ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE D’ALFORT

Année 2012

ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE DES PHÉNOMÈNES D’AUTOMÉDICATION PAR LES PLANTES ET LES PRODUITS MINÉRAUX CHEZ L’ANIMAL : Impact de la recherche en zoopharmacognosie

THÈSE

Pour le

DOCTORAT VÉTÉRINAIRE

Présentée et soutenue publiquement devant

LA FACULTÉ DE MÉDECINE DE CRÉTEIL

Le 22 novembre 2012

Par

Gaëlle FORTIN

Née le 11 janvier 1987 à Clamart (Hauts-de-Seine)

JURY

Président : Pr. Professeur à la Faculté de Médecine de CRÉTEIL

Membres Directeur : M. Renaud TISSIER Maître de conférences, Unité de Pharmacie et Toxicologie de l’ENVA

Assesseur : M. Bertrand DEPUTTE Professeur émérite, Unité d’Ethologie de l’ENVA

LISTE DES MEMBRES DU CORPS ENSEIGNANT Directeur : M. le Professeur GOGNY Marc Directeurs honoraires : MM. les Professeurs MORAILLON Robert, PARODI André-Laurent, PILET Charles, TOMA Bernard Professeurs honoraires: Mme et MM. : BRUGERE Henri, BRUGERE-PICOUX Jeanne, BUSSIERAS Jean, CERF Olivier, CLERC Bernard, CRESPEAU François, DEPUTTE Bertrand, MOUTHON Gilbert, MILHAUD Guy, POUCHELON Jean-Louis, ROZIER Jacques

DEPARTEMENT D’ELEVAGE ET DE PATHOLOGIE DES EQUIDES ET DES CARNIVORES (DEPEC) Chef du département : M. POLACK Bruno, Maître de conférences - Adjoint : M. BLOT Stéphane, Professeur - UNITE DE CARDIOLOGIE - UNITE DE PARASITOLOGIE ET MALADIES PARASITAIRES Mme CHETBOUL Valérie, Professeur * M. BLAGA Radu Gheorghe, Maître de conférences (rattaché au DPASP) Mme GKOUNI Vassiliki, Praticien hospitalier M. CHERMETTE René, Professeur * - UNITE DE CLINIQUE EQUINE M. GUILLOT Jacques, Professeur M. AUDIGIE Fabrice, Professeur Mme MARIGNAC Geneviève, Maître de conférences M. POLACK Bruno, Maître de conférences M. DENOIX Jean-Marie, Professeur Mme TRACHSEL Dagmar, Maître de conférences contractuel M. BENSIGNOR Emmanuel, Professeur contractuel Mme DUPAYS Anne-Gaëlle, Assistant d’enseignement et de recherche - UNITE DE PATHOLOGIE CHIRURGICALE contractuel M. FAYOLLE Pascal, Professeur Mme GIRAUDET Aude, Praticien hospitalier * M. MAILHAC Jean-Marie, Maître de conférences Mme MESPOULHES-RIVIERE Céline, Maître de conférences contractuel M. MOISSONNIER Pierre, Professeur* Mme PRADIER Sophie, Maître de conférences M. NIEBAUER Gert, Professeur contractuel - UNITE D’IMAGERIE MEDICALE Mme RAVARY-PLUMIOEN Bérangère, Maître de conférences (rattachée au Mme BEDU-LEPERLIER Anne-Sophie, Maître de conférences contractuel DPASP) Mme STAMBOULI Fouzia, Praticien hospitalier Mme VIATEAU-DUVAL Véronique, Maître de conférences M. ZILBERSTEIN Luca, Maître de conférences - UNITE DE MEDECINE Mme BENCHEKROUN Ghita, Maître de conférences contractuel - UNITE DE REPRODUCTION ANIMALE M. BLOT Stéphane, Professeur* Mme CONSTANT Fabienne, Maître de conférences (rattachée au DPASP) Mme MAUREY-GUENEC Christelle, Maître de conférences M. DESBOIS Christophe, Maître de conférences M. ROSENBERG Charles, Maître de conférences M. FONTBONNE Alain, Maître de conférences - UNITE DE MEDECINE DE L’ELEVAGE ET DU SPORT Mme MASSE-MOREL Gaëlle, Maître de conférences contractuel (rattachée au M. GRANDJEAN Dominique, Professeur * DPASP) Mme YAGUIYAN-COLLIARD Laurence, Maître de conférences contractuel M. NUDELMANN Nicolas, Maître de conférences Mme CLERO Delphine, Maître de conférences contractuel M. REMY Dominique, Maître de conférences (rattaché au DPASP)* - DISCIPLINE : NUTRITION-ALIMENTATION M. MAUFFRE Vincent, Assistant d’enseignement et de recherche contractuel, M. PARAGON Bernard, Professeur (rattaché au DPASP) - DISCIPLINE : OPHTALMOLOGIE - DISCIPLINE : URGENCE SOINS INTENSIFS Mme CHAHORY Sabine, Maître de conférences * Mme ROUX Françoise, Maître de conférences

DEPARTEMENT DES PRODUCTIONS ANIMALES ET DE LA SANTE PUBLIQUE (DPASP) Chef du département : M. MILLEMANN Yves, Maître de conférences - Adjoint : Mme DUFOUR Barbara, Professeur - DISCIPLINE : BIOSTATISTIQUES - UNITE DE PATHOLOGIE MEDICALE DU BETAIL ET DES ANIMAUX M. DESQUILBET Loïc, Maître de conférences DE BASSE-COUR M. ADJOU Karim, Professeur * - UNITE D’HYGIENE ET INDUSTRIE DES ALIMENTS D’ORIGINE M. BELBIS Guillaume, Assistant d’enseignement et de recherche contractuel, ANIMALE M. AUGUSTIN Jean-Christophe, Maître de conférences M. HESKIA Bernard, Professeur contractuel M. MILLEMANN Yves, Professeur M. BOLNOT François, Maître de conférences * M. CARLIER Vincent, Professeur - UNITE DE ZOOTECHNIE, ECONOMIE RURALE Mme COLMIN Catherine, Maître de conférences M. ARNE Pascal, Maître de conférences* - UNITE DES MALADIES CONTAGIEUSES M. BOSSE Philippe, Professeur M. COURREAU Jean-François, Professeur M. BENET Jean-Jacques, Professeur Mme GRIMARD-BALLIF Bénédicte, Professeur Mme DUFOUR Barbara, Professeur* Mme LEROY-BARASSIN Isabelle, Maître de conférences Mme HADDAD/HOANG-XUAN Nadia, Professeur M. PONTER Andrew, Professeur Mme PRAUD Anne, Assistant d’enseignement et de recherche contractuel

DEPARTEMENT DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET PHARMACEUTIQUES (DSBP) Chef du département : Mme COMBRISSON Hélène, Professeur - Adjoint : Mme LE PODER Sophie, Maître de conférences - UNITE D’ANATOMIE DES ANIMAUX DOMESTIQUES - UNITE DE PATHOLOGIE GENERALE MICROBIOLOGIE, M. CHATEAU Henry, Maître de conférences* IMMUNOLOGIE Mme CREVIER-DENOIX Nathalie, Professeur M. BOULOUIS Henri-Jean, Professeur M. DEGUEURCE Christophe, Professeur Mme QUINTIN-COLONNA Françoise, Professeur* Mme ROBERT Céline, Maître de conférences Mme LE ROUX Delphine, Maître de conférences stagiaire - DISCIPLINE : ANGLAIS - UNITE DE PHARMACIE ET TOXICOLOGIE Mme CONAN Muriel, Professeur certifié Mme ENRIQUEZ Brigitte, Professeur M. PERROT Sébastien, Maître de conférences - UNITE DE BIOCHIMIE M. BELLIER Sylvain, Maître de conférences* M. TISSIER Renaud, Maître de conférences* M. MICHAUX Jean-Michel, Maître de conférences - UNITE DE PHYSIOLOGIE ET THERAPEUTIQUE - DISCIPLINE : EDUCATION PHYSIQUE ET SPORTIVE Mme COMBRISSON Hélène, Professeur M. PHILIPS, Professeur certifié Mme PILOT-STORCK Fanny, Maître de conférences M. TIRET Laurent, Maître de conférences* - UNITE DE GENETIQUE MEDICALE ET MOLECULAIRE Mme ABITBOL Marie, Maître de conférences - UNITE DE VIROLOGIE M. PANTHIER Jean-Jacques, Professeur* M. ELOIT Marc, Professeur Mme LE PODER Sophie, Maître de conférences * -UNITE D’HISTOLOGIE, ANATOMIE PATHOLOGIQUE Mme CORDONNIER-LEFORT Nathalie, Maître de conférences* - DISCIPLINE : ETHOLOGIE M. FONTAINE Jean-Jacques, Professeur Mme GILBERT Caroline, Maître de conférences Mme LALOY Eve, Maître de conférences contractuel M. REYES GOMEZ Edouard, Assistant d’enseignement et de recherche * responsable d’unité contractuel

REMERCIEMENTS

Au Professeur de la Faculté de Médecine de Créteil, Qui nous fait l’honneur d’accepter la présidence de ce jury de thèse. Hommage respectueux .

A Monsieur le Docteur Renaud Tissier, Maître de conférences en Pharmacie et Toxicologie à l’Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, Pour avoir accepté d’encadrer cette thèse, Pour votre gentillesse, votre disponibilité et la célérité de vos corrections, Sincères remerciements.

A Monsieur, le Docteur Bertrand Deputte, Professeur émérite d’Ethologie à l’Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, Pour nous avoir fait l’honneur de juger ce travail, Pour la rapidité et la précision de vos corrections, Sincères remerciements.

REMERCIEMENTS PERSONNELS

A mes parents, Pour leur amour et leur soutien inconditionnel. Du fond du cœur : Merci pour tout, je vous aime fort.

A mon frère, Tu vois bien que ma thèse ne fait pas 30 pages ! Je t’aime frérot.

A toute ma famille, Une petite pensée pour chacun d’entre vous. Je vous aime.

A Stan, Merci d’être toujours là pour moi, je serais toujours là pour toi. Je t’aime.

Au groupe 9, Sandrine, Jérèm, Stan, Benoît, Charlotte, Matthias, Chloé, Marie-Aude … (« Eh mais ? … elle est où Laura ? ») … et Laura ! Que de souvenirs…

A la team Mongolie 2009, La Prez, Le Trez, La Blonde, Turtle Rock et La bâche … quelle fine équipe ! Je crois que je me souviendrais toute ma vie de cette fantastique aventure mongole en votre compagnie… Sain baïno ! Norotoyo ?

A ma poulotte, Je suis si fière que tu sois ma lamentable poulotte !

A Marion, Mon amie de toujours, J’espère que nos routes ne cesseront jamais de se croiser encore et encore …

A mes amies de prépa, Myriana (mon carpo préféré, un woketépok s’impose !), Charlotte (Pimousse… Echantillon… !), Lucile (même si tu renie le pays de Caux pour Marseille… peuchère…), Anne (Mooonstre !), Marion (5/2 sister), Hélène (ma marraine de prépa) et Sonia (ma voisine bavarde qui m’empêchait de bosser !).

Enfin…

A Elliott, Tu es bel et bien un chien en « or »...

TABLE DES MATIERES

LISTE DES TABLEAUX ET DES FIGURES...... 3 INTRODUCTION...... 5

I - Observations et descriptions des comportements dits « d’automédication »...... 7

A - Observations du passé : Les animaux en ethnomédecine depuis l’antiquité ...... 7

B - Observations du présent : observations chez des animaux sauvages, de l’anecdote aux faits scientifiques ?...... 8

1 - Utilisation non alimentaire d’items biologiquement actifs...... 9 1.1 - Le « formicage » chez les oiseaux ...... 9 1.2 - Le lustrage du pelage ou « fur rubbing » chez les primates...... 12 1.3 - Utilisation de plantes biologiquement actives dans la construction de nids chez les oiseaux ...... 15

2 - Ingestion de composés biologiquement actifs ...... 17 2.1 - Ingestions de plantes...... 17 2.1.1 - Médecine curative ? ...... 17 2.1.1.1 - Ingestion feuilles rugueuses entières chez les grands singes...... 17 2.1.1.2 - Mastication de tiges amères chez les chimpanzés ...... 20 2.1.1.3 - Ingestion d’écorces chez les grands singes et les cervidés ...... 22 2.1.2 - Médecine préventive ? ...... 24 2.2 - Géophagie ...... 25 2.2.1 - Géophagie chez les primates...... 25 2.2.1.1 - Hypothèse de détoxification ...... 26 2.2.1.2 - Hypothèse antidiarrhéique ...... 28 2.2.1.3 - Hypothèse anti-acide...... 29 2.2.1.4 - Hypothèse de complémentation minérale et ionique...... 29 2.2.1.5 - Autres hypothèses ...... 30 2.2.2 - Géophagie chez les oiseaux ...... 30 2.2.3 - Géophagie chez d’autres mammifères...... 32

C - Prouver l’automédication ? Expériences in vivo chez les animaux captifs...... 33

D - Scepticisme et limites...... 36

II - Métabolites secondaires et comportement animal ...... 39

A - Théorie du détournement des métabolites secondaires des plantes ...... 39

1 - Qu’est-ce qu’un composé métabolite secondaire ?...... 39 1.1 - Les composés phénoliques...... 39 1.2 - Les terpénoïdes et stéroïdes ...... 39 1.3 - Les alcaloïdes...... 40

1 2 - Les rôles supposés des métabolites secondaires ...... 41 2.1 - Lutte contre la prédation et les agents pathogènes...... 41 2.1.1 - Rôles défensifs des terpènes et des stéroïdes...... 41 2.1.2 - Rôles défensifs des alcaloïdes...... 42 2.1.3 - Rôles défensifs des composés phénoliques, cas particulier des tanins ...... 42 2.2 - Coopération avec les animaux : attraction des pollinisateurs et disséminateurs ...... 43 2.3 - Compétition avec les autres plantes : participation au phénomène d’allélopathie ... 43

3 - Stratégies d’évitement des métabolites secondaires ...... 45 3.1 - Perception sensorielle de la présence de métabolites secondaires toxiques ...... 45 3.2 - Néophobie...... 45 3.3 - Stratégie généraliste ou spécialiste ...... 46 3.4 - Adaptations physiologiques...... 47 3.5 - Géophagie ...... 47

4 - Les métabolites secondaires, principes actifs de médicaments ...... 48

B - Déterminisme de l’utilisation animale des métabolites secondaires des plantes ...... 51 1 - Théorie homéostatique...... 51 2 - Mécanismes neurophysiologiques ...... 54 2.1 - Homéostasie et boucles rétroactives dynamiques...... 54 2.2 - Aversions et préférences alimentaires ...... 55

C - Apprentissage et transmission de la pharmacognosie chez l’animal ...... 57 1 - Apprentissage individuel et/ou social ? ...... 57 2 - Transmission ou enseignement des comportements d’automédication ? ...... 63 3 - L’automédication : une tradition culturelle ?...... 64

III - Applications et enjeux de la zoopharmacognosie ...... 67

A - Recherche de nouveaux médicaments humains et vétérinaires ...... 67 1 - Echantillonage systématique...... 67 2 - Méthode chimiotaxonomique ...... 67 3 - Méthode ethno-pharmacologique ...... 68 4 - L’approche zoopharmacognosique ...... 69

B - Vers une médecine vétérinaire durable ...... 71

C - Protection et bien être des animaux sauvages ou captifs ...... 73 1 - Mieux comprendre, pour mieux protéger les animaux sauvages...... 73 2 - Zoopharmacognosie et programmes de captivité d’animaux sauvages...... 73 3 - Zoopharmacognosie et programmes de réintroduction...... 75

D - Origines de la médecine humaine par les plantes ? ...... 76

CONCLUSION ...... 79 BIBLIOGRAPHIE...... 81

2 LISTE DES TABLEAUX ET DES FIGURES

Tableau 1 : Exemples d’automédication animale, d’après Huffman (2003)...... 8

Figure 1 : Position caractéristique du « Formicage » passif chez un Malcoha à ventre roux (Phaenicophaeus sumatranus ), avec visualisation des fourmis grimpant sur les plumes (flèches blanches). Crédit photo : K.C. Tsang...... 9

Figure 2 : Anting actif chez une femelle Orchard Oriole ( Icterus spurius) . D’après Whitaker (1957)...... 10

Figure 3 : Feuilles et fleurs d’ Aspilia mossambicensis . Crédit photo : Bart Wursten...... 18

Figure 4 : Microscopie électronique de la surface de cinq feuilles avalées entières par les chimpanzés. D’après Huffman (1997)...... 19

Figure 5 : Femelle chimpanzé mâchant des tiges amères de Vernonia amygdalina . D’après Huffman (2001)...... 20

Figure 6 : Molécules isolées de Vernonia amygdalina . D’après Huffman (1997)...... 21

Figure 7 : Ingestion d’écorce de myrianthus par un jeune chimpanzé (Kanyawara, Parc National de Kibale, Ouganda). Crédit photo : JM Krief...... 22

Figure 8 : Ingestion d’écorce d’ Albizia grandibracteata par une femelle chimpanzé souffrant de parasitisme intestinal. D’après Krief (2004)...... 23

Figure 9 : Chimpanzé ingérant des feuilles de Trichilia rubescens (Kanyawara, Parc National de Kibale, Ouganda). Crédit photo : JM Krief...... 25

Figure 10 : Singe colobe (Procolobus kirkii) consommant un morceau de charbon de bois. D’après BBC Wild Life (Novembre 2003)...... 27

Figure 11 : Aras Chloroptères sur une falaise d’argile. Crédit photo : Nick Pattinson...... 31

Figure 12 : Diversité structurale des composés métabolites secondaires, d’après Wink (2003) .... 40

Figure 13 : Rôles écologiques des composés métabolites secondaires des plantes. D’après Hartmann (2007) ...... 44

Figure 14 : Continuum des stratégies d’alimentation des mammifères et utilisation des composés métabolites secondaires des plantes (CMS). D’après Mc Arthur et al. (1991)...... 46

Figure 15 : Chimpanzé consommant des baies amères de Phytolacca dodecandra. (Kanyawara, Parc National de Kibale, Ouganda). Crédit photo : JM Krief...... 50

3 Figure 16 : Probabilité d’exploitation d’un métabolite secondaire (MS). D’après Forbey et al. (2009) ...... 53

Figure 17 : Trichirubines A et B, composés anti-malariens isolés des feuilles de Trichilia rubescens . D’après Krief et al. (2004)...... 70

Figure 18 : Isodiospyrine, molécule isolée de l’écorce de Diospyros abyssinica . D’après Krief et al. (2006)...... 70

4 INTRODUCTION

“A desire to take medicine is, perhaps, the great feature which distinguishes man from other animals.” Sir William Osler, 1891

*

Quel est le propre de l’Homme ? Qu’est ce qui rend l’Homme unique ? Ces questions demeurent au centre de l’esprit des anthropologues, des biologistes, des philosophes et finalement de chacun d’entre nous. Le rire, selon l’aphorisme de Rabelais, le langage ou l’utilisation d’outils pour d’autres, jusqu’à ce que des observations montrent des chimpanzés capables d’utiliser des items de leur environnement en tant qu’outils, pour casser une noix de coula par exemple. Selon Sir William Osler, médecin canadien de renom, c’est la médecine qui distingue l’Homme de l’animal.

Toutefois, en 1978, l’écologue Daniel Janzen (Janzen, 1978) suggère pour la première fois que les animaux puissent soulager certains de leurs maux en ingérant des plantes aux composés biologiques actifs. Depuis, de multiples observations font état d’animaux ingérant des plantes à activité pharmacologique, les utilisant pour leurs nids ou pour s’en frotter le pelage, mais aussi consommant du charbon ou de l’argile. Ces observations interpellent les scientifiques : Peut-on envisager que des animaux soient capables de sélectionner à dessein des plantes médicinales ou des produits minéraux succeptibles de guérir leurs maux ?

Apparue à la fin des années 1970, l'étude de l'automédication animale porte le nom de « zoopharmacognosie » (Rodriguez & Wrangham, 1993). Cette jeune science s'est donnée pour mission de comprendre comment les animaux utilisent leur environnement non seule- ment pour soigner leurs maux mais également comme thérapie préventive, en tirant avantage des composés secondaires des plantes ou d'autres éléments disponibles dans la nature.

La première partie de cette thèse constitue une revue des principaux comportements dits d’automédication chez les animaux. De l’anecdote aux faits scientifiques, ces comportements ne sont pas l’apanage des seuls primates non humains : insectes, oiseaux, herbivores domestiques, tous seraient capables d’utiliser des items de leurs environnement dans une optique de santé et de bien être. La deuxième partie de cette thèse aborde la notion de « métabolites secondaires » des plantes. Ces composés produits en dehors des voies métaboliques strictement nécessaires à la survie de la plante se révèlent en effet au centre des comportements d’automédication. Le déterminisme et les modalités d’acquisition de l’automédication y sont également débattus. Enfin la troisième partie de cette thèse s’intéresse aux enjeux soulevés par cette science multidisciplinaire relativement récente qu’est la zoopharmacognosie.

5

6 I - Observations et descriptions des comportements dits « d’automédication »

A - Observations du passé : Les animaux en ethnomédecine depuis l’antiquité

Tout au long de l’histoire de l’Humanité, les Hommes ont su faire de l’observation des animaux une source de savoir médicinal. Partout dans le monde, des récits anecdotiques, des légendes, des mythes, des contes populaires octroient aux animaux la capacité d’utiliser les plantes médicinales.

Dès le IV ème siècle avant notre ère, Aristote faisait déjà des observations pertinentes sur le chien : « Et les chiennes, lorsqu’elles éprouvent une certaine souffrance, se font vomir en mangeant une certaine herbe », « Les chiens, lorsqu’ils ont des vers, mangent du blé au champ » ( Histoire des animaux d’Aristote, d’après Ansay (2002)). Plutarque observe également le même phénomène, mais lui donne une signification différente : « Les chiens, eux, se purgent, quand ils sont malades de la bile avec l’herbe que l’on appelle l’herbe aux chiens » ( Oeuvres mêlées de Plutarque, d’après Ansay (2002)). Certaines herbes tirent ainsi leur nom commun de ces observations passées. Citons pour exemples « l’herbe à chat » ( Nepeta Cataria ), le « chiendent » ( Agropyron repens ) ou encore la « racine de l’ours » (Ligusticum porteri ), surnommée ainsi par les indiens Navajos car selon la légende, c’est à l’ours que ce peuple du Nouveau Mexique doit la découverte de cette plante médicinale aussi appelée « Osha », signifiant « ours » en navajos (Grisanzio, 1992).

La découverte du café serait-elle aussi secondaire à l’observation de comportements animaux. On raconte qu’au 8 ème siècle après Jésus Christ, un jeune berger des hauts plateaux du Yémen, remarqua un jour que ses chèvres changeaient de comportement après avoir ingéré des baies de de cafés sauvages. L’excitation procurée par ces baies lui donna l’idée d’utiliser la plante en tant que stimulant. La boisson concoctée fut nommée " kawah ", c'est-à- dire force, élan, vitalité (Huffman, 2003).

Les exemples sont nombreux (cf. Tableau 1), comme celui de cette légende népalaise qui raconte que, dans les montagnes de l’Himalaya, les racines de Chota-Chand ( Rauwolfia serpentina ), utilisées en tant que puissant antidote contre les morsures de serpents, ont été découvertes suite à l’observation de mangoustes se nourrissant de cette plante avant d’aller chasser le cobras (Huffmann, 2001).

Une légende chinoise narre quant à elle la découverte du « San qi » ( Panax notoginseng ), principe actif contenu dans le « Yunnan Baï Yao », une poudre végétale blanche efficace contre les saignements et les hémorragies internes. Ce remède asiatique soigna de nombreuses blessures de l’histoire militaire de la Chine et servit également lors de la guerre du Vietnam. La légende raconte qu’un paysan de la province chinoise du Yunnan trouva un jour un serpent près de sa chaumière. Craignant pour sa vie, il battit l’animal avec son fléau, le laissant ainsi pour mort. Mais quelques jours plus tard, le même serpent revint. Une fois encore, le paysan s’efforça de le tuer par le même moyen. Quand l’animal, apparemment indestructible, revint quelques jours plus tard, l’homme s’acharna sur lui, mais cette fois-ci, curieux de comprendre, il suivit l’animal. Il observa alors que le serpent rampait vers une herbe sauvage : Panax notoginseng, membre de l'espèce des célèbres ginsengs , et qu’à son grand étonnement il s’en nourrissait. Le lendemain, le serpent avait retrouvé sa vitalité (Reid, 1993).

7 Tableau 1 : Exemples d’automédication animale, d’après Huffman (2003).

Espèces Plantes et action supposée Entada schefferi (légumineuse) Eléphants de Malaisie Résistance avant une longue marche (antalgique ?). Borraginacées Eléphants d’Afrique Induction de l’accouchement ou de l’avortement Utilisés par une communauté ethnique du Kenya. Holarrhena antidysenterica (apocynacée) Buffle indien Ecorce consommée régulièrement. Nom suggérant un effet anti dysenterie. Boerhavia diffusa (nyctaginacée) Sanglier sauvage « Herbes aux porcs », racines consommées sélectivement des Indes Anti-helminthique traditionnel chez les Indiens. Punicum granatum (punicacée) Porc Racines de la grenade très recherchée par les porcs au Mexique Alcaloïde toxique pour les ténias dans les racines. Tigre indien, chien Careya arborea (barringtonia), Dalbergia latifolia (légumineuse) sauvage, civette, Fruits contribuant à l’élimination des parasites ingérés en même chacal, ours temps que les intestins des proies herbivores. Solanum lycocarpon (solanacée) ou « Wolf apple » Loup Riche en tanins. Utile contre les troubles gastriques ou d’Amérique du sud intestinaux. Ceriops candoleana , rhizophoracée Rhinocéros Ecorce riche en tannins. Fait virer urine à l’orange clair. bicorne d’Asie Lutte contre les parasites du tractus urinaire. Les peuples indigènes vivants dans les habitas de ces primates Singe hurleur noir sud-américains prétendent que ces singes sont exempts de parasites en raison des plantes qu’ils consomment.

Tout ces exemples révèlent autant de façons dont l’être humain a pu saisir la valeur thérapeutique d’une plante en observant les animaux. De prime abord, de tels mythes et légendes ne semblent pas scientifiquement acceptables, mais sont-ils pour autant le résultats d’interprétations erronées ? D’autre exemples plus récents relèvent eux de l’observation voire de l’expérimentation rigoureusement scientifique et permettent d’entrevoir l’hypothèse d’une certaine forme d’automédication animale.

B - Observations du présent : observations chez des animaux sauvages, de l’anecdote aux faits scientifiques ?

Certains comportements animaux intriguent et font parfois suspecter des capacités d’automédication. Lorsqu’un animal ingère une plante n’appartenant pas à son régime habituel, qu’il en sélectionne une partie précise, la mâche puis la recrache, qu’il en fait usage uniquement en la frottant sur son pelage ou encore qu’il ne l’utilise que dans les conditions particulières de mal être ou de parasitisme, semblant en retirer un bénéfice immédiat, alors la question de l’automédication se pose. Ce d’autant plus lorsque les congénères a priori sains n’adoptent pas de telles attitudes.

De nombreux scientifiques ont pu observé de tels comportements.

8 1 - Utilisation non alimentaire d’items biologiquement actifs

1.1 - Le « formicage » chez les oiseaux

Au sens strict du terme, le « formicage », aussi appelé « myrmisation » (néologisme dérivant du grec ancien « myrmex » : fourmi) ou encore « anting » (de « ant » : fourmi en anglais), fait référence au comportement par lequel certains oiseaux frottent frénétiquement leur plumage avec des fourmis écrasées. Cet étrange comportement a été décrit chez plus de 200 oiseaux. Très peu sont tropicaux : beaucoup sont des passereaux vivant en zones tempérées (Clayton & Vernon, 1993).

Au sens large, le « formicage » n’implique pas forcément des fourmis. Certains oiseaux utilisent par exemple d’autres insectes tels que des milles pattes pour frotter leur plumage (Clunie, 1976). L’usage de plantes arômatiques a également été rapporté : la naphtaline (Clark et al. , 1990), la citronnelle, les pelures d’oranges ou de pomme (Clayton & Vernon, 1993), ainsi que les « tagètes », des astéracées connues des jardiniers pour renfermer des pyréthrines, puissantes molécules insecticides (Nero & Hatch, 1984) sont par exemple utilisées. De façon plus anecdotique, certains monarques endémiques de l’île d’Hawaï (Chasiempis sandwichensis) utilisent de petits gastéropodes (Oxychilus alliarius ) pour se frotter le plumage (VanderWerf, 2005), d’autres utilisent parfois des mégots de cigarettes (Clayton & Vernon, 1993), enfin une paruline triligne ( Basileuterus tristriatus) a quant à elle été observée se frottant les plumes avec une chenille de lépidoptère (Wenny, 1998).

Le « formicage » peut être actif : l’oiseau enduit vigoureusement ses rémiges avec un insecte ou une plante (cf. Figure 2), mais il peut aussi être passif : lorsque l’oiseau se couche sur un nid de fourmis dans un position caractéristique (cf. Figure 1) et permet à celles-ci de grimper sur son plumage. Whitaker (1980) a ainsi décrit une corneille (Corvus brachyrhynchos) monter sur le haut d’une fourmilière, étendre ses ailes et laisser les fourmis (Formica criniventris) grimper sur son plumage pendant 10 à 15 secondes, puis partir et réitérer 4 à 5 fois le processus.

Figure 1 : Position caractéristique du « Formicage » passif chez un Malcoha à ventre roux (Phaenicophaeus sumatranus ), avec visualisation des fourmis grimpant sur les plumes (flèches blanches). Crédit photo : K.C. Tsang.

9

Figure 2 : Anting actif chez une femelle Orchard Oriole ( Icterus spurius). D’après Whitaker (1957).

De nombreuses hypothèses visant à expliquer ce comportement ont été avancées : entretien du plumage et de la peau avec retrait des lipides périmés ( Simmons, 1966), apaisement de la peau irritée lors de la mue (Potter, 1970), élimination des composés toxiques de la proie avant ingestion (Clunie, 1976 ; Eisner & Aneshansley, 2008 ; Judson & Bennet, 1992), lutte contre les ectoparasites (Clark et al. , 1990 ; Clayton & Vernon, 1993), et/ou les infections microbiennes et fongiques (Ehrlich et al. , 1986). Certains émettent même l’hypothèse que ce comportement ne serve à rien et n’existe que pour le plaisir qu’il procure (Simmons, 1966 ; Whitaker, 1957).

Beaucoup d’auteurs ont suggéré une fonction de lutte contre les ectoparasites.

