Pierre Froidebise Et La Musique Expérimentale En Wallonie

Pierre Froidebise Et La Musique Expérimentale En Wallonie

III- PIERRE FROIDEBISE ET LA MUSIQUE EXPÉRIMENTALE EN WALLONIE UN INITIATEUR fatales) interrompt ses études secondaires peu avant leur achèvement et l'oblige à une longue PIERRE FROIDEBISE naquit à Ohey, beau village pause qu'il passe tout entière dans son village du Condroz, le 15 mai 1914. Son père était d'origine. pharmacien, érudit, amateur de vins de Bour­ gogne. Leur maison était située à l'ombre du Après avoir hésité un moment à entrer au clocher de l'église, voisine d'un traditionnel couvent dominicain de La Sarte, Pierre Froi­ jardin de curé, dont Pierre, cadet de la famille, debise reprend peu à peu des études musicales, précédé de deux sœurs sensiblement plus âgées, d'abord au Conservatoire de Namur (solfège, garda toute sa vie, même à l'heure des révoltes piano, harmonie), puis à celui de Bruxelles, où métaphysiques, le souvenir affectueux. il entre en 1936. Il y suit les cours de Paul de Maleingrau pour l'orgue, de Raymond Mou­ Les années de formation. Après une enfance laert pour le contrepoint, de Joseph Jongen et à la fois insouciante et réglée, dans ce cadre de Jean Absil pour la fugue; il complète cette quasi monacal mais baigné de tendre lumière, formation par des leçons particulières chez il est envoyé, à l'âge de onze ans, au collège de Paul Gilson et chez Charles Tournemire à Dinant; il emportait dans son cartable la Paris. Parti d'un univers franckiste, dont té­ reproduction d'une toile de Chagall, décou­ moigne une juvénile Sonate pour violon et verte depuis peu; cette icône allait tout à la fois piano, il découvre graduellement Ravel, Stra­ le protéger des glaces inconnues et orienter ·de vinsky, Milhaud, trouve chez eux des modèles manière décisive sa sensibilité personnelle. de plus en plus nourriciers et donne alors à ses Ayant déjà rencontré la musique dans son intentions une tournure résolument progres­ milieu familial, il fut immédiatement subju­ siste. Une Sonatine pour orgue, datée de 1939, gué, lors des offices à la chapelle, par les témoigne de l'originalité et de la vigueur de sa sonorités de l'orgue, à la maîtrise desquelles il jeune pensée créatrice. Il continue cependant à fut initié par l'abbé CAMILLE JACQUEMIN, an­ habiter principalement Ohey, dans la paix de cien élève de Vincent d'Indy et professeur au son terroir; d'où il se rend hebdomadairement petit séminaire de Floreffe. Bientôt, le jeune à ses lieux d'étude, ce qui ne l'empêche pas de homme accompagnait le chant grégorien, im­ nouer de solides amitiés, par exemple avec provisait au clavier, lisait un grand nombre Arthur Grumiaux (à qui il dédie sa Sonate), d'œuvres musicales, tentait même ses premières avec Marcel Druart et surtout avec Marcelle compositions. C'est de cette époque que Mercenier. datent plusieurs précieuses amitiés, comme celle de l'architecte Roger Bastin. Cependant, Les débuts dans la composition. Malgré les une grave maladie (dont les séquelles le pour­ perturbations dues à la guerre, il obtient le suivront toute sa vie et finalement lui seront prix de composition en 1941 avec La Légende 425 de Saint Julien l'Hospitalier (d'après Flaubert) dont il rédige peu après une volumineuse et et est appelé à Liège en 1942 comme titulaire remarquable analyse. des orgues de Saint-Jacques, où il donne Au même moment, André Souris, avec qui pendant plus de dix ans des auditions hebdo­ Froidebise s'est également lié et qu'assiste madaires très remarquées, principalement de entre autres Marcelle Mercenier, poursuit musique ancienne. Une charge de cours d'har­ dans le même sens un travail d'étude et de monie pratique, adjointe à la classe d'orgue, diffusion, entrepris depuis plusieurs années au lui est confiée au Conservatoire, et son instal­ 'Séminaire des Arts' de Bruxelles. C'est dans lation dans la Cité wallonne se révèle vite ce cadre que sont créées les Cinq comptines que comme le point de départ d'une ardente activité Pierre Froidebise compose en 1947. L'œuvre animatrice. Son studio devient le lieu de rallie­ où s'accomplit une synthèse du rythme et des ment de toute une intelligentsia liégeoise: s'y modes d'articulations stravinskiens, est d'un croisent les peintres J.