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Document généré le 28 sept. 2021 11:16 Spirale arts • lettres • sciences humaines Bizarro Fiction Antonio Domínguez Leiva Sous le radar Numéro 257, été 2016 URI : https://id.erudit.org/iderudit/83628ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Spirale magazine culturel inc. ISSN 0225-9044 (imprimé) 1923-3213 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Domínguez Leiva, A. (2016). Bizarro Fiction. Spirale, (257), 51–53. Tous droits réservés © Spirale magazine culturel inc., 2016 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ DOSSIER Bizarro Fiction PAR ANTONIO DOMÍNGUEZ LEIVA underground. Ce n’est pas en soi très grave et l’on peut supposer que vous avez parfaitement pu vivre votre vie (intellectuelle, sexuelle ou autre) en vous passant de lire Shark Hunting in Paradise Garden, Toilet Baby, The Haunted Vagina ou le susmentionné Rampaging Fuckers. Toutefois, si vous trouvez que la littérature manque cruellement de requins volants portés sur le viol des humains, d’onanistes qui engros- sent des bols de toilette de leur semence pour donner naissance à des « bébés-chiottes », de vagins hantés qui ouvrent littéralement sur le monde des trépassés, de Starbucks dans des anus de prostituées octogénaires ou de dystopies scatologiques où les riches déversent leurs fèces du haut de leurs nuages sur les prolos qui s’en nourrissent, c’est que vous êtes prêt pour accueillir dans votre cœur la Bonne Nouvelle du mouvement Bizarro. Ce positionnement quelque peu obsidional dans le champ littéraire assure à la fois la cohérence et la solidité du mouvement, délibérément en marge du mainstream consensuel Ass Goblins of Auschwitz, Adolf in Wonderland, Cannibals of Candyland, The Menstruating Mall, régi par des critères de « bon goût ». Abortion Arcade, Christmas on Crack, Night of the Assholes ou encore Rampaging Fuckers of Everything on the Crazy Shitting Planet of the « Pendant des années les lecteurs ont attendu Vomit Atmosphere1… une catégorie de fiction dévouée au côté bizarre, fou et culte qui est devenu un produit de base de Ces titres évoquent-ils un catalogue de vieux l’industrie cinématographique (avec des réalisa- films de série Z ou d’anciens albums degrind core ? teurs tels que David Lynch, Takashi Miike, Ou bien font-ils partie d’une bibliothèque ima- Tim Burton ou Lloyd Kaufman) mais est resté ginaire tirée d’un cauchemar burroughsien ou largement ignoré du monde littéraire… jusqu’à d’un quelconque univers parallèle ? On pourrait maintenant », lit-on dans la présentation de The dire qu’ils tiennent un peu de tout cela et que Bizarro Starter Kit (2006), anthologie de récits qui, ce mélange improbable s’appelle la Bizarro comme son nom l’indique, sert d’introduction Fiction. Vous n’en avez probablement jamais aux aspects les plus caractéristiques du mouve- entendu parler, la francophonie ne s’étant ment. De façon symptomatique, les références fait aucunement écho de ce mouvement très sont avant tout cinématographiques, allant des anglo-saxon qui se veut fidèle à ses racines délires potaches des productions Troma aux ÉTÉ * 2016 51 DOSSIER fantaisies mainstream de Burton ou à l’œuvre culture officielle (scolaire). Et pourtant, c’est là culte mais consacrée de Lynch (auquel les au- probablement la meilleure base pour le déve- teurs Bizarro ont par ailleurs consacré une loppement d’un sens esthétique parce que la anthologie de nouvelles, In Heaven Everything responsabilité de faire attention est de l’anti-art, is Fine). Cette hantise du cinéma n’est pas nous rendant trop anxieux pour le plaisir, trop essentiellement novatrice (dès 1948 Claude- ennuyés pour être réactifs ». Enfin, elle fait l’élo ge Edmonde Magny situe L’Âge du roman amé- de « ce sentiment de libération de la res pon- ricain sous la férule du référent filmique, sabilité […] loin de la supervision et de la culture référent qui n’a fait qu’étendre son emprise sur officielle » qui point dans les productions de série B la littérature à mesure qu’il devenait le mode de l’American International Pictures dont les de représentation hégémonique de notre sé- titres évoquent inévitablement la Bizarro Fiction, mios phère), mais elle s’articule ici à une tentative laquelle s’en est, de fait, abreuvée (Voyage to the de transfert transmédiatique d’une catégorie Planet of Prehistoric Women, The Ghost in the esthétique liminaire et fuyante, oscillant entre Invisible Bikini, Attack of the Puppet People, etc.). le « culte » et le « nanar ». C’est en effet dans les sphères de ce qu’on La littérature a bien entendu ses œuvres cultes nommait alors la « basse culture » que s’affirme dévolues à « l’ange du bizarre » qui plane la politique contre-culturelle du « goût opposi- opiniâtrement sur elle (selon l’expression tionnel » (Mark Jancovich). La musique rock, consacrée par Edgar Allan Poe, référence per- du garage au punk, et le cinéma de cul (de la sis tante chez les réalisateurs du cinéma de « sexploitation » au porno) ou d’horreur (des l’étrange), mais elle est peut-être orpheline de « monster features » au gore) en sont des ce rapport tout à fait particulier à l’œuvre ratée avatars représentatifs, mettant à mal l’idée même qu’est la « nanarophilie ». Les daubes littéraires du « bon goût » par laquelle les tenants de la sont rarement l’objet de lectures ironiques en « haute culture » affirmaient leur distinction. com mun autour d’une caisse de bières ou d’autres Il n’est donc pas étonnant qu’on retrouve ces substances, et l’enfer de ce qu’on nommait jusqu’à influences conjuguées dans l’offensive du récemment « l’infralittérature » est une contrée mouvement Bizarro contre les bienséances dont nulle œuvre ne revient. Nulle réhabili- cas tratrices de l’institution littéraire. La titro- tation n’attend, en effet, les productions souvent logie même évoque des pans entiers de ces délirantes des « mauvais genres » qui n’ont univers malséants, des genres honnis tels que pas réussi à être légitimées par les circuits non la « nazixploitation » (bien que les extrater- plus de la haute culture, mais de la (bon ne) restres à tête de cul qui constituent les Ass paralittérature elle-même – les « œu vres » Goblins of Auschwitz n’aient finalement qu’un qui font honte aux amateurs éclairés de litté- rapport assez lointain avec le IIIe Reich et que rature populaire, allant de la pornographie de leurs atrocités n’entretiennent qu’un rapport bas étage aux productions industrielles à l’eau fantasmatique avec celles des camps d’exter- de rose, en passant par les épopées parafascistes mination – ce qui était déjà souvent le cas de mercenaires, agents secrets et autres « démo- dans les films « sadico-nazis » dont les auteurs lisseurs » ou les sous-produits de l’horreur s’inspirent) à la « scum music » des Japonais « sexy » destinés au lumpenprolétariat urbain. Ultrafuckers, transformés en personnages du roman éponyme où ils assouvissent leur appétit Éloge de la « trashitude » de destruction dans une banlieue à la banalité littéralement monstrueuse. Ce curieux décalage, qui n’a pas l’air de troubler le sommeil de la théorie littéraire, s’explique Dynamiques de la transgression généralisée peut-être à la lumière d’une réflexion de Pauline Kael dans « Trash, Art and the Movies » Là encore, ce n’est pas la transgression par le (1969), où elle défend la « trashitude » comme bas (à la fois culturel et corporel, les deux étant essence même du cinéma contre le bon goût profondément liés, selon la célèbre analyse qui, selon la cinéphilie orthodoxe, devrait y bakh tinienne du carnavalesque, catégorie qui triompher. Rappelant que « les films ont pris s’applique d’emblée aux textes que nous évo- leur élan non pas de l’imitation desséchée de la quons) qui est nouvelle en soi. L’on songe haute culture européenne, mais du peep-show, évidemment aux surréalistes (avec leur fasci- du spectacle forain du Far West, le music-hall, la nation pour les « films idiots », qu’ils soient bande dessinée, de tout ce qui était grossier et burlesques, violents ou fantastiques, et leurs commun », elle affirme que « le plaisir le plus outrances scatologiques et pornographiques intense d’aller au cinéma est celui, non esthétique, bien connues), mais aussi à leurs précurseurs d’échapper aux responsabilités d’avoir les – ne peut-on pas dire qu’un roman inclassable ré pon ses appropriées requises par notre tel que Le Tutu de la « princesse Sapho » (1891) 52 ÉTÉ * 2016 DOSSIER constitue le vénérable ancêtre de la Bizarro ou éphémères, qui se sont succédés pour tenter Fiction ? – et leurs lointains héritiers tels que d’investir ces failles à l’intérieur du Schisme Jean Rollin (qui finit ses jours dans la porno) ou culturel : outre l’Avant-Pop ou le slipstream, que Jodorowsky, dont le Santa Sangre (1989) est très le pape cyberpunk Bruce Sterling opposait au proche de textes Bizarro tels que As She Stabbed mainstream (qu’il soit généraliste ou ciblé en Me Gently in the Face. niches de marché), citons l’Impossible Realism, le New Wave Fabulism, les Interfictions ou le L’originalité relative du mouvement vient, New Weird, label qui est en passe de devenir selon la dialectique établie par Bakthine, de l’ap- le terme consensuel pour désigner la Nouvelle propriation de ces nouvelles formes « basses » Vague des littératures de l’imaginaire.
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