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Prudente pudeur Nelly et M. Arnaud de Claude Sautet Thierry Horguelin

Number 81, Spring 1996

URI: https://id.erudit.org/iderudit/23453ac

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Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

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Cite this review Horguelin, T. (1996). Review of [Prudente pudeur / Nelly et M. Arnaud de Claude Sautet]. 24 images, (81), 44–45.

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PRUDENTE PUDEUI par Thierry Horguelin

La rencontre de deux solitudes, M. Arnaud () et epuis que Jacques Fieschi a remplacé cognac et contemple son ennui d'un regard Nelly (Emmanuelle Béart). D Jean-Loup Dabadie au scénario, la proprement insondable. Une jeune femme petite musique de Claude Sautet s'affine et d'aujourd'hui marche à pas décidés vers un se dramatise. Aux œuvres chorales ont suc­ avenir incertain et se perd dans la foule des cédé des sonates à deux ou trois voix, mar­ passants. Entre ce prologue et cette clausule quées par un plus grand dépouillement symétriques, Nelly et M. Arnaud se frôlent, formel. Les extravertis à la Montand (dont s'observent, s'intriguent mutuellement et la fanfaronnade était déjà le masque d'une se manquent. Un marché trouble scelle la anxiété profonde) ont laissé la place à une rencontre de leurs deux solitudes. L'ancien lignée de personnages introvertis, bloqués, magistrat propose de l'argent à Nelly qu'il traînant on ne sait quel poids secret. Le ri­ connaît à peine. Non par bonté d'âme, mais tuel des bistrots et des repas perdure, mais pour le plaisir, et le luxe, de l'acte gratuit. les temps ont changé et la cérémonie se fait La jeune femme commence par refuser, pré­ moins conviviale. La dureté de l'époque rend tend devant son mari qu'elle a accepté avant chaque mot plus difficile, plus difficile de lui annoncer son intention de le quitter. aussi ce cinéma hors des modes. D'une cer­ Après quoi elle prend le chèque d'Arnaud taine manière, Sautet pourrait être Piccoli, (intéressante figure du mensonge engageant Montand ou Bouise qui auraient vieilli en celle qui le profère, et qui se retrouvera plus laissant leurs enfants, trentenaires débous­ loin dans sa liaison avec l'éditeur), lequel lui solés, se débattre avec une vie plus précaire. confie la frappe et la correction de ses Assis contre une glace qui semble Mémoires. matérialiser la distance à laquelle il tient Le désir de M. Arnaud pour Nelly relè­ désormais le monde, un bourgeois misan­ ve d'une fascination platonique, qui n'exclut thrope et retiré des affaires commande un ni la jalousie, ni la manipulation, ni l'am-

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bivalence. Aux termes du contrat nullement d'habilleuses... Seul Michel Serrault, tout innocent qui les lie — et qui renvoie aussi bonnement prodigieux, modulant la moin­ bien à la relation du spectateur au film —, dre inflexion, instillant d'infimes décalages Arnaud paie pour voir: en Nelly il s'éprend où l'humour à froid laisse filtrer la sensibi­ d'une image de la Beauté, qu'il est obligé de lité, seul Serrault habite vraiment ce film sublimer. À l'égal de l'allégement croissant policé. Il suggère des zones d'ombre d'un de la dramaturgie et de la mise en scène chez silence ou d'un regard posés à contretemps, Sautet, sa conduite répond à une ascèse: l'ap­ ouvre des failles par où s'engouffre la vie, des partement se vide de ses livres à mesure que abîmes où le prudent Sautet se garde bien M. Arnaud dicte celui dans lequel il se délivre de le suivre. de son passé. C'est une double libération. Parce que cet appartement est comme la chambre secrète du film, parce que Nelly n'existe véritablement que dans le regard d'Arnaud, on regrettera que les auteurs n'aient pas tenu jusqu'au bout le pari du duo en chambre (cela aurait pu s'appeler: Sonate d'automne) et se soient mis en frais d'inven­ ter à Nelly une vie sans M. Arnaud, peuplée de situations et de personnages plus con­ ventionnels les uns que les autres. Tant que le monde extérieur ne se manifeste que sous la forme d'intrusions importunes (télé­ phones, coups de sonnette, sans oublier les visites du tapeur envahissant campé d'iné­ narrable manière par Michael Lonsdale), le mystère perdure et le charme opère. Mais sitôt qu'il (ce monde extérieur à l'apparte­ ment) emplit l'écran en un chapelet d'inu­ tiles scènes d'aération, ressurgissent les tics sociologiques du Sautet des années 70, alors que le film se maintenait jusqu'alors à l'abri Jean-Hugues Anglade et Emmanuelle Béart. de toute contamination par les signes con­ temporains les plus repérables. Au cours de leurs séances de travail, qui dialogues, la facticité des personnages se­ Le thème de l'homme qui fuit, leit­ s'apparentent d'ailleurs à l'écriture d'un scé­ condaires. Le réalisme de Claude Sautet, motiv de tout le cinéma de Sautet, serait- nario, Nelly suggère constamment des cou­ selon l'exacte formule de Louis Seguin, est ce abuser que de le rapporter à un cinéaste pes, et donne au prolixe Arnaud des conseils une «technique de la vraisemblance», une qui recule constamment devant les impli­ d'économie narrative. Il y a de même chez «approximation de l'apparence» qui bute cations de son sujet, et emploie une intel­ Sautet une forme extrême de pudeur, un continuellement sur le problème de son ligence et un talent incontestables à arrondir refus du cheminement direct qui le conduit incarnation. L'écriture occupe ici la fonc­ les angles? • à laisser en suspens des ébauches de scènes, tion de la musique dans Lin cœur en hiver, comme le négatif d'une histoire qui ne sera mais les mémoires que dicte M. Arnaud pas. Jamais sa mise en scène n'avait été plus sont d'une extrême platitude, sans rapport loin dans le laconisme et l'épure, dans l'art avec le panache et l'ironie caustique dont fait NELLY ET M. ARNAUD musical de la modulation, où les variations, preuve le personnage par ailleurs. Emma­ France 1995. Ré.: Claude Sautet. Scé.: les cadences et les scansions disent la couleur nuelle Béart n'a certainement jamais touché Sautet, Jacques Fieschi et Yves Ullmann. Ph.: des sentiments. La netteté du découpage, la un clavier de traitement de texte de sa vie. Jean-François Robin. Mont.: Jacqueline Thie- précision des recadrages, la sûreté du tem­ Au reste, l'actrice, assez peu convaincante, dot. Mus.: . Int.: Michel Ser­ rault, Emmanuelle Béart, Jean-Hugues An­ po forcent l'estime. Mais cette perfection icône corsetée dans sa beauté, paraît suivie glade, , Françoise Brion, feutrée ne fait qu'accuser par contraste la fa­ entre les prises par une armée de conseillers Michèle Laroque, Michael Lonsdale. 107 brication du film, le peaufinage exagéré des en image, de maquilleurs, de coiffeurs et minutes. Couleur. Dist.: CFP.

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