1914-1918, Compiègne, Compiègne, année 1918 UNE VILLE PROCHE DU FRONT La tension internationale, exacerbée par le jeu des alliances, provoque la course aux armements. En juin 1913, la France vote le retour au service, militaire de trois ans, ce qui accélère la construction de nouvelles casernes. À Compiègne, on choisit Pour Compiègne, 1918 fut une année terrible et exaltante. un terrain d’environ vingt hectares situé entre le faubourg Saint- Terrible, car de mars à septembre, à la suite de l’offensive Germain et l’écart rural de Royallieu. On y édifie vingt-quatre allemande, Compiègne se retrouve à quelques kilomètres du pavillons de briques, plus des annexes, et c’est là que s’installe, front et doit être évacuée sous le feu des batteries ennemies qui à partir de janvier 1914, le 54e régiment d’infanterie, auparavant détruisent alors plus de 400 maisons. logé à côté du 5e Dragon, dans les casernes du Cours. Exaltante, puisque Compiègne est la ville choisie par le Ma- Le 12 juillet 1914, la ferveur patriotique rassemble les réchal Foch pour signer l’Armistice dans la clairière dite de Compiègnois à l’entrée du Cours pour l’inauguration de la Rethondes le 11 novembre 1918. statue du major Otenin, héros qui || avait défendu la ville contre les Prussiens, cent ans auparavant. Afin d’illustrer cette période, nous avons trouvé deux recits Le 31 août, le pont Louis XV saute et la ville est occupée par les croisés qui illustrent, pour le premier, la vie quotidienne de troupes allemandes jusqu’au 12 septembre. Si le réfugié affluent, Compiègne sous la pluie des obus, pour l’autre le quotidien des de nombreux Compiègnois fuient et les maisons abandonnées soldats du front repoussant inlassablement la poussée ennemie sont souvent livrées au pillage. Trois otages sont pris mais entre Compiègne et Noyon. libérés grâce à l’intervention d’aristocrates compiègnois liées aux familles allemandes régnantes. Le premier récit a été écrit par un membre de la Société histo- La ville reste longtemps à 12 kilomètres du front et subit alors rique de Compiègne, Robert Lefèvre, qui réunit dès 1924 les des bombardements intermittents par avions, zeppelins, ainsi que témoignages de cette époque, au travers d’un livre «Compiègne par une Bertba installée près de Coucy-le-Château. Cependant la pendant la guerre 1914 - 1918» (1). vie continue à Compiègne, devenue terminus ferroviaire et ville Bien que n’ayant pas été témoin direct des événements qu’il re- hospitalière ; mais, lors des alertes, la population se réfugie dans late, Robert Lefèvre réussit par la qualité de son écriture à nous les caves voûtées et les souterrains. faire passer l’esprit de résistance de toute une ville et le drame Un répit suit l’évacuation par les Allemands du saillant de des destructions qui s’accumulent chaque jour. Noyon, en mars 1917, et le Grand Quartier Général (G.Q.G.) s’installe au château à partir du 3 avril. Le général Nivelle y est Le second récit est extrait des « Carnets de guerre d’Alexis remplacé dès le 15 mai par Pétain, après l’échec sanglant du Callies, 1914 -1918» (2) Chemin des Dames. Alexis Callies est un capitaine d’artillerie qui a laissé un remar- L’offensive allemande du 21 mars 1918 oblige au départ quable témoignage sur toutes les batailles de la Grande Guerre, du G.Q.G. Les bombardements reprennent brutalement, et la Marne, Verdun, Chemin des Dames, Champagne, et enfin la Compiègne semble vouée à la destruction. L’exode de la bataille du Matz entre juin et septembre 1918, aux portes de population s’accélère. Dès le 28 mars, il ne reste plus qu’une Compiègne. centaine de Compiègnois. Il nous rapporte le point de vue peu connu de l’artilleur, quelque Les Allemands, qui cherchent à réduire le butoir de Compiègne, peu méprisé de l’infanterie, mais qui risque néanmoins sa vie dernier obstacle avant Paris, déclenchent une offensive dans la quotidiennement, tout en paraissant très préoccupé de son avan- nuit du 8 au 9 juin, mais le 11 juin au matin, ils subissent une cement au milieu de la mitraille. contre-attaque menée par le général Mangin dans la vallée du Matz, à quelques kilomètres de Compiègne. La ville subit son Puissent ces deux évocations nous rappeler cette terrible période dernier bombardement le 2 septembre. Ce sont alors les premiers où toute l’Europe s’affronta dans un combat mortel. retours. Il faut rebâtir quatre cents maisons et en restaurer plus de mille. Compiègne allait avoir l’insigne honneur d’être la ville de l’Armistice. Le maréchal Foch ne veut pas, en effet, exposer les plénipotentiaires allemands à la curiosité des journalistes (1) : «Compiègne pendant la guerre 1914-1918» de Robert Le- et aux éventuelles manifestations de la population de Senlis fèvre - Société historique de Compiègne - 1926 où se trouve son G.Q.G. Il fait