Stratégies Culturelles Entre Paris Et Modène Au Grand Siècle : Les Artistes Français À La Cour Des Este

Stratégies Culturelles Entre Paris Et Modène Au Grand Siècle : Les Artistes Français À La Cour Des Este

Stratégies culturelles entre Paris et Modène au Grand Siècle : les artistes français à la cour des Este 1. DESCRIPTION DU PROJET La recherche porte sur les présences artistiques françaises à la cour des Este au XVIIe siècle en les inscrivant dans le cadre plus vaste des relations politico-culturelles entre Modène et Paris. On connait très bien l’alliance que le duc de Modena Francesco I (1610-1658) avait nouée avec la couronne de France en 1647, lorsque les tentatives diplomatiques avaient déjà permis au cardinal Rinaldo, frère du duc, de gagner la « protection de la France ». En effet Francesco I conduisit une politique étrangère changeante et prudente qui fut couronnée par sa visite à Paris en 1655, où il obtint le titre de « Generalissimo » des troupes françaises en Italie. À cette occasion le duc conclut les négociations du mariage de son fils aîné avec la nièce du cardinal Mazarin Laura Martinozzi. Au-delà des liens politiques et conjugaux, les deux cours sont reliées par des choix artistiques similaires, tellement ressemblants que Peter Burke, dans son œuvre The fabrication of Louis XIV (1992), a tracé un véritable « Paris-Modena axis ». L’historien montre comment le mécénat artistique des Este a fourni un modèle rapidement imité par Louis XIV. Cette reconstruction est confirmée par des exemples illustres comme les séjours de Gaspare et Carlo Vigarani et de Gian Lorenzo Bernini qui, après avoir servi le duc de Modena, ont été convoqués à Paris pour des commissions similaires. Les deux premiers fournirent en 1659 des projets pour la construction de la Salle des Machines, construite aux Tuileries et conçue sur le modèle du Théâtre Ducal de Modène, terminé en 1656. Puis, Bernini fut appelé par le cardinal Mazarin pour les projets – très connus – du palais du monarque ainsi que pour la réalisation de son portrait. Ces deux mandats reprennent les mêmes missions que Francesco I avais données à Bernini une quinzaine d’années avant. Les études conduites jusqu’ici se sont concentrées sur les séjours parisiens de ces artistes, en clarifiant l’influence du mécénat de Francesco I sur la construction de l’image du Roi Soleil. L’apport français à la politique artistique du duc reste cependant encore inexploré. Cette politique similaire à celle de Louis XIV était orientée vers la diffusion d’un pouvoir central renforcé, en particulier après la perte de Ferrara en 1598. En raison de ces liens politiques, conjugaux et artistiques très étroits entre les deux cours, le versant modénais de l’axe Paris-Modène mérite une recherche approfondie, négligée jusqu’au présent. Au XVIIe siècle, plusieurs artistes français arrivèrent à Modena pour satisfaire les commandes de la cour, ou fournir des œuvres pour la collection progressivement enrichie par le duc. L’artiste le plus célèbre fut Jean Boulanger (1606-1660), né à Troyes et engagé durablement au service des Este à partir de l’année 1638. Le peintre, connu pour la Galerie de Bacchus au Palazzo Ducale de Sassuolo, a dirigé les projets décoratifs des chantiers les plus importants inaugurés pendant le ducat de Francesco I. Il est le premier d’une longue liste d’artistes français qui viendront à Modène. Parmi ces artistes, il faut compter le neveu de Jean, Olivier Dauphin (1634-1683), qui a rejoint son oncle non seulement pour décorer la « delizia estense » de Sassuolo, mais également celle détruite dite « delle Pentetorri ». Boulanger et Dauphin seront objet d’une étude systématique puisqu’ils vécurent très longtemps à Modène, en pourvoyant aux requêtes de la cour. D’autres peintres français comme Pierre Laurier, Pierre Mignard, Michele Desubleo et Nicolas Régnier, ont en revanche séjourné occasionnellement à la cour des Este ou bien ont exécuté leur œuvres depuis l’étranger. Pour identifier la contribution française à la formation de l’image du duc, la recherche devra inclure également l’art typographique, utilisé en tant que propagande. Parmi les graveurs français actifs à Modène, Bartolomeo Fenis se distingue par son étude de la représentation du pouvoir ducal. Fenis, en effet, collabora à l’exploit typographique le plus prestigieux du XVIIe siècle baroque, en signant la plus part des gravures de l’Idea di un prencipe et eroe christiano (1659). Cette œuvre grandiose fut rédigée par le jésuite Domenico Gamberti, chargé de cette commande par Alfonso IV, en mémoire de Francesco I. Dans ce volume, les illustrations offrent une représentation du prince chrétien qui est moins abstraite par rapport au paradigme élaboré par le jésuite : il s’agit en effet de gravures qui parcourent l’histoire humaine et politique du duc et en modèlent l’image, en offrant aux yeux contemporains un regard précieux du XVIIe siècle sur des fragments de l’histoire des Este. À partir de ces artistes, la recherche veut reconstituer les commandes