L'humanité Peut-Elle Se Passer De Légumineuses ?

L'humanité Peut-Elle Se Passer De Légumineuses ?

8 9 présentent, soit 780 genres diférents au total. La nodosité est vironnement qui compose avec ces besoins opposés (Fig. 1c ; l’humaniTé peuT-elle se passer un organe particulier où les bactéries vivent dans les cellules Selosse, 2000). D’une part, les photosynthétats amenés par le d’une moelle hypertrophiée (Fig. 1b). D’un point de vue évolu- phloème nourrissent en abondance les bactéries (l’entretien tif, les rhizobiums appartiennent à des groupes très diférents de la nodosité et de son métabolisme coûte de 15 à 30 % des de légumineuses ? parmi les alpha- et bêta-protéobactéries, qui ont acquis à plu- photosynthétats). D’autre part, l’oxygène est piégé autour de la sieurs reprises la capacité d’interagir avec les légumineuses et bactérie par une hémoglobine végétale ou Leg-hémoglobine, les multiples interactions des légumineuses de fxer l’azote, grâce à des transferts génétiques de plasmides qui représente 5 à 25 % des protéines de la nodosité, accu- (Masson-Boivin et al., 2009). mulée dans l’espace de séquestration des bactéries (Fig. 5b ; marc-andré selosse Guldner et al., 2004). Ainsi, s’il est disponible pour la respiration du rhizobium (dans Professeur du Muséum national d’Histoire naturelle, Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité, sa membrane cellulaire), l’oxygène n’est pas libre de difuser UMR 7205, 57 rue Cuvier (CP50), 75005 Paris vers le cœur de la cellule bactérienne. La nitrogénase qui s’y Professeur invité aux Universités de Gdansk (Pologne) & Viçosa (Brésil) trouve est donc protégée de l’oxydation et dans de telles condi- Président de la Société Botanique de France tions (Fig. 1c), la bactérie peut fxer l’azote. La qualité d’engrais vert n’est une propriété ni de la bactérie, ni de la plante, mais bel et bien de l’association formée par ces deux-là. De plus, les deux partenaires se modifent réciproquement, atteignant un Les légumineuses ont établi des interactions mutualistes remarquablement larges, allant des état de diférenciation symbiotique : la morphologie si particu- microbes aux animaux. Quant à leur nutrition, elles ont recours à des microbes du sol : champignons lière de la nodosité en témoigne pour la plante (Fig. 1a) ; de son côté, la bactérie cesse parfois de se diviser et se transforme endomycorhiziens, pourvoyeurs de phosphore, bien sûr, mais aussi bactéries fxatrices d’azote alors en une large cellule stérile, ou bactéroïde, reprogram- atmosphérique. Les légumineuses ont, en efet, au moins une fois dans leur évolution, établi des mée pour la fxation d’azote, ceci sous l’efet de petits peptides interactions avec de telles bactéries au sein de nodosités racinaires qui leur permettent de subvenir modifcateurs injectés par la plante dans la bactérie (Van de abondamment à leurs besoins azotés. idéale quant aux ressources azotées, cette stratégie ne doit Velde et al., 2010). pas dissimuler certains coûts : d’abord, un coût de fonctionnement, mais aussi un coût du tri entre La fxation de l’azote est donc coûteuse pour la plante : pour bactéries capables de fxer l’azote et simples bactéries profteuses, non fxatrices ; enfn, l’azote ainsi fabriquer 1 mg de matière sèche, une légumineuse à nodosités accumulé rend ces plantes très appétantes aux animaux ! elles n’ont pu survivre à cet attrait qu’au doit fxer 0,8 g de carbone contre 0,5 g pour une espèce sans prix de défenses variées, allant des symbioses avec des fourmis défensives qu’elles nourrissent, à nodosité. Il existe un autre coût de la symbiose : des bactéries non fxatrices peuvent entrer dans les racines et y proliférer une longue litanie de toxines propres aux légumineuses (dont des alcaloïdes). Dernière défense en sans bénéfce. Il a récemment été démontré que la plante peut Figure 1. Nodosités de légumineuse. (a) Nodosité de robinier faux-acacia (Robinia répondre physiologiquement en limitant le développement date : l’homme, qui en a domestiqué quelques-unes et les protège et les dissémine à présent ! très tôt, pseudoacacia) coupée en deux : on observe la couleur rouge de l’hémoglobine végétale l’homme s’est en efet intéressé au potentiel alimentaire des légumineuses : dans tous les grands centres (barre : 5 mm ; photo M.-A. Selosse). (b) Coupe de cellules infectées de nodosité avec de telles nodosités, notamment en abaissant la disponibilité bactéries intracellulaires (B) dans l’espace de séquestration ménagé par la membrane de en oxygène (Kiers et al., 2003). Bien que cette réponse évite la historiques de domestication, il est remarquable que l’agriculture ait toujours émergé accompagnée phagocytose (fèche) où se trouve l’hémoglobine végétale (mé : méat ; barre : 5 µm ; photo prolifération de bactéries tricheuses, le coût de ce test fonc- D.