-A. Keunen et Edgar chromatisme généralisé, largement responsa­ Scaufiaire, le pianiste René Del porte, le philo­ ble des structures harmoniques tout en se sophe Étienne Evrard, les médecins-professeurs distinguant de l'expressionnisme viennois. Marcel Florkin et Zénon Bacq, avec qui il prépare, notamment la mise sur pied, dès la fin Un animateur. Le studio de Froidebise des hostilités, d'une section musicale de continue d'être un extraordinaire creuset cul­ l'A.P.I.A.W., (Association pour le Progrès turel, au sens pur et fort de ce dernier mot. Intellectuel et Artistique de la Wallonie). Tapissé de milliers de volumes, où voisinent Entre-temps, il s'est présenté au Prix de Rome toute la littérature moderne et les grands écrits en 1943 et il y a obtenu le deuxième prix avec la traditionnels, tant grecs ou hébreux que chinois cantate Ulysse et les Sirènes; mais, surtout, il a et japonais, il abrite aussi les livres d'art les plus composé, dès 1942, ses Trois Poèmes Japonais récents, beaucoup de philosophie, de politique, pour voix et orchestre, sur des tankas du xe pas mal de science, et, naturellement, les par­ siècle, (il en existe aussi une version avec titions les plus diverses: Guillaume de piano); dans cette partition, il réalise une Machault et Liszt, Webern (publié, ou en fusion très personnelle d'éléments de tonalité copie manuscrite), Schubert, Bach, Monte­ tardive (non wagnérienne) et de phénomènes verdi. Surtout, pas d'empilage snob ou sèche­ décidément émancipés de la grammaire har­ ment érudit; à chaque ouvrage correspond un monique héritée. intérêt réel. Froidebise était certainement Nommé professeur d'harmonie, puis d'har­ l'exemple de ces esprits pluridisciplinaires monie pratique au Conservatoire de Liège, il dont nous avons tant besoin. Et comme les épouse, en 1946, Denise Ledent, dont il aura amours artistiques ne demandent qu'à être de très nombreux enfants. 1947, c'est l'année partagées, les élèves et amis sont accueillis où entouré d'un groupe d'élèves avancés (ci­ sans restriction. Une amitié, exceptionnelle­ tons Édouard Senny, Marthe Pendville, Cé­ ment généreuse, montre, révèle, fait entendre: lestin Deliège, Elie Poslawsky), il découvre la soit au piano (avec association de la voix musique dodécaphonique (René Leibowitz quand c'est nécessaire - le chant de Pierre vient de publier Schoenberg et son Ecole) et Froidebise était d'une musicalité admirable), entreprend de la révéler - avec d'autres inno­ soit au tourne-disque (le choix de sa discothèque vations musicales - au public liégeois. Lors était exceptionnellement varié), soit, bientôt, d'une soirée organisée dans cette perspective au magnétophone (il fut sans doute l'un des (et que je ne puis oublier, car elle marqua de premiers Liégeois à en posséder un). Bref, il manière décisive mon arrivée au Conserva­ s'agit bien d'un initiateur comme il en existe toire et toute la suite de mon existence profes­ peu. Et, dans tout cela, rien de pédant, de sionnelle), Senny interprète la création belge contraint, de scolaire. La découverte, l'analyse des Variations pour piano. opus 27 de Webern, se font de manière toute naturelle, entremêlées 426 On peut maintenant rencontrer en ces lieux le poète Fernand Imhauser, les peintres du groupe Cobra, les Compagnons de Saint-Lambert, comédiens amateurs animés d'un feu très sacré et des rangs desquels sortira maint pro­ fessionnel notoire, on peut y entendre des personnalités internationales comme l'esthéti­ .; ll cien Boris de Schloezer, le peintre Magnelli ....__, (qui expose à l'A.P.I.A.W.), l'écrivain Francis Ponge (qui y donne une conférence), les . ("" ' ""f ..------.._ /1_.i compositeurs Dallapiccola ou Leibowitz. 1 1 - )' ~ f 1 J -J pO r Vw- e...:s D'ailleurs, un groupe de musiciens belges, conduit par André Souris et Pierre Froide­ bise, se rend à Paris afin d'y rencontrer les représentants les plus autorisés de l'avant­ garde: non seulement Leibowitz lui-même, 1 -=::: ::=- lo mais aussi ses élèves, en particulier le jeune et % p 1 l .l r 1 &J 1 1 ! 141 1 J =- r· bouillant Pierre Boulez, qui se prépare à deve­ th. <14A.o -t - 'lM.: t·. dA.- va [-1 nir rapidement le cœur d'une dissidence plus avancée, tirant aussi sa substance de l'exemple d'Olivier Messiaen, dont l'esthétique littérale a cependant été dépassée. L'activité de recherche du groupe liégeois, concrétisée dans le cercle d'études musicales 'Variations', prend une tournure de plus en plus subversive, et sera rapidement exposée, de ce fait, non seulement aux attaques de la critique et de certaines autorités officielles, PREMIÈRE PAGE DE LA PARTITION D'AMER­ mais même, au bout de quelques temps, à un CŒUR(QUARTIER DE LIÈGE) PAR PIERREFROl­ réel danger d'éclatement. Tous les amis ne DEBISE. Le texte poétique invoque les noms de rues de Liège sous forme de comptines dues à Jean Séaux. Collec­ partagent pas entièrement l'enthousiasme ex­ tion particulière, Liège. plorateur de certains d'entre eux. Pierre Froi­ debise lui-même, qui a participé en 1949 à la production commune avec une cantate sur les noms des rues de Liège (groupés en comptines de conversations touchant spontanément à la par Jean Séaux), A mercœur, hésite à s'engager vie jusqu'en ses détails les plus quotidiens. Un dans les a ventures les plus téméraires: il se peu plus tard, quand la famille se sera installée montre, à juste titre, soucieux d'un héritage au quartier du Laveu, les longues nuits de musical dont il connaît si intimement les discussions, de rêveries utopiques et de plai­ richesses mûries aux coteaux de l'histoire.

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