Entretien Avec Denis Lavant Pour La Beauté Du Geste Bruno Dequen

Entretien Avec Denis Lavant Pour La Beauté Du Geste Bruno Dequen

Document généré le 25 sept. 2021 15:34 24 images Entretien avec Denis Lavant Pour la beauté du geste Bruno Dequen Numéro 176, février–avril 2016 URI : https://id.erudit.org/iderudit/80966ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) 24/30 I/S ISSN 0707-9389 (imprimé) 1923-5097 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Dequen, B. (2016). Entretien avec Denis Lavant : pour la beauté du geste. 24 images, (176), 39–43. Tous droits réservés © 24/30 I/S, 2016 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Entretien avec Denis Lavant propos recueillis par Bruno Dequen POUR LA BEAUTÉ DU GESTE Les amants du Pont-Neuf (1991) Revenons tout d’abord aux sources de votre art. Vous avez débuté pour chien, des oranges, des pommes, tout ce que je pouvais très jeune par la pantomime. Pourquoi avoir commencé par ce trouver. C’était un peu artisanal ! Et ce n’était pas du tout à type de jeu ? la mode à l’époque, dans les années 1970. Maintenant, il y Il n’y avait rien de réfléchi là-dedans. J’ai commencé très en a partout. Par contre, je ne me suis jamais lancé sérieu- jeune parce que je cherchais des issues à la vie, à l’ennui, sement dans le cirque parce que ce milieu, aussi fascinant à l’angoisse, à la peur du monde extérieur. Mes parents soit-il, comporte quelque chose de trop mélancolique, de n’étaient pas du tout dans le milieu du spectacle. Mon père presque pathétique. Il y a une âpreté qui se dégage de l’effort était pédiatre et ma mère psychologue. Il faut forcément physique des gens de cirque. Or, j’ai horreur du sport et trouver une issue à ça ! (rires) Blague à part, ce besoin de de la compétition. J’ai fait du sport plus jeune, mais j’ai transcender le quotidien m’a amené rapidement vers la arrêté dès que la compétition a commencé. Naïvement, poésie, l’imaginaire, mais aussi l’expérimentation physique. je croyais que le métier d’acteur ne serait pas compétitif. En effet, j’étais assez agile, j’avais un don pour le mouve- Malheureusement, c’est faux ! ment. Je n’étais pas souple, mais je possédais une grande Alors que j’étais très physique, j’étais par contre plutôt énergie et j’avais besoin de me dépenser en grimpant partout, mutique, et je n’avais pas de fluidité dans le langage. et en tombant surtout. J’ai toujours aimé la chute. C’est ma grande sœur Marie-Pascale qui m’a ouvert au Quand j’étais môme et que nous allions en vacances en théâtre. Elle suivait le cours Lecoq, très prisé à l’époque. Bretagne, je ne pensais qu’à marcher sur les câbles reliant Comme je ne pouvais pas aller dans le même cours qu’elle, les bateaux au port afin de les rejoindre, de partir. J’ai donc je suis entré dans le cours de mime et là, je me suis éclaté. essayé tout d’abord le funambulisme. Ça a été la même J’avais déjà vu Marcel Marceau et j’avais pris l’habitude, chose pour les arts du cirque. Il y a une sorte de légende sans aucune technique, d’interpréter des petites histoires qui circule selon laquelle j’aurais fait l’école du cirque. Pas personnelles stylisées pour mes parents et amis. Je me suis du tout. J’ai expérimenté les disciplines du cirque par mes tout de suite senti à l’aise dans le mime. Mon imaginaire propres moyens. Je voulais tout essayer : jongler, marcher était parfaitement canalisé dans cette forme d’expression. sur les mains, faire du monocycle. Je jonglais avec des balles Ça a commencé comme ça. 24 IMAGES 176 39 ENTRETIEN AVEC DENIS LAVANT Dès le départ, il y avait donc ce désir de transcender la simple dépense physique… Vous mentionniez d’ailleurs également l’im- portance de la poésie. C’est l’autre élément qui m’a énormément nourri, qui m’a aidé à trouver une issue à cet ennui. La poésie écrite m’a toujours beaucoup plu. Avant même de commencer le théâtre, j’apprenais déjà des poèmes pour moi-même. Mon amour initial pour la poésie vient probablement du fait que celle-ci passe beaucoup par l’image. Ce n’est que beaucoup plus tard que je me suis rendu compte qu’elle est une expression fondamentale de la littérature, presque plus essentielle que le roman. Les poètes lancent des signaux qui transcendent l’espace et le temps. J’emmagasinais