DISPOSITIFS SPEC[TAC]ULAIRES La Société Terminale 2 Patrick Schmoll & al. La Société Terminale 2 Dispositifs spec[tac]ulaires Collection “Futurs Indicatifs” dirigée par Patrick Schmoll et Jean-Christophe Weber La recherche technoscientifique suscite les interrogations les plus stimulantes, en même temps que les plus inquiètes, tant les limitations habituelles de l’agir hu- main semblent pouvoir être dépassées. Nos techniques nous permettent au- jourd’hui, non plus seulement de transformer notre environnement, mais de nous transformer nous-mêmes en modifiant les données programmatiques du vivant. Les dispositifs techniques de communication reconfigurent le lien social jusque dans l’intimité du rapport de l’individu à lui-même et aux autres. Ce pouvoir de transformation, qui suscitait aux siècles précédents un culte opti- miste du progrès, nourrit au contraire aujourd’hui des craintes liées à ses dangers réels ou supposés, ainsi qu’aux interrogations éthiques qu’il soulève. La com- plexité bouscule nos capacités d’anticipation et de contrôle. Quelle place les humains se ménagent-ils dans les sociétés qu’ils produisent, dès lors qu’ils ont la possibilité technique de se traiter eux-mêmes comme des “res- sources” ou des “produits” de leurs activités ? Quels cadres de pensée pouvons- nous ouvrir pour tenter d’imaginer l’avenir ? Dans cette collection : Patrick Schmoll & al., La Société Terminale 1. Communautés virtuelles (2020) Maquette de couverture : Néothèque/Éditions de l'Ill Image de couverture : Pierre Matter, Miroir, ô mon mioir , 2010, Bronze, H. 43 x L. 75 x la. 12 cm. © Éditions de l'Ill, 2020 11 rue Saint-Maurice, 67000 Strasbourg https://editionsdelill.com/ ISBN : 978-2-490874-12-5 Première édition : Néothèque, Strasbourg, 2012 Cet ouvrage réunit les textes d’articles et d’interventions de : Patrick SCHMOLL, Docteur en psychologie et anthropologue, In- génieur de recherches au CNRS (UMR 7236 “Cultures et so- ciétés en Europe”, Université de Strasbourg) repris de ses articles et de ses interventions dans le cadre du sémi- naire sur la “Société Terminale” qu’il anime depuis 2005 à l’Uni- versité de Strasbourg. Avec les contributions de : Yannick ESTIENNE, Docteur en sciences de l’information et de la communication, Chargé de mission recherche à l’École Supé- rieur de Journalisme (ESJ) de Lille Thierry NOVARESE, Docteur en sociologie politique, Professeur certifié de philosophie Murielle ORY, Docteur en sociologie Thierry JANDROK, Docteur en psychologie, Psychologue clinicien Établissement Public de Santé Alsace Nord, Psychanalyste, Chercheur associé au laboratoire SuLisoM (EA 3071, Uni- versité de Strasbourg) Jocelyn LACHANCE, Docteur en anthropologie, Chargé de recher- che postdoctorale au Laboratoire “Société, Environnement Territoire” (UMR 5603 Université de Pau/CNRS), Membre de l’Observatoire Jeunes et société, INRS Québec Dominique MERG-ESSADI, Sage-femme, Docteur en psychologie, Psychologue, Hôpitaux universitaires de Strasbourg Sommaire Introduction p. 11 Contrôle social et adaptation individuelle Facebook, ou La vie privée en ligne sous haute surveillance par Yannick Estienne p. 33 L’intervention policière sous vidéo : sécurité, contrôle et libertés par Thierry Novarese p. 63 L’espace urbain sous vidéosurveillance et l’acceptation sociale de la transparence par Murielle Ory p. 85 La construction spec[tac]ulaire de soi L’invention du moi. Une lecture médiologique du rapport au miroir p. 107 L’exposition de la vie privée dans les émissions de téléréalité par Murielle Ory p. 153 L’organisation spectaculaire de l’intime. L’exemple de la pornographie p. 169 8 Se déshabiller sur Internet. Significations de la mise en ligne de la nudité et de la sexualité par des adolescentes par Jocelyn Lachance p. 195 Effets de paradoxe des dispositifs d’observation Incons(is)tance du sujet et perplexité du regard clinique avec Dominique Merg-Essadi p. 217 Mourir sous surveillance médicale : évènement sentinelle ou accident quantique ? par Thierry Jandrok p. 249 La boîte à chat de Schrödinger, un paradigme des dispositifs d’observation p. 269 Le politique-spectacle La société comme miroir et comme théâtre p. 293 La mise en abyme du politique : l’exemple des Guignols de l’Info p. 309 Le jour où la France devint folle p. 321 Sur les modes de désignation de la représentation politique p. 331 Les blogs : un analyseur du rapport à l’espace public p. 355 Introduction Introduction Cet ouvrage est le deuxième volet d’une série consacrée au thème que nous explorons sous la dénomination de Société Termi- nale : la figure d’une société dans laquelle le médium technique, tout en interposant ses terminaux de plus en plus quotidiennement comme ce qui permet aux individus de communiquer, les isole pa- radoxalement les uns des autres. Dans un recueil précédent, nous traitions de la forme sociale de cette figure qui s’impose peut-être le plus visiblement aux internautes quand ils effectuent leurs pre- miers pas sur les réseaux, à savoir le phénomène