Hydroécol. Appl. (2000) Tome 12 Vol. 1-2, pp. 147-158

Le bivalve invasif asiatique fluminea (, Sphaeriacea, ) dans le bassin hydrographique de la Seine (France) : première prospection systématique et hypothèse sur la colonisation

The invasive Asian bivalve (Heterodonta, Sphaeriacea, Corbiculidae) in the drainage basin of the Seine (France) : first systematic prospecting and hypothesis on the colonization

Thierry Vincent "' et Virginie Brancotte "' (1) Muséum d'histoire naturelle, place du Vieux-Marché, 76600 LE HAVRE. me1 : thierry. [email protected] (2) Les Millériaux, 45360 PIERREFITTE-ES- BOIS. me1 : vbrancotte Qaol.com

Résumé. -Au cours de l'été 2000, le mollusque dulçaquicole Corbicula fluminea a été trouvé dans plusieurs sites le long de la Seine, dans trois de ses affluents et dans cinq de ses canaux. En Seine, l'espèce se répartit de l'amont vers l'aval entre Bray-sur-Seine et Poses. Le genre Corbicula n'a pas encore été observé dans la zone estuarienne. Les données de terrain sont présentées dans cette note. L'expansion est discutée et la ré- partition analysée.

Mots-clés. - Mollusque, dulçaquicole, fleuve, affluents, canaux.

Abstract. - During summer 2000, the freshwater clam Corbicula fluminea was found at several locks in the Seine river (France), in three of its tributaries and five of the connect- ing canals. In the Seine, the is found from downstream of Bray-sur-Seine to up- stream of Poses. Corbicula has not yet invaded the estuary. The data are documented, the colonization is discussed and the distribution is analysed.

Key-words. - Mollusc, freshwater, river, tributaries, connecting canals. 148 Thierry Vincent et Virginie Brancotte

1 INTRODUCTION Corbicula fluminea a été détecté en France en 1977 (Mouthon, in litt, fide Chevallier, 2000) ou au début Le genre Corbicula regroupe des des années 80 (Mouthon, 1981 ; Cé- mollusques bivalves hétérodontes magref, 1982). Morton (1 987, p. 105) dulçaquicoles et d'eau saumâtre, eu- a confirmé que les individus observés rythermes largement répartis en en France dans la Dordogne par Afrique, en Asie et en Australie. Ellis Mouthon appartenaient à I'espèce C. (1978, p. 38) indique que I'espèce C. fluminea. Le caractère invasif de fluminalis est éteinte en Europe, bien cette espece permettait de penser que présente dans différents gise- qu'elle allait rapidement coloniser les ments fossilifères de France, du Da- principaux fleuves et canaux de nemark, de l'Allemagne, etc. II l'hexagone. Cette colonisation peut précise qu'une espèce proche, C. flu- se résumer ainsi : minea, a été introduite aux USA en 1977 : cours inférieur de la Dordogne provenance de l'est de l'Asie. Signalé (Mouthon, fide Chevallier, 2000) dès 1938 en Amérique du Nord 1980 : Dordogne (Mouthon, 1981 ; comme espèce allochtone, il n'a ces- Cémagref, 1982) "' sé, depuis cette date, de coloniser les fleuves de différents états. Deux es- 1985 : Dronne et Garonne (Cémagref, 1986 in Fontan & Meny, 1995) pèces auraient été récemment identi- fiées - Corbicula fluminea (Müller, 1989 : canal du Midi (Girardi, 1990) 1774) et (Müller, Charente (Jourde, fide Che- 1774) - dans le réseau hydrogra- vallier, 2000) phique européen (Kinzelbach, 1991), 1990 : estuaire de la Loire (Baudet, en particulier au Portugal (Mouthon, fide Gruet, 1992) 1981 ; Nagel, 1989), en Espagne Vézère (Fontan & Meny, (Araujo et al., 1993), en Allemagne 1995) '?' (Jungbluth, 1996 ; Nagel, 1997), en haut Rhône (Cémagref, 1990 Hollande (Bij de Vaate & Greijdanus- in Khalanski, 1997) Klaas, 1990), en Belgique (Swinnen et al,, 1998) et au Luxembourg (Dhur 1991 : Gers (Fontan & Meny, 1995) & Massard, 1995) "'. Adour (Fontan & Meny, 1995)

