patrimoine_149:fichPat132_musée_juin.qxd 08/04/2008 17:27 Page 1 décoratif et mobilier la bbooluua ttiiqquuee bbiiggoott Un peu cachée au bas de l’avenue du Général- de-Gaulle, cette étonnante façade mériterait pourtant d’être citée dans les anthologies consacrées à l’Art nouveau, courant artistique majeur du tournant des XIXème et XXème siècles. Le céramiste Alexandre Bigot y a déployé tout son savoir-faire, au service d’un commanditaire désireux de marquer fortement l’identité de chef son commerce de bijoux : la femme au miroir d’oeuvre qui règne sur ce foisonnement décoratif symbolise à elle seule l’alliance d’une technique art neuve et d’un parti-pris esthétique en totale ouveau rupture avec le goût bourgeois hérité du n Second empire. Un exemple unique à Nevers… ONTRAIREMENT À UNE IDÉE REÇUE, voie qu’empruntera avec succès Alexandre Bigot. conseillers techniques, mettant ainsi sa l’Exposition universelle de Paris 1900 ne Rien pourtant ne prédestinait ce chimiste de for- connaissance de la chimie au service des marque pas le triomphe de l’Art nou- mation, né en 1862, à fonder une véritable indus- recherches d’émaux poursuivies par le maît- veau, qui ne revendique qu’une modes- trie qui emploiera, à la veille de 1914, jusqu’à 150 re de Montriveau. La société initiée par Bigot tCe place “décorative” à l’ombre des imposantes employés nourrissant les dix fours de l’usine de au début des années 1890 (doublée d’un pâtisseries officielles dominées par le palais du Mer (Loir-et-Cher). La découverte en 1889, à magasin parisien) va progressivement passer Trocadéro. Pourtant, ce mouvement est dans l’air l’Exposition universelle de Paris, des céramiques de la fabrication de petits objets à des réalisa- depuis quelques années, prônant une liberté for- tion plus spectaculaires (baignoires, chemi- melle où la ligne courbe est reine, où l’art japo- nées), pour enfin connaître son apogée dans nais, récemment redécouvert, tient lieu de mani- Alexandre Bigot le décor architectural. Citons notamment le feste, et où la nature (fleurs, insectes) fournit l’es- spectaculaire Castel Béranger (1894-1898 – sentiel du répertoire. Les bouches de métro De l’Exposition universelle 1900 Paris – Hector Guimard architecte) ; l’immeu- d’Hector Guimard, les affiches d’Alfons Mucha, à la boutique de Nevers en 1905... ble de l’avenue Rapp (1899 – Paris – les bijoux de Lalique, les verreries de Lavirotte architecte), où le grès Gallé ou Daum, les meubles de recouvre non seulement la faça- Majorelle connaissent un vrai succès de, mais participe aussi à la d’estime, même si de nombreux structure du bâtiment ; des détracteurs vilipendent cette moder- décors d’établissements ther- nité revendiquée en parlant de “style maux (Vichy, Evian) ; le marché Nouille”… Parallèlement, des inno- d’Auxerre (1904)… Le Grand prix vations techniques telles que l’asso- de l’exposition universelle de ciation du béton armé et de la struc- 1900, obtenu pour le portique ture métallique permettent une nou- d’entrée, sera le couronnement velle expression architecturale qui de cette brillante carrière seule- rompt avec le classicisme de l’im- ment interrompue par le déclen- meuble haussmannien. C’est préci- chement du premier conflit mon- sément pour habiller à la mode du temps, la nudi- orientales fut pour Bigot une révélation. Les grès dial. C’est dans ce riche contexte que se té de ce béton brut que va se développer une japonais de Bizen ou de Seto, à la “peau” si parti- place la petite boutique de Nevers, parenthè- ornementation céramique qui privilégie le grès culière, vont le rapprocher des céramistes Ernest se à échelle humaine dans un ensemble émaillé, matériau pérenne entre tous. C’est cette Chaplet ou Jean Carriès, dont il deviendra un des d’ambitieuses commandes monumentales. Au fil du patrimoine - Fiche n°46 - Février/Mars 2008 patrimoine_149:fichPat132_musée_juin.qxd 08/04/2008 17:27 Page 2 Patrimoine décoratif Chic bourgeois “Ah ! je ris de me et mobilier et modernisme voir si belle” OMMANDÉE PAR LE BIJOUTIER DAVID, la ÉLÉMENT ESSENTIEL DE LA DEVANTURE DE BIGOT est cette boutique a ensuite été un commer- “ dame au miroir” à la silhouette allongée et à la ce de bas, pour finalement être longue robe blanche et rouge dont une bretelle reprise dans les années 1990 par – malicieusement – vient de glisser. Les yeux mi- FCrançois Bernard qui, après l’avoir restaurée, Lclos, elle’ ajuste un diadème en s’aidant d’un petit miroir l’utilise comme écrin pour présenter sa pro- ovale, indifférente aux passants. L’Art nouveau est un temps duction faïencière. La fabrication de telles faça- d’inflation de la figure féminine, sur les affiches, les bijoux, les des devait être spectaculaire : dans le cas pré- vases et les vide-poches, et bien sûr les fa ç ades. Femme-mys- sent, ce sont plus de 200 pavés d’argile qui ont tère, elle règne partout sur le décor végétal auquel elle mêle été moulés d’après un modèle en plâtre à l’é- ses longs cheveux. chelle 1, puis émaillés et cuits à 1350°, avant Rien d ’ étonnant d’être acheminés et scellés sur une structure alors qu’un p etit de béton armé. Curieusement, alors que le tem ple c ommer- décor prime à l’évidence sur cette structure, la cial d é dié à la devanture de l’avenue du Général-de-Gaulle p arure choisisse porte, bien plus visible que la mention “grès de pour égérie cette Bigot / 1905”, la signature d’un architecte. Il s’agit du local Georges- m o d e r n e Théodore Renaud, dont le bâtiment le plus célèbre est Notre-Dame de Marguerite… Car Bethléem à Clamecy (1927), étonnante variation Art-déco, en béton armé et comment ne pas mosaïque, sur le plan centré des églises byzantines. La composition de la évo quer, en devanture est simple : verticalement, deux colonnes et un piédroit encadrent voyant la belle, le respectivement la porte d’entrée et la vitrine ; horizontalement, deux mas- Faust de Gounod, ses se répondent, une lourde allège et un double linteau qui supporte le o p éra immensé- grand cartouche de l’enseigne. La tonalité générale de l’émail est un vert ment p o pulaire bronze qui met particulièrement en valeur les deux visages féminins des lin- depuis sa création teaux, traités “au naturel”, et la grande figure de la femme au miroir du pié- en 1859, grâ c e droit. Placée dans un plan légèrement oblique, elle se dévoile ainsi naturelle- notamment à son ment au chaland qui “monte” l’avenue… Hormis les figures féminines, les élé- fa meux Air d es ments décoratifs choisis par Bigot réinterprètent avec liberté les enroule- bijoux de l’a cte III, ments de feuilles d’acanthes hérités de l’âge classique, référence qui confère c élé bré ensuite à la boutique un “chic bourgeois” teinté d’une once de modernité. Nevers p ar Hergé et sa n’est pas Nancy, et le statut expé- C a s t a f i o r e . rimental de cet “Art nouveau” res- Marguerite, dans son jardin, suc combe à la curiosité d’ouvrir tait patent dans la petite ville de un coffret pla cé là par les soins de Méphistophélès, en extrait province d’alors. La boutique de des bijoux, un miroir, et se pare des pendants d’oreille, puis du grès émaillé n’a d’ailleurs pas fait bra celet et du collier, tout en se mirant, transportée par sa florès ici, et on s’interroge encore métamorphose : “Non, non, ce n’est plus toi, ce n’est plus ton sur les circonstances de sa com- visage, c ’est la fille d’un roi qu’on salue au passage…” La mande : peut-être faut-il la relier à morale semble donc claire : entre dans cette boutique, mais la présence ponctuelle de Bigot en n’oublie pas que tout est vanité ! Un décor ambitieux dans sa Puisaye quelques années plus tôt, mise en oeuvre et son programme, qui doit nous faire rééva- aux côtés de Jean Carriès ? luer la prétendue futilité de l’art autour de 1900… m a g a Bigot et Carriès z i n e On sait assez peu de choses des rapports entre les deux N e v céramistes : ils ont visité ensemble l’exposition de 1889 et, e r s cette même année, échangé des courriers. Jean Carriès ç a est, depuis l’automne 1888, installé à Montriveau, près de m Saint-Amand-en-Puisaye, et fait ses premiers essais d’é- e b maillage. Bigot : “Ta lettre m’intrigue beaucoup. Tu ne o t t me parles point de tes résultats. Où en es-tu ?” (Archives e n dép artementales de la Nièvre). Un des c arnets de ° 1 4 “recettes” de Carriès, non daté, fait plusieurs fois référen- 9 A gauche, un grès de Bigot. Ci-dessus, - ce à Bigot, dont il n’est pas douteux qu’il ait séjourné à Montriveau pour l’assister, le un grès signé Carriès. Collection musée F é conseiller, et peut-être un peu plus... Quant aux céramiques non-architecturales de v du Grès / Saint-Amand-en-Puisaye. r i e Bigot, leur proximité avec l’école de Puisaye est évidente, même si il n’est pas for- r / Conservation des musées de la Nièvre M mellement ratta ché au premier cercle des suiveurs de Carriès. Et quand ce dernier a r Jean-Michel Roudier - Conseil général s meurt en 1894, usé par le gigantesque projet de la “Porte de Parsifal”, les premières 2 0 réalisations monumentales de Bigot sont déjà en germe. Faut-il y voir une forme de Animation du Patrimoine : 0 continuité nourrie de cette complicité qui a uni les deux créateurs ? Agathe Maugis au 03.86.68.46.25.
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