<<

Document generated on 09/30/2021 1:44 p.m.

24 images

Le charme discret du sociopathe cinéphile Drive de , États-Unis, 2011, 110 minutes Bruno Dequen

Le cinéma chinois d’aujourd’hui Number 155, December 2011, January 2012

URI: https://id.erudit.org/iderudit/66707ac

See table of contents

Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

Explore this journal

Cite this review Dequen, B. (2011). Review of [Le charme discret du sociopathe cinéphile / Drive de Nicolas Winding Refn, États-Unis, 2011, 110 minutes]. 24 images, (155), 63–63.

Tous droits réservés © 24/30 I/S, 2012 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/

This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Drive de Nicolas Winding Refn Le charme discret du sociopathe cinéphile par Bruno Dequen

e pastiche postmoderne n’est pas mort. Drive veut le renouveler. L Lauréat du prix de la mise en scène du Festival de Cannes, ce premier film en sol américain du Danois Nicolas Winding Refn – qui avait précédemment secoué le cinéma de genre européen avec la trilogie des Pusher et Bronson – est probablement l’une des œuvres les plus référentielles depuis l’explosion dans ce même festival d’un certain Tarantino il y a déjà plus de quinze ans. Dans une ambiance de film noir revisité par le jeune Michael Mann (et son contem­ porain Walter Hill), un jeune homme aussi dangereusement mystérieux qu’un anti­ héros de Sergio Leone et aussi taciturne et réglé au quart de tour qu’un samouraï de Melville voit sa vie changer brutalement lorsque son cœur se met à battre pour une jolie voisine timide à qui il fait les yeux doux comme dans ces films pour adolescents des années 1980 que rappellent la bande l’éclairage, le montage, la musique – fait du rare, d’autant plus que le masque vient à la son du film, l’esthétique rose de son géné­ personnage, tout en mythifiant un type de fois rappeler la star et le tueur indestruc­ rique et les goûts vestimentaires du héros. récit propre au genre, semble se heurter à tible des slashers. Cependant, dès que la vie de la jeune femme la nature même du « driver ». Contrairement à l’arpenteur des nuits sera en danger, notre chevalier improvisé En surface, cette histoire classique de obscures du New York des années 1970, le usera d’une violence extrême bien contem­ règlement de comptes mafieux mettant « driver » n’a ainsi plus aucune réalité à partir poraine et source de la tension insoluble en péril la vie d’une innocente est un cadre de laquelle tenter de se bâtir une person­ entre forme et contenu qui constitue le idéal pour transformer un personnage en nalité. Seule l’image fictionnelle est source cœur du film. justicier héroïque. Et ce rôle de chevalier, d’inspiration pour cette figure sans âme qui Croisement improbable de multiples le « driver » semble vouloir l’incarner à tout évolue de toute façon dans un monde de sources filmiques, la première qualité de prix. Mais il n’y parvient pas tout à fait. Sa cinéma peuplé de mafieux producteurs de Drive réside dans la capacité de sa mise propension à user de violence et son atti­ films. Or, si cette complexification psycholo­ en scène à instaurer dès les premiers plans rance pour un idéal masculin fantasmé par gique ouvre la voie à une profonde réflexion une ambiance hypnotique fondée sur un jeu Hollywood font de lui un être trouble et per­ sur les tropes mêmes du cinéma de genre, entre la tension extrême des scènes d­ ’action turbé, sans véritable personnalité. Tel un elle se heurte à une mise en scène qui joue la et le relâchement presque catatonique des Travis Bickle nourri de cinéma de genre, il carte d’un classicisme favorisant une identi­ moments de repos. Doté d’un inébranlable s’imagine justicier lorsqu’il n’est peut-être fication à un héros niant toute distanciation mutisme et d’une capacité inouïe à tuer, qu’un dangereux psychotique. Et la figure critique. Une contradiction formelle toute­ son personnage principal, cascadeur de de la femme-enfant vient encore une fois fois inhérente au cinéma de genre américain, cinéma et mécanicien le jour, conducteur donner au protagoniste une raison d’ex­ qui n’aime rien tant que filmer avec éclat pour les malfrats la nuit et justicier à temps poser sa vraie nature qui n’est qu’un désir une violence qu’il tente en même temps de partiel, est une construction fascinante que insensé de s’incarner en mythe. Comment condamner. Preuve paradoxale qu’avec un la caméra de Refn « idolâtre ». Une même expliquer autrement cette scène effrayante seul film, Refn vient de réussir brillamment fascination est palpable dans la façon qu’a le dans laquelle il met le masque d’une star son passage outre-Atlantique. cinéaste d’explorer les possibilités visuelles de cinéma, pour laquelle il joue les dou­ États-Unis, 2011. Ré. Nicolas Winding Refn. Scé. : Hossein de Los Angeles, de ses rues nocturnes à blures, afin d’éliminer l’un des mafieux ? Amini, d’après James Sallis. Ph. : Newton Thomas Sigel. Mont. : sa nature environnante. Or cette célébra­ Rationnellement, cela ne fait aucun sens. Matthew Newman. Int. : , Carey Mulligan, Bryan Cranston, Oscar Isaac, Christina Hendricks, Ron Perlman. tion que la forme du film – les cadrages, Métaphoriquement, c’est d’une puissance 110 minutes. Dist. : Alliance Atlantis Vivafilm.

24 images 155 63