(1) Nagel (1989, p. 17) pose l'hypothèse de Corbicula fluminalis. au Portugal, comme espece allochtone et invasive ou comme espèce relicte. (2) Nous (T.V.) confirmons la présence de I'espèce C. fluminea jusqu'à l'amont de Souillac, en rive droite à Raysse de Passat (bras mort) et La Borie en rive gauche (Lot) (collecte du 24 août 2000). (3) Nous (T.V.) confirmons la présence de I'espèce C. fluminea sur la Vézère jusqu'en amont du Bugue (Malmussou) (collecte du 14juillet 2000). Une recherche jusqu'a Saint-Pantaléon-de- l'Arche et Brive-la-Gaillarde est restée négative. L'implantation n'a pas été observée : peut-être à cause d'une eau trop polluée (Cémagref, 1982). Colonisation du bassin de la Seine par Corbicula fluminea 149

1993 : canal latéral à la Garonne bassin hydrographique de la Seine (Dubois, 1995b) est important. II nous a donc paru in-

1994 : Lot (Fontan & Meny, 1995) (4' téressant d'engager une recherche Moselle (juillet 1994 fide de terrain systématique sur le réseau Bachmann etal., 1997 ; Kha- hydrographique séquanien afin d'affi- ner les connaissances sur la réparti- lanski, 1997) (5' tion de Corbicula fluminea dans la Meuse (Swinnen etal., 1998) Seine et ses principaux affluents. Au 1995 : canal Rhin-Rhône-nord de total, 121 stations ont ainsi été pros- Mulhouse (Bauer, fin mai pectées (fig. 1). 1995, fide Nagel, 1997) 1996 : Aude et Tarn (Bertrand, fide Chevallier, 2000) Rhin (début février 1996.; Na- gel, 1997) 1997 : Seine à Paris (Bertrand, fide La Seine a été prospectée depuis Chevallier, 2000) l'embouchure jusqu'aux environs de basse Loire (Carré & Berger, Troyes. Les principaux affluents en 2000) @' rive gauche (Eure, Loing, Yonne) et Les informations sur l'expansion en rive droite (Oise, Marne, Aube) ont de Corbicula fluminea dans le réseau également fait l'objet d'une investiga- hydrographique français se font plus tion. discrètes depuis trois ou quatre ans, Tous les substrats ont été inspec- bien que I'espèce ait probablement tés (pierres, graviers, sables et vase) continué à se répandre. associés ou non à des macrophytes. En ce qui concerne la Seine, seule Les zones de concentration de la donnée de Bertrand datant de 1997 coquilles, sur les plages, les îlots, les (quai d'Orléans, Paris), rapportée par radiers et dans les ventres des méan- Chevallier (2000) est connue. dres ont été particulièrement parcou- La Seine, augmentée de six princi- rus. Ce sont les espèces visibles à paux affluents, draine la majeure l'œil nu lors de ramassages à pied ou partie du bassin parisien dont la su- à l'aide du troubleau qui ont été perficie est de 78 650 km-nviron. Le conservées et identifiées.

(4) Nous (T.V.) confirmons la présence de l'espèce C. fluminea à Cahors (collecte du 16 juillet 2000). (5) Nous (T.V.) confirmons la présence de I'espèce C. flumineadans la Moselle, à la hauteur de l'usine électrique de La Maxe (près de Metz). Nous ajoutons que nous avons également trouvé en sympatrie C. fluminalis, les deux espèces étant présentes en très forte densité (collecte du 24 sep- tembre 2000). (6) Nous (V.B.) confirmons la présence de I'espèce C. fluminea en Loire moyenne jusqu'à Châ- tillon-sur-Loire (collecte du 23 août 2000). Thierry Vincent et Virginie Brancotte Colonisation du bassin de la Seine par Corbicula fluminea 151

