Annuaire artistique de l’Algérie (Arts visuels) 2012 L’Annuaire artistique de l’Algérie 2012 - Un an ; 1 numéro Directeur de la rédaction : Mansour Abrous Tél. : 06.85.18.77.47 E-mail : mansour. [email protected] Objectifs : Fondé en 1998. L’Annuaire des arts en Algérie se veut fidèle à sa mission d’outil d’information et de source de références pour toute la communauté artistique, les étudiants, les chercheurs et les praticiens. A Nacer Fatiha et Boukacem Zerrouk « Les martyrs ne sont pas seulement ceux qui sont morts pendant la Guerre, sous les coups des ennemis. Il y a aussi les martyrs de l’art, les artistes créateurs, toujours martyrisés d’un pays qui se cherche depuis des millénaires » (Kateb Yacine) Introduction En cette année du cinquantième anniversaire de l’indépendance, la communauté artistique, en attente, aurait été séduite par l’idée d’un bilan de l’activité « arts visuels en Algérie ». Un temps de bilan qui puisse donner des éléments de projection pour l’avenir. Ce travail aurait eu de sens, s’il était étayé par des assises ou rencontre des principaux acteurs de la scène culturelle pour, collectivement, déposer un sentiment, une analyse, un bilan contradictoire, une transparence d’informations sur cette période d’activités. En Algérie, nous sommes, aujourd’hui, en présence de deux visions du développement de la culture. La première, vise la modernisation de la société, intègre la culture dans ce projet généreux, ouvert sur des logiques de co-production entre la société civile, le monde associatif et l’état. Cette démarche implique des mécanismes de contrôle démocratique de l’utilisation de l’argent public. La seconde est opportuniste, prédatrice de l’argent public, au profit des « élites intégrées » et des « affidés zélés », favorisée par un « Etat providence » et l’improbabilité du projet culturel officiel. Dans l’univers clos de la colonisation, le destin de nos artistes était raturé. C’était le triomphe de l’incompatibilité décrétée de « l’indigène » avec l’art et la jouissance esthétique. Il y avait heureusement chez nos aînés la capacité à pénétrer par effraction dans ce bluff historique et à éventer ces certitudes épouvantables. A l’indépendance, point de principes structurants du champ des arts plastiques, tout juste la confuse volonté d’engager une dynamique de domination politique et idéologique, orchestrée par le parti unique, d’organiser l’union nationale des arts plastiques et de faire fonctionner les écoles d’art d’Alger, Constantine et Oran. Les années 70-90 voit s’affirmer une politique culturelle « étatique », très centralisée, contrôlée par le secteur public. Le modèle crée très rapidement un déséquilibre au détriment de l’initiative libre et privée. Très verrouillée idéologiquement, ce système est déjà, rentier, sur le plan de l’affiliation et de la reconnaissance. Les performances du secteur culturel sont faibles, les résultats en termes de transformation effective des réalités culturelles et éducatives sont également faibles. L’Algérie officielle s’est mise en paresse culturelle et en lassitude institutionnelle. Tout s’endort et se pétrifie : les acteurs culturels, les institutions, les discours, les volontés. Dans cette Algérie insuffisamment construite, faussement moderne, confrontée à la violence, les artistes, en exil intérieur, résistent. Après la décennie noire, la capacité de formulation d’une politique culturelle est réduite à sa plus simple expression. La période consacre la domination de la logique rentière, fondée sur le recours à une forte dépense publique et un appétit, insatiable, de l’immédiateté, du visible, du communicable. C’est le règne de la profusion de l’événementiel et des opérations de communication. La Culture dont nous sommes le non ! Le dispositif « arts visuels » national apparaît clairement comme disparate, non homogène, chaotique, pas ou peu intégré, pas ou peu discuté, pas ou peu partagé. Dominée par une logique rentière, il est chahuté par de nombreux facteurs négatifs qui décrètent son inefficience. Nous ne produisons pas assez d’événements culturels à même d’absorber la demande des artistes et d’associer la communauté artistique, nous ne produisons pas assez d’informations sur les dits événements, nous ne produisons pas assez de connaissances sur les arts visuels en Algérie. La déliquescence de notre système d’enseignement artistique, sa régression, sa désarticulation par rapport à l’enseignement supérieur et son échec à être au cœur du développement culturel et artistique du Pays. Dix écoles d’art sur le territoire national qui captent laborieusement l’intérêt de 650 étudiants. La reproduction de l’élite artistique est compromise. Les nouvelles écoles, au statut incertain, accueillent une moyenne de 35 élèves. La précarité statutaire de certains enseignants et directeurs est patente. Les conditions d’accueil et de scolarité des étudiants sont difficiles. Les écoles d’art souffrent du manque d’initiative, d’un défaut de management, de vision globale, d’innovation. Elles sont « coupées » du monde, de l’université, coupées de la vie culturelle. La politique d’achat des œuvres d’artistes : La constitution du