Les oiseaux utilisent majoritairement des fourmis de la sous-famille des formicinés, lesquelles sont capables de projeter des jets d’acide formique lorsqu’elles se sentent menacées (Potter, 1970). Or, l’acide formique est une substance corrosive cytotoxique, capable de provoquer des nécroses tissulaires : il est donc possible qu’elle puisse avoir un effet toxique létal envers les ectoparasites. L’entomologiste russe Dubinin (Dubinin, 1951) fut parmi les premiers à suspecter cette fonction anti-ectoparasites. En examinant des plumes de pipits farlouses (Anthus pratensis ) ayant tout juste frotté leur plumage avec des fourmis (Formica rufa ), Dubinin constata qu’une majorité des mites de plumes (Pterodectes spp.) étaient mortes et que les mites survivantes étaient très agitées. Un quart de ces mites moururent dans les heures suivantes, contre seulement 1% chez les pipits témoins n’ayant pas pratiqué de « formicage ». In vitro, la toxicité de l’acide formique à l’encontre d’ectoparasites, de bactéries et de champignons ne fait aucun doute (Eichler dans Clayton & Wolfe (1993) ; Revis & Waller, 2004). In vivo , en revanche, aucune étude n’a été menée à ce jour et les avis demeurent contradictoires. Selon Revis & Waller (2004), les concentrations d’acide formique atteintes in vivo seraient inefficaces à l’encontre des ectoparasites, des bactéries et des champignons.

10 Clark et al. (1990) font remarquer que les éléments utilisés lors du « formicage » ont invariablement des propriétés chimiques antimicrobiennes et/ou insecticides. C’est par exemple le cas de la naphtaline qui contient du naphtalène, un insecticide couramment utilisé contre les mites. C’est le cas également des écorces d’agrumes, reconnues pour leur effet répulsif envers les insectes. Après avoir observé des Quiscales bronzés (Quiscalus quiscula) se frotter le plumage avec des morceaux de citrons verts et jaunes, Clayton & Vernon (1993) décident de tester l’efficacité in vitro des extraits de citrons verts sur des poux piqueurs (Columbicola columbae). Les plumes mises en présence de lamelles de citron comptent alors 67% de poux morts, contre 3% chez les plumes témoins. Des expériences ultérieures montrent que c’est une substance chimique de l’écorce qui tue les poux par vaporisation. Hink & Fee (1986) isolent quant à eux un monoterpène contenu dans les écorces d’agrumes, le D-Limonène et prouvent in vitro sa toxicité à l’encontre des puces du chat (Ctenocephalides felis). Une fois encore les tests in vitro semblent en faveur de l’hypothèse de lutte antiparasitaire. Cependant, à ce jour, aucun test d’éléments autres que des fourmis n’a été réalisé in vivo .

Selon d’autres, le « formicage » serait un moyen de faire émettre aux fourmis leurs sécrétions nocives, permettant ainsi aux oiseaux l’ingestion de leur proie sans effets secondaires indésirables. Judson & Bennet (1992) alimentent cette hypothèse montrant que les étourneaux pratiquent plus volontiers le « formicage » lorsque des fourmis leur sont proposées à jeun. Cette pratique permettrait ainsi d’éviter une exposition trop importante des muqueuses digestives aux sécrétions acides de fourmis. Eisner et al. (2005) observent que les geais bleus ( Cyanocitta cristata ) pratiquent intensément le « formicage » lorsqu’on leur propose des coléoptères bombardiers, insectes capables de projeter un liquide corrosif en ébullition (mélange d’hydroquinone et de peroxyde d’hydrogène) sur leurs prédateurs. D’autres espèces de geais frottent vigoureusement les bombardiers contre le sol (“sand wiping”). D’une manière ou d’une autre, ces geais semblent bel et bien avoir l’intention de détoxifier les bombardiers avant de les ingérer. Wenny (1998) émet le même type d’hypothèse en observant une paruline triligne ( Basileuterus tristriatus) se frotter les ailes avec une larve de papillon, puis frotter des branches avec autre larve du même type. Beaucoup de lépidoptères contiennent des composés inappétents toxiques pour leur prédateur, notamment des alcaloïdes pyrrolizidiniques. Ce comportement intervient juste avant l’ingestion de la larve et pourrait correspondre à un besoin de détoxification de la proie. Les travaux de Eisner & Aneshansley (2008) sur le « formicage » chez des geais bleus (Cyanocitta cristata) tirent les conclusions suivantes : - Le « formicage » est un comportement génétiquement programmé : les oisillons naïfs élevés à la main le réalisent de la même façon que les adultes sauvages. - Le « formicage » dépend des capacités défensives des fourmis ingérées : ils montrent que les fourmis privées de leur sac de stockage d’acide formique sont directement ingérées par les oiseaux. - Le « formicage » chez les geais bleus leur permet de vider le sac d’acide formique des fourmis qu’ils ingèrent : les analyses de fourmis ayant été frottées contre le plumage révèlent des sacs d’acide vides. - Le « formicage » ne provoque pas de rupture de l’abdomen des fourmis qui gardent donc leurs propriétés nutritives.

La diversité des éléments frottés contre le plumage, ainsi que la variabilité des conditions dans lesquelles ce comportement est pratiqué font qu’une seule interprétation du phénomène ne peut pas être donnée. Les observations ne sont pas univoques, elles laissent le champ libre à différentes interprétations et il est possible que les bienfaits antiparasitaires de

11 certains éléments frottés contre le plumage soient tout à fait fortuits, le comportement étant à l’origine pratiqué pour une tout autre raison.

Un comportement similaire a également été décrit chez les mammifères, il s’agit du « fur rubbing » ou « lustrage du pelage ».

1.2 - Le lustrage du pelage ou « fur rubbing » chez les primates

Le « fur rubbing » se définit comme un comportement de friction du pelage au moyen d’un élément végétal (tiges, racines, feuilles, fruits…) ou animal (arthropodes myriapodes, fourmis) prélevé dans l’environnement naturel.

Désormais très documenté chez les sapajous Cebus capicinus (Baker, 1996 et 1997 ; DeJoseph et al. , 2002 ; Longino, 1984) et Cebus olivaceus (Valderrama et al. , 2000), ce comportement a néanmoins été observé de façon plus sporadique chez d’autres primates tels que le lémur noir (Eulemur macaco) (Birkinshaw, 1999), le singe araignée aux mains noires (Ateles geoffroyi) (Campbell, 2000), ou encore l’orang-outan (Pongo pygmaeus) (Morrogh- Bernard, 2008) , ainsi que chez d’autres mammifères comme l’ours brun (Ursus arctos) (Siegstadt, données non publiées, dans Huffman (1997)) ou encore le coati (Nasua nasua) (Gompper & Hoylman, 1993).

Parmi les premières descriptions de « fur rubbing » chez les primates figurent celles de Longino (1984) chez des singes capucins ( Cebus capucinus ), ainsi que celle de Birkinshaw (1999) chez une femelle Lémur brun (Eulemur macaco ). C’est lors d’une étude de terrain sur le rôle des lémuriens dans la dispersion des graines, que Birkinshaw (1999) observe fortuitement une femelle lémur brun se frotter vigoureusement le ventre et la queue a l’aide d’un mille pattes (Charactopygus sp.) dans lequel elle avait préalablement mordu. La séquence se répète à deux reprises et l’interprétation du comportement reste alors très floue. Longino (1984) observe quant à lui des singes capucins se frotter le pelage avec des fourmis (Camponotus sericeiventris), comparant ce comportement à celui appelé « formicage » chez les oiseaux. Une étude menée au Costa Rica par Baker (1996) décrit avec précision des comportements de « fur rubbing » chez des singes capucins (Cebus capicinus). Cette fois ci, les primates sont observés frottant leur pelage à maintes reprises avec des fruits du genre Citrus , des tiges et/ou des feuilles de Piper marginatum et de Clematis dioica , ou encore avec des gousses de Sloanea terniflora . Chez tous les individus, une même séquence semble se dérouler avant de frotter ces divers végétaux sur leur pelage : les végétaux sont d’abord mâchés, mordus ou déchiquetés, puis mêlés à la salive, ils sont roulés entre les mains pour être enfin appliqués sur le pelage. Enfin, sur l’île indonésienne de Bornéo, la primatologue Morrogh-Bernard fait des découvertes similaires en observant des orangs-outans (Morrogh-Bernard, 2008). A plusieurs reprises, elle observe certains orangs-outans mâcher une poignée de feuilles, produire ainsi une mousse verdâtre qu’ils appliquent ensuite méthodiquement sur l’ensemble de leurs membres, semblant insister au niveau des articulations. Ces feuilles ont la particularité d’être toutes du genre Commelina et de ne pas appartenir au régime habituel de ces orangs-outans. Elles sont d’ailleurs systématiquement jetées après avoir été utilisées. Cette étude constitue le premier cas de « fur rubbing » observé chez des grands singes. D’autres mammifères comme les ours bruns ont été observés mâchant des racines de Ligusticum porter , puis les frottant sur leur fourrure (Siegstadt, données non publiées, dans Huffman (1997)). Enfin au Panama, des coatis ( Nasua nasua ) ont été observés s’appliquant

12 de la résine d’arbres de la famille des Burséracées sur le pelage (Gompper & Hoylman, 1993).

L’hypothèse souvent avancée pour expliquer de tels comportements est celle de l’automédication. En se frictionnant avec certaines plantes ou certains arthropodes, les animaux trouveraient ainsi un moyen de détourner à leur profit les propriétés chimiques des molécules libérées par les éléments soumis au « fur rubbing ». C’est l’hypothèse émise par Valderrama et al . (2000) au cours d’une étude menée au Venezuela, dans laquelle des singes capucins (Cebus olivaceus ) sont observés frottant leur pelage avec des milles pattes ( Orthoporus dorsovittatus ). En effet, lorsqu’ils sont menacés, les mille-pattes, via leurs glandes latérales, sont capables de sécréter des substances chimiques aux propriétés sédatives, répulsives, irritantes ou toxiques pour les prédateurs, (Birkinshaw, 1999). Frotter ces insectes contre leur pelage pourrait donc être un moyen de s’approprier ces molécules défensives, afin de lutter contre des ectoparasites tels que les moustiques. Mordre les invertébrés avant de les utiliser pour la friction du pelage permettrait de libérer plus de molécules répulsives. Dans la lignée de l’étude de Valderrama et al. (2000), Weldon et al (2003), Carroll et al. (2005) ont testé le caractère répulsif des molécules actives majoritaires exsudées par ce type de mille pattes (Orthoporus dorsovittatus) : les benzoquinones. Les expériences réalisées in vitro confirment la répulsion exercée par le benzoquinones sur les tiques et les moustiques, alimentant ainsi l’hypothèse d’automédication préventive. L’étude de Baker (1996) souligne par ailleurs que ces comportements de « fur rubbing » ont été significativement plus fréquents à la saison des pluies, moment auquel la pression des ectoparasites est la plus forte. Une telle corrélation peut renforcer l’hypothèse de la « zoopharmacognosie ». Enfin, le « fur rubbing » observé pour la première fois chez des orangs-outans par la primatologue Morrogh-Bernard (2008) a lui aussi été interprété comme une forme d’automédication, d’autant plus que les ethnies locales utilisent ces mêmes feuilles pour traiter les douleurs musculaires, osseuses et les gonflements articulaires. Dans cette étude, afin d’étayer cette thèse, des analyses pharmacologiques ont été réalisées et un composé de type anti-inflammatoire a été isolé, corroborant ainsi la thèse de l’automédication.

Si de nombreux d’arguments viennent corroborer l’hypothèse de l’automédication, rien n’est actuellement prouvé de façon indubitable. D’une part, les test pratiqués le sont tous in vitro et à ce jour aucune étude in vivo ne garantie l’efficacité des composés chimiques libérés au cours du « fur rubbing ». D’autre part, la description du comportement de friction, ainsi que le contexte dans lequel il est produit sont suffisamment variables d’une espèce à l’autre pour que d’autres hypothèses soient envisagées. Ainsi, Campbell (2000) donne une toute autre signification au « fur rubbing » observé chez des singes araignées du Panama ( Ateles geoffroyi ). Chez ces singes, le comportement de friction diffère par plusieurs aspects de ceux observés chez les capucins par Baker (1996). Tout d’abord, les feuilles de Rutacées ne sont frottées que sur certaines parties du corps : les régions axillaires et la région sternale. Or, l’application du feuillage sur des régions du corps aussi restreintes n’est probablement pas efficace pour repousser les ectoparasites. De plus, ce comportement a été plus observé chez le mâle que chez la femelle, or il n’y aucune raison que les mâles soient plus parasités que les femelles. Enfin, aucune variation saisonnière du comportement n’a été observée, alors que les insectes et les tiques sont présents de façon bien plus marquée à la saison des pluies. Ces différences interspécifiques laissent donc penser que la fonction du « fur rubbing » chez ces deux espèces n’est probablement pas la même. L’étude de Campbell (2000) conclue à une forme de communication sociale, cette auto application de salive et d’extraits végétaux sur le sternum étant suivie de frottements de cette partie du corps, riche en glandes apocrines, sur des troncs d’arbre.

13 L’étude de Simmen & Tarnaud (2011) suggère elle aussi que le frottement corporel à l’aide d'arthropodes diffère dans sa fonction selon le genre de primate envisagé. En effet, ceux-ci constatent qu’à la différence des lémuriens, qui n’appliquent les diplopodes que sur leur zone péri-génitale, les frictions réalisées par les singes sapajous Cebus apella sont largement réparties sur l’ensemble de leur fourrure. D’après Simmen & Tarnaud (2011), les observations faites chez les sapajous sont en accords avec l’hypothèse d’une protection antiparasitaire ou antiseptique globale. En revanche, la particularité de la zone de friction chez Eulemur , leur fait envisager une hypothèse alternative, similaire à celle proposée par Campbell (2000). Ainsi, chez Eulemur , l’imprégnation de la zone péri-génitale par des fluides à forte potentialité olfactive, comme ceux contenus par certains diplopodes, pourrait correspondre à une forme particulière et opportuniste de communication sociale, plus particulièrement à une forme signalisation de l’identité individuelle (Simmen & Tarnaud, 2011).

Lorsqu’il est décrit comme pratiqué en groupe, ce qui est souvent le cas chez Cebus capucinus ( Baker, 1996 ; Leca et al. , 2007), ce comportement pourrait être une sorte de mécanisme de renforcement de la communication olfactive au sein d’un groupe. Ce comportement permettrait de renforcer les liens sociaux entre individus d’un même groupe, à l’instar de l’ « épouillage-toilettage » (« grooming ») chez les chimpanzés ou encore du reniflement de mains (« hand-sniffing ») chez les capucins (Cebus capucinus) (Leca et al. , 2007). Chez Cebus capucinus , des études réalisées en captivité montrent que la proposition d’éléments tels que des oignons ou des agrumes génèrent un « fur rubbing » sous la forme d’une véritable dynamique de groupe. La présence d’un individu conspécifique pratiquant le « fur rubbing » augmente la probabilité qu’un individu engage à son tour un comportement de « fur rubbing » (Leca et al. , 2007 ; Meunier et al. , 2008).

Chez divers prosimiens, des mimiques faciales stéréotypées de type flehmen ont été observées suite au flairage d’arthropodes frottés par la suite contre la fourrure (Birkinshaw, 1999). Selon Simmen & Tarnaud (2011), ces sécrétions, habituellement répulsives pour la plupart des prédateurs, pourraient fortuitement présenter des propriétés sensorielles analogues à celles des phéromones attractives pour les lémurs. Le stimulus olfactif libéré lors du « fur rubbing » et capté par l’organe voméro-nasal pourrait ainsi être à l’origine d’une réponse hédonique. Cette hypothèse hédoniste fait écho à celle avancée des années auparavant par Whitaker (1957), au sujet du « formicage » des oiseaux.

Enfin, il arrive parfois que le « fur rubbing » soit suivi de l’ingestion de l’élément ayant été frotté sur le pelage. De telles séquences comportementales ont par exemple été décrites chez deux espèces de lémuriens : Eulemur fulvus rufus et E. rubriventer (Overdorff, 1993). De façon analogue à l’hypothèse d’Eisner et al. (2005) et Eisner & Aneshansley (2008) quant à la fonction du « formicage » chez le oiseaux, une telle pratique permettrait de diminuer la quantité de composés chimiques répulsifs (acide formique, alcaloïdes, quinones, phénols, terpènes…) contenue dans les proies ingérées (Overdorff, 1993). Néanmoins l’ingestion de l’élément utilisé pour le « fur rubbing » a surtout été observée chez les oiseaux et semble beaucoup plus sporadique chez les primates (Simmen & Tarnaud, 2011).

L’interprétation des comportements de « fur rubbing » n’est pas simple et probablement pas unique. Il est tout à fait possible que le fait que les plantes choisies aient une action antiparasitaire ne soit qu’une conséquence secondaire, dont les animaux n'ont pas conscience. La plupart des animaux pratiqueraient alors une forme d'automédication malgré eux, mise en place au cours de l'évolution.

14 1.3 - Utilisation de plantes biologiquement actives dans la construction de nids chez les oiseaux

Certains oiseaux comme les étourneaux (Sturnus vulgaris) réutilisent leur ancien nid d’année en année, s’exposant ainsi à des risques sanitaires et notamment à du parasitisme. Lorsqu’ils réutilisent leur ancien nid, ces oiseaux y incorporent de petites quantités de végétation fraîche, chose que ne font quasiment pas les oiseaux changeant de nids chaque année (Clark & Mason, 1985 ; Wimberger, 1984). Ces plantes vertes ne font pas partie de la structure du nid et ne sont pas choisies au hasard : elles sont plus odorantes que d’autres plantes de l’environnement proche et d’importantes distances sont parfois parcourues pour les trouver (Clark & Mason, 1985 ; Lambrechts & Dos Santos, 2000 ; Milton & Dean, 1999).

Ainsi, les étourneaux incorporent préférentiellement des feuilles de carottes sauvages (Daucus carota) et d’achillée millefeuille (Achillea millefolia) (Clark & Mason, 1985) ; les aigles de Bonelli ( Hieraaetus fasciatus ) sélectionnent activement des branches odorantes de pin maritime ( Pinus pinaster ) (Ontiveros et al. , 2007) ; les tantales d’Amérique ( Mycteria americana ) ajoutent des feuilles d’arbre à cire (Morella cerifera) , de cyprès, et de pin (Rodgers et al ., 1988), les buses à épaulettes (Buteo lineatus) ont été observées ajoutant des branches fraîches de conifères et de cerisiers noirs (Prunus serotina) (Dykstral et al. , 2009) et les moineaux mélanures (Passer melanurus) incorporent quant à eux des immortelles d’Italie ( pumilio) et des brins de thym frais (Thymus vulgaris) (Milton & Dean, 1999). Des mésanges bleues ( Parus caeruleus ) ont aussi été observées ajoutant des herbes fraîches dans leur nids. Elles incorporent une à cinq herbes arômatiques ayant toutes un point commun : celui d’être très odorantes. Les herbes ont été identifiées comme étant des Achillées de Ligurie (Achillea ligustica) , des cistes de Crète ( Cistus creticus) , des immortelles d’Italie ( Helichrysum italicum) , des lavandes papillon ( Lavandula stoechas) et des calaments nepeta (Calamintha nepeta). Par ailleurs, cet ajout de plantes arômatiques est particulièrement marqué depuis l’éclosion des œufs jusqu’à la fin du développement morphologique des oisillons (Lambrechts & Dos Santos, 2000). Ces scientifiques ont également constaté que lorsque les herbes de ces nids sont volontairement enlevées par des expérimentateurs, les mésanges femelles se mettent immédiatement à la recherche des herbacées manquantes, afin de les remettre dans le nid de leurs oisillons. Sur un total de 200 végétaux entourant les alentours des nids, seule une dizaine d’herbes sont sélectionnées. Les mésanges parcourent jusqu’à 200 mètres à la ronde si nécessaire. Les mésanges sont donc capables de repérer les odeurs et incorporent systématiquement des herbes arômatiques bien particulières dans leurs nids, ce de façon d’autant plus marquée en présence d’oisillons.

Les oiseaux ne sont pas les seuls à incorporer des éléments non structurel à leur nid : des fourmis de l’espèce Formica paralugubris ont été observées incorporant de la résine solidifiée de conifères dans leur nid (Christe et al. , 2003).

Diverses hypothèses ont été émises pour expliquer cet ajout de végétaux frais dans les anciens nids : camouflage, protection contre le froid et/ou la dessiccation, sélection du partenaire et appariement. Deux hypothèses sont majoritairement retenues par les ornithologues. La première est celle de l’ajout de matériel végétal frais dans le but d’attirer la femelle ou dans le but de signaler sa qualité de mâle à la femelle (Brouwer & Komdeur, 2002) ; Fauth et al. , 1991 ; Gwinner, 1997 et 2000). Cette hypothèse fait particulièrement sens dans les cas où seuls les mâles incorporent des végétaux frais et où cette incorporation cesse au moment de la ponte. La deuxième hypothèse suppose une automédication préventive à l’encontre des ectoparasites et autre pathogènes (Clark, 1991 ; Lafuma et al. , 2001 ; Wimberger, 1984).

15 Par opposition aux végétaux secs, les végétaux arômatiques frais sont chargés en composés volatils. Pour cette raison, Wimberger (1984) suppose que ces végétaux sont choisis pour leurs propriétés pharmacologiques volatiles, lesquelles joueraient un rôle répulsif vis-à-vis des ectoparasites. Certains scientifiques ont aussi remarqué que les plantes utilisées par les oiseaux étaient souvent utilisées en médecine traditionnelle par les ethnies voisines. Par exemple, le thym et les astéracées du genre Helichrysum sont couramment prescrits en médecine traditionnelle africaine pour traiter les plaies, les infections respiratoires, ainsi que les parasites (Milton & Dean, 1999). Variante de cette hypothèse, Lambrechts & Dos Santos (2000) supposent que ces composés chimiques volatils masquent les indices olfactifs permettant aux ectoparasites de trouver leurs hôtes. Ces deux auteurs parlent d’hypothèse du « pot-pourri » : un cocktails d’herbes arômatiques aux fortes odeurs aurait une meilleure efficacité répulsive à l’égard des ectoparasites qu’une plante arômatique seule. Quelque soit le mécanisme de défense envisagé, ces deux hypothèses permettent de comprendre pourquoi, dans beaucoup de cas, ces ajouts de végétaux frais se font principalement à partir du moment où éclosent les oisillons, ces derniers étant particulièrement vulnérables vis-à-vis des parasites hématophages. Clark & Mason (1988) ont présenté les premiers résultats en faveur de cette hypothèse de protection du nid. Leurs expériences montrent que l’utilisation de feuilles de carottes sauvages (Daucus carota) réduit significativement le nombre de mites (Ornithonysus sylviarum) dans les nids des étourneaux. Bien que la diminution du nombre de mites ne semble avoir aucun effet sur la croissance des oisillons, leur hémoglobinémie est supérieure en présence de feuilles de carottes sauvages. Lafuma et al. (2001) ont également testé in vitro cette hypothèse de protection du nids vis-à- vis des ectoparasites. Des poulets domestiques ( Gallus gallus ), exposés à des moustiques (Culex pipiens), ont été mis ou non en présence d’une à cinq herbes arômatiques fraîches que les mésanges corses ajoutent dans leurs nids. A l’exception d’une herbe arômatique, les résultats obtenus ont montré que seul le cocktail d’herbes arômatiques utilisé par les mésanges est répulsif à l’encontre des moustiques. Les poulets ayant bénéficié de ce cocktail d’herbes arômatiques se sont moins fait piquer que les poulets témoins. Selon les auteurs, l’hypothèse d’effet répulsif, voire toxique n’est pas la seule envisageable : il est également possible que la combinaison de composés volatils odorants masquent la présence des hôtes aux moustiques.

Néanmoins, les résultats des nombreuses autres études sont controversés. Les études réfutant l’hypothèse de la protection du nid à l’encontre les parasites sont nombreuses (Dawson, 2004 ; Fauth et al. , 1991 ; Gwinner, 2000 ; Rodgers et al. , 1988). Aucune de ces études ne met en évidence une réduction significative du nombre d’ectoparasites en présence d’herbes fraîches dans les nids. Une étude présente même des résultats contraires (Dawson, 2004). Gwinner et al. (2000) concluent également à l’absence d’effet toxique ou répulsif des herbes fraîches sur les ectoparasites. Ayant tout de même observé que les oisillons des nids enrichis en herbes fraîches bénéficiaient d’un meilleur poids, d’un meilleur hématocrite et d’une meilleure survie à un an, ils proposent l’hypothèse selon laquelle les composés volatils de ces herbes ont un effet positif sur l’immunité des oisillons. Les expériences de Gwinner & Berger (2006) montrent que l’ajout d’herbes fraîches dans les nids n’a d’effet positif significatif que lorsque les conditions environnementales se durcissent : pression du parasitisme plus forte, température extérieure basse, malnutrition des oisillons… Ces auteurs ont supposé que l’ajout de plantes fraîches stimulerait le système immunitaire des oisillons, leur procurant un avantage sélectif lorsque les conditions environnementales sont moins favorables.

16 A ce jour, il n’existe toujours aucun consensus concernant cette incorporation de végétaux frais dans les nids. La majorité des études ne testent les effets des plantes ajoutées aux nids que sur une seule espèce d’ectoparasites, ne prenant pas en compte les autres pathogènes bactériens et fongiques. Ainsi, la plupart des conditions in vitro de ces études sont certainement trop éloignées de celles régnant in vivo pour pouvoir conclure avec certitude. Selon Brouwer & Komdeur (2002), qui soutiennent la thèse d’une fonction d’appariement, il est possible qu’à l’origine cette incorporation de végétaux frais dans les nids ait été pratiquée dans le but de protéger les nids des ectoparasites et que, suite à des changement environnementaux, la pression du parasitisme devenant plus faible, cette pratique ait perduré, mais évoluant comme critère d’appariement pour les femelles. Cet ajout d’herbes arômatiques fraîches aux nids serait en d’autres termes une exaptation.

2 - Ingestion de composés biologiquement actifs

2.1 - Ingestions de plantes

Chez les grands singes d’Afrique, deux comportements dits d’automédication font l’objet de nombreuses études : il s’agit de l’ingestion de feuilles entières et de la mastication de tiges amères.

2.1.1 - Médecine curative ?

2.1.1.1 - Ingestion feuilles rugueuses entières chez les grands singes

En 1977, Wrangham (Wrangham, 1977) a observé pour la première fois un comportement intriguant chez des chimpanzés sauvages du site de Gombe en Tanzanie : parfois ceux-ci ingurgitent sans mastication préalable des feuilles rugueuses, hérissées de petits poils. Ces herbacées, toutes du genre Aspilia (Aspilia mossambicensis : cf. Figure 3, A. pluriseta , et A. rudis ), ne font pas partie du régime alimentaire habituel de ces primates. Au lieu d’avaler les feuilles par poignées entières après les avoir arracher d’une branche, comme ils en ont l’habitude, les chimpanzés sélectionnent ces feuilles avec soin : une par une. Ces ingestion de feuilles entières ont lieu tôt le matin, quand les singes sont a jeun : lentement, les feuilles mises dans la bouche, frottées contre le palais, puis roulées avec la langue et volontairement avalées entières. Enfin, elles sont retrouvées intactes dans les fèces, 6 à 8 heures seulement après leur ingestion (Wrangham & Nishida, 1983).

De tels comportements ont par la suite été observés chez 4 sous espèces de chimpanzés : Pan troglodytes schweinfurthii, Pan troglodytes troglodytes, Pan troglodytes verus et plus récemment Pan troglodytes vellerosus, d’après Fowler et al. (2006). D’autres espèces de grands singes sont également concernées : des populations de bonobos (Pan paniscus) et de gorilles des plaines (Gorilla gorilla gorilla) (Dupain et al. , 2002). En tout pas moins de 34 espèces de plantes différentes sont ingérées entières sans être mâchées. Les parties de la plante utilisées varient selon l’espèce (tiges, feuilles, brindilles…), mais toutes ont en commun d’être velues et rugueuses comme du papier de verre (Huffman, 1997 et 2001) (cf. Figure 4).

17 Figure 3 : Feuilles et fleurs d’ Aspilia mossambicensis . Crédit photo : Bart Wursten.

Au début, sur la base de données ethno pharmacologiques concernant l’utilisation d’ Aspilia par diverses ethnies africaines, une action pharmacologique est suspectée (Wrangham & Nishida, 1983). Ce d’autant plus que, non mâchées et ingérées lentement et en petites quantités, ces feuilles n’étaient vraisemblablement pas ingérées pour leur propriétés nutritives. Les premières analyses de la composition chimique d’ Aspilia mossambicensis ont permis d’isoler la thiarubrine A, un antibiotique aux propriétés anti-helminthiques et antifongiques (Rodriguez et al. , 1985). Cependant, l’absence de reproductibilité de ces analyses a conduit à abandonner l’hypothèse d’une action pharmacologique (Page et al., 1997). Des variations saisonnières ou intraspécifiques auraient pu néanmoins expliquer cette absence de reproductibilité. D’autres tests in vitro ont été réalisés dans le but de détecter une éventuelle action chimique sur les parasites intestinaux de type Strongyloides. Ces test ont été menées sur un autre type de feuilles avalées entières par les chimpanzés de Kibale, en Ouganda : Rubia cordifolia (Messner & Wrangham, 1996). Cependant, les extraits méthanoliques des feuilles n’ont pas eu d’action sur la mobilité des parasites cultivés à partir de selles de babouins.

Par la suite, un lien entre l’ingestion de feuilles entières et l’expulsion de parasites intestinaux a été suspecté. Deux études indépendantes menées chez deux populations de chimpanzés (Pan troglodytes schweinfurthii ), montrent qu’il existe une corrélation entre l’ingurgitation de feuilles entières et l’expulsion de parasites : d’ Oesophagostomum stephanostomum à Mahale en Tanzanie (Huffman et al. , 1996) et de segments de cestodes (Bertiella studeri ) à Kibale, en Ouganda (Wrangham, 1995). De plus, bien que la plupart de ces feuilles soient disponibles tout au long de l’année, celles-ci sont ingérées beaucoup plus fréquemment pendant la saison des pluies (Wrangham & Nishida, 1983). Or, au moment de la saison des pluies, la prévalence du parasitisme intestinal par Oesophagostomum stephanostomum est maximale chez les chimpanzés de Mahale (Huffman et al. , 1997). Des corrélations tout à fait similaires ont par ailleurs été établies par Dupain et al . (2002) chez des bonobos Pan paniscus et par Fowler et al. (2006) chez des chimpanzés du Niger Pan troglodytes vellerosus. En 1997, en examinant les selles de certains chimpanzés, le primatologue Huffman découvre des vers fermement attachés aux feuilles d’une commelinacée (Aneilema aecquinoctiale) , que les chimpanzés ingèrent sans mâcher. Ces vers sont emprisonnés côté face rugueuse, entre de petits poils appelés trichomes. La majorité des autres vers sont quant à eux retrouvés à l’intérieur de feuilles pliées et retrouvées intactes dans les fèces (Huffman, 1997). Fort de ces

18 observations et corrélations, Huffman a alors supposé une vermifugation de type mécanique plutôt que de type chimique comme initialement évoqué (Huffman, 1997). Ces feuilles hispides ingérées entières pourraient ainsi agir comme une sorte de « velcro » sur les vers et/ou irriter les muqueuses intestinales, facilitant ainsi l’expulsion des vers. En effet, lorsque les chimpanzés ingèrent ces plantes, leur transit se trouve accéléré, passant de 24h à 6h (Huffman & Caton, 2001).

Figure 4 : Microscopie électronique de la surface de cinq feuilles avalées entières par les chimpanzés. D’après Huffman (1997).

A : A. mossambicensis , B : L. plicata , C : A. aequinoctale , D : H. aponeurus , E : T. orientalis , F : O. oesophagostomum (échelle de la barre = 500 µm).