Lorsque les peuplements de Corbi- c - cours moyen : depuis l'amont de cula le permettaient, un décompte à Paris jusqu'au barrage de Jaul- 1 été tenté afin d'obtenir une densité. nes ; L'espèce pouvant s'enfouir profondé- d - cours supérieur : du barrage de ment - environ 20 cm - dans le sédi- Jaulnes jusqu'à Troyes et au-delà. ment meuble (Dubois, 1995a, p. 14) le substrat n'a cependant pas été a - Seine estuarienne fouillé en profondeur. Seules les rives 17 stations ont été prospectées de- de la Seine et des affluents ont été puis les bassins portuaires et les ca- prospectées. Le fond des chenaux, naux de I'arrière-port du Havre, y tant de la Seine que des affluents, qui compris la rivière la Lézarde et le ca- sont souvent des lieux très fréquen- nal de Tancarville, jusqu'au barrage tés par la batellerie, n'a pas été con- de Poses, en amont de Rouen. Un trôlé. En revanche, le fond des coin d'eau salée s'insinue dans I'es- canaux, la plupart au gabarit Freyssi- tuaire, jusqu'à la hauteur de Tancar- net (canal de la Marne à L'Aisne ; ca- ville ou de Villequier selon le nal de l'Yonne à la Saône; canal coefficient des marées et le débit de latéral du Loing, etc.), a été prospecté la Seine. Les eaux saumâtres pénè- à l'aide d'un troubleau à long manche trent donc de 30 km environ dans I'es- Pace estuarien. La marée dynamique est, quant à elle, sensible jusqu'au- delà de Rouen mais se trouve arrêtée par le barrage de Poses. Le genre Corbicula n'a été détecté Les stations sur la Seine Sont re- sur aucune des stations prospectées, groupées par secteurs; chaque af- ni dans I'arrière-port du Havre, ni en fluent est distingué. basse Seine. C'est pourtant dans un environnement sensiblement iden- tique que les premiers spécimens ont 3.1 La Seine été collectés au Portugal dans les an- nées 80 par C. Reis, dans l'estuaire La Seine a un cours de 776 kilomè- du Tage (Mouthon, 1981). Les pre- tres. Nous avons procédé au décou- miers spécimens français, provenant page du fleuve en différents de la basse Dordogne, ont été trou- tronçons : vés en eau douce (Mouthon, 1981 ; a - Seine estuarienne : du Havre jus- Cémagref, 1982). C'est également qu'au barrage de Poses. L'estuaire dans la zone de marée dynamique du stricto sensu, près du Havre, et en haut estuaire de la Loire que Baudet, rive droite, est occupé par le Ma- en 1990, puis Stéphant, en 1991, rais du Hode ; enfin Gruet, en 1992, ont collecté b -cours inférieur : du barrage de Po- les premières valves de Corbicula ses jusqu'à l'aval de Paris ; (Gruet, 1992). l 152 Thierry Vincent et Virginie Brancotte 1

