- --------- ~ - -- - - - Félix Lafrance Pierre Matthieu et l'empire du présent: Clio dans les guerres de Religion françaises Mémoire présenté à la Faculté des études. supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en histoire pour l'obtention du grade de maître ès arts, (M.A.) DÉPARTEMENT D'HISTOIRE F ACUL TÉ DES LETTRES UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2008 © Félix Lafrance, 2008 Remerciements Tout d'abord, j' aimerais remercier mon directeur, Michel De Waele, qui m'a guidé à travers ces deux années de recherche et de rédaction de ce mémoire. Ses connaissances et ses bons conseils se sont avérés un appui formidable dans la réalisation de ce projet. Je le remercie sincèrement pour son temps et sa rigueur à me diriger. Il me faut aussi mettre en lumière le support de mes parents, beaux-parents et amis, qui, en s' intéressant au sujet que je creusais et en prenant goût à en parler, m'ont permis de prendre plaisir à le faire et de mieux définir mà réflexion. Je remercie par-dessus tout ma femme Sara, qui a su accepter de me voir passer tant de temps dans ce travail et surtout sacrifier ses humeurs et ses besoins pour me permettre de le rendre à terme. Enfin, à mon chat Pépin, mon plus grand partisan - puisque ayant passé de longues heures sur mes genoux le visage devant l'écran - , merci pour ton affection et ta présence. Résumé Dans l'écriture de l'histoire immédiate, la pression et l'expérience de l'actualité, les valeurs, les sentiments et les intérêts personnels d'un historien peuvent le conduire à transformer le passé. L'exemple de l'historien des guerres de Religion françaises Pierre Matthieu montre comment la gestion des vérités passées s'avère . délicate lorsque les historiens doivent faire des « choix éditoriaux ». L' étud~ de la représentation qu'il fait des chefs ligueurs, de la Ligue et d'Henri IV dans son Histoire des derniers troubles de France (1594-1606) permet de comprendre le poids du présent sur l'écriture de l'histoire récente et la perception arrangée et significative qui s'en dégage pour le présent. Ce mémoire s'intéresse aux fonctions ' auxquelles répond cette représentation dans le processus de réconciliation nationale lancé par le premier Bourbon. Il donne un indice de la difficulté séculaire d'être acteur et rédacteur de l'histoire et permet de se demander si le présent est « historicisable ». Abstract In immediate history writing, pressure and experience of actuality, personnal values, emotions and purposes of the historian can lead him to change the past. The example of the historian of the French Religious Wars Pierre Matthieu shows how dealing with past truths can be hard for historians who have to make « editorial choices ». Studying his leaguer chieves, League and Henri IV' s representation in his Histoire des derniers troubles de France (1594-1606) enlighten present's weight on the writing of recent history and the organized and significant perception who' s building for present. This mémoire looks at the uses this representation is answering to, in the context of the national reconciliation process the First Bourbon has launched. It gives an idea of the secular di ffi culty to be actor and redactor of history and raise questions about the « historicisability » of present. Table des matières Remerciements p. II Résumé p. III Introduction p. 1 Chapitre 1er: Les objectifs de Pierre Matthieu: des prisons pour son œuvre historiographique p. 16 A. Pierre Matthieu veut racheter son passé ligueur p. 16 B. L 'historiographie au XVIe siècle p. 23 C. Une moralité bourgeoise p. 27 D. Matthieu « politique» p. 31 E. Matthieu veut être historiographe du roi p. 34 Chapitre 2e : La Ligue assiégée par la vertu et la légitimité du premier Bourbon p. 38 A. À la rescousse de la légitimité royale p. 39 1) Un roi guerrier protégé de Dieu p. 39 2) Succession au trône de France p. 43 B. Pour la sincérité du roi p. 49 C. Un roi clément pour des Ligueurs délinquants et un peuple innocent p. 59 D. Contre la dégradation ligueuse, la compassion royale p.67 Chapitre 3e : Matthieu au service des principes navarristes p. 76 A. Une conception du pouvoir appuyée Sur la folie de l'ambition ligueusep. 