Document generated on 09/28/2021 9:21 a.m. Vie des arts Pierre Gauvreau et le ressac automatiste Pierre Gauvreau and the Automatist Undercurrent Jacques Renaud Volume 23, Number 93, Winter 1978–1979 URI: https://id.erudit.org/iderudit/54786ac See table of contents Publisher(s) La Société La Vie des Arts ISSN 0042-5435 (print) 1923-3183 (digital) Explore this journal Cite this article Renaud, J. (1978). Pierre Gauvreau et le ressac automatiste / Pierre Gauvreau and the Automatist Undercurrent. Vie des arts, 23(93), 68–102. Tous droits réservés © La Société La Vie des Arts, 1978 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Jacques Renaud Pierre et Gauvreau le ressac automatiste Le spectacle de l'évolution des formes naturel­ conscience même du peintre — ou celle du specta­ 1. Pierre GAUVREAU les sous la pression de l'énergie créatrice est un teur. Et la certitude croissante, à partir d'un certain La Chasse-galerie; 1978. Acrylique sur bois; spectacle fabuleux, parfois vertigineux. Combien point, que cette évolution pourrait être sans fin et 1 m 52 x 1,22. de formes sont apparues pour disparaître, comme que l'on peut et même que l'on doit toujours aller Coll. de l'artiste. si le jeu aveugle de la Nature ne suffisait jamais à plus loin. Disons tout de suite que les captivants combler l'aspiration secrète qui la tourmente? Nous prodiges de couleurs acryliques des tableaux de appelons ces destructions des déluges. C'est alors Pierre Gauvreau ne sont pas plus spécifiquement que l'énergie créatrice se fait destructrice, se retour­ le fruit de l'automatisme que les triangles, les losan­ ne sur elle-même, rêve dans le chaos retrouvé de la ges, les carrés qui peuvent aussi y apparaître, sans forme nouvelle qu'elle prendra. parler de la position de ces derniers dont le sens Le déluge, au Québec, eut pour initiateurs les réel relève d'une connaissance incorporée que l'ar­ peintres automatistes. Qu'un ordre soit inhérent à tiste n'a pas acquise encore mais qui s'offre à lui ce désordre, qu'il y ait dans ce chaos de couleurs et avec une générosité qui semble le privilégier. «Que de formes la présence d'un ordre, cela était certain nul n'entre ici s'il n'est géomètre», avait écrit Pla­ dès Borduas, dont les derniers tableaux nous sou­ ton au fronton de l'Académie. Je n'ai pu m'empê- mettaient le problème à résoudre: celui de la densi- cher de penser, en me rappelant soudainement cette fication des formes géométriques élémentaires. sentence, combien l'automatisme nous conduisait au seuil d'une géométrie sacrée, renouvelée par le Ces formes géométriques constituent certaine­ déluge dont il marqua ici le premier moment. De ment l'une des conquêtes les plus évidentes de l'académisme en art (figement ultime de l'énergie l'épopée automatiste, reliant par le fait même, créatrice) à ce que Platon entendait peut-être par comme le pressentait Borduas dans ses termes à lui, l'Académie, il y aurait la distance qui sépare ce que l'art moderne en général et plus particulièrement l'on appelle, dans la tradition, la première naissance l'automatisme, en ce qui nous concerne ici, aux cou­ de la seconde. Mais notre héritage est au fond de rants traditionnels les plus profonds. Fernand la mer. Nous y serions porteurs de la géométrie Leduc, signataire du Refus global, devait d'ailleurs, c'est-à-dire de la science des mesures de la terre pour sa part, s'orienter plus nettement dans le (que les Védas confondent avec le corps) ou, en sillage traditionnel sous l'influence directe de d'autres termes, de la gnose, la connaissance vivan­ Raymond Abellio. Cette apparition de formes géo­ te, incorporée, qui pourrait nous conduire, comme métriques denses, particulièrement dans les tableaux l'entrevoyait Borduas, au seuil et même au sein les plus récents de Pierre Gauvreau, nous fait à la d'une civilisation nouvelle dont la caractéristique fois réfléchir sur ce dont peut être porteur un appa­ principale serait la connaissance et la recherche rent désordre et nous aide aussi à comprendre la psychiques. nécessité que constitua, du point de vue du ressour­ cement des formes, l'apparition de l'école automa­ La mer a des ressacs. Le temps aussi. L'automa­ tiste. Car l'automatisme, les meilleurs le savent, ce tisme aussi. Le retour du peintre québécois Pierre n'est pas peindre n'importe quoi. Ce serait bien Gauvreau, frère du poète automatiste Claude Gau­ plutôt d'être le canal d'un contenu créateur auto­ vreau, s'inscrit d'une façon organique dans l'en­ nome surgi du fond du chaos formel. L'automa­ semble du mouvement