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Campanile et autres gastéropodes lutétiens (Eocène) de Fleury-la-Rivière, Marne

Article · January 2012

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Philippe Courville Université de Rennes 1

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Campanile et autres gastéropodes lutétiens (Eocène) de Fleury-la-Rivière, Marne

Philippe COURVILLE (1)

(1) Université de Rennes-1/UMR CNRS 6118 Géosciences Rennes, Campus Beaulieu, 35042 Rennes Cedex - [email protected]

Campanile and other Lutetian gastropods (Eocene) of Fleury-la-Rivière (Marne, France). - Abstract: Hundreds of taxa belonging to (mainly gastropods and bivalves) occur in the ‘Tuffeau de Damery’ Formation, Middle Lutetian (Eocene), in the Fleury-la-Rivière area (Marne department, Paris Basin, France). Beside the famous giant Campanile giganteum, the commonest or most characteristic gastropods belong to highly diversified taxa : Ampullinidae, Stromboidea (mainly Rimella, rarer Xenophora and uncommon Hippochrene), Cerithidae, Potamidae, Turritellidae, Naticidae, Sycum, Clavilithes and diversified Volutidae, Olividae and Conidae. These taxa do not co-occur but several associations characterize various sandy levels corresponding to various marine depositional environments. The basal transgressive levels excepted, none represent littoral facies. The deepest environments may correspond to those yielding the condensed concentration with Campanile. Keywords: Mollusca, , Lutetian, Eocene, Fleury-la-Rivière, Paris Basin.

es sables consolidés du “Tuffeau de Damery”, d’âge Lutétien moyen, affleurent Lsur plusieurs kilomètres au nord-ouest de Reims (fig. 1-A). Ses faunes (mollusques, gastéropodes notamment) sont classiques dans les collections, en raison d’une part, de leur conservation remarquable et, d’autre part, de l’abondance locale de l’emblématique “cérithe géant”. A l’heure actuelle, les affleurements sont devenus rares, mais les couches sont bien visibles à l’intérieur de la galerie-musée de M. Legrand- Latour, à Fleury-la-Rivière (Marne). Historiquement, les gisements de “Damery” et, plus particulièrement la carrière de Venteuil, à l’ouest de Fleury-la-Rivière, ont été parmi les premiers mentionnés dans le Bassin parisien par Palissy (1580). Récemment, le “Tuffeau de Damery” et ses affleurements ont été pris en compte en tant que coupes complémentaires dans le cadre des révisions successives du Lutétien stratotypique (coupes-types à Paris). De nombreuses données ont été synthétisées en 1980 (Blondeau in Cavelier & Roger) et, surtout, revisitées et développées in Merle (2008). Aspects géologiques Les sables fins, généralement brun clair et consolidés, exposés dans le secteur de Fleury-la- Rivière couvrent partiellement la partie moyenne de l’étage Lutétien (“Tuffeau de Damery” Auct.) ; ils constituent une série épaisse d’une quinzaine de mètres. Dans le détail, elle n’est homogène ni Fig. 1 - A : localisation lithologiquement (lecture verticale = temporelle géographique des gisements ou géographique), ni paléontologiquement. lutétiens de Fleury-la-Rivière A l’heure actuelle, les bons affleurements sont (Marne). B : unités intra-Lutétien rares, les exploitations anciennes, dangereuses, moyen observées dans la “Cave aux Coquillages”. C, D, E : éléments ayant été remblayées. fauniques caractéristiques ; C, Teredina Néanmoins, les niveaux principaux, notam- personata LAMARCK 1806 [banc 1 ; ment ceux à Campanile ayant fait la célébrité h = 67 mm] ; D, faciès 5a, où prolifère paléontologique du secteur, sont observables dans Sigmesalia intermedia (DESHAYES 1832) la galerie-musée de Fleury-la-Rivière (“Cave aux [h = 145 mm] ; E : le célèbre Campanile giganteum (LAMARCK 1804) Coquillages”). Entre 2005 et 2008, des travaux de [banc 4, h = 415 mm] (récolte / prép. / levers de coupes et d’inventaire détaillés ont été coll. : P.C.-Rennes 1 - clichés : P. L.). réalisés (Blomme, 2007) et publiés (Merle & Courville, in Merle, 2008). Certains échantillons collectés sont l’ouest. Au-dessus de sables fauves ou verdâtres peu toujours en cours d’étude à Rennes (F. Polette). consolidés à boules gréseuses, concrétionnements racinaires et Les observations ponctuelles de la galerie sont extra- fer au sommet (âge Cuisien ?), la série est constituée par polables sur plusieurs kilomètres, vers l’est comme vers 6 unités distinctes (fig. 1-B) :

