Patrick Gautier Dalché Carte marine et portulan au XIIe siècle. Le Liber de Existencia Riverierarum et Forma Maris Nostri Mediterranei (Pise, circa 1200) ome : École Française de Rome, 1995, 326 p. (Publications de l'École française de Rome, 203) Résumé Deux outils essentiels de la connaissance et de la maîtrise de l'espace, le portulan et la carte marine, sont apparus au Moyen Âge, les premiers exemples jusqu'ici connus datant de la seconde moitié du XIIIe siècle. Plutôt que de traiter la question insoluble - mais rebattue - de leur origine, ce livre se situe dans une perspective d'histoire culturelle des représentations de l'espace, par l'étude et l'édition d'un texte anonyme d'environ 1200. Le Liber de existencia riveriarum et forma maris nostri Mediterranei, élaboré à Pise par un technicien soucieux de promouvoir les instruments du commerce à un statut de légitimité culturelle, décrit minutieusement, à partir d'une carte marine et de portulans, l'ensemble des côtes méditerranéennes et, de façon moins détaillée, le littoral atlantique (plus de 1000 toponymes sont énumérés). Ses caractères sont examinés en rapport avec les traces d'instructions nautiques présentes au XIIe siècle dans les récits de croisade, ainsi qu'avec les monuments les plus anciens, notamment le Conpasso de navegare, dont l'édition est ici notablement corrigée (parmi plusieurs appendices). On recule donc de plus d'un siècle l'apparition de la carte et du portulan, sans pour autant se prononcer sur leur naissance : car se sont des circonstances particulières, notamment l'émergence d'une culture proprement urbaine, qui ont permis la mise en forme d'une pratique relevant des artes mechanicae, et par conséquent la survie de ce texte. Citer ce document / Cite this document : Gautier Dalché Patrick. Carte marine et portulan au XIIe siècle. Le Liber de Existencia Riverierarum et Forma Maris Nostri Mediterranei (Pise, circa 1200) Rome : École Française de Rome, 1995, 326 p. (Publications de l'École française de Rome, 203) http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/monographie/efr_0223-5099_1995_mon_203_1 ?/ COLLECTION DE L'ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME 203 PATRICK GAUTIER DALCHÉ CARTE MARINE ET PORTULAN AU XIIe SIÈCLE LE LIBER DE EXISTENCIA RIVERIARUM ET FORMA MARIS NOSTRI MEDITERRANEI (Pise, circa 1200) ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME PALAIS FARNESE 1995 Nl\ Imprimé sur papier permanent conforme à la norme ISO/CD 9706 (PO) © - École française de Rome - 1995 ISSN 0223-5099 ISBN 2-7283-0335-5 Diffusion en France: DIFFUSION DE BOCCARD 11 RUE DE MÉDICIS 75006 PARIS SCUOLA TIPOGRAFICA S. ??? ? - VIA DEGLI ETRUSCHI, 9 - ROMA ?? optimis parentihus '? AVANT-PROPOS Le texte édité et commenté dans ce travail n'a été qu'une seule fois mentionné à notre époque, du moins à ma connaissance. En 1944, dans le premier tome de ses Monumenta cartographica Vaticana, Roberto Almagià signalait l'existence dans la collection Barberini d'un fragment de «portulan», de la main de Lucas Holste, et y reconnaissait une copie partielle d'un manuscrit de la bibliothèque cottonienne. Mais, sans donner de raisons précises, il contestait la date proposée par le bibliothécaire du Vatican (XIIe ou XIIIe siècle), tout en jugeant que le texte ne devait pas être postérieur au XIVe siècle. R. Almagià ajoutait pourtant que l'uvre mériterait d'être publiée. Malgré ce souhait, c'est l'autorité de réminent historien de la cartographie qui d'abord explique le silence des savants. L'existence de descriptions générales ou partielles des côtes de la Méditerranée est bien documentée au XIVe siècle, et un témoin supplémentaire ne devait pas avoir, pour lui, un caractère de nouveauté très extraordinaire1. En outre, si les cartes marines ont fait l'objet de nombreuses recherches, il n'en va pas de même des portulans, rarement étudiés pour eux-mêmes : l'ouvrage monumental de Konrad Kretschmer, Die italienischen Portohne des Mittelalters. Ein Beitrag zur Geschichte der Kartographie und Nautik, qui date de 1909, n'a pas été remplacé. Le Conpasso de navegare, mentionné dès 1886, a attendu 1947 pour recevoir une édition moderne2. Mais une dernière circonstance, propre aux études d'histoire de la cartographie nautique, a sans doute renforcé ce déplorable manque d'intérêt. Cette discipline a en effet pour objet des monuments figurés d'une extrême richesse, mais qui ne fournissent à peu près aucun indice permettant 1 Se fondant sur le seul sommaire qu'il avait trouvé dans la copie de Lucas Holste, Almagià croyait pouvoir affirmer que seule une dizaine de toponymes n'avait pas d'équivalent sur les cartes et les portulans. Il attribuait quelques graphies erronées de toponymes à Lucas Holste : elles se trouvent dans l'original. 