b - Cours inférieur de la Seine La Maxe, sur la Moselle, Golfech sur Ce secteur s'étend du barrage de la Garonne et Bugey sur le Rhône Poses à l'aval de Paris (le Vésinet). (Khalanski, 1997, p. 398-399; et 24 stations ont été prospectées le comm. pers, février 2001). 18juillet 2000. Cinq d'entre elles ont c - Cours moyen de la Seine permis de collecter les premiers spé- cimens de Corbicula fluminea de la Ce secteur s'étend de l'amont de Seine-aval. Paris, jusqu'au barrage de Jaulnes, en amont de Bray-sur-Seine. 14 sta- Sur l'ensemble de ces 5 stations, tions ont été prospectées les 8, 9 et les coquilles sont petites (en 10 août 2000. Corbicula est extrême- moyenne, L : 12mm; h : 10mm)-les ment présent à Corbeil-Essonnes, individus sont donc jeunes - et la po- Melun ou Montereau. pulation peu nombreuse. La disper- sion des individus ne nous a pas Les densités observées à Melun permis de procéder à une approche varient de 80 à 100ind./m2 sur plu- de densité. Une prospection des sieurs centaines de mètres. La préda- étangs de Léry (près de Poses) qui tion de Corbicula - et dans une sont d'anciennes gravières transfor- moindre mesure d'Uni0 pictorum - mées en bases aquatiques de loisir par les rats musqués Ondatra zibethi- (par exemple le lac des deux Amants ; ca (Linné, 1766) est le plus significatif lac du Mesnil) n'a pas permis d'obser- le long des berges empierrées juste ver Corbicula fluminea. Si le site est en amont de Melun. Des milliers de colonisé, il pourra se révéler de pre- coquilles vides sont abandonnés au mière importance pour l'expansion de pied des aires d'alimentation des ron- l'espèce comme c'est le cas de la geurs. base de loisir de la Grande-Paroisse, À la confluence du Loing et de la en aval de Montereau (voir ci-après). Seine, à Saint-Mammès, les Corbicu- II reste à noter toutefois que le lac des la fluminea sont nombreux mais en deux Amants (400 ha) n'est pas en moindre densité qu'en aval (50 à communication avec la Seine, con- 80ind/m2). Au niveau de la base trairement au lac du Mesnil (35 ha) aquatique (51 ha.) de la Noue-Notre- qui est relié à un drain, lui-même en Dame (commune de la Grande-Pa- relation avec un canal de décharge à roisse), le peuplement, très jeune (Lx la Seine. C'est par ailleurs sur ce h : 11 x 10 mm), atteint des densités même tronçon de fleuve que se situe de 60 à 80 ind./m2. Cette base est en une unité de production thermique relation avec la Seine par différents d'électricité (Porcheville). II était inté- canaux d'alimentation et de dé- ressant de savoir si I'espèce était charge. À la confluence de la Seine déjà présente en nombre à cet en- avec l'Yonne à Montereau, l'espèce droit. Corbicula fluminea a colonisé est également très présente, sans des circuits des centrales thermiques qu'il nous ait été possible de chiffrer en France, par exemple Cattenom et la densité moyenne. Colonisation du bassin de la Seine par Corbicula fluminea 153

A partir de l'amont de Montereau, 3.2.3 La Marne le peuplement de Corbicula en Seine est de l'ordre de 1 à 20 ind./m2. L'es- Cet affluent de la rive droite, long pèce tend donc à diminuer en de 525km, trouve sa confluence à densité. Quelques spécimens ont Charenton-le-Pont. II est doublé par cependant encore été collectés sur le canal latéral à la Marne qui rejoint les bancs de sable et le long des ber- la Marne à Épernay. Dans ce canal la- ges à la hauteur de Bray-sur-Seine. téral se jette le canal de la Marne à I'Aisne. A la hauteur de Vitry-le-Fran- d - Cours supérieur de la Seine çois, le canal latéral à la Marne se Le barrage de Jaulnes semble subdivise en canal de la Marne au créer une rupture brutale dans le pou- Rhin et canal de la Marne à la Saône. voir invasif de Corbicula fluminea. 37 stations ont été parcourues les 24 L'espèce n'est plus présente dans et 25 août 2000. Corbicula fluminea nos collectes, à partir du barrage et n'a été collecté dans la Marne que de plus en amont jusqu'à Troyes. Charenton-le-Pont à Épernay. En amont de cette ville l'espèce ne semble pas présente. En revanche 3.2 Les affluents de la Seine elle est bien représentée dans le ca- nal latéral à la Marne, avec des densi- tés pouvant atteindre 50 ind./m2. 3.2.1 L'Eure Corbicula a également été trouvé dans le canal de I'Aisne à la Marne Cet affluent de la rive gauche, long (Condé-sur-Marne), et au moins jus- de 225km, trouve sa confluence à qu'à Sept-Saulx (voir ci-dessus : l'aval de Caudebec-lès-Elbeuf. Les Oise). L'espèce a également été prospections à la recherche de Corbi- trouvée en nombre (35 à 40 ind./m2) cula fluminea sont restées négatives. dans le canal de la Marne à la Saône, au moins jusqu'à Sapignicourt. Mal- gré notre recherche de Marolles à Pli- 3.2.2 L'Oise chancourt, l'espèce n'a pu être collectée dans le canal de la Marne Cet affluent de la rive droite, long au Rhin. Nous rappelons que I.es- de 302km' sa confluencea pèce est toutefois présente dans le Conflans-Sainte-Honorine. Les pros- Rhin depuis 1996, au moins, de pections à la recherche de Corbicula meme que dans le canal du Rhin au fluminea sont restées négatives. Cela Rhône depuis 1995 (Nagel, 1997). peut paraître surprenant car I'Aisne, affluent de l'ois'e, est reliée à la Meuse par le canal des Ardennes. C. 3.2.4 Le Loing fluminea a été trouvé dans le canal de la Marne à l'Aisne lors de notre pros- Cet affluent de la rive gauche, long pection du 24août 2000 (T.V.). de 166 km trouve sa confluence a 154 Thierry Vincent et Virginie Brancotte

