Extrait de la publication Extrait de la publication

Extrait de la publication Extrait de la publication Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays, y compris l'U.R.S.S. © Éditions Gallimard, 1975.

Extrait de la publication Extrait de la publication AVERTISSEMENT

Ce petit livre reproduit deux brochures qui traitent d'un même sujet, à deux époques bien différentes. La première groupait, en 1928, deux écrits publiés auparavant en 1926 et 1927. La seconde réunissait plusieurs articles publiés en 1956, soit vingt-huit ans plus tard. Toutes deux concernent un problème assez grave: quelle est la place de l'intellectuel révolutionnaire dans la société?La pre- mière résultait d'une confrontation passionnée dans le mouvement surréaliste. La seconde était inspirée par un conflit avec l'existentialisme dans les parages du mouve- ment marxiste. A distance, je vois bien quelle différence de ton s'est installée de la première à la seconde, mais j'observe qu'elles s'essayent à répondre, selon l'air du temps et selon mes propres dispositions changeantes avec l'âge et les circonstances aux mêmes interrogations. Je m'aperçois en outre que celles-ci demeurent aujourd'hui tout aussi pressantes, et que l'on n'y répond guère mieux qu'hier et avant-hier. Cela me paraît suffire pour justifier cette réimpression. Nombre de faits évoqués seroid sans doute obscurs, sinon obscurcis, aux yeux de qui voudrait maintenant s'y référer; assez peu clairs, en tout cas, pour que j'ajoute à ces deux brochures quelques rappels ou introductions, qui sont autant de lambeaux d'une mémoire très mal entretenue.

Extrait de la publication Extrait de la publication LA RÉVOLUTION ET LES INTELLECTUELS

Extrait de la publication Extrait de la publication INTRODUCTION A « LA RÉVOLUTION ET LES INTELLECTUELS»

J'ai rencontré Breton et ses amis d'alors au cours de l'hiver 1923-1924, tandis qu'ils prospectaient un domaine où ne s'apercevait plus qu'au loin, fanal perdu en mer. Un des derniers numéros de la revue Littérature était dédié « à la démoralisation », et c'est tout dire. Nous en fîmes pourtant l'envoi dans un papier rouge d'assez bon augure. Les « sommeils » avaient ouvert des voies où se croisaient des impulsions bientôt réunies en faisceau. La pratique de l'écriture « automatique », le rappel systématique de rêves, les relances poétiques, les jeux de questions et de préférences tout cela se greffait sur une sourde volonté de ruptures en tous genres, de rébellions qui tendaient désormais à installer quelque chose, au-delà du vide où Dada s'était évanoui. On fut bientôt assez enclin à ressentir cela comme une « fureur », et de cette fureur il fallait en venir à la « révolu- tion"». Le qualificatif de surréaliste devait s'entendre comme un prédicat. Le sujet, c'était la révolution. Mais laquelle ? Dada niait la révolution surréaliste voulait s'imposer. Mais comment? Mais quoi? Quarante ans plus tard, la réponse se fait attendre. Je veux tenir pour témoignage de cette inquiétude, La Révolution et les intellectuels une discussion sur la nature de cette fureur dont nous étions possédés du moins certains d'entre nous. On a publié, plus tard, un texte élaboré par Art aud, Masson, Leiris, Boiffard et moi, qui exprimait en avril 1925 ce souci que ne partageaient pas alors tous les « surréa- listes ». Des vicissitudes en tous genres inclinaient déjà l'un ou l'autre à « écrire », à paraître, ou à débrouiller des problèmes qui n'intéressaient que lui le subjec- tivisme le plus éperdu s'étant toujours manifesté comme l'antidote, ou la sauvegarde, envers toute organisation commune de la révolte. Pourtant, cette déclaration inté- rieure signalait déjà la pierre d'achoppement à laquelle nous devions bientôt nous heurter assez rudement. C'est qui nous avait entraînés, ce qui peut surprendre, sur la voie d'une révolte d'un nouveau genre. Les anciens se montraient plutôt déçus, et comme las, d'une effervescence qui concluait sans trop de souci au simple bouleversement de la syntaxe et du lexique, au-delà de toute licence poétique, sans oublier diverses exhibitions de théâtre et prome- nades plus ou moins déroutantes. De plus jeunes ne pouvaient se borner à sacrifier ainsi aux images, si perturbatrices fussent-elles. Aujourd'hui que ces images sont tombées dans les filets de combinatoires diverses, et qu'elles tiennent le haut du pavé, elles sont devenues d'assez pédants emblèmes dont il y a lieu de suspecter le simple rôle de drogue. Artaud, déjà méfiant de ses propres essais poétiques et inquiet à sa manière des révélations de l'écriture automatique, suggéra bien vite de mettre l'accent sur les sources d'existence qui, à son dire, lui manquaient cruel- lement. Il cherchait à retrouver, en deçà des mots, quel- que chose qui légitimât leur emploi, et pour le moment La Révolution, et les intellectuels

