ASSEMBLEE NATIONALE 27 janvier 1999 RAPPORT DU GROUPE DE TRAVAIL SUR L’EFFICACITÉ DE LA DÉPENSE PUBLIQUE ET LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE (1) Président M. Laurent FABIUS, Rapporteur M. Didier MIGAUD, Députés. —— —— TOME II AUDITIONS (1) Ce groupe de travail est composé de : M. Laurent FABIUS, président de l’Assemblée nationale, président, M. Augustin BONREPAUX, président de la Commission des finances, vice-président, M. Didier MIGAUD, rapporteur général de la Commission des finances, rapporteur ; MM. Philippe AUBERGER, Dominique BAERT, Jacques BRUNHES, Gilles CARREZ, Yves COCHET, Christian CUVILLIEZ, Laurent DOMINATI, Roger FRANZONI, Gérard FUCHS, François GOULARD, Jean-Jacques JÉGOU, Pierre MÉHAIGNERIE, Michel SUCHOD. TOME SECOND SOMMAIRE DES AUDITIONS Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par le Groupe de travail (la date de l’audition figure ci-dessous entre parenthèses) M. François de CLOSETS, journaliste (22 octobre 1998) M. Jacques MÉRAUD, membre honoraire du Conseil économique et social (22 octobre 1998) M. Jean-Claude THŒNIG, Président du Conseil scientifique de l’évaluation (22 octobre 1998) M. Guy CARCASSONNE, Professeur à l’Université de Nanterre-Paris X (29 octobre 1998) M. Laurent DOMINATI, député, Président de la mission d’information commune sur les moyens d’information des parlements étrangers en matière économique et sociale (septembre 1994-mai 1995) (29 octobre 1998) M. Jean-Claude TRICHET, Gouverneur de la Banque de France (29 octobre 1998) M. Michel PRADA, Président de la Commission des opérations de bourse, ancien directeur de la comptabilité publique et du budget (5 novembre 1998) M. Loïc PHILIP, Professeur à l’Université d’Aix-Marseille (5 novembre 1998) M. Philippe AUBERGER, député, ancien Rapporteur général de la Commission des finances, de l’économie générale et du plan de l’Assemblée nationale (1993-1997) (5 novembre 1998) M. Jean ARTHUIS, sénateur, ancien ministre de l’économie et des finances (19 novembre 1998) M. René BARBERYE, Président du directoire du Centre national des caisses d’épargne et de prévoyance (CENCEP), ancien directeur de la comptabilité publique (19 novembre 1998) M. Pierre JOXE, Premier président de la Cour des comptes (24 novembre 1998) M. Jean PICQ, conseiller-maître à la Cour des comptes, Président de la mission sur les responsabilités et l’organisation de l’Etat (novembre 1993-mai 1994) (10 décembre 1998) M. Augustin BONREPAUX, député, Président de la Commission des finances, de l’économie générale et du plan de l’Assemblée nationale (10 décembre 1998) M. Daniel BOUTON, Président de la Société générale, ancien directeur du budget (10 décembre 1998) M. Louis SCHWEITZER, Président de Renault, ancien directeur de cabinet du Premier ministre (7 janvier 1999) M. Michel CHARASSE, sénateur, ancien ministre du budget (7 janvier 1999) (M. Michel Charasse a souhaité être entendu à huis-clos) M. Michel BON, Président de France Télécom, ancien directeur de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) (7 janvier 1999) M. Jacques DELORS, ancien ministre de l’économie et des finances, ancien Président de la Commission européenne, Président de la Fondation Notre Europe (13 janvier 1999) Sir John BOURN, Contrôleur et Auditeur général du Royaume-Uni, Président du National audit office (NAO) (13 janvier 1999) M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, et M. Christian SAUTTER, secrétaire d’Etat au budget (13 janvier 1999) Audition de M. François de CLOSETS, Journaliste (extrait du procès-verbal de la séance du 22 octobre 1998) Présidence de M. Laurent FABIUS, Président M. le Président : Nous commençons aujourd’hui les travaux du Groupe de travail constitué à mon initiative sur le contrôle parlementaire et l'efficacité de la dépense publique. J'accueille avec plaisir M. François de Closets qui va ouvrir notre série d'auditions. Nous recevrons, au cours de nos travaux, des personnalités françaises et étrangères spécialistes de ces questions, ce qui est votre cas, à la fois en raison de vos activités professionnelles et de la Commission que vous avez présidée. Outre l'audition de personnalités, nous discuterons entre nous parce que nous ne créons pas ce groupe de travail pour le plaisir de l'esprit, mais pour parvenir à des résultats concrets. Les thèmes de travail sont des sujets dont nous parlons depuis vingt-cinq ou trente ans, mais sur lesquels peu de choses concrètes ont été faites. Nous pensons que la dépense publique est mal évaluée, mal contrôlée, qu’elle a des répercussions importantes sur les impôts et les charges, qui sont trop lourds. Cette idée a déjà été exprimée par plusieurs d'entre nous. D'une certaine façon, il y a un lien possible entre l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire. A l'origine, le Parlement