Le pédagogue Pierre-François Dub-Attenti (pf) : Saint-Sulpice, mai 2007 : comme souvent, la messe de 12h05 a pris du retard. Pas question pour autant d’« expédier » le postlude: la musique pour les fidèles avant tout ! Tant pis, il faudra courir jusqu’au métro et dans les couloirs de la gare de l’Est. Vous saluez les personnes présentes à la console, attrapez votre valise dans le salon Widor et descendez quatre à quatre les escaliers, laissant le soin à Hervé Lussigny d’éteindre les moteurs de l’orgue et de fermer la tribune. Ce dimanche, vous vous rendiez pour la dernière fois à la Musikhochschule de Francfort, mettant ainsi fin à plus de trente ans d’enseignement (et de trajets) vers Marseille, Strasbourg, Sarrebruck et donc Francfort. Depuis ce jour pourtant, on ne peut pas vraiment dire que vous soyez « à la retraite », pour autant que ce mot puisse avoir un sens pour ceux qui sont animés par la passion de transmettre. Il n’est qu’à vous entendre analyser (tout en jouant) une Toccata de Mufat par exemple ou bien signaler avec bienveillance à un organiste de pas- sage les accents indiqués par Vierne dans sa Toccata pour le constater… Chez vous, l’émerveillement est constant et le partage permanent… Les étudiants qui participent aux académies de San Sebastian ou aux masterclasses que vous animez ont la chance de continuer à béné- ficier de vos conseils et la participation à des jurys de concours vous donne l’occasion de garder un lien, si primordial pour vous, avec les jeunes générations. Christophe Zerbini (cz) : Qu’est-ce qu’enseigner pour vous ? Daniel Roth (dr) : Enseigner, c’est transmettre ce que l’on a acquis soi-même et susciter l’enthousiasme pour l’instrument et la musique. Selon moi, enseigner l’art de l’interprétation à l’orgue, vise à ce que l’élève reste fidèle aux idées du compositeur qu’il étudie. Pour ma 1 part, j’ai voulu transmettre à mes élèves le besoin d’une analyse Je n’ai pas eu beaucoup d’élèves débutants, mais dans ce cas, il approfondie de la partition, la nécessité de mener des recherches faut passer par un travail de la pédale seule, qui est une nouveauté historiques sur le toucher, sur l’agogique, les ornements propres à pour les élèves ayant débuté par le piano. Ce travail (gammes, etc.) chaque école d’orgue, la facture des instruments… Tout cela afin de est bien balisé dans diférentes méthodes d’orgue comme celles de reconstituer au mieux « l’univers sonore » du compositeur et d’abou- Dupré2, Peeters3, Germani4 par exemple. tir à une interprétation la plus respectueuse possible, bien que l’on Avant de jouer ensemble mains et pieds, il est primordial de tra- ne puisse prétendre détenir « la » vérité. Il faut que l’élève prenne vailler les diférentes combinaisons : main gauche et pédale, main l’habitude de se poser ces questions. droite et pédale, mains ensemble. Ces conseils étant donnés, l’élève vous quitte pour « voler de ses propres ailes » ou bien fréquenter d’autres enseignants avec des pf : Pour des élèves plus avancés, préconisez-vous la progression points de vue qui peuvent être diférents ou complémentaires. technique au travers du répertoire ou via des exercices ? dr : Avec un nouvel élève, s’il présente une position de mains ou de cz : Pensez-vous, comme l’écrivait Jean-Jacques Rousseau1, que l’on pieds défaillante, je propose des exercices pour corriger ce défaut. peut apprendre soi-même, ou disons, approfondir la musique en En revanche, je n’interviens pas s’il parvient à jouer correctement l’enseignant aux autres ? malgré une position discutable. dr : On apprend énormément en enseignant ! Grâce à certains En ce qui concerne la position, je préconise d’avoir les doigts élèves, on élargit son répertoire. Je me souviens notamment d’un arrondis en forme de voûte, qui tombent verticalement sur les étudiant américain qui m’avait parlé avec enthousiasme de l’Adagio touches. Cela implique un travail de musculation des paumes de la en fa dièse majeur de la Huitième Symphonie de Widor ; je ne connais- main. Je pense aussi que les bras doivent être légèrement dégagés du sais pas cette très belle pièce et depuis j’ai décidé de l’inscrire à corps pour permettre à la main d’être parfaitement droite sur le cla- mon répertoire. vier. Parmi les exercices de correction proposés, j’ai retenu ceux de la méthode de piano de Marthe Morhange-Motchane5. Les premiers cz : Le passage du statut d’étudiant à celui de professeur a-t-il exercices consistent à avoir les cinq doigts sur les notes mi, fa #, sol #, été évident ? la #, do et de lever chaque doigt tout en maintenant les autres pla- dr : J’ai toujours eu grand plaisir à trouver des solutions pour les qués sur le clavier puis d’enfoncer la touche en donnant un peu de problèmes rencontrés par les élèves ; cela a commencé par des