Le Rôle Politique Du Souvenir De Murat Dans Le Lot Dans Les Années 1850 Pierre-Marie Delpu

Le Rôle Politique Du Souvenir De Murat Dans Le Lot Dans Les Années 1850 Pierre-Marie Delpu

De la petite patrie aux sympathies pour Naples ? Le rôle politique du souvenir de Murat dans le Lot dans les années 1850 Pierre-Marie Delpu To cite this version: Pierre-Marie Delpu. De la petite patrie aux sympathies pour Naples ? Le rôle politique du souvenir de Murat dans le Lot dans les années 1850. Julien Bouchet; Côme Simien. Les passeurs d’idées politiques ”nouvelles” au village, de la Révolution aux années 1830, Presses Universitaires Blaise-Pascal, pp.253- 266, 2015. halshs-01164739 HAL Id: halshs-01164739 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01164739 Submitted on 17 Jun 2015 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. De la petite patrie aux sympathies pour Naples ? Le rôle politique du souvenir de Murat dans le Lot dans les années 1850 (in Julien Bouchet, Côme Simien [dirs], Les passeurs d’idées politiques nouvelles "au village", de la Révolution aux années 1930 [actes du colloque de Clermont, 20-21 juin 2013], Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise-Pascal, 2015, pp. 253-266) Le Second Empire a été l’un des temps forts de la résurgence de la mémoire napoléonienne. Elle a constitué l’une des assises politiques et idéologiques du régime, qu’elle a contribué à légitimer en mettant en avant les continuités dynastiques qui ont fondé la « monarchie impériale », en même temps qu’elle a contribué de façon déterminante à la politisation populaire à l’échelle locale. Au cours du premier XIXe siècle, largement marqué par la déprise politique, sociale et mentale du système napoléonien1, ce souvenir a revêtu une importance particulière dans des régions historiquement liées au légendaire impérial, qu’il s’agisse de la Corse, terre de naissance de l’ancien empereur, de la Provence, du Nord ou de la vallée du Rhône. L’existence de cette tradition politique, principalement inscrite dans des espaces sociaux ruraux, a largement été servie par les « Napoléon du peuple », mais aussi par la réinsertion locale des vétérans d’Empire2 et par le développement de sociétés secrètes spécifiques3, essentiellement à partir des années 1830. Elle nous conduit dès lors à envisager les liens entre mémoire et politisation, à identifier des figures spécifiques de passeurs, dans l’esprit de l’historiographie récente des révolutions et en s’intéressant au cadre spécifique fourni par la ruralité post-révolutionnaire. Les formes de l’intermédiation constituent un champ nouveau de l’historiographie du politique, alors qu’elles sont connues de l’histoire des savoirs attentive aux transferts culturels4. Les passeurs sont entendus comme des figures de l’intermédiation, des acteurs politiques inscrits dans des réseaux plus larges que leur cadre 1 Les configurations politiques, sociales, économiques et culturelles que connaissent les États européens pendant tout le premier XIXe siècle sont très largement héritières des structures établies par le pouvoir napoléonien, avec lesquelles les pouvoirs restaurés sont contraints de composer (bureaucratisation, uniformisation administrative et juridique, développement des sentiments nationaux). C’est dans ce contexte que les écrivains et historiens romantiques ont valorisé la figure glorifiée de l’ancien empereur et qu’une partie de l’opposition politique à gauche s’organise autour de son souvenir. 2 Bernard MÉNAGER, Les Napoléon du peuple, Paris, Aubier, 1987. L’historiographie récente, à la suite des travaux de Natalie Petiteau sur le devenir économique, social et politique des vétérans d’Empire après 1815, a donné lieu à plusieurs entreprises monographiques locales, dont la plus importante reste le travail de Stéphane e CALVET, Destins de braves. Les officiers charentais de Napoléon au XIX siècle, Paris, Les Indes savantes, 2010. 3 Jean-Noël TARDY, Les catacombes de la politique. Conspirations et conspirateurs en France (1818-1870), [thèse de doctorat sous la direction de Dominique Kalifa], Université Paris 1, 2011, chap.5, « La monarchie de Juillet face aux complots. Une stabilisation libérale ? », pp. 282-348. 4 Parmi les approches récentes, Jean-Numa DUCANGE, Michel BIARD (dir.), Passeurs de révolution, Paris, Société des études robespierristes, 2013. Sur un autre champ thématique, Gilles BERTRAND, Alain GUYOT (dir.), Des "passeurs" entre science, histoire et littérature : contribution à l’étude de la circulation des savoirs 1750- 1840, Grenoble, ELLUG, 2011. 