Bilinguisme, Enrichissements Et Conflits Isabelle Felici

Bilinguisme, Enrichissements Et Conflits Isabelle Felici

Bilinguisme, enrichissements et conflits Isabelle Felici To cite this version: Isabelle Felici. Bilinguisme, enrichissements et conflits. Felici Isabelle. Champion, 371 p., 2000. hal-03051074 HAL Id: hal-03051074 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03051074 Submitted on 15 Aug 2021 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. BILINGUISME : ENRICHISSEMENTS ET CONFLITS Actes du colloque organisé à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Université de Toulon et du Var les 26, 27 et 28 mars 1999 Réunis par Isabelle Felici REMERCIEMENTS Je tiens à remercier le Président de l'Université de Toulon et du Var, Jean-Louis Vernet, pour son soutien dans l'organisation de ce colloque, le centre de recherche Babel et James Dauphiné, doyen de la Faculté de Lettres et des Sciences Humaines, à l'origine du projet, ainsi que Jean-Charles Vegliante, du centre CIRCE (Centre Interdisciplinaire de Recherche sur la Culture des Échanges) de Paris III, pour son aide dans le choix des interventions. Merci aux instances qui, grâce à leur financement, ont permis au projet de voir le jour (Conseil scientifique de l'Université de Toulon et du Var, centre Babel, Ministère de l'Éducation Nationale, Conseil général du Var, Service des Affaires Culturelles de l'Université de Toulon et du Var). Je remercie également tous les personnels de l'Université de Toulon et du Var que j'ai mis à contribution, en particulier Françoise Aimé, au secrétariat de la Faculté de Lettres et des Sciences Humaines, ainsi que les étudiantes de maîtrise LEA, Caroline Frichemann et Stéphanne Le Quéré, qui, dans le cadre de leur stage professionnel, m'ont aidée pour l'organisation pratique du colloque. AVANT-PROPOS C'est au sein d'une Faculté de Lettres et Sciences Humaines soucieuse de développer ses activités de recherche qu'est née l'idée d'un colloque sur le bilinguisme. Ce thème fédérateur ne pouvait que convenir à cette jeune faculté étant donné son caractère pluriel (quatre langues enseignées dans la filière Langues Étrangères Appliquées, filière Lettres Modernes et Anglais). Dès le départ, la nécessité d'une vision interdisciplinaire s'est donc imposée, pour permettre aux chercheurs toulonnais de s'investir dans cette entreprise. L'interdisciplinarité est apparue aussi comme une nécessité scientifique, bien que le système universitaire français ne la favorise pas et que beaucoup de chercheurs, très attachés à leur étiquette, résistent encore trop souvent à l'ouverture qu'implique inévitablement l'interdisciplinarité. Grâce à ce choix interdisciplinaire, ce colloque met en regard des situations de bilinguisme (mais souvent de trilinguisme, voire de quadrilinguisme) très différents, analysées par des spécialités de disciplines très variées (histoire, sociologie, linguistique, langues, littérature). Ce sont ces différences que le programme des journées d'étude a tenté de refléter grâce à un découpage qui pourra sembler artificiel dans la mesure où certaines interventions auraient pu figurer dans deux ou trois demi-journées étant donné justement leur caractère interdisciplinaire, mais qui a le mérite de faire ressortir quelques grands thèmes : l'histoire au sens très large, avec des interventions qui évoquent des situations linguistiques passées mais étonnamment modernes, la littérature, lorsque au problème de la création littéraire s'ajoute celui de langue de création, voire du passage d'une langue à l'autre, enfin les bilinguismes régionaux et l'émigration, en France et dans d'autres régions du monde. Certes, tous les cas de figure n'ont pas pu être envisagés, toutes les zones géographiques ne sont pas représentées. Certains manques s'expliquent par des empêchements de dernière minute, d'autres par une absence de propositions ce qui en soi peut aussi être révélateur. Toujours est-il que les possibilités sont vastes et que d'autres manifestations de ce genre peuvent encore avoir lieu, nombreuses. QUELQUES APPROCHES HISTORIQUES CATALOGNE : DE LA DIGLOSSIE À LA TENTATION HÉGÉMONIQUE «Hable usted en cristiano», «Parlez comme un chrétien», «Parlez la langue chrétienne», c'est ainsi que l'on intimidait ou que l'on culpabilisait celui qui pouvait avoir le mauvais réflexe de s'adresser aux autres en catalan. Cette apostrophe, subtil raccourci du mépris néocolonialiste des Castillans sous le régime franquiste, résume bien les siècles de conflits linguistiques et politiques entre la Castille et les royaumes périphériques, en l'occurrence, la Catalogne ; car la question de la langue en Catalogne ne peut être envisagée du Moyen-Âge à nos jours en dehors du cadre politique. Nous distinguerons d'abord quatre étapes dans l'histoire du conflit linguistique en Catalogne, puis nous aborderons, avec l'avènement de la