SAINT-PAUL-EN-JAREZ AU PIED DU MONT PILAT SAINT-PAUL EN-JAREZ PAR BERNARD PLESSY ÉDITIONS DUMAS 4 et 6, rue Georges-Dupré SAINT-ÉTIENNE (Loire) PRÉFACE Bernard Plessy a su regarder en poète ces grands pays muets qui, par ondes chevauchantes montent de la vallée du Dorlay jus- qu'aux cimes du Mont Pilat. Il a reconnu les plantes qui poussent le long des sentiers et il a salué, avec une émotion non feinte, ces hameaux dont les noms restent chargés d'histoire et de mys- tère. A cette heure calme du soir, où le parfum des églantines passe de colline en colline, il a répété comme les paroles d'un litanie Vergelas, la Quinarie, la Bruyère, la Merlanchonnière, Marcieux, Vigilon, Bayolle et, laissant errer son regard sur les pentes de montagnes souvent parcourues, il a murmuré Crêt Chaboud, Cha- vanol, bois de Trente-Sous, Farnay et la Condamine. Peu à peu, il a senti s'éveiller en lui le besoin d'écrire l'histoire de Saint-Paul-en-Jarez, dont la seigneurie dépendait à la fois du Comté de Lyon et du marquisat de Saint-Chamond. Avec un amour et une patience qui sont amplement récompensés, l'auteur a considéré son village comme une personne vivante. Avec un grand bonheur d'expression, il nous montre la lente formation de cette bourgade, puis, avec une érudition jamais en défaut, il sait en évoquer les joies, les misères, les heures tantôt sombres et tantôt lumineuses. Toutes ces pages éloquentes, à la gloire d'un village du Jarez, éveillent non seulement l'attention du lecteur, mais encore une secrète sympathie qui, de chapitre en chapitre, va grandissante. On dirait, que sous la plume habile de l'historien, les grimoi- res retrouvent leur jeunesse et les saisons mortes, leurs parfums évanouis. La nuit est lente à venir. On dirait qu'elle hésite à poser sur l'herbe le cristal de la rosée et la grisaille sur les nuées vagabon- des. Le Mont Pilat s'offre à nous comme une étrange contrée de pacages, de sapinières et de crêtes dénudées. On devine aisément que cette contrée, qui bientôt se perdra dans les ténèbres, a été pour Bernard Plessy, la plus douce et la plus féconde source d'ins- piration. Plus je contemple cet horizon familier, plus je songe que cer- tains villages de la terre de Jarez méritent bien l'attachement pas- sionné que lui ont toujours voué ses enfants. Au cours des âges, Saint-Paul- en-Jarez a vu naître de bien braves gens qui, avec gaieté et courage, ont accompli leurs beso- gnes quotidiennes. Ils n'ont pas laissé, dans la mémoire des hom- mes, un souvenir aussi vivace que celui de Jacques Lisfranc Saint- Martin, qui fut grand par sa science et par sa bonté jamais en défaut. Au soir d'une existence qui par ses réussites tenait du prodige, Jacques Lisfranc, qui avait été médecin de l'Empereur, des prin- ces, des rois, des grands de ce monde, dans une lettre émouvante à sa sœur Mme Jalabert, confia ses plus intimes pensées. « Je t'écris sur le secrétaire où a travaillé l'Empereur. Ce magni- fique meuble dont il n'existe pas le pareil, et que tout Paris vient voir, était à la Malmaison, dans le cabinet du grand homme. On m'a encore fait cadeau de son bain de pied en argent massif : c'est un immense vase accompagné du broc destiné à le remplir. Je possède encore une cage en argent plaquée or, elle a appartenu à l'Impératrice Joséphine. Ces objets ont coûté 30.000 francs, juge de leur valeur actuelle. Un grand personnage auquel j'ai sauvé une jambe, ayant appris par les journaux que je possédais les meubles dont je t'entretiens, m'a envoyé le fauteuil de l'Empereur, il est resplendissant de beauté. » Au milieu de toutes ces splendeurs, Jacques Lisfranc sent son cœur insatisfait. Il ne rêve ni d'honneur, ni de profits, ni de hau- tes relations mondaines, mais d'un peuplier qui faisait sa rumeur de feuillage dans son Saint-Paul-en-J arez natal. Il songe avec un indicible bonheur à sa famille, à la vie paisible dans son village perdu au pied du Mont Pilat : « Il m'a semblé que j'étais avec toi, avec ma mère, mon frère et mon vénérable père : juge du bonheur que j'ai éprouvé, mais il a été instantané ». En un temps où les communications manquaient de rapidité et où l'on se procurait avec difficultés des produits pharmaceutiques, le docteur Pierre Lisfranc Saint Martin portait toujours avec lui quelques simples remèdes, dont il avait tiré la substance des plan- tes médicinales du Mont Pilat. Jusqu'à l'âge de seize ans, Jacques Lisfranc, initié de bonne heure à l'art du « rhabillage », parcourut à pied et à cheval ce pays de l'alouette