L’inauguration du musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice en 1990 Philippe Poirrier To cite this version: Philippe Poirrier. L’inauguration du musée d’art moderne et d’art contemporain de Nice en 1990. Vingtième siècle, Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1993, 38 (1), pp.62-73. hal-01545706 HAL Id: hal-01545706 https://hal-univ-bourgogne.archives-ouvertes.fr/hal-01545706 Submitted on 23 Jun 2017 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Vingtième Siècle, revue d'histoire L'inauguration du musée d'art moderne et d'art contemporain de Nice en 1990 Philippe Poirrier Abstract The inauguration of the Nice Museum of Modem and Conteporary Art in 1990, Philippe Poirrier. On 8 April 1990, the Franco-American sculptor Annan refused to inaugurate the retrospective of his work at the new Modem and Contemporary Art Museum of Nice in company of Jacques Médecin, mayor of Nice. The reason was the mayor's complecency vis-à-vis the National Front's theses. The incident originated a local and then a national affair that in which the artists, the elected officials of the Côte d'Azur and the minister of Culture, Jack Lang, were involved. The debate clearly illustrates some of the political stakes involved in cultural policies in France. Citer ce document / Cite this document : Poirrier Philippe. L'inauguration du musée d'art moderne et d'art contemporain de Nice en 1990. In: Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°38, avril-juin 1993. pp. 62-73; http://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1993_num_38_1_2680 Document généré le 05/05/2016 L'INAUGURATION DU MUSEE D'ART MODERNE ET D'ART CONTEMPORAIN DE NICE EN 1990 Philippe Poirrier Voici, avec la montée du Front (MAMAC) 1. Ce refus ouvre alors un vaste national et l'affaire de Carpentras en toile débat auquel participent les principaux de fond, la culture niçoise dans tous acteurs d'une politique culturelle: le ses états, prise en tenaille entre le prince, Jack Lang, l'édile, Jacques prince et l'édile, à l'occasion d'une Médecin, et les milieux culturels parisiens et polémique précédant l'ouverture d'un niçois. L'étude, sur trois mois, de cette musée. Nos politiques culturelles polémique permet de mieux comprendre contemporaines sont, décidément, la place qu'occupe, à la fin des années pleinement politiques. « Que dois-je faire ?, 1980, la «culture» dans le discours des a conclu le peintre Ben en juin 1990: élus. Elle renseigne sur le rôle, dire que je ne supporte plus la singulièrement français, du ministère de la Culture désinformation et que je n'aime pas être et de celui qui matérialise et symbolise manipulé, ni par les médias, ni par les l'action culturelle de l'État : le ministre. De Jack ou les Jacques ». surcroît, cette approche met en évidence l'évolution du système < À P politico-administratif depuis les lois de décentralisation en 1982. Enfin, l'analyse de la perception, Ai: ou plutôt des perceptions, d'un «boycottage» qui, par ses répercussions dans l'espace public, donne sens à un geste individuel, apporte des éléments sur la déclarationsn'aiexpositiondansCettel'Agenceaméricaindel'inauguration,moderne la pasrétrospectiveassezleJean-MarieprèsWaffendéclaration, sourireFrance-Presse euet SS Arman,antisémites mainla d'artSchoenhuber le réception finavec cœur Le dans contemporainde annoncejuin,Penle l'artiste ledu ded'inaugurer 8laet mairesculpteurdu royaleM.àavriletmain, l'ancien prévueMuséel'annulationMédecin,les de 1990,de faitesourirefranco- Nice. cettepourNiced'art je à» construction et la diffusion d'un «événement» dans une société désormais fortement marquée par l'omniprésence de la médiatisation 2. texte ne permit pas la diffusion du refus d'Arman. C'est donc la version de l'AFP, plus précise, et reprise par l'ensemble des 1 Le 7 avril, Arman avait fait parvenir aux rédactions de la médias, qu'il faut retenir. presse française, par l'intermédiaire de la galerie Beaubourg, 2. Nous tenons à remercier ici la direction du MAMAC et un premier texte manuscrit explicitant sa démarche. Resté Isabelle Goetzmann, responsable du service de documentation confidentiel, seul Sud-Ouest le publie dans son édition du 8 avril, ce du musée. 