MÉMOIRES D'UN PÈRE A SES ENFANTS UNE FAMILLE VENDEENNE PENDANT LA GRANDE GUERRE (1793-1795) PAR M BOUTILLIER DE SAINT-ANDRÉ AVEC INTRODUCTION, NOTES, NOTICES ET PIÈCES JUSTIFICATIVES PAR M. L'ABBÉ EUGÈNE BOSSARD DOCTEUR ÈS LETTRES PARIS LIBRAIRIE PLON E. PLON, NOURRIT ET CIE IMPRIMEURS-ÉDITEURS 10, RUE GARANCIÈRE 1896 Tous droits réservés INTRODUCTION A Monsieur le marquis d'Elbée. Environ un mois et demi après le soulèvement de la Vendée (12 mars 1793), quand, dans les derniers jours de mai, fut organisé le Conseil supérieur à Châtillon, les généraux vendéens, et surtout d'Elbée, sollicitèrent vivement un ancien sénéchal de Mortagne, plus tard président du tribunal du district de Cholet, d'y entrer en qualité d'avocat général : M. Marin-Jacques Boutil- lier de Saint-André avait tout pour remplir cette diffi- cile fonction : une honnêteté rigide, une « grande connaissance des affaires », une « élocution facile et brillante ». Cependant, malgré ses sentiments roya- listes, pour différents motifs, il refusa : « Il n'aspirait plus qu'au repos ; il pressentait déjà sa fin prochaine et voulait consacrer ses derniers instants à sa famille. » Toutefois, d'Elbée, préoccupé dès le début de la guerre d'attirer à l'insurrection toutes les forces vives et hon- nêtes du pays, voulut mettre un ami, qu'il connais- II INTRODUCTION. sait et estimait depuis longtemps, à même « de faire servir ses talents à la cause royale » et lui demanda de défendre au moins par la plume ce qu'il ne pouvait défendre par les armes : il « l'engagea si vivement à écrire l'histoire de la Vendée » que M. Boutillier de Saint-André accepta. Cette charge d'historiographe officiel « le laissait au milieu de sa famille, ménageait sa santé et convenait à ses goûts studieux et sédentaires : il se mit aussitôt à l'œuvre, malgré une grande défiance de ses moyens, car il avait une modestie égale à son mérite » ; mais avec courage, car il ne cessa d'y travailler jusqu'au 15 octobre 1793. A cette époque, son oeuvre, écrite au jour le jour et suivant le cours des événements, d'après les documents les plus officiels, ses conversations avec les généraux, avec Cathelineau et d'Elbée en particu- lier, avec les nouveaux administrateurs du pays et une foule de personnes qui, de près ou de loin, étaient mêlées à la lutte, d'après surtout ses renseignements personnels, son œuvre, dis-je, formait deux forts volumes manuscrits. I Marin-Jacques Boutillier de Saint-André était issu d'une vieille famille du pays, fort nombreuse et très honorable. Il était fils de Jacques-Grégoire Boutillier INTRODUCTION. III du Coin, notaire et procureur fiscal à Mortagne, séné- chal de la Séguinière et marquisat de Beauvau, et de Marie Soulard de la Roche, fille d'un sénéchal de la châtellenie de Chambretaud, notaire et procureur de la cour de Mortagne. Il était le second de sept enfants, dont plusieurs ont joué un rôle important dans la guerre de Vendée. Il naquit à Mortagne-sur-Sèvre, le 1er septembre 1 746. Marin-Jacques fit de bonnes études au collège de Beaupréau, dont un homme de grande valeur, M. Darondeau, venait de prendre la direction. Ce collège était, avant la Révolution, la plus riche, sinon l'unique pépinière du clergé vendéen, et, par là, son influence sur la Vendée religieuse et par consé- quent politique a été immense et n'est pas assez connue. C'était, en outre, le principal foyer intellectuel du pays, où les meilleures familles, nobles et bourgeoises, envoyaient leurs fils. Là, Marin-Jacques connut nombre d'hommes remarquables ou célèbres depuis, entre autres Larévellière-Lépeaux. Bachelier en droit cano- nique et civil à la Faculté de Poitiers, le 8 juin 1768, licencié à la même Faculté le 10 juin 1769, il y fut reçu capable pour la jurisprudence française le 1er août de la même année. De Poitiers, il alla à Paris, où il fut nommé avocat au Parlement, sur la présentation de Legouvé, père de l'auteur du Mérite des femmes, avocat célèbre, avec qui il était lié d'une étroite amitié. Leur intimité dura environ deux ans; mais l'amitié qui les unissait ne fut rompue que par la mort. En 1772, Marin-Jacques revint en Poitou, où le rap- IV INTRODUCTION. pelaient de graves intérêts de famille. Un de ses oncles maternels, Louis Bourasseau de la Renollière, avocat au Parlement, venait de se démettre de sa charge de sénéchal de la baronnie de Mortagne : le duc de Vil- leroy, baron de Mortagne, y nomma pour lui succéder Marin-Jacques Boutillier de Saint-André, le 1 8 mars 1772. Le 12 mai suivant, il était également nommé sénéchal de la terre et seigneurie de la Grande-Plisson- nière et, le 10 juin, juge-sénéchal de la juridiction de la commanderie de Mauléon (1), de l'ordre de Malte. En 1787, lors des assemblées provinciales, il fut élu procureur-syndic de l'assemblée siégeant à l'élection de