LOLITA Opéra imaginaire d’après la roman de Vladimir Nabokov composé et arrangé par Joshua Fineberg 1. Argument Spectacle multi-média pour danseurs/acteurs, voix, ensemble, électronique et vidéo Mon travail a longtemps porté sur la question des sources (modèles) de la réalité et de leurs représentations (réalisations) dans les œuvres artistiques. C'est un thème central dans toute la musique spectrale, de la synthèse orchestrale d'un trombone dans Partiels de Grisey à l'analyse/re-synthèse en temps réel de l'ensemble instrumental dans ma propre pièce Empreintes. Ce rapport (du modèle à la représentation) est presque toujours destructif. Le modèle semble pauvre une fois que l'artifice l'a révélé dans une plus riche apparence. Un « original » qui devrait résonner dans sa « légitimité » est accablé par la force de sa transcription. Pour moi, c'est là la vraie histoire racontée par Lolita de Nabokov. L’œuvre de Nabokov a suscité beaucoup de polémiques et a été adaptée en diverses réalisations dramatiques (les plus notables étant deux grands films); cependant ces adaptations se sont toutes concentrées sur ce qui est peut-être l’aspect le moins intéressant du roman – son intrigue. Pour moi, l'idée vraiment essentielle de l’œuvre est la nature en soi destructive de la transcription artistique d'un personnage, d'un événement, d'une scène ou d'un son. Transposant une adolescente réelle en une vision sublimée Humbert la tue de fait et place un double à sa place (ironiquement il la détruit assez complètement dans la réalité). Le vrai personnage féminin est vu seulement de temps en temps et à travers des aperçus furtifs (comme ses yeux rougeoyants, brillant en de rares occasions derrière un masque ornemental). Le moulage des « vrais » personnages selon le désir du narrateur, les prive par essence d’une vraie voix ; cependant Humbert Humbert leur offre en échange la voix exaltée de ses délires personnels (« faites confiance à un meurtrier pour avoir un style de prose sophistiqué »). Cet aspect du roman est tout à fait explicite quand Humbert parle des "aurochs et des anges, le miracle du pigment durable" comme la seule immortalité que Lolita et lui pourraient partager. En fait sa Lolita n’existe que dans son écriture ou dans sa folie (rappelez-vous que Humbert ne narre pas selon une voix omnisciente, mais en écrivant un roman/biographie depuis sa cellule de prison). La réalité n'est pas très importante et certainement pas très précise dans le roman, elle émerge ponctuellement et n'est jamais claire. Les personnages et les automobiles apparaissent dans des lieux étranges pour disparaître ensuite sans laisser de trace. Le lecteur n’est jamais certain de ce qui est réel et de ce qui relève du délire. C'est de plus en plus évident au fur et à mesure que le roman progresse et de ce point de vue on peut voir ce dernier comme la description d’une descente dans la folie (Nabokov étudia intensément les manuels de psychopathologie avant d’écrire Lolita). Cependant, la folie et la création ne sont pas différentes dans ce contexte et la descente dans la folie peut également être envisagée comme formant un chiasme avec l’élévation d'une réalité banale au niveau d’un discours artistique plus élevé. Certainement, Humbert aimerait voir les choses de cette façon. L’œuvre sera organisée autour d'une multiple mise-en-scène, l'éclairage ou une multiplicité d’écran vidéo permettant à l’une ou l'autre de dominer (souvent en cachant complètement les scènes parallèles). Dans un sens, cette œuvre est semblable à un opéra, mais qui se produirait essentiellement dans l'esprit du narrateur. Toutes les voix entendues par le public émergent des haut-parleurs et résultent de transformations électroniques de la voix du narrateur: elles sont simplement des manifestations de sa voix. 1 De ce fait, tous les personnages sur scène sont rendus muets (leurs rôles étant joués par des danseurs). La seule exception est le narrateur lui-même. C'est son écriture des mots de son roman/biographie qui provoquent la métamorphose des actions venues de sa mémoire ou imaginaire ou délusion en œuvre d’art lyrique qu’il essaye de crée. L'effet global de cette transformation est l’effacement du passé qui aura pu se produire et de créer l’œuvre faite pour durer. Toutes les « voix chantées » sont des altérations électroniques de la voix parlée du narrateur. Pour transformer sa voix originale en un chant exalté, elle est séparée par l’ordinateur en deux composantes : une source — le son brut, non coloré, tel qu’il serait directement produit par la glotte et capté par l’ordinateur — et un filtre modélisant l’appareil articulatoire du narrateur (cavités vocales : pharynx, sinus, etc.). Ceci permet de déformer la voix originale pour la doter de nouveaux contours, tout en conservant une grande partie de sa couleur initiale. La voix peut alors « chanter » à travers un corps hybride, imaginaire, calculé par l’ordinateur. Nous avons enregistré un grand nombre d’échantillons d’une même phrase chantée par des chanteurs de différents ages et sexes en vue de créer les matériaux nécessaires à la constitution de ces hybrides. Avec ces « filtres », notre Humbert donne voix aux corps qu’il imagine, bien qu’il ne puisse jamais complètement éliminer le son solipsistique de sa propre voix. Ces voix ne sont pas censées sonner comme de « vraies » voix de chanteurs. Cependant, elle ne sont pas non plus de simples sons électroniques. Elles sont l’irréalité et l’étrangeté du fantasme. La technologie utilisée pour la réalisation de la partie musicale de l’œuvre a été développée à l’Ircam en plusieurs phases depuis 2003. L’œuvre est articulée en trois pièces principales : i. Humbert (la création de notre narrateur Humbert Humbert, qui, à son tour, créera tout le reste) ii. Lolita (la création par Humbert de sa nymphette imaginaire, obtenue par la destruction d’une enfant réelle) iii. Durable Pigments (l’incapacité d’Humbert à contrôler l’objet/personnage qu’il a créé, conduisant à la perte de toute chose sauf de l’ «illusion» d’un récit fictionnel) iv. [à traduire : Between parts 1 & 2 an optional filmic interlude may be created in a form that parodies historic Newsreels and juxtaposes images of the arctic with those of an mental assylum. If a film is not used, parts 1 & 2 should be performed withoit any intervening silence. Concert versions should always be played this way. A substantial silence should be allowed between parts 2 and 3 in both concert and staged versions.] 2 LOLITA An imaginary opera based on the novel by Vladimir Nabokov composed and arranged by Joshua Fineberg 1. Premise a multi-media spectacle for dancers/actors, voice, ensemble, electronics and film My work has for a long time been centered on the issue of sources (models) from reality and their representations (realizations) in artistic works. This is a central theme in all spectral music from the orchestral synthesis of a trombone in Grisey’s Partiel to the real-time analysis/re-synthesis of the instrumental ensemble in my own piece Empreintes. This relationship (of model to representation) is nearly always destructive. The model seems poor once artifice has shown it in a richer guise. An ‘original’ which ought to resonate in its ’legitimacy’ is overwhelmed by the strength of its transcription. For me, this is the real story of Nabokov’s Lolita. The work by Nabokov has been surrounded by much controversy and has been translated into various dramatic realizations (most notably two major motion pictures); however these adaptations have all focused on what is perhaps the least interesting aspect of the novel – its plot. For me the really essential idea of the work is the inherently destructive nature of the artistic transcription of a character, event, scene or sound. By translating an actual adolescent girl into Humbert’s artistic vision of that girl, he has in effect killed her and placed a doppelganger in her stead (ironically he has in ‘reality’ also fairly completely destroyed her). The real girl is only seen occasionally and through furtive glimpses (like glowing eyes shining out on rare occasions from behind an ornamental mask). Molding the ‘real’ characters to suit the narrators desire, in essence deprives them of any real voice, yet in exchange Humbert Humbert offers them the exalted voice of his personal delusions (“trust a murderer to have a fancy prose style”). This point is made explicitly when Humbert speaks of “aurochs and angels, the miracle of durable pigment” as the only immortality he and Lolita might share. In fact only in his writing or his madness does his Lolita even exist (remember that Humbert is not telling the story in an omniscient voice, but writing a novel/memoir from his prison cell). Reality is not very important and certainly not very precise in the novel, it pops up only punctually and is never clear. Characters and automobiles appear in odd places, only to disappear again without a trace. We are never sure what is real and what is delusion. This is increasingly clear as the novel progresses and from that point of view one can see the novel as a descent into madness (Nabokov intensely studied abnormal psychology textbooks prior to writing Lolita). However, madness and creation have no significant difference in this context and the descent into madness can also be viewed as forming a chiasma with the lifting of a banal reality onto a higher artistic plane. Certainly Humbert would like to see it that way. The work is organized around a multi-layer staging with lighting or multiple video screens permitting one or another to dominate (and often completely hiding the parallel scenes).
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