les données du cabinet Ap- du président. Ancien démocrate pleby, Wilbur Ross continue non comme lui, New-Yorkais et ban- seulement de gagner des millions quier d’affaires, Wilbur Ross, de dollars chaque année grâce à 79 ans, est un secrétaire au com- cette société – qui concurrence merce à la parole tranchante mais pourtant directement les entrepri- au profil discret. ses de transport américaines –, Il a bâti une grande partie de sa mais il a de surcroît des liens d’af- fortune en rachetant des groupes faires avec le cercle rapproché de sidérurgiques en difficulté. Sur- Vladimir Poutine. Parmi les plus nommé « le Roi de la faillite », Wil- gros clients de Navigator se trouve bur Ross jouit, parmi ses pairs, en effet la société russe de gaz et de d’une réputation de businessman produits pétrochimiques Sibur, intraitable, ses détracteurs le dé- qui a contribué à hauteur de crivent comme un « investisseur 23 millions de dollars à son chiffre vautour », Trump lui-même le d’affaires en 2016. Basée à Moscou, compare à un « tueur ». Un compli- Sibur appartient à Kirill Chamalov ment dans la bouche du président, (marié à la plus jeune fille de Pou- qui lui doit le sauvetage de son ca- tine) et à Guennadi Timtchenko, sino d’Atlantic City, le Taj Mahal, un oligarque sanctionné après l’in- en 1990. Comme lui, Wilbur Ross vasion russe en Crimée. est un fervent partisan de la re- Fondateur de Gunvor, l’une des lance par les baisses d’impôts. plus grosses sociétés mondiales de C’est l’âme sœur du président, la négoce de pétrole, M. Timtchenko clé de voûte de cette administra- est considéré, avec une fortune es- tion dominée par les hommes timée à 15,3 milliards de dollars par Wilbur Ross, le secrétaire d’affaires. Forbes, comme l’un des relais fi- d’Etat au commerce, et Donald nanciers du président russe. Le Trump, à la Maison Blanche, Soupçons de conflits d’intérêts plus grand actionnaire de Sibur le 4 octobre. SAUL LOEB/AFP Lors de sa nomination au départe- (57,5 % des parts) est également un ment du commerce, Wilbur Ross a oligarque célèbre, Leonid Mikhel- conclu un accord avec le bureau fé- son, deuxième fortune de Russie. déral d’éthique du gouvernement, Novatek, une de ses compagnies vigator. Il contrôlerait d’euros) de la banque publique Ga- avait toujours « soutenu les sanc- qui prévoit de céder 80 de ses so- d’énergie, a, elle aussi, été visée par aujourd’hui, à travers différentes LES DÉTRACTEURS zprombank, qui porte la participa- tions administratives » contre les ciétés – une grande partie d’entre les sanctions américaines. A ce entités offshore, 31,5 % de la société DE M. ROSS tion du gendre de Poutine dans la entités russes, et ajouté qu’il elles dans des paradis fiscaux. Il a confortable carnet de commandes – une participation estimée à société à plus de 20 %. n’était pas encore au conseil d’ad- toutefois conservé une participa- russes, Navigator a ajouté PDVSA, 200 millions de dollars (172 mil- LE DÉCRIVENT COMME Et malgré les sanctions, les affai- ministration de Navigator quand tion dans neuf structures consa- la compagnie pétrolière nationale lions d’euros). res de Navigator et Sibur croissent les premiers contrats avaient été crées au « financement immobilier vénézuélienne. Bien que, là en- C’est seulement quelques mois UN « INVESTISSEUR et embellissent. En 2015, la part des signés avec Sibur – ce que contre- et prêts hypothécaires » et au core, l’administration américaine après l’entrée au capital de Ross VAUTOUR ». recettes de la compagnie améri- dit sa déclaration d’intérêts. « transport transocéanique ». Des ait sanctionné en août le fleuron que Navigator a signé son premier caine provenant de ce client russe Quelques heures après avoir été actifs qui n’ont pas été détaillés, du régime de Nicolas Maduro. contrat avec Sibur, en mars 2012, DONALD TRUMP passent de 5,3 % à 9,1 % : Sibur de- nommé secrétaire au commerce, excepté quatre d’entre eux enre- L’entrée de Wilbur Ross dans Na- en affrétant deux transports de vient l’un des cinq premiers Wilbur Ross s’est rendu, le 30 no- gistrés dans les îles Caïmans. Per- vigator remonte à 2011, lorsqu’il en produits pétrochimiques vers LE COMPARE clients de Navigator. vembre 2016, à la Gramercy Ta- sonne ou presque n’y a trouvé à re- acquiert 19,4 % du capital et ob- l’Europe. Comme beaucoup d’en- À UN « TUEUR » Que les sociétés de Wilbur Ross vern, un restaurant chic de Man- dire. tient deux sièges au conseil d’ad- treprises énergétiques russes, Si- dans des paradis fiscaux tirent bé- hattan, réservée par Navigator. Da- Devant le Sénat, le milliardaire a ministration. Quelques mois plus bur a été créée par l’Etat, en 1995. néfice d’une entreprise contrôlée vid Butters, le directeur général de répondu aux questions sur son tard, avec l’approbation d’un tri- par des proches de Poutine pose la société, et lui sont arrivés un peu passage à la Bank of Cyprus, la ban- bunal des faillites, il récupère un Le gendre du président 700 millions de dollars à Oust- évidemment la question des con- avant les autres, racontait en jan- que de Chypre, connue pour avoir paquet d’actions de la banque Leh- Elle a été rachetée, en 2001, par le Louga, le port de la Baltique où Na- flits d’intérêts. La loi fédérale exige vier l’agence Bloomberg. David abrité les capitaux de fortunes rus- man Brothers et devient l’action- géant russe Gazprom, qui l’a re- vigator embarque ses cargaisons. que les fonctionnaires se récusent Butters affirme que le tout nou- ses à l’origine douteuse. Ross en a naire majoritaire de Navigator. vendue neuf ans plus tard à Timt- Après l’invasion russe en Crimée dans les affaires qui auraient un ef- veau ministre lui a glissé : « Votre été vice-président de 2014 à 2016 et Il se rapproche alors de David chenko et Mikhelson. Deux hom- en 2014, les Etats-Unis ont imposé fet « direct et prévisible » sur leurs intérêt est aligné sur le mien. L’éco- il a même siégé un temps aux cô- Butters, l’ancien patron de Leh- mes à la trajectoire classique des des sanctions aux principaux al- intérêts ou s’ils ont une relation nomie américaine se développera, tés de Vladimir Strzhalkovsky, man Brothers, qui dirige Navigator oligarques. « Ce ne sont pas des his- liés de Poutine. Dont Timtchenko, qui pourrait faire douter de leur et Navigator sera bénéficiaire. » l’ancien collègue de Vladimir Pou- depuis la faillite de la banque, toires à la Rockefeller. Ils sont pro- deuxième actionnaire de Sibur, et, impartialité. Lorsque les invités sont entrés, tine au KGB. en 2008. Il l’a côtoyé plus de deux ches de Poutine, fidèles à Poutine, et quelques mois plus tard, Mikhel- Un porte-parole de Wilbur Ross a Wilbur Ross a été chaleureuse- L’homme d’affaires a également ans au conseil d’administration de ont obtenu des biens de l’Etat tout son. Sibur n’a pas été visée, mais fait savoir à l’ICIJ que depuis sa no- ment félicité. Le repas s’est déroulé été interrogé sur ses avoirs mariti- la société maritime, de 2012 à 2014, en s’enrichissant », a expliqué des banques occidentales, comme mination, l’homme d’affaires dans la bonne humeur, a dit M. mes. Ses réponses n’ont pas avant de laisser son siège à Wendy Amos Hochstein, le plus haut di- Bank of America et la Royal