actuel qui s'applique à tisme impliquait donc et implique encore une mieux comprendre ce que fut l'automatisme. Le fait déstructuration préalable de toute censure, une du retour à la peinture de Pierre Gauvreau revêt dissolution consciente des vieilles structures de donc à nos yeux un sens important: l'automatisme comportement, du moins en face du tableau. La en art n'a pas encore donné tous ses fruits. Il est démarche automatiste s'apparente ainsi, dans cer­ peut-être ici en voie de le faire. Il fait peut-être taines phases de son processus, aux phénomènes aussi partie de nous-mêmes maintenant, non pas à cathartiques provoqués par diverses techniques de la manière d'une matière à muséologie seulement méditation traditionnelle: un nettoyage psychique mais à la manière d'un rite de ressourcement. Si chaotique marqué, ici et là, par des ouvertures de nous n'avions affaire qu'à une nostalgie, comme on conscience, la stimulation des centres d'énergie a voulu le faire entendre un peu sommairement, créatrice, l'apparition aussi, dans la toile, de conte­ tout cela serait sans importance. Mais Gauvreau est nus vivants, susceptibles de nourrir longtemps la un créateur passionné. Il est demeuré peintre au 68 Is i^^l • • VI n F*. _ir V». ""'^*a- ira Rj f mtr Un Créateur 2. Les Fleurs de la Sainte- sens le plus stimulant du terme, et sa démarche et Nous avons entrevu ce que pouvait être cette fin. Enfance, 1977. ses œuvres ont actuellement beaucoup à nous ap­ Pierre Gauvreau m'explique qu'il faut d'abord être Acrylique sur toile; 76 cm 2 x 91,4. prendre sur nous-mêmes. D'ailleurs, à une époque en bonne santé et dispos. Ce sont les conditions Coll. Louise Massue. où les galeries de tableaux ne vendent en moyenne physiologiques. Pas question d'abuser des drogues, que deux œuvres par exposition, quinze tableaux qu'elles soient fortes ou bénignes: Pierre Gauvreau 3. Croque-monsieur, 1978. Acrylique sur toile; sur trente de Gauvreau ont été vendus lors de sa ne fume ni ne boit. Les conditions psychologiques 45 cm 7 x 61. dernière exposition à la Galerie Gilles Corbeil. sont un peu plus difficiles à cerner. Gauvreau appar­ Coll. de l'artiste. Depuis 1962, soit depuis quatorze ans, Pierre Gau­ tient à cette catégorie d'artistes chez qui le contenu vreau n'avait pas peint. Lui qui peignait ordinaire­ créateur mûrit longuement avant de s'épanouir 4. Entrée du pubis cobalt, 1978. Acrylique sur toile; ment en été jusqu'à la Noël lorsque l'inspiration le dans l'œuvre. Jamais, durant ces douze années, 76 cm 2 x 1 m 16. visitait, voici qu'à la Noël 1976-1977, il déjoue ces s'est-il vraiment inquiété de savoir s'il peindrait Coll. Janine Carreau. vieilles lois et se remet à peindre. Et ce, sans arrêt ou non, dit-il. Bien sûr l'on éprouve certainement jusqu'à maintenant. «Lorsque je peins, je peins parfois la nostalgie des états induits par la création abondamment», me dit-il. Et ce, en dépit du fait artistique mais, tout compte fait, le peintre sait que qu'il lui faille du temps «pour démarrer». Le fait le temps doit venir. Et quand le temps est venu, d'être réalisateur à Radio-Canada ne l'empêche pas la principale condition psychologique pour peindre de laisser libre cours à son besoin de créativité. A selon l'esprit automatiste est de laisser le contenu la Galerie Gilles Corbeil, l'on pouvait voir récem­ créateur diriger entièrement le geste du peintre. ment cette abondance de couleurs vives; des graffi­ Aucune censure ne doit s'interposer entre la montée ti aussi, certains parmi les meilleurs. C'était bien le créatrice et la projection, sur la toile, des lignes, ressac automatiste, avec la passion qui le caractérise. des taches, des couleurs, ce qui, pour Gauvreau, Gauvreau ne s'objectera pas si j'emploie, en revêt un sens tout particulier puisqu'il était naturel­ parlant de l'automatisme, l'expression: «Cette lement doué pour le dessin. Aucune gratuité non voie...» Cependant, nous parlerons surtout de plus dans cet acte qui doit se faire dans un respect «discipline». Car bien que le résultat le plus immé­ intégral de l'énergie autonome, libère des aires, en diatement apparent des tableaux récents de Gauvreau remplit d'autres, suggère la couleur, les mouve- soit l'éclatement dionysiaque du plaisir de peindre, vents, etc. Il faut avoir tenté soi-même l'expérience l'automatisme exige certaines conditions psycholo­ pour découvrir, par exemple, combien le dynamis­ giques et physiques sans lesquelles, selon Gauvreau, me créateur peut avoir de lui-même une notion l'expérience ne peut être conduite à bonne fin.