tournait sa hargne féconde à l'encontre de ce qu'il ressentait comme des obstacles à une ressaisie de l' « es- prit ». En septembre 1924, il écrit à Mme Toulouse « J'ai fait connaissance avec tous les dadas qui voudraient bien m'englober dans leur dernier bateau surréaliste, mais rien à faire. Je suis beaucoup trop réaliste pour cela. Je l'ai d'ailleurs toujours été, et je sais, moi, ce que c'est que le surréalisme. C'est le système du monde et de la pensée que je me suis fait depuis toujours.» Affirmation péremptoire à ne pas mettre en doute, vu la suite, mais dont on flaire d'emblée la singulière élongation qu'elle comporte. Et le 10 janvier 1925, il ajoute pour la même per- sonne « La Révolution Surréaliste paraît cette semaine. On m'a demandé ma collaboration. D A vrai dire, ce fut beaucoup plus qu'une collaboration. En peu de semaines, nous convînmes tous qu'Artaud apportait beaucoup de ce qui manquait assez gravement aux ouvertures du Mani feste du Surréalisme que Breton venait d'écrire et de publier l'attaque furieuse des insti- tutions où la société cristallise ses contraintes maudites. D'un commun accord, il fut invité à donner à la revue que nous venions de publier un tour nouveau. Au-delà de l'expérimental, du poétique, et bien entendu du littéraire, il allait signer l'irruption d'une menace intransigeante contre n'importe quelle entrave à la liberté de l'esprit. Bref, il était le premier à désigner l'adversaire, en un moment où trop de jeunes hommes se contentaient de renvoyer dos à dos adversaires, curieux et amis, le plus souvent au profit d'un dilettantisme du scan- dale qui pouvait mener loin je veux dire conduire certains d'entre eux vers une voltige irresponsable de

Extrait de la publication La Révolution et les intellectuels vers élégiaques, voire de mirliton, ou de réussites publi- ques, assez mal masquées par un sourire modeste et attristé ou de subtils regrets. D'où ces lettres adressées aux instances souveraines de l'oppression et de l'espoir, le pape de Rome ou le dalaï-lama, entre autres. Les amateurs de belles-lettres furent pris de court, même parmi nous. Breton, assez distrait en ce temps par d'autres hantises, n'en accueillit pas moins les éclats d'Artaud avec une faveur marquée. J'en trouve le témoignage assez clair dans une lettre qu'il envoyait à Denise [Naville], alors à Strasbourg, le 28 janvier 1925

« La Direction de la Centrale surréaliste a été confiée enfin à Antonin Artaud et son activité à cet endroit fait merveille. Vous allez voir le manifeste rédigé par ses soins ainsi que nos lettres au pape, au dalaï-lama d'Asie, aux cardinaux de France, aux minis- tres de l'Instruction publique et de l'Hygiène, à Daladier (Conférence de l'Opium à Genève), aux directeurs des asiles d'aliénés du département de la Seine, aux direc- teurs de revues, aux critiques, etc. Nous allons consti- tuer aussi un répertoire des idées surréalistes et mettre sur pied un glossaire du merveilleux, destiné à être publié plus tard et qui réunira, sous forme bibliographique et critique, tout ce-qui pourra contribuer à la documenta- tion humaine en matière d'ouvrages fantastiques, de quelque ordre soient-ils, parus dans tous les pays jus- qu'à ce jour. J'espère que vous voudrez bien y colla- borer et nous adresser aussi souvent que possible toutes les communications que vous jugerez utiles, notamment au sujet d'ouvrages anciens et modernes en langue allemande, que nous ignorons. Voulez-vous ? »

