Questes Revue pluridisciplinaire d’études médiévales 11 | 2007 La transmission La transmission des objets dans Guiron le Courtois (1235-1240). Affinités et exclusions Sophie Albert Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/questes/629 DOI : 10.4000/questes.629 ISSN : 2109-9472 Éditeur Les Amis de Questes Édition imprimée Date de publication : 15 mars 2007 Pagination : 78-88 ISSN : 2102-7188 Référence électronique Sophie Albert, « La transmission des objets dans Guiron le Courtois (1235-1240). Affinités et exclusions », Questes [En ligne], 11 | 2007, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 22 avril 2019. URL : http:// journals.openedition.org/questes/629 ; DOI : 10.4000/questes.629 © Association des amis de « Questes » La transmission Questes n° 11 La transmission des objets dans Guiron le Courtois (1235-1240) Affinités et exclusions So hie ALBERT1 La version de base de Guiron le Courtois, représentée par le manuscrit de Paris, BNF, fr. 3 0, appara"t en réalité comme la réunion de deux textes distincts2. Le Roman de Meliadus, apr%s un préambule consacré & Esclabor, le p%re de Palam%de, se focalise sur l(histoire de Meliadus de Leonois, le p%re de Tristan, et sur la rivalité ,ui l(oppose au Chevalier sans Peur, le p%re de .inadan et de Brunor le Noir. En figurant les géniteurs de Palam%de, de Tristan et de .inadan, personnages ma0eurs du roman de Tristan en prose, l(auteur désigne d(emblée les liens de filiation, textuels et généalogi,ues, ,ui rattachent son 1uvre & l(intertexte tristanien. Ces liens s(appuient sur de nombreuses allusions & la génération suivante, explicitement mentionnée par des prolepses auctoriales ou des insertions prophéti,ues, et évo,uée, & l(arri%re2plan du récit, par des échos entre les aventures des p%res et des fils. Aux antipodes de cette problémati,ue, le Roman de Guiron, ,ui fait suite, dans la plupart des manuscrits, au Roman de Meliadus, semble s(ingénier & trancher toutes les attaches entre les héros, leurs fils et leurs anc4tres. 5uiron, protagoniste de ce second roman, ignore tout de ses origines 6 son fils, 1 Les pages ,ui suivent ont nécessairement une portée limitée 6 elles seront reprises dans un article ,ue Patric7 M8RAN et moi2m4me préparons en ce moment, et ,ui portera sur un corpus beaucoup plus large. 2 Pour un résumé de cet ensemble, voir Roger LAT:UILL=RE, Guiron le Courtois : étude de la tradition manuscrite et analyse critique, 5en%ve, .roz, 1966, ,ui présente tous les manuscrits connus en 1966. Le Roman de Meliadus correspond aux A 12 1 de l(analyse, le Roman de Guiron aux A 22130. .ans la suite du texte, les numéros de paragraphes renvoient & l(analyse de Roger Lathuill%re, les numéros de feuillets au manuscrit de Paris, BNF, fr. 3 0. 78 La transmission Questes n° 11 personnage au nom incertain, étranger d(ailleurs & la tradition arthurienne, est séparé de ses parents d%s sa plus tendre enfance, et dispara"t, tué par Palam%de, sitCt parvenu & l(Dge adulte. Bien ,ue ces deux romans traduisent des représentations contraires du lignage, le second brouillant systémati,uement les relations de parenté alors ,ue le premier affirme partout, et avec force, le lien héréditaire entre Meliadus et Tristan, on retrouve paradoxalement, dans un cas comme dans l(autre, un emploi similaire des transmissions d(ob0ets, ,ui circulent en2dehors du cercle du genus E la parenté de sang, aussi ,ualifiée de charnelle, biologi,ue ou naturelle3. .e ,uels types de rapports ces transmissions d(ob0ets, ainsi placées hors du champ généalogi,ue, se font2elles le support F Modifient2elles le regard du lecteur sur la parenté naturelle et, plus largement, sur les relations unissant les acteurs du récit F Enfin, comment situer ces transmissions d(ob0ets vis2&2vis des autres modalités possibles de la circulation des biens : don, vol, échange marchand F Pour répondre & ces ,uestions, 0(étudierai deux passages comportant une transmission d(ob0ets, tirés l(un du Roman de Meliadus et l(autre du Roman de Guiron. I. Le Roman de Meliadus : ordre du tem s et formes de transmissions Le Roman de Meliadus pr4te plusieurs sé0ours bretons & Charlemagne, narrés au sein d(épisodes prolepti,ues 6 l(apparition de l(empereur obéit au mod%le, inauguré par le Tristan en prose, des p%lerinages littéraires4. deux 3 Pour une discussion sur la pertinence et les limites de ces termes dans l(8ccident médiéval, voir Anita 5UERREAU2JALABERT, K Sur les structures de parenté dans l(Europe médiévale M, Annales ESC, 36 N1981O, p. 102821049 : p. 1032. 