76 1) Soulèvement de la Ligue nobiliaire p. 77 2) Soulèvement de la Ligue populaire p. 89 B. Raison d'État et droit divin derrière l'absolutisme p. 96 C. Des pratiques religieuses plus positives p. 103 D. Tous unis contre les ennemis de la France: la conscience nationale p. 112 E. La politique d'oubliance : l'historiographie gardienne de la mémoire p. 124 Conclusion p.135 Bibliographie p.149 Introduction En 1594, le royaume des rois Très chrétiens est plongé depuis neuf ans dans une huitième guerre civile en plus de trente ans. Excessivement longue (1585-1598) et étendue - car contrairement aux précédentes, elle affecte l'ensemble du royaume - , elle exacerbe les convictions religieuses, les ambitions politiques et la violence guerrière qui se manifestaient déjà depuis 1562. Pour la monarchie, cet épisode, marqué notamment par l'assassinat d'Henri III le 1er août 1589, est le plus rude depuis le début des troubles; elle n'en connaîtra pas de plus difficiles jusqu'à la Révolution. Le défi d'Henri IV sera de regagner sa crédibilité perdue lors des règnes des derniers Valois, pacifier le royaume et ~éconcilier les Français. Mais le nouveau monarque n'est pas reconnu par l'ensemble de ses süjets catholiques, puisqu'il professe la religion protestante et qu'il a été excommunié par le pape, mais aussi, après sa conversion du 25 juillet 1593, parce qu'on le soupçonne de cacher sa véritable foi calviniste et -d 'avoir abjuré pour mieux régner. Les attentats des régicides Pierre Barrière (27 août 1593) et Jean Chastel (27 décembre 1594) contre le roi concrétisent cette méfiance. Ainsi, bien que cette conversion et la victoire sur Paris amènent, au printemps de 1594, la plupart des villes, provinces et rebelles ligueurs à se ranger au roi, beaucoup de catholiques fanatiques persistent dans leur intention d'assurer la victoire totale de leur religion et du principe d'un roi, une foi, une loi. Plusieurs nobles, dont Mayenne, Aumale, Mercoe,ur et Joyeuse, aidés par les doublons d'Espagne, continuent également de lutter contre leur monarque légitime afin de monnayer plus fortement leur appui. De même, les huguenots, qui veulent pouvoir jouir de la liberté de conscience et de culte, demeurent inquiets quant à un éventuel règlement du conflit en leur défaveur et refusent de déposer les armes avant d'avoir reçu des garanties suffisantes quant à leur liberté d'exercice de leur religion. Pour parvenir à une paix, le premier Bourbon doit réussir à réconcilier les deux factions, car près de quarante ans de luttes ont laissé une relation emplie d'animosité , entre catholiques et protestants. Par divers moyens, le roi arrive en quelques anné'es à pacifier la France et à réconcilier ses habitants. Il lui faut d'abord se faire accepter comme souverain légitime et catholique, puis rehausser le prestige, le rôle et l'autorité de l'État monarchique. Henri IV met également de l'avant des principes permettant à ses sujets de se rapprocher: le patriotisme, le 2 gallicanisme, la tolérance religieuse provisoire, l'obéissance au prince, la primauté de l'État sur la religion, l'oubli des douleurs passées, le pardon, etc. Pour ce faire, Henri IV met en place une véritable campagne de propagande qui, par les arts et les lettres, a pour but de l rallier l'ensemble des Français à sa cause . Ce contexte est éminemment profitable au genre historique. Se révélant de véritables outils politiques, les histoires nationales dites «immédiates » se font effectivement nombreuses au tournant du XVIIe siècle. En faisant écho aux préoccupations contemporaines, le livre d'histoire s'avère un moyen puissant de dialoguer avec le passé en forgeant la mémoire encore chaude des derniers troubles. Il devient, avec la fin des guerres de Religion françaises, un nouveau type de . combat permettant de retracer l'évolution des événements passés de manière à les faire accepter, ou à légitimer de nouvelles positions·au 2 présent • Ce faisant, les historiens sélectionnent les événements en reléguant à l'oubli, en transformant ou en minimisant ceux qui sont les plus susceptibles de faire perdurer l'animosité. L 'historiographie a aInSI l'intention de purger la mémoire de ce qui est douloureux, de ce qui mine l'énergie présente. Elle doit faire abstraction des facteurs de division susceptibles d'engendrer de nouvelles violences afin d'assurer le succès de la politique royale de réconciliation nationale. Pierre Matthieu (1563-1621) se retrouve parmI les historiens tels Pierre-Victor Palma Cayet et Jacques Auguste de Thou qui écrivent cette histoire du temps présent. Juriste, dramaturge et porte-parole du Consulat de Lyon, il publie l' Histoire des derniers troubles de France entre 1594 et 1606. Quelques années plus tôt, en 1589, il écrivait une tragédie nommée La Guisiade. Parfait exemple de l'écriture propagandiste de l'époque, cette œuvre, produite par un Ligueur renommé, fut rééditée deux fois cette année-là. Elle présentait le chef des catholiques zélés regroupés au sein de la Ligue, le duc Henri de Guise, comme le défenseur épique de la monarchie et de la foi catholique, et le roi Henri III comme un persécuteur malveillant3. Mais l'abjuration et la conversion au catholicisme 1 Janine Garrisson, Henri I V .' le roi de la paix, 1553-1610, Paris, Tallandier, 2000, p. 125. L'œuvre de Françoise Bardon (Le portrait mythologique à la cour de France sous Henri IV et Louis XIII.' mythologie et politiq "lfe, Paris, A.