Saint-Mammès. II est doublé par le minea n'y a été observé, ni à la canal du Loing et le canal de Briare. confluence, ni plus haut sur son Une recherche de Corbicula, tant cours. sur le Loing (9stations) que sur le ca- nal de Briare puis le canal du Loing (7stations), s'est avérée négative. 4 DISCUSSION Nous rappelons que I'espèce est ce- pendant bien présente à la con- Le parcours systématique de la fluence du Loing avec la Seine à Seine, des affluents et des canaux Saint-Mammès. De même, I'espèce a entre les mois de juillet et de sep- été trouvée par I'un de nous (V.B.) à tembre 2000 permet de définir la ré- Briare, dans le canal. partition de Corbicula fluminea dans le réseau hydrographique séquanien. 3.2.5 L'Yonne La distribution apparaît irrégulière et limitée à une partie du fleuve et de Cet affluent de la rive droite, long ses affluents. Pour expliquer sa distri- de 295km, trouve sa confluence à bution restreinte, la première hypo- Montereau. Corbicula fluminea est thèse voudrait que la limitation soit présent tout au long de son cours, de- due à un manque de plasticité écolo- puis Montereau jusqu'aux abords gique de I'espèce. La seconde hypo- d'Auxerre, au moins (Bassou). La dé- thèse serait que la colonisation de la couverte d'une coquille de L 32 x h Seine aval par Corbicula fluminea 30mm (Joigny; V.B., 9août 2000) n'en est qu'à son début. laisse à penser que la colonisation est ancienne et que le milieu est très favorable au développement de I'es- 4.1 Étude de la distribution pèce. L'Yonne est reliée au canal de Bourgogne à Migennes et met en Corbicula fluminea se répartit en contact la Seine avec le réseau hy- amont et en aval de Paris, depuis le drographique du Rhône par la Saône. barrage de Jaulnes sur le cours Des Corbicula fluminea ont été trou- moyen, jusqu'au barrage de Poses vés à l'entrée du canal de Bourgogne, sur le cours inférieur. Le barrage de par I'un de nous (T.V.) le 1Oaoût Jaulnes marque donc - pour le mo- 2000. L'espèce est d'ailleurs pré- ment - la limite amont de présence de sente dans le canal au moins jusqu'à I'espèce. Fontan et Meny (1995, Esnon. p. 37) ont insisté sur la difficulté que semble rencontrer ce bivalve à fran- 3.2.6 L'Aube chir les barrages. Ils indiquent que cc pour passer ces obstacles, I'inter- Cet affluent de la rive droite, long vention de l'homme paraît néces de 248km, trouve sa confluence à saire ,). La colonisation du cours su- Pont-sur-Seine. Aucun Corbicula flu- périeur de la Seine pourrait donc Colonisation du bassin de la Seine par Corbicula fluminea 155 n'être qu'une question de temps, sa- Nous pensons que le débit des af- chant que le fleuve est doté à cet en- fluents auquel est liée la force du cou- droit d'une écluse et de canaux rant est un facteur qui pourrait permettant le franchissement du bar- également limiter l'expansion de I'es- rage à la batellerie commerciale et de pèce vers l'amont voir s'opposer à la tourisme. colonisation de certains cours d'eau. En effet si les contre-courants de ri- En aval du cours, le barrage de ves peuvent permettre à quelques Poses marque également la limite de larves de ce bivalve de remonter le répartition de I'espèce. Le genre Cor- cours sur une distance de quelques bicula étant euryhalin, la colonisation mètres à quelques dizaines de mè- de la basse Seine apparaît là encore tres, le débit doit cependant entraîner simplement soumise au temps. la plupart des larves vers l'aval et Pour Chevallier (2000) Corbicula s'opposer à la progression naturelle fluminea est ubiquiste, peu soucieux de l'espèce vers I'amont. du potentiel hydrogène et assez eury- therme. Bachmann et al. (1997, 4.2 Distribution et rôle des p. 381) ont cependant démontré pour affluents la Moselle que la granulométrie du substrat est nettement sélective, les sites colonisés sont plutôt ceux à La distribution montre que I'es- substrats fins. Dubois (1 995a) et Fon- pèce, outre sa limitation actuelle par tan et Meny (1995), ont montré que les barrages, est répartie entre Corbicula fluminea pourrait être limité I'Yonne, en rive gauche, et la Marne, par certains paramètres physico-chi- en rive droite. Les différentes stations miques : température; faible ou très réparties le long de I'Yonne permet- forte teneur en calcium; présence tent de juger de l'état de colonisation d'ammoniaque, etc. "). L'absence de ancienne de cet affluent. II en est de pic thermique dans des rivières dont même pour le canal latéral à la les eaux sont fraîches et courantes Marne, largement colonisé et pour la semble être une cause de non coloni- Marne, depuis Épernay, vers l'aval, sation (et de non reproduction) ainsi jusqu'à sa confluence avec la Seine. que Fontan et Meny (op. cit.) ont pu le Nous pensons qu'il faut voir dans constater dans le bassin de la Ga- I'Yonne, plus exactement dans le ca- ronne. II pourrait en être de même nal de Bourgogne, et dans la Marne, dans le réseau hydrographique sé- plus précisément, dans le canal laté- quanien, en particulier dans l'Eure et ral à la Marne, un rôle de vecteur et le Loing. de nurserie qui a permis à Corbicula