Bank s’était toujours déporté de « toute Butters à Bloomberg. « C’était ébranlé la commission sénato- Teramoto, l’une de ses proches : plomate américain en matière of Scotland, lui ont retiré leurs décision liée au transport mari- comme : nous avons la possibilité riale. « J’ai l’intention d’être très elle a longtemps été la directrice d’énergie pendant l’administra- prêts. Le gouvernement russe est time transocéanique », et assure maintenant de faire des affaires. » scrupuleux sur toutes les questions générale et l’associée de sa holding tion Obama. alors de nouveau intervenu. En n’avoir « jamais réclamé ni reçu » L’histoire ne dit pas si « le tueur » a où il y a la moindre doute », a-t-il WL Ross & Co LLC, avant de démis- Malgré la vente, le gouverne- septembre 2014, sous la pression d’exemptions d’éthique – une pro- eu un sourire. p promis. Aucune question, en re- sionner, en 2017, pour intégrer son ment russe a continué à soutenir des sanctions, Timtchenko vend cédure qui permet aux responsa- sasha chavkin, vanche, ne lui a été posée sur une cabinet à Washington. Malgré son Sibur. En 2013, un programme fé- 17 % de Sibur à Kirill Chamalov – bles publics de rester dans un dos- martha m. hamilton (icij) société de fret maritime, Naviga- départ du conseil, Wilbur Ross a déral a permis à l’entreprise de un achat financé par un prêt de sier malgré un possible conflit et nicolas bourcier tor Holdings Ltd, alors qu’il a siégé conservé sa participation dans Na- construire un terminal de 1,3 milliard de dollars (1,1 milliard d’intérêts. Il a fait remarquer qu’il pour « le monde » Des sociétés proches de Poutine ont investi dans Facebook et Twitter Le milliardaire Youri Milner s’est associé à deux grands groupes russes pour financer les réseaux sociaux américains

55 ans, Youri Milner est provenait en fait de l’argent de bal, à un investissement dans Fa- compris les transactions avec Twitter a, de son côté, expliqué c’est une banque, de l’autre c’est un l’un des investisseurs les deux sociétés proches du gouver- cebook. A peine un an à deux ans Twitter et Facebook, n’ont été fon- que DST Global était « une entité instrument du Kremlin, explique A plus prospères et les plus nement russe. plus tard, Youri Milner et ses par- dées que sur des critères stricte- bien connue dans la Silicon Val- Sergey Aleksashenko, spécialiste performants de sa génération. Ce tenaires ont réalisé des gains ment commerciaux. Il a reconnu ley » et que son entreprise « avait du secteur bancaire russe et an- milliardaire russe, renommé Investisseur « passif » substantiels en vendant leurs que la banque VTB était l’un des soigneusement examiné tous ses cien membre du conseil d’admi- dans la Silicon Valley, a investi VTB, la deuxième plus grosse ban- parts, peu après l’introduction en partenaires qui l’avait aidé à finan- investisseurs ». Facebook a souli- nistration de la banque dans les 800 millions de dollars (688 mil- que de Russie, a fait passer discrè- bourse de Facebook et de Twitter, cer l’investissement dans Twitter, gné que DST Global n’avait eu années 1990. Quoi que veuille le lions d’euros) dans Facebook, tement 191 millions de dollars respectivement en 2012 et 2013. et aussi la participation de DST aucun contrôle sur l’entreprise. Kremlin, VTB est prêt à le faire ». 400 millions (344 millions (164 millions d’euros) dans DST Rien n’indique que le Kremlin Global dans le site de commerce « Investisseur passif, DST n’avait ni Gazprom Investholding, la fi- d’euros) dans Twitter, plus de Global, le fonds d’investissement ait eu une influence sur Twitter électronique chinois JD. com. Il droit de vote ni siège au conseil liale de Gazprom liée à l’investis- 100 millions (86 millions contrôlé par le milliardaire. La ou Facebook, ou obtenu des infor- fait toutefois observer que VTB d’administration », et qu’elle a sement de Youri Milner dans Face- d’euros) dans Airbnb et Spotify, somme a ensuite été utilisée pour mations internes sur ces deux n’était qu’un investisseur pure- vendu ses parts il y a cinq ans. book, a été gérée pendant plus pour ne citer qu’eux. acheter une importante partici- géants d’Internet grâce à ces in- ment « passif ». D’après ses calculs, d’une décennie par Alicher Ous- Selon les données confidentiel- pation dans Twitter en 2011. Le vestissements. Mais quelques an- moins de 5 % des fonds de son en- « Instrument du Kremlin » manov, un milliardaire russe d’ori- les du cabinet d’avocats Appleby, président de VTB, Andreï Kostin, nées avant même les premiers treprise provenaient d’institu- Ces investissements restent ce- gine ouzbek proche de M. Poutine. obtenues par la Süddeutsche est un proche de Vladimir Pou- soupçons sur l’intervention de la tions gouvernementales russes. pendant sensibles car VTB et Gaz- Le Kremlin a utilisé cette filliale Zeitung et partagées par le Con- tine. Par ailleurs, une filiale du Russie dans la présidentielle 2016 Interrogé sur le rôle de Gazprom prom ont tous les deux des liens pour « des affaires politiquement sortium international des jour- groupe russe Gazprom, égale- aux Etats-Unis, le Kremlin avait Investholding, Youri Milner as- avec Vladimir Poutine et des offi- et stratégiquement importantes », nalistes d’investigation (ICIJ), ment dans les mains du pouvoir des intérêts financiers dans les ré- sure qu’il ne savait rien des liens ciels russes. En juillet 2014, le gou- assure Ilya Zaslavskiy, conseillère dont Le Monde est partenaire, russe, a investi des montants im- seaux sociaux américains. entre la filiale de Gazprom, Kan- vernement américain a sanc- au Hudson Institute, un think une partie de ces investisse- portants dans une société offs- Youri Milner a répondu que les ton Services, et DST Global avant tionné VTB après l’invasion de la tank américain conservateur. p ments dans Facebook et Twitter hore qui a participé, avec DST Glo- investissements de sa société, y que l’ICIJ ne lui pose la question. Crimée par la Russie. « D’un côté spencer woodman (icij) 0123 8 | MARDI 7 NOVEMBRE 2017

Que Dieu garde la reine… des paradis fiscaux Elizabeth II, l’une des femmes les plus riches du monde, a investi ses revenus dans des places offshore

