Numéro 2 - 20 janvier 2018 THE DARK KNIGHT RISES TERREUR, RÉVOLUTION ET MYTHE D’UNE NATION Rodrigue DELRUE Graduate student - Internatonal Relatons Université catholique de Louvain « L’idée l’a traversé, comme The Dark Knight, 2008 [2e opus] ; In- s’échapper et à vaincre Bane (après pour toi et moi, et il a été le premier cepton, 2010 ; Interstellar, 2014). Le une bataille fnale impliquant poli- Batman. Et il est resté Batman long- réalisateur co-scénarise le projet au ciers de Gotham, pro-Batman, et la temps… Jusqu’à ce qu’il devienne côté son frère Jonathan. Le flm est milice du terroriste, ant-Batman), vieux et fatgué et que la ville soit chapeauté par une co-producton an- sauvant ainsi la ville du mal. en paix. Depuis, il y a eu presque dix glo-américaine4. génératons de nous. Il y a eu bien des Après sa sorte, le flm est plongé menaces… Mais il y a aussi toujours L’histoire se déroule dans la ville fc- dans controverse : le ‘Batman’ de No- eu un Batman pour les combatre. » tve de Gotham (inspirée de New lan serait réactonnaire. Par ailleurs, York) huit ans après les événements Bane, l’ennemi principal, est récupéré 26e Batman. du Dark Knight. Bruce Wayne (Chris- comme avatar du mouvement an- S. SNYDER, S. MURPHY, M. HOLLING- tan Bale), diletante millionnaire de t-establishment Occupy Wall Street. SWORTH, J. LEE, « Vingt-Sept », DC jour, justcier de nuit sous les traits du Comment l’œuvre de Nolan a-t-elle Comics, 2015, Coll. Detectve Comics, Batman, s’est retré de la lute contre réussi à soulever un débat au sein du n°2 le crime. Huit années plus tôt, un ami peuple américain ? Bruce Wayne est- de Wayne, le procureur Harvey Dent il simplement conservateur ? Quels The Dark Knight Rises (TDKR) (Aaron Eckhart), s’était laissé corrom- éléments du flm ont parlé au peu- sortait dans les salles obscures le 20 pre par le Joker (Heath Ledger) – ri- ple américain ?... Agrégés ensemble, 1 juillet 2012 dans un contexte pour le val de Batman par excellence – tuant ces interrogatons donnent lieu à une moins houleux. Le même jour, dans plusieurs ofciers de police. Le Che- queston plus englobante : quels sont un cinéma d’Aurora (Colorado), une valier Noir5 endossa la responsabilité les représentatons et mythes collec- tuerie causée par un jeune homme de des crimes de Dent afn de mainte- tfs véhiculés par le positonnement 24 ans se faisant passer pour le Joker nir la validité d’un acte rédigé par ce politque du flm The Dark Knight Ris- teinta de rouge la difusion améric- dernier, permetant de faire enfer- es ? aine du flm. Cela ne l’empêchera pas mer une majorité de la pègre de Go- d’engranger un succès important, tham. Alors reclus dans son manoir, SuperhéroS, mytheS, classant le flm au troisième rang des une nouvelle menace apparait : Bane repréSentationS et poli meilleurs week-end d’ouvertures de (Tom Hardy)6, un mercenaire-terror- - 2 l’histoire du cinéma . De plus, il fera iste souhaitant voir la destructon de tique parte pendant un certain temps des Gotham et de Batman. Face à cete dix plus grands succès du grand écran menace, Wayne ne peut rester de Selon Kracauer, le cinéma avec un box-ofce estmé à un milliard marbre et reprend son costume pour permet, plus que toute autre forme 3 de dollars . Le flm est le troisième sauver la ville. Bruce est fait prison- de média, de reféter la mentalité opus d’une trilogie consacrée à Bat- nier après un premier combat perdu d’une naton. L’auteur allemand jus- man réalisée par Christopher Nolan face au terroriste, laissant Gotham tfe ce postulat de la manière suiv- (Memento, 2000 ; Batman Begins, sous le joug de Bane. Cependant, ante : 1) les productons cinémato- 2005 [1er opus] ; Prestge, 2006 ; Batman, rompu à la survie, réussira à graphiques ne sont jamais le travail 1 d’un seul homme, elles font appel à tant que vecteur des représentatons et mythes collectfs véhiculés par le une pléthore de personnes où chacun mentales politco-socio-culturelles positonnement politque du flm The peut apporter son humble contribu- américaines9. Dark Knight Rises ? ton – pour peu que les producteurs et réalisateurs tendent l’oreille ; 2) dans Les récits développés au cinéma et terreur et anti-Es- dans les comics sont ici entendus un jeu de socialisaton, Hollywood et tablishmEnt chez un cheva- le grand public se renvoient la balle : selon l’une des assertons de Litz lier noir réac’ à court terme les studios de cinéma stpulant que : « si […] tout récit est la représentaton d’un événement délivrent des productons qu’ils veu- La culture populaire – tant (fctf ou réel), tout récit pourra alors lent voir désirées par le public, mais dans les comics qu’au cinéma – a tou- être porteur de mythes, qu’il soit à long terme c’est ce que l’audience jours été