ducales, les modalités de leur engagement et leur fonction dans la politique culturelle des Este, au-delà d’une clarification du rôle que les ducs ont joué dans le cadre plus vaste des relations culturelles franco-estensi. Les sources nécessaires pour mettre en valeur ces relations sont les rapports diplomatiques entre les deux cours, mon deuxième champ de recherche. Les Este, en fait, étaient constamment informés du mécénat artistique de Louis XIV, grâce aux nombreux agents ducaux à Paris. Le cas de Girolamo Graziani est emblématique. Cet agent ducal, né à Pergola en 1604, fut poète, ambassadeur et secrétaire d’état au service des Este à partir de 1628 jusqu’à sa mort en 1674. Parmi ses nombreux mandats, on compte deux missions à Paris en 1648 et 1655. Sur le sol français Graziani entra en contact avec les responsables de la propagande de la monarchie qui représentaient un véritable « dicastère de la gloire », selon la définition de Peter Burke. Il avait gagné l’amitié du cardinal Mazarin, destinataire de son Colosso Sacro (1656), et celle de Jean Chapelain, poète et critique, membre de l’Académie Française, avec lequel Graziani garda un rapport épistolaire constant. On sait bien que Chapelain était convaincu de l’utilité des arts à des fins de célébration de la grandeur du Roi Soleil et qu’il fut promoteur du mécanisme de gratifications pécuniaires pour les lettrés qui en exaltaient les actions. Girolamo Graziani, lui-même, dans les années ’60, reçut une pension de la part de Louis XIV pour trois ouvrages qu’il avait rédigés pour le glorifier. Pour cette raison, il est très important que la recherche s’intéresse aux panégyriques que Graziani avait composés pour honorer la cour de France ainsi qu’à sa correspondance. Il y avait parmi ses destinataires, les responsables des stratégies artistiques françaises. La nécessité de clarifier son rôle dans la politique culturelle français est mise en exergue par son implication dans les initiatives artistiques encouragées par le ducat. Graziani, en effet, conçut l’idée du tournoi voulu par la cour en 1637 pour célébrer l’élection impériale de Ferdinand II, et aussi de la Gara delle Stagioni, mise en scène pour la visite des archiducs de Innsbruck. En outre, Graziani fut responsable de l’iconographie des fresques du Palais Ducal de Sassuolo, où il collabora avec Jean Boulanger, artiste auquel il avait commandé le tableau pour la chapelle familiale du Dôme de Pergola. En choisissant le peintre de cour, le secrétaire imitait le mécénat ducal : cet aspect nous oblige d’inclure parmi les objectifs de la recherche l’analyse ponctuelle de cette chapelle. 2. ÉTAT DE L’ART Adolfo Venturi, avec son ouvrage La Regia Galleria Estense (1882), avait fait le premier et fondamental pas en avant dans la définition de la politique artistique des Este à Modène. Son étude a représenté le point de départ des campagnes de recherche conduites le siècle suivant, et dont les résultats ont abouti à l’exposition fondamentale L’arte degli Estensi de 1986 et aux publications rapprochées des anneés ’90 : Sovrane passioni (1998) e Modena 1598: l’invenzione di una capitale (1999). Ces recherches ont permis de mettre en lumière la richesse du mécénat ducal avec une précision considérable. Cette richesse a fait l’objet d’études monographiques de Janet Southorn (Power and display in the Seventeenth Century, 1988) et de Alice Jarrard (Architecture as performance in Seventeenth century, 2003) qui n’a pas manqué de mettre en évidence les liens culturels entre Paris et Modena. Elle a notamment démontré comment le modèle théâtral inauguré à Modène par les Vigarani avait fourni un élément fondamental à l’expression de l’absolutisme de Louis XIV. De cette façon, la recherche était conduite sur le front français du « Paris- Modena axis », mais on continuait à ignorer le modénais. À cette lacune dans l’étude comparative des stratégies artistiques de la monarchie et du ducat s’ajoutent de nombreux défauts qui concernent, plus spécifiquement, les artistes français à la cour ducale, explorés marginalement jusqu’ici et seulement dans des études fragmentaires. La seule étude monographique dédiée à Jean Boulanger remonte à la moitié du XXe siècle et a été réalisée par Massimo Pirondini. Après cette étude fondamentale, on peut compter plusieurs essais qui ont permis de ne récupérer que marginalement la production du peintre de Troyes, mais les circonstances qui l’ont amené à Modena à partir de l’atelier de Guido Reni restent encore obscures. Les recherches de Daniele Benati et de Graziella Martinelli Braglia ont mis en lumière la production artistique de son neveu, Olivier Dauphin. Cependant la liste des œuvres qu’il a réalisés pour les églises modénaises et qui ont été perdues est encore considérable et il manque un cadre d’ensemble de sa carrière au service des Este. Entre autre, Olivier Dauphin était très connu comme graveur mais le catalogue de ses estampes apparait lacunaire, en comptant seulement peu d’exemplaires.

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