a reine d’Angleterre a in- fait l’objet d’une enquête de la Fi- vesti des millions de li- nancial Conduct Authority (FCA), vres sterling de son patri- l’autorité de réglementation des L moine privé dans un sociétés financières britannique, fonds des îles Caïmans, un porte- qui a ordonné, le mois dernier, à feuille financier offshore jusqu’ici l’entreprise de rembourser gardé secret, et dévoilé par les 14,8 millions de livres sterling « Paradise Papers ». Ces docu- (16,6 millions d’euros) à quelque ments prouvent, pour la première 249 000 clients – la FCA a fois, que la reine a détenu – et dé- d’ailleurs jugé que BrightHouse tient encore – des intérêts dans n’était pas un « prêteur responsa- plusieurs fonds d’investissement ble ». BrightHouse s’est aussi dis- dans des paradis fiscaux. Ces révé- tinguée pour avoir minimisé le lations sur les avoirs de la reine, montant de ses impôts en accor- l’une des femmes les plus riches dant un prêt important à une hol- du monde, ne vont pas manquer ding luxembourgeoise. Elle a dé- de relancer au Royaume-Uni le dé- claré 1,6 milliard de livres (1,8 mil- bat sur son patrimoine, d’autant liard d’euros) de chiffre d’affaires que ces montages n’apparaissent entre 2007 et 2014 et a réalisé pas dans les déclarations annuel- 191 millions de livres (215 millions les de la Couronne. Elles vont sans d’euros) de bénéfices, selon le ma- doute renforcer la détermination gazine britannique . des organisations et des députés Or, elle a payé moins de 6 millions qui réclament depuis longtemps de livres (6,7 millions d’euros) un contrôle plus sérieux des fi- d’impôt sur les sociétés. nances de la famille royale. « BrightHouse se conforme à Bien que les gestionnaires du tous les règlements fiscaux appli- patrimoine de la reine affirment cables, et paie ses impôts intégra- qu’il n’y avait pas d’avantages fis- lement et à temps, proteste la so- caux à investir dans ces paradis, ciété. Nous sommes appréciés de certains détails des montages nos clients parce que nous aidons offshore pourraient en effet se ré- ceux qui sont exclus financière- véler gênants. Le duché de Lan- ment à cause de leurs faibles reve- castre est, depuis 1399, le do- nus ou de leurs problèmes anté- Elizabeth II, le 19 octobre, à Londres. HANNAH MCKAY/REUTERS maine privé du souverain britan- rieurs de crédit, pour leur permet- nique, et lui fournit une source de tre d’avoir des objets de tous les revenus indépendants. Il com- jours qu’ils ne pourraient pas ob- en 2005 dans le Dover Street VI qui a cependant reconnu qu’il d’autres dirigeants et a été rebap- prend traditionnellement des ter- tenir autrement. » Cayman Fund LP, dont il est de- DES ORGANISATIONS ET avait investi dans des fonds à tisé Permal Absolute Return res et des fonds, détenus en fidu- venu à la même époque com- DES DÉPUTÉS RÉCLAMENT l’étranger. « Mais le fonds Dover Fund. On ignore ce que ce mon- cie par la reine. Selon les propres Taxe ridicule manditaire. Cette structure est Street a été acheté en 2005 et ne tage a rapporté au duché – s’il lui estimations du duché, ses actifs Le directeur financier du duché allée nourrir un autre fonds DEPUIS LONGTEMPS constitue que 0,3 % de la valeur to- a rapporté quelque chose. Chris s’élevaient, à la fin de mars, à de Lancastre, Chris Adcock, a ré- américain, qui a lui-même in- tale du duché, relativise le direc- Adcock explique que la Cou- 519 millions de livres (584 mil- pondu au Guardian qu’il n’était vesti dans des sociétés de capital- UN CONTRÔLE PLUS teur financier. L’investissement ronne en a retiré ses avoirs lions d’euros). pas au courant de l’existence de risque du monde entier. Les « Pa- SÉRIEUX DES FINANCES dans BrightHouse a été fait à tra- en 2010. Les investissements Or, depuis douze ans, le duché cette participation royale dans radise Papers » détaillent la fa- vers un tiers et ne vaut que dans Dover Street devraient, eux, de Lancastre a indirectement in- BrightHouse. « Les investisseurs çon dont l’argent du duché a DE LA FAMILLE ROYALE 3 208 livres », soit 3 611 euros. Il n’a perdurer encore deux ou trois vesti – de manière involontaire, s’engagent auprès d’un fonds pour transité dans ces fonds. cependant pas donné de détails ans, le temps qu’il soit liquidé. assure-t-il – dans la société Bright- une certaine période, et ne partici- Les gérants de Dover Street in- sur la valeur de l’investissement La Couronne dément catégori- House, une chaîne de 270 maga- pent pas aux décisions d’investis- diquent ainsi, dans un courrier de 6 % de son engagement, soit initial dans ce fonds, ni sur ce quement vouloir échapper au sins britanniques d’électroména- sement », a-t-il expliqué. C’est de septembre 2007, qu’ils ont des 450 000 dollars (387 000 euros). qu’il en a retiré depuis. fisc en passant par des paradis ger, accusée d’exploiter des d’ailleurs l’un des problèmes de intérêts aux côtés de vingt-six Mais il était prévu que Dover M. Adcock a également con- fiscaux. « Nous n’avons pas con- milliers de familles pauvres et de ces fonds : l’argent peut se perdre autres partenaires dans une so- Street VI cesse toute activité à la firmé que le duché avait placé naissance d’avantages fiscaux personnes vulnérables. Cette en- dans une cascade d’investisse- ciété du nom de Vision Capital fin de l’année 2014. Il revend de- 5 millions de livres, en juin 2004, dont bénéficierait le duché grâce seigne très controversée propose ments successifs, perdus de vue Partners VI B LP. Ils expliquent puis ses participations, et reverse aux Bermudes, dans le Jubilee aux fonds offshore, insiste le di- des appareils électroménagers en par les investisseurs initiaux. que cette structure a été « créée les fonds à ses investisseurs ini- Absolute Return Fund, qui a in- recteur financier. La politique location-vente, avec des rembour- Mais il apparaît que le duché par Vision Capital Partners pour tiaux. Le montant des capitaux vesti à son tour dans des hedge d’investissement du duché repose sements à des taux d’intérêt an- utilise aussi des fonds offshore acquérir un portefeuille de deux recouvrés par le duché n’apparaît funds, des fonds spéculatifs. sur les conseils et les recomman- nuels parfois prohibitifs. Bright- pour éviter de payer des impôts magasins au Royaume-Uni ». Or, pas dans les « Paradise Papers », Jubilee a depuis quitté, dations de nos consultants en in- House est notamment accusée aux Etats-Unis. Les investisseurs deux mois plus tôt, Vision Capi- on retrouve seulement la trace en 2006, les Bermudes pour vestissement, et sur un souci de par les autorités financières bri- qui ne paient pas leurs impôts au tal Partners VI B LP achetait d’un versement de 361 367 dollars Guernesey. A sa création, Fau- bonne répartition de nos actifs, et tanniques de surfacturer ses Royaume-Uni sont en effet cen- BrightHouse et Threshers, une (311 000 euros) en juin 2008. Le chier Partners, les dirigeants de non sur une stratégie fiscale. » clients et d’utiliser des méthodes sés s’en acquitter aux Etats-Unis, chaîne de magasins de boissons duché semble avoir encaissé cette cette structure, dans laquelle ont Quoi qu’il en soit, les « Paradise de vente agressives auprès de gens s’ils investissent dans certains aujourd’hui fermée. somme après s’être acquitté investi une série d’œuvres carita- Papers » ne peuvent que relancer ayant des problèmes mentaux ou fonds américains – mais le du- Le placement dans Vision Capi- d’une taxe ridicule, 0,4 %, soit tives et de fonds de pension, ont le débat sur le devoir de transpa- des troubles de l’apprentissage. ché, lui, assure, n’avoir bénéficié tal était l’un des investissements 1 505 dollars (1 300 euros). cherché à s’assurer que les béné- rence de la famille royale. p L’entreprise a toujours nié ces d’aucun avantage fiscal en inves- proposés par les gérants de Dover « Tous nos investissements sont fices ne seraient pas taxés aux hilary osborne accusations et a assuré qu’on dé- tissant via les îles Caïmans. Il a Street, pour lesquels le duché a entièrement légaux et soumis à Bermudes jusqu’en 2016. Le (« »), formait la réalité. Elle a pourtant investi 7,5 millions de livres été invité à contribuer à hauteur un audit », assure Chris Adcock, fonds est à présent géré par adapté par « le monde »

