UNIVERSITÉ PARIS–SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE V « CONCEPTS ET LANGAGES » Patrimoines et langages musicaux CONSERVATOIRE NATIONAL SUPÉRIEUR DE MUSIQUE ET DE DANSE DE PARIS THÈSE Pour l’obtention du grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline / Spécialité : Musique Recherche et Pratique Présentée et soutenue par : Constance Luzzati Le 20 novembre 2014 Du clavecin à la harpe Transcription du répertoire français du XVIIIe siècle Sous la direction de : Madame Raphaëlle Legrand, professeur à l’université de Paris IV – Sorbonne Monsieur Kenneth Weiss, claveciniste, chef d’orchestre, professeur au CNSMDP JURY : Madame Violaine Anger, maître de conférence habilité à diriger des recherches à l’Université d’Evry-Val-d’Essonne Monsieur Jean-Pierre Bartoli, professeur à l’Université Paris IV – Sorbonne Monsieur Philippe Brandeis, directeur des études musicales et de la recherche au CNSMDP Madame Raphaëlle Legrand, professeur à l’Université Paris IV – Sorbonne Madame Isabelle Moretti, harpiste, professeur au CNSMDP Monsieur Bertrand Porot, professeur à l’Université de Reims Monsieur Kenneth Weiss, claveciniste, chef d’orchestre, professeur au CNSMDP 1 2 Le répertoire original pour harpe est relativement restreint. Deux voies permettent de concourir à son accroissement : la création contemporaine d’une part, et la transcription d’autre part. La présente étude interroge le rapport entre les habitus anciens et une pratique actuelle de transcription, depuis le répertoire de clavecin français du XVIIIe siècle vers la harpe. La transcription est ici considérée comme une pratique non notée qui relève de l’interprétation, et qui partage avec celle-ci, comme avec la traduction, des problématiques fondamentales en apparence antinomiques : esprit et lettre, idiomatisme et fidélité. Elle confronte l’interprète à ses propres limites ainsi qu’à celles de son instrument, et favorise la rencontre avec l’altérité d’une écriture dépourvue de gestes familiers. La transcription constitue l’un des moyens privilégiés de compréhension du répertoire transcrit, de l’instrument de destination, et du rapport de l’interprète à son instrument. La transcription du répertoire de clavecin français pour harpe sera envisagée tout d’abord sous un angle historique, puis à travers les interrogations de nature esthétique que suscite l’antagonisme entre idiomatisme et fidélité, enfin la question des limites et impossibilités sera interrogée selon une approche technique et pratique. Mots-clés : transcription, arrangement, harpe, clavecin, interprétation, traduction, idiomatique, authenticité. The original harp repertoire is rather limited. It seems there are two efficient ways to help its increase : contemporary creation on the one hand, and transcription on the other. This study questions the relation between early music and a current way of transcribing for harp the eighteenth century french harpischord repertoire. Transcription is here considered as an unwritten practice that comes close to interpretation, and like interpretation and translation, it faces fundamental issues which seem paradoxical : spirit and letter, idiomatism and fidelity. Transcription forces the performer to face his own limits as well as his intrument’s, and it favours the encounter with the otherness of a writing that is free of any familiar gesture. Transcription is one of the best ways to comprehend the transcribed repertoire, the instrument the piece is being transcribed for, and the relationship the performer has with his instrument. The transcription for harp of the eighteenth century french harpischord repertoire will be examined first under a historic angle, then, with esthetic concerns raised by the paradox between idiomatism and fidelity, and finally, the issue of the limits and impossibilities will be studied from a technical and practical approach. key-words : transcription, arrangement, harp, harpsichord, performance, interpretation, translation, idiomatic, authenticity. 3 4 Remerciements Je voudrais remercier ici tous ceux qui m’ont permis d’effectuer ce travail de recherche. Je leur dois bien davantage que ce qui peut se dire en une page. Ma gratitude va tout d’abord à mes directeurs de recherche : Madame Raphaëlle Legrand, qui a accepté d’encadrer un type de doctorat nouveau, et qui m’a accompagnée avec confiance et largeur d’esprit, à travers des échanges aussi libres qu’enrichissants ; Monsieur Kenneth Weiss, qui, dès 2006, a consenti à me faire travailler sur un instrument moderne, accueillant mes expérimentations avec humour et bienveillance, et me transmettant avec générosité son immense connaissance du répertoire. Je leur suis reconnaissante, ainsi qu’à Madame Violaine Anger, Monsieur Jean-Pierre Bartoli, Monsieur Philippe Brandeis, Madame Isabelle Moretti et Monsieur