Une explication analogue a également été avancée pour expliquer l’ingestion et la défécation de larges graines chez des tamarins du Panama. La fonction de ses graines, étonnamment larges au regard de la taille de ces petits singes, pourrait être de déloger ou d’endommager les vers du genre Prosthenorchis et leurs nodules (Garber & Kitron, 1997). De façon similaire, une action mécanique pourrait expliquer la présence d’herbes non digérées, en particulier de carex (cypéracée), dans les selles de divers animaux tels que les carnivores ou les oiseaux (Huffman, 1997).

L’ensemble de ces observations et analyses coprologiques fait suspecter une automédication, mais rien ne prouve l’efficacité de ces ingestions de feuilles entières. En effet, aucune étude ne démontre une diminution du parasitisme avec amélioration de l’état général de l’animal à la suite de l’ingurgitation de feuilles entières. En revanche, dans le cas de la mastication de tiges amères, des données plus précises ont pu être publiées.

19 2.1.1.2 - Mastication de tiges amères chez les chimpanzés

En 1989, Huffman et son collaborateur tanzanien Seifu (Huffman & Seifu, 1989) ont observé une femelle chimpanzé du site de Mahale, en Tanzanie : apathique, celle-ci présentait des signes de malaise intestinal et ne mangeait quasiment plus, si ce n’est des tiges d’un arbuste nommé Vernonia amygdalina (cf. Figure 5). Ces jeunes pousses n’étaient pas simplement ingérées : la femelle chimpanzé enlevait soigneusement les feuilles et l’écorce, puis mâchait longuement les tiges pour en extraire un jus amer. Dans les 24 heures qui suivirent la consommation de V. amygdalina , les chercheurs constatèrent que la femelle chimpanzés avait retrouvé sa vivacité, son appétit et un transit digestif normal (Huffman & Seifu, 1989).

Figure 5 : Femelle chimpanzé mâchant des tiges amères de Vernonia amygdalina . D’après Huffman (2001).

Des observations ultérieures ont montré que cette plante est peu répandue dans le domaine vital de ces chimpanzés : la trouver nécessite souvent de faire un détour. De plus, les pousses de cet arbuste sont très amères et habituellement ignorées par les chimpanzés. Les autres individus du groupe ne les consomment pas, si ce n’est quelques jeunes qui goûtent parfois les tiges épluchées par leurs mères. Cependant une femelle a tout de même été observée empêchant sa progéniture de consommer les restes de tiges. Enfin, de petites quantités sont ingérées (en moyenne 54 cm) et leur ingestion ne prend qu’une dizaine de minutes dans la journée : la consommation de ces tiges n’est donc certainement pas nutritionnelle (Huffman, 1997). Par ailleurs, V. amygdalina est disponible toute l’année de façon égale, mais les rares observations relatant son mâchonnement ont été faites lors de la saison des pluies. Ceci laisse donc penser que quelque chose d’autre que la disponibilité saisonnière influence la consommation de ces tiges (Huffman et al., 1993).

Tout comme l’ingurgitation de feuilles entières, la mastication de tiges amères est étroitement associée à l’augmentation de l’incidence du parasitisme à O. stephanostomum , lors de la saison des pluies (Huffman et al. , 1997). Les symptômes provoqués par le parasitisme (diarrhée, douleurs abdominales, perte de poids, affaiblissement, …) pourraient constituer un stimulus, poussant les animaux à des comportements particuliers comme la consommation de tiges amères (Huffman et al., 1993). Les plantes du genre Vernonia sont répandues en Afrique, en Asie et en Amérique. Beaucoup sont utilisées en ethnomédecine pour leur efficacité pharmacologique lors de désordres

20 gastro-intestinaux, en particulier lors de parasitisme intestinal. Par exemple, comme son nom l’indique V. anthelmintica est un important traitement antihelminthique utilisé en médecine traditionnelle indienne. Diverses ethnies africaines utilisent V. amygdalina pour soigner les maux d’estomac, les fièvres paludiques, les schistosomiases, les dysenteries amibiennes et les infestations parasitaires intestinales. Certains fermiers ougandais donnent même des pousses de V. amygdalina à leurs porcs afin de les vermifuger (Huffman, 2001).

Les analyses phytochimiques des V. amygdalina collectées à Mahale ont révélé la présence de deux catégories de composés chimiques : 4 lactones sesquiterpènes déjà connues (vernodaline, vernolide, hydroxyvernolide, vernodalol), sept nouveaux saponosides stéroïdiques (vernoniosides A1 à A4, B1 à B3) et deux aglycones correspondant à ces hétérosides (vernoniol A1 et B1) (Jisaka et al. , 1992b) (cf. Figure 6). Ces lactones sesquiterpéniques possèdent des propriétés anthelminthiques, antiamibiennes, antitumorales et antibiotiques (Jisaka et al. , 1993). Une action antipaludique de ces sesquiterpènes a également été mise en évidence in vitro , cependant les concentrations inhibitrices médianes (CI 50 ) étaient 20 fois plus élevées que celles de la chloroquine diphosphatée. Les hétérosides stéroïdiques n’ont montré qu’une faible action antipaludique, mais leur aglycone se sont révélées plus actives, notamment le vernoniol A4 (Ohigashi et al. , 1994). Les deux principaux composés de V. amygdalina , la vernodaline et le vernonioside B1, ont montré des activités antischistosomiales in vitro . Ces molécules sont capables d’inhiber la mobilité des parasites adultes et d’inhiber la ponte des femelles (Jisaka et al. , 1992a). Par ailleurs, la vernodaline est un composé très toxique, plus concentré dans les feuilles et l’écorce, mais en faible quantité dans la moelle des tiges. Cela pourrait expliquer le fait que les chimpanzés ne consomment que la moelle, évitant soigneusement de consommer l’écorce trop toxique (Jisaka et al. , 1992a ; Ohigashi et al. , 1994).

Figure 6 : Molécules isolées de Vernonia amygdalina . D’après Huffman (1997).

21

D’autres observations plus ponctuelles sont elles aussi troublantes. Au cours du suivi sanitaire effectué chez un jeune mâle chimpanzé souffrant d’une grave blessure à l’orteil faisant suite à une bagarre, l’équipe de recherche de Sabrina Krief (Krief et al. , 2006) a constaté un net changement de régime alimentaire chez ce jeune primate. Durant la semaine qui suivit sa blessure, le chimpanzé consomma des tiges d’ Acanthus pubescens , une plante épineuse utilisée par les guérisseurs du Burundi pour lutter contre les infections cutanées et les dermatoses. Il consomma également des fruits de Ficus sur , traditionnellement prescrits par l’Homme en cas d’abcès et d’oedèmes, ainsi que des feuilles et écorces de Ficus exasperata , utilisées par les ethnies voisines pour traiter les ulcères et les abcès. Ces plantes ont toutes en commun de ne pas appartenir au régime habituel des chimpanzés et d’être utilisées en ethnomédecine pour des soins de plaies infectées. Les propriétés thérapeutiques de ces végétaux ont par le suite été évaluées in vitro . Les extraits d’écorces et de feuilles de Ficus exasperata ont alors révélé une activité bactériostatique (Krief et al. , 2006) 2.1.1.3 - Ingestion d’écorces chez les grands singes et les cervidés

Les écorces et le bois sont des parties végétales fibreuses, ligneuses, relativement indigestes, parfois toxiques et dont la valeur nutritive est souvent négligeable. Cependant, même lorsque les fruits abondent, les chimpanzés et les gorilles consomment des écorces et du bois (Huffman, 1997 ; Huffman et al., 1998) (cf. Figure 7).

Figure 7 : Ingestion d’écorce de myrianthus par un jeune chimpanzé (Kanyawara, Parc National de Kibale, Ouganda). Crédit photo : JM Krief.

En se basant sur des données ethnopharmacologiques africaines, Huffman et son équipe ont constaté que 22% de ces écorces consommées par les grands singes sont utilisées par diverses ethnies pour traiter des parasitoses et autres désordres gastro-intestinaux (Huffman et al. , 1998). Par exemple, l’écorce de Pycnanthus angolensis , ingérée par les chimpanzés à Mahale (Tanzanie), est utilisée en Afrique de l’ouest comme purgatif, laxatif, stimulant de la digestion

22 et émétique (Huffman, 1997). Selon Huffman, il est donc raisonnablement envisageable que certaines écorces d’arbres soient consommées en tant que médication antiparasitaire.

Krief et al. (2005b) relatent quant à eux l’histoire d’une femelle chimpanzé souffrant de troubles digestifs caractérisés par une alternance diarrhée/constipation. Alors que les analyses de selles révèlent un parasitisme intestinal multiple, la femelle chimpanzé est observée consommant l’écorce d’un arbre , Albizia grandibracteata, n’appartenant pas au régime habituel du groupe (cf. Figure 8). Elle est d’ailleurs la seule de son groupe à consommer cette écorce. Deux jours après avoir observé ce comportement, d’autres analyses de selles sont effectuées : cette fois ci les parasites ne sont plus présents.

Figure 8 : Ingestion d’écorce d’ Albizia grandibracteata par une femelle chimpanzé souffrant de parasitisme intestinal. D’après Krief (2004).

Des extraits de cette écorce, utilisée traditionnellement au Congo et en Ouganda contre les parasites intestinaux et les ballonnements, sont alors soumis à des analyses biochimiques, confirmant les propriétés anti-parasitaires et permettant de découvrir et d’isoler quatre nouvelles molécules appartenant à la famille des saponosides. D’autres tests in vitro révèleront ensuite une activité anti-tumorale significative à l’encontre de certaines lignées cellulaires tumorales (Krief et al. , 2005b).

Chez les magots (Macaca sylvanus) du Moyen-Atlas marocain, l’ingestion d’écorces admet toutefois d’autres interprétations n’ayant pas trait à l’automédication. Ces primates berbères pratiquent régulièrement l’écorçage des cèdres et cette pratique destructrice se serait amplifiée depuis une dizaine d’années, au point de préoccuper les autorités marocaines. Certains chercheurs se sont donc questionnés sur les raisons de cet écorçage. Selon Ménard & Qarro (1999), ce comportement ne répond ni à un manque d'eau libre, ni à un déficit de teneur en eau des aliments, ni à une réduction des disponibilités alimentaires, mais serait la conséquence d'un déficit en certains nutriments et/ou sels minéraux (calcium et manganèse) que les singes pourraient trouver dans la sève de cèdres. La sédentarisation des bergers entraînant le surpâturage des troupeaux, le biotope des forêts de cèdre se serait appauvri, contraignant les magots à écorcer les cèdres pour y trouver les nutriments et/ou sels minéraux

23 manquant. Les magots agiraient ainsi comme les « bio-indicateurs » du déséquilibre de l'écosystème des cédraies marocaines.

Les singes ne sont pas les seuls à consommer des écorces. Les cervidés en ingèrent régulièrement, si bien que chez cette espèce, on parle d’activité d’ « écorçage ». Chez le cerf élaphe ( Cervus elaphus) , le comportement d’écorçage a lieu tout au long de l’année. En période hivernale, celui-ci peut s’expliquer par la recherche active de nourriture, rare à cette époque, ainsi que par la lutte contre d’éventuelles carences. En période printanière, l’activité d’écorçage pourrait être motivée par la recherche d’éléments à teneur en fibres élevée, visant à rééquilibrer une ration très riche à cette période et à pallier l’absence de réelle transition alimentaire. En été, en revanche, les raisons du phénomène d’écorçage demeurent inconnues. Une des hypothèses avancée est celle de la recherche active de tanins, des substances aux propriétés anti-helminthiques (Decors, 2005). Aucune étude n’a pour le moment prouvé que les cerfs écorcent les arbres dans le but de diminuer leur parasitisme lorsque celui-ci les incommode.

2.1.2 - Médecine préventive ?

Divisée en deux habitats distincts par des chutes d’eau, la vallée éthiopienne d’Awash héberge deux populations distinctes de babouins : en amont des chutes vivent des babouins Anubis (Papio anubis) , en aval vivent des babouins hamadryas (Papio hamadryas) et des babouins hybrides anubis/hamadryas (Phillips-Conroy, 1986). Bien que les feuilles et les fruits de dattiers du désert (balanites aegytica) soient disponibles dans toute la vallée d’Awash, seuls les babouins vivant en aval des chutes les consomment régulièrement. Or chez ces derniers, le risque d’infection schistosomiale est beaucoup plus important, les escargots (Biomphalaria sp.) vecteurs du parasite étant abondants dans les zones humides en aval des chutes d’eau. Constatant que seule la population de babouins à risque de schistosomiase se nourrissait régulièrement de Balanites aegytica, Phillips-Conroy (1986) émit alors l’hypothèse que cette plante puisse être ingérée pour une action préventive anti- schistosomiale. Les expériences menées in vitro ne confirmèrent malheureusement pas l’hypothèse. Le développement des schistosomes des souris infectées ne fut pas affecté par la diosgenine, hormone extraite des fruits de Balanites aegytica (Phillips-Conroy & Knopf, 1986). L’hypothèse n’en demeure pas moins totalement infirmée : il est par exemple possible qu’un autre composé des fruits ou des feuilles de Balanites aegytica soit impliqué ou bien que les composés chimiques de cet arbuste n’aient qu’une action symptomatique, aidant les primates à se sentir mieux.

Plus récemment, l’équipe de recherche de Sabrina Krief (Krief et al., 2006) s’est intéressée à la consommation très occasionnelle de petites quantités de feuilles provenant d’un arbre appelé Trichilia rubescens, chez les chimpanzés de Kibale (Ouganda). En dix mois, seuls quinze chimpanzés ont été observés consommant ces feuilles (cf. Figure 9). Aucun de ces chimpanzés n’était malade au moment de la consommation des feuilles, à l’exception de l’un d’entre eux, souffrant d’une blessure et observé ingurgitant des centaines de feuilles. Un autre chimpanzé en apparence asymptomatique fut également observé ingurgitant des centaines de feuilles en quelques minutes seulement (Krief et al., 2006). En raison de ces intrigants modes de consommation, des extraits de feuilles de Trichilia rubescens ont alors été prélevés et analysés, permettant d’isoler par la suite deux nouvelles molécules appartenant à la famille des limonoïdes : les trichirubines A et B (Krief et al. , 2004). In vitro , ces molécules ont révélé une activité antipaludique significative à l’encontre du parasite Plasmodium falciparum. Par ailleurs, plusieurs analyses ultérieures ont montré que ces limonoïdes étaient concentrés préférentiellement dans les jeunes pousses de Trichilia

24 rubescens , parties ingérées préférentiellement par les chimpanzés. Selon Krief et al. (2006), les feuilles de Trichilia rubescens pourraient être consommées en petite quantité à titre préventif, participant ainsi au maintien du bon état général des chimpanzés de Kibale.

Figure 9 : Chimpanzé ingérant des feuilles de Trichilia rubescens (Kanyawara, Parc National de Kibale, Ouganda). Crédit photo : JM Krief.

2.2 - Géophagie

La géophagie, ingestion délibérée de terre, est universellement répandue dans le règne animal. Ainsi, il existe des animaux géophages sur tous les continents à l’exception de l’Antarctique (Brightsmith, 2004). La majorité d’entre eux sont des oiseaux, des mammifères herbivores ou omnivores, voire même des Hommes.

2.2.1 - Géophagie chez les primates

Les primates sont certainement les mammifères chez lesquels la géophagie a été le plus observée et étudiée. Parmi les 185 espèces de primates, 39 espèces (21,1%) ont été observées pratiquant la géophagie en captivité ou dans leur milieu naturel. Plus précisément, 25% sont des grands singes, 19,4% des prosimiens, 26% des singes de l‘Ancien Monde, ainsi que 15,6% des singes du Nouveau Monde (Krishnamani & Mahaney, 2000).

Les gorilles des montagnes ( Gorilla gorilla beringei ) font partie des grands singes qui pratiquent occasionnellement (5 à 6 fois par an) la géophagie. Dans les altitudes de la chaîne volcanique des Virunga au Rwanda, ces gorilles folivores consacrent parfois jusqu’à trente minutes de leur temps à creuser des sols appelés « regolith » et ingérer la terre obtenue sous la forme d’une poudre sèche (Mahaney et al. , 1990). Les chimpanzés ( Pan troglodytes schweinfurthii ) de Mahale en Tanzanie ingèrent également de la terre de façon occasionnelle. Ces sols proviennent en revanche de termitières. Des chimpanzés de tout âge pratiquent la géophagie. Des pièces de termitière d’en moyenne 2,5

25 cm 3 sont cassées, puis mâchées plusieurs minutes avant d’être avalées (Mahaney et al. , 1996 et 1997). Les singes folivores ou frugivores semblent quant à eux pratiquer la géophagie plus régulièrement. C’est le cas par exemple des atèles à ventre blanc (Ateles belzebuth), singes strictement frugivores, ainsi que celui des singes hurleurs roux (Alouatta seniculus) (Blake et al. , 2010 ; Izawa, 1993). Les macaques japonais (Macaca fuscata) d’Arashiyama ingèrent d’importantes quantités de terre de façon régulière et égale sur toute l’année. Les macaques choisissent de grignoter certains morceaux, tandis qu’ils en rejettent d’autres sans même les avoir goûter (Wakibara et al. , 2001). Les Orangs-outans (Pongo pygmaeus abelii) de l’île indonésienne de Sumatra ingèrent également régulièrement de l’argile. Chez ces grands singes, les observations montrent que le choix des morceaux d’argile dépendrait d’un stimulus olfactif (Stambolic-Robb, 1997).

Les sols ingérés ne sont pas n’importe lesquels et proviennent toujours d’un petit nombre d’endroits restreints. Selon les espèces, il s’agit de sols de termitière (Pan troglodytes, Alouatta seniculus, Ateles belzebuth), de sols de forêts (Gorilla gorilla beringei, Lemur catta) , de sols avec des troncs d’arbres morts (Colobus guereza), de sols riches en sel : « Salado » (Alouatta seniculus), de sols parsemés de feuilles coupées par les fourmis ou de matériels provenant de nids de paruline couronnée (Seiurus aurocapilla) (Pongo pygmaeus, Alouatta caraya) (Krishnamani & Mahaney, 2000).

Krishnamani & Mahaney (2000) envisagent six hypothèses non exclusives pour expliquer la géophagie chez les primates :

- Adsorption des toxines - Action antidiarrhéique - Rôle d’anti acide, contrôle du pH gastrique - Action anti endoparasites - Supplémentation de régimes pauvres en nutriments/minéraux - Apport supplémentaire en fer en hautes altitudes.

Selon ces auteurs, il est probable que les primates déclenche la géophagie pour plusieurs raisons simultanées. Quelque soit l’hypothèse envisagée, une forme d’automédication semble toujours évoquée.

2.2.1.1 - Hypothèse de détoxification

Les primates des forêts tropicales n’ont accès qu’à une nourriture riche en composés métabolites secondaires, souvent toxiques (cf. II). En effet, le taux de métabolites secondaire d’une plante est lié à la qualité de l’environnement : ainsi un sol pauvre en nutriment est souvent occupé par des plantes riches en métabolites secondaire. La meilleure stratégie sur un sol pauvre en nutriments, comme celui des forêts tropicales, consistant à miser une grande partie de l’énergie sur un système défensif chimique, que sont les composés métabolites secondaires (Freeland & Janzen, 1974).

Mis à part certains singes comme les colobes ou les semnopithèques rubiconds (Presbytis rubicunda), qui ont la capacité de détoxifier en partie les feuilles ingérées grâce aux bactéries symbiotiques de leur estomac compartimenté, la majorité des singes folivores sont exposés à de nombreux composés métabolites secondaires toxiques (Oates, 1978 ; Davies & Baillie, 1988).

26 Les sols ingérés par les primates ont pour caractéristiques communes leur finesse granulométrique et leur plasticité à l’état humide. De fait, leur pouvoir adsorbant est considérable (Hladik, 1977). Hladik (1977) et Oates (1978) ont ainsi été les premiers à émettre l’hypothèse selon laquelle l’ingestion de d’argile constitue une façon de détoxifier les composés toxiques de la nourriture. De multiples observations, des plus simples aux plus complexes, soutiennent cette hypothèse. Gurian et al. (1992) ont par exemple observé que les populations de macaques rhésus (Macaca mulatta) pratiquant régulièrement la géophagie s’alimentaient d’un régime riche en tanins, des composés phénoliques toxiques à hautes doses. De façon similaire, chez les macaques japonais (Macaca fuscata yakui) de l’île de Yakushima , l’ingestion quotidienne d’argile est significativement plus importante lorsque augmente la consommation de glands (Lithocarpus edulis) et de « yangmei » (Myrica rubra), tout deux à forte teneur en tanins (Dagg, 2009). D’autres observations réalisées en captivité, au zoo français de Thoiry, ont montré que la consommation de terre des makis catta ( Lemur catta) est positivement corrélée aux jours où la consommation de plantes riches en tanins est plus conséquente (Perrony, 2005). Chez de nombreux singes vivant à l’état sauvage, le passage à la saison sèche s’accompagne d’une augmentation marquée de la géophagie. C’est le cas des gorilles des montagnes (Gorilla gorilla beringei) (Mahaney et al. , 1995), des hurleurs roux (Alouatta seniculus) (Blake et al. , 2010 ; De Souza et al. , 2002 ; Izawa, 1993), et des singes araignées à ventre blanc (Ateles belzebuth) (Blake et al. , 2010 ; Izawa, 1993). Cette corrélation peut s’expliquer par l’hypothèse de détoxification. En effet, chez ces singes, le passage de la saison des pluies à la saison sèche s’accompagne d’une transition alimentaire contrainte, durant laquelle les aliments nouvellement consommés sont plus riches en composés métabolites secondaires, notamment en tanins. Les singes hurleurs roux passent par exemple d’un régime essentiellement frugivore à un régime quasi exclusivement folivore (De Souza et al., 2002). Les gorilles de montagnes quant à eux consomment plus de tiges de bambous (Arundinaria alpina ), riches en cyanure et pouvant occasionner des diarrhées à la saison sèche (Mahaney et al. , 1995). Cette augmentation marquée de la géophagie pourrait correspondre à un besoin de détoxification des nouveaux aliments consommés lors du passage à la saison sèche.

Cette hypothèse permettrait aussi d’expliquer pourquoi les colobes ( Procolobus kirkii ) de l’île de Zanzibar ont été observés ingérant non pas de la terre mais du charbon provenant de tronc d’arbres calcinés (Struhsaker et al. , 1997) (cf. Figure 10).

Figure 10 : Singe colobe (Procolobus kirkii) consommant un morceau de charbon de bois. D’après BBC Wild Life (Novembre 2003).

27 Le charbon est connu en médecine humaine pour son fort pouvoir d’adsorption de toutes sortes de toxines. Ainsi, la consommation de charbon permettrait d’atténuer les effets néfastes des composés phénoliques contenus dans les feuilles de badamiers ( Terminalia catappa ) et de manguiers ( Mangifera indica ) qui constituent l’alimentation principale des colobes. L’ingestion de charbon pourrait même présenter un intérêt adaptatif. En effet, les populations de colobes ayant accès au charbon présentent des taux de natalité et des densités de population plus fortes que celles n’ayant pas accès au charbon.

En comparant les compositions minérales des sols ingérés par les chimpanzés de Mahale (Tanzanie) avec celles des sols non ingérés, Mahaney et al. (1999) ont montré que les termitières sélectionnées pour la géophagie possèdent des caractéristiques minérales particulières. Ces sols se caractérisent par de fortes proportions en fer, en sodium, ainsi qu’en aluminium. Leur combinaison minérale mêlant métahalloysite de smectite est très proche de celle de l’argile médicinale nommée « eko », utilisée par les ethnies ouest-africaine. La métahalloysite est également très proche de la kaolinite, principal constituant du Kaopectate ®, médicament vétérinaire antidiarrhéique à forte capacité d’adsorption de toxines. Ces capacités d’adsorption des sols ingérés par les chimpanzés ont été testées in vitro par Aufreiter et al. (2001). Des modèle des métabolites toxiques des plantes ont été utilisés : des alcaloïdes de type quinolizidine (spartéine, lupanine), tropane (atropine) et quinoléine (quinine). Les résultats obtenus ont montré que les sols ingérés par les chimpanzés possédaient de très bonnes capacités d’adsorption, comparables à celles des charbons par exemple.

Idéalement, prouver l’hypothèse de détoxification implique que les sols consommés soient majoritairement composés d’argile, qu’ils soient régulièrement ingérés, que la nourriture consommée par les géophages soit riche en composés toxiques et que les sols soient capables d’absorber ces agents toxiques (Wakibara et al. , 2001). Finalement peu d’études réussissent à réunir l’ensemble de ces critères. L’étude de Wakibara et al. (2001) réfute d’ailleurs cette hypothèse chez les macaques japonais (Macaca fuscata) , le régime de ces singes étant relativement pauvre en composés métabolites secondaires toxiques et l’argile ingérée n’ayant qu’un faible pouvoir adsorbant sur les tanins et les saponins. Seuls les alcaloïdes étaient adsorbés efficacement.

Néanmoins, l’hypothèse de détoxification par ingestion d’argile reste la plus favorablement documentée, aussi bien chez les primates que chez les oiseaux ou autres herbivores.

2.2.1.2 - Hypothèse antidiarrhéique

En Tanzanie, certains chimpanzés des montagnes de Mahale ont été observés à plusieurs reprises en train d’ingérer des sols de termitière, alors qu’ils étaient en proie à des troubles gastro-intestinaux, parfois provoqués par du parasitisme (Mahaney et al. , 1996). Chez les gorilles de montagnes, la consommation de tiges de bambous augmente lors de la saison sèche et ce changement alimentaire peut occasionner des diarrhées. Or à cette période, l’ingestion de terre est plus marquée chez ces gorilles. Cette pratique plus régulière de la géophagie permettrait entre autres d’éviter ces diarrhées (Mahaney et al. , 1995).

Selon Knezevich (1998), la géophagie préviendrait la symptomatologie du parasitisme en ayant un effet protecteur anti diarrhéique efficace. En effet, les macaques rhésus ( Macaca mulatta ) de Cayo Santiago présentent une faible incidence de diarrhée malgré un important taux de parasitisme intestinal par des nématodes (près de 89% de la population). Or ces singes

28 sont régulièrement géophages (76% des individus). Il est probable que les particules d’argile ingérées agissent comme une barrière protectrice des muqueuses digestives.

La majorité des terres ingérées par les primates possèdent d’ailleurs une minéralogie proche des préparations pharmaceutiques prescrites contre la diarrhée et les maux d’estomac. Elles contiennent notamment beaucoup de kaolinite, composé principal du Kaopectate ®, spécialité vétérinaire prescrite en cas de diarrhées. L’argile à base de kaolinite est capable d’absorber d’importantes quantité d’eau et donc d’absorber l’excès d’eau présent dans les matières fécales en cas de diarrhée (Mahaney et al. , 1993, 1996, 1997 et 1999).

2.2.1.3 - Hypothèse anti-acide

Les « pré-estomacs » des primates folivores, comme le semnopithèque rubicond (Presbytis rubicunda) par exemple, produisent d’importantes quantités d’acides gras volatils lors de la fermentation anaérobie de leur contenu. Ces acides gras sont à l’origine d’une forte acidité gastrique pouvant être délétère pour les primates. Les particules d’argile ingérées et en particulier la kaolinite, agiraient par effet tampon contre cette acidité (Davies & Baillie, 1988 ; Oates, 1978).

Les régimes alimentaires riches en carbohydrates et pauvres en fibres, comme celui des macaques japonais (Macaca fuscata) d’Arashiyama, prédisposent certains primates aux problèmes d’acidité gastrique. L’ingestion régulière de terre pourrait constituer une médication préventive (Wakibara et al. , 2001).

Les mécanismes de cet effet anti-acide des sols ingérés par les primates ne sont pour le moment pas encore élucidés. Il est possible que les sols ingérés agissent directement en régulant la production d’acides gras volatils, mais il est également envisageable que ces sols agissent indirectement sur la population bactérienne symbiotique. Les microorganismes présents dans les sols pourraient également avoir un rôle à jouer (Krishnamani & Mahaney, 2000).

2.2.1.4 - Hypothèse de complémentation minérale et ionique

Selon certains auteurs, la géophagie jouerait un rôle de supplémentation minérale. Heymann & Hartmann (1991) ont étudié la géophagie chez les tamarins moustachus (Saguinas mystax) vivants sur les berges du Rio Blanco, au Pérou . Le régime alimentaire de ces tamarins n’incluant pas la consommation de feuilles ou de graines, ces primates sont peu exposés à d’importantes quantités de métabolites secondaires toxiques. Il semble donc peu probable que la géophagie ait une fonction de détoxification dans le cas présent. Les analyses géochimiques des sols ingérés ont conduit Heymann & Hartmann (1991) à supposer un rôle de supplémentation minérale.

Diverses analyses géochimiques de sols ingérés par les primates montrent que ces sols constituent d’importantes sources de minéraux essentiels et d’éléments traces. Le regolith ingéré par les gorilles des montagnes est par exemple particulièrement riche en sodium et en fer (Mahaney et al. , 1990). Selon Mahaney et al. (1990), la géophagie de ces primates répondrait à un besoin sodique accru, conséquence de la pauvreté sodique des plantes de l’environnement tropical des gorilles. D’autres analyses géochimiques menées par Mahaney et al. (1996) ont montré que les sols de termitières ingérés par les chimpanzés de Mahale étaient eux aussi particulièrement riches en sodium, en fer et en aluminium.

29 Selon Mahaney, une déficience en fer pourrait expliquer la géophagie des populations d’animaux vivant en hautes altitudes (2500-3000 m), comme les gorilles des montagnes (Gorilla gorilla beringei) ou les buffles africains du mont Kenya (Syncerus caffer) (Mahaney, 1987 et 1993 ; Mahaney & Hancock, 1990). En effet, les animaux vivant en hautes altitudes présentent une érythropoïèse intensifiée et des besoins en fer conséquemment accrus. Néanmoins, à ce jour, aucune étude n’a testé la biodisponibilité du fer contenu dans les sols ingéré. Or, il est connu que les anti-acides diminuent l’absorption de fer. Il est donc possible que le fer contenu dans ces argiles soit peut disponible pour les animaux qui l’ingèrent. Ainsi, il est difficile de savoir si l’anémie stimule la géophagie ou si la géophagie provoque l’anémie… Cependant, une faible biodisponibilité du fer pourrait tout de même bénéficier aux animaux géophages, puisque de nombreux agents pathogènes bactériens et fongiques prospèrent en présence de fer. Les individus en hypersidérémie sont effectivement connus pour être plus sensibles à divers agents pathogènes (Aufreiter et al. , 2001).

2.2.1.5 - Autres hypothèses

Les sols peuvent également être des sources de microfaune et microflore. Aufreiter et al. (2001) ont évoqué la possibilité que les microorganismes ciliés Troglodytella abrassarti et T. gorillae agissent en symbiotes, facilitant la digestion de la cellulose et permettant ainsi le maintien en bonne santé des primates. De fait, sans géophagie possible en captivité, ces microorganismes du système digestif disparaissent, en même temps que se développent des troubles digestifs.