-G. Strullu). (c) Fonctionnement symbiotique de la nodosité (Lb ; hémoglobine ; d’après de la domestication de légumineuses. pour l’homme, comme pour le bétail, la toxicité des légumineuses tionnel s‘ajoute aux autres. Ceci explique qu’une telle stratégie Selosse, 2000). a souvent été problématique. Historiquement, des bactéries du tube digestif ont été nos alliées dans la fxatrice d’azote ne soit pas universelle. Ces mécanismes de détoxifcation des légumineuses. Aujourd’hui, la sélection a dépouillé les légumineuses alimentaires sanction qui optimisent la symbiose fxatrice d’azote semblent avoir été mal conservés, faute d’être assez sélectionnés sans de leurs armes… si bien que ces dernières n’ont « plus que l’homme » pour toute défense. Ainsi les Du point de vue de la plante, la fxation résulte d’une prédis- doute, lors de la domestication d’espèces comme le soja (Kiers légumineuses ont-elles ajouté à leur panoplie mutualiste l’homme, en une interaction étroite dont ce position ancienne, mal défnie, mais apparue il y a 100 millions et al., 2007) ; leur compréhension comme leur maintien sont au colloque illustre l’extrême actualité. d’années au sein des Fabidae (aussi appelées Rosids I ; Werner cœur de la valorisation agronomique de la fxation de l’azote. et al., 2014), dans un ancêtre dont dérivent aussi les clades fxa- teurs à actinomycètes (Casuarina, Alnus, etc.) et Parasponia, une On ne doit, enfn, pas oublier qu’à côté des rhizobiums, les ulmacée à sbiums. Au sein des légumineuses, le débat reste légumineuses forment comme la plupart des plantes des ouvert (en partie faute de bonnes phylogénies ; Janet Sprent, mycorhizes arbusculaires avec des champignons du sol, les pers. com.) pour savoir si l’association avec les rhizobiums est gloméromycètes (Fig. 2a, b). Là encore au prix d’un coût en Les légumineuses (encore appelées fabacées ou papiliona- Des bactéries fixatrices D’azote apparue une ou plusieurs fois : en efet, diverses légumineuses photosynthétats et de tests physiologiques de la qualité des cées) ont établi des interactions mutualistes remarquablement et Des mYcorhizes pour se nourrir ne sont pas fxatrices (dont beaucoup de ligneux tropicaux). partenaires (van der Heijden et al., 2015), la plante acquiert larges, allant des microbes aux animaux, qui en ont fait les Dans certains clades, au moins, il s’agit nettement d’une perte les ressources hydrominérales du sol, en particulier le phos- « engrais verts » que nous connaissons. Ce chapitre introductif De nombreuses légumineuses fxent l’azote grâce à une asso- secondaire, par exemple dans les genres Nissolia, Parkia et un phate peu mobile que les hyphes vont chercher dans un grand décrit comment les interactions qui les lient à des bactéries ciation symbiotique avec des rhizobiums. Ceux-ci sont abrités sous-clade d’Acacia. volume de sol. Il est d’ailleurs amusant de noter que la machi- du sol, collectivement appelées rhizobiums, les ont rendues sur des organes particuliers de la racine (Fig. 1a) : les nodo- nerie de dialogue entre les rhizobiums (les facteurs nod, des capables d’autotrophie à l’azote. De là, particulièrement appe- sités (encore appelées « nodules », mais c’est un anglicisme) La fxation de l’azote est une propriété émergente de l’associa- dérivés de chitine, et l’ensemble de la voie de réception et de lantes pour des organismes phytophages, elles ont développé sont des petites boules rosâtres de 1 à 10 mm, situées laté- tion (Selosse, 2000) : elle requiert une grande quantité d’éner- transduction cellulaire dans la plante) est dérivée évolutive- de multiples façons de se défendre, recrutant parfois des ani- ralement sur la racine. Cette symbiose est fréquente parmi gie, rarement disponible pour une bactérie libre dans le sol, ment des mécanismes de reconnaissance des champignons maux pour cela, comme des fourmis. C’est une interaction de les espèces des trois sous-familles qui constituent les légumi- et aussi une respiration active du rhizobium, alors même que mycorhiziens (Geurts et al., 2012) : les rhizobiums ont réutilisé, ce type que constitue d’ailleurs la domestication par l’homme, neuses : 90 % des fabacées (= papilionacées), 90 % des césalpi- l’enzyme responsable de la fxation, la nitrogénase, est oxydée dans l’évolution, la machinerie ancestrale de mise en place de un mutualisme que nous aborderons dans une dernière partie. niacées (comme l’arbre de Judée) et 30 % des mimosacées en par l’oxygène au-dessus de 1 mB. La nodosité est un microen- la symbiose mycorhizienne. 10 11 La fxation d’azote a une interaction positive avec l’acquisi- ment des patrons phylogénétiques cohérents (Wojciechowski Des isofavones telles que la génistéine ou la diadzéine (Fig. 3e) marginaux, c’est surtout la détoxication des métabolites secon- tion de phosphate : l’acidifcation de la rhizosphère induite et al., 2004), ce qui suggère qu’à certains moments de l’évolu- sont présentes dans un certain nombre de plantes, dont les daires qui fut un problème majeur lors de la domestication des par le métabolisme fxateur d’azote rend le phosphate plus tion, leur apparition a pu contribuer au succès d’un rameau lupins, les fèves, le soja ou le kudzu : ce sont des perturbateurs légumineuses, nous y reviendrons.

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