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Fig. 2 - Quelques gastéropodes classiques dans les sables du Lutétien moyen ; région de Fleury-la-Rivière (“Damery”, Marne) [Tous figurés à la même échelle, x 1 – récolte / prép. / coll. P.C.-Rennes 1 - clichés : P. L.]. 1 : Crommium willemeti (DESHAYES 1824) ; 2 : Globularia sigaretina (LAMARCK 1804) ; 3 : Sigmesalia intermedia (DESHAYES 1832) ; 4 : Pyrazus angulatus (SOLANDER in BRANDER 1766) ; 5 : Serratocerithium serratum (BRUGUIÈRE 1792) ; 6 : Hippochrenes gr. murchisoni (DESHAYES 1865) ; 7 : Rimella fissurella (LINNÉ 1767) ; 8 : Xenophora agglutinans (LAMARCK 1804) ; 9 : Sycum bulbus (SOLANDER in BRANDER 1766) ; 10 : Cepatia cepacea (LAMARCK 1804) ; 11 : Clavilithes parisiensis (MAYER-EYMAR 1877) ; 12 : Athleta spinosus (LINNÉ 1758) ; 13 : Plejona mitrata (DESHAYES 1835) ; 14 : Cryptocorda stromboides (HERMANN 1791) ; 15 : Amalda dubia (DESHAYES 1830) ; 16 : Ancillus buccinoides (LAMARCK 1802) ; 17 : Conus deperditus (BRUGUIÈRE 1792) ; 18 : Crytoconus elongatus (DESHAYES 1834).

1 : transgressive sur les sables précédents et de lithologie état laisse souvent à désirer. Il est surtout remarquable par grossière à lits microconglomératiques, elle livre de nombreux l’accumulation des “cérithes géants” (fig. 1-E) [en fait, débris de bois, d’huîtres et d’autres coquilles, et quelques Campanile giganteum (LAMARCK 1804) appartient à une autre restes de vertébrés. La fin de l’unité montre une alternance de famille, les ]. Ces derniers sont souvent très bancs ou lamines dures et tendres, où abondent les bivalves altérés, en liaison avec l’action cumulée de courants et de bio- (accumulations de cardites et crassatelles). Au sommet, corrosion. Comme tous les autres gros gastéropodes, ils sont oursins, nombreux débris phosphatés et térédines (objets généralement encroûtés par d’innombrables petites huîtres remaniés ?) (0,25 à 0,4 m) ; (0,4 m ou moins) ; 2 : plus homogène, avec un sable fin consolidé clair ; faune 5 : hétérogène, claire et argileuse, consolidée à la base finement conservée, mais plutôt dispersée, bien que diversifiée (fig. 1-B > 5a), et inversement au sommet (> 5b). Grandes (bivalves et gastéropodes). Au sommet, sont récoltés les formes rares, dont les ultimes Campanile. Macrofaune premiers “cérithes géants” (1,5 m) ; excessivement abondante dans le niveau 5a, mais assez peu 3 : plus argileuse et plus sombre ; même faune que diversifiée ; Sigmesalia intermedia (DESHAYES 1832) est ici une précédemment, mais plus abondante et moins bien conservée ; “turritelle” qui prolifère (0,3 à 0,5 m) ; foraminifères abondants (0,5 m) ; 6 : dernière unité visible dans la galerie sur 0,5 m ; sable 4 : très sombre et argileuse, consolidée. C’est le niveau argileux sombre et mal lité, très fossilifère. Fossiles très d’accumulation ou concentration le plus spectaculaire à cause fragiles mais parfois très bien préservés, avec d’assez de sa richesse et des gastéropodes très diversifiés, même si leur nombreux cônes et “strombes”.

