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Book Chapter Israël et le sionisme SHLONSKY, Ur Reference SHLONSKY, Ur. Israël et le sionisme. In: Bricmont, J. & Franck, J. Chomsky. Paris : L'Herne, 2008. p. 329-339 Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:102188 Disclaimer: layout of this document may differ from the published version. 1 / 1 A paraître dans : Jean Bricmont & Julie Franck (éds.) Noam Chomsky. Cahier Num ??. Editions L’Herne. 2006. Israël et le sionisme• Ur Shlonsky [email protected] Dans la préface à son ouvrage Knowledge of Language, Chomsky mentionne deux problèmes qui l’intriguent : « comment possédons-nous un tel savoir alors que nous sommes devant si peu d’évidence et comment maitrisons-nous si peu de savoir alors que nous avons autant d’évidence? On pourrait appeler le premier le problème de Platon et le deuxième, le problème d’Orwell....» Le débat sur Israël et le sionisme illustre bien le problème d’Orwell. L’histoire de l’établissement de cet Etat, ses liens avec l’Occident et sa politique envers le peuple palestinien occupent une position majeure dans nos médias. Il n’est toutefois jamais facile d’avoir un débat franc et rationnel sur Israël. On demeure souvent avec le sentiment qu’Israël est un cas particulier auquel les normes éthiques et politiques admises dans d’autres pays ne s’appliquent pas. Le traitement ‘spécial’ accordé à Israël en Occident contribue à fausser le conflit israélo-arabe et entrave sa résolution. Les écrits politiques et historiques de Chomsky étudient les mécanismes idéologiques des sociétés occidentales et décryptent les non-dits et les manipulations des discours officiels. Le but de cette contribution est, de façon ‘chomskyenne’, de proposer une ligne de base pour un débat rationnel sur Israël • Ce texte a profité du regard critique et des commentaires détaillés de Shirine Dahan. Un grand merci aussi à Julie Franck pour ses commentaires sur une version précédente. et le sionisme. Elle rappelle les repères historiques fondamentaux et suggère une trame conceptuelle pour mieux comprendre la nature de cet Etat. Imaginons un puissant ministre occidental déclarer que les juifs - la minorité la plus importante dans son pays - constituent une menace démographique, que cette menace est due à un taux de naissance élevé et que des mesures devraient être prises par l’Etat pour le contenir. Imaginons encore que cette affirmation ne représente pas l’opinion personnelle d’un ministre extrémiste mais exprime un point de vue partagé par un grand nombre de représentants de l’Etat en question, de chefs religieux et d’autres personnalités publiques ainsi que par une grande part de la population. Lorsque les juifs se rendent dans ce pays imaginaire, ils rencontrent régulièrement des affiches et des graffiti qui appellent à leur extermination et à leur expulsion du pays. Remplaçons, dans cette description, ‘juif’ par ‘palestinien’ ou ‘arabe’ et nous obtenons un portrait un peu simpliste mais essentiellement valide de ce qu’est signifie être citoyen arabe en Israël. Israël se définit comme un Etat juif, à savoir, un Etat dont tout individu juif provenant de n’importe où dans le monde est citoyen potentiel. Contrairement à la France, la Belgique ou la Suisse, Israël n’est de manière officielle pas l’Etat de tous ses citoyens, juifs et non juifs. C’est donc par définition qu’un non juif dans cet Etat juif est un citoyen de second rang. La discrimination est inhérente à Israël et caractérise, depuis bientôt soixante ans, l’attitude de ce pays envers environ 20% de sa population; l’étendue de 2 cette discrimination et le systématisme avec lequel elle est appliquée dans la vie quotidienne dépendent des gouvernements au pouvoir. Le sionisme est le nom du projet politique qui a mené à la création d’Israël et qui assure l’édifice discriminatoire sur lequel il s’est bâti. Etre opposé au sionisme ou être antisioniste c’est être opposé à cet Etat tel que défini ci-dessus. Noam Chomsky a toujours souligné qu’être progressiste en Occident implique d’appliquer aux sociétés et aux Etats occidentaux ainsi qu’aux Etats soutenus par l’Occident les mêmes normes éthiques et politiques que celles appliquées ailleurs. Une fois ceci admis, l’antisionisme va de soi et ne nécessite aucune justification. “Un pays, large et spacieux ; pour nous” Pour que se réalise le projet sioniste, il a fallu procurer des terres à la colonisation juive tout en diminuant la population palestinienne. D’où l’expulsion et l’expropriation d’environ 700'000 habitants arabes avant, pendant et suite à l’établissement de l’Etat d’Israël en mai 1948.1 1 Le débat historique sur le ‘vrai’ nombre des réfugiés Palestiniens expulsés manu militari par les forces militaires israéliennes en 1948 par opposition à ceux qui ont ‘fui’ les combats est un débat purement académique. Le fait essentiel est que tous les réfugiés palestiniens, y compris ceux qui ont quitté le pays ‘volontairement’ – comme le faisait une partie de la bourgeoisie urbaine – ou ceux qui se sont déplacés en accord explicite avec les forces israéliennes – comme les habitants des villages Bir’am et Ikrit dans le Nord du pays - se sont trouvés de facto expulsés et dépossédés au lendemain de la guerre. Malgré maintes résolutions de l’ONU qui l’exigent formellement (la première, 194, date du 11 décembre 1948), Israël a toujours catégoriquement refusé le retour des réfugiés ou leur indemnisation. 