Journée Ambroise Croizat 5 décembre 2012 – salle du Conseil Régional Rhône-Alpes à Lyon Deuxième table ronde sur le thème : CROIZAT , LE MINISTRE Introduction par Bruno Guérard – Responsable du groupe de travail régional du Comité d’Histoire des Administrations du Travail En introduction, je vais aborder la problématique et les difficultés du sujet Croizat le Ministre Puis je vais développer En 1° partie que Croizat est un ministre qui ne fut pas comme les autres. En 2°partie Par des réformes importantes de cette période, je vais évoquer la trace de ce ministre si différent des autres En introduction, donc, il faut dire que, sauf le travail de Michel Étievent que vous venez d’entendre, le sujet « Croizat, le ministre » est un sujet encore vierge et inconnu. Si vous cherchez de la bibliographie et des études universitaires qui auraient été faites, vous ne trouvez rien. Croizat n’intéresserait-il pas ? Ni ses réformes ? Sauf une exception dans le livre du centenaire du Ministère réalisé en 2006, quelques pages, non pas sur ce ministre, mais sur la période. À contre-pied de ces constatations, le groupe de travail auquel j’appartiens, au sein du CHAT, le comité d’histoire des administrations du travail, vient de commencer une étude. Cela va nécessairement durer plusieurs années, peut-être jusqu’aux 70 ans de la sécurité sociale, en 2015. Nous avons déjà quelques trouvailles remarquables . En second lieu, toujours en introduction, au-delà de cette problématique d’ignorance, ce sujet important, « Croizat le ministre » nous oblige à répondre à une question tout aussi importante : Quelle est la part des divers hommes politiques qui sont intervenus, celle des diverses organisations syndicales ou non syndicales ? Si des réformes si importantes sont apparues à qui et à quoi le doit-on ? Pas facile de le dire ! Car les conflits n’ont pas manqué derrière un unanimisme apparent, à l’époque, autour du Programme National de la Résistance. Cette problématique conflictuelle persiste encore. En effet, Si on a ignoré à ce point Croizat c’est qu’on l’a d’abord combattu avant même de le connaître. Pour quelle raison ? Croizat est le ministre non pas de l’État providence. Il s’en est toujours défendu, mais le ministre de la Société providence. Vous savez que le sujet a très mauvaise presse. 1 Pour cette raison, depuis le 4 mai 1947, date de l’éviction des ministres communistes du gouvernement Ramadier, la façon d’expliquer que Croizat le ministre ne mérite pas qu’on l’étudie, consiste à dire que tout ce qui a été fait pendant cette période n’est pas de lui. Mais que ce sont Laroque, Parodi, ou de Gaulle qui l’ont fait. La réponse est plus complexe qu’on le croit. Les 81 ministres du travail de notre histoire n’ont pas été des rédacteurs de décrets et de circulaires. Ils ont porté et influencé des politiques, faisant rédiger des règlementations par de hauts responsables ministériels. Pour Croizat, il en est de même. Et cependant, si on entre dans le détail, on verra parfois que les textes rédigés en 1946 portent une signature et un style rédactionnel particulier, assez unique dans l’histoire du droit du travail français. D’autre part, Croizat, par sa formation, par son caractère, par son histoire syndicale, s’est inscrit dans un travail collectif très différent. Les fondateurs du ministère, je pense à Millerand, Viviani, à la fin du XIXe siècle. ils avaient un style beaucoup plus personnel, avec des ambitions correspondantes. Refusant cette personnalisation, Croizat a toujours été cependant au centre et au plus haut niveau Un grand historien qui vient de décéder, Eric J Hobsbaum, n’a pas caché que la France avait été le pilier de l’invention politique et que l’invention qui a culminé dans cette période de la Libération, au travers de l’action d’hommes politiques comme Croizat était Une politique de la République pour le peuple travailleur, pour le peuple des pauvres, avec les forces en marche de ce peuple des pauvres et des prolétaires. Cela m’amène à ma première partie. Ière Partie Croizat, un ministre qui ne fut pas comme les autres Nous pouvons facilement faire des parallèles avec Millerand ou Viviani mais aussi avec tant d’autres parmi les 81 ministres du travail de notre histoire. Millerand et Viviani ont été de grands ministres marquant la naissance du ministère du travail. Croizat aurait plutôt incarné le début de l’apogée organisationnelle du ministère du travail. J’énumère plusieurs caractères par lesquels Croizat se distingue de tous ses prédécesseurs et de tous ses successeurs. 