2 Th. Fischer, Sammlung mittelalterlicher Welt- und Seekarten italienischen Ursprungs und aus italienischen Bibliotheken und Archiven, Venise, 1886; B. R. Motzo, H Compasso da navigare, opera italiana della metà del secolo XIII (Annali della Facoltà di lettere e filosofìa della Università di Cagliari, vol. VTII), Cagliari, 1947. Le titre que nous utilisons est légèrement différent de celui de l'éditeur. Celui-ci donne d'ailleurs en titre courant «Lo Compasso de navegare». Dans le manuscrit, le texte a pour titre «Lo Conpasso de navegare». X CARTE MARINE ET PORTULAN AU XIP SIÈCLE de reconstruire leur genèse de façon obvie, non plus que de résoudre l'irritant problème de leur mode d'élaboration. Depuis deux siècles bientôt, une littérature nombreuse a préféré se vouer, sur ce sujet, à une débauche d'hypothèses plus gratuites les unes que les autres, s'autorisant toutes de la «vraisemblance», et traduisant ainsi l'absence de bases documentaires qui pussent les étayer. Il est heureux qu'une synthèse admirable par la rigueur de sa méthode et la prudence de ses conclusions ait récemment paru. Le bilan critique auquel l'auteur s'est livré conduira certainement la recherche à de nouveaux progrès3. Dans ces matières incertaines et controversées, une façon d'avancer est de considérer des documents nouveaux, susceptibles de poser de nouvelles questions. L'étude du Liber ne prétend nullement résoudre tous les problèmes que je viens d'évoquer. Ce texte a du moins l'intérêt de remettre en cause l'opinion universellement acceptée, selon laquelle l'apparition des cartes marines date de la deuxième moitié du XIIIe siècle. La première carte conservée, dite pisane, est datée conventionnellement de la fin de ce siècle; quant au premier portulan systématique de l'ensemble de la grande mer, le Conpasso de navegare, son éditeur l'assigne, de façon d'ailleurs un peu vacillante, à la deuxième moitié du siècle. Le Liber permet de reculer ces phénomènes d'un bon siècle. Au delà, le texte soulève sans doute plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Comme ce domaine de recherches exclut presque totalement les certitudes, lorsqu'il m'arriverà d'émettre des hypothèses, je m'efforcerai d'indiquer les arguments qui pourraient s'y opposer. J'examinerai d'abord le manuscrit, puis tenterai de dater le texte et de situer son auteur, avant d'étudier la structure et la construction du Liber, élaboré en premier lieu à partir d'une carte complétée par des indications de distances et de directions (chapitre premier). Ces caractéristiques fourniront la matière des deux chapitres suivants (II et III). Je m'attacherai enfin à dégager la signification culturelle d'une uvre née dans une cité marchande, qui présente une originalité marquée par rapport à la plupart des productions contemporaines (chapitre IV). Quant à l'édition du Liber, dont le manuscrit est peu lisible en plusieurs endroits, elle eût été facilitée si l'usage de la lampe à rayon ultra-violets ne m'avait pas été rigoureusement limité à la British Library. Notons au passage, pour n'y plus revenir, que la terminologie ici adoptée va à l'encontre d'un usage largement répandu. On appellera 3 T. Campbell, Portolan Charts from the late Thirteenth Century, dans The History of Cartography , volume one. Cartography in Prehistoric, Ancient, and Medieval Europe and the Mediterranean, edited by J.B. Harley, David Woodward, Chicago- Londres, 1987, p. 371-463. AVANT-PROPOS XI carte marine* (et non «portulan» ou «carte portulan») une représentation relativement exacte des côtes de la Méditerranée, de la mer Noire et, accessoirement, de l'océan Atlantique, fondée sur un réseau de directions au nombre de 32, et comportant les noms des ports et des villes inscrits perpendiculairement à la côte. Le terme portulan désigne toujours au Moyen Age un livre de mer renfermant des indications de distances et de directions entre différents points des côtes, ainsi que des instructions touchant l'approche des ports et, généralement, les conditions de la navigation. Désigner les cartes du nom de portulan est donc un contresens, quand bien même l'on supposerait que la carte était utilisée en complément du texte dans la pratique nautique. Au delà de son intérêt pour l'histoire de la cartographie, le Liber, qui offre quelque 1200 toponymes, pourra être utile dans deux domaines : celui de la toponymie et de la linguistique, et celui de l'histoire régionale (pour ne pas parler de géographie historique). Couvrant l'ensemble des côtes de la Méditerranée et secondairement celles de la mer Noire, ainsi que la partie atlantique de la péninsule Ibérique et du Maroc, il apportera des renseignements sur la topographie et sur l'occupation de certaines localités. Ces questions sont, naturellement, en dehors de ma compétence. Dans l'index topono- mastique final, j'ai tenté d'identifier un maximum de noms à l'aide d'instruments courants, mais sans donner à cet exercice un caractère systématique et exhaustif qui eût excédé mon propos, et sans doute aussi mes forces. Un index du Conpasso de navegare y a été joint afin de faciliter les comparaisons, son éditeur n'ayant pas jugé utile de le dresser.
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