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Au-dessus de ces faciès, on peut parfois observer dans la beaucoup moins, et il est impossible d’en donner ici un région des sables fins verdâtres non consolidés, riches en petits inventaire détaillé. Toutes ont en commun un état de bivalves et “cérithes” variés. préservation souvent excellent, avec une teinte brune caractéristique (imprégnation par du fer ?) ; dans certains Milieu(x) de dépôt du “Tuffeau de Damery” niveaux ou dans des lieux où l’enfouissement a été particulièrement rapide, la préservation a pu être remarquable : Hétérogène, la formation caractérise une succession de “patterns” (motifs, et non la coloration) directement visibles milieux variés. Tous marins, mais de profondeur changeante au des Campanile, mitres, cônes, Sycum ou volutes ; vestiges de cours du temps, ils traduisent directement une série assez périostracum… régulièrement transgressive sur les sables cuisiens continentaux. Les arguments sédimentologiques et paléobiologiques ont été Quelques gastéropodes “classiques” ou caratéristiques : développés in Blomme (2007) et synthétisés par Merle et la majorité des formes illustrées figure 2 peut être trouvée dans Courville (in Merle, 2008). la plupart des niveaux postérieurs à 2, avec une abondance Seuls les niveaux de l’unité 1 ont un caractère littoral toutefois très variable. prononcé. Au-dessus, tous traduisent des paléomilieux de dépôt • Grande fréquence de l’Ampullinidae Crommium willemeti marins francs plus profonds, toujours situés sous la zone de (DESHAYES 1824), à coquille globuleuse à apex pointu, balancement des marées (profondeurs probables oscillant entre appartenant aux , malgré son aspect une vingtaine et une cinquantaine de mètres). Les milieux sont “naticiforme” (fig. 2:1) ; relative abondance d’une forme parfois relativement calmes (niveaux 2, 5, 6), parfois beaucoup voisine, plus grande et gibbeuse, Globularia sigaretina plus agités. Particulièrement, l’analyse du niveau 4 à Campanile (LAMARCK 1804) (fig. 2:2). a montré que sa genèse était dépendante de courants forts • Parmi les “cérithes vrais”, potamides et turritelles, unidirectionnels (organismes portant les stigmates de Sigmesalia intermedia (DESHAYES 1832) pullule, notamment au déplacements peut-être importants) ; le dépôt s’est, en outre, début du niveau 5 (fig. 2:3). Dans la région, les autres “Mesalia” formé à une profondeur significative (et non pas au voisinage sont rares ; d’autres taxons apparaissent vers l’ouest… Le d’une plage) et dans un contexte où le taux de sédimentation est potamide Pyrazus angulatus (SOLANDER in BRANDER 1766) est faible (épaisseur faible du banc et encroûtements massifs une forme assez rare, mais que ses nodosités marquées et des organismes stagnant longtemps sur le fond avant son tour anguleux rendent facile à identifier (fig. 2:4). enfouissement). Il est clair que la constitution de cette bio- Serratocerithium serratum (BRUGUIÈRE 1792) est un cérithe concentration/accumulation a pris du temps et correspond à un atteignant facilement 7-8 cm, très rare dans le “Tuffeau de niveau légèrement condensé. La présence “massive” des Damery”, plus fréquente dans les sables postérieurs (fig. 2:5). Campanile n’a rien à voir avec une sorte “d’extinction de • Parmi les Stromboidea, Hippochrenes gr. murchisoni masse”, et d’autant moins que C. giganteum n’a pas disparu sans (DESHAYES 1865) est une belle espèce de taille moyenne au laisser une “lignée” de descendants directs (fin de l’Eocène à labre fragile très étendu ; peu commun, il apparaît dans les Actuel). L’accumulation de Sigmesalia et autres turritelles dans unités récentes (fig. 2:6). A l’inverse, la petite Rimella le niveau 5a correspond à un milieu calme, peu profond, où fissurella (LINNÉ 1767) est présente partout et parfois devaient s’épanouir les herbiers abritant ces herbivores… proliférante (fig. 2:7). Peu rare, Xenophora agglutinans (LAMARCK 1804) est rarement récolté avec ses collections de Contenu paléobiologique du “Tuffeau de Damery” petites cardites (fig. 2:8). • Espèce à la position discutée (Melongenidae ?), Sycum Structure générale des peuplements et des récoltes : à bulbus (SOLANDER in BRANDER 1766), est très abondant et l’échelle du