Extrait de la publication La Révolution et les intellectuels

L'énumération du projet de missives, qui devaient être autant de mises au pied du mur, indique assez l'amplitude de l'attaque. L'horizon prospecté s'étendait de plus en plus. Ces mois de janvier et de février 1925, tiédis par la brise d'ailleurs assez vite rafraîchie que soufflait le « bloc des gauches » tout juste substitué à la Chambre bleu horizon, furent saturés de propositions dont je trouve encore un autre tableau tracé par Artaud dans une lettre qui doit être citée ici, évocation précise de l'ardeur qui l'inspirait, et moi avec lui à cette époque.

Messieurs André Breton, et Pierre Naville.

Marseille, le [4 février 1925]. Chers amis, Je crois que la meilleure condition pour que notre mouvement ait une organisation qui réponde à ses buts, est évidemment et d'abord, que chacun de nous ait des attributions et une fonction bien détermi- née. Le Comité de répartition des travaux a été fondé spécialement dans le but d'attribuer à chacun un mini- mum de travail effectif. Je suis bien déterminé pour la part qui m'est personnelle à donner une certaine réalité à mes fonctions, mais j'ai besoin que les décisions prises prennent corps 10 J'espère que la lettre à Herriot est partie. 20 D'autre part, il faut que chacun de nous collabore à la rédaction des lettres et adresses que l'on a décidé d'envoyer. Je mets de côté les deux ou trois adresses dont je me suis chargé, mais voici les personnes que je propose pour la rédaction de toutes les autres lettres et adresses

3

Extrait de la publication La Révolution et les intellectuels

Lettre à toute la critique André Breton et Louis Aragon. Lettre aux médecins chefs des asiles de fous et docteur Fraenkhel. Lettre au ministère de l'Instruction publique Pierre Naville et Benjamin Péret. Lettre aux recteurs de toutes les Universités euro- péennes et André Masson. Lettre aux grands Maîtres de toutes les Universités asiatiques et africaines et René Crevel. Lettre à l'Administration générale de la Comédie- Française Francis Gérard et Mathias Lûbeck. Il y a évidemment beaucoup à dire sur cette réparti- tion, mais notez que nous connaissons assez mal, en réalité, les possibilités de chacun, et de plus il faut que tout le monde travaille. Il faut donner à chacun presque au hasard une occupation imprécise afin de lever, qui sait, peut-être une faculté inconnue de lui. Et il faut que ces divers travaux soient pris au sérieux et réalisés en conscience. Je suis en train de penser à une Lettre au Monde et à une Lettre à la Société des Nations assez courtes toutes deux. Ainsi il n'y aura aucun point important du Monde moral et du Monde physique que [nous] n'aurions atteint. Mais pensez un peu plus aux Quakers, aux Mormons, aux Malthusiens et à la Patagonie. Meilleures amitiés. Antonin Artaud. La Révolution et les intellectuels