Chatillon; enfin, le 11 mars 1789, il fit partie de l'assemblée du Tiers État de la sénéchaussée du Poitou. Il avait épousé, le 17 juillet 1780, sa cousine germaine, Marie-Renée Boutillier de la Chèze, dont il eut quatre enfants, deux fils et deux filles. La Révolution, en détruisant les anciennes juridic- tions, lui enleva ses titres et ses charges : il s'y résigna sans murmures et attendit que le nouvel ordre de choses lui permît de mettre ses talents au service du bien public. Il n'attendit pas longtemps : il avait trop l' « estime universelle » de ses concitoyens pour n'en avoir pas les faveurs. Il fut élu maire de Mortagne en 1790; bientôt après, un de ses amis lui annonça, à sa grande surprise, qu'il venait d'être nommé par les suffrages du peuple président du tribunal du district de Cholet. Comme tant d'autres hommes en Vendée, (1) Nom ancien de Châtillon-sur-Sèvre. INTRODUCTION. V on peut même dire, comme l'immense majorité de ses compatriotes, il avait salué avec enthousiasme le mou- vement de réformes de 1789 : ses idées, bien connues, étaient sages et libérales; le peuple, encore sain, ne pouvait choisir un magistrat plus intègre. Tout en demeurant à Mortagne, il remplit les fonctions de sa charge nouvelle avec exactitude. Mais les séjours forcés qu'il faisait dans Cholet le mirent nécessairement en relations habituelles avec les fortes têtes du cru, qui l'entraînèrent malgré lui dans des lieux où ses convic- tions religieuses et royalistes furent mises à de rudes épreuves. Déjà, dans les petites villes de province comme dans Paris, les énergumènes dominaient et préludaient, par des discours « patriotiques » et des motions violentes, aux fureurs du jacobinisme. Cholet eut naturellement sou club, qui se réunissait dans l'ancien couvent des Cordeliers; là, les « patriotes » s'échauffaient à qui mieux mieux en s'excitant mutuellement à l'amour de la liberté par la haine des tyrans. Personne n'ignore qu'il n'y eut rien de pire dans la Révolution que ces assemblées de village, où la sottise en sabots n'était surpassée que par la suffisance en perruque, et qui furent des foyers d'intolérance, de jalousies, de dénon- ciations à jet continu, et bientôt de proscriptions, de vexations de toutes sortes, de passions « patriotiques » et irréligieuses d'une implacable férocité : source principale des colères qui soulevèrent la Vendée. M. Boutillier de Saint-André assistait généralement VI INTRODUCTION. aux réunions du club des Cordeliers; il y menait même quelquefois son fils aîné, âgé de onze ans; mais les modérés comme lui n'y furent pas longtemps écoutés : comme toujours, les violents l'emportèrent bientôt, renchérissant chaque jour sur les mesures vexatoires prises en haut lieu contre les nobles et les prêtres, et provoquant, devançant même sans interrup- tion, par leurs paroles et par leurs actes, des mesures plus intolérantes encore. M. Boutillier de Saint-André était bien éloigné de pareilles fureurs : il était discret, prudent, ne faisant rien qui pût le compromettre ; mais il fut réduit à garder le silence, et ce silence lui attira la méfiance d'abord et bientôt la haine des enragés ; il fut regardé comme « un improbateur » indirect, accusé d'incivisme, traité d'aristocrate et finalement destitué. Quelques mois plus tard, sa réserve l'eût conduit à la prison et à réchafaud : à ce moment encore, il lui fut permis de se retirer près de sa famille, attendant dans une retraite inquiète la fin de la tempête qui se déchaînait. Cette retraite fut bientôt troublée, et les événements, qui se précipitaient, vinrent le solliciter d'en sortir : la Vendée se souleva le 12 mars 1793. Boutillier de Saint- André, par tempérament, par crainte de l'avenir, par timidité naturelle aussi peut-être, crut bon de cher- cher à garder la neutralité, sans réfléchir que si le neutre est étranger à notre langue, c'est qu'il répugne encore plus au caractère français. S'il ne condamna pas une insurrection trop justifiée par ses causes, il fut INTRODUCTION. VII loin de s'en réjouir, prévoyant les malheurs qui la sui- vraient, si elle ne réussissait pas. Comme Mortagne était mal noté parmi les insurgés à cause de l'exalta- tion républicaine de ses habitants, il craignit leur colère indiscrète, et son premier mouvement fut de se cacher avec sa famille; mais, quand il fut témoin de la modération des Vendéens, il ne tarda pas à reparaître au milieu d'eux. Il en était connu et estimé; aussi certains « patauds », plus compromis que les autres, durent la vie à ses démarches en leur faveur; car, nous le verrons dans ces Mémoires, cet homme, pusillanime quand il s'agissait de lui-même, se ressaisissait bien vite quand il s'agissait des autres et, pour les arracher au danger, n'hésitait pas à risquer ses jours.
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