est né pour ça. Par un effet dialectique, si le Parlement remplissait pleinement son rôle, cela permettrait sans doute de mieux contrôler la dépense publique, mais cela lui donnerait encore plus de légitimité. M. François de CLOSETS : Je vous remercie de l'honneur que vous me faites en me demandant de prendre la parole devant vous. Je ne suis pas un expert. Beaucoup d'entre vous, sur le strict terrain des techniques financières, sont beaucoup plus compétents que moi. Alors soyez gentils, ne m'entraînez pas trop loin dans ce domaine. Disons que je suis un citoyen concerné. Dès qu'on parle de la finance publique, aussitôt arrive la question quantitative. Il y a ceux qui sont pour moins de 30 %, ceux qui voient d'un bon oeil 45 % de dépenses publiques. Tel n'est pas mon propos. Personnellement, mon point de vue est qu'il ne faut pas mésuser de l'argent public. On peut aussi bien gaspiller l'argent public dans un état libéral qui ne dépense que 30 %, que dans un état social démocrate qui en dépense 45 %. Sous l'ancien régime, la dépense publique en soi était faible, mais tout entière gaspillée. La notion de gaspillage n'est pas non plus d'essence libérale. Or, de plus en plus, je constate que quand on met l'accent sur ce point, on se trouve suspecté de défendre une idéologie libérale. On explique que c'est un faux procès parce que de toute façon, la dépense publique ne va pas se cacher dans des paradis fiscaux, mais est recyclée dans l'économie. Donc, finalement, c'est une bonne chose ! Je m'insurge absolument contre cette façon de voir. On ne peut pas réduire les fonctionnaires à être les relais du recyclage de l'argent public dans l'économie française; ils ont des missions beaucoup plus nobles. Ils ont un rôle absolument essentiel et des services à rendre de façon productive, efficace et, bien sûr, au moindre coût. Productivité ne veut pas dire rentabilité, qui n'a pas de sens s'agissant des services publics, mais la productivité a un sens qui doit être respecté. Si l'on veut stimuler la croissance par un accroissement des dépenses publiques, il faut voir que cet effet ne peut être obtenu qu'en contrôlant absolument la dépense pour que cette stimulation se fasse à partir d'investissements qui vont enrichir l'avenir, et non à partir de l’entretien de structures lourdes qui vont, au contraire, compromettre cet avenir. Plus on pense qu'il est nécessaire - et je le pense aussi, parce que c'est la tradition de la France - de maintenir la dépense publique à un niveau élevé dans cette société, plus on doit être vigilant et absolument impitoyable sur le contrôle et l'utilisation de cette gestion. C'est donc sans aucun préalable que j'aborde cette question, non plus par libéralisme, mais par civisme. La bonne gestion est le préalable aux choix idéologiques éminemment respectables entre une perspective libérale et une perspective socialiste, dirai-je pour simplifier. Et il y a un préalable à toute gestion saine, celui de reconnaître la dépense pour ce qu'elle est ; une dépense, c'est un coût ; une dépense, c'est négatif. Tous les ménages savent que le moment douloureux, c’est le paiement de la dépense. Cela ne veut pas dire qu'ils ne dépensent pas, mais cela veut dire qu'ils s'efforcent d'obtenir ce qu'ils désirent au moindre coût. De même, les entreprises se lancent dans des investissements, négatifs dans le présent, mais dont elles espèrent, pour l’avenir, un retour positif supérieur. Donc, la dépense, c'est négatif. Cependant, cela ne me semble absolument plus perçu lorsqu'il s'agit de l'argent public. Tout se passe comme si l'argent public était d'une autre nature que l'argent privé, en sorte que l'idéal, qui, s'agissant de l'argent privé, est de minimiser la dépense, serait, s'agissant de l'argent public, de l'accroître. En la matière, il y a une parfaite exception française à laquelle je voudrais que l'on réfléchisse. En tant que représentants du peuple, vous avez pour charge de consentir l'impôt et de veiller à la dépense, à la bonne utilisation de l'argent public. L'exercice de cette mission devrait vous conduire à contester les demandes budgétaires des gouvernements, à ne les accepter qu'en dernier recours, après que toutes les justifications vous ont été données ; cela devrait donc aussi vous conduire à les refuser lorsqu'elles ne vous paraissent pas justifiées. C'est selon moi l'attitude qui devrait être celle des députés, qu'ils soient communistes ou RPR. Or, les citoyens de ce pays ne peuvent que constater que leurs représentants ne contestent jamais qu'une chose : l'insuffisance des dépenses. Lors des débats budgétaires, que se passe-t-il ? Le bon budget qui recueille l'approbation évidemment de la majorité, mais même de l'opposition, est celui qui est en forte croissance.
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