Bertrand Porot d’avoir accepté de participer à ce jury particulier, où l’interprétation se conjugue sous forme pratique autant qu’écrite. J’espère que le concert qui accompagnera la soutenance pourra compenser la lecture de certains passages, excessivement techniques ou fastidieux. Ma gratitude va également à l’Université Paris-Sorbonne ainsi qu’au CNSMDP, qui ont eu la mansuétude de m’accorder une cinquième année d’études sans laquelle je n’aurais pu parvenir au terme de ce parcours. Je suis particulièrement reconnaissante à l’égard de l’ensemble des professeurs du conservatoire de Paris, qui m’ont accueillie et formée pendant quatorze années : Monsieur Christian Accaoui, Monsieur Rémy Campos, Monsieur Pierre- Albert Castanet, Madame Brigitte François-Sappey, Madame Geneviève Létang, Monsieur Alain Louvier, Madame Isabelle Moretti, et Monsieur Kenneth Weiss, ainsi que Mesdames Odile Abrell, Sylvie Lannes, Françoise Netter, Corinne Schneider, et Brigitte Sylvestre qui les ont précédés dans le cadre d’autres institutions. Je dois à Isabelle Moretti et Germaine Lorenzini de pouvoir m’exprimer avec une harpe sans être trop contrainte par mes limites : elles n’ont pour cela ménagé ni leur générosité, ni leur temps, ni leur engagement, ni leur énergie, qui ont été nécessaires pour faire entrer dans ma tête et dans mes mains, parfois rétives, un peu de leur parfaite maîtrise de l’instrument. Qu’elles en soient chaleureusement remerciées. Merci à mes infatigables relecteurs : Daniel dont la rapidité et le soutien aussi indéfectible que sans emphase ont été mis à l’épreuve bien en amont de ce doctorat, la finesse et la bienveillance manifestées par Sylvie à travers un accompagnement intellectuel, musical et humain de près de vingt ans, Sophie et Catherine pour leurs remarques toujours justes et leur chaleureux soutien, Anne-Marie pour sa minutie et son investissement. Le résumé anglais aurait été d’une piètre qualité sans l’aide d’Abigaïl, et je n’aurais pu terminer ni l’index ni la relecture finale sans celle de Françoise. Ma gratitude va également à tous les bras salvateurs qui ont pris en charge force tours de poussette, de porte-bébé ou de berceuses. Ils m’ont offet des instants de répit qui ont permis l’émergence de bien des paragraphes : Emmanuel, Françoise, Daniel, Héloïse, Catherine, Arlette, François, Annie, Florence, Joël, Abigaïl, Delphine. Enfin, à Emmanuel merci pour tout, jusqu’à ta jambe plâtrée qui m’aura de façon opportune détournée d’un été d’itinérance alpine au profit d’un premier mois d’intense rédaction. Et merci Altaïr, toi qui as toléré de n’être pas l’unique sujet de mon attention au cours de tes quatre premiers mois d’existence. 5 6 Introduction 7 8 Sujet et Corpus Le répertoire de la harpe est restreint. Hormis quelques œuvres majeures composées au début du XXe siècle, ainsi qu’un nombre croissant de pièces contemporaines, il est principalement constitué de morceaux de virtuosité, souvent dus à des compositeurs eux- mêmes harpistes, compositeurs-interprètes ou interprètes-composants. Deux pistes me semblent privilégiées pour favoriser la sortie de l’esthétique de salon à laquelle cet instrument est communément associé : la création d’œuvres nouvelles, et la transcription. L’exploration de cette dernière fait l’objet de mon étude. Nombre de harpistes œuvrent à dépouiller l’instrument de son image caricaturale, par des moyens différents, voire opposés aux miens, notamment en valorisant le répertoire original pour harpe. Je prends donc position, ne serait- ce que par le sujet traité, de manière personnelle et subjective. Je m’exprime en tant qu’interprète et non pas en tant que musicologue, et ne puis à ce titre prétendre à un discours objectif. Ce qui concerne le processus d’interprétation n’est pas totalement formalisable : les hypothèses et les conclusions de ce travail ne visent pas des vérités stables mais partielles, locales, mouvantes. Ce discours ne peut être que singulier, un autre harpiste pourrait avoir un point de vue aussi différent que valide sur le sujet traité. Aussi j’emploierai la première personne du singulier. Tous les répertoires polyphoniques ne peuvent être adaptés à la harpe. Les grandes œuvres pour piano du XIXe siècle sont souvent impropres à la transcription1 : d’une part, le matériau musical est pensé pour des cordes frappées et supporte difficilement le changement de « couleur » par rapport aux cordes pincées ; d’autre part, la majorité de ces pièces sont techniquement incompatibles avec les contraintes de l’instrument. Les transcrire nécessiterait d’effectuer un réel travail de ré-écriture, qui aboutirait à un résultat probablement peu satisfaisant d’un point de vue esthétique. L’effet sonore est en revanche beaucoup plus convaincant en ce qui concerne les
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