1° Un homme qui a connu personnellement la misère ouvrière 1° à la différence de tous les autres ministres du travail, Il a vécu personnellement la misère du prolétariat de la première moitié du XXème siècle, soit dans son enfance avec son père, soit dans sa jeunesse, Vers les 20 ans, traversant plusieurs mois de misère noire à Lyon, alors qu’il ne pouvait plus trouver à se faire embaucher, trop repéré par son action syndicale. Une telle insécurité très concrète explique pourquoi il va être, avec autant d’énergie, le ministre de la sécurité sociale 2 2° Un ministre qui sort de prison par suite d’une condamnation pour ses activités et ses opinions politiques, et qui de plus a connu plusieurs fois le passage au poste de police dans sa jeunesse pour son activité syndicale et ses soutiens à des grèves C’est une autre différence avec tous les autres ministres du travail. Il est entré au ministère, après 3 ans et demi passés la prison de la Santé et au Bagne de maison Carrée. Ce qu’il le devait à ses chers collègues parlementaires. Une expérience qui a marqué de façon très profonde sa sensibilité et sa volonté. Mais il sort de ce bagne pour participer tout de suite à l’Assemblée consultative d’Alger, et jeter les bases du chapitre social du Programme national de la résistance, comme Président de la Commission du travail de cette Assemblée, un an avant la signature de ce programme. Cela permettra d’apporter, tout à l’heure, des réponses à la question « Qui inspire qui » dans ces brèves années d’une très rapide cascade d’événements qui s’enchaînent. 3° Un cumul des fonctions de député, de ministre et également de fonctions syndicales conservées au plus haut niveau, dans la CGT alors réunifiée À peu près tous les ministres du travail de cette époque ont cumulé normalement, les mandats parlementaires et la mission ministérielle, ce qui les protégeait de la fragilité des gouvernements. L’originalité de Croizat est d’avoir conservé aussi ses fonctions de secrétaire général de la fédération nationale des métaux Ce n’était pas un pur formalisme. Puisque nous avons des discours et des témoignages selon lesquels sa semaine de travail incluait sa visite du mercredi à la rue Lafayette, le siège de la CGT. Détail retrouvé, il y mangeait à la cantine, après avoir discuté avec les dirigeants syndicaux, on peut le supposer, des problèmes de l’heure. On le voit venir et prononcer un discours, au Congrès des métaux de Lyon, le 3 février 46, ayant amené avec lui le Préfet du département. Il s’y déclare ministre demeurant un syndicaliste dans toutes ses dimensions. Même chose au Congrès des métallos d’Issy-les- Moulineaux le 16 mars 46. Par comparaison, aucun autre ministre du travail, ancien syndicaliste, il y en eut plusieurs, n’a gardé ses mandats syndicaux, une fois ministre. On peut évoquer aussi Millerand et Viviani qui démissionnent même du Parti socialiste, mais non de leurs mandats de députés, bien sûr, pour entrer au gouvernement. Il faut préciser qu’alors la majorité de leur parti était opposée à la participation gouvernementale de l’un des leurs. 4° Un ministre qui ne semble pas mettre en avant l’ambition de commencer une brillante carrière politique 3 De nombreux ministres du travail, en particulier Viviani ou Millerand vont faire de leur entrée au ministère, un tremplin pour une carrière politique, parfois des plus hautes, les conduisant à la Présidence du Conseil et même à la présidence de la République. Pour Croizat, c’est tout autre chose. Il entre au gouvernement dans une équipe de ministres communistes dont la composition est préparée au bureau politique, et par les négociations de Maurice Thorez et Jacques Duclos avec les autres forces du tripartisme. Ils entrent au gouvernement et en sortent tous ensemble. En outre, ce qui frappe en lisant la presse de l’époque, c’est son absence, pendant des mois. La presse ne parle ni de lui, ni ne cite son nom, même si elle parle du ministère du travail. Soit que cela relève déjà, dès l’année 46, d’une attitude de brouillage à l’égard de l’opinion, sur l’impact social et électoral de ces ministres, soit que cela relève de leur attitude. Lors de la composition des gouvernements le PCF lutte pour revendiquer les ministères de l’intérieur et de la défense, accessoirement de l’agriculture, sans doute parce que le ministère du travail est considéré comme lui revenant nécessairement. Le Rôle de Croizat ne va apparaître dans la presse qu’à l’occasion de la grande bataille sur la question salariale qui inaugure le ministère Bidault en juin et juillet 46 , dont je parlerai tout à l’heure Sur cette question on retrouve cette idée que ce ministre du travail représente une dimension collective de la classe ouvrière et de ses organisations, sinon il n’y a pas de Ministre Croizat. Il est en fonction pour la classe ouvrière et le mouvement ouvrier.
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