démocratie, l'impact du droit et de l'action politique sur la situation de la langue. LANGUE ET HISTOIRE L'âge d'or de la langue catalane1 du XIIIe au XIVe siècle correspond à l'apogée de la thalassocratie du royaume d'Aragon2. Le catalan, qui illustre aussi bien les chroniques du roi Jaume Ier que les écrits scientifiques et littéraires du majorquin Ramón Llull, s'impose comme langue internationale : il se parle jusqu'au Vatican. À l'intérieur du royaume, il est utilisé par tous, sans différence de catégories sociales et dans toutes les situations. À la fin du XVe siècle enfin, l'imprimerie, non seulement permet d'asseoir la codification linguistique et syntaxique en divulguant les œuvres mais répond aussi à la demande croissante de la bourgeoisie marchande qui, par sa volonté d'alphabétisation et sa soif de culture, aspire à devenir une classe hégémonique. Le lent déclin de la Couronne d'Aragon et de la langue catalane commence paradoxalement avec le mariage de Ferdinand d'Aragon et d'Isabelle de Castille en 1469 et se poursuit avec la découverte du Nouveau Monde et le déplacement des pôles d'attraction économique de la Méditerranée vers l'Atlantique. L'expansionnisme de la Castille sur toutes les terres du monde connu – n'oublions pas la devise orgueilleuse des Habsbourgs : «le soleil ne se couche jamais sur l'empire de Charles Quint»– éclipse le royaume dont la langue s'affaiblit surtout à partir de la Contre-Réforme sous la poussée du centralisme castillan et de son rôle moteur dans la géopolitique européenne. Le processus s'aggrave au XVIIIe siècle avec l'arrivée des Bourbons. Ceux-ci ne pardonneront pas à la Catalogne d'avoir pris le parti de l'archiduc d'Autriche et de s'être alliée avec l'Angleterre ; après 1714, ils réprimeront non seulement toute velléité politique mais s'attaqueront aux fondements même de l'identité catalane. Les décrets de la Nova Planta interdisent en effet de parler et d'enseigner le catalan. Tous les actes administratifs sont désormais pris en castillan. Un geste symbolique : de même que le pouvoir de Madrid a fait raser la forteresse de Montjuich, symbole de la résistance politique, de même on déplace l'Université de Barcelone qui sera transférée à Cervera. Suite logique à la dynamique historique amorcée au XVIe siècle, la langue castillane est considérée comme celle de la nation, et de nation, il n'en est qu'une : l'Espagne. Jusqu'au XVIIIe siècle, la Catalogne se trouve de fait dans une situation de bilinguisme diglossique ; le catalan avait perdu du terrain d'un point de vue quantitatif mais aussi qualitatif, la langue s'était appauvrie : les castellanismes et les barbarismes des textes de l'époque en témoignent. Dans la dialectique pouvoir politique/langue, l'aristocratie opportuniste assume ses contradictions et pratique le castillan, langue du pouvoir, langue de la classe dominante : la langue de prestige. L'utilitarisme fait le reste dans tous les domaines et notamment pour la bourgeoisie marchande en déclin. Tandis que les élites au pouvoir adoptent le castillan3, le peuple encouragé par le bas-clergé continue de pratiquer avec ténacité le catalan. Les sermons, la catéchèse et tous les actes du quotidien 1 Nous n'évoquerons pas la situation diglossique traditionnelle latin/catalan, ni celle plus curieuse catalan/provençal qui du XIIe au début du XVe siècle fait du provençal la langue de l'expression poétique tant l'admiration vouée aux troubadours était grande. 2 La Couronne d'Aragon était en fait une fédération d'États dont la Catalogne, les Baléares et Valence, qui conservaient jalousement leurs fueros, leurs parlements... Aujourd'hui, la question linguistique et nationale ne se pose pas dans les mêmes termes dans ces quatre régions qui sont quatre Communautés Autonomes. Les questions soulevées dans cet article ne concernent que la Catalogne. 3 Paradoxalement allié objectif de l'oppression culturelle, l'esprit des Lumières conforte les intellectuels dans leur expression en castillan au nom de l'universalisme, de l'égalité et de la fraternité. Cependant bien involontairement les dictionnaires bilingues voire trilingues latin/castillan/catalan, les grammaires pour les séminaires, sous couvert d'être des instruments de transition vers le castillan, maintiennent une codification linguistique et syntaxique minimale. religieux sont dits en catalan, d'autant que, après 1789, le bas-clergé redoute pour ses fidèles les effets de la crise religieuse à laquelle pouvaient conduire les idées des Lumières. Pratiquement, le catalan ne pouvait plus être un moyen de communication culturelle minimale. La Renaissance du catalan et du catalanisme est surtout le fait du XIXe siècle, mais le mouvement s'amorce à la fin du XVIIIe siècle lorsque la rupture du monopole commercial castillan rend à la Catalogne une part de sa prospérité d'antan.

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