3 Cette épuration ethnique, pour emprunter un terme introduit durant les dernières guerres en ex-Yougoslavie, a été minutieusement planifiée et rigoureusement exécutée. Les responsables n'étaient pas des militaires anonymes mais souvent des personnalités célèbres dans le paysage politique israélien. Contrairement à la version historique officielle, ces expulsions se sont accompagnées de massacres, de viols et de pillages massifs de propriété. La plupart des 400 localités arabes concernées ont par la suite été rayées de la carte. On a dynamité les maisons pour empêcher tout retour des réfugiés et planté des forêts pour camoufler les ruines.2 Cet événement historique a pour nom la Nakba (‘catastrophe’ en arabe.) en Occident, la Nakba est l’objet d’un négationnisme pernicieux. On l’occulte et l’a banalise. Pire, on exige de ses victimes qu’elles l’effacent de leur mémoire, faute 2 Une vingtaine de massacres sont mentionnés dans Erlich, Guy, 'Not Only Deir Yassin', Ha'ir, 6 May 1992. (Trad. anglaise par Elias Davidsson, http://student.cs.ucc.ie/cs1064/jabowen/IPSC/articles/article0001877.txt). Erlich cite ces propos de l’historien Arie Yitzhaki: “In almost every conquered village in the War of Independence, acts were committed, which are defined as war crimes, such as indiscriminate killings, massacres and rapes." Voir également Pappe, Ilan. 2001. ‘The Tantura Massacre’. Journal of Palestine Studies, 119, Vol. XXX, Num. 3. Moins d’informations sont disponibles sur la question de viols, mais voir la révélation relatée en novembre 2003 dans The Guardian : http://www.guardian.co.uk/israel/Story/0,2763,1077148,00.html. La stratégie consistant à cacher les ruines des villages arabes par la plantation de forêts figure en filigrane du célèbre conte de l’écrivain israélien A.B. Yehoushua, Devant les forêts. 4 de quoi, leur explique-t-on, aucune solution au conflit israélo-palestinien ne sera envisageable. La simple affirmation de ces faits historiques est perçue comme une forme d’extrémisme, une transgression des limites de ce qui est dicible, voire même comme des propos antisémites.3 Les actions des unités militaires juives et, après mai 1948, de l’armée israélienne, ont inversé la démographie de la Palestine en l'espace de quelques mois. L’agence immobilière de l’Etat d’Israël s’est appropriée des foyers palestiniens désertés dans les zones urbaines qu’elle a mis à disposition des immigrés juifs dès 1950. A partir de 1960, les anciens quartiers de la bourgeoisie arabe de Jérusalem et, dans une moindre mesure, de Haïfa et Jaffa, se sont vu progressivement transformés en des quartiers chics prêts à accueillir l’aristocratie urbaine juive. Ce processus s’est amplifié après le boom économique qui a suivi la guerre de juin 1967 et, aujourd’hui, si l’expression hébreu ‘avoda aravit’ (travail arabe) désigne une main d’œuvre de mauvaise qualité, ‘bayt aravi’ (maison arabe) fait référence à une résidence de luxe.4 3 Voir la discussion et les références dans Vidal, Dominique. 1988. Le péché originel d'Israël. L'expulsion des Palestiniens revisitée par les "nouveaux historiens". Paris : Éditions de l'Atelier. 4 Le premier terme a une longue histoire, remontant au début du 20e siècle, à l’époque où les ouvriers agricoles juifs étaient en concurrence sur le marché du travail avec les ouvriers palestiniens. Ces derniers coûtaient moins cher à leurs employeurs, étaient plus productifs et plus adaptés au climat et à l’état général du pays que les juifs, souvent inexpérimentés, venus de l’Europe de l’Est. Le mouvement ouvrier juif se battait pour la ‘avoda ivrit’ ou le travail juif, s’attaquant aux employeurs juifs dans les villages agricoles (mochavot) qui engageaient des palestiniens. Le terme ‘travail juif’ est aujourd’hui quasiment absent du discours politique tandis 5 Les villes et les quartiers arabes, où la population palestinienne a survécu à l’épuration de 1948, se sont transformés en des ghettos où règnent la pauvreté et la misère sociale (je me réfère à Akka, Lidda, Ramle ou, dans leurs noms hébraïsés Ako, Lod et Ramla). Dans les zones à population palestinienne plus dense, comme la Galilée, une politique démographique nommée judaïsation a été mise en place à partir des années cinquante. Un arsenal de lois foncières, telle la loi de 1950 sur la Propriété des Absents, a permis à l’Etat de s’accaparer des millions d’hectares de terres palestiniennes en les déclarant Terres d’Etat.

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