Pourquoi il est si difficile de réguler les places offshore Des progrès incontestables contre l’évasion fiscale ont été réalisés ces dernières années, mais l’inertie du système reste forte

es paradis fiscaux, c’est ter- services publics et du système Le problème est similaire pour afin d’être moins taxés – en utili- de 2008. A compter de 2017-2018, eux-mêmes, qui ont fondé miné ! » Huit ans après l’an- social d’un pays sans y payer les entreprises : les multinatio- sant parfois des subterfuges la plupart des Etats se sont enga- l’essentiel de leur modèle écono- L nonce de Nicolas Sarkozy, leurs impôts ; ou lorsque des en- nales se retranchent derrière le pour transférer artificiellement gés à mettre fin au secret ban- mique sur le dumping fiscal. les « Paradise Papers » viennent treprises veulent y développer secret des paradis fiscaux qui de l’argent à travers les frontiè- caire et à coopérer pour faciliter Mais comment ces trous noirs apporter une nouvelle fois la des activités sans se soumettre à leur accordent des régimes fis- res. Gabriel Zucman estime que l’identification des fraudeurs fis- de l’économie mondiale, qui ne preuve que si des progrès déter- la fiscalité locale. caux de faveur. Grâce à l’opacité 40 % des profits des multinatio- caux qui ont des comptes à sont que des nains politiques, minants ont été accomplis, le et au manque de coopération in- nales atterrissent ainsi dans les l’étranger. De nouvelles règles se réussissent-ils à imposer leur problème reste entier. Et les pla- L’opacité financière Un fraudeur ternationale de ces pays, ils peu- paradis fiscaux. mettent en place pour interdire loi aux grands pays industriali- ces offshore continuent à poser qui décide de cacher son argent vent y déplacer les profits qu’ils Mais l’opacité des centres off- les pratiques d’optimisation fis- sés ? C’est le paradoxe de la lutte de sérieux problèmes à l’écono- dans un compte offshore cherche génèrent dans le monde entier shore pose un autre problème : cale les plus agressives des multi- contre les paradis fiscaux : la fi- mie mondiale. d’abord à ce que le fisc n’en sache avec des réglementations moins nationales. nance offshore est devenue telle- rien. Les paradis fiscaux présen- exigeantes et des contrôles ment importante dans l’écono- Les impôts De nombreux pays tent en effet un double avantage : moins efficaces, ils constituent Le paradoxe offshore Il serait mie mondiale que beaucoup proposent une fiscalité avanta- outre une fiscalité très avanta- L’ÉCONOMISTE un havre sûr pour « l’argent sale », risqué de crier victoire : comme le craignent de ne pouvoir s’en pas- geuse pour attirer les grandes for- geuse et des réglementations GABRIEL ZUCMAN ESTIME les fonds de la corruption, du rappelle Gabriel Zucman, le ris- ser. tunes : devenir résident fiscal plus souples, ils sont surtout très crime organisé et du terrorisme. que est fort que d’autres pays Ce qui peut expliquer la réti- d’un autre Etat, ou pour une en- discrets. Selon les estimations de QUE 40 % DES PROFITS moins contrôlés prennent le cence des Etats-Unis à hausser le treprise, délocaliser des activités l’économiste Gabriel Zucman, De très lents progrès Des pro- relais, et que les fraudeurs optent ton face aux Bermudes ou aux pour payer moins d’impôts, s’ap- auteur de La richesse cachée des DES MULTINATIONALES grès ont été accomplis ces derniè- pour une juridiction offshore îles Caïmans, ou celle du Royau- pelle de l’optimisation fiscale. Ces nations (Seuil, 2017), les 0,01 % les res années, en particulier depuis plus opaque, grâce aux conseils me-Uni à mettre fin aux régimes techniques sont pour la plupart plus riches du monde parvien- ATTERRISSENT que la lutte contre l’évasion fis- de cabinets spécialisés dans fiscaux de ses dépendances insu- légales. nent ainsi à économiser 30 % des DANS LES PARADIS cale est devenue l’une des priori- l’optimisation fiscale. L’inertie du laires, comme Jersey, l’île de Man Elles le sont moins lorsque des impôts qu’ils devraient normale- tés de la communauté interna- système se nourrit bien sûr de la ou les îles Vierges. p particuliers veulent profiter des ment payer. FISCAUX tionale après la crise financière résistance des paradis fiscaux maxime vaudano 0123 10 | MARDI 7 NOVEMBRE 2017

Trudeau, son ami fidèle et les Caïmans Stephen Bronfman, principal collecteur de fonds du premier ministre canadien, a placé des actifs offshore

a scène remonte à l’été 2012. Justin Trudeau réu- nit ses proches et ses con- L seillers dans un chalet de Mont-Tremblant, un village carte postale niché dans les montagnes Laurentides, à moins de deux heures de Montréal. Le fils du flamboyant Pierre Elliott Tru- deau, premier ministre pendant quinze ans, de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984, cherche à tester ses troupes. Il veut lancer une campa- gne pour devenir premier minis- tre. Il a 40 ans, siège au Parlement avec un Parti libéral en chute dans les sondages et se dit persuadé qu’il a une carte à jouer. Parmi ses convives se trouve Stephen Bronfman. L’homme d’affaires, philanthrope et ami de longue date du jeune député n’a pas besoin d’être présenté. Fils du milliardaire Charles Bronfman, lui-même fils de Samuel Bronf- man – qui a fait fortune en ven- dant du whisky Seagram durant la Prohibition aux Etats-Unis (1919-1933) –, Stephen Bronfman est à la tête de la société Claridge, spécialisée dans l’immobilier, l’alimentation et le divertisse- ment. Plutôt discret sur la scène publique, il fait partie intégrante du sérail, des grands noms et des puissantes familles du Canada. C’est à lui que Justin Trudeau de- mande de recueillir des fonds pour sa campagne. L’entrepre- neur accepte. « Je suis le gars de la finance », dira-t-il plus tard aux meetings de son poulain. Très vite, les médias le décrivent comme l’un de ses principaux conseillers. Après avoir pris les rê- nes du parti, en avril 2013, Justin Trudeau lui propose d’être le col- lecteur de fonds du parti et de sié- ger au sein de l’organe exécutif du parti. Stephen Bronfman dit oui. « Le but est de lever beaucoup Stephen Bronfman et Justin Trudeau, à Saint Peter’s Bay (Barbade), en août 2013. ANDREW VAUGHAN/AP/THE CANADIAN PRESS d’argent et d’aider Justin à devenir le prochain premier ministre, tout simplement », explique-t-il à l’épo- Trust, un trust de 60 millions de mans, créée en 1991 par Leo Kol- ber Trust au cours des années lions d’euros). Il a finalement que. Essentiel dans l’ascension du dollars (52 millions d’euros) qui ber, le parrain de Stephen Bronf- LE PREMIER MINISTRE 1990 et 2000 – des prêts parfois opté pour une « divulgation vo- candidat, Stephen Bronfman fait pourrait avoir soustrait aux cais- man. L’homme est alors un in- CANADIEN, sans intérêt, au mépris des règles lontaire », et a accepté de payer son entrée parmi les cinquante ses fédérales des sommes colossa- fluent sénateur du Parti libéral, fiscales américaines. ses impôts en Israël, assortis d’un personnalités « les plus importan- les en impayés d’impôt. ancien responsable des collectes JUSTIN TRUDEAU Au Canada, il est parfaitement règlement financier. tes » du Canada, selon le classe- L’analyse par plusieurs experts de fonds du parti – et farouche op- légal d’avoir