La turbulence qui s'exprime ici va bien au-delà de ce qui s'annonçait dans l'agitation inconsciente ou médiumnique du surréalisme à peine dégagé des icono- clasties dadaïstes, au-delà ou ailleurs. Artaud nous sommait d'attaquer, et pas seulement de prospec- ter, et d'engager une lutte avant de récolter quoi que ce soit. Les adresses ou plutôt les défis en question visaient des institutions sociales universités, armée, hôpitaux psychiatriques, sans parler de l'Église de Rome. Je ne me risquerai pas à affirmer que tous les tenants de la révolution surréaliste voyaient les choses de cet œil. Pour quelques-uns d'entre eux seulement, ce que proclamaient ces lettres ouvrait en quelque sorte des perspectives politiques; en dénonçant un pouvoir, celles-ci laissaient loin derrière elles les commentaires inspirés ou cryptiques dont on pouvait orner les livres de Rimbaud et de Lautréamont. De la fureur littéraire qui agitait le poignard brandi par Petrus Borel, nous passions à la volonté de chercher dans la révolution un objectif défini ailleurs que dans les livres. Et c'est par ce biais que plusieurs d'entre nous tentèrent de mettre au point une définition satisfaisante à cet égard. Dès le mois de mars 1925, plusieurs d'entre nous en vinrent à se concerter en créant un « comité idéologique » dont j'avais souligné l'urgence si nous ne voulions pas errer en tout sens, pour finir en publiant des livres ou des revues promises à la littérature la plus courante. Témoin cette convocation, qui figure encore dans le Cahier de procès-verbaux tenu en permanence au Bureau des recherches surréalistes « Le comité idéologique se réunira lundi prochain 30 mars 1925 à la Centrale (4 h 1/2) pour décider de savoir si l'idée de la Révolution doit prendre le pas sur l'idée surréaliste, si l'une est la La Révolution et les intellectuels rançon de l'autre ou si les deux vont de pair. A cette occasion le comité idéologique est réorganisé, et com- prendra les membres suivants Louis Aragon, Antonin Artaud, André Masson, et Pierre Naville (J.-A. Boiffard). Michel Leiris est prié d'assister à la réunion de lundi. André Breton sera averti de cette réunion et le comité souhaite vivement qu'il y assiste. » Cette réunion se tint sans Breton, sans Aragon. D'au- tres suivirent rapidement. J'avais rédigé un projet de déclaration, qui fut examiné par quelques-uns de mes amis. Voici ce texte, plusieurs fois imprimé1, et qu'on retrouvera dans la brochure publiée en 1926 que je reproduis plus loin « Les membres soussignés de La Révolution Surréaliste. réunis le 2 avril 1925, dans le but de déterminer lequel des deux principes, surréaliste ou révolutionnaire, était le plus susceptible de diriger leur action, sans arriver à une entente sur le sujet, se sont mis d'accord sur les points suivants 1° qu'avant toute préoccupation surréaliste ou révolutionnaire, ce qui domine dans leur esprit est un certain état de fureur 2° ils pensent que c'est sur le chemin de cette fureur. qu'ils sont le plus susceptibles d'atteindre ce qu'on pourrait appeler l'illumination surréaliste 3° qu'un des premiers buts à atteindre est l'élucidation des quelques points auxquels devrait s'attaquer plus particulièrement cette fureur 4° ils discernent pour l'instant un seul point positif auquel ils pensent que tous les autres membres de La révolution surréaliste devraient se rallier à savoir que l'Esprit est un principe

1. J'ignore pourquoi ce texte a été publié tronqué dans les notes aux Œuvres d'Antonin Artaud (t. I, Supplément, p. 234) et même dans l'Histoire du Surréalisme de M. Nadeau.

Extrait de la publication La Révolution et les intellectuels essentiellement irréductible et qui ne peut trouver à se fixer ni dans la vie, ni au-delà. » Comme on le voit, un « certain état de fureur » paraît antérieur à tout pour les signataires, et ceux-ci se proposent d'élucider à quels points devrait s'attaquer particulièrement cette fureur. Artaud demanda que l'on précise le point numéro 1 de la proposition, et je retrouve la trace de son état d'esprit exact dans la lettre suivante qu'il m'écrivit à ce moment

Cher ami, Le paragraphe concernant les préoccupations surréa- listes qui seraient moins immédiatement sensibles dans notre esprit qu'un certain état1 de fureur ne peut demeurer rédigé ainsi l'expression est peu claire et mal venue. Il faudrait dire « qu'avant toute idée de surréa- lisme ou de révolution ce qui leur paraît comme plus immédiatement sensible dans leur esprit est un certain état de fureur ». Ou encore (et peut-être mieux) « qu'avant toute préoccupation surréaliste ou révo- lutionnaire ce qui domine dans leur esprit est une cer- taine sorte de fureur ». On peut opposer idée à état ou préoccupation à idée mais non préoccupation à état. Vous serez bien aimable de modifier suivant une des deux versions que je vous indique, à votre choix, mais la seconde me paraît PRÉFÉRABLE. Amitiés. Artaud.

1. Artaud avait d'abord écrit « sorte », puis raturé en écrivant au- dessus « état». Extrait de la publication Extrait de la publication