pression. Les mêmes exercices sont ensuite réalisés par intervalles questions de doigtés. J’étais encore à la classe d’orgue à Mulhouse de seconde et de tierce. Cela permet de travailler l’indépendance des que des camarades plus âgés que moi me demandaient conseil à ce doigts et de muscler les mains. sujet. J’ai ensuite fait travailler les jeunes maîtrisiens de la basilique À côté de ces exercices, l’étude du répertoire est indispensable, à du Sacré-Cœur à Montmartre alors que j’étais encore étudiant au commencer par l’œuvre de Bach. Bien qu’il n’ait jamais fait paraître Conservatoire. La transition vers l’enseignement s’est ainsi faite pro- de traité, son œuvre abonde en pièces pédagogiques de difculté gressivement, en acquérant peu à peu les qualités indispensables à croissante, destinées en premier lieu à ses enfants et ses élèves : pour tout pédagogue, comme par exemple la patience. le clavier nous avons les Inventions et Sinfonies, le Clavier Bien Tempéré et pour l’orgue : l’Orgelbüchlein, les grands diptyques, ou encore les pf : Quels sont les prérequis d’un élève voulant se consacrer à l’orgue ? Sonates en trio qui recèlent nombre de difcultés techniques à sur- dr : Si un organiste veut être capable de jouer tout le répertoire, le monter. Toutes ces œuvres sont extrêmement importantes pour se piano est selon moi le passage obligé pour posséder une bonne tech- former à la lecture polyphonique et à son rendu avec clarté. Elles exi- nique manuelle. gent une parfaite coordination des mouvements, un toucher précis 2 3 et permettent ainsi de voir si un élève a assimilé la conduite des voix, dr : Il est bien évident que les élèves organistes doivent s’ouvrir au c’est-à-dire le respect de la valeur des notes propres à chaque voix. grand monde de la musique : musique de chambre, piano, orchestre, Au-delà de cette base, l’étude d’autres répertoires complémentaires la voix… domaines qui ont tant inspiré les compositeurs pour orgue est à recommander : musique classique française, musique baroque depuis toujours et en particulier aux xixe - xxe siècles. Par exemple, italienne, espagnole, musique romantique, etc. pour bien interpréter une basse et dessus de trompette, écoutons des duos d’opéras baroques. Quant à la musique d’orgue romantique, pf : Comment fait-on progresser un élève ? Conseillez-vous des en grande partie inspirée par le piano et l’orchestre, c’est l’audition pièces « hors de portée » pour faire progresser un étudiant ? assidue de récitals de piano, de concerts symphoniques et l’étude de dr : Il est essentiel de bien échelonner et d’organiser dans le temps partitions qui nous inspireront pour son interprétation. la progression personnelle de l’élève. Elle dépend de ses progrès et Il est également très important pour un organiste de posséder des difcultés qui restent à surmonter. Il faut choisir avec son accord, un bon bagage dans le domaine des diférentes écritures musicales : des œuvres qui augmentent graduellement en difculté technique harmonie, contrepoint, fugue. mais aussi en degré d’interprétation. Des œuvres un peu au-dessus du niveau de l’élève peuvent efectivement lui faire faire des progrès, pf : Conseillez-vous l’apprentissage par cœur ? mais cela est à utiliser avec précaution et à titre exceptionnel. dr : Absolument. On ne maîtrise totalement une pièce que lors- qu’on la sait par cœur, car ce processus exige une analyse approfon- cz : Quel est le rôle de l’étudiant dans cet apprentissage ? Par exemple die sur le plan tonal, mélodique, harmonique, rythmique et formel. dans la recherche des doigtés… des indications d’articulations, des Les pièces apprises par cœur au cours des années d’études sont très phrasés, etc. ? faciles à remettre en place après de nombreuses années. Je peux dr : Pour la recherche des doigtés, il faut donner à l’élève de bonnes encore jouer de mémoire une bonne partie du répertoire appris par méthodes de base et ensuite il doit se débrouiller lui-même, en fonc- cœur dans ma jeunesse. tion de sa morphologie. La recherche de doigtés les plus confor- tables possibles est de la plus haute importance car en s’astreignant cz : Suggérez-vous l’usage du métronome dans l’apprentissage de toujours utiliser le même doigté, la mémoire mécanique se met d’une pièce ? en place. Cette mémoire est d’autant plus développée si les doigtés dr : Vous savez que je ne suis pas un fanatique du métronome, mais émanent d’une réflexion personnelle plutôt que d’une suggestion je pense que pour bien maîtriser une nouvelle pièce, même une de l’enseignant. œuvre qui sera ensuite jouée avec beaucoup d’agogique et de rubato, L’élève doit aussi s’entraîner à ce que cette mémoire soit « plas- il est bon de l’apprendre de manière métronomique.
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