un trust, tant que cer- Mais son déménagement en Is- ment du magazine Maclean’s. des « Paradise Papers », un vaste posant à toute réglementation fi- PROMET UNE RÉFORME taines règles fiscales sont respec- raël pourrait soulever des problè- ensemble de notes et de mails pri- nancière. C’est également un pro- FISCALE QUI TOUCHERA tées. Le fisc canadien insiste, par mes fiscaux au Canada, en raison « Frais de subsistance » vés s’étendant sur plus de vingt che du père de Justin Trudeau. exemple, sur le fait qu’une telle d’une petite phrase rédigée lors Justin Trudeau l’emporte, il est le ans, issus des données confiden- Ce trust a été ouvert pour les en- LES PLUS RICHES structure ne peut être exemptée de sa déclaration : « l’origine des candidat du « vrai changement », tielles du cabinet d’avocats Ap- fants Kolber, Jonathan et Lynne ; de taxe que si son siège effectif, actifs du trust est le père du bénéfi- il est jeune, porté par un souffle pleby, jette une lumière crue sur ce type de structure très opaque c’est-à-dire l’endroit où sont pri- ciaire, qui est un citoyen cana- nouveau, qui bouscule les lignes l’exploitation de failles fiscales, de est parfois utilisé par de gros pa- ses les décisions, est à l’étranger. dien ». Le détail a son importance, de ce Canada engourdi après une paiements déguisés et de possi- trimoines pour dissimuler une Or, les documents d’Appleby foi- car en 2013 la Chambre des com- décennie de gouvernement con- bles transactions frauduleuses de partie de leur fortune. Selon les sonnent d’exemples de décisions munes du Canada a adopté une servateur, marquée par l’austérité la société canadienne. données du cabinet Appleby, les prises non dans les îles Caïmans, loi – rétroactive jusqu’en 2007 – et le repli sur soi. Trudeau promet Le cabinet d’avocats de la famille deux enfants auraient reçu plu- mais bien au Canada. qui entend appliquer aux trusts de renforcer les classes moyen- Bronfman a en outre orchestré sieurs millions de dollars de « dé- offshore l’impôt sur les contribu- nes, de taxer davantage les plus ri- pendant des années une campa- caissements » non imposés, du- Déménagement en Israël tions d’origine canadienne. Geof- ches et de lutter contre les paradis gne de lobbying à Ottawa afin de rant toute la durée de vie du trust. En raison de sa nationalité améri- frey Loomer, professeur de droit fiscaux, où des milliards de dol- combattre toute législation sus- En 2007, par exemple, 3 millions caine, Lynn Kolber ne pouvait de fiscal à l’université Dalhousie, à lars canadiens échappent chaque ceptible de restreindre l’utilisa- de dollars (2,6 millions d’euros) toute façon pas échapper aux Halifax (Nouvelle-Ecosse), qui a année au fisc. tion d’officines offshore. Con- ont été transférés à Jonathan Kol- taxes sur les versements du trust examiné les documents, affirme Il le répète une fois devenu pre- tacté, Stephen Bronfman n’a pas ber pour des « frais de subsis- – ce qui a conduit Appleby à rayer que l’Agence du revenu du Canada mier ministre, il continuera de le souhaité réagir. Son avocat, tance » – et pour aider à l’achat la fille de Leo Kolber de la liste des « serait intéressée par cette décla- répéter devant la Chambre des William Brock, a tenu à souligner d’un appartement à Manhattan. bénéficiaires en 2007. Pour com- ration » de Kolber. Et d’ajouter : communes : « Nous savons que que son client « a[vait] toujours En 2012, il a reçu 1 million de dol- penser l’arrêt des versements, son « Nous parlons de revenus de plu- l’évitement fiscal pose depuis long- agi correctement et de manière lars (860 000 euros) pour ses « dé- frère « Jonathan s’arrangera pour sieurs millions, et probablement temps un problème. Nous avons été éthique, notamment en se confor- penses personnelles ». En 2013, lui offrir des cadeaux » qui, eux, ne de millions de dollars en recettes élus sur la promesse que tout le mant pleinement à toutes les lois 6 millions de dollars (5,1 millions sont pas taxés aux Etats-Unis, fiscales. » monde paierait de manière juste et exigences réglementaires ». Il a d’euros) « pour coût de la vie + propose alors le cabinet. Les avo- Stephen Bronfman continue ac- ses impôts. L’évasion fiscale est dénoncé « toute allégation de train de vie », selon un mémoran- cats de la famille jurent tivement à lever des fonds pour le quelque chose que nous prenons faux, de fraude, de dissimulation dum. Au total, le fils Kolber a reçu aujourd’hui qu’il n’y en a finale- Parti libéral. Dans un courriel en- très au sérieux. » Or, il s’avère que ou d’évasion fiscale », où il ne voit 16,5 millions de dollars (14,2 mil- ment pas eu. En revanche, un voyé en septembre aux membres Stephen Bronfman et sa société qu’une « distorsion des faits ». lions d’euros), exempts d’impôt. deuxième trust familial a été du parti, il a félicité Justin Trudeau Claridge ont activement investi Au cœur des révélations des Les documents montrent que sa ouvert pour répondre aux « ques- d’avoir « défendu la classe dans une structure financière opa- « Paradise Papers » se trouve Kol- sœur Lynne, quant à elle, a reçu tions fiscales que posent ou pour- moyenne ». Le premier ministre, que des îles Caïmans, le Kolber ber Trust, une entité des îles Caï- 1,2 million de dollars (1 million raient poser » le premier montage. lui, promet une réforme fiscale d’euros). Depuis 2015, le Kolber Trust qui touchera les plus riches. « Le Claridge, la société d’investisse- n’existe plus. Après vingt-quatre système que nous avons actuelle- ment de Stephen Bronfman, ans dans les îles Caïmans, les ment les encourage à payer moins n’avait aucune position officielle fonds ont été transférés dans un d’impôt et oblige les Canadiens de dans le trust, mais les « Paradise autre trust en Israël. Les « Para- la classe moyenne à payer plus, a- Papers » montrent que ses cadres dise Papers » prouvent toutefois t-il lancé au début d’octobre, avec 27 MILLIONS fournissaient régulièrement des que Jonathan Kolber, qui a la ci- son enthousiasme habituel. Eh Stephen Bronfman, le collecteur de fonds du Parti libéral canadien, conseils et organisaient des tran- toyenneté israélienne, craignait bien, nous allons le changer. » p a réussi à lever 27 millions de dollars en 2012 et 2013 (soit 23,2 mil- sactions commerciales entre les que soit une « difficulté majeure harvey cashore, lions d’euros), pour son ami et candidat Justin Trudeau. Bronfman et cette structure. pour lui » de révéler aux autorités gillian findlay Pour la seule année 2014, il a amassé plus d’argent que lors de Charles Bronfman et son fils Ste- israéliennes ses liens avec le Kol- et chelsea gomez (cbc), n’importe quelle autre campagne des libéraux au Canada de ces dix phen ont eux-mêmes prêté plu- ber Trust, estimé aujourd’hui à avec nicolas bourcier dernières années. sieurs millions de dollars au Kol- 64 millions de dollars (55 mil- pour « le monde » 0123 MARDI 7 NOVEMBRE 2017 | 11