1 politique de référence et disposant d’une assise institutionnelle. De ceux-ci, il faudra analyser le rôle politique structurant à l’échelle locale. Par rapport à ce schéma, le cas du Lot est singulier. Dans ce département de tradition légitimiste, la mémoire de Napoléon Ier est très largement éclipsée par celle de Joachim Murat (1767-1815), ancien maréchal de la Grande Armée, natif de Labastide-Fortunière et roi de Naples dans les sept dernières années du Premier Empire (1808-1815)5. Elle s’incarne dans les prétentions de son fils, le prince héritier Lucien Murat, à des fonctions politiques importantes sous l’Empire et au titre de roi de Naples, à un moment où le problème de la construction nationale italienne et le sort du royaume des Deux-Siciles préoccupent une large partie de l’opinion européenne qui envisage plusieurs scénarios concurrents. Cette mobilisation, en partie impulsée par le pouvoir impérial, est servie par un large mouvement de soutiens populaires qui met en avant les figures de Cavour, de Victor-Emmanuel II et de Garibaldi. Lucien Murat constitue le seul prétendant étranger au trône de Naples, mais il bénéficie d’une légitimité multiforme qui le conduit à s’imposer comme l’une des principales figures des deux régimes politiques qui se mettent en place en France à partir de 1848. Il joue alors le rôle d’un passeur entre la société locale du Lot où il est élu, l’État français du Second Empire et l’Italie encore en construction. L’existence d’une « tradition muratienne » dans le paysage politique et culturel des années 1850 est connue pour l’Italie6, mais ses soutiens français sont largement ignorés. On dispose, à cet égard, d’un cadre historiographique largement renouvelé, attentif aux acteurs politiques de la période dans leur diversité et leur complexité et aux interconnexions entre les phénomènes de politique intérieure et extérieure7. L’histoire de la médiation culturelle, d’autre part, informe celle du politique en interrogeant la transmission, la circulation des hommes et des idées. Elle met en évidence des figures de passeurs et envisage les contenus sociaux et culturels des héritages8. À partir de là, on se 5 Sur le parcours biographique du personnage, l’étude la plus récente et la plus complète est l’ouvrage de Renata DE LORENZO, Murat, Rome, Salerno éditrice, 2011. 6 Cet aspect de la « diplomatie des peuples » franco-italienne n’a été que très peu étudié par l’historiographie en raison de son caractère marginal dans la construction unitaire italienne. Le seul travail sur la mobilisation italienne est l’ouvrage de Fiorella BARTOCCINI, Il murattismo. Speranze, timori e contrasti nella lotta per l’indipendenza italiana, Milan, Giuffrè, 1959. Sur les prétentions de Lucien Murat à la royauté napolitaine et sur les réseaux de soutien sur lesquels il s’appuie, Pierre-Marie DELPU, Les Libéraux napolitains et le decennio français (1814-1860) : étude sociale d’un héritage politique [mémoire de master 2 sous la direction de Gilles Pécout, ENS LSH], 2011, chap. 4 : « Une mobilisation transnationale pour Naples et pour l’Italie : les soutiens français à Lucien Murat dans les années 1850 », pp. 75-115 7 Pour un bilan plus précis de ces renouvellements, Éric ANCEAU, « Nouvelles voies pour l’historiographie politique du Second Empire », Parlement(s). Revue d’histoire politique, HS 4, 2008/3, pp. 10-26. 8 Ludivine BANTIGNY et Arnaud BAUBÉROT (dir.), Hériter en politique. Filiations, générations et transmissions politiques (France-Allemagne-Italie, XIXe-XXe siècles), Paris, PUF, 2011. 2 proposera, en s’appuyant principalement sur la correspondance de Lucien Murat9, d’analyser l’étendue et les implications de l’héritage politique muratien à travers les phénomènes de transmission à l’œuvre dans le terroir d’origine de la dynastie. On postulera que la circulation du bonapartisme dans l’espace politique du département se fonde largement sur le clientélisme politique et les relations interpersonnelles. Lucien Murat (1803-1878), notable impérial, député et passeur du bonapartisme Lucien Murat constitue en effet une figure majeure du courant bonapartiste dans le Lot où il arrive en 1848, après 33 ans d’une proscription très suivie par la police bourbonienne napolitaine qui, au lendemain de la restauration napolitaine de 1815, a conduit sa famille à s’installer d’abord en Autriche puis aux États-Unis10. Après la mort de son frère aîné Achille en 1847, il devient l’héritier de la dynastie et connaît, dès les débuts de la Seconde République, une ascension politique très rapide, élu dans plusieurs départements au titre de citoyen représentant à la Constituante. Il l’est d’abord dans le Lot, sur les terres de sa famille, mais aussi dans la Seine. Cette géographie coïncide en grande partie avec les destinations de retour des anciens serviteurs de son père après la restauration des Bourbons de Naples en 1815. Ils le considèrent en effet comme le dépositaire de l’héritage familial et constituent des appuis importants de ses progrès auprès de l’opinion locale. Une brochure éditée à Figeac, l’une des deux sous-préfectures du département, au lendemain des élections législatives d’avril 1848, signale les raisons de son succès : « Le fils de Joachim Murat a présenté sa candidature dans le département dix jours seulement avant l'élection.

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