mêlée à la politque. Les œu- une pure fcton […] ou strict compte vres relevant de la pop culture sont souhaite voir qui caractérise la na- 10 ture des flms. Ainsi le cinéma est-il rendu de fait divers » – où le mythe donc un moyen efectf pour prendre peut être compris, en combinant les la température de l’opinion publique le refet des représentatons de l’in- 11 12 conscient collectf d’une naton – une défnitons de Morin et Eliade , et – comme mentonné précédem- dispositon psychologique en deçà de comme un récit imaginaire revêtant ment – d’analyser les représentatons 19 l’état de conscience – où chaque flm une facete de sacré entendu com- politques d’une époque donnée . me vrai par un groupe de personnes, Dans son ouvrage War, Politcs And brosse un tableau de la psychologie 13 historico-politque de son temps7. ancré dans la mémoire collectve . Si Superheroes, DiPaolo propose trois les mythes portent en eux une fac- éléments défnissant le positonne- Si le sociologue allemand voit le ete sacrée, c’est parce qu’ils furent, ment politque d’un flm : le poids cinéma comme le meilleur média en des temps reculés, des histoires politque, les thématques abordées pour véhiculer l’inconscient collectf répondant aux angoisses existent- et le ton. Le poids politque de l’œu- d’une naton, sa théorie peut être elles de notre créaton en faisant ap- vre est déterminé par le degré de aujourd’hui transférée aux comics, pel à des Etres Surnaturels14. L’avène- centralité du message politque, tan- un style de bande dessinée propre ment de la science replaça le discours dis que la facete progressiste-réac- à la culture américaine. D’une part, explicatf de la créaton du monde tonnaire est facteur de la manière la plupart des comics sont confec- (et de l’homme), laissant certains dont un flm aborde les thématques tonnés par des panels d’auteurs : mythes au placard de l’imaginaire de classes sociales, de l’image de la femme, de minorités, de nature, de plusieurs scénaristes et dessinateurs collectf15. Néanmoins, cela ne signi- violence et de sexualité. Une focale collaborent ensemble sur un seul fe pas que les mythes ont disparu. sera donnée ici aux thématques les tome, chacun apportant sa pierre Moins prégnants que par le passé, ils plus saillantes de TDKR : la violence à l’édifce – l’éditeur en chef ayant sont repris dans les médias au sein et les classes sociales. De plus, le ton également son mot à dire dans le d’un processus de réactualisaton est crucial dans la lecture politque 16 processus de créaton. D’autre part, constant . A cet égard, van Ypersele d’une œuvre pour déterminer si une les maisons d’éditons américaines note que « […] les récits mythiques œuvre verse dans le litéral ou la sa- (Detectve Comics, Marvel…) font ne sont plus aussi unifés qu’autre- tyre subtle20. Voyons d’un peu plus souvent appel au public afn de dé- fois. […] Cete dispersion de la dimen- près le premier élément, le poids terminer quels comics, héros ou his- sion mythologique dans le monde politque de l’œuvre. toires devraient prendre le devant contemporain explique pourquoi de la scène. Au fl des ans, les com- les historiens préfèrent de plus en De prime abord, Christopher Nolan ics – en partculier ceux centrés sur plus parler de ‘système de représen- n’apparait pas comme étant un réal- isateur engagé ou politsé. En 2012, des superhéros – se sont détachés de tatons collectves’ plutôt que de il confera au magazine Rolling Stone leurs auteurs originels pour passer ‘mythes’. »17 Les histoires des comics que s’il est possible de faire des con- entre les mains des meilleurs artstes et du genre cinématographique su- nectons entre TDKR et l’univers poli- et scénaristes anglosaxons, chacun perhéros sont donc des récits grav- tque, celles-ci demeurent purement apportant son idéologie propre ainsi itant autour de la fgure mythique fortuites – le but du réalisateur étant que la représentaton du monde de d’un héros central qui réunit des d’envoyer un message universel sans leur temps. Aussi le comics se réac- éléments de l’inconscient collectf, aliéner quiconque21. Cela étant, si tualise-t-il constamment, illustrant la permetant aux lecteurs/spectateurs Christopher Nolan se perçoit comme mentalité d’une époque déterminée de s’y identfer et de construire leurs un conteur d’histoires universelles, – une thématque développée en fl- identtés tout en calmant les angoiss- son œuvre n’est pas moins marquée igrane de l’ouvrage Les Chroniques es contemporaines (politques, socia- par la centralité d’un message poli- de DC Comics de Cowsill, Irvine, les ou encore existentelles) qui les tque.
Details
-
File Typepdf
-
Upload Time-
-
Content LanguagesEnglish
-
Upload UserAnonymous/Not logged-in
-
File Pages9 Page
-
File Size-