Le Roi Lear William Shakespeare

Le Roi Lear William Shakespeare

ûM Odéon-Théâtre de l'Europe - direction Georges Lavaudant - 1 Place Paul Claudel - 75006 Paris - 44 41 36 36 Notes de dramaturgie rédigées par Daniel Loayza • Photographies : Ros Ribas Conception graphique : Thierry Depagne • Impression : Jarach-La Ruche Les photos figurant dans le programme ont été prises au cours des répétitions. Shak aîa C R EATIO N LE ROI LEAR WILLIAM SHAKESPEARE mise en scene GEORGES LAVAUDANT AVEC Lear, Roi de Grande Bretagne Philippe Morier-Genoud texte français DANIEL LOAYZA Goneril, fille aînée de Lear Sylvie Orcier scénographie et costumes JEAN-PIERRE VERGIER Régane, seconde fille de Lear Annie Perret lumières GEORGES LAVAUDANT Cordelia, fille cadette de Lear Marie-Paule Trystram PIERRE-MICHEL MARIÉ Le Duc d'Albany, époux de Goneril Laurent Manzoni sons JEAN-LOUIS IMBERT Le Duc de Cornouailles, époux de Régane Pascal Elso JEAN-XAVIER LAUTERS Le Roi de France Olivier Coloni maquillages SYLVIE CAILLER Le Duc de Bourgogne Bernard Vergne assistant à la mise en scène MOÏSE TOURÉ Le Comte de Kent Louis Beyler assistante aux costumes BRIGITTE TRIBOUILLOY Le Comte de Gloucester Marc Betton régie de production Michel Pons Edgar, fils légitime de Gloucester Philippe Demarle assistant Hakim Mouhous régie lumière Pierre-Michel Marié - Luc Tramier Edmond, fils illégitime de Gloucester Vincent Winterhalter assistant Gilles Chaudemanche Oswald, intendant de Goneril François Caron régie son Jean-Louis Imbert machinistes Jean-Pierre Collin, Christian Delaruelle, Serge Gorrochatégui - Le Fou du roi Gilles Arbona Pascal Alforchin, Johnny Choi, Emidio de Miranda, Jaime de Miranda, Le Médecin Jean-Marie Boeglin Lakdhar Djoulane, Roger Gardrat, Jérémy Hastings, Alain Le Pape, Dominique Louise, Jacques Mesure, Daniel Moinereau, Un capitaine anglais Laurent Fernandez Daniel Seglard, Charly Sellami, Karim Taoui, Jacques Venturini électriciens Lali, Frédéric Mollet, Jaufré Thumerel habilleuses Monique Bonzon, Chantai Malbrunot - Isaura Cavé, Carmina Muriedas, Christine Rockstedt, Florence Tedeschi Représentations à l'Odéon Théâtre de l'Europe du 20 mars au 12 mai 96, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h, coiffeuses Fabienne Chiche, Madeleine Roland En tournée : du 20 mai au 1er juin 96 au TNP Villeurbanne ; du 5 au 8 juin 96 au Volcan-Le Havre ; et d'octobre à décembre 96 à la Scène Nationale de Martigues, au Cargo - CDN de Grenoble, au Centre Culturel d'Annecy, au Quartz de Brest, production ODÉON - THÉÂTRE DE L'EUROPE à la Coursive - Scène Nationale de La Rochelle, au TNS de Strasbourg. TNP VILLEURBANNE, LE VOLCAN-LE HAVRE Télérama • Le bar de l'Odéon-Théâtre de l'Europe et la librairie (Foyer du public) sont ouverts 1 heure avant le début de chaque représentation. Possibilité de restauration sur place. Êfmïïfl Durée du spectacle: 3h 15 entracte compris. • Les hôtesses d'accueil de l'Odéon-Théâtre de l'Europe sont habillées par Hanae Mori. France m fer Cette vaste scène peuplée de fous... Lear, acte IV, scène 6 Pourquoi met-on en scène des pièces du passé? Quel plaisir comptons-nous faire partager avec ces histoires vieilles de trois siècles ? Quelles leçons croyons-nous enseigner? Le territoire shakespearien est souvent terrible et insondable; à l'intérieur de ce territoire difficile et exigeant, Lear est souvent présenté comme un espace inaccessible, une pièce injouable. Et paradoxa- lement, c'est vers cette pièce que se tournent tous les authentiques amou- reux de notre art, de Giorgio Strehler à Peter Brook, de Matthias Langhoff à Bernard Sobel, de Deborah Warner à Klaus Michael Gruber, de Chantai Morel à Daniel Mesguich. D'un côté, ce matériau gigantesque, cette espè- ce d'Himalaya du répertoire; de l'autre, ces corps expéditionnaires que sont un peu les troupes de théâtre. Et chacun s'y rend comme il peut. Par des voies classiques ou par d'autres, plus biscornues ou inédites. Si Lear est injouable, c'est effectivement que l'accumulation des intrigues, des points de vue, des déguisements, des approches de langue, des jeux de mots, des chansons, des proverbes, des digressions, n'est jamais entière- ment réalisée par une seule mise en scène. Le néant historique dans lequel la pièce se trouve tout entière plongée nous interdit de penser que nous pourrions tout réussir: ce mélange de tragique et de bouffon, de poésie et de trivialité, de philosophie et de bavardage. Et pourtant, aussi injouable soit-il, Lear est le contraire d'un drame com- pliqué. Il est même d'une évidence aveuglante. Mais comme Gloucester, nous ne le voyons pas toujours. Malgré les dieux, malgré les éléments natu- rels et leurs caprices incontrôlés, ce sont toujours les hommes qui forgent leur destin. D'Edmond à Cordélia, de Lear à Gloucester, chacun est respon- sable de son sort, chacun se trouve confronté à un instant de vérité, et cha- cun accepte de la regarder ou de la fuir. Mais c'est cette vérité tellement simple dans son évidence que nous ne voyons plus. Comme le dit Lear dans la lande, «je ne m'en suis pas assez soucié»... Chaque personnage dans sa chute rencontre ainsi un possible moment de lucidité rédemptrice. Mais Shakespeare nous rappelle que c'est seulement dans l'épreuve et dans l'accablement, dans la souffrance et la folie, que nous pouvons entr'apercevoir ne serait-ce qu'un instant ce qu'est la justice. Pourquoi jouons-nous des pièces du passé? Pour comprendre que nous ne sommes pas encore prêts à payer le prix que contre leur volonté Lear et Gloucester payent de leur chair et de leur raison. Que dans nos temps de suf- fisance et de fausse grandeur, il est nécessaire d'affronter des chutes et des égarements terrifiants pour comprendre «comment va le monde. » Et que le fait d'être jeté nu et seul sur sa «vaste scène» ne nous interdit pas d'espé- rer un jour habiter ensemble une terre plus fraternelle. Georges Lavaudant il a succombé à l'illusion, et son tourment sera celui deux soeurs qui ont failli à l'amour qu'elles devaient d'une raison malheureuse, suicidaire, qui ne sait à leur père périssent l'une par l'autre et par l'amour même pas que l'illusion la gouverne encore. Lear, qu'elles portent au fils d'un «aveugle Cupidon», GLOUCESTER - Ces récentes au contraire, voudrait « ne pas être fou » (1,5) et le après une dernière folle enchère de Régane, prête éclipses de soleil et de lune n'annon- devient. Pour s'être cru maître de lui comme de à tout donner à celui qu'elle aime tout comme Lear cent rien de bon. La science de la l'univers, il a succombé à la colère. Dans la dépres- avait «tout donné» (11,4) à ses filles. Quant à Nature a beau les expliquer comme sion de Gloucester, c'est la conscience de soi qui se Edmond, après avoir fait déshériter son frère en elle voudra, la Nature elle-même n'en déchire; dans la démence de Lear, c'est la volonté composant une «vieille comédie» où il remet une souffre pas moins les conséquences... (de puissance, royale et paternelle) qui se déchaîne. lettre à son père (1,2), il voit Albany, au cours d'une L'amour se glace, l'amitié se brise, Lear et Gloucester nements annoncés par la prédiction. Pour avoir Lui qui, au cours de la première scène, voulait chas- scène que Goneril qualifie d'«interlude comique», les frères se brouillent; révoltes dans ont chassé leur en- voulu tirer du désordre céleste un principe d'intelli- ser Cordélia et Kent « hors de [sa] vue», les retrouve s'opposer à son mariage en brandissant une lettre les villes, discordes dans les fant: ils seront chassés à gibilité applicable au monde sublunaire, le vieux peu avant de mourir. Mais sa vue a baissé, dit-il. S'il que lui a remise Edgar. Et peu après, il meurt pour campagnes, trahison dans les palais; leur tour. La parenté de Comte contribue au chaos ici-bas. La symétrie s'ef- nomme Kent, seul entre toutes les personnes pré- avoir dédaigné - lui le bâtard, lui l'adversaire déclaré et le lien entre père et fils qui s'est leurs destins est assez évi- fectuera donc, mais à ses dépens. Avant de com- sentes, il est douteux qu'il le reconnaisse vraiment. des lois et des légitimités - d'invoquer à son profit les rompu... Cette canaille que j'ai engen- dente pour que Gloucester prendre qu'il a opéré une inversion indue, et qu'il Et Cordélia est morte. Les derniers mots du roi sont règles de la chevalerie, et pour avoir reconnu « une drée confirme la prédiction, voilà le fils en souligne le premier volet jouait au fond le même rôle que son roi, Gloucester pour attirer tous les regards sur elle: «Voyez-vous certaine noblesse» à l'inconnu qui le défie (V,3). Est- contre le père; le Roi s'écarte de son dès le début de la pièce, verra sa propre situation se renverser. Lui qui croyait ceci? Regardez-la, regardez, ses lèvres,/là, regar- ce pour donner lui-même une dernière secousse penchant naturel, voilà le père mais partiellement, et en qu'il n'aurait «pas besoin de lunettes» pour lire la dez, regardez. » Que faut-il voir ? Il meurt en tentant ironique à la « roue » de son destin parcourant « son contre l'enfant... le gauchissant. On appelle lettre de I' « abominable canaille » aura les yeux cre- de montrer quelque chose sur le visage de sa fille, cercle» qu'il se déclare marié aux deux mortes à la Nous avons vu nos plus belles années; cela de l'ironie tragique. vés, sera à son tour traité de «canaille» par ses quelque chose qu'il ne parvient pas à dire.

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