Pour comprendre la proximité tous échoué. En novembre 2016, qu’entretient le Canada avec ces « IL Y A TELLEMENT la motion présentée par Gabriel Le Canada, l’autre pays paradis fiscaux, il faut remonter à DE TRAITÉS ET Sainte-Marie, député du Bloc qué- l’après-guerre, alors que le pays a bécois, qui dénonçait le recours des liens commerciaux et bancai- DE TEXTES FISCAUX QUE aux paradis fiscaux, a été rejetée à res importants avec les dépendan- la Chambre des communes par ces britanniques de la Caraïbe. A N’IMPORTE QUI PEUT DIRE les deux principales formations. de l’offshore partir des années 1950, avec l’aide QU’IL NE FAIT RIEN « Les élus de tous les partis, dont de juristes, de financiers et de res- celui du premier ministre Trudeau Un quart des investissements étrangers canadiens ponsables canadiens, ces petits D’ILLÉGAL » [libéral], avaient donné leur aval pays se convertissent en Etats de lors du vote à l’Assemblée du Qué- sont réalisés dans des paradis fiscaux complaisance. En 1955, un ancien LYNE LATULIPPE bec, souligne l’élu. Cela n’a visible- gouverneur de la Banque centrale chercheuse à l’université ment pas été suffisant pour ébran- du Canada contribue à faire de la de Sherbrooke ler le gouvernement à Ottawa. » Jamaïque un pays à la fiscalité ré- Pour l’éditorialiste au Financial montréal - envoyé spécial caux estimée entre 12 et plus de canadienne (Ed. Ecosociété, 2014), duite. Dans les années 1960, c’est caux, un record mondial. Le pays Times Diane Francis, il n’y a pas de 20 milliards de dollars. d’y inscrire des actifs qu’ils génè- un avocat de l’Alberta, un poids partage même son siège au FMI et volonté d’y mettre fin, « parce que est l’angle mort Lorsque les membres du Con- rent au Canada avant de les trans- lourd du Parti conservateur, qui à la Banque mondiale avec un col- le Canada est le pays où les lobbys d’un pays prospère, sortium international des journa- férer au pays sous forme de divi- construit une législation offshore lectif de onze paradis fiscaux des des paradis fiscaux sont le plus im- le Canada : un quart listes d’investigation (ICIJ), dendes exemptés d’impôt. opaque pour les îles Caïmans. Caraïbes. Mais c’est bientôt au plantés au monde ». Alain De- C’ de ses investisse- avaient dissipé dans l’enquête Jim Flaherty a été accueilli à bras Mais c’est à la Barbade que le tour du Canada de subir l’impact neault pousse même le raisonne- ments à l’étranger sont faits dans « Offshore Leaks », en 2013, une ouverts par Business Bermuda, gouvernement fédéral d’Ottawa a des places offshore : des agglomé- ment en affirmant que le « lobby des paradis fiscaux. L’Institut de partie du mystère entourant les l’association chargée de la pro- poussé le plus loin la logique. Il a rations comme Montréal font est le pouvoir », et il rappelle que recherche en économie contem- paradis fiscaux, le Canada avait motion des investissements de signé, en novembre 1980, un partie des villes où les entreprises les premiers ministres Harper, poraine (IRÉC), à Montréal, a cal- réagi. Le gouvernement conser- l’archipel. Le ministre a même re- traité sur la « non double imposi- sont les moins taxées. Mulroney et Chrétien, entre 1993 culé que les stocks d’actifs cana- vateur de Stephen Harper avait connu aux Bermudes le statut de tion », qui permet aux Canadiens « Il y a tellement de traités et de et 2015, étaient eux-mêmes liés diens dans les sept principaux annoncé un programme de tra- « leader mondial » de l’assurance. d’enregistrer leurs actifs dans l’île textes fiscaux que n’importe qui aux grands groupes pétroliers, paradis fiscaux avaient été multi- que aux « fraudeurs ». Et menacé L’île compte en effet des centai- en n’y acquittant pratiquement peut dire qu’il ne fait rien d’illégal, miniers et avocats d’affaires. pliés par 37,6 entre 1987 et 2014, de poursuites judiciaires les jour- nes de sociétés dans cette bran- aucun impôt – les taux y varient dit Lyne Latulippe, chercheuse à la « Nous avons un premier ministre alors que le produit intérieur nalistes de Radio Canada, parte- che, soupçonnées de contourner entre 0,25 % et 2,5 % – pour les chaire en fiscalité et en finances qui se présente comme jeune et brut (PIB) canadien triplait pen- naires de l’ICIJ, pour les contrain- le fisc et la réglementation de transférer au Canada sans y être publiques à l’université de Sher- moderne, qui se dit en faveur de la dant la même période. La Bar- dre à fournir les informations pays comme le Canada. imposés. En 1995, le ministre des brooke. C’est à se demander si les justice fiscale… alors qu’il est l’ami bade est même devenue le troi- auxquelles ils avaient eu accès. finances, Paul Martin, décide d’en- hauts fonctionnaires canadiens ne de ceux qui profitent le plus des pa- sième pays où les multinationa- Depuis, rien. Une semaine après « Double discours des autorités » registrer à la Barbade sa propre so- sont pas uniquement là pour né- radis fiscaux, tranche le profes- les canadiennes investissent le ces révélations, le ministre des « On touche là au cœur même du ciété, Canada Steamship Line. gocier des conventions fiscales. » seur. J’ai conscience toutefois que plus, après les Etats-Unis, le finances, Jim Flaherty, s’était double discours des autorités ca- C’est le coup d’envoi d’une course Les libéraux et les conservateurs, certaines lignes commencent à grand partenaire commercial, et même envolé pour les Bermudes, nadiennes qui, d’un côté, affir- à l’offshore : l’île devient un corri- les deux partis au pouvoir depuis bouger avec ces révélations suc- le Royaume-Uni, pour des rai- non pour sermonner le paradis ment à voix haute vouloir lutter dor d’amnistie fiscale pour les ri- plus d’un siècle, poussent tradi- cessives. On peut de moins en sons historiques évidentes. Loin fiscal, mais pour rassurer la com- contre l’évasion fiscale et, de ches contribuables riches. tionnellement à la baisse de l’im- moins faire semblant. » devant donc l’Allemagne, la munauté des affaires. L’île est en l’autre, légalisent les transferts En 2009, le gouvernement con- pôt. « La différence est dans la Difficile en effet d’imaginer France, le Japon ou la Chine. effet signataire des Accords dans les paradis fiscaux », affirme servateur de Stephen Harper « lé- nuance, précise la spécialiste. Les aujourd’hui un voyage du minis- En 2016, quand le bilan net de d’échange de renseignements fis- Alain Deneault. Le plus désolant, galise » une vingtaine de paradis conservateurs sont plus directs et tre des finances dans une île offs- l’investissement direct du Ca- caux (AERF) avec le Canada – ces selon lui, c’est que rien ne change : fiscaux, et convient d’un partage le disent. Les libéraux se sentent hore comme en 2013. L’actuel mi- nada à l’étranger a atteint un accords, qui sont censés percer les « Le Canada est un acteur central de renseignements fiscaux. Les li- obligés d’aider les entreprises, mais nistre, Bill Morneau, se trouve lui- nouveau pic, le stock d’actifs ca- secrets bancaires des législations dans le processus “d’offshorisa- béraux de Justin Trudeau vien- ils le font plus discrètement. » même plongé depuis des semai- chés dans les principaux paradis de complaisance, permettent tion”. Il est aujourd’hui prisonnier nent d’ajouter une place offshore Une demi-douzaine de projets nes dans une affaire de conflit fiscaux s’élevait à 231 milliards surtout aux Canadiens, comme d’une logique qu’il a lui même con- de plus au printemps : Chypre. de loi ont été déposés entre 1999 d’intérêts avec l’une de ses socié- de dollars (199 milliards d’euros). l’écrit Alain Deneault, dans son tribué à mettre en place, quoi qu’en Au total, le Canada a signé cent et 2013 pour limiter ou mettre un tés des Bahamas. p Soit une perte de revenus fis- enquête Paradis fiscaux : la filière disent ses dirigeants. » quinze conventions et traités fis- terme à l’évitement fiscal. Ils ont nicolas bourcier