4 Sur ces p%lerinages littéraires, voir Richard TRAC:SLER, Cltures du cycle arthurien. tude et textes, 5en%ve, .roz, 1996, p. 191219 6 Disjointures, Conjointures. tude sur l%interférence des mati'res narratives dans la littérature fran)aise du Moyen *ge, TPbingen, A. Franc7e Verlag, 2000, p. 1092111. Sur les 0ugements de Charlemagne dans le Roman de Meliadus, voir Barbara RA:LEN, K Nostalgies romaines : le parcours de la chevalerie dans le Roman du roi Meliadus, premi%re partie de Guiron le Courtois M, Materiali arturiani nelle 79 La transmission Questes n° 11 occasions, l(empereur, en mani%re d(hommage, fait un don & une effigie célébrant la mémoire de Meliadus. Au A 28, il pose une précieuse couronne sur la t4te d(une statue ,u(Arthur, pour la gloire du héros, a 0adis érigée 6 au A 48, il laisse son écu et son heaume dans une chapelle dédiée & Meliadus et & Ariohan de Sessoigne. Ne pouvant analyser dans le détail ces deux épisodes, 0e m(en tiendrai & l(étude du second, dans le,uel les transmissions d(ob0ets entretiennent des rapports complexes avec la représentation du lien généalogi,ue. La sc%ne se situe deux cents ans apr%s la bataille ,ui opposa, en un long combat singulier, Meliadus & Ariohan de Sessoigne. Arthur, pour commémorer l(affrontement, a édifié une chapelle sur les portes de la,uelle sont gravés les portraits des deux chevaliers. Le monument rappelle aux générations futures les héros du passé 6 sa fonction commémorative est illustrée par la visite de l(empereur, ,ui vient cautionner l(historicité des personnages romanes,ues en m4me temps ,u(il salue leur vaillance . Le sens du texte, toutefois, va plus loin ,ue celui d(un simple proc%s d(autolégitimation. Entre l(empereur et les preux du passé, un lien se tisse, matérialisé par un don : Lors entra l(empereres Charles dedens la capele et demanda ou estoit son escu, et l(en li porta, et il dist : K Por l(amor des deus chevaliers ,ui en ceste place se combatirent ferai ge honour en cestui leu. M Et fist adonc tout maintenant son escu pendre dedenz la chapele et son haume et tout ce leissa il leanz S...T. NA 48, f° 139bO L(épisode rappelle un autre p%lerinage littéraire, raconté celui2l& par la version br%ve du Tristan. Charlemagne ram%ne d(Angleterre deux reli,ues, les épées de Tristan et de Palam%de, trouvées dans une abbaye 6 apr%s en avoir letterature di ,roven-a, S.agna, Italia, Margherita LECC8 Néd.O, Alessandria, Edizioni dell(8rso, 2006, p. 16 2181. Sur cette fonction de la sculpture comme K document histori,ue M, voir Colette2Anne VAN C88LPUT, K Sur ,uel,ues sculptures anthropomorphes dans les romans arthuriens en prose M, Romania, 108 N1987O, p. 2 42267. 80 La transmission Questes n° 11 évalué les mérites, il garde celle de Palam%de et remet & 8gier celle de Tristan6. .ans le Roman de Meliadus, l(empereur offre & Meliadus et & Ariohan son épée et son heaume, et au premier une couronne. Les deux romans s(accordent pour faire de l(empereur un dispensateur de trésors : dans cha,ue cas, il donne un bien précieux, couronne ou reli,ue profane, & un grand personnage. Mais tandis ,ue dans la version br%ve du Tristan, les épées se transmettent, tr%s normalement, du passé au présent, elles circulent ici en sens inverse, démentant les observations de Richard Trachsler E ,ue malgré des détours parfois incongrus, K le tra0et Sdes ob0etsT est tou0ours orienté, dans la mesure oU les ob0ets Vtroyens( ou Varthuriens( aboutissent dans la mati%re de France et non pas le contraire M7. Le geste de Charlemagne, dans le Roman de Meliadus, brouille l(ordre du temps et des générations. Les offrandes de l(empereur ne peuvent man,uer d(évo,uer l(un des K rCles M ,ue lui ont fait 0ouer l(histoire et la fiction. Charlemagne a rapporté d(8rient de multiples reli,ues, distribuées ensuite & divers édifices religieux. .evenu saint, il a été au centre d(un véritable culte, dont témoignent, sur le versant germani,ue de l(Empire, les somptueux ob0ets conservés longtemps & Aix2la2Chapelle et, du cCté franWais, les légendes élaborées & l(abbaye de Saint2 .enis8. La fonction médiatrice ,ue lui conf%rent les récits de transferts de reli,ues s(accorde avec l(image d(une émancipation vis2&2vis de l(ordre du 6 0e Roman de Tristan en .rose : version du manuscrit fr. 121 de la 3iblioth'que nationale de 5rance, Moni,ue LX8NAR. et Francine M8RA Néds.O, Philippe MXNAR. Ndir.O, Paris, Champion, t. IV, 2003, A 331, p. 312. 7 Richard TRAC:SLER, Disjointures..., o.. cit., p. 107. L(auteur présente d(autres histoires d(épées et de heaumes Nibid., p. 992107O. 8utre tous les exemples littéraires ,ue l(on pourrait encore a0outer, les histoires de reli,ues de K saints guerriers M récupérées, voire disputées apr%s la mort du saint par des seigneurs, existent aussi dans la réalité médiévale. Voir par exemple & ce su0et l(article de Michel LAURERS, K propos de l(usage seigneurial des reli,ues : note sur les VMiracles de Saint 5engoul( N1034 ou 104 O M, Guerriers et moines.
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