Ketch et al. (2001) ont quant à eux montré qu’il existe une plus forte concentration d’actinomycètes dans les termitières ingérées par les chimpanzés. Ces actinomycètes sont des bactéries productrices d’antibiotiques et sont présentes à la surface de l’abdomen des fourmis de l’espèce Acromyrmex octospinosus. L’impact thérapeutique éventuel de la consommation de ces terres riches en micro-organismes reste cependant à évaluer.

Enfin, selon Mahaney et al. (1993), il est également possible que la géophagie ne serve à rien. En effet, les sols ingérés par les macaques japonais (Macaca fuscata) ne semblent remplir aucune des fonctions mentionnées précédemment. Il est possible que la géophagie résulte d’une tradition comportementale et n’ai plus aucun rôle à présent.

2.2.2 - Géophagie chez les oiseaux

De nombreuses espèces d’oiseaux sont également géophages. La géophagie est particulièrement répandue chez les psittacidés vivant en Amérique du Sud. De nombreuses falaises d’argile bordant l’Amazone péruvien sont ainsi connues pour être des sites de géophagie visités quotidiennement par des psittacidés tels que les conures de Weddell (Aratinga weddellii ), les amazones à front jaune ( Amazona ochrocephala ), les aras chloroptères ( Ara chloroptera ) (cf. Figure 11), les aras macaos ( Ara macao ), les piones à tête bleue ( Pionus menstruus ), les caïques à ventre blanc ( Pionites leucogaster ) (Brightsmith & Munoz-Najar, 2004 ; Diamond et al. , 1999 ; Gilardi et al. , 1999).

Contrairement aux gallinacés et aux columbiformes, tous ces psittacidés tropicaux n’ingèrent que de très fines particules d’argile, laissant penser que dans leur cas, la géophagie n’est pas pratiquée pour broyer les graines du jabot (Brightsmith & Munoz-Najar, 2004 ; Gilardi et al. , 1999).

30 Figure 11 : Aras Chloroptères sur une falaise d’argile. Crédit photo : Nick Pattinson.

Les sites de géophagie des psittacidés tropicaux sont concentrés autour du bassin amazonien ouest, inégalement répartis entre six pays : le sud du Pérou (50% des sites), le nord de la Bolivie, l’Equateur, la Colombie, le Brésil, ainsi que le Paraguay (Lee et al. , 2010). D’après ces auteurs, la répartition des sites de géophagie en Amérique du sud ne s’explique pas uniquement par la géologie des terrains. Selon eux, cette répartition témoigne avant tout de la nécessité qu’on ces psittacidés à recourir à l’ingestion d’argile pour détoxifier les graines, les fruits et les feuilles qu’ils ingèrent. En effet, ces oiseaux des forêts tropicales n’ont accès qu’à des végétaux riches en composés métabolites secondaires (alcaloïdes, composés phénoliques, terpènes …), dont les effets sont toxiques à hautes doses. A l’inverse, en zones tempérées, l’alimentation des oiseaux contient très peu de toxines végétales : aucun des sites se prêtant à la géophagie n’y est exploité. Beaucoup de publications interprètent donc cette géophagie comme un moyen de détoxification vis-à-vis des composés métabolites secondaires contenus dans leur alimentation (Diamond et al. , 1999 ; Gilardi et al. , 1999 ; Brightsmith et al. , 2008).

Brightsmith (Brightsmith, 2004) a étudié les comportements géophages des psittacidés au sein d’un important site de géophagie situé dans la réserve de Tambopota, au sud-ouest du bassin de l'Amazone. Ses observations ont montré que la pratique de la géophagie est saisonnière : le nombre d'oiseaux se rassemblant sur les sites de géophagie diminuant à la fin de la saison des pluies, lorsque les ressources alimentaires sont moins abondantes. Il est possible que, parce que la saison de migration des divers oiseaux coïncide avec la diminution des ressources alimentaire, les sites de géophagie soient moins fréquentés durant cette période. A l’inverse, chaque espèce présente un pic de fréquentation des falaises d’argile qui lui est propre et qui correspond avec sa propre période de reproduction, période pendant laquelle les ressources alimentaire redeviennent abondantes. Selon Brightsmith, deux hypothèses sont envisageables : la consommation d’argile augmente avec les besoins en calcium pour la ponte des œufs et/ou la nécessité d’un apport plus important d’argile aux jeunes poussins. En effet, au cours de leurs premières semaines, les poussins psittacidés grandissent très vite et doivent consommer d’importantes quantités de nourriture : ils ingèrent donc d’importantes quantités toxines végétales durant cette période. Il est probable que les

31 mères ingèrent plus d’argile pour en nourrir leur poussin dont la résistance aux toxines végétales est plus faible que celle des adultes. Par la suite, des expériences menées in vitro , ont confirmé l’hypothèse d’une action détoxifiante (Brightsmith et al. , 2008). Le peu de smectite contenu dans les sols ingérés par les perroquets suffisant à lier 25 fois plus de quinine que la kaoline ou le mica, dont les pouvoirs adsorbants sont pourtant connus pour être efficaces.

Gilardi et al. (1999) ont également testé diverses hypothèses attenant à la géophagie de perroquets d’Amazonie : effet tampon anti-acide, aide à la digestion mécanique, supplémentation minérale, cytoprotection gastro-intestinale et détoxification des toxiques végétaux. Seule ces deux dernières hypothèses peuvent être soutenues par des résultas probants. Les tests pratiqués in vitro, sur les sols consommés par les perroquets, ont montré que chaque gramme de terre consommé peut adsorber de 90 à 125 mg de quinine et 6 à 8 mg d’acide tannique. Les expériences réalisées in vivo, chez des perroquets élevés en captivité, ont montré que l’administration orale d’argile permettait de réduire de 60 % la biodisponibilité des solutions de quinidine (alcaloïde) administrées aux perroquets. Par ailleurs, l’argile restant tapisser le tractus gastro-intestinal minimum 12h, Gilardi et al. (1999) n’excluent pas un possible rôle de protection des muqueuses digestives.

Une autre étude en faveur du rôle détoxifiant de la géophagie est celle de Wink et al. (1993). Intrigués par la capacité des oies à tolérer d’importantes concentrations de métabolites secondaires toxiques, Wink et al. (1993) ont observé attentivement le comportement des volatiles, aboutissant à la conclusion que ces dernières surmontent la toxicité des métabolites secondaires en pratiquant la géophagie. Leurs expériences in vitro ont corroboré cette hypothèse, démontrant que les sols ingérés par les oies possèdent une importante capacité d’adsorption d’alcaloïdes.

L’hypothèse de détoxification par l’argile n’est cependant pas exclusive, d’autres hypothèses coexistent. Ainsi la géophagie est aussi considérée par d’autres comme un moyen de supplémentation sodique (Brightsmith et al. , 2008 ; Brightsmith & Munoz-Najar, 2004). En effet, le sodium fait souvent défaut aux herbivores en raison de la faible teneur sodique des plantes. Or, le sodium est indispensable au fonctionnement des organismes animaux : il intervient dans d’importants processus tels que la transmission nerveuse ou encore le maintien de la balance osmotique. Les sols impliqués dans la géophagie et analysés par Brightsmith et al. (2008) ont révélé des teneurs sodiques deux fois plus élevés que la normale et en moyenne 40 fois plus élevées que les concentrations sodiques des plantes.

2.2.3 - Géophagie chez d’autres mammifères

Les éléphants des savanes d’Afrique (Loxodonta africana) ingèrent également régulièrement de la terre. Au mont Elgon, à la frontière entre le Kenya et l’Ouganda, ou encore dans la forêt de Ngorongoro en Tanzanie, de véritables sites d’excavation à flanc de montagne témoignent de cette pratique géophage (Houston et al. , 2001). En zone de savane boisée, les éléphants africains ont également été observés occupés à creuser des termitières et en manger la terre (Ruggiero & Fay, 1994). Les termitières exploitées par ces éléphants ne sont généralement plus occupées par les termites et possèdent une couverture végétale bien développée et caractéristique.

Les analyses géochimiques pratiquées sur les terres ingérées ont systématiquement mis en évidence l’existence de fort pourcentage d’argile (Ruggiero & Fay, 1994 ; Houston et al. , 2001). Les sols de Ngorongoro possèdent ainsi jusqu’à 35% de kaolin. Etant donné les

32 propriétés pharmaceutiques du kaolin précédemment citées, les hypothèses de détoxification et de protection de la muqueuse digestives ont donc été envisagées les premières chez les éléphants. Une autre étude menée au Sri Lanka, soutient les analyses précédentes, montrant que la principale différence entre les sols ingérés par des éléphants d’Asie (Elephas maximus ) et les sols non ingérés constitue leur teneur en kaolinite et en illite : les sols ingérés en sont bien plus riches (Chandrajith et al. , 2009). La pratique de la géophagie permettrait ainsi aux éléphants des forêts ( Loxodonta africana cyclotis) vivant dans des écosystèmes appauvris en nutriments, d’élargir leur régime alimentaire à d’autres plantes habituellement évitées en raison de leur teneur en composés phénoliques par exemple (Klaus et al. , 1998). Les analyses géochimiques pratiquées par Ruggiero & Fay (1994) ont également mis en évidence l’existence d’importantes concentrations en bases échangeables (cations basiques) : jusqu’à sept fois supérieures à celles des terres environnantes. Les termitières étant souvent associées à des mares salines, il est possible qu’elles puissent être sources de sels minéraux, rarement disponibles dans les savanes et forêts africaines.

La géophagie a également été rapportée de façon plus anecdotique chez d’autres ongulés tels que les buffles du mont Kenya (Syncerus caffer) (Mahaney, 1987 ; Mahaney & Hancock, 1990), les cerfs mulets (Odocoileus hemionus) (Arthur & Alldredge, 1979), les tapirs (Tapirus terrestris), les pacas (Agouti paca), les daguets (Mazama sp.) (Izawa (1993) ainsi que les aurochs « reconstitués » (Bos primigenius) (Mahaney et al. , 1996). Selon Kreulen (1985), l’ingestion de terre chez les herbivores constituerait une source essentielle de minéraux, procurerait un effet tampon bénéfique en cas d’acidose et serait un moyen de détoxification lors d’ingestion de composés métaboliques secondaires (tanins, alcaloïdes …).

La géophagie a également été rapportée chez des chauves souris de la forêt amazonienne. Voigt et al. (2008) montrent que les chauves souris se rendant plus fréquemment aux sites de géophagie sont celles ayant consommé des fruits en grande quantité, en particulier les femelles gestantes ou en lactation. Cette ingestion d’argile aurait pour but de tamponner les effets toxiques des fruits ingérés en grande quantité lors de ces périodes où la demande d’énergie augmente significativement. L’ingestion d’argile permettrait également de protéger les fœtus de certains produits métabolites secondaires tératogènes.

Autrefois considérée comme pathologique, la géophagie semble désormais abordée comme une forme d’automédication.

Quelque soit le mode d’automédication suspecté, les observations seules ou même accompagnées d’expériences in vitro ne suffisent pas : les expériences menées in vivo sont indispensables dès lors que l’on souhaite tester l’existence d’automédication chez l’animal. Certains scientifiques ont donc créé des situations expérimentales visant à tester les capacités d’automédication des animaux in vivo .

C - Prouver l’automédication ? Expériences in vivo chez les animaux captifs Rares sont les études ayant exploré les capacités d’automédication d’animaux élevés en captivité. Parmi ces études figure celle de Danburry et al. (2000) sur l’auto-administration d’analgésiques chez des poulets d’élevage boiteux. Cette étude a eu pour but de comparer la consommation volontaire d’un aliment supplémenté en carprofène, un anti inflammatoire non stéroïdien, chez des poulets boiteux et des poulets

33 sains. Les deux groupes de gallinacés ont eu un accès libre à deux types de nourritures : une complémentée en carprofène et une autre témoin, non complémentée. Les concentrations plasmatiques en carprofène, linéairement corrélées aux quantités de carprofène ingérées, sont suivies. Les résultats montrent que la concentration plasmatique en carprofène est significativement plus élevée chez les poulets boiteux, démontrant que les poulets boiteux ont une consommation d’aliments supplémentés en anti inflammatoires une fois et demie plus importante que les poulets sains. Au contraire, les poulets sains ont tendance à éviter la nourriture supplémentée en anti-inflammatoires. Les effets secondaires indésirables liés à la prise d’anti-inflammatoires (ulcères gastriques) peuvent expliquer cette aversion des poulets sains pour la nourriture complémentée. Une seconde expérience démontre que les gallinacés corrèlent leur prise d'anti-inflammatoires à la sévérité de leur boiterie. En effet, sur une échelle de 0 à 5 indiquant la gravité de la boiterie, les animaux proches de 5 consomment plus de nourriture supplémentée en anti-inflammatoires. Ces expérimentations montrent que de simples poulets d’élevage sont donc en mesure de sélectionner, mais aussi de doser, leurs besoins thérapeutiques : régulant l’ingestion d’anti-inflammatoires de telle sorte à diminuer la douleur occasionnée par leur boiterie.

Karban & English-Loeb (1997) se sont interrogés sur la capacité de survie des chenilles lépidoptères Platyprepia virginalis, en dépit du parasitisme exercé par des larves de mouches Thelaira americana. Ainsi, ils ont mis au point une expérience visant à déterminer si l’infestation par le parasitoïde influence le choix alimentaire de l'hôte. Des chenilles parasitées et saines ont été placées dans un enclos contenant du lupin ( Lupinus arboreus) et de la ciguë ( Conium maculatum). Les résultats montrent que les chenilles parasitées ont tendance à se nourrir de Conium maculatum , tandis que les chenilles non parasitées préfèrent Lupinus arboreus. L’alimentation proposée affecte leur survie : les chenilles parasitées accroissent leurs chances de survie dans un milieu riche en ciguë, tandis que les chenilles non parasitées ont un meilleur taux de survie dans un enclos de lupin. Enfin, la fécondité des chenilles parasitées est meilleure lorsqu’elles ont mangé C. maculatum : la masse de leur pupes est augmentée. Dans cette étude, les insectes choisissent donc l'espèce de plante qui leur permet une survie plus longue. Le choix de la plante hôte serait modulé par les interactions entre l'insecte et son parasite.

De façon similaire, une étude de 2009 (Singer et al. , 2009), portant sur une autre espèce de chenilles (Grammia incorrupta) soulève trois points essentiels :

- Le parasitisme des chenilles par des endoparasites létaux appelés tachinides provoque l’ingestion de toxines végétales de la classe des alcaloïdes pyrrolizidiniques. - L’ingestion d’alcaloïdes pyrrolizidiniques améliore la survie des chenilles parasitées. - Une ingestion excessive de ces toxines réduit la survie des chenilles non parasitées

Les expériences de Vitazkova et al. (2001) ont exploré la capacité de souris de laboratoire, infectées par l’agent du paludisme murin (Plasmodium berghei berghei), à tirer profit de solutions inappétentes de chloroquine, un antipaludique amer de la famille des amino-4-quinoléines. Pour ce faire, trois groupes ont été constitués :

- Des souris saines ayant accès à de l'eau pure et à une solution de chloroquine - Des souris impaludées n'ayant que de l'eau pure à disposition - Des souris impaludées ayant le choix entre ces deux boissons

34 Sept jours après l’inoculation du parasite, les résultats obtenus furent les suivants :

- Les souris impaludées ayant eu accès à la solution de chloroquine ont présenté une parasitémie et une mortalité statistiquement moins élevées que celles n'ayant eu accès qu’à de l'eau pure . En effet, 40% des souris n'ayant pas accès à la chloroquine sont mortes dès le 12 ème jour post-infection, tandis qu’au 20ème jour post-infection aucune souris ayant eu accès à la solution de chloroquine n'est morte. - La capacité à résister au paludisme est attribuable au fait que la consommation de solution à la chloroquine représentait environ 20% des fluides consommés. - Cependant la quantité de chloroquine consommée par les souris infectées étant statistiquement équivalente à celle consommée par les souris saines, la malaria ne semblait pas être à l’origine de la consommation de solution de chloroquine.

L’expérience ne permet pas de conclure que des souris, lorsqu’elles sont malades, développent une préférence envers une substance thérapeutique. Néanmoins, cela montre que même si la solution amère de chloroquine n'est pas plaisante, elle a tout de même été consommée de façon répétée par les deux types de souris, les faisant bénéficier dans un cas d’une excellente action curative et dans l’autre cas d’une excellente chimioprophylaxie.

Vitazkova et al. (2001) suggèrent qu’en consommant une variété de substances amères en petites quantités, les animaux réduisent la probabilité d’ingérer des doses létales tout en augmentant leur chance de consommer des plantes à valeur médicinale potentielle.

De multiples expérimentations menées in vivo chez des moutons ont montré que ces derniers sont parfaitement capables d’associer un état de malaise à sa médication. Après avoir nourris des agneaux avec des régimes alimentaires riches en énergie ou en azote, Villalba & Provenza (1997a, b) ont étudié le comportement alimentaire de ces derniers vis-à- vis d’aliments pauvres en énergie et en protéines, comme la paille. Les observations ont montré que suite à ces régimes complémentés à l’excès, les agneaux déclaraient une nette préférence alimentaire pour la paille, fourrage habituellement ignoré en raison de son faible apport énergique et protéique. De part ce comportement adaptatif, les ruminants évitaient ainsi un excès d’acides gras volatils et d’azote. Phy & Provenza (1998) ont montré quant à eux que des moutons nourrit exclusivement aux grains, et donc en situation d’acidose, sélectionnent préférentiellement des nourritures ou solutions riches en bicarbonates de sodium, propres à atténuer cet état d’acidose. Les moutons sont également capables d’apprendre à consommer du polyéthylène glycol (PEG), une substance chimique atténuant les effets aversifs des tanins. Des expérimentations in vivo , ont démontré que les moutons ajustent leur consommation de PEG de façon proportionnelle aux concentrations tanniques de la nourriture proposée. Dès lors que les tanins sont supprimés de l’alimentation, la consommation de PEG s’annule progressivement (Provenza et al. , 2000). Plus intéressant encore, les moutons sont capables de discriminer les effets médicinaux bénéfiques du PEG des effets non médicinaux des autres substances proposées simultanément suite à un régime riche en tanins (Villalba & Provenza, 2001).

Dans une de leurs études les plus abouties, Villalba et al. (2006) ont montré que des moutons sont capables d’apprendre à sélectionner trois types de « médicaments » : le bentonite de sodium, le PEG et le phosphate de dicalcium, afin de surmonter les effets délétères provoqués par un excès de grains, de tanins ou d’acide oxalique respectivement. L’étude a compris deux groupes de moutons soumis à des intoxications ou « malaises expérimentaux », au moyen de régimes alimentaires déséquilibrés (excès d’amidon, de tanins

35 ou d’acide oxalique). Les moutons du groupe dit « conditionné » ont été soumis à un des trois types de « malaises » induits par la nourriture, puis ont reçu une nourriture contenant le traitement correspondant. Les moutons du groupe témoin ont également été soumis à ces « malaises », en l’absence de traitement. Les résultats obtenus montrent que les moutons ayant été conditionnés sont capables de discriminer le traitement correspondant au malaise induit, ce parmi les trois propositions de remèdes.

D - Scepticisme et limites

Nombres de « preuves » d’automédication animale ne sont en réalité basées que sur des observations, souvent secondées d’extrapolations anthropomorphiques. D’étroites corrélations sont établies tout au mieux, mais rigoureusement, rien n’est prouvé (Forbey et al. , 2009).

En psychologie comparée, les bases d’un méthodologie rigoureuse sont parfaitement résumées le « Canon de Morgan » (Morgan, 1903), ou principe de parcimonie : « Nous ne devons en aucun cas interpréter une action comme relevant de l'exercice de facultés de haut niveau, si celle-ci peut être interprétée comme relevant de l'exercice de facultés de niveau inférieur.» Sorte de rasoir d’Ockham appliqué à la psychologie expérimentale et à l’éthologie cognitive, ce principe doit toujours être gardé à l’esprit de celui qui interprète un comportement, sans quoi nombres d’interprétations anthropomorphiques hâtives et erronées seraient formulées. Certains comportements comme le « formicage » ou le « fur-rubbing » font ainsi partie des situations pour lesquelles d’autres interprétations plus simples que celle de l’automédication existent.

Selon Hladik (1998), attribuer aux animaux, y compris aux primates, la capacité de distinction entre aliment et médicament relève d’interprétations anthropomorphiques réductrices, propres à nos concepts de sociétés occidentales. La dichotomie aliment/médicament n’est d’ailleurs pas toujours évidente, y compris chez les Humains et en particulier dans les sociétés traditionnelles. Le proverbe japonais « Isaku Dougen », littéralement « produits médicinaux et nourriture ont une même origine », illustre parfaitement cette difficulté à distinguer aliments et médicaments. Certains parlent ainsi d’« alicaments » (Huffman et al. , 1998). Certaines substances comme les vitamines sont impossible à classer et de nombreux condiments, légumes et épices traditionnels de la cuisine asiatique, tels que la racine de gingembre ou les algues marines, sont connus pour être d’importantes sources d’agents anti-tumoraux et aider lutter contre certaines infections parasitaires ou virales. Autre exemple très étudié, celui de la consommation des fruits et de la moelle des espèces Afromonum (famille du gingembre sauvage), couramment ingérés par les chimpanzés, les gorilles des plaines et les bonobos. Des études montrent que les fruits d’une de ces espèces de gingembre sauvages présentent une activité antimicrobienne considérable. Ces fruits sont par ailleurs traditionnellement vendus sur les marchés africains en tant qu’antihelminthiques, antibactériens et antifongiques (Huffman, 2003). Toute la difficulté de l’étude de l’automédication animale réside donc dans cette difficulté à faire la distinction entre aliment et médicament : autrement dit savoir repérer les bienfaits médicaux tirés indirectement de plantes riches en composés bioactifs et censées être ingérées en raison de leur valeur nutritionnelle, par opposition aux bienfaits médicaux secondaires à l’ingestion d’une quantité limitée d’un item utilisé uniquement dans un situation de mal-être et en raison de ses bienfaits thérapeutiques (Huffman, 2003).

36 Sapolsky (1994) fait parti des scientifiques sceptiques quant à l’existence de capacités d’automédication chez l’animal. Selon lui, il existe trois « freins » nuisant à la confirmation de l’automédication animale : beaucoup d’expérimentations ne font pas intervenir d’individus témoins, de nombreuses études in vitro ne sont pas suivies d’études in vivo, enfin aucun mécanisme comportemental n’a clairement permis d’expliquer l’émergence et le maintien des comportements d’automédication au sein d’une population animale.

Lozano (1998) fait quant à lui remarquer que la détection de composés bioactifs au sein d’items supposés impliqués dans des comportements d’automédication n’est pas nécessairement gage d’automédication. En effet, la seule présence de ces composés ne permet pas d’établir un lien de cause à effet immédiat, ne serait-ce que parce que la plupart des plantes contiennent des composés chimiques bioactifs assurant leur protection à l’encontre des herbivores, des vers, des champignons ou encore des insectes. Pour pouvoir établir ce lien de cause à effet, il faut être en mesure de prouver que l’individu observé est malade, que les composés biochimiques contenus dans la plante ou la terre utilisée sont thérapeutiques à l’égard de la maladie contractée et qu’un effet positif est directement ressenti suite à la mise en place du comportement suspect d’automédication. Bien souvent l’item médicinal utilisé ne fera pas partie du régime alimentaire habituel de l’animal et souvent seule une partie (écorce, jeunes pousses...) sera utilisée d’une façon peu habituelle (frottement pelage, mâchonnement, ingurgitation…). Lozano (1998) souligne également l’importance des témoins : il s’agit non seulement de comparer le comportement de l’animal déclenchant un supposé acte de médication avec celui des autres congénères, mais aussi de comparer les propriétés biochimiques de la supposée plante médicinale avec celles des autres plantes du régime habituel. L’étude de Messner & Wrangham (1996) constitue l’une des rares études ayant utilisé des groupes témoins, en particulier en comparant des effets de la supposée plante médicinales avec ceux des autres plantes consommées régulièrement. Leurs expérimentations in vitro ont abouti à la conclusion qu’il n’existe aucune différence d’activité biologique anti-strongyloïdes entre les extraits méthanolés de Rubia Cordifolia et six autres extraits de plantes appartenant au régime habituel des chimpanzés étudiés. Messner & Wrangham (1996) ont néanmoins conclu en affirmant que ce résultats ne signifiaient pas nécessairement que Rubia Cordifolia n’affecte pas les nématodes intestinaux des chimpanzés, ce pour diverses raisons : la possibilité d’une méthode d’extraction des composés bioactifs de R. Cordifolia inappropriée, l’utilisation exclusive de nématodes au stade adulte, non parasitaire et enfin, la faible représentativité des tests in vitro au regard des interactions complexes ayant lieu in vivo. A noter que le dernier argument aurait aussi bien pu être valable dans le cas d’une différence significative d’activité anti-strongyloïdes entre R. Cordifolia et les six autres plantes … Messner & Wrangham (1996) ont souligné un autre point important : la nécessité de test in vivo . Théoriquement idéale, la pratique de tests in vivo s’avère difficile à mettre en place en pratique. En premier lieu pour des raisons éthiques, il est délicat de rendre à dessein des animaux sauvages malades, ou même d’utiliser des méthodes invasives visant à évaluer leur état de santé au cours des expériences.

*

Les réelles preuves d’automédication animale demeurent minces à l’heure actuelle. Néanmoins, diverses études menées chez les grands singes africains semblent se détacher et convaincre la sphère scientifique de l’existence de comportements d’automédication. Certains, comme Krief (2003) vont même jusqu’à distinguer deux modes d’automédication : un mode préventif et un autre thérapeutique. Ainsi, l’ajout de matériel frais dans les nids, la

37 friction du corps par des produits insectifuges, l’ingestion de Trichilia rubescens par les chimpanzés ou encore l’échantillonnage de produits amers par les souris illustreraient l’aspect prophylactique de l’automédication. En revanche, la mastication de tiges amères de Vernonia amygdalina par les chimpanzés malades ou encore la consommation d’analgésiques par les poulets souffrant de boiterie approuveraient l’existence de comportements de type curatif, induit par une sensation de malaise physique. Cependant, la limite entre les deux types d’action n’est pas toujours franche : ainsi, la géophagie peut être considérée à la fois comme un moyen prophylactique (régulation du pH gastrique, protection des muqueuses digestives) et thérapeutique (anti-diarrhéique, détoxification des métabolites secondaires).

Deux questions principales restent cependant en suspend et sont largement débattues par les scientifiques s’intéressant à la zoopharmacognosie :

- Quel est le déterminisme des comportements d’automédication ? Peut-on parler d’un acte volontaire et conscient ou simplement de réponses à des stimuli physiologiques ? - Comment se transmettent ces comportements ? Sont-ils culturels et traduisent-ils une tradition communautaire ?

Etudier les comportements d’automédication des animaux nécessite la compréhension des stratégies écologiques employées par les animaux pour vivre en bonne santé dans leur milieu naturel. C’est pourquoi, pour quiconque veut étudier la zoopharmacognosie, il est indispensable de s’intéresser aux métabolites secondaires, molécules à la base des interactions écologiques entre les végétaux et leur environnement.

38 II - Métabolites secondaires et comportement animal

“The world is not colored green ; it is colored morphine, caffeine, tannin, phenol, terpene, canavanine, latex, phytohaemagglutinin, oxalic acid, saponin, L-dopa, etc.” Janzen (1978)

A - Théorie du détournement des métabolites secondaires des plantes

1 - Qu’est-ce qu’un composé métabolite secondaire ?

Dès la fin du 19 ème siècle, le botaniste allemand Julius Von Sachs reconnaît l’existence de molécules produites en dehors des voies métaboliques strictement nécessaires à la survie de la plante (Hartmann, 2007). Par la suite, ces composés sont nommés « métabolites secondaires », par opposition aux métabolites primaires que sont les protéines, les glucides et les lipides.

Extrêmement diversifiés, ces métabolites secondaires existent sous la forme de plus de 200 000 structures chimiques, pouvant être classées en trois grandes catégories (Bruneton, 1993).

1.1 - Les composés phénoliques

Les composés phénoliques se caractérisent par la présence d'un noyau benzénique, portant un groupement hydroxyle libre ou engagé dans une fonction ester, éther ou hétéroside. Le ou les noyaux aromatiques peuvent être synthétisés soit par la voie du shikimate, soit par celle de l'acétate, ce qui permet de différencier deux classes de composés phénoliques :

- Les shikimates : ils incluent les phénols, les coumarines, les lignanes, ainsi que les des tanins, molécules astringentes dotées d’une remarquable affinité pour les protéines. - Les polyacétates, qui comprennent les quinones, les orcinols et les phloroglucinols.

Les flavonoïdes, pigments végétaux responsables de la coloration des fleurs et des fruits, sont des composés mixtes, entre shikimates et polyacétates (cf. Figure 12).

1.2 - Les terpénoïdes et stéroïdes

Selon leur nombre d’unité isopréniques, on distingue les monoterpènes, les sesquiterpènes les diterpènes, les sesterterpènes, les triterpènes et les tétraterpènes (cf. Figure 12). Les monoterpènes comptent parmi eux la pyréthrine, un puissant insecticide. Les sesquiterpènes composent de nombreuses huiles essentielles aux propriétés antiseptiques, antibactériennes et antifongiques. Parmi les diterpènes aux activités pharmacologiques remarquables se trouve le paclitaxel : une molécule issue de l’if (Taxus baccata). Commercialisée dans une spécialité intitulée Taxol ®, cette molécule est utilisée dans les protocoles de chimiothérapie des cancers des poumons, du sein et de l’ovaire.

39 Enfin, les stéroïdes comptent parmi eux les hétérosides cardiotoniques (digoxine, ouabaïne) et les saponosides, molécules caractérisées par leur effet tensioactif à l’origine de leur capacité à former des solutions moussantes une fois dans l’eau.

1.3 - Les alcaloïdes

Les alcaloïdes sont des produits azotés basiques, d'origine naturelle dont l'atome d'azote est inclus dans un système hétérocyclique et dont l'activité pharmacologique est significative.

Classe de métabolites secondaires aux propriétés thérapeutiques, les alcaloïdes incluent des molécules agissant sur le système nerveux central (morphine, strychnine, éphédrine...), le système nerveux autonome (pilocarpine, atropine...), mais aussi des molécules utilisées en cancérologie (vinblastine, vincristine...) et en parasitologie (quinine).

Chez de nombreuses plantes, les alcaloïdes se localisent dans les pièces florales, les fruits ou les graines.

Figure 12 : Diversité structurale des composés métabolites secondaires, d’après Wink (2003)

Molécules azotées Alcaloïdes (1) 12 000 Acides aminés non protéiques (2) 700 Amines (3) 100 Glucosides cyanogéniques (4) 60 Glucosinolates (5) 100 Alkamides (6) 150

Molécules non azotées Monoterpènes (6) 2 500 Sesquiterpènes (7) 5 000 Diterpènes (8) 2 500 Triterpènes, Saponins, Stéroïdes (9) 5 000 Tetraterpènes 500 Phenylpropanoïdes, coumarines, lignanes 2 000 Flavonoïdes (10) 4 000 Polyacétylènes, acides gras, cires (11) 1 000 Polykétides (12) 750 Carbohydrates > 200

40 2 - Les rôles supposés des métabolites secondaires

L’extrême diversité des métabolites secondaires demeure aujourd’hui encore un mystère. Selon le principe évolutionniste de sélection naturel émis par Darwin, tout trait de caractère ne conférant pas un avantage à la survie et la reproduction d’une espèce est éliminé par pression de sélection négative. De fait, les métabolites secondaires joueraient nécessairement des rôles conférant divers avantages sélectifs aux plantes qui les possèdent. Néanmoins, à ce jour, les fonctions remplies par ces composés sont loin d’être toutes élucidées.