-. (7) Morton (1987) a démontré, pour C. fluminea étudié à Hongkong que différents écomorphes pouvaient être liés aux paramètres physico-chimiquesde l'eau, en particulier le pH et la température. 156 Thierry Vincent et Virginie Brancotte fluminea de commencer sa conquête core tres récente en Seine en aval de d'un nouveau bassin hydrogra- Paris. phique. Une bonne description des Corbi- Nous développons dans un autre cula de la Dordogne et du Tage a été article le rôle qu'ont pu jouer les donnée par Mouthon (1981). En ce canaux dans la colonisation du bas- qui concerne la coloration externe sin séquanien (Brancotte & Vincent, des valves, Mouthon (1981) puis Gi- 2001, à paraître). rardi (1 990) indiquent une couleur va- riable, généralement vert olive à brun-noir. Nous avons observé, en 4.3 Remarques concernant la aval de Paris, des petits individus à morphologie des coquilles périostracum foncé, mais à umbo collectées en Seine érodé et donc blanchâtre. En amont de Paris, en Seine, dans les affluents et les canaux, les individus, sont plu- Morton (1 987), pour les Corbicula tôt clairs, à dominante olivâtre, avec fluminea de Hongkong, et Chevallier parfois des ombrages brunâtres en (2000, p. 17), pour ceux de France, bouffées de pipe sur les valves. insistent sur le polymorphisme de Nous avons constaté sur les spéci- l'espèce ; un rapport entre la longueur mens collectés à Melun, le 8août (L) et la hauteur (h) permet cepen- 2000, des aberrations morphologi- dant de caractériser Corbicula flumi- ques. Les déformations affectent les nea si L > h, ce qui se vérifie chez valves droites et gauches. Une étude tous les spécimens que nous avons concernant cette particularité sera collectés aussi bien en Seine que publiée prochainement (Vincent & dans les différents affluents et ca- Brancotte, à paraître). naux du bassin hydrographique sé- quanien. V. Bachmann, dans sa thèse soutenue en juin 2000, a mis en évidence, à l'aide d'une formule ma- CONCLUSION thématique, un coefficient de discri- mination entre les deux espèces (C. fluminea et C. fluminalis) en Moselle La malacocénose séquanienne basé sur la hauteur h, la longueur L et s'est donc bien enrichie d'une nou- l'épaisseur E en mm. Cette étude im- velle espèce - Corbicula fluminea - plique le prélèvement d'un nombre dont l'expansion est encore en cours. élevé de coquilles pour que les men- Ce bivalve allochtone pourrait, à surations soient statistiquement fia- terme, entrer en concurrence avec la bles (Bachmann, comm. pers., malacofaune autochtone. Un cas septembre 2000). En ce qui nous identique d'invasion avait déjà été en- concerne cela n'a pu être réalisé, la registré au XIX" siècle avec Dreisse- colonisation par C. fluminea était en- na polymorpha (Pallas, 1771). Colonisation du bassin de la Seine par Corbicula flurninea 157