communautaire1. L’un des aspects saillants des communautés en ligne est qu’elles mettent en contact des personnes qui ne se sont pas préala- blement rencontrées en direct et peuvent rester plus ou moins dura- blement séparées physiquement les unes des autres, voire mutuel- lement masquées par l’anonymat des pseudonymes et des avatars, ainsi que par la pratique prédominante d’une communication écrite. La littérature et la filmographie policière et de science-fiction ont popularisé les personnages limites du cyberpunk connecté à la Ma- trice, du “geek” rivé à l’écran de son ordinateur, ou du “no-life” fuyant les contacts directs. Les parents et les éducateurs s’inquiè- tent de voir les jeunes générations s’isoler dans leurs chambres pour allumer leurs ordinateurs, ou se détacher de conversations en cours pour consulter et pianoter sur leurs téléphones mobiles. Une sociologie facile se complait à décrire le repli de chacun dans les habitacles protégés d’une société qui permet de “zapper” la ren- contre avec l’autre. 1 Schmoll P. & al. (2011), La Société Terminale 1. Communautés virtuelles, Strasbourg, Néothèque. 12 DISPOSITIFS SPEC[TAC]ULAIRES Mais ces figures solipsistes s’avèrent dans la réalité n’expri- mer qu’une partie des usages sociaux des technologies de commu- nication. Les formes extrêmes de ces figures, dans lesquelles l’isolement va jusqu’à l’asocialité, ne concernent qu’une minorité d’usagers des réseaux. L’un des effets remarquables de la diffusion généralisée de ces technologies est au contraire la mise en spectacle de soi. L’épaisseur que le médium introduit entre les interlocuteurs, en occultant leur visibilité l’un à l’autre, en autorisant l’anonymat, en privilégiant dans de nombreux cas l’écrit sur l’oral, suscite tout un jeu de vitrines, de masques et de miroirs, dans des pratiques dont la portée sociale est d’autant plus importante qu’elles sont lar- gement médiatisées : blogs et sites de réseautage de type Facebook, publiant les rédactionnels plus ou moins intimes et les photos de leurs rédacteurs, sites Internet de particuliers qui proposent à leurs visiteurs la vision de leur domicile en continu par webcam, espaces de rencontres et de jeux en ligne, talk-shows télévisés, émissions de téléréalité filmant la vie quotidienne et les confidences d’un groupe en confinement, mise en scène de la sexualité dans une pornogra- phie dont les prises de vues sont de plus en plus invasives. Plus passivement et plus insidieusement, les êtres humains s’habituent depuis plusieurs années à être observés, sur leur lieu de travail, dans les magasins, dans l’espace public, voire à leur domi- cile, au travers de dispositifs2 de surveillance de leurs échanges té- léinformatiques et de vidéosurveillance de leurs faits et gestes. Des bracelets, des implants, ou simplement nos téléphones portables, permettent de suivre nos déplacements. La miniaturisation, et de- main les nanotechnologies, améliorent les techniques d’imagerie médicale et permettent d’implanter à l’intérieur de l’organisme des systèmes de diagnostic et d’alerte à distance, modifiant ainsi notre rapport intime à notre propre corps. Cette mise sous le regard d’au- 2 Nous ferons dans cet ouvrage, comme le titre l’annonce, un usage constant du terme de dispositif, parfois dans un sens simplement commun, comme ici, plus souvent dans l’acception popularisée par Michel Foucault. Il désigne alors un ensemble, au départ hétérogène, d’aménagements spatiaux, d’appareillages tech- nologiques, de discours, de récits, de règles, qui trouvent une cohérence dans leur mise en réseau. Le dispositif a des effets de formatage des relations sociales et de leur organisation, ainsi que de l’individu. Pour Foucault, le sujet est une production historique de dispositifs qui ont fini par requérir un individu doté d’une intériorité. Le terme a été repris par d’autres auteurs, dont récemment Giorgio Agamben (2006), pour être appliqué à d’autres situations que celles étudiées par Foucault : la multiplicité des dispositifs détermine selon Agamben des processus de subjectivation multiples qui concourent à l’incertitude identitaire. INTRODUCTION 13 trui de ce qui nous est le plus intérieur est de mieux en mieux ac- ceptée, socialement et individuellement, sous la pression d’un dis- cours de prévention des risques. La sécurité des personnes et des biens est devenue une condition de la vie en société, voire de la démocratie et de la civilisation, qui tend à passer pour plus impor- tante que le respect de la vie privée. Deux façons contrastées de problématiser Dispositifs de surveillance et de contrôle, dispositifs de mise en spectacle de soi : il y a là deux manières de présenter cette insti- tution de la transparence par les technologies de communication. Dans l’une, l’accent est mis sur les instruments que le système met en place pour observer les acteurs, dans l’autre ce sont les acteurs eux-mêmes dont on s’étonne qu’ils cherchent à se donner à voir.
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