2.1 - Lutte contre la prédation et les agents pathogènes

D’abord considérés comme des produits inertes, des déchets du métabolisme (excès de carbone provenant de la photosynthèse), les métabolites secondaires sont petit à petit considérés comme des molécules clefs, résultat de la coévolution flore-faune (Iason, 2005).

Dès 1888, l’allemand Ernst Stahl suggère le premier que l’impact du règne animal sur le règne végétal est la raison d’être de ces métabolites secondaires. Ainsi, l’un des rôles majeurs joué par de nombreux composés métabolites secondaires est celui de la lutte contre la prédation et les agents pathogènes. En tant qu’organisme vivant statique, les plantes ne peuvent fuir en présence de prédateurs (limaces, insectes, herbivores) et en l’absence de système immunitaire, elles ne peuvent faire face aux pathogènes tels que les champignons, les bactéries ou les virus. Au cours de l’évolution, d’autres « stratégies » se sont mises en place, assurant la survie des végétaux les ayant développées. La défense chimique au moyen de ces composés métabolites secondaires figure parmi ces « stratégies » (Wink, 2003). A l’époque, cette hypothèse évolutionniste est rejetée. Elle ne sera reprise et développée qu’une soixantaine d’années plus tard avec l’émergence d’une nouvelle discipline : l’écologie chimique, dont Gottfried Fraenkel constitue l’un des pionniers, avec sa publication « The Raison d’être of secondary plant substances » (Hadacek et al., 2011 ; Hartmann, 2007).

On sait désormais que ces composés métabolites secondaires défensifs sont majoritairement stockés dans les tissus ciblés par les herbivores et les pathogènes, ce dans des concentrations efficacement répulsives (Wink, 2003). Certains de ces composés sont déjà présents sous forme active, d’autres sont présents sous formes de « pro-drogues » activées en cas d’agression de la plante : ce sont les « phytoanticipines ». C’est le cas par exemple des glucosides cyanogéniques, qui lorsqu’ils sont activés, libèrent de l’acide cyanhydrique, composé extrêmement toxique pour de nombreux champignons. Enfin, certains composés sont synthétisés uniquement en cas de blessure ou d’infection bactérienne et/ou fongique de la plante : ce sont les « phytoalexines ». Le resvératrol est un exemple connu de phytoalexine. On le retrouve dans l’arachide, le raisin, la rhubarbe, la mûre, la canneberge et surtout la renouée du Japon (Reynoutria japonica ). Ce polyphénol aux vertus antioxydantes, anti-inflammatoires et antitumorales serait l’un des agents du fameux « french paradoxe » (Wink, 2003).

2.1.1 - Rôles défensifs des terpènes et des stéroïdes

Les terpènes volatils à l’instar du limonène (agrumes, pinophytes), du linalol (lavande) ou du menthol font partie de ces métabolites secondaires connus pour leurs propriétés répulsives vis-à-vis des herbivores et des insectes (Mazid et al., 2011 ; Pare & Tumlinson, 1999). Les pyréthrines, des monoterpènes synthétisées par les chrysanthèmes, possèdent

41 également des propriétés insecticides puissantes, utilisées dans nombreux produits insecticides en raison de leur faible rémanence environnementale (Mazid et al., 2011).

Les saponosides, possèdent quant à elles des propriétés hémolytiques et spermicides. Capables d’interagir avec les stérols des membranes, ce sont des molécules toxiques pour les animaux à sang froid, en particulier pour les poissons et les mollusques (Krief, 2003).

2.1.2 - Rôles défensifs des alcaloïdes

La toxicité des alcaloïdes découle principalement de leur capacité à interférer avec divers neurotransmetteurs (acétylcholine, adrénaline, GABA, dopamine, sérotonine, …) (Krief, 2003). Généralement amers et efficaces à très faibles doses, les alcaloïdes comptent parmi eux les composés métabolites secondaires les plus toxiques (strychnine, curare, conine de la ciguë…).

Les alcaloïdes peuvent être à l’origine d’intoxications courantes en médecine vétérinaire, comme c’est le cas chez les herbivores domestiques après ingestion de quantités trop importantes de lupin, une légumineuse spécialement riche en alcaloïdes dits quinolizidiniques. (Mazid et al., 2011).

Les alcaloïdes sont concentrés dans les organes végétaux périphériques (feuilles, jeunes pousses, fleurs) et se retrouvent également dans la plupart des latex produits au sein des canaux lactifères de certaines papavéracées (pavot), composées (pissenlit) et euphorbiacées. Un célèbre alcaloïde, la morphine, provient ainsi du latex du pavot à opium papaver somniferum. Ce latex constitue un moyen de défense physique contre les insectes tels que les termites ou les chenilles : à son contact les mandibules des insectes restent collées et ces derniers finissent par mourir ; mais aussi un moyen de défense chimique de part la présence de ces alcaloïdes. Ainsi, la grande chélidoine (Chelidonium majus) produit un latex jaune-orangé composé à 20% d’alcaloïdes isoquinoléiques (chélidonine, sanguinarine, copticine), dont les propriétés anti-mitotiques lui ont valu le surnom « d’herbe aux verrues » (Agrawal & Konno, 2009).

2.1.3 - Rôles défensifs des composés phénoliques, cas particulier des tanins

La signification biologique des tanins a longtemps été controversée. Considérés par les botanistes du début du siècle comme des produits d’excrétion des plantes, leur concentration au sein des écorces laisse néanmoins certains supposer un rôle de protection à l’égard des prédateurs herbivores et des insectes phyllophages.

Au cours des années soixante, Feeny (Feeny, 1970) reprend cette hypothèse et suggère que les tanins présents dans les feuilles de chêne assurent à ces dernières une protection à l’égard des chenilles. Par la suite, de multiples observations d’animaux évitant de consommer les plantes, ou certaines de leurs parties, riches en tanins viennent renforcer l’hypothèse de Feeny. C’est le cas notamment de l’étude de Wrangham & Waterman (1981) sur la consommation d’acacias par les singes vervet (Chlorocebus pygerythrus). Cette étude montre que la sélection des parties d’acacias ingérées est négativement corrélée avec la teneur en tanins des ces parties. La consommation d’acacias est donc entravée par la présence de ces tanins. Certains de ces acacias sont même susceptibles de répondre à une pression trop importante des prédateurs par une modulation de la quantité de tanins dans leurs feuilles. Des années plus tard, Forkner et al. (2004) ont repris l’hypothèse de Feeny et l’ont confirmé, établissant une corrélation négative entre la teneur en tanins des feuilles de chêne et les

42 populations d’insectes phyllophages. Désormais, le rôle de protection exercé par les tanins vis-à-vis des herbivores, mammifères ou insectes, ainsi que des pathogènes est communément admis.

Diverses caractéristiques, diminuant la prise alimentaire et contrariant la digestion des herbivores, leur permettent de jouer ce rôle de protection. Ainsi, à partir de certaines concentrations, ces composés phénoliques deviennent particulièrement astringents : au contact de la salive et de son amylase, les tanins complexent les mucoprotéines salivaires et provoquent une sensation désagréable d’assèchement de la bouche. Les feuilles riches en tanins sont également plus coriaces, rendant leur ingestion moins probable. Enfin, la forte propension qu’ont les tanins à se lier aux protéines, provoque une mauvaise digestibilité des protéines alimentaires. Ce dernier effet reste cependant à nuancer car les effets des tanins sont variables selon le type de tanins (condensés ou hydrolysables), le type de système digestif de l’herbivore, la taille et la structure des protéines (Krief, 2003). En effet, comme l’indique leur nom, les tanins hydrolysables peuvent être hydrolysés in vivo , puis absorbés. L’acide gallique résultant de cet hydrolyse est quant à lui excrété dans les urines. Ces tanins là n’affectent donc pas la digestibilité des protéines. Les tanins condensés en revanche, ne peuvent pas être dégradés dans les intestins des mammifères. En se liant aux protéines, en particulier aux enzymes digestives, ces tanins perturbent la digestibilité de la matière sèche, de l’azote et des fibres (Foley et al., 1999).

Selon Zucker (1983), les tanins hydrolysables, moins réguliers dans leur structure, ont plutôt tendance à se lier à des protéines présentes dans le tube digestif des herbivores, alors que les tanins condensés interagissent avec les protéines structurales des membranes cellulaires. Ainsi, les tanins hydrolysables auraient un rôle répulsif anti-herbivores, tandis que les tanins condensés interviendraient dans les mécanismes de défense des parois et des organites cellulaires contre les attaques microbiennes, mais aussi en retardant de la décomposition des feuilles tombées des arbres.

2.2 - Coopération avec les animaux : attraction des pollinisateurs et disséminateurs

Les animaux peuvent aussi représenter des « atouts » pour les plantes, en particulier concernant la reproduction. Certains composés métabolites secondaires interviennent ainsi dans les mécanismes d’attraction d’insectes pollinisateurs et d’animaux vecteurs de la dissémination des graines. Ce sont par exemple les pigments, tels que les caroténoïdes ou les anthocyanes, mais aussi certaines substances volatiles, comme les monoterpènes.

Rôles attractifs et répulsifs se combinent parfois pour un même métabolite secondaire. Ainsi, les métabolites secondaires contenus dans la pulpe des fruits et le nectar jouent à la fois un rôle attractif, pour les insectes et les animaux disséminateurs de graines, et un rôle répulsif, toxique à l’encontre les bactéries et des champignons (Wink, 2003).

2.3 - Compétition avec les autres plantes : participation au phénomène d’allélopathie

Certains métabolites secondaires participent au phénomène d’allolépathie, autrement dit aux interactions biochimiques positives ou négatives d’une plante sur une autre. Ces interactions entre plantes s’inscrivent principalement dans le cadre de la compétition pour les ressources environnementales. Ainsi, certaines plantes possèdent des portions riches en composés dits allélochimiques, capables d’inhiber la croissance d’autres plantes (Singh et al. ,

43 2003). Ces composés allélochimiques peuvent se retrouver dans toutes les partie des plantes : des rhizomes aux feuilles, en passant par la tige. Ils peuvent également se trouver sous la forme de composés volatils libérés par les fleurs. A titre d’exemple, les feuilles de noyers possèdent un glucoside phénolique s’oxydant au contact de l’eau de pluie en un composé appelé « juglone », toxique pour la plupart des plantes (Sévenet, 1994). Le phénomène d’allélopathie a également été envisagé afin d’expliquer l’invasion préoccupante des écosystèmes nord américains par la centaurée maculée (Centaurea maculata) . La catéchine, un flavonoïde exsudé par les racines de fleur, est soupçonnée d’être le composé allélochimique ayant permis à cet astéracée de défier les lois de la compétition interspécifique (Li et al. , 2010).

Figure 13 : Rôles écologiques des composés métabolites secondaires des plantes. D’après Hartmann (2007)

Universels, uniformes et conservatifs, les composés métabolites primaires sont indispensables à la croissance et au développement de la plante. Uniques et diversifiés, les composés métabolites secondaires sont quant à eux non nécessaires à la croissance, mais indispensables à sa survie dans l’environnement. Leur plasticité confère aux plantes une adaptabilité face aux adversités d’un environnement parfois hostile. Chaque plante possède ainsi une combinaison unique de métabolites secondaires adaptée à la niche écologique de la plante (Hartmann, 2007). C’est en réalisant le meilleur « compromis » entre les coûts investis dans sa défense contre les prédateurs phytophages, dans sa reproduction (attraction des pollinisateurs, des disséminateurs de graines...) et dans sa croissance, qu’une plante peut survivre et ensuite transmettre les gènes ayant permis ce succès (Krief, 2003).

44 3 - Stratégies d’évitement des métabolites secondaires

Etant donné les rôles assumés par les métabolites secondaires des plantes, consommer certains de ces composés peut donc s’avérer dangereux pour les animaux. La littérature regorge ainsi d’exemples d’animaux dont le régime alimentaire consiste à éviter ces composés métabolites secondaires (Freeland & Janzen, 1974).

Diverses stratégies comportementales et adaptations physiologiques se sont ainsi mis en place chez les animaux, permettant de limiter l’impact négatif des métabolites secondaires des plantes, autrement dit les intoxications (Freeland & Janzen, 1974 ; Glander, 1982 ; Iason, 2005).

3.1 - Perception sensorielle de la présence de métabolites secondaires toxiques

La perception gustative des aliments constitue l’un des premiers moyens permettant aux animaux d’éviter la toxicité de certains composés métabolites secondaires.

En effet, l’amertume d’un produit prédit généralement sa toxicité. Plus particulièrement, l’amertume est souvent associée à la présence de composés appartenant à la famille des alcaloïdes, métabolites secondaires réputés parmi les plus toxiques. Au cours de l’évolution, le rejet des composés perçus comme amers serait donc apparu comme un moyen efficace d’éviter les composés toxiques (Freeland & Janzen, 1974 ; Glander, 1982 ; Simmen & Hladik, 1993). Ainsi, dès leur naissance, les mammifères sont prédisposés à rejeter les aliments amers, dont le goût est perçu comme déplaisant. Seuls les seuils de perception des goûts semblent différer d’une espèce à l’autre. Les orangs-outans seraient par exemple les primates les moins sensibles à l’astringence des tanins (Simmen & Charlot, 2003). D’autre part, chez les primates, les réactions mises en place face à des composés toxiques peuvent également être appréciées par l’observation des mimiques faciales. En effet, les substances astringentes comme les tanins déclenchent systématiquement un goût désagréable à l’origine d’un réflexe de rejet dit “gusto facial”, pouvant être observé très tôt chez les nouveaux-nés primates humains ou non humains (Simmen & Hladik, 1993).

Le goût n’est pas le seul sens aidant à discriminer les aliments comestibles des composés potentiellement toxiques. Grâce à l’utilisation d’infusions de plantes fraîches - galénique limitant l’influence de l’olfaction, de la texture et de la couleur - Gustafsson et al. (2011) ont montré que des orangs-outans captifs se révèlent incapables d’exprimer une préférence entre infusions de plantes et eau. Par ailleurs de multiples observations faites sur ces orangs-outans montrent que le simple fait de sentir un composé suffit souvent à les décider de ne pas y goûter. Selon Gustafsson et al. (2011), l’olfaction constituerait donc le premier moyen d’appréhender de nouveaux aliments chez les orangs-outans.

3.2 - Néophobie

La néophobie, rejet enclenché fasse à la nouveauté, constituerait également un moyen d’éviter la consommation de composés toxiques. Le niveau élevé de néophobie présenté par les chimpanzés, dont le régime alimentaire est très conservateur, leur permettrait d’éviter de consommer de nouveaux fruits ou nouvelles plantes pouvant s’avérer hautement toxiques (Gustafsson et al. , 2011).

45 3.3 - Stratégie généraliste ou spécialiste

Malgré tout, en raison de leur diversité et de leur ubiquité, éviter totalement les métabolites secondaires n’est pas possible. En dehors de l’éviction, de nombreux animaux ont donc développé une combinaison de comportements et d’adaptations physiologiques permettant de minimiser la concentration de métabolites secondaires dans leur sang (Forbey et al. , 2009).

Glander (1982) distingue ainsi deux types de stratégies alimentaires chez les primates : les « spécialistes », dont les estomacs compartimentés sont capables de détoxifier efficacement une gamme de composés métabolites secondaires et les « généralistes », dont la stratégie consiste soit à consommer une large variété de plantes en même temps, minimisant ainsi les quantités de toxiques végétaux, soit à ne manger que de petites quantités d’une nouvelle plante, soit à goûter continuellement de nouvelles plantes afin de pouvoir les sélectionner ou les rejeter rapidement selon l’effet physiologique ressenti. Le régime varié des « généralistes » constitue ainsi une adaptation à leur incapacité à détoxifier les métabolites secondaires. Les moutons appartiennent par exemple à la catégorie des brouteurs “généralistes”. Villalba et al. (2004) illustrent les stratégies évoquées par Glander (1982), en montrant expérimentalement que des moutons à qui l’on offre des fourrages contentant un mélange de trois substances potentiellement toxiques à partir d’un certain seuil (tanins, terpènes et oxalates), mangent quantitativement plus que lorsqu’on leur offre une nourriture en contentant que deux potentiels toxiques, quels qu’ils soient. Oates et al. (1990) illustrent quant à eux la stratégie « spécialiste » des singes colobes de la réserve de Tiwaï au Sierra Leone. Grâce à leur estomac compartimenté en quatre parties distinctes, ces primates sont capables d’assurer la détoxification de divers composés métabolites, incluant les tanins. Ainsi, en dépit d’un sol pauvre en nutriments et par conséquent d’un régime composé de feuilles riches en tanins, ces primates prospèrent. Autre exemple d’animal « spécialiste » : celui du koala. Le régime alimentaire de ce marsupial arboricole endémique d’Australie se limite quasi exclusivement à la consommation de feuilles d’eucalyptus. Considérées comme toxiques par la plupart des animaux cohabitant avec les koalas, ces feuilles sont tout à fait tolérées par les koalas (McArthur et al. , 1991).

Figure 14 : Continuum des stratégies d’alimentation des mammifères et utilisation des composés métabolites secondaires des plantes (CMS). D’après Mc Arthur et al. (1991).

Mangeur Folivore ou cueilleur Catégories … Brouteur intermédiaire Généraliste Spécialiste

Régime Herbacées alimentaire Graminées Arbustes et

Quantité de CMS ingérée

Diversité des CMS

Capacités physiologiques d’adaptation aux CMS

46 3.4 - Adaptations physiologiques

Au cours de leur évolution, certains herbivores ont acquis des adaptations physiologiques à l’encontre de plusieurs métabolites secondaires tels que les tanins. Limités chez les animaux du type « brouteurs généralistes », ces mécanismes d’adaptation physiologique sont de plus en plus performants à mesure que l’alimentation se spécialise (McArthur et al. , 1991).

L’inactivation des tanins par complexation avec certaines protéines salivaires – les PRP, protéines riches en proline - constitue une première adaptation face à un régime alimentaire riche en tanins (McArthur et al. , 1991 ; Mole et al., 1990). La salive de nombreux mammifères chélate ainsi les tanins : c’est le cas chez le rat, la souris, les marsupiaux, certains ruminants et l'Homme (Mole et al., 1990). Chez l’Homme et certains singes, il existe d’autres protéines capables de précipiter encore plus efficacement les tanins : ce sont les histatines (Perrony S, 2005). Par ailleurs, il existe certaines enzymes digestives, ainsi que certains microorganismes de la flore intestinale capables de dégrader les tanins (McArthur et al. , 1991). Enfin, d’autres mécanismes, tels que l’ajout de groupes fonctionnels via le cytochrome P450 du foie ou encore la conjugaison, permettent de transformer de nombreux toxiques, tanins inclus, en molécules excrétables, facilitant ainsi leur élimination par l’urine ou les fèces (Iason, 2005 ; McArthur et al. , 1991).

3.5 - Géophagie

Il existe de nombreuses explications potentielles à l’ingestion de terre, parmi celles-ci figure l’hypothèse de détoxification des composés toxiques contenus dans l’alimentation. Ainsi la géophagie pourrait constituer une stratégie visant à éviter les effets secondaires des composés métabolites toxiques, en particulier des composés phénoliques à l’instar des tanins (Hladik, 1977 ; Oates, 1978). La composition des sols impliqués dans la géophagie venant renforcer cette hypothèse, puisque majoritairement riche en kaopectate, une argile utilisée en médecine vétérinaire et humaine pour ses remarquables capacités absorbantes (Aufreiter et al. , 2001 ; Houston et al. , 2001 ; Mahaney et al., 1999 ; Ruggiero & Fay, 1994). Néanmoins, certaines études (Dominy et al., 2004 ; Wakibara et al., 2001) restent septiques vis-à-vis de l’efficacité de la terre à absorber les tanins.

Les effets des métabolites secondaires sur les mammifères herbivores sont globalement négatifs. Ainsi, il existe un ensemble de stratégies comportementales et d’adaptations physiologiques permettant aux animaux d’éviter ces métabolites secondaires, ou tout du moins de se soustraire à leurs effets secondaires toxiques. Toutefois les métabolites secondaires n’ont pas que des actions délétères vis-à-vis des animaux. A titre d’exemple, il est désormais admis que l’ingestion de petites quantités de tanins peut se révéler bénéfique chez les ruminants. En effet, la formation modérée de complexes tanins-protéines limite la dégradation protéique par la flore symbiotique du rumen et augmente ainsi l’apport en en acides aminés dans le petit intestin, où les complexes tanins-protéines se dissocient du fait du changement de pH (Iason, 2005). En réalité les exemples d’utilisations bénéfiques des métabolites secondaires des plantes par les mammifères abondent, à commencer par l’Homme…

47 4 - Les métabolites secondaires, principes actifs de médicaments

Paradoxalement, les composés métabolites secondaires réputés toxiques sont à l’origine de plus de la moitié des médicaments humains mis sur le marché de nos jours (Newman & Cragg, 2007). En effet, des substances toxiques peuvent parfois posséder, à faible dose, des propriétés médicamenteuses pouvant être utilisées à des fins thérapeutiques. Ainsi, comme l’avait pressenti Paracelse des siècles auparavant, la toxicité d’un composé est toute relative : « Tout est poison. Rien n’est sans poison. C'est la dose qui fait le poison ». En toxicologie, cet effet bénéfique d’un toxique à faibles doses se nomme « hormèse ». De nombreux alcaloïdes comme l’atropine, la cocaïne, la morphine, la nicotine, la quinine ou encore la strychnine répondent ainsi à un effet hormétique dose-dépendant (Hadacek et al. , 2011).

Selon Sullivan et al. (2008), l’exploitation des propriétés pharmacologiques des métabolites secondaires par l’Homme est ancestrale. Bien avant la découverte de la morphine ou de la quinine, de nombreuses tribus indigènes ont su exploiter le potentiel stimulant et coupe-faim de certains métabolites secondaires afin de survivre à des conditions de vie inhospitalières. Les feuilles de khat, un arbrisseau originaire d’Afrique orientale, sont ainsi mâchées depuis des milliers d’années par les peuples de la péninsule arabique. La mastication de ces feuilles provoque un effet stimulant euphorisant comparable à l’utilisation d’amphétamine. Les feuilles de tabac, de coca ou encore la noix d’arec sont autant d’autres exemples. Certains métabolites secondaires comptent parmi les plus importantes découvertes médicales des derniers siècles. Aussi, il y a près de 200 ans, la découverte de la morphine (« principium somniferum ») par l’allemand Friedrich Wilhelm Sertürner, marque le début de l’exploitation du potentiel pharmacologique des composés métabolites secondaires des plantes. Par la suite, d’autres molécules phares sont isolées : la quinine, premier alcaloïde antipaludique extrait de l’écorce d’arbustes du genre Cinchona en 1841, l’éphédrine, alcaloïde sympathicomimétique issu des plantes du genre ephedra et la tubocurarine, un curare issu d’une liane d’Amérique du Sud nommée Chondrodendron tomentosum (Forbey et al., 2009). Au fil des siècles, les Hommes ont ainsi sélectionné une multitude de métabolites secondaires pour leurs propriétés anti-parasitaires, anti-cancéreuses, anti-douleur ou encore leur capacité à réguler les balances impliquant les neurotransmetteurs (Sullivan et al., 2008).

En réalité, les humains ne sont probablement pas les premiers à avoir su tirer profit des composés métabolites secondaires des plantes. En effet, très tôt au cours de leur évolution, certains insectes ont brillamment réussi à tirer avantage de l’arsenal chimique défensif du règne végétal (Harry et al. , 1994). Ehrlich & Raven (1964) sont les premiers à formuler explicitement les concepts de co- évolution plantes-insectes et de course évolutive, permettant d’expliquer cette appropriation des défenses chimiques des plantes par les insectes. En prenant pour modèles des insectes de la famille des lépidoptères, Ehrlich & Raven (1964) soulignent pour la première fois l’importance des réponses réciproques existant entre organismes d’un même écosystème et insistent sur le rôle central des métabolites secondaires dans la compétition entre autotrophes et hétérotrophes. Le concept de co-évolution alors décrit peut se résumer ainsi : la pression de sélection exercée par de nombreux papillons sur certaines plantes serait à l’origine de l’apparition de mécanismes de défense chez ces plantes, qui auraient en retour entraîné l'émergence, chez certains de ces papillons, de caractères leur permettant de contrer ces mécanismes.

48 Ainsi, en accord avec ce principe de co-évolution plantes-insectes, certains insectes ont pu s’adapter et venir tolérer certains métabolites secondaires toxiques. Le doryphore (Leptinotarsa decemlineata) constitue un parfait exemple d’insecte ayant réussi à s’accommoder de toxines végétales. De part sa capacité à détoxifier la solanine, un alcaloïde toxique contenu dans les pommes de terre, ce coléoptère est capable de prospérer au sein un champ de solanacées et d’en anéantir la récolte (Harry et al. , 1994).

Mais d’autres insectes vont plus loin que la simple accommodation aux toxines végétales et sont capables d’une véritable appropriation des défenses chimiques des plantes. C’est le cas des célèbres papillons monarques ( Danaus plexippus). En concentrant dans leurs ailes des glucosides cardiotoxiques « digitalin-like » produits par certaines plantes, ces papillons s’assurent un moyen de défense efficace à l’encontre des oiseaux, leurs principaux prédateurs (Parsons, 1965). Autre exemple, celui des larves de l'hyménoptère Neodiprion sertifer aussi appelé « Diprion du pin sylvestre ». Ces larves concentrent dans leurs glandes salivaires des terpénoïdes toxiques, contenus dans les conifères dont elles se nourrissent et sont capables de les réutiliser en mousse répulsive contre d'éventuels prédateurs (Harry et al. , 1994). D’autres exemples plus récents montrent que les insectes peuvent également détourner des métabolites secondaires toxiques afin de se prémunir de pathogènes tels que les parasites. Singer et al. (2009) montrent ainsi expérimentalement que l’endoparasitisme létal des chenilles Grammia incorrupta, par des parasites appelés tachinides, provoque l’ingestion de toxines végétales de la classe des alcaloïdes pyrrolizidiniques. Ingestion qui améliore la survie des chenilles parasitées et réduit la survie des chenilles non parasitées. Les exemples de détournement des métabolites secondaires des plantes sont multiples et certains insectes vont même jusqu’à élaborer leurs propres phéromones via l’utilisation des métabolites secondaires des plantes. Les coléoptères xylophages synthétisent par exemple leurs phéromones à partir de l’ α-pinène, un monoterpène contenu dans l’écorce des pins (Krief, 2003)

Ainsi, ironie du sort, des métabolites secondaires censés protéger les plantes de prédateurs comme les insectes, sont finalement devenus des molécules de défense pour ces mêmes insectes. Inspirée du concept de co-évolution plante/insecte, la théorie du détournement des métabolites secondaires des plantes par les animaux est suggérée dès 1978 par l’écologue Daniel Janzen. Ce dernier évoque le premier la possibilité que des animaux puissent détourner à leur profit les propriétés médicales des métabolites secondaires de certaines plantes, ce notamment afin de minimiser leur parasitisme. Selon Janzen, si les animaux ont pu développer des comportements leur permettant d’éviter la toxicité de certaines plantes, il est également envisageable qu’ils aient développé des stratégies comportementales leur permettant d’en tirer bénéfice (Janzen, 1978).

De fait, la littérature scientifique regorge d’exemples d’animaux ingérant volontairement des composés métabolites secondaires toxiques (cf. I.B.2.). Les langurs sacrés (Semnopithecus entellus) consomment ainsi des fruits riches en strychnine, un alcaloïde hautement toxique (Glander, 1982). A Madagascar, les singes hapalémurs dorés (Hapalemus aureus) consomment des bambous géants (Cephalostachium viguieri) réputés très toxiques, car concentrés en glucosides cyanogénétiques. Chaque lémurien consomme en moyenne 500 grammes de bambou par jour. A raison de 15g de cyanure par 100g de bambou frais, ces primates consomment donc près de douze fois la dose létale de cyanure pour un singe adulte, sans pour autant en pâtir (Glander et al. , 1989). Parallèlement, ce lémurien pratique un comportement de géophagie qui aurait pu expliquer sa résistance à la toxicité du bambou. Mais l’étude de Jeannoda et al. (2003) montre

49 que les composés cyanogéniques de cette plante ne sont pas adsorbés par la terre consommée. Les mécanismes physiologiques et/ou comportementaux leur permettant de supporter de telles doses de métabolites toxiques n’ont à ce jour pas été élucidés. L’hapalémur doré étant le seul lémurien de son genre à consommer cette espèce toxique de bambou, il éviterait ainsi toute compétition avec les autres Hapalemur (Glander et al. , 1989). Les chimpanzés du groupe de Kanyawara (Kibale, Tanzanie) consomment fréquemment des baies amères de Phytolacca dodecandra (cf. Figure 15). Ces fruits sont riches en saponosides triterpèniques, des composés métabolites secondaires toxiques aux activités antivirales, antibactériennes et actuellement exploités pour leur activité molluscicide (les mollusques sont vecteurs de la bilharziose ou schistosomiase en Afrique) (Huffman, 1997).

Figure 15 : Chimpanzé consommant des baies amères de Phytolacca dodecandra. (Kanyawara, Parc National de Kibale, Ouganda). Crédit photo : JM Krief.

Chez les sifakas (Propithecus verreauxi verreauxi) de la forêt de Kirindy à Madagascar, les femelles gestantes ou en lactation consomment des quantités significativement plus élevées de tannins condensés que leurs congénères (Carrai et al. , 2003). Les observations montrent en effet que ces femelles consomment préférentiellement certaines plantes riches en tanins, habituellement évitées par le groupe. En période de gestation ou de lactation les besoins protéiques augmentent considérablement. Etant donné les propriétés complexantes des tanins vis-à-vis des protéines, ce changement de régime alimentaire peut donc paraître paradoxal. D’autant plus que les plantes nouvellement sélectionnées sont en fait très peu riches en protéines. Face à cet étonnant changement alimentaire opéré par les femelles sifakas en période péri-partum, Carrai et al. (2003) ont donc sérieusement envisagé l’hypothèse de l’automédication. Les données ethno-pharmacologiques et ethno-vétérinaires s’accordent pour révéler qu’en ingérant des quantités modérées de tanins, les femelles sifakas pourraient bénéficier des propriétés prophylactiques anti-helminthiques, anti-abortives et anti- hémorragiques des tanins, toutes à fait opportunes en période d’immunodépression péri- partum. Enfin, de multiples observations du comportement alimentaire des herbivores domestiques montrent que, selon le contexte, ces derniers ne cherchent pas toujours à éviter les métabolites secondaires. Dans l’étude de Lisonbee et al. (2009) , des agneaux connaissant des charges

50 parasitaires conséquentes ingèrent par exemple des quantités significativement plus importantes de nourriture supplémentée en tanins par rapport aux agneaux non parasités, ce en dépit de la faible valeur nutritionnelle caractérisant la nourriture supplémentée. Villalba et al. (2010) montrent également que, dans un contexte de fort parasitisme intestinal, des agneaux ayant préalablement expérimenté les effets positifs d’un fourrage riche en tanins préfèrent une nourriture riche en tanins à une autre. Etant donné le contexte d’apparition et les propriétés antiparasitaires connues des tanins, cette consommation préférentielle de composés métaboliques secondaires pourrait bel et bien s’apparenter à une forme d’automédication, plus précisément de vermifugation.