62 O ÉPHÉMÉRIDE exprime ouvertement son désaccord en placardant, place Garibaldi, à deux pas du nouveau musée, des affiches sur Le refus de l'artiste lesquelles on peut lire: «Je suis Niçois et Alors que le 2 avril 1990 l'AFP plaçait j'aime ma ville mais j'ai honte de mon l'inauguration du MAMAC sous le signe maire » 2. La réaction de la ville de Nice de la première rétrospective en France est alors modérée et André Barthe, d'Arman, le désistement de l'artiste, délégué aux Affaires culturelles et aux diffusé le 8, semble surprendre, même si les beaux-arts, se contente d'exprimer les prises de parole civiques du plasticien regrets de la municipalité 3. sont déjà nombreuses. En effet, les Dès le 9 avril, Jack Lang envoie à convictions éthiques d'Arman ne sont pas Arman un télégramme de felicitation. Le nouvelles : membre du Mouvement contre le lendemain, un communiqué du ministère racisme et pour l'amitié entre les peuples de la Culture signale le geste du ministre (MRAP), ancien président, aux États-Unis, et ajoute: «Au moment où Monsieur de l'Association des artistes contre Médecin récidive et revendique à 99,9 % l'apartheid, le plasticien s'était déjà élevé en les thèses du Front national, Jack Lang 1974 contre le jumelage entre la ville de espère que d'autres artistes accepteront Nice et Le Cap. Cette décision émane d'un de suivre l'exemple d'Arman» et qu'« au- sculpteur qui bénéficie d'une grande delà du cas particulier de M. Médecin, notoriété, tant au plan local -il apparaît on peut souhaiter que puisse s'organiser en septième position dans le palmarès bientôt un mouvement de boycott des culturel, établi par des journalistes niçois, artistes et des intellectuels à l'égard de «les dix qui comptent», et publié par tous les hommes politiques qui pactisent Télérama (n° 2033, décembre 1989), devancé avec l'antisémitisme » 4. La réaction de respectivement par Jacques Weber, Jean- Jack Lang, au-delà d'un geste de citoyen, Marie Le Clézio, Pierre Médecin (frère du par son mode de médiation, apparaît plus maire et directeur de l'Opéra), Claude comme une position officielle du ministre Fournet, Ben et Hélène Jourdin-Gassin, de la Culture. Elle infléchit nettement le galeriste et présidente d'Art jonction refus d'Arman et donne une implication internationale - qu'au plan international : politique à l'événement. signataire le 27 avril I960 de la Le vœu de Jack Lang est exaucé «Déclaration constitutive » des Nouveaux Réalistes, quelques jours plus tard. Dans sa livraison du proche ami de Klein et niçois comme lui, 26 avril, L'Événement du jeudi approuve Arman est, avec Vasarely, l'artiste français le refus d'Arman et souligne, avant de qui bénéficie à la fin des années 1970 de donner la parole à dix artistes, la notoriété la plus forte auprès des «l'étonnante solidarité d'un milieu de l'art réputé instances de légitimation du monde de l'art 1. concurrent». Si la condamnation des Son refus n'est pas la seule initiative de propos de Jacques Médecin fait l'unanimité, protestation prise contre l'attitude politique du maire de Nice. Dès le 7 avril, le 2. L'affiche est publiée par Var-Matin le 8 avril. peintre et dessinateur niçois Baudoin 3. Nice-Matin le 10 avril et Présent le 25 avril. Des représentants de la municipalité niçoise prendront contact avec 1. Nous suivons ici les • courbes d'estime • élaborées par Arman à New York pour qu'il infléchisse sa décision. Le Annie Verger, • L'art d'estimer l'art. Comment classer sculpteur accepta à condition que Jacques Médecin fasse des excuses l'incomparable ■, Actes de la recherche en sciences sociales, mars 1987, publiques aux trois conseillers municipaux démissionnaires et p. 105-121. Un classement international publié en 1983 par la qu'il les réintègre dans son conseil «afin que la communauté revue Capital confirme ce point : Annan est 23e, devancé par juive retrouve sa dignité •. Le sculpteur ne fut pas entendu. Yves Klein (12e), Daniel Buren (19e), mais devant Martial Raysse (Voir l'entretien publié par La Vie, le 21 juin 1990.) (49e). 4. Texte publié par Libération le 13 avril. 63 PHILIPPE POIRRIER les modalités de la réponse restent sujet Face à la gangrène antisémite et raciste qui à discussion et divisent ses artistes, cherche ici ou là à se frayer droit de cité, les soussignés s'engagent à appliquer le boycott proches, pour la plupart, de l'École de Nice par l'art, au-delà de Nice, à tous les hommes ou dans son sillage: Jacques Monory, et institutions politiques qui se montreraient Daniel Buren, Ben, Sacha Sosno, Bernard complices de l'infamie». Pages, Hervé Di Rosa, Dolla, Daniel Deseuze, Pierre Soulages et Daniel Spoerri. Le même Ce manifeste, qui élargit la perspective, jour, Patriote-Côte d'Azur publie, dans le dépasse la conjoncture niçoise et lui même esprit, les réactions individuelles donne un net caractère international, est d'artistes et critiques d'art niçois ou liés accompagné d'un court texte d'Arman à la ville : Michel Butor, Bernard Pages - - « nous sommes tous des racistes » —, le seul artiste avec le peintre Thupinier à défense d'un monde pluri-culturel et n'avoir pas accepté de serrer la main de apologie du droit à la différence.
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