patrimoine national exige un investissement sans relâche. Depuis quelques années, le déséquilibre est manifeste dans la politique d’achat des œuvres d’artistes algériens. Nos institutions achètent peu. Les institutions culturelles étrangères font main basse sur les œuvres d’artistes algériens vivant ou non à l’étranger1. Les pays émergents du Moyen-Orient ont une politique d’achat « agressive »2. La politique d’achat des œuvres est très peu transparente (crédits, composition de la commission d’achat, institutions bénéficiaires, modalités d’inscription au patrimoine national). L’inventaire de ces dernières (œuvres et artistes) n’est pas porté à la connaissance des citoyens. La valorisation des œuvres est déficiente et leur circulation (expositions ou prêt pour des expositions, en Algérie et à l’étranger) est peu importante, souvent inexistante. Un recensement a été fait sur la base de 4248 biographies de plasticiens algériens, vivant et/ou exerçant leur activité artistique en Algérie et/ou à l’étranger, afin d’avoir une « empreinte » géographique et une géolocalisation des œuvres et des artistes concernés. Le décompte établi par mes soins révèle que plus de 242 institutions (contre une centaine en Algérie) et 48 pays dans le monde, ont dans leurs collections des œuvres d’artistes algériens contemporains. L’obsolescence programmée : Le 30 décembre, l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (Alesco) adopte une recommandation dans laquelle elle proclame la ville de Constantine capitale de la culture arabe pour l’année 20153. En 2010, dans l’analyse de la situation culturelle en Algérie, je disais à propos des manifestations « éphémères » (Année de l’Algérie en France 2003, Alger Capitale arabe 2007, Festival Panafricain 2009) : « Quelle est l’échéance et la portée (durabilité d’impact) de leur effet structurant ? A quel prix ? Quelle est la place de la société civile dans la co-production de ces événements ? Au- delà de la satisfaction immédiate du besoin et de la « commande », je m’interroge, sur l’évanescence des mobilisations humaines, des ressources et des projets ». Un projet culturel 1 Le Centre Pompidou à Paris recense les artistes contemporains algériens et prospecte pour enrichir sa collection d’art. Des institutions culturelles internationales acquièrent des œuvres d’Attia Kader (La Tate Modern de Londres), d’Abdellah Benanteur, Rachid Koraïchi et Mohamed Racim (le musée de Doha). En 2012, L’assemblée nationale française vient d’acquérir une œuvre de Djamel Tatah pour sa collection. 2 Voir projet « Mall of the World » à Dubaï qui a pour objectif d’accueillir la plus grande zone de galeries d’art du Moyen Orient et d’Afrique du Nord. 3 Un communiqué du Conseil des ministres, du 26 décembre 2012, indique que « le président de la République a instruit le Gouvernement, à travers le ministère de la Culture, d'entamer toutes les démarches auprès des instances arabes en charge des affaires culturelles pour que Constantine soit consacrée Capitale de la Culture Arabe à partir de 2015 ». officiel fait de courts cycles de vie et de leur régénération « opportune » toutes les deux ou quatre années. Imaginaire comptable L’ambition proclamée du projet culturel officiel est de couvrir le territoire national d’institutions culturelles qui proposent aux publics de l’action culturelle. En réalité, le modèle culturel algérien, dit de service public, est épuisé. Les professions culturelles et artistiques peinent à se développer. Les collectivités locales et territoriales sont désengagées du domaine culturel. Les institutions culturelles (musées, bibliothèques, théâtres …) peinent à prolonger, en direction des publics, les projets de création, leur diffusion. Les structures culturelles intermédiaires (associations…) susceptibles de porter l’action culturelle et d’être des prescripteurs de publics sont indigentes ou ignorées. Développer quantitativement et géographiquement l’offre artistique, densifier les équipements et les événements, n’est pas suffisant. La priorité doit être réservée à l’éducation artistique, à la fréquentation des lieux culturels, à la médiation culturelle, à la formation de « passeurs culturels », à l’accompagnement dans l’appropriation des œuvres. L’éducation artistique est une « inconnue » au sein de notre politique culturelle. Son développement requiert un plan national, des moyens humains et financiers identifiés, une méthodologie, un plan d’action. Une autre et haute idée de l’Algérie Le développement culturel doit s’appuyer sur un contexte institutionnel favorable et une charte du service public culturel : L’ouverture des musées, des galeries d’art, de la création, de l’art, à un plus vaste public, est une vraie priorité. Le défi est d’abord de rendre identifiable les institutions culturelles, plus désirable l’offre culturelle. Reste à améliorer la fréquentation de ces espaces culturels4. Il tend à se confirmer, par recoupement de chiffres partiels, que la moyenne de fréquentation des musées est de 10. 000 visiteurs/an, avec certainement un pic supérieur pour le musée d’art moderne et contemporain.
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