Car pourquoi des animaux choisiraient-ils de consommer volontairement des métabolites secondaires - qui pour la plupart leurs sont répulsifs, voire toxiques, - alors qu’ils ont souvent le choix de ne pas les consommer ou qu’ils peuvent mettre en place des stratégies comportementales afin de les éviter ? Selon de nombreux scientifiques – à l’instar de Janzen, Villalba, Provenza, Huffman, Krief ou encore Forbey - seul un détournement des propriétés thérapeutiques de ces métabolites secondaires explique de tels comportements. Ces scientifiques s’intéressent donc à ce que Rodriguez & Wrangham (1993) nomment « zoopharmacognosie», étudiant cette possibilité que des animaux soient capables d’utiliser des plantes à des fins thérapeutiques.

Quel est le déterminisme de ces éventuels comportements d’automédication ? Quels en sont les mécanismes : est-ce volontaire ou simplement physiologique ?

B - Déterminisme de l’utilisation animale des métabolites secondaires des plantes

La mise en place de nouveaux comportements alimentaires et d’éventuels comportements d’automédication peut s’envisager sous l’angle singulier de l’écologie. C’est ce point de vue particulier qui est abordé dans le paragraphe suivant.

1 - Théorie homéostatique

Tout organisme se bat constamment pour rester dans un état d’équilibre avec son environnement, c’est le concept d’équilibre du milieu intérieur, initialement énoncé par Claude Bernard (Bernard, 1865) : "Tous les mécanismes vitaux, quelques variés qu'ils soient, n'ont toujours qu'un but, celui de maintenir l'unité des conditions de la vie dans le milieu intérieur".C’est le physiologiste américain Walter Bradford Cannon, qui reprenant le principe de Claude Bernard, inventera plus tard le mot « homéostasie », association des deux mots grecs « stasis » (état, position) et « homolos » (égal, semblable à).

Selon Forbey et al. (2009), c’est dans cette dynamique homéostatique que s’inscrit la consommation de métabolites secondaires observée chez certains animaux. Car selon ces auteurs, peu d’explications permettent de comprendre pourquoi de nombreux animaux consomment volontairement des métabolites secondaires - potentiellement toxiques - si ce n’est l’hypothèse selon laquelle ils les consomment en tant que « traitements » visant à rétablir l’équilibre perturbé de leur organisme.

Forbey et al. (2009) mettent ainsi en relation de nombreux exemples d’utilisations de métabolites secondaires faites par certains animaux avec divers challenges homéostatiques auxquels ces mêmes animaux sont confrontés. Ainsi, l’exploitation de propriétés

51 pharmacologiques des métabolites secondaires de plantes permettrait aux animaux de lutter contre le parasitisme, d’améliorer leur reproduction, de contrôler leur thermorégulation, d’échapper à la prédation et d’augmenter leur niveau de vigilance. Des études (Dearing et al., 2008 ; McLister et al., 2004) montrent par exemple qu’en période de grand froid, certains rats du genre néotoma augmentent volontairement leur consommation de Juniperus monosperma , un conifère dont les métabolites secondaires permettent de réduire les pertes de chaleur corporelle, réduisant ainsi les coûts liés à la thermorégulation. Quant à l’ingestion et la séquestration de métabolites secondaires toxiques dans les tissus, elles constituent un moyen efficace pour certains animaux de lutter contre la prédation. C’est le cas des papillons monarques ( Danaus plexippus) et de la bioaccumulation de glucosides cardiotoxiques « digitalin-like » dans leurs ailes, qui leur permet d’éviter la prédation des prédateurs insectivores (Parsons, 1965). Le pitohuis bicolore, un passereau de Papouasie Nouvelle-Guinée est connu sous le nom d’ « oiseau vénéneux » en raison de concentration de ses plumes et de sa peau en homobatrachotoxine, un alcaloïde toxique provenant très probablement de l’ingestion d’un scarabée (Dumbacher et al., 2004). L’homobatrachotoxine est par ailleurs un analogue de la batrachotoxine, un alcaloïde toxique retrouvé dans la peau de certaines grenouilles vénéneuses d’Amérique du Sud.

Par ailleurs, des comportements homéostatiques ont plusieurs fois été constatés expérimentalement, notamment lorsqu’un animal se voit offrir un régime alimentaire contenant des excès de toxines ou des déficits de nutriments qui déséquilibrent le bon fonctionnement de tout l’organisme (Provenza et al. , 2000 ; Villalba & Provenza, 1997a et b, 2001 ; Villalba et al. , 2006, 2010). Par exemple, des moutons expérimentalement nourris avec une ration déséquilibrée à l’origine d’une acidose métabolique ingèrent volontairement des solutions de bicarbonate de sodium propres à atténuer les effets de l’acidose (Phy & Provenza, 1998).

Dans leur étude, Forbey et al. (2009) évoquent également la probabilité d’exploitation d’un composé métabolite secondaire, laquelle dépend selon eux de la toxicité du métabolite secondaire et du coût du défi homéostatique auquel l’animal doit faire face (cf. Figure 16). La toxicité d’un composé s’évalue par la valeur de son index thérapeutique, définit comme le ratio de la concentration toxique sur la concentration thérapeutique. Lorsqu’un composé métabolite secondaire est rapidement absorbé, puis lentement détoxifié et éliminé, alors de très faibles concentrations de ce composé peuvent s’avérer toxiques. Ce composé aura donc un index thérapeutique mauvais. A l’inverse, si un composé métabolite secondaire est lentement absorbé, que des enzymes le détoxifient et qu’il est rapidement éliminé, son index thérapeutique sera très bon. L’index thérapeutique d’un composé chimique dépend donc des propriétés chimiques du dit composé, mais aussi des capacités de détoxification propres à l’espèce et dans une moindre mesure du métabolisme de l’individu considéré. Un même métabolite secondaire peut donc posséder deux index thérapeutiques très différents : tantôt très bon chez un herbivore « spécialiste », il sera très médiocre chez un « généraliste ». L’intensité du stress homéostatique auquel un animal doit faire face, peut quant à lui s’appréhender selon son impact sur le « fitness » - aussi appelé valeur sélective - de l’animal. Il s’agit alors d’estimer dans quelle mesure la fertilité et la survie de l’animal peuvent être perturbées.

Forbey et al. (2009) supposent que les métabolites secondaires possédant un bon index thérapeutique sont utilisés dans le cadre de défis homéostatiques mineurs. De même que l’ingestion de caféine remédie au manque de vigilance chez l’Homme, l’ingestion de métabolites secondaires stimulants chez les animaux pourrait répondre à une baisse de vigilance. Quelques récits anecdotiques rapportent ainsi l’utilisation de métabolites

52 secondaires stimulants chez les animaux. Parmi ceux-ci figure l’ingestion des racines d’iboga (Tabernanthe iboga), une apocynacée africaine utilisée lors de rituels religieux camerounais pour ces effets psychotropes hallucinants. Les populations locales camerounaises rapportent avoir découvert cette plante après avoir observé des chimpanzés, des gorilles, des sangliers sauvages et des porcs-épics ingérer ces racines et entrer dans une sorte d’état frénétique intense. Les racines d’iboga sont effectivement concentrées en ibogaïne, une molécule psychoactive capable d’agir sur les systèmes cardiovasculaire et nerveux. Quant aux métabolites secondaires à l’index thérapeutique médiocre, ils ne seraient utilisés que lorsque l’impact d’un bouleversement homéostatique sur le fitness d’un animal devient très important. En effet, même si elles sont les moins toxiques, les molécules aux index thérapeutiques élevés ne sont pas toujours les plus adaptées et certains cas de figure nécessitent l’utilisation de molécules toxiques aux index thérapeutiques médiocres. C’est souvent le cas lorsque le pronostic vital est engagé, le coût du défi homéostatique et l’impact sur le fitness étant alors à leur maximum. Pour illustrer leur propos, Forbey et al. (2009) établissent un parallèle avec l’utilisation des drogues cytotoxiques à l’instar du paclitaxel, un métabolite secondaire issu de l’if et utilisé chez les patients atteints de cancers des poumons, seins ou ovaires.

Figure 16 : Probabilité d’exploitation d’un métabolite secondaire (MS). D’après Forbey et al. (2009)

A : Diminution de la vigilance et consommation de café. B : Cancer et chimiothérapie.

Important Probabilité B maximale d’exploitation d’un MS

Intensité ou « coût » du stress homéostatique

Probabilité minimale A d’exploitation Sans effet d’un MS

Basse Élevée Toxicité du MS

L’existence concomitante d’un challenge homéostatique important et d’un composé métabolite secondaire disponible, adapté au challenge et à l’index thérapeutique élevé augmente la probabilité d’utilisation du composé métabolite secondaire par l’animal.

Toutefois, l’utilisation par Forbey et al. (2009) d’exemples thérapeutiques humains pour soutenir une hypothèse écologique sur l’utilisation de métabolites secondaires par les animaux est peu opportune, un mélange entre thérapeutique médicale et écologie étant

53 effectué. L’exploitation chimiothérapeutique du paclitaxel par l’Homme est par exemple sans équivalent chez l’animal.

Par ailleurs, la qualification d’ « automédication », utilisée pour désigner les comportements homéostatiques mis en place par un animal en cas déséquilibres touchant à sa santé, est probablement hâtive. Comme le soulignent Forbey et al. (2009), afin de véritablement parler d’automédication, l’animal doit non seulement se montrer capable d’associer la prise de métabolites secondaires avec la réduction du coût du challenge homéostatique, mais également être à même de titrer la concentration de métabolites secondaires nécessaires afin de rester au dessus de la dose thérapeutique et en dessous de la dose toxique. Ainsi, comme le fait remarquer Hladik (1998), le terme d’automédication implique un certain degré de conscience de l’acte pratiqué et il ne faut pas confondre une fonction physiologique, parfaitement comprise dans la plupart des cas, avec l’intentionnalité, pour laquelle on ne peut ignorer la remise en question.

Forbey et al. (2009) ont également fait remarquer que pour bon nombre d’exemples, rien ne prouve que les liens établis entre l’utilisation de métabolites secondaires et les challenges homéostatiques soient des liens de causes à effet. En l’absence d’expérimentations in vitro et in vivo , ces liens restent pour la plupart de simples corrélations. C’est pourquoi les auteurs insistent sur l’importance de la conduite expérimentale de tests in vitro et in vivo et proposent une démarche zoopharmacognosique idéale, visant à éviter les pièges d’interprétations trop hâtives. La première étape de la démarche est l’observation rigoureuse du comportement animal. Afin de réaliser ces observations dans des conditions propices au déclenchement des supposés comportements d’automédication, il s’agit tout d’abord d’observer le bon « candidat » à l’automédication : l’animal malade, typiquement l’animal parasité. Il faut aussi s’intéresser à la bonne espèce animale : selon Forbey et al. (2009), les espèces ayant été impliqués dans des processus de co-évolution avec des plantes sont plus à même de développer des comportements d’automédication. Car en effet, tout processus de co-évolution sous-entend des mécanismes d’adaptations aux métabolites secondaires des plantes (détoxification…) et donc une utilisation potentiellement plus sûre de ceux-ci. Enfin, les animaux « sociaux » aux espérances de vie plus longues sont probablement plus à même de découvrir des plantes médicinales, le temps passé à échantillonner leur environnement étant plus long et les interactions sociales facilitant l’apprentissage de nouveaux comportements. C’est seulement après cette étape cruciale d’observation que des analyses pharmacologiques doivent être envisagées. Il s’agit alors d’étudier la pharmacocinétique (absorption, distribution, métabolisation et élimination), mais aussi d’en déterminer les effets pharmacodynamiques. Enfin, il est indispensable de conduire des expérimentations in vitro et in vivo afin de pouvoir potentiellement établir un lien de cause à effet scientifiquement acceptable.

2 - Mécanismes neurophysiologiques

2.1 - Homéostasie et boucles rétroactives dynamiques

Les régulations homéostatiques impliquent des mécanismes de contrôle précis. Selon Villalba & Provenza (2007), de tels mécanismes peuvent être envisagés par un système dynamique de boucles rétroactives (« feedback systems »).

54 Les processus de sélection alimentaire - impliquant aversions et préférences alimentaires - dépendent de ces systèmes rétroactifs. En effet, ces boucles neurophysiologiques permettent d’établir un lien entre le goût et les des effets post-ingestion ressentis. Les aliments, leurs nutriments et leurs toxines constituent le point de départ de ces boucles de régulation, en tant que signal chimique capté par le biais de récepteurs sensitifs appartenant à la bouche et au nez. Des récepteurs viscéraux sont ensuite impliqués, ceux-ci répondent notamment à la présence des toxines. Un influx nerveux, conduit par les nerfs périphériques délivre ensuite un ensemble d’informations jusqu’au système nerveux central, qui les intègre et adapte ensuite un comportement à la situation. Les boucles se répètent ainsi jusqu’à ce que les comportements produits permettent d’atteindre un état d’équilibre (Provenza, 1995 & 1996 ; Villalba & Provenza, 2007). Ces boucles rétroactives font plus que maintenir une variable entre deux limites, elles permettent la flexibilité et l’adaptabilité d’un système de réponse.

En tant que comportements homéostatiques, les comportements d’automédication impliquent très probablement ces boucles de contrôle rétroactives, qui si elles permettent d’éviter les composés associés au ressenti d’un malaise suite à leur ingestion, peuvent probablement être impliquées dans les processus inverses permettant d’associer un mieux-être ressenti à l’ingestion d’un nouvel item de l’environnement (Villalba & Provenza, 2007).

2.2 - Aversions et préférences alimentaires

Afin d’entrevoir les potentiels mécanismes en lien avec les processus dit d’automédication par ingestion chez les animaux, il est nécessaire de comprendre les processus d’aversion et de préférence alimentaire. Selon Villalba & Provenza (2007), l’automédication est la conséquence des mêmes mécanismes conduisant à l’établissement de préférences et d’aversions alimentaires, le tout sur un fond de quête homéostatique.

Les aversions alimentaires peuvent être innées ou acquises. Les aversions innées ne requièrent pas d’expérience préalable avec la substance et peuvent être réversibles suite à un conditionnement inverse. L’aversion envers les composés perçus comme amers constitue le meilleur exemple d’aversion innée (Glendinning, 1994). Le réflexe de rejet dit “gusto-facial” consécutif à l’ingestion de substances astringentes est également un exemple d’aversion gustative innée, puisqu’il est présent dès la naissance chez les nouveaux-nés primates humains et non humains et ce avant toute rencontre préalable avec un composé astringent (Simmen & Hladik, 1993). Les aversions acquises sont quant à elles basées sur l’expérience et concernent généralement des aliments ayant occasionnés des maladies ou inconforts de type gastro-intestinaux au préalable. Des expériences réalisées chez des rats montrent en effet que des réponses viscérales sont plus à même d’être associées à la consommation d’une nourriture, plus précisément au goût de celle-ci. Des rats empoisonnés exposés à des stimuli gustatif, lumineux et sonore développent une aversion au goût mais pas à la lumière ou au son. A l’inverse, des rats soumis à des chocs électriques et aux 3 stimuli précédemment cités développent une aversion à la lumière et au son, mais pas au goût (Garcia & Koelling, cités dans Lozano (1998)). Ces processus aversifs confèrent un avantage sélectif non négligeable puisqu’ils permettent de détecter, puis d’éviter les toxiques d’un aliment avant de les consommer (Huffman, 2001).

Les aversions alimentaires peuvent varier en fonction du statut sanitaire d’un individu, permettant ainsi l’ingestion d’items habituellement évités.

55 Huffman et Wrangham (1994) suggèrent que des connotations plaisantes ou non, correspondant aux perceptions gustatives, peuvent varier en fonction de l’état physiologique de l’animal. A l’inverse de la femme enceinte qui devient moins tolérante aux toxines (protégeant ainsi son fœtus), un chimpanzé malade pourrait, par une modification de sa perception sensorielle, consommer un item qu’il aurait rejeté dans les conditions habituelles. Chez les animaux, ce phénomène d’inversion de la perception d’un aliment, d’abord rejeté puis préféré a été observé expérimentalement par Brand et al. (1980) chez des rats qui pouvaient choisir entre une alimentation de base, pauvre en éléments nutritifs mais dont le goût était initialement très apprécié et un aliment beaucoup plus nourrissant mais ayant un goût repoussant. L’inversion des préférences s’est faite en quelques jours. Le conditionnement qui découle d’un malaise interne déclenche donc la préférence pour le type d’aliment dont le goût initial était repoussant. Des expérimentations réalisées chez les chimpanzés de Gombe (Tanzanie) illustrent également cette plasticité adaptative du goût : lorsqu’ils sont malades ces chimpanzés acceptent des bananes complémentées en tétracyclines, puis une fois la guérison terminée celles-ci sont rejetées tout comme avant la maladie (Goodall, cité par Huffman & Seifu (1989)).

Le parasitisme constitue le stimulus majeur à l’origine de changements de préférences et d’aversions alimentaires. La première réponse mise en œuvre face à une infection parasitaire constitue la mise en place de défenses immunitaires. Cependant, celles-ci ne sont pas toujours suffisantes, en particulier face aux fréquentes variations antigéniques des parasites. Là où les réponses physiologiques ne suffisent plus, interviennent alors les adaptations comportementales. Des stratégies comportementales telles que le changement de lieu de couchage, le changement de sites d’abreuvement, l’ajout de matériel frais dans les nids, le « formicage » ou le « fur rubbing » se sont probablement mis en place en réponse à une importante pression parasitaire. Le malaise intestinal provoqué par l’endoparasitisme provoquerait également un élargissement du régime alimentaire, favorisant ainsi la rencontre avec de potentiels composés métabolites secondaires aux propriétés anti-parasitaires. Des observations montrent ainsi que des moutons parasités non expérimentés échantillonnent plus facilement une nourriture riche en tanins, en dépit de sa faible valeur énergétique, que des individus sains (Lisbonne et al. Communication personnelle, cité dans Villalba & Provenza, 2007). Autre exemple celui des chenilles Grammia incorrupta. L’endoparasitisme létal provoqué par les tachinides, encourage la consommation d’alcaloïdes pyrrolizidiniques, composés habituellement toxiques et rejetés. Cette ingestion d’alcaloïde améliore la survie des chenilles parasitées, leur permettant une lutte chimique efficace à l’encontre les endoparasites (Singer et al., 2009) Selon certains, le simple fait de changer brutalement de régime alimentaire permettrait à lui seule d’importantes réduction de charges parasitaires, comme cela a pu être observé chez les ours noirs (Ursus americanus) (Rausch, cité dasn Huffman, 2003).

Selon Villalba et al. (2006), les animaux malades seraient capables d’augmenter leur préférence pour un item à des fins homéostatiques, permettant de préserver leur bon état de santé. En surmontant ses aversions innées et en échantillonnant des substances amères, un animal malade accroîtrait ses chances de trouver un composé aux propriétés thérapeutiques (Glendinning, 1994). C’est en échantillonnant à plusieurs reprises les solutions amères de quinines proposées que les souris impaludées de l’expérience de Vitazkova et al. (2001) parviennent à surmonter leur paludisme.

Lozano (1998) propose un modèle de « double aversion » permettant d’expliquer comment un individu peut consommer temporairement un aliment inhabituel - le

56 « médicament » - puis retourner à son régime alimentaire habituel. La première aversion concerne le régime alimentaire habituel de l’animal. Elle serait provoquée par le sentiment de malaise induit par la contraction d’une maladie. Si cette aversion est suffisamment forte, elle pousserait alors l’animal à échantillonner de nouveaux aliments et à éventuellement préférer un nouvel aliment, associant le mieux-être ressenti à la consommation de ce dernier. La deuxième aversion concernerait le « médicament ». Elle interviendrait après guérison, expliquant le retour au régime alimentaire habituel.

Selon Hladik (1998), en ce qui concerne les primates non humains consommateurs de feuillages, d’argiles ou de charbons de bois, il semble tout à fait superflu d’élaborer une théorie séparée pour expliquer la base biologique des choix de consommation de ces produits. L’équilibre alimentaire d’un animal est atteint via un ensemble de matières consommées et tous les produits qui tendent à manquer sont rapidement repérés parce que leur consommation aboutit à un « mieux-être » physiologique. Leur goût devient alors de plus en plus apprécié, et, en fonction de ce seul critère, il n’existe pas de limite entre ce qui est considéré comme « médicament » ou comme « aliment » par les humains. Villalba et al. (2006) considèrent que, d’un point de vue homéostatique, la distinction entre médicament et aliment est artificielle. De fait, l’alimentation et les médicaments ont tout deux pour but de maintenir l’organisme dans un état d’équilibre, synonyme de bien être.

Si certains scientifiques sont ainsi partisans d’explications purement homéostatiques, adaptatives et neurophysiologiques, d’autres se sont interrogés sur les modalités - non exclusives - d’un apprentissage pharmacognosique chez l’animal et en particulier chez les grands singes.

C - Apprentissage et transmission de la pharmacognosie chez l’animal

1 - Apprentissage individuel et/ou social ?

Peu d’études se sont intéressées spécifiquement aux modalités d’acquisition des comportements d’automédication chez les animaux. La plupart des comportements dits d’automédication restent hypothétiques (cf. I) et des études in vitro et in vivo sont généralement à pourvoir avant de s’intéresser plus amplement à leurs modalités d’acquisition. C’est pourquoi la majorité des études porte sur les grands singes, chez qui l’existence d’automédication est un fait quasi avéré.

Les études portant sur l’apprentissage du choix des plantes ingérées par les primates non humains sont nombreuses et essentiellement concentrées sur la façon dont les jeunes apprennent à sélectionner les aliments. Alors que la part sociale de l’apprentissage est prépondérante chez un jeune enfant, les études conduites en captivité montrent qu’à l’inverse c’est la part d’apprentissage individuel qui domine dans l’acquisition du régime alimentaire chez le jeune primate. Cet apprentissage individuel fait intervenir un mélange de néophobie, qui préserve des intoxications et de curiosité, qui permet d’élargir progressivement le répertoire alimentaire (Krief et al., 2011). Qu’en est-il pour de l’éventuel apprentissage du choix de plantes à propriétés thérapeutiques ? Est-il individuel et conditionné ? Ou est-il social ? Les modalités d’acquisition des comportements d’automédication chez les grands singes demeurent un véritable challenge pour les scientifiques primatologues.

57 Décrypter les comportements d’animaux évoluant dans la nature et/ou en captivité constitue un premier pas vers la compréhension des mécanismes d’acquisition des comportements d’automédication. Cependant, la tâche n’est pas aisée : souvent les comportements d’automédication sont déjà bien ancrés au sein d’un groupe et il est peu fréquent d’en observer de nouveaux. D’autant plus que chez certains primates, tel que les chimpanzés, le régime alimentaire demeure très conservateur et l’échantillonage de nouvelles plantes constitue une véritable rareté (Gustafsson et al. , 2008). A titre d’exemple, une étude portant sur les chimpanzés de Mahale a montré qu’il avait fallu attendre 7-8 ans avant que des adultes commencent à goûter des fruits domestiques, tels que les citrons ou les mangues provenant d’arbres abandonnés depuis le départ de villageois (Takahata et al., 1986). Mais, une fois, le premier épisode de consommation initié, la propagation au groupe fut très rapide : quelques semaines seulement et tous les individus du groupe consommaient ces nouveaux items.

Divers auteurs s’accordent pour dire qu’un apprentissage individuel de l’automédication implique la mise place d’un phénomène inverse au conditionnement aversif (Huffman, 2001 ; Krief et al., 2011). Autrement dit, un individu malade, ayant surmonté son appréhension préalable à la consommation d’une substance au goût aversif (amer, astringent, …), ainsi qu’un certain niveau de néophobie et consommant une partie de plante susceptible de limiter les symptômes de sa maladie, associerait ce goût au mieux-être ressenti. Un tel apprentissage a été observé plusieurs fois chez des moutons, en conditions expérimentales contrôlées. Villalba et al. (2006) ont par exemple montré que des moutons soumis à des malaises expérimentaux (acidose, excès tanins ou d’acide oxalique) sont capables d’associer le mieux-être ressenti, consécutif à l’administration humaine du remède, à l’alimentation - et son goût - support de ce remède (cf. I-C). L’établissement avéré d’un lien étroit entre le goût amer et l’existence de propriétés pharmacologiques, pourrait par la suite aider l’animal à sélectionner d’autres plantes en cas d’infection parasitaire ultérieure par exemple, sur la base de ses connaissances précédemment acquises (Huffman, 2000). Néanmoins l’association du mieux-être ressenti avec l’ingestion fortuite d’une plante médicinale adaptée n’est pas si évidente en milieu naturel. Une multitude d’autres événements peuvent avoir eu lieu durant le délai nécessaire pour que le principe actif agisse et de nombreuses mauvaises associations pourraient être commises. L’animal doit pouvoir repérer quelle plante est responsable de sa guérison parmi une myriade d’autres plantes (Lozano, 1998). Si les processus d’apprentissage relatifs aux aversions alimentaires induites par des maladies sont bien documentés, les processus inverses d’association d’un meilleur état de santé avec la consommation d’une nouvelle plante aux propriétés médicinales n’ont fait l’objet d’autant d’attention (Huffman, 2001). Les processus neurophysiologiques en jeu dans ce cas sont très certainement du même type que ceux évoqués pour les aversions alimentaires (cf. II-B-2), en revanche les capacités cognitives associatives requises sont elles beaucoup plus hypothétiques selon l’espèce considérée.

Selon Huffman (2001), certains comportements d’automédication sont si complexes qu’il est peu probable qu’ils résultent de simples apprentissages individuels par essai-erreur. C’est le cas par exemple de la mastication de la moelle amère des tiges de Vernonia amygdalina , qui nécessite un retrait soigneux de l’intégralité de l’écorce et des feuilles, parties les plus toxiques de la plante, ainsi qu’un minutieux décorticage de la moelle, dont le jus amer est ensuite consommé. Il arrive régulièrement que les troupeaux domestiqués s’intoxiquent en ingérant des feuilles de V. amygdalina et l’issue est le plus souvent létale. En Sierra Leone, V. amygdalina est connue sous le nom de « a-dif-wir », ce qui signifie « tue chèvre ». Contrairement aux chimpanzés, les chèvres n’ont

58 manifestement pas appris à discriminer la toxicité de la plante, peut-être est-ce du aux pratiques d’élevage qui séparent très tôt mère et petits. Selon Huffman (2001), l’apprentissage d’un tel comportement est vraisemblablement individuel à l’origine, mais la socialisation - permettant à un animal naïf d’acquérir plus vite une information par le biais de l’observation d’un individu expérimenté - a très probablement permis d’améliorer et d’accélérer l’apprentissage d’un tel comportement, chaque individu n’ayant plus à tout découvrir par un apprentissage individuel de type essai-erreur.

Afin d’étudier les modalités d’acquisition du comportement d’ingurgitation de feuilles rugueuses entières (« Leaf swallowing »), Huffman & Hirata (2004) ont proposé des feuilles rugueuses à 11 chimpanzés captifs. Les résultats de leurs observations ont été les suivants :

- Deux chimpanzés ont mâché, puis avalé les feuilles rugueuses de façon normale. - Un mâle et une femelle nés en captivité ont d’emblée mis en place le comportement d’ingurgitation de feuilles entières, sans avoir pu observer d’autres chimpanzés le faire auparavant. - Quatre chimpanzés ont manifesté le comportement d’ingurgitation de feuilles entières, après avoir attentivement observé la première femelle avoir mis en place le comportement. - Six chimpanzés ont développé des réponses phobiques, rejetant d’emblée les feuilles présentées. Par la suite, ces chimpanzés, qui n’ont jamais été à proximité d’individus ayant manifesté le comportement, n’ont pas réussi à surmonter leur aversion des feuilles rugueuses.

Des chimpanzés ayant grandi en captivité peuvent donc spontanément présenter un comportement d’ingurgitation de feuilles rugueuses lorsqu’on leur en propose, tandis que d’autres ayant refusé les feuilles de prime abord, peuvent les ingurgiter après avoir observé un de leur congénères le faire. L’ingurgitation spontanée des feuilles rugueuses est pour le moins étonnante étant donné l’absence de parasitisme des chimpanzés captifs. Selon les auteurs, ceci prouverait qu’il existe probablement une tendance innée favorisant l’ingurgitation de feuilles ayant un toucher rugueux. L’aspect râpeux des feuilles encouragerait naturellement des animaux à avaler et non mâcher les feuilles. Ces résultats montrent combien il reste difficile d’expliquer les mécanismes d’acquisition des comportements d’automédication, la part innée du comportement n’étant pas forcément à exclure totalement. Selon Huffman & Hirata (2004), le comportement d’ingurgitation de feuilles entières (« Leaf- swallowing ») tire probablement sont origine des découvertes fortuites de certains chimpanzés ayant échantillonné leur environnement au bon moment et au bon endroit, probablement suite au malaise induit par certain degré de parasitisme. Le comportement acquis par ces individus « pionniers » aurait ensuite été imité par de jeunes chimpanzés ayant combiné l’observation du contexte dans lequel le comportement est pratiqué avec la perception du « feedback positif » induit suite à sa réalisation.

Selon Gustafsson et al. (2008), les différences environnementales et sociales existant entre les différentes espèces de grands singes ont pu grandement influencer la part de chaque mécanisme d’apprentissage (individuel ou social) sur la consommation de plantes médicinales.

Différences environnementales, écologie des espèces et consommation de plantes médicinales

Afin de pouvoir bénéficier des effets médicinaux d’une plante, un individu doit pouvoir surmonter un certain degré de néophobie. Selon Gustafsson et al. (2008), la

59 prédominance de la néophobie sur la curiosité semble dépendre, en partie, de l’écologie de l’espèce. Des études de terrain montrent que, contrairement aux chimpanzés, les orangs-outans possèdent un régime alimentaire flexible, témoignant d’un faible degré de néophobie. Ces primates décrits comme une espèce semi solitaire, doivent faire face à d’importantes fluctuations de disponibilité de nourriture dans la nature et selon Gustafsson et al. (2008), cela a pu les pousser à une plus grande propension à tester de nouveaux items - soit une faible néophobie - afin d’acquérir le meilleur régime alimentaire. Une étude ultérieure de Gustafsson et al. (2011) illustre l’existence de ce faible degré de néophobie chez des orangs- outans, montrant que sur onze nouvelles plantes arômatiques présentées à quatre orangs- outans captifs sevrés, neuf ont été ingérées par au moins un individu et seules deux plantes ont été rejetées par l’ensemble du groupe. L’étude reste à nuancer, les conditions de captivité pouvant abaisser la néophobie des individus. De plus, une comparaison avec d’autres grands singes permettrait de mieux relativiser le degré de néophobie des orangs-outans. Logiquement, ce bas niveau de néophobie pourrait rendre les orangs-outans plus à même de d’accepter et de découvrir des plantes médicinales, en dépit de la faible valeur nutritive de celles-ci (Gustafsson et al. , 2008 & 2011).