Lutétien de la région stratotypique, l’inventaire de caractéristique, mais rarement bien préservé. Les “patterns” la biodiversité fait état d’un peu plus de 3 000 taxons, dont sont conservés dans les unités récentes (fig. 2:9). pratiquement 2 000 mollusques. Les fossiles récoltés dans les • La natice Cepatia cepacea (LAMARCK 1804) est peu sables du Lutétien moyen de la région de Fleury-la-Rivière commune, du moins les grands individus intacts (fig. 2:10). traduisent cette structuration. Pour l’essentiel, ce sont des • A Damery, les “fuseaux” comprennent une cohorte mollusques qui sont récoltés (environ 2/3 de gastéropodes importante d’espèces très variables, dont Clavilithes gr. contre 1/3 de bivalves et éléments fauniques “traces”), sachant parisiensis (MAYER-EYMAR 1877) ; si ce n’est pas la plus que les compositions fauniques des différents bancs varient commune, elle a une morphologie adulte typique, lisse et fortement, conséquence des paléomilieux qu’ils traduisent (cf. carénée, avec un très long et gracile canal antérieur (fig. 2:11). supra). Des bivalves fragmentaires sont presque exclusivement • De nombreuses espèces de volutes et d’olives (fig. 2:12- récoltés dans les premiers bancs transgressifs sur les sables 16) ont des coquilles parfois spectaculaires ou colorées. cuisiens. Les gastéropodes sont plus abondants par la suite et Classiquement, la typique et petite Athleta spinosus (LINNÉ mieux conservés, prédominants même dans les niveaux 3 et 4. 1758) est souvent proliférante. Plus massive et trapue, Plejona Dans le dernier, les grandes formes sont fortement mitrata (DESHAYES 1835) est moins commune. Fréquent dans représentées ; on se méfiera pourtant de l’importance certains bancs ou localement, Cryptochorda stromboides quantitative réelle des Campanile, que leur taille énorme rend (HERMANN 1791) est remarquable par sa surface vernissée très apparemment prédominants. En fait, ils correspondent à un “colorée”. La petite olive à spire peu visible Amalda dubia pourcentage très faible des grands gastéropodes collectés (DESHAYES 1830) est abondante partout, tandis que la (moins de 1 %), sans oublier qu’ils ne sont pas autochtones plus grande espèce à bande antérieure “colorée” Ancillus dans le banc qui les livre. La surconcentration des fossiles dans buccinoides (LAMARCK 1802) est ici moins fréquente. ce banc est aussi un artefact directement lié à une période • Enfin, les cônes (fig. 2:17) et cryptocônes (fig. 2:18) sont brève de vacuité sédimentaire. A l’inverse, l’accumulation de plus rares dans le secteur de Fleury-la-Rivière, particulièrement Sigmesalia dans le niveau 5a est probablement une bonne s’ils sont grands, ou montrent une ouverture intacte et les traduction du milieu de vie réel de ces organismes. traces de “patterns” de coloration. ■ Outre les Campanile, qui appartiennent probablement à une seule espèce variable (Blomme, 2007), le “Tuffeau de Damery” Remerciements : ils vont à M. Legrand-Latour, “creuseur” de la a livré environ 300 espèces de gastéropodes, la plupart étant galerie-musée “La Cave aux Coquillages” à Fleury-la-Rivière. Il a très petites. Certaines sont excessivement fréquentes, d’autres permis à B. Blomme et moi-même l’accès au chantier, en 2005 et 2006. Références bibliographiques

Blomme, B., 2007 - Campanile giganteum (LAMARCK 1804) à Fleury-la-Rivière (Lutétien du et Ed. B.R.G.M., 1-288. Bassin parisien, France). Aspects paléo-écologiques, taphonomiques, historiques. Mém. Palissy, B., 1580 - Discours admirables, de la nature des eaux et fontaines, tant naturelles D.S.E.R. univ. Lille-1, LP3 : 1-40. qu’artificielles, des métaux, des sels et salines, des pierres, des terres, du feu et des émaux. Blondeau, A., 1980 - Etage Lutétien. In Les étages français et leurs stratotypes, Cavelier, C. & Avec plusieurs autres excellents secrets des choses naturelles. Plus un traité de la marne, fort Roger, J., (éd.), Mém. B.R.G.M., 109 : 1-256. utile et nécessaire pour ceux qui se mêlent de l’agriculture. Le tout dressé par dialogues, Merle, D., (coord.), 2008 - Stratotype Lutétien. Museum national d’Histoire naturelle, Biotope lesquels sont introduits la théorie et la pratique. Marin le Jeune, Paris : 1-361.

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