, II est raisonnable de penser que la Cémagref, Groupement de Bordeaux et colonisation du bassin hydrogra- Mme Ch. Gardes, Service documenta- tion; M. M. Dao, Cémagref, groupement phique de la Seine par Corbicula flu- d'Anthony, service documentation ; M. H. minea est due à une arrivée de ce Girardi, malacologue. mollusque bivalve par l'intermédiaire des canaux - canal latéral à la Marne et canal de Bourgogne - qui ont mis en contact certains affluents de la RÉFÉRENCES Seine - l'Yonne et la Marne - avec BIBLIOGRAPHIQUES des sites colonisés appartenant à d'autres bassins hydrographiques, Araujo (R.), Moreno (D.) & Ramos (M.A.) en particulier le bassin du Rhin, et 1993 - The Asiatic clam Corbicula flu- peut-être celui du Rhône. minea (Müller, 1774) (, Corbi- culidae) in Europe. Am. Malac. Bull., Si la colonisation de l'aval du 10 (1) : 39-49. fleuve (cours inférieur et Seine estua- Bachmann (V.), Usseglio-Polatera (P.), rienne) est en cours, la découverte Cegielka (E.), Wagner (P.), Poinsaint par l'un de nous (T.V.) de petits spéci- (J.-F.) & Moreteau (J.-C.) 1997 - Pre- mens entre Rouen et Paris, nous le mières observations sur la coexis- confirme, en revanche l'expansion tence de Dreissena polymorpha, Corophium curvispinum et Corbicula vers l'amont et en particulier le saut spp. dans la rivière Moselle. Bull. Fr. du barrage de Jaulnes nécessitera Pêch. Piscic., 344-345 : 373-384. ~ peut-être un peu plus de temps; la Bij de Vaate (A.) & Greijdanus-Klaas (M.) distribution de Corbicula sur I'en- 1990 - The Asiatic Clam Corbicula flu- semble du réseau hydrographique de minea (Müller, 1774) (Pelecipoda, Cor- la Seine semble inéluctable. biculidae) a new immigrant in the Netherlands. Bull. zool. Mus. Univ. Amsterdam, 12 (12) : 173-178. Brancotte (V.) & Vincent (T.) - Rôle des REMERCIEMENTS canaux de navigation dans l'invasion du réseau hydrographique français par Nous tenons à remercier la Ville du Corbicula sp. Bulletin français de la Havre qui nous a facilité les missions de pêche et de la protection des milieux recherche sur le terrain ; nous remercions aquatiques - à paraître. également M. M. Khalanski, EDF Re- Carré (F.) & Berger (A.) 2000 - Quelques cherche & Développement à Chatou ; M. nouvelles malacologiques des pays de le Docteur K.-O. Nagel ; M. V. Bachmann, la Loire moyenne (région Centre, Démoécologie, CREUM, Université de France). Vertigo, 7 (1 997) : 35-43. Metz ; M. J. Mouthon, Cémagref, Groupe- CÉMAGREF 1982 - Étude hydrobiolo- ment de Lyon, pour ses précieux rensei- gique de la Dordogne. Ministère de gnements; M. C. Charrier, cellule l'Agriculture 1 Ministère de I'Environne- environnement du CETMEF, Ministère de ment. Cémagref Section qualité des l'équipement; M. H. Chevallier, Centre eaux, groupement de Bordeaux (éd.) : d'Écologie à Fusternouau ; M. J.-A. Mas- 265 pp, 72 pp d'annexes. sard, pour son aide lors de nos recher- Chevallier (H.) 2000 - Taxonomie des ches bibliographiques; M. le directeur du Corbicula (Bivalvia, Corbiculidae) in- 158 Thierry Vincent et Virginie Brancotte