Les lémuriens de Mayotte (Eulemur fulvus) possèdent également un régime alimentaire souple. Les jeunes lémuriens acquièrent les rythmes alimentaires de leurs mères au cours de leur 5 ème à 6 ème mois de vie. Cependant, dès leur passage vers une alimentation végétale, ils ne se contentent pas de reproduire le régime de leurs mères et ingèrent également des aliments non consommés par celles-ci, se forgeant ainsi leur propre expérience. Cette flexibilité du régime alimentaire expliquerait les remarquables capacités d’adaptation de cette espèce à de nouveaux environnements. Il est également possible que la souplesse de ce régime alimentaire leur permette, via un conditionnement opérant par le « mieux-être » ressenti, d’identifier de nouvelles plantes contenant des composés secondaires bénéfiques pour leur organisme (Nègre, 2003).

A l’inverse, les chimpanzés possèdent un régime alimentaire très conservateur. C’est pourquoi les premiers contacts avec de nouvelles plantes médicinales ont probablement du se faire en des circonstances inhabituelles. Selon Huffman (2001), les comportements d’automédication des chimpanzés pourraient être apparus en période de disette alimentaire, alors que des chimpanzés, affamés et malades, auraient été forcés à essayer de nouveaux aliments. Recouvant la santé, ils auraient associé cette guérison à la consommation d’un nouvel aliment. Si les chimpanzés ont des préférences alimentaires strictes, ils possèdent en revanche de fortes capacités d’imitation et d’apprentissage. Dès leur plus jeune âge, les chimpanzés observent attentivement le comportement alimentaire de leurs proches, en particulier celui de leur mère. Il arrive parfois que ceux-ci imitent leur mère et reproduisent des comportements d’automédication, indépendamment de leur état de santé (Huffman & Hirata, 2004). Certains jeunes ont ainsi été observés mâchant la moelle des tiges amères de Vernonia amygdalina en même temps que leur mère (Huffman & Seifu, 1989 ; Huffman and Wrangham, 1994). L’innovation pourrait également être un phénomène régulier qui permettrait à ces derniers de découvrir l’utilisation de nouvelles plantes à potentialité médicinales (Krief, 2003).

Différences sociales, interactions et consommation de plantes médicinales

La part d’apprentissage social dépend des interactions entre individus, très variables selon l’espèce de primate considérée. Par exemple, chez les orangs-outans les interactions sociales sont rares (espèce semi-solitaire) et ont pour la plupart lieu avant le sevrage entre la

60 mère et son petit. Dans cette espèce la découverte de nouveaux aliments relèverait plus des caractéristiques des plantes et d’un faible niveau de néophobie que de la référence à un individu modèle (Gustafsson et al. , 2011). Toutefois, le peu d’opportunités d’interactions sociales chez les orangs-outans ont pu les prédisposer à profiter davantage des rares rencontres à travers une plus grande tolérance et des échanges sociaux plus significatifs (Gustafsson et al. , 2008 & 2011). Les conclusions des études de Gustafsson et al. (2008 & 2011) restent cependant à nuancer étant donné leur réalisation en milieu captif : il est en effet possible que la captivité soit à l’origine d’un niveau de néophobie plus faible et d’interactions entre congénères plus fréquentes qu’en milieu naturel.

Chez les chimpanzés en revanche, les interactions sociales sont plus nombreuses. Elles se traduisent par du « grooming » (épouillage), du jeu, des vocalisations, quelques conflits, parfois suivis de période de réconciliation (Krief, 2003). La richesse des interactions sociales de l’espèce pourrait contribuer à un apprentissage social plus efficace de nouveaux comportements, a fortiori d’automédication (Gustafsson et al. , 2008). Masi et al. (2012) ont comparé l’usage de plantes médicinales et leur acquisition chez deux espèces de grands singes : les chimpanzés et les gorilles des plaines de l’Ouest. Contrairement aux études précédentes, les observations de cette étude ont été faites chez des animaux sauvages dans leur milieu naturel. L’étude de Masi et al. (2012) compile ainsi les résultats de onze mois d’observations d’une cinquantaine de chimpanzés de la communauté de Kanyawara dans le parc national de Kibale en Ouganda, avec celles issues de dix mois de suivi d’un groupe d’une douzaine de gorilles des plaines à Bai Hokou, dans le parc national de Dzanga-Ndoki de l’Ouest en République Centrafricaine. Les gorilles des plaines ayant la capacité de détoxiquer certains aliments grâce à leur gros intestin élargi, à la fermentation associée et à leur transit ralenti, les scientifiques s’attendaient à ce que leur régime alimentaire soit plus diversifié que celui des chimpanzés, incluant une large gamme d’items ayant, pour certains, une faible valeur nutritive. Cependant, les observations ont montré que c’était les chimpanzés qui consommaient deux fois plus fréquemment des aliments occasionnels et /ou bioactifs. Etant donné l’absence de spécialisation du tractus digestif des chimpanzés (pas de détoxification comme chez le gorille), consommer de nouveaux aliments peut s’avérer plus risqué pour ces primates. C’est pourquoi (Masi et al., 2012) envisagent que ces consommations d’items inhabituels soient liées à une autre raison que la simple nutrition et notamment à une forme d’automédication. D’autre part, chez les chimpanzés, le caractère occasionnel de ces consommations n’est pas la conséquence d’une faible disponibilité, puisque tous les items à consommation occasionnelle se sont révélés abondamment disponibles dans l’environnement. Chez les gorilles des plaines en revanche, la situation est moins tranchée, mais la plupart des items à consommation occasionnelle sont normalement disponibles dans l’environnement, ont également peu de valeur nutritionnelle et appartiennent parfois à des plantes du régime habituel mais ne correspondent pas aux parties habituellement ingérées. Autant d’arguments qui pour Masi et al. (2012) se positionnent en faveur d’une utilisation autre que nutritive, pourquoi pas médicinale compte tenu des propriétés bioactives de beaucoup de ces items à consommation occasionnelle. Les observations de Masi et al. (2012) montrent que les chimpanzés observent beaucoup plus fréquemment leurs congénères que les gorilles lorsqu’ils consomment des aliments occasionnels, ce en dépit de faibles opportunités d’observations, puisque les chimpanzés sont majoritairement seuls ou éloignés du groupe lorsqu’il consomment des aliments inhabituels. Les « démonstrateurs » chimpanzés favoris sont des individus adultes âgés (25-35 ans), mâles comme femelles. Le niveau élevé de tolérance social chez les chimpanzés leur permettrait d’observer attentivement et de près leurs congénères.

61 Après le départ du consommateur, les gorilles consomment plus systématiquement l’item délaissé que les chimpanzés. Cette consommation peut avoir lieu pour des raisons nutritionnelles ou simplement parce que la situation a parue sans danger pour l’observateur. Chez les chimpanzés en revanche, la consommation après observation attentive du consommateur n’est pas systématique. Selon Masi et al. (2012) il est envisageable que les chimpanzés n’observent leurs congénères que dans une optique d’acquisition de « connaissances ». La santé et l’état physiologique du consommateur - et des observateurs - détermineraient la consommation ou l’évitement de l’item. La consommation d’aliments inhabituels étant plus risquée chez le chimpanzé - principalement frugivore et ne possédant aucun système de détoxification - celui-ci serait en conséquence plus dépendant de l’apprentissage social que le gorille des plaines. Chez les chimpanzés, 89 % des observations par les jeunes individus sont dirigées vers leur mère et 39 % de la totalité des observations ont lieu entre individus matures montrant que des informations sont encore recherchées et acquises après la maturité (Masi et al., 2012). Chez les gorilles, 70 % des observations se produisent entre individus immatures et 91 % d’entre elles concernent un parent (généralement un demi-frère ou une demi-soeur) (Masi et al. , 2012). L’ensemble de ces résultats tend à prouver que la consommation d’aliments bioactifs inhabituels repose essentiellement sur un apprentissage social de type vertical chez les chimpanzés, tandis que les gorilles privilégient un mode horizontal d’acquisition et de transmission sociale de l’information.

Les différences de capacités physiologiques, d’écologie et de socialité entre les différentes espèces de grands singes influencent très probablement la façon dont ceux-ci acquièrent les connaissances relatives à la discrimination d’items à propriétés médicinales (Gustafsson et al. , 2008 & 2011 ; Masi et al., 2012).

Il existe depuis longtemps des études montrant que certains animaux sont capables d’apprendre à éviter une nourriture toxique/avariée rien qu’en observant un congénère devenir malade ou montrer des signes d’aversion suite à la consommation de l’aliment. C’est le cas par exemple des hyènes tachetées (Crocuta crocuta) (Yoerg, cité dans Lozano (1998)) et des carouges à épaulette (Agelaius phoeniceus) (Mason & Reidinger, cités dans Lozano (1998)). Cependant de toutes les études cherchant à explorer les modes d’acquisition éventuels des comportements d’automédication, rien ne prouve rigoureusement qu’un animal soit capable d’apprendre l’utilisation de plantes médicinales en associant la guérison d’un congénère avec la consommation d’un item spécifique.

L’acquisition de nouveaux comportements alimentaires et a fortiori de comportements d’automédication a également été étudiée chez les moutons (Sanga, 2011). Plus particulièrement, c’est l’influence des mères - expérimentées ou non - sur l’acquisition du comportement d’ingestion de polyéthylène glycol (PEG) en situation de surcharge en tanin qui a été étudiée chez des agneaux. Un groupe d’agnelles a tout d’abord été conditionné à associer les bénéfices du PEG après consommation d’un régime riche en tanins. Pour cela, des agnelles ont ingéré un repas riche en tanins, puis du PEG leur a été offert. Ultérieurement, ces mêmes agnelles ont de nouveau fait un repas riche en tanins, mais cette fois un autre fourrage leur a été offert (marc de raisin). Après conditionnement, le groupe d’agnelle conditionné et un groupe témoin se sont vu offrir le choix entre le fourrage riche en tanin, le PEG et le marc de raisin. Les résultats ont montré que les agnelles expérimentées ont mangé plus de fourrage riche en tanin et de PEG que les témoins. Par la suite les agnelles expérimentées et non expérimentées ont été mises en contact avec leur agneaux, tous naïfs et les trois même catégories de nourriture leur ont été proposées simultanément (riche en tanin, PEG, marc de

62 raisin). Un groupe témoin d’agneaux naïfs sans leurs mères a aussi reçu les mêmes nourritures. Les résultats de cette étude montrent que les agneaux ayant été élevés en présence de leur mère, expérimentée ou non, sont plus à même d’utiliser efficacement les effets médicinaux du PEG que de agneaux n’ayant pas été élevés sous l’influence de leur mère. Ces agneaux montrent en effet une préférence significativement plus élevée pour le PEG que les agneaux naïfs sans leurs mères. Par ailleurs, les observations montrent qu’une mère expérimentée ayant une préférence particulièrement marquée pour le PEG au regard des autres mères expérimentées, a un agneau dont la préférence pour le PEG est elle aussi plus forte que celle des autres agneaux. Les mères ne jouent pas uniquement un rôle de prévention permettant à leur progéniture d’éviter l’ingestion de composés toxiques, leur présence influence également la capacité de leur progéniture à découvrir les effets bénéfiques de nouvelles substances (ici à profiter des bénéfices du PEG). Les agneaux n’ayant pas été au contact de leur mère ne sont effectivement pas capables de discriminer les effets positifs du PEG vis-à-vis d’un excès de tanins.

Un des résultats intéressants de l’étude est celui des agneaux ayant été en présence de mères inexpérimentées et qui ont tout de même manifesté une préférence pour le PEG. Selon Sanga et al. (2011), Il est possible que la présence des mères ait encouragé le comportement explorateur des agneaux, leur permettant de découvrir individuellement les bienfaits du PEG, que leur mère soit expérimentée ou non.

Chez certaines espèces, aussi éloignées soient elles, le rôle des mère est donc primordial, puisque celles-ci assurent une transmission verticale et un maintien du « savoir médicinal ».

Certains vont plus loin, en s’interrogeant : les animaux, en particulier les mères, apprennent-elles sciemment des comportements dits d’automédication à leur progéniture ?

2 - Transmission ou enseignement des comportements d’automédication ?

L’existence d’ « enseignement » - aussi appelé « apprentissage actif », « apprentissage intentionnel » ou « apprentissage instructif » - chez les animaux fait toujours débat et divise la communauté scientifique. Pour certains, la notion d’enseignement englobe le fait qu'un individu en assiste un autre dans un contexte d'apprentissage. C’est le cas par exemple des félidés sauvages, tels que les guépards : une fois leurs petits en âge d’apprendre à chasser, les mères adaptent leur technique de chasse et au lieu de tuer instantanément leur proie, les amènent vivantes à leurs jeunes. De nombreux carnivores (tigres, lions, suricates…) donnent ainsi l’occasion à leurs petits d’interagir avec les proies (Caro & Hauser, 1992). Pour d’autres, cette définition et trop vaste et l’enseignement doit être intentionnel. Enseigner sous entend que celui qui enseigne adapte son comportement à autrui, sans bénéfice direct pour lui, facilitant l’apprentissage de l’autre, qui acquiert ainsi la connaissance ou la technique plus rapidement que s’il l’avait appris seul. Enseigner sous-entend également avoir conscience des capacités d’autrui : être capable de supposer que l’autre sait ou ne sait pas (Caro & Hauser, 1992). Or, les observations de félidés sauvages ne montrent pas clairement un ajustement du comportement des mères en fonction du changement d’aptitudes de leurs jeunes. Les exemples d’enseignement semblent dès lors beaucoup plus anecdotiques.

63 Chez les grands singes, seuls quelques rares cas de mères chimpanzés aidant leurs petits à casser des noix ont été rapportés. De mères ont ainsi été observées replaçant une noix sur l’ « enclume » de leur petit après avoir nettoyé celle-ci, fournir de meilleurs « marteaux » lors de difficultés, produire des cris d’encouragement (Boesch, 1991). Les cas se rapprochant le plus d’« enseignements » seraient ceux relatifs à l’apprentissage des comportements moteurs, où les mères gorilles des plaines ont été observées apportant des encouragements stimulant la locomotion et l’autonomie de leur progéniture (Maestripieri, 2002). Chez les primates non humains se sont surtout des encouragements ou des découragements qui ont pu être observés. Une expérience réalisée chez des babouins Chacma (Papio ursinus) montre qu’un mâle de haut rang hiérarchique ayant reconnu (apprentissage expérimental préalable) que la nourriture présentée au groupe était toxique, a menacé agressivement les jeunes babouins tentant de s’en saisir. Les membres du groupe ont ainsi rapidement appris que la nourriture était non consommable (Fletemeyer, cité par Caro & Hauser (1992)).

Krief et al. (2011) rapportent qu’aux cours de leurs multiples observations en milieu naturel, aucune femelle n’a été observée donnant à son jeune malade une plante qu’elle même n’aurait pas consommé. En revanche, il est assez fréquent qu’une femelle facilite l’accès à un item : par exemple lors de l’écorçage d’un arbre, elle peut laisser un morceau à son petit. Masi et al. (2012) précisent quant à eux n’avoir quasiment pas observé de transferts d’aliments entre individus au cours de leurs observations réalisées chez les chimpanzés de Kibale et les gorilles des plaines de l’Ouest de Dzanga-Ndoki. Ainsi, les scientifiques parlent d’auto- médiation et non de médication.

La majorité des études portant sur l’automédication montre que les jeunes chimpanzés semblent capables de rassembler efficacement des informations auprès de leurs aînés sans que ceux-ci n’en modifient leur comportement. Les primatologues préfèrent à l’heure actuelle parler d’apprentissage par émulation.

De récentes études suggèrent par ailleurs que l’enseignement serait plus prévalent au sein des espèces n’appartenant pas au taxon des primates, telles que les abeilles, les fourmis, les suricates et d’autres carnivores (Thornton & Raihani, 2008). L’enseignement aurait ainsi pu évoluer indépendamment de l’apprentissage social.

3 - L’automédication : une tradition culturelle ?

L’existence de traditions culturelles chez l’animal fait toujours débat au sein de la communauté scientifique d’éthologie. La notion de trait culturel a d’ailleurs sans cesse été redéfinie. Selon Boesch (2001), les pratiques observées régulièrement chez plusieurs membres d’un groupe, mais absentes d’au moins un autre groupe sans que cette absence puisse être expliquée par des facteurs écologiques seraient d’origine culturelle. Pour d'autres, le caractère culturel d’un comportement implique que ce comportement soit dépendant de moyens sociaux pour se propager et se maintenir (Perry & Manson, 2003). Selon Huffman & Hirata (2003), un nouveau comportement innové et transmis à travers un ensemble d’interactions spatiales et sociales au sein d’un groupe, devient véritablement une tradition lorsqu’il se transmet verticalement d’un parent à sa progéniture. L’exemple le plus connu de tradition culturelle chez les primates est probablement celui de la propagation du lavage des patates douces chez les macaques japonais (Macaca fuscata) de l’île de Koshima. Observé pour la première fois en 1953, ce nouveau comportement, permettant de séparer le sable et les impuretés des patates

64 douces avant consommation, persiste encore de nos jours sous la forme de multiples variantes, alors que les macaques initiateurs de la pratique sont tous morts depuis.

Le nombre de traditions avérées chez les primates reste faible et il semble qu’elles soient plus répandues chez les chimpanzés. Ainsi entre les chimpanzés de Gombe et Mahale, deux régions de Tanzanie distantes de d’un centaine de kilomètres, les comparaisons des régimes alimentaires montrent de dizaines de différences ne pouvant pas s’expliquer via des différences écologiques entre les deux sites. Les primatologues ont également remarqué l’existence de signaux de communications propres à chaque groupe, sortes de « dialectes », dont la disparité ne repose a priori pas sur des variations génétiques. A cela s’ajoute l’existence de techniques d’utilisation d’outils variables. En effet, on sait désormais que les chimpanzés sont capables d’utiliser des outils les aidant dans leur recherche de nourriture. Plusieurs populations de chimpanzés ont ainsi été observées utilisant des cailloux (« marteaux ») et des pierres (« enclumes ») pour casser des noix, mais aussi de fines brindilles pour « pêcher » des fourmis dans les termitières. Selon certains scientifiques ces techniques de recherche de nourriture répondent aux critères d’une tradition culturelle (Abegg et al. , 2000).

Diverses études montrent que la consommation de plantes médicinales varie d’un groupe de chimpanzés à un autre, alors même que la disponibilité des plantes ne change pas. S’ajoute à cela les suspicions de transmission trans-générationnelle de comportements de discrimination de plantes médicinales. Certains se sont donc interrogés sur la possibilité de traditions locales concernant les comportements d’automédication.

La consommation d’écorces présente par exemple des différences très marquées entre les groupes de chimpanzés voisins de Mahale et Gombe (Tanzanie) : à Mahale les chimpanzés consomment 21 espèces d’écorces différentes, tandis qu’à Gombe les chimpanzés n’en consomment que trois sur les treize écorces communes au site de Mahale. Autre exemple, en dépit de leur disponibilité, 16 items provenant de 9 espèces de plantes différentes sont régulièrement consommées par les chimpanzés de Mahale, mais ne le sont pas ou très peu à Gombe. C’est le cas notamment des fruits de Cordia milenii , aliments principaux des chimpanzés de Mahale (Krief, 2003). Les observations de Krief et al. (2005a) montrent quant à elles que les chimpanzés de Sonso, dans la forêt de Budongo, au centre de l’Ouganda, consomment les fleurs d’ Acanthus pubescens - aux propriétés antimicrobiennes démontrées - tandis que les chimpanzés de Kanyawara ne consomment que les tiges de cette espèce. Les chimpanzés de Sonso consomment également les écorces de Cynometra alexandrii , alors que les chimpanzés de Kanyawara n’en ingèrent que les graines. De telles dissemblances peuvent être en partie la conséquence de variations intraspécifiques dans la composition chimique des plantes, mais selon Krief (2003) la force des traditions joue probablement un grand rôle.

Afin d’étudier plus amplement le potentiel aspect « culturel » de l’automédication chez les chimpanzés, de nouvelles études doivent être menées entre deux communautés dont les territoires sont adjacents, afin d’observer si les groupes se transmettent des pratiques alimentaires lorsque des femelles ayant atteint la puberté passent d’un groupe à l’autre.

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Médiateurs des nombreuses interactions entre plantes et autres organismes vivants, les métabolites secondaires des plantes tiennent une place centrale au coeur de l’automédication

65 animale. Bien que leur rôle de composés défensifs à l’encontre des prédateurs et des pathogènes soit une des hypothèses majeures expliquant leur raison d’être, il semble, comme le suspectait Janzen (1978), qu’au fil de l’évolution de nombreux animaux aient été capables de détourner les propriétés thérapeutiques de certains de ces métabolites secondaires à leur profit, améliorant ainsi leur état de santé et a fortiori leur chances de survie. Les pressions exercées par divers challenges homéostatiques tels que le parasitisme sont probablement les moteurs de ces adaptations comportementales. Toutefois, les modalités d’acquisition individuelle de ces comportements d’automédication restent floues. Selon certains, la perception gustative d’un individu varierait en fonction de l’état de santé. Ainsi, un individu malade pourrait être amené à explorer son environnement, voire à rechercher l’amertume habituellement évitée et souvent caractéristique de plantes toxiques, mais aussi de propriétés thérapeutiques remarquables. La part d’inné et d’acquis de ces comportements adaptatifs reste difficile à établir avec certitude. Il semble néanmoins que ces comportements reposent essentiellement sur un apprentissage, individuel et/ou social selon l’espèce considérée. Diverses études, principalement menées chez les grands singes et les moutons montrent que l’apprentissage social joue un rôle primordial, permettant la transmission et le maintien des comportements dits d’automédication au sein d’un groupe. Si bien que chez primates la question de l’automédication en tant que tradition culturelle est actuellement étudiée avec intérêt. La poursuite des recherches dans le domaine de la zoopharmacognosie s’avère indispensable afin de mieux comprendre les modalités d’acquisition des comportements dits d’automédication et pourquoi pas d’accumuler d’éventuelles preuves de l’intentionnalité de ces comportements, en particulier chez les primates.

Par ailleurs, l’étude des comportements dits d’automédication chez les animaux est loin d’être dénuée d’intérêt, les enjeux sont en effet multiples : découverte de nouveaux médicaments humains et/ou vétérinaire, conservation et protection des espèces, participation à une médecine vétérinaire alternative durable, mais aussi compréhension des origines de la médecine humaine.

66 III - Applications et enjeux de la zoopharmacognosie

A - Recherche de nouveaux médicaments humains et vétérinaires

Aujourd’hui encore, de nombreuses maladies ne sont toujours pas soignées ou le sont mal. La découverte de nouvelles molécules thérapeutiques, notamment dans le domaine de la cancérologie, constitue l’un des enjeux majeurs de ce 21 ème siècle.

Plus de la moitié des médicaments sont d’origine naturelle : ils proviennent de plantes, de microorganismes ou d’organismes marins. Le monde végétal, de part sa richesse en composés métabolites secondaires, constitue une véritable source de molécules thérapeutiques pour la pharmacopée occidentale. Selon le CNRS, sur les 350 000 espèces de plantes existant sur la planète, seules 5 % ont été explorées pour leurs propriétés chimiques et pharmacologiques. Plus particulièrement, les forêts tropicales constituent un large potentiel inexploité, véritable réservoir de molécules à potentialité thérapeutique.

La recherche de nouvelles plantes médicinales peut s’effectuer selon diverses méthodes traditionnelles.

1 - Echantillonage systématique

L’échantillonage systématique ou « Screening » pharmacologique consiste à analyser toutes les plantes d’une zone géographique donnée. Cette technique dépend uniquement de la disponibilité des plantes et ne nécessite pas d’étude préliminaire. Peu contraignante, cette méthode demeure fastidieuse. Une pré-selection apparaît nécessaire afin d’augmenter la probabilité de découvrir une nouvelle molécule thérapeutique.

Les méthodes suivantes constituent des approches plus ciblées.

2 - Méthode chimiotaxonomique

L’approche chimiotaxonomique consiste à présélectionner des plantes au sein de certains taxons dont on connaît la richesse en substances pharmacologiques actives. Ainsi, la découverte d’une molécule active intéressante dans une famille ou un genre de plante provoque la concentration des recherches chez des plantes taxonomiquement proches.

Par exemple, suite à la découverte des propriétés anti-tumorales de l’acronycine, un alcaloïde provenant d’une plante australienne de la famille des Rutacées (Acronychia baueri) , des recherches systématiques ont été effectuées sur les espèces néo-calédoniennes du même genre ( Sarcomelicope). Ces recherches ont permis de découvrir des analogues de l’acronycine et de faire avancer les recherches thérapeutiques en oncologie (Krief, 2003).

Cette méthode peut être particulièrement intéressante dans le cas de plantes rares ou en voie de disparition, connues pour leurs propriétés bioactives. Néanmoins, la concentration des recherches autour d’une plante et son taxon n’aboutit pas toujours, et se fait parfois au détriment d’autres espèces qui auraient pu présenter des propriétés thérapeutiques remarquables.

67 3 - Méthode ethno-pharmacologique

Ethnopharmacologie : « étude scientifique interdisciplinaire de l'ensemble des matières d'origine végétale, animale ou minérale et des savoirs ou des pratiques s'y rattachant que les cultures vernaculaires mettent en oeuvre pour modifier les états des organismes vivants à des fins thérapeutiques, curatives, préventives ou diagnostiques. », Société Française d’Ethnopharmacologie (S.F.E.).

Près de trois quarts de la population mondiale se soigne aujourd’hui avec des méthodes traditionnelles, les médicaments occidentaux étant bien souvent trop chers pour les populations des pays en voie de développement. La pertinence thérapeutique de ces remèdes vernaculaires a de maintes fois frappé les scientifiques occidentaux. C’est pourquoi certains ont fait de ce précieux savoir ethno- médicinal le point de départ de leur recherche de nouvelles molécules thérapeutiques.

Dans leur article sur le rôle de l’ethnopharmacologie dans la découverte de nouvelles molécules thérapeutiques, Heinrich & Gibbons (2001) citent deux exemples phares, symboles de l’importance de l’étude des ethno savoirs :

- La découverte des propriétés pharmacologiques paralysantes du curare par le biologiste Claude Bernard. Ce dernier a conduit les premières expérimentations sur ce mystérieux poison extrait des lianes de Chondrodendron tomentosum et Strychnos toxifera par les indiens d’Amazonie, ce afin d’enduire leurs flèches mortelles. - L’exemple de Gordon Wasson, père de l’ethnomycologie, dont les recherches sur les champignons hallucinogènes utilisés lors de rituels traditionnels mexicains permirent de découvrir deux alcaloïdes psychotropes : la psilocine et la psilocybine. Cette dernière molécule est actuellement à l’étude chez les individus atteints de troubles obsessionnels compulsifs, ainsi que chez les patients cancéreux atteints de dépression.

Les propriétés pharmacologiques d’autres célèbres molécules telles que la morphine, la papavérine, la quinine ou encore la pilocarpine furent également découvertes en observant les pratiques médicinales de peuples indigènes (Heinrich & Gibbons, 2001).

Les pharmacologues fondant leur recherche sur cette ethnomédecine se heurtent cependant à de nombreuses difficultés. Beaucoup de « guérisseurs » sont en effet réticents à l’idée de livrer leur savoir médicinal à des occidentaux. Une fois leur confiance gagnée, la barrière de langue et l’emploi de noms vernaculaires pour désigner les ingrédients compliquent la communication. Les doses et les parties de plantes utilisées ne sont pas toujours précisées et les indications concernant les modes de préparation (décoction, cataplasme, infusion …) restent approximatives. Il est donc souvent nécessaire que les pharmacologues collaborent avec des ethnologues et des botanistes. Enfin, la perception du corps humain et de ses maladies diverge fréquemment de la vision occidentale : les rituels et la symbolique prenant des parts importantes dans la culture médicinale traditionnelle.

Devant l’ampleur de la tâche, toute autre méthode pouvant contribuer à orienter la recherche de nouveaux médicaments est la bienvenue. Certains chercheurs se sont donc intéressés à toutes les sources non conventionnelles de découverte de nouvelles molécules thérapeutiques. Parmi ces multiples sources figurent l’étude des écosystèmes marins (en

68 particulier extrêmophiles), des épices, des résines d’arbres, mais aussi l’utilisation des données établies par la zoopharmacognosie (Tulp & Bohlin, 2004).

4 - L’approche zoopharmacognosique

De nombreux peuples indigènes affirment tirer leurs principaux remèdes de l’observation des animaux. Mohamedi S. Kalunde, collaborateur tanzanien de Michael Huffman, responsable de la faune des parcs nationaux de Tanzanie et descendant d’une longue lignée de guérisseurs de l’ethnie Tongwe, rapporte que d’importants remèdes Tongwe ont été découverts grâce à l’observations d’animaux sauvages malades tels que des éléphantes, des porcs-épics ou encore de potamochères. Il raconte ainsi que son grand-père, lui-même guérisseur, aurait découvert un traitement anti-dysenterie suite à l’observation d’un porc-épic, qui atteint d’une forte diarrhée hémorragique, aurait retrouvé la santé après consommation de racines d’une plante jusqu’alors inconnue (Huffman, 2003). Les exemples sont nombreux (cf. I-A-1) et il semble bel et bien qu’observer les animaux et s’inspirer de leur « connaissances » de certaines plantes médicinales permette de découvrir des remèdes efficaces.

Les molécules naturelles isolées au cours de travaux de recherche portant sur l’automédication animale pourraient donc constituer les principes actifs de nouveaux médicaments ou tout du moins servir de modèle aux chimistes qui pourraient en améliorer l’activité thérapeutique et/ou en diminuer les effets secondaires et la toxicité (Huffman, 2003 ; Rodriguez & Wrangham, 1993). D’autant plus que la majorité des recherches en zoopharmacognosie se fait en forêts tropicales, or il est désormais admis que les plantes tropicales possèdent un éventail de propriétés biochimiques bien plus riche que celui des plantes de nos climats tempérés. Etant donné le large nombre d’herbivores auxquels les plantes des forêts tropicales doivent faire face, les concentrations et la variété en métabolites secondaires - composés chimiques défensifs - est bien plus conséquente qu’en milieu tempéré.

Enfin, miser sur la zoopharmacognosie comme source de nouvelles molécules thérapeutiques semble d’autant plus intéressant que les animaux chez qui les soupçons d’automédication sont les plus forts sont ceux présentant la plus forte proximité génétique du règne animal avec l’Homme : les grands singes (Krief, 2003). De nombreuses maladies encore mortelles à l’heure actuelle sont d’ailleurs communes aux Hommes et aux grands singes : c’est le cas de la rougeole, du virus Ebola ou encore, mais dans une moindre mesure, du paludisme et du SIDA.

Vétérinaire primatologue au Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) de Paris, Sabrina Krief consacre tout ses travaux de recherche à l’étude des comportements d’automédication des primates, en particulier des chimpanzés ( Pan troglodytes schweinfurthii ), ce dans un même but : la découverte de nouvelles molécules à action thérapeutique. En témoigne ses multiples recherches effectuées en Ouganda, lesquels comprennent notamment de nombreux essais biologiques in vitro visant à tester d’éventuelles propriétés anti-paludiques, anti-VIH, anti-cancéreuses, anti-leishmaniennes, anti-bactériennes, anti-fongiques et anti-helminthiques de divers extraits végétaux occasionnellement ingérés par les chimpanzés et supposés impliqués dans des comportements automédicants. Parmi les plantes testées, certaines comme Trichilia rubescens ont permis de découvrir deux nouveaux limonoïdes : les trichirubines A et B, aux fortes propriétés antipaludiques (Krief et al. , 2004) (cf. Figure 17).