donc un propos qui n’était pas le mien, mais qui me plaisait, qui était jubilatoire, même lorsqu’il véhiculait un imaginaire plus sombre et des images un peu macabres, comme dans La Ballade des pendus de François Villon. Pour moi, la poésie, c’est comme du cinéma. Les poètes font des travellings, des gros plans, ils découpent l’espace avec leurs mots. Ça se développe dans un espace sonore, musical. C’est de la sensation pure. Je ne réalisais pas à l’époque à quel point c’était un art aussi complet. Et le cinéma ? Mes parents aimaient beaucoup le théâtre. J’ai donc vu beau- coup de pièces, notamment celles de la compagnie Renaud- Barrault. Mais mon père était également un grand cinéphile, passionné par les films de ciné-club comme Citizen Kane. Ceci dit, il y a pour moi un film qui demeure ma principale source d’inspiration comme comédien : Les enfants du paradis. Il y a tout dans ce film : la vie, le théâtre, le mime, l’amour, le meurtre, etc. Il y a des comédiens extraordinaires, un côté théâtre de rue, baladin. J’ai d’ailleurs toujours été fasciné par l’idée moyenâgeuse du baladin, qui va de château en château pour danser, jongler, faire rire, mais aussi dire de la poésie. Est-ce que les acteurs slapstick ont également eu une influence sur vous ? Bien sûr ! Keaton, Chaplin et les frères Marx m’ont vraiment marqué. Le plus fort, c’est Harpo Marx, qui fait du muet dans du parlant, avec ses frères qui jacassent tout le temps. Avant tout, ce sont les courts métrages de cette époque qui m’ont influencé. D’ailleurs, même si j’aime beaucoup Keaton, j’ai surtout retenu des choses de Chaplin. Son comportement en particulier. J’y ai beaucoup réfléchi après coup quand Harmony Korine m’a contacté pour interpréter son sosie dans Mr Nobody. Au début, j’ai un peu paniqué et au lieu de revoir les films, je me suis d’abord demandé ce que j’avais à voir avec Chaplin. C’est là que j’ai constaté qu’on a le même gabarit. Dès que j’ai une moustache et un chapeau, je suggère naturellement sa figure. Et j’avais déjà intégré sa gestuelle : tourner sur un pied, la démarche de canard, etc. C’est une dynamique physique que j’avais utilisée notamment Mauvais sang (1986) 1-2 / Les amants du Pont-Neuf (1991) 3-4 au théâtre. 40 24 IMAGES 176 En même temps, ces acteurs étaient totalement identifiés à un cer- Dans quel sens entendez-vous « incarnation » ? tain type de personnage, ce qui n’est pas votre cas. Au premier degré, ce film porte sur la journée d’un comédien Ils ont effectivement su créer des silhouettes mémorables. vue par Leos Carax, avec un mode de transport particulier, Mais ils sont souvent allés plus loin que ça. Keaton, par certes sans caméra mais avec un producteur… Et la vie d’un exemple, dans Film de Samuel Beckett. Beckett filme Keaton comédien, c’est justement d’épouser différentes personnalités sur la fin de sa vie, tout vieux, mais avec sa tenue de canotier. et de ne jamais mourir, puisqu’il joue un autre rôle à chaque Il est filmé de dos, déambulant dans les rues. Il incorpore fois qu’il meurt. Mais la scène du cimetière apporte autre la silhouette slapstick dans un univers pesant, dur. C’est un chose. Il s’agit alors d’âmes errantes, anciennes, qui reviennent film très fort, complètement nihiliste. Pour moi, les premiers habiter des corps au fil des générations et des siècles. Chaplin et Keaton, c’est très proche du théâtre de rue. Le burlesque américain a toujours eu un côté presque punk. Il Vous vous percevez comme la courroie de transmission de ces apporte quelque chose de complètement anarchique dans le âmes errantes ? quotidien. Ils tournaient souvent dans des lieux publics et ils En fait, j’y pense plus en termes de littérature que de cinéma. se comportaient mal avec les gens. Ils mettaient leurs pieds Après tout, j’ai voulu être comédien pour les textes et le théâtre. sur les genoux des dames, par exemple. Il y a une violence Le cinéma est arrivé par l’intermédiaire de Leos. terrible, mais en même temps ce sont des pantins. Cette scène me fait penser à quelque chose de très beau dans Les voix, un livre de Vladimir Makanine. L’ouvrage est constitué de Évidemment, vos propos nous font tout de suite penser à petits paragraphes assez imagés.

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