troduites dans le sud-ouest de la Biotope. Situationanalyse. Ecomed France. Vertigo, 7 (1 997) : 15-21. (ed.) : 314 pp. Dhur (G.) & Massard (J.-A.) 1995 - Étude Khalanski (M.) 1997 - Conséquences in- historique et faunistique des inverté- dustrielles et écologiques de I'intro- brés immigrés ou introduits dans la duction de nouvelles espèces dans les Moselle luxembourgeoise et ses af- hydrosystèmes continentaux : la fluents. Bull. Soc. Nat. Luxemb., 96 : moule zébrée et autres espèces inva- 127-156. sives. Bull. Fr. Pêche Piscic., 344- Dubois (Ch.) 1995a - Corbicula flumi- 345 : 385-404. nea : un mollusque opportuniste. Kinzelbach (R.) 1991 - Die Korbchen- Adour-Garonne, 63 : 13-16. muscheln Corbicula fluminalis, Corbi- Dubois (Ch.) 1995b - Biologie et démo- cula fluminea und Corbicula fluviatilis écologie d'une espèce invasive, Corbi- in Europa (Bivalvia, Corbiculidae). cula fluminea (, Bivalvia) ori- Mainzer Naturw. Archiv, 29 : 21 5-228. ginaire d'Asie : étude in situ (canal Morton (B.) 1987 - Polymorphism in Cor- latéral à la Garonne, France) et en ca- bicula fluminea (Bivalvia, Corbiculoi- nal expérimental. Thèse de l'université dea) from Hong-Kong. Malacological Paul Sabatier, Toulouse : 169 pp. Review, 20 : 105-127. Ellis (A.E.) 1978 - British freshwater Bi- Mouthon (J.) 1981 - Sur la présence en valve Mollusca. Keys and notes for the France et au Portugal de Corbicula (Bi- identification of the species. Linnean valvia, Corbiculidae) originaire d'Asie. Society of London. British Fauna, Basteria, 45 : 109-1 16. n" 11, Academic Press (ed.), London : Mouthon (J.) 1994 - Fréquences et densi- 109 pp. tés des espèces de mollusques dans Fontan (B.) & Meny (J.) 1995 - Note sur les cours d'eau français. Vertigo, 4 : l'invasion de Corbicula fluminea dans 19-28. le réseau hydrographique de la région Mouthon (J.) 1997 - Les mollusques dul- Aquitaine et précisions sur son spectre cicoles du bassin de la Loire, premier écologique. Vertigo, 5 : 31-44. inventaire et caractéristiques des peu- Girard; (H.) 1990 - Deux bivalves d'eau plements du fleuve. Vertigo, 5 : 3-12. douce récents pour la faune française Nagel (K.-O. von) 1989 - Ein weiterer (Mollusca, Bivalvia). Bull. Soc. Et. Sc. Fundort von Corbicula fluminalis Nat. Vaucluse, 1989-1990 : 87-93. (Müller, 1774) (Mollusca : Bivalvia) in Gruet (Y.) 1992 - Un nouveau mollusque Portugal. Mitt. dtsch. malakozool. bivalve pour notre région : Corbicula Ges., 44-45 : 17. sp. (Heterodonta, Sphaeriacea) Bull. Nagel (K.-O. von) 1997 - Corbicula - No- Soc. Sc. Nat. ouest de la France, Ne''" tizen. Mitt. dtsch. malakozool. Gest., série, 14 (2) : 37-43. 59 : 11-13. Jungbluth (J.H.) 1996 - Einwanderer in Swinnen (F.), Leynen (M.), Sablon (R.), der Molluskenfauna von Deutchland. Duvivier (L.) 8 Vanmaele (R.) 1998 - In Gebhardt, Kinzelbach & Shmidt-Fis- The Asiatic clam Corbicula (Bivalvia, cher (Hrsg.). - Gebietsfremde Tierar- Corbiculidae) in Belgium. Bull. de ten. Auswirkungen auf einheimische l'Institut Royal des Sc. Nat. de Bel- Arten, Lebensgemeinschaften und gique, Biologie, 68 : 47-53.