69 Figure 17 : Trichirubines A et B, composés anti-malariens isolés des feuilles de Trichilia rubescens . D’après Krief et al. (2004).

D’autres plantes, Albizia grandibracteata , Diospyros abyssinica et dans une moindre mesure l’arbuste Uvariopsis congensis , ont révélé des extraits d’écorces bruts de cytotoxicité notable à l’encontre de cellules tumorales de lignée KB (Krief, 2003 ; Krief et al. , 2006). Quant aux extraits de feuilles d’Albizia grandibracteata, des propriétés anti-VIH particulièrement intéressantes, présentant notamment une toxicité réduite, leur ont été découvertes (Krief, 2003 ; Krief et al. , 2006).

En partenariat avec l’Institut de recherche Servier, ces extraits bruts de feuilles et d’écorces ont ensuite été soumis à fractionnement chromatographique, puis purification, permettant d’isoler de nouvelles molécules dont les activités biologiques ont alors été testées. Ainsi, deux produits biologiques extraits de Diospyros abyssinica ont notamment vu leur activité anticholinestérasique testée. Cette propriété inhibitrice étant particulièrement recherchée dans le cadre de l’amélioration des processus de mémorisation chez les patients atteints par la maladie d’Alzheimer. Une des deux molécules, l’isodiospyrine (cf. Figure 18), a présenté une activité anticholinestérasique notable (Krief, 2003).

Figure 18 : Isodiospyrine, molécule isolée de l’écorce de Diospyros abyssinica . D’après Krief et al. (2006).

Enfin, les extraits de plantes consommées par les chimpanzés ont également été soumis à des tests d’activité relatifs aux récepteurs régulant la prise alimentaire. 28% des extraits de plantes consommés par les chimpanzés ont révélé une activité antagoniste des récepteurs PPAR (Peroxisome Proliferator Activated Receptor) et 35% sur les récepteurs MCH (Melanine Concentrating Hormon) . Les molécules antagonistes de ces deux types de

70 récepteurs participeraient au contrôle de l’obésité en réduisant la masse graisseuse. Toutefois, il est possible que ce type d’activité ne semble pas n’influence pas la sélection alimentaire des chimpanzés puisque les différences entre les parties consommées ou non par les chimpanzés ne sont pas significatives (Krief, 2003).

Lacroix et al. (2009) ont quant à eux isolé de nouveaux terpénoïdes aux activités anti- parasitaires, anti-leishmaniennes et anti-trypanosomales des feuilles de Markhamia lutea , un arbre du sud-ouest ougandais, dont les feuilles sont consommées par les chimpanzés.

Les études relatives à l’automédication chez les grands singes pourraient également fournir des sources de produits naturels permettant de lutter contre les parasitoses, y compris humaines (Berry et al., 1995).

La zoopharmacognosie semble bel et bien ouvrir de nouvelles perspectives en matière de découverte de molécules thérapeutiques innovantes. Reste qu’à l’heure actuelle, seuls des tests biologiques in vitro sur cultures cellulaires ont été pratiqués. L’extraction chimique n’est pourtant pas semblable à la digestion et les produits instables peuvent être dégradés par l’un ou l’autre procédé. Il est également possible que la composition des plantes en métabolites secondaires varie d’une saison à l’autre, voire même quotidiennement.

B - Vers une médecine vétérinaire durable

L’endoparasitisme des troupeaux est un problème d’envergure mondiale. Mal traité, le parasitisme gastro-intestinal porte atteinte à la croissance et la reproduction des animaux, induit des diarrhées, des douleurs abdominales, des anémies et peut même provoquer la mort. Le coût prohibitif des anti-parasitaires, ainsi que l’apparition de chimiorésistances font que, dans les pays en voie de développement, peu d’éleveurs peuvent lutter efficacement contre l’endoparasitisme de leur bétail. Quant aux pays développés, eux aussi font face à l’apparition de chimiorésistances, c’est aussi un profond désir de retour à une agriculture plus saine, dite « biologiques », qui émerge depuis quelques années et qui incite les scientifiques à chercher des alternatives aux traitements anti-parasitaires chimiques.

Parmi ces méthodes alternatives figurent l’utilisation de champignons nématophages, l’incorporation de particules d’oxydes de cuivre à la ration, la pratique de l’homéopathie ou plus récemment la prise en compte des propriétés anti-parasitaires de certains métabolites secondaires des plantes et des capacités d’automédication des herbivores domestiques.

La prise en compte des métabolites secondaires dans la conduite d’élevage s’avère souvent difficile à envisager, la simplification des systèmes agricoles dans un but de production intensive, couplée à une vision trop souvent négative des métabolites secondaires ayant provoqué de nos jours la sélection de fourrages énergétiques, uniquement riches en métabolites primaires et quasiment dénués de tout métabolites secondaires (Villalba & Provenza, 2007). Reste que de nombreuses études portant sur l’automédication animale nous montrent combien les métabolites secondaires des plantes sont importants pour la santé des animaux. Ainsi, les nutriments et l’énergie ne suffisent pas à faire un régime alimentaire optimal.

En effet, longtemps controversé, il est désormais communément admis que les tanins possèdent, à partir d’une concentration donnée, des propriétés anti-parasitaires, en particulier

71 anti-helminthiques (Athanasiadou et al., 2000 & 2001 ; Min & Hart, 2003). Plus particulièrement, ce sont les tanins condensés qui retiennent particulièrement l’attention des chercheurs, car contrairement aux tanins hydrolysables, ceux-ci ne peuvent pas traverser la barrière intestinale et sont donc beaucoup moins toxiques. Les premières expériences menées par une équipe néo-zélandaise ont ainsi montré que des agneaux ayant eu accès à des fourrages riches en tanins condensés, comme la sulla Hedysarum coronarium ou les lotiers Lotus pedunculatus et Lotus corniculatus , étaient moins parasités que des agneaux témoins (Molan et al. , 1999). D’autres études, menées en Ecosse, ont montré des résultats similaires : des agneaux artificiellement infestés par des vers ont vu les œufs de strongles contenus dans leur selles diminuer de moitié suite à un régime complémenté en quebracho, l’écorce d’un châtaignier d’Amérique du Sud contenant 70% de tanins condensés (Athanasiadou et al. , 2000). Les travaux chez les caprins demeurent plus rares, mais les résultats concordent avec ceux obtenus chez les ovins (Min et al. , 2004).

Ainsi, l’utilisation de fourrages riches en tanins apparaît particulièrement intéressante chez les herbivores domestiques, dont le parasitisme est monnaie courante. Cependant, les tanins ne sont pas les seuls métabolites secondaires dont les herbivores domestiques peuvent tirer profit et c’est en proposant une grande variété de fourrages, dont un riche en tanin, que les animaux d’un même troupeau pourraient être capables de subvenir à leurs besoins nutritionnels, tout en stimulant leur immunité, réduisant leur parasitisme et maintenant ainsi un bon état de santé (Provenza et al. , 2007 ; Provenza & Villalba, 2010).

Certains scientifiques, convaincus par les capacités des herbivores domestiques à sélectionner des plantes à propriétés médicinales, proposent ainsi un retour à un système de pâturage « libre », où chaque animal choisi l’alimentation qui lui convient, faisant ainsi ses propres « prescriptions » (Villalba & Provenza, 2007). En effet, de nombreux champs « naturels », non exploités par l’Homme, constituent des zones de pâturage idéales, car ils contiennent une multitude de plantes différentes, beaucoup plus riches en métabolites secondaires que les fourrages habituellement distribués en élevage intensif.

Athanasiadou & Kyriazakis (2004) soulignent néanmoins que les métabolites secondaires de plantes n’ont pas nécessairement d’effets positifs : un excès de consommation peut en effet entraîner des effets secondaires indésirables sur la santé et la reproduction des animaux. Les effets anti-parasitaires de certains de ces métabolites secondaires doivent donc être considérés comme allant de pair avec leurs effets anti-nutritionnels. Ainsi, les herbivores domestiques ne pourraient bénéficier de la consommation de certains métabolites secondaires sur le long terme seulement si les effets positifs anti-parasitaires surpassent les effets anti- nutritionnels.

Un mélange de plusieurs métabolites secondaires différents permettrait de limiter la toxicité de chacun des métabolites (Villalba & Provenza, 2007). Des études montrent en effet que des moutons mangent plus lorsqu’on leur propose une nourriture contenant une grande variété de métabolites secondaires, que lorsqu’on leur offre un fourrage riche d’un ou deux métabolites secondaires (Villalba et al., 2004)

Selon Villalba & Provenza (2007), la prise en compte de des capacités d’automédication des herbivores domestiques constitue l’approche durable possédant le meilleur potentiel d’amélioration du bien-être et de la santé animale. Les programmes combinant l’utilisation raisonnée d’anti-helminthiques et un management du système de pâturage sont probablement les meilleurs pour lutter contre le parasitisme et minimiser les effets indésirables des médicaments sur le fonctionnement des sols.

72 C - Protection et bien être des animaux sauvages ou captifs

1 - Mieux comprendre, pour mieux protéger les animaux sauvages

La « santé » de notre planète n’implique pas uniquement la santé humaine, elle nécessite avant tout une prise de conscience de l’importance de la santé des animaux domestiques, des animaux sauvages et du bon fonctionnement des écosystèmes terrestres dans leur l’ensemble.

Les plantes et autres items (écorce, fruits, sols …) consommés occasionnellement par certains animaux sauvages peuvent paraître inutiles pour quiconque n’a pas connaissance de la zoopharmacognosie. Ils n’en demeurent pas moins indispensables au maintien du bon état de santé des animaux sauvages. Des études telles que celles menées depuis plusieurs années par Michael Huffman, Sabrina Krief et bien d’autres montrent combien il est important de protéger les biotopes uniques de forêts tropicales, pouvant contenir de nombreuses espèces utiles aux animaux qui y vivent, aux populations indigènes qui y habitent, mais aussi à la recherche biomédicale. Malheureusement, la pression démographique humaine, la déforestation et la dégradation de l’environnement sont autant de menaces pouvant porter atteinte aux sites de géophagie des perroquets d’Amazonie, à la disponibilité des plantes et écorces médicinales pour les chimpanzés de Tanzanie et d’Ouganda, etc.

Comprendre l’écologie d’une espèce, ses interactions avec son environnement, ses habitudes alimentaires, mais aussi connaître ses mécanismes de défense vis-à-vis de certains maladies (Ecto/endoparasitisme, paludisme…) constitue un premier pas nécessaire afin d’assurer la protection des espèces animales, a fortiori en voie de disparition/d’extinction.

2 - Zoopharmacognosie et programmes de captivité d’animaux sauvages

Les programmes de mise en captivité d’animaux sauvages doivent non seulement tenir compte des caractéristiques biologiques et comportementales propres à chaque espèce animale, mais aussi des interactions que ces dernières ont régulièrement avec leur milieu naturel, a fortiori avec les plantes médicinales (Clayton & Wolf, 1993). L’incapacité des Hommes à reconstituer des écosystèmes garantissant une bonne santé aux animaux captifs pourrait en partie découler du manque de connaissances dans le domaine de la zoopharmacognosie (Lozano, 1998).

A titre d’exemple, les gorilles de plaines (Gorilla gorilla gorilla) vivants en captivité sont sujets à une cardiopathie appelée myocardiopathie fibrosante, responsable de 41% des morts d’adultes en captivité et n’ayant jamais été décrite comme fatale chez les gorilles sauvages (Dybas, 2007). L’étiologie de cette maladie est pour le moment mal comprise, mais le régime alimentaire des gorilles élevés en zoo pourrait être en partie mis en cause. L’absence de « graines du paradis » (Aframomum melegueta), aliment de base des gorilles des plaines sauvages, aurait un effet délétère pour le cœur des ces primates. Ces graines, provenant d’une plante de la famille du gingembre, sont utilisées en médecine traditionnelle nigérienne pour leurs puissantes propriétés anti-inflammatoires (Cousins & Huffman, 2002). De part cette action anti-inflammatoire, le myocarde des gorilles serait ainsi protégé d’une inflammation, qui, quelqu’en soit sont origine (bactérienne ou virale), est toujours à l’origine de la myocardiopathie fibrosante. Des prises de sang réalisées chez les gorilles captifs du zoo

73 de Chicago ont renforcé cette hypothèse, révélant des taux de protéine C réactive (protéine produite par le foie, marqueur d’une inflammation aigue) élevés (Dybas, 2007). Cet exemple illustre combien il est important de recréer, autant que faire ce peut, le milieu naturel des animaux élevés en captivité, car pour beaucoup d’animaux aliments et médicaments ne font qu’un.

Le parasitisme des gorilles constitue également un problème majeur en captivité pour lequel des plantes du genre Afromomum pourraient constituer le facteur clef. Dans le passé de nombreux gorilles captifs ont souffert de parasitisme, alors que leurs congénères sauvages ne semblaient pas souffrir de vers. Près de 80% des gorilles captifs décédaient d’infections à oesophagostomum dans les mois suivant la mise en captivité. Le célèbre gorille albinos du zoo de Barcelone, « Flocon de neige » montra par exemple un très important taux d’œufs d’ oesophagostomum lorsqu’il fut mis en captivité. Les fruits et les tiges des espèces d’ Afromomum sont très consommés par les gorilles sauvages et vendus sur les marchés africains pour leurs propriétés anti-fongiques, anti-bactériennes et anti-helminthiques. Il est possible que l’absence de fruits et tiges de cette espèce nuise à la santé des gorilles et fasse en particulier « flamber » le parasitisme intestinal (Cousins & Huffman, 2002). De plus, Oesophagostomum est le principal parasite qui semble être contrôlé par des comportements d’automédication chez les chimpanzés (ingurgitation feuilles rugueuses, mastication tiges amères de V . amygdalina …) (Huffman & Caton, 2001 ; Huffman et al., 1993 & 1996).

Un autre exemple est celui de l’hémosidérose des lémuriens élevés en captivité. L’hémosidérose correspond à l’accumulation tissulaire pathologique d’un pigment ferrique : l’hémosidérine. Entre 1968 et 1984, le zoo de San Diego a recensé 20 cas d’hémosidéroses sur 29 lémuriens morts. La fréquence de cette maladie semble être due à un régime alimentaire de captivité trop riche en fer, mais pauvre en tanins, composés naturellement présents dans le régime alimentaire des lémuriens sauvages et capables de se lier aux molécules de fer et d’en limiter l’absorption (Spelman et al., 1989).

Les tamarins du Panama élevés en captivité présentent quant à eux de forts taux de mortalité secondaires au parasitisme. Selon Garber & Kitron (1997), l’absence de larges graines, dont le rôle de vermifuge mécanique à l’encontre des vers du genre Prosthenorchis est suspecté , pourrait expliquer ces forts taux de mortalité.

Si certains animaux font preuve d’une quelconque forme d’automédication à l’état sauvage, alors, il faut logiquement leur donner l’occasion de pratiquer à nouveau ces comportements d’automédication, si l’on souhaite assurer leur bonne santé et leur bien être en captivité. Dès lors, il ne s’agit pas seulement de reproduire l’environnement de chaque espèce, mais aussi de prendre en compte les interactions de ces espèces avec leur environnement.

Permettre l’automédication animale en captivité c’est tout d’abord éviter les interventions souvent stressantes des vétérinaires en cas de pathologie mineure. C’est également enrichir l’environnement des animaux et ainsi réduire le stress et l’ennui occasionnés par la captivité. Enfin, outre la possibilité d’approfondir nos connaissances en matière de zoopharmacognosie, un tel enrichissement de l’environnement permet aussi de sensibiliser les visiteurs de zoo aux comportements des animaux sauvages et à la nécessité de protéger leur environnement naturel (Krief, 2003).

74 Afin de favoriser l’automédication animale en captivité, divers chercheurs ont mis en place des programmes d’introduction de plantes médicinales dans les enclos de certains parcs zoologiques. En 1985, le zoo de néerlandais Apenheul a ainsi été le premier à entreprendre l’introduction de plantes arômatiques dans l’environnement de certains primates (Huffman et al. , 1998). Le projet a été mené chez des singes laineux communs (Lagothrix lagothricha) . Après avoir cerné les principales pathologies de zoo touchant ces primates, des plantes médicinales ont été choisies en conséquence et plantées dans des parcelles recouvertes par un treillis en fil de fer, afin que les singes puissent les atteindre sans les détruire. Parmi les plantes utilisées figurent des herbes aux effets « anti-stress » comme la camomille (Matricaria chamomilla) , « l’herbe à chat » (Nepeta cataria) ou la lavande (Lavandula angustifolia) , des plantes aux effets « anti- hypertenseurs » comme l’ail (Allium sativum) ou l’aubépine (Crataegus oxyacantha) et des plantes efficaces en cas d’infections urinaires comme le fenouil (Foeniculum vulgare) et l’épine-vinette (Berberis vulgaris) , une plante médicinale de la pharamacopée asiatique contenant un alcaloïde appelé « berbérine ». Les données concernant les effets de la consommation de ces plantes sur la santé et le comportement des singes laineux n’ont malheureusement pas été publiées à ce jour. L’idée aurait également été appliquée dans d’autres zoos comme celui de Denver (Colorado) ou dans d’autres parcs zoologiques tels que « la vallée des singes » en France (Huffman et al. , 1998). Des singes écureuils de Bolivie ( Saimiri boliviensis ) du zoo hollandais d’Apenheul, ainsi que du parc zoologique français « la vallée des singes », ont aussi disposé d’un enrichissement de diverses plantes arômatiques durant quatre années consécutives (Van Asseldonk & Haas, 2006). Tout au long de ces années, les singes ont spontanément échantillonné environ 20% des nouvelles herbes mises à disposition, consommant certaines régulièrement et d’autres de façon plus anecdotique. Malheureusement, aucun critère scientifique particulier n’a été suivi dans cette étude afin de qualifier ou quantifier précisément les effets de l’introduction de plantes arômatiques sur le bien être des singes. Selon les auteurs, les plantes arômatiques ont probablement un effet positif sur la santé des singes, ces derniers pouvant compléter à leur guise leur ration de zoo en anti-oxydants et minéraux.

S’interroger sur les capacités d’automédication d’un animal conduit souvent à approfondir nos connaissances relatives à l’écologie d’une espèce, chose indispensable pour quiconque souhaite assurer des conditions de captivité idéales à n’importe quelle espèce animale.

3 - Zoopharmacognosie et programmes de réintroduction

La réussite des programmes de réintroduction d’animaux à la vie sauvage pourrait également être affectée par la prise en compte, ou non, de l’existence de capacités d’automédication chez les animaux, en particulier chez les grands singes (Krief, 2003). En effet, à supposer que les comportements d’automédication soient transmis culturellement, la santé de jeunes animaux captifs ou nés en captivité pourrait pâtir de l’absence de transmission des comportements d’automédication par leurs pairs. Des animaux « naïfs » n’ayant jamais été en contact avec leurs semblables sauvages pourraient par exemple souffrir d’importants parasitismes lors de leur retour à la vie sauvage (Lozano, 1998).

75 D - Origines de la médecine humaine par les plantes ?

Comment l’Homme a-t-il appris à sélectionner des plantes pour ses propriétés médicinales ? Des nos jours encore, les origines de la médecine humaine demeurent mystérieuses. La clef se trouve peut-être dans l’étude du comportement de nos plus proches « cousins » : les chimpanzés, avec qui nous partageons une proximité phylogénique unique. En effet, nos ancêtres communs avec le chimpanzé ne remontent, semble-t-il, qu’à 6 millions d’années, et en tant que primates, nous partageons plus de 50 millions d’années d’ « histoire commune ».

Les études de Michael Huffman montrent que l’Homme et les chimpanzés possèdent une pharmacopée naturelle en commun, puisque parmi les 172 espèces de plantes consommées par les chimpanzés de Mahale, 22 % sont par exemple utilisées en ethnomédecine dans le traitement des troubles gastro-intestinaux, y compris le parasitisme. (Huffman, 2003). S’ajoute à cela l’existence de fortes ressemblances concernant les critères de sélection des plantes chez les grands singes africains - en réaction à un parasitisme ou à des troubles gastro-intestinaux par exemple - et les utilisations médicinales traditionnelles humaines faites de ces plantes. Les utilisations thérapeutiques traditionnelles de Vernonia amygdalina ont par exemple d’étonnantes similarités avec les conditions dans lesquelles les scientifiques ont pu observer les chimpanzés en ingérer la moelle (Huffman, 2003). Ainsi, certains auteurs, à l’instar de Mickael Huffman, ont été amenés à y voir les prémices de la médecine humaine (Huffman, 2001). Nos ancêtres les plus lointains ont probablement présenté des similarités dans les critères de sélections des plantes, tout comme les singes actuels en présentent avec l’Homme. L’exploration des éventuels comportements d’automédication chez les grands singes pourrait apporter des informations significatives sur les critères tels que le goût, l’odeur ou la texture des plantes qui ont déterminé les premières utilisations de plantes à des fins curatives chez les Hommes (Huffman, 2000).

Les chercheurs français du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris sont également convaincus que les études visant à comprendre la sélection alimentaire chez les grands singes offrent l’opportunité de mieux comprendre les origines de l’usage différentiel des plantes pour leurs qualités nutritionnelles ou pour leurs propriétés médicinales chez l’Homme (Masi et al ., 2012). Les données de l’étude de Masi et al. (2012), comparant gorilles des plaines et chimpanzés, suggèrent que chez l’Homme, la tolérance sociale élevée et l’absence de spécialisation digestive parmi de multiples autres facteurs ont probablement été des facteurs favorables à l’apparition et au développement d’un répertoire de plantes médicinales. En effet, tout comme les gorilles des plaines, les chimpanzés ont besoin de compléter leur régime alimentaire par l’ingestion de métabolites secondaires prophylactiques, cependant contrairement aux gorilles - qui possèdent des capacités de détoxification spécifiques leur permettant d’ingérer d’importantes quantités quotidiennes de métabolites secondaires - en l’absence d’adaptations physiologiques de détoxification, leur ingestion de métabolites secondaires est limitée par la toxicité de ces derniers. Selon Masi et al. (2012), ces différences de capacités ont pu mener les chimpanzés et leurs ancêtres communs avec l’Homme à consommer les métabolites secondaires bioactifs des plantes en association avec un stimuli (malaise, inconfort…) et non de façon permanente, créant ainsi de subtiles différences entre aliment et médicament.

Au cours de l’évolution, plusieurs événements marquants ont très probablement contribué au développement et à l’unicité de la médecine chez l’Homme : l’avènement du langage, permettant aux Hommes de partager leurs connaissances acquises sur les propriétés

76 bienfaisantes des plantes de leur environnement ; mais aussi l’apparition de la préparation de la nourriture (cuisson) et de techniques de désintoxication de l’alimentation, permettant une utilisation plus sûre d’un plus large éventail de plantes (Johns, 1990). Néanmoins, Johns (1990) pense qu’au fil de l’évolution, ces bouleversements ont pu également faire disparaître petit à petit les métabolites secondaires des plantes du régime alimentaire quotidien des Hommes, une plus grande spécialisation de leur utilisation en tant que remède s’installant au fur et à mesure.

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L’étude de la zoopharmacognosie nécessite une coopération pluridisciplinaire incluant vétérinaires, éthologues, primatologues, botanistes, phytochimistes, parasitologues, ethnologues… Le groupe « CHIMPP » (Chemo-ethology of Hominoïd Interactions with Medicinal Plants and Parasites) qui effectue des recherches dans les montagnes de Mahale en Tanzanie, constitue un parfait exemple de ce type de collaboration. Les enjeux de cette nouvelle science sont aussi nombreux que les domaines auxquels elle fait appel : bien-être et santé animale (médecine vétérinaire), recherche de nouveaux médicaments (phytochimie/botanique/médecine humaine et vétérinaire), approfondissement des connaissances relatives au comportement et aux capacités cognitives des animaux (éthologie/primatologie), lutte contre le parasitisme (parasitologie/médecine vétérinaire d’élevage) … Pour toutes ces raisons, les études relatives à la zoopharmacognosie, aussi complexes et chronophages soient-elles, méritent d’être poursuivies et approfondies.

77

78 CONCLUSION

L’existence de comportements d’automédication chez l’animal fait toujours débat au sein de la communauté scientifique. Au cours des dernières décennies, les observations d’utilisations spontanées - par les chimpanzés et d’autres animaux n’appartenant pas nécessairement au taxon des primates - de produits végétaux ou minéraux que l’on serait tenté de qualifier de « médicamenteux » se sont accumulées. Toutefois, avant même d’analyser les bases biologiques de ces phénomènes, il est indispensable de se garder d’un anthropocentrisme réducteur. Des interprétations trop dépendantes de notre culture peuvent en effet fausser les résultats, car comme le souligne Hladik (1998), la frontière entre la description d’un comportement animal et son interprétation dans le cadre de concepts propres à nos sociétés occidentales est mince et aisément franchie. Ainsi, concernant de nombreuses substances, vouloir classer et identifier un produit comme « médicament » plutôt que comme « aliment » se rapporte essentiellement des catégories sémantiques définies dans les civilisations humaines. Selon Hladik (1998), attribuer aux animaux, y compris aux primates, la capacité de distinction entre aliment et médicament relèverait d’interprétations anthropomorphiques réductrices. Reste que certains comportements, tels que la mastication des tiges amères de Vernonia amygdalina ne peuvent se confondre, avec l’ingestion d’un aliment.

Si les études relevant du domaine de zoopharmacognosie n’apportent pour le moment aucune preuve de l’existence d’une conscience animale de la maladie et des soins nécessaires pour lutter contre cette maladie, certaines de ces études soulignent toutefois des traits comportementaux et écologiques singuliers, permettant aux animaux de tirer bénéfice de l’incroyable richesse de leur environnement et de maintenir un bon état de santé.

Bien que l’impact de la zoopharmacognosie sur la recherche de nouveaux médicaments humains ou vétérinaires soit modéré pour le moment, la poursuite des études s’avère nécessaire, puisqu’elle contribue indéniablement à enrichir nos connaissances dans des domaines aussi diverses que l’écologie, l’éthologie, la conservation, la protection et le bien-être des espèces animales. Enfin, de telles études permettent également de mettre en avant la nécessité de la protection des biotopes tropicaux, sources inexplorées et potentiellement riches d’une myriade d’espèces utiles à la recherche biomédicale.

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« Apes are caught between two worlds, of human and non-human conciousness. Ape observers are caught between two parallel worlds, between being convinced of apes mental complexity and finding them hard to prove […] Even if we can’t prove claims about what apes know and think and feel, though, we will make more mistakes by ignoring such signs of mental power than by taking them seriously. With apes, too many intriguing stories suggest that there are minds in the forest. »

Richard Wrangham and Dale Peterson In Demonic Males, Apes and the origins of human violence (1996).

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96 ÉTUDE BIBLIOGRAPHIQUE DES PHÉNOMÈNES D’AUTOMÉDICATION PAR LES PLANTES ET LES PRODUITS MINÉRAUX CHEZ L’ANIMAL : Impact de la recherche en zoopharmacognosie

NOM et Prénom : FORTIN Gaëlle

Résumé L’auto-administration de composés que l’on pourrait qualifier de « médicamenteux », par des chimpanzés et par d’autres animaux non primates, a été démontrée au cours de la dernière décennie. La majorité de ces composés proviennent de plantes qui sont ingérées et possèdent une action à l’encontre des parasites. De nombreuses études font ainsi état d’ingestions de plantes aux propriétés thérapeutiques, prélevées dans le milieu naturel. Ces plantes n’appartiennent pas au régime alimentaire habituel de l’espèce animale étudiée et semblent améliorer son état de santé. D’autres modes d’automédication sont toutefois suspectés : application topique de plantes, voire d’insectes sur la fourrure ou le plumage, ajout de plantes aromatiques dans les nids, ou encore ingestion de terre ou de charbon. En tant que médiateurs des interactions plantes-animaux, les métabolites secondaires des plantes influencent les comportements alimentaires des animaux et tiennent un rôle central conditionnant l’existence des comportements dits d’automédication. Probablement acquis et maintenus via des mécanismes neurophysiologiques régissant les préférences et les aversions alimentaires, les comportements d’automédication dépendent également d’un apprentissage social, voire passent par une certaine tradition culturelle chez certaines espèces telles que les chimpanzés. Des études supplémentaires restent cependant nécessaires afin d’explorer les éventuelles preuves de l’intentionnalité de tels comportements. Si la zoopharmacognosie offre quelques perspectives de découverte de nouveaux principes actifs de médicaments humains ou vétérinaires, elle offre surtout la possibilité d’étudier des aspects insoupçonnés du comportement animal et demeure primordiale afin d’assurer la protection et le bien-être des animaux sauvages et captifs d’élevages ou de zoos.

Mots clés : ZOOPHARMACOGNOSIE, AUTOMÉDICATION ANIMALE, PLANTE MÉDICINALE, GÉOPHAGIE, MÉTABOLITE SECONDAIRE, PLANTE, COMPORTEMENT ANIMAL, COMPORTEMENT ALIMENTAIRE, BIEN-ÊTRE ANIMAL.

Jury :

Président : Pr. Directeur : M. Renaud TISSIER Assesseur : M. Bertrand DEPUTTE

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LITERATURE STUDY OF SELF-MEDICATION PHENOMENA THROUGH PLANTS AND MINERAL PRODUCTS IN ANIMAL : Impact of research in zoopharmacognosy

SURNAME : FORTIN Given name : Gaëlle

Summary The spontaneous use of products that could be called "medication" by chimpanzees and some other non-primate animals has been observed during the last decade. The majorities of these products are issued from plants that could be ingested and exert an action against parasites. Numerous studies have reported ingestions of plants with therapeutic properties, taken from the natural environment, not belonging to the regular diet of an animal or a group and improving the health condition of sick animals. However, other modes of self-medication are suspected : topical plants or insects application on the fur or plumage, addition of aromatic plants in the nest and ingestion of soil or coal. As mediators of interactions between plants and animals, plant secondary metabolites influence the eating habits of animals and have a central status for the existence of self- medication behaviors. Probably acquired and maintained through neurophysiological mechanisms governing preferences and food aversions, self-medication behaviors also depend on social learning, or even go through a certain cultural tradition in some species such as chimpanzees. Further studies are still needed to explore the possible evidence of intentionality of such behavior. If zoopharmacognozy offer some prospects of discovering new active molecule of medicinal products for human or veterinary use, it offers the possibility of studying most unexpected aspects of animal behavior and is essential to ensure the protection and welfare of wild and captive animals of farms or zoos.

Keywords : ZOOPHARMACOGNOSY, ANIMAL SELF-MEDICATION, MEDICINAL HERB, GEOPHAGY, SECONDARY METABOLITE, PLANT, ANIMAL BEHAVIOR, FEEDING HABITS, ANIMAL WELFARE.

Jury :

President : Pr. Director : M. Renaud TISSIER Assessor : M. Bertrand DEPUTTE

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