et de la perdrix, de l'airelle et de la bruyère rose qui se nomme le Mont Pilat. Plus tard cette montagne, dominant si doucement le Jarez de tous ses bosquets, de toutes ses buttes et de tous ses dômes arron- dis, lui paraîtra à juste raison le doux pays des songes où volent de merveilleux oiseaux. Un village et un coin de France qui inspirent de tels sentiments dans un esprit aussi grand que celui de Jacques Lisfranc, méritaient de trouver un jour l'écrivain qui saurait en montrer avec tendresse toutes les beautés et tous les secrets. Pour le plaisir des lecteurs et des chercheurs, Saint-Paul-en- Jarez vient enfin de trouver son historien. Cher Bernard Plessy, un livre est toujours un acte de courage et de confiance. Le vôtre si jeune, si vivant, si plein de poésie et de recherches personnelles, est un acte d'amour qui touchera tous les amis du Jarez et de ce Mont Pilat, qui a si souvent la couleur bleue de l'espérance. Jean COMBE. La Tour des Vernes, 16 juillet 1961. AVANT-PROPOS Le temps était à la bise. Déchirante et longuement sifflante, elle tournoyait comme un oiseau de proie, quelque part au-dessus de Pilat, puis s'abattait en coups de faux sur la chaîne en allée des collines. Vieille comme l'hiver et grise comme le lichen du sapin, poin- tait une aube de décembre, venue sans grâce de par-derrière la montagne, sur ce dimanche de la morte saison. A grand six heures, nous avions messe entendue, dans la petite église de Saint-Just, où l'on se lient ramassé sur son banc, dans le froid et la lumière falotte des lampes. Maintenant nous allions, le dos courbé sous le sac, au fil du sentier. Derrière nous, le village : on ne voyait plus que le clocher. Au-devant, dans le lointain, le Collet, passage ouvert dans la mon- tagne, au sommet de la rampe longuement ployée. Au creux de la haie et dans l'ornière, mêlées de boue et de feuilles mortes, des croûtes de neige glacée craquaient sous les clous de la semelle. Aiguisée d'aiguilles de pins, pointue comme la feuille du houx, la bise encore, la bise toujours nous cornait aux oreilles et souffletait nos joues cuisantes. Mon ami et moi avancions lentement. Il fallut s'arrêter pour reprendre souffle. Alors, comme je m'en souviens ! nous nous sommes retournés et c'est à ce moment que j'ai vu, que j'ai com- pris tout ce haut pays sur lequel ouvre la porte de Saint-Paul. Vieilles terres de la montagne lancées dans le ciel, de l'Œillon à la Perdrix, forêts couleur d'orage, hameaux tassés au flanc de la colline, tapis au fond des temps, et les carreaux des champs, les labours, les pâtures, tous les héritages, garennes et guérets, genê- tières et bruyères, tous les garipelés, notre pays, notre terre, notre montagne. Ouvrez la carte d'état-major. D'un trait, joignez le Planil au col du Mazet; d'un autre trait, joignez Saint-Paul à l'Œillon. Laissez la règle et le crayon. Vous avez les coordonnées géogra- phiques du pays et vous pouvez dès lors en comprendre l'histoire. Nous devions être alors, très précisément, au point où se croi- sent les deux lignes : quelque part sur les collines qui montent au- dessus de Saint-Just, tirant vers le Collet. Tournés face à Saint- Paul, nous avons à notre gauche, sur fond gris, le col du Planil qui ouvre sur les terres du Forez. A notre droite, comme une répli- que lointaine et fidèle, le col du Mazet s'échancre sur les pays du Rhône et du levant. Et de ce passage à l'autre, perdues au milieu des collines, nos frêles silhouettes, sous les rafales de la bise. Face à nous, encaissée et sinueuse, la vallée du Dorlay et là-bas, lointain, masqué par les contreforts du Bessy, notre village, Saint-Paul, que l'on évoque voilé de fumée grise. Dans les maisons, on ranime les feux et le dernier coup de la première messe s'abat sur la place déserte. Au bout de la semaine, ce dimanche nouveau; au bout du temps passé, ce jour d'aujourd'hui. Pas à pas, nous montons. Si tu lèves les yeux, tu vois le sombre bourrelet de la montagne : l'Œillon, Botte, le pré de la Jasserie, la ligne des crêts au bord de laquelle bascule, taillée à pic dans le noir profond, la retombée des bois. En coulis sournois, au travers des têtes des sapins, glisse la bise, se roule sur Doizieu et remonte en vipère jusqu'à nous. Mais nous irons, nous irons, sur les chemins feutrés de neige lente, nous irons jusqu'au sommet d'où l'on voit, longuement muette et couchée sous le regard, la terre citadelle du Jarez, le pays, le vieux pays de notre enfance.
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