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Monsieur le Président de la République, Madame la Ministre du Travail, Alors que vous avez fait du handicap une grande bataille de la mandature, les interventions de Madame Pénicaud, le 31 octobre dernier, devant les membres de la commis- sion élargie de l’Assemblée Nationale, montrent des confusions et une méconnaissance du modèle des Entreprises Adaptées et de leur utilité pour la Nation. Oui, les Entreprises Adaptées sont inclusives !! Oui, nos Entreprises Adaptées sont des entreprises ordinaires,dontlessalariésensituationdehandicapontuncontratde droit commun très majoritairement en CDI. Nous appliquons les conventions collectives de nos métiers, nous sommes innovants et notre modèle est pleinement entrepreneurial. Oui, l’investissement dans nos Entreprises Adaptées est bénéique pour l’Etat et la collectivité.AinsiKPMGadémontréqu’unemploiretrouvéparunepersonnehan- dicapée est générateur d’un gain social pour la collectivité de plus de 11 000 € par emploi créé. Oui, nos Entreprises Adaptées ont une mission et une vocation sociale déinies par la loi qui est de favoriser la réalisation du projet professionnel des salariés. Non, à la destruction d’un modèle et à la précarisation de plusieurs milliers d’emplois de personnes en situation de handicap. Non, Madame la Ministre, la compensation n’est pas une « trappe » à personnes en situation de handicap. Des lux importants existent chaque année mais ne sont pas mesurés par l’administration centrale. En 2016, pour un inancement de 23 000 postes, ce sont plus de 34 000 salariés en situation de handicap en contrat de travail et plus de 40 000 personnes qui œuvrent chaque année dans les Entreprises Adaptées. Non, l’aide au poste n’a jamais été conçue comme « un tremplin ». L’aide au poste est l’outil de inancement de la compensation du handicap du salarié, compensation nécessaire à toute inclusion de qualité dans le monde du travail. Nier le besoin de compensation c’est refuser de prendre en compte le handicap.

Non, la dégressivité de la compensation ne va pas permettre de se mettre dans une véritable stratégie qui vise l’inclusion dans l’emploi ordinaire. Les Entreprises Adaptées sont naturellement des entreprises ordinaires. Elles ne sont pas des Entreprises d’Insertion et n’ont pas le même public. Une telle airmation vient à nier toutes les situations complexes d’évolution du handicap au cours de la vie. Des lux importants existent. Les Entreprises Adaptées travaillent sur l’autonomi- sation de leurs salariés ain qu’ils déterminent leur propre destinée sur leur seule volonté. Le Handicap n’est pas un statut, c’est un fait. Le Handicap est une rencontre entre une déicience avérée et une situation. La formation ne permet pas à elle seule de compenser les situations de handicap. Tout comme un ouvrier non qualiié, un cadre handicapé a un taux de chômage 2 fois supérieur à celui des « valides ».    Etre inclusif, c’est faire de l’équité, consistant à moduler l’action selon les besoins, les désirs, les rêves, les projets singuliers, pour compenser les inégalités de nature ou de situation. C’est ce que font au quotidien les 800 Entreprises Adaptées dans le   droit commun ; et c’est le sens de la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’organisation des Nations      Unies, ratiiée par l’Union Européenne et par la France. La France a d’ailleurs été récemment rappelée à l’ordre à ce sujet.       ###        ! L’UNEA est indignée par ces propos et cette vision d’un modèle qu’elle défend depuis 30 ans.      "  C’est pourquoi, nous vous sollicitons donc, Monsieur le Président de la République, Madame la Ministre, pour      "  une rencontre permettant de vous expliquer notre modèle.  !    ! ! 

Union Nationale des Entreprises Adaptées 36, rue Chemin vert – 75011 PARIS 01 43 22 04 42 - [email protected] 0123 24 | 0123 MARDI 7 NOVEMBRE 2017

| CHRONIQUE ÉCONOMIE « PARADISE côté à l’autre, en suivant les failles. Et ce sont perpétuellement sûrs de gagner peut par stéphane lauer ruissellement-là, qui n’a rien de théorique, bien avoir les apparences de la légalité. Il PAPERS », soustrait chaque année aux économies n’en demeure pas moins condamné à per- des Etats environ 350 milliards d’euros, pétuité à l’injustice et aux inégalités. L’ENVERS DE LA dont 120 pour l’Union européenne et 20 Pour mettre fin à cette situation, il con- Entre colombes pour la France, selon les calculs de l’écono- viendrait de casser les deux ressorts qui MONDIALISATION miste Gabriel Zucman. l’entretiennent : l’avidité sans limite de Décrire ces mécanismes, pour les dénon- quelques-uns, et l’inaction des Etats. La se- et faucons cer, expose invariablement à deux types de conde piste n’est pas beaucoup plus simple critiques. « Pourquoi se scandaliser de mon- à suivre que la première. Comme le font ap- tages qui respectent les lois ? », demandera- paraître nos enquêtes, certains de nos diri- t-on d’un côté. « A quoi bon dévoiler des geants occidentaux ont, à des degrés di- es « faucons » attendront. LA NOMINATION faits qui n’exposeront personne à la moin- vers, de solides raisons de ne pas lancer le La décision de Donald dre sanction, et qui ne modifieront pas l’or- mouvement. Dans la Maison Blanche de Trump de nommer Je- DE JEROME POWELL suite de la première page dre des choses ? », dira-t-on de l’autre. A ce Donald Trump, entouré par treize con- L rome Powell à la prési- RELANCE LE DÉBAT cynisme et à ce fatalisme, Le Monde, et ses seillers touchés par ces révélations, l’évite- dence de la Réserve fédérale (Fed) En 2016, les données des « Panama Papers » partenaires de l’ICIJ, opposent leur convic- ment de l’impôt est une culture cynique, va sans doute laisser sur leur faim SUR L’ÉVOLUTION avaient permis de sonder les fleuves sou- tion que ce travail d’enquête peut contri- où le plus malin est celui qui évite de con- les partisans d’un relèvement des terrains de l’argent sale, où se mêlent les buer à une prise de conscience des dangers tribuer au fonctionnement de la collecti- taux d’intérêt plus rapide aux DE LA PHILOSOPHIE eaux grises de l’évasion fiscale et les flots immédiats que courent nos démocraties. vité. Dans le gouvernement de Justin Tru- Etats-Unis. L’homme qui s’apprête noirs des revenus du crime. Cette fois, c’est Nos sociétés ne reposent pas seulement deau, c’est une hypocrisie qui permet de à prendre les rênes de la banque DE LA FED une tout autre cartographie que dressent sur la loi. Elles tiennent aussi grâce à un ci- faire cohabiter les belles intentions du pre- centrale américaine est en effet les montages financiers sur mesure des ment friable : la confiance. Celle-ci ne peut mier ministre avec la présence d’un ami considéré comme un modéré. employés d’Appleby : celle des nombreuses résister au constat que la grande fortune ou proche, ancien trésorier du parti et grand Wall Street peut respirer. L’ère de nent. L’hypothèse que John Tay- failles du système fiscal international, ex- les bénéfices immenses octroient un avan- praticien de la finance offshore. l’argent facile auquel sont shootés lor, lui-même considéré comme plorées par ces avocats de haut vol pour tage supplémentaire à ceux qui en jouis- En France, l’histoire récente a montré les marchés financiers depuis la un éminent spécialiste de politi- permettre à une infime minorité d’ultrari- sent : la possibilité de s’exonérer de l’intérêt aussi que l’on pouvait supprimer un impôt crise de 2008 a visiblement encore que monétaire, puisse faire son ches et de multinationales d’échapper aux général et des devoirs communs. C’est ce sur la fortune en arguant du risque d’exode de beaux jours devant elle. entrée à la Fed par la petite porte taxes et aux impôts tout en demeurant que décrivent les « Paradise Papers ». Un du capital, sans suffisamment s’attaquer Depuis qu’il a été nommé gou- est tout à fait crédible. De plus, aux limites de la loi. tout petit nombre d’entreprises ou d’indi- aux paradis fiscaux qui nourrissent la ten- verneur de l’institution, en 2012, deux autres sièges au sein du con- Cette carte des « Paradise Papers » ne des- vidus se réservent l’accès à l’exact contraire tation d’évasion. C’est à toutes ces formes M. Powell a été un fidèle suppor- seil de la Fed restent à pourvoir ; sine nullement un univers parallèle à l’éco- de l’économie ouverte et compétitive qu’ils de complaisance qu’il faudra renoncer si teur de la stratégie des petits pas peut-être trois si Mme Yellen, dé- nomie de notre planète, elle en fait partie prônent à longueur de temps : un système l’on veut mettre fin à ces pratiques qui con- menée par celle qu’il va rempla- çue de n’avoir pas été reconduite, intégrante. Elle n’est pas le contraire de la fermé et protégé, où ils ont l’assurance de duisent nos démocraties à leur perte. p cer, Janet Yellen. Sous l’impulsion décidait de ne pas briguer un nou- mondialisation, mais son envers. Les bé- ne pas jouer avec les mêmes règles que jérôme fenoglio, de cette dernière, la politique mo- veau mandat de simple gouver- néfices comme les fortunes passent d’un leurs concitoyens. Ce monde où les mêmes directeur du « monde » nétaire américaine est restée ex- neur. M. Trump a donc une trêmement accommodante. Huit chance historique de modifier ans après le début de la reprise l’équilibre au sein de l’institution. économique aux Etats-Unis, le Les « faucons » n’ont sans doute loyer de l’argent est toujours à des pas dit leur dernier mot. niveaux historiquement bas. En fait, loin de clore le débat sur Il y a quelques jours, Donald l’évolution de la philosophie de la Trump avait fanfaronné dans une Fed et ses conséquences sur celle vidéo que son candidat pour la de la Banque centrale européenne, présidence de la Fed allait faire la nomination de M. Powell ne fait, « un boulot fantastique ». « Je crois au contraire, que le relancer. Les que tout le monde va être impres- deux banques centrales sont en sionné », avait-il ajouté. Toutefois, effet confrontées à un dilemme. à ce stade, on est surtout ébloui La politique d’argent facile grâce à par la volonté d’assurer le change- des taux d’intérêt historiquement ment dans la continuité. bas a permis de renouer avec la Pourtant, ces dernières semai- croissance, en aidant les entrepri- nes, le président américain avait ses et les ménages à se financer à pris un malin plaisir à agiter les bon compte. Mais cette stratégie, candidatures d’un John Taylor ou qui privilégie la dette au détri- d’un Kevin Warsh, deux partisans ment de l’épargne, est en train d’une politique monétaire beau- d’atteindre ses limites. coup plus restrictive. L’aile con- servatrice de la majorité républi- Bulles spéculatives caine du Congrès s’était prise à rê- Selon la Banque des règlements ver que la banque centrale était à internationaux, la « banque cen- la veille d’un changement pro- trale des banques centrales », le fond de sa philosophie. A ce stade, niveau global de la dette rap- ils en sont pour leurs frais. porté au produit intérieur brut Cependant, l’histoire n’est ja- est aujourd’hui supérieur de mais écrite à l’avance. La nomina- 40 % à ce qu’il était en 2008. Les tion de M. Powell ne tranche pas banques centrales ont rendu l’ar- de manière définitive la bataille gent tellement abondant que ce- entre les « colombes », soucieuses lui-ci ne sait plus où s’investir, de ne pas casser la croissance en alimentant des bulles spéculati- remontant trop vite les taux, et ves sur les actions, les obliga- les « faucons », qui veulent à tout tions ou l’immobilier. prix normaliser la politique mo- Le débat entre « faucons » et « co- nétaire. Ces derniers s’inquiètent lombes » est d’autant plus difficile en particulier de la faiblesse du à trancher que si la croissance est loyer de l’argent, qui ne laisse revenue, elle n’est pas aussi fran- aucune marge de manœuvre aux che que certains veulent bien le banques centrales au cas où une dire. Certes, le chômage a baissé si- nouvelle crise surviendrait. gnificativement, mais en laissant On l’oublie souvent, mais, au- quantité de gens au bord du che- delà de ses foucades et de ses em- min. De même, les salaires et portements, Donald Trump est l’évolution des prix restent mysté- avant tout un pragmatique. Il sait rieusement atones. En l’absence que s’il avait envoyé un message de pressions inflationnistes, les trop brutal aux marchés finan- « colombes » sont convaincues ciers en désignant un « faucon » qu’il n’y a pas d’urgence à relever ouvertement affiché, il aurait pris les taux. Jusqu’à quand ? Avant le risque de créer une certaine fé- que le système financier ne s’em- brilité, elle-même source d’insta- balle pour de bon, répondent-elles bilité. La seule chose dont on soit en chœur. Mais le problème des sûr à ce jour, c’est que, paradoxa- bulles spéculatives, c’est que l’on lement, M. Powell n’est pas un n’a la certitude de leur existence pur spécialiste de politique mo- que lorsqu’elles éclatent, c’est-à- nétaire. Juriste de formation, il a dire quand il est trop tard. d’abord travaillé au secrétariat au L’océan de liquidités injectées Trésor sous George H. W. Bush dans l’économie depuis 2008 a avant de rejoindre le fonds d’in- réussi à éteindre l’incendie de la vestissement Carlyle. crise. Mais si l’on n’arrive pas à or- Ce parcours n’est pas nécessaire- ganiser le reflux rapidement, il est ment un handicap, mais il pour- évident que le remède finira par rait influer sur le choix du vice- se révéler pire que le mal. Entre président de la Fed, qui est immi- deux écueils – risquer de casser une croissance fragile ou attendre un krach inéluctable à terme –, LA STRATÉGIE QUI M. Powell devra choisir le moin- dre et surtout prendre sa décision PRIVILÉGIE LA DETTE avant que la brutalité des faits ne s’impose à lui. Il arrive à la tête de AU DÉTRIMENT DE la Fed avec une réputation de « modéré ». La réalité pourrait le L’ÉPARGNE EST EN contraindre à la troquer pour celle TRAIN D’ATTEINDRE de pragmatique. p SES LIMITES [email protected]

Tirage du Monde daté dimanche 5-lundi 6 novembre : 247 637 exemplaires