donc conduire leur train, le 8 novembre au matin, sous une futaie proche du carrefour forestier (2) : «Carnets de guerre d’Alexis Callies 1914 -1918» d’Alexis du Francport; c’est là que l’Armistice est signé trois jours plus Callies - Edition Anovi - www.anovi.fr/callies.htm tard. (1) - Extrait de « Mémoire de Compiègne » de François Callais pages 132 -133 - Editions Jacques Marseille - 2000 Compiègne pendant la Guerre (1914 - 1918) l’offensive allemande, va devenir plus tragique. Chaque de J.Robert Lefèvre soir, vers sept heures et demie, les sirènes feront entendre leur chant sinistre en même temps que le courant électrique Société historique de Compiègne - sera supprimé à titre d’avertissement supplémentaire. Signe Imprimerie du Progrès de l’Oise -1926 convenu, attendu, qui se répète à l’heure exacte et qui n’en Extrait des pages 170 à 209 fait pas moins frissonner quand on le reconnaît. Dès que l’électricité commence à pâlir dans les ampoules, avant L’année 1918 de s’éteindre dans un évanouissement, les Compiègnois descendent dans leurs caves qu’ils ont aménagées comme Une violente surprise réveilla Compiègne de son des pièces d’habitation, avec un matériel spécial d’alerte et assoupissement. Car les quelques faits extérieurs qui tout ce qu’il faut pour passer la nuit. Avec une précipitation s’étaient passés depuis l’installation du Grand Quartier bien compréhensible, les habitants rassemblent leurs n’avaient pas beaucoup tranché sur la monotonie des affaires dans l’obscurité, tandis que hurlent les sirènes et jours. que commencent à résonner les premiers coups de canon. Le 16 février 1918, vers six heures et demie du soir, un C’est d’abord un lointain grondement, comme le roulement avion ennemi qui n’avait pas été remarqué par le poste confus porté par l’espace, d’une tempête au large. Puis, des guetteurs lança une énorme torpille sur le Palais. Une soudain, les tirs de barrage déclanchés dans toute la région explosion formidable fit trembler les vitres des maisons. éclatent tumultueusement, empourprant l’horizon de Soit par erreur de tir, soit par déviation, la bombe était lueurs détonantes. tombée en plein milieu de la rue d’Alger, presque au L’affolement quotidien soumet les nerfs à une rude coin de la place du Château, à la porte des popotes où épreuve. Prenant à peine le temps de fermer sur soi la se réunissaient les officiers. Deux d’entre eux, le chef porte de son appartement, chacun court au refuge qu’il de bataillon Mathis et le capitaine Mallet étaient tués s’est choisi pour y retrouver les mêmes compagnons et plusieurs autres blessés. Cinq maisons s’écroulaient d’infortune. Du fonds des retraites souterraines, on devant l’énorme trou creusé sur la chaussée. L’abside de assiste par l’oreille aux péripéties du bombardement, mais Saint-Jacques s’était ouverte par suite de la commotion. toujours des intrépides remontent quelques instants de la Tous les carreaux des alentours avaient volé en éclats. Des cave pour jouir du spectacle extérieur et contempler le fenêtres arrachées gisaient de tous côtés. Tout le quartier théâtre de la bataille aérienne. Les fulgurations sans arrêt avait été bouleversé. envahissent le ciel. On voit jaillir les fusées et scintiller les Si elle s’était produite quelques instants plus tard, la shrapnells qui explosent avec un long miaulement suivi catastrophe aurait été encore plus terrible, car c’était d’une décrépitation sèche. l’heure de sortie du deuxième bureau. Si l’alerte est de nuit, de place en place, d’énormes L’émotion fut vive en ville, et aussi au G. Q. G. faisceaux lumineux sortis de terre s’élancent dans le Depuis le 17 mars 1917, Compiègne n’avait pas été firmament clair où ils dardent de larges rais blancs qui attaquée. se déplacent par brusques saccades, s’entrecroisent, se L’agression, pour le moins, était bizarre. Plusieurs raisons heurtent, accrochant de subtiles luminosités aux nuages furent mises en avant : l’avion, perdu, s’était délesté au violets. Des ronflements musicaux de moteurs passent moment où il se vit surpris par la fusée-signal lancée par dans l’éther, clignotant comme des bourdonnements les guetteurs. Ou bien, cette attaque brusquée devait être d’insectes. Le vacarme est prodigieux. Parfois, un un avertissement, qui n’était pas à dédaigner. Etait-ce, sifflement fend l’air, un fracas se répercute, tandis qu’une tout simplement, la rupture de l’accord tacite en vertu gerbe de flamme fait briller un éclair. On entend alors duquel les grands Etats-majors devaient échapper aux de vagues cris, un écroulement de maison. La terre a bombardements ? Les Allemands semblaient décidés à tout tremblé par en dessous, comme